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MERCURE
DE FRANCE,..
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET . 1749 .
UTSPARGAT
LIGITU
Chez
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S. André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
JACQUES BARROIS , Quaj
des Auguftins , àla ville de Nevers.
M. DCC. XLIX.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
PUBLIC
THE NEW YORK
PUBLICLIRIY
335201
ASTOR, LENOX AND
A VIS.
TILDER' FOUNTATION DRESSE générale duMercure eft
190 M. DE CLEVES D'ARNICOURT
,
rue des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon . Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître.
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , quifouhaiteront avoir le Mercure
de Francede la premiere main , &plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deffus
indiquée ; onfe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. Remond de Sainte Albine.
PRIX XXX. SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI.
અને
JUILLET
. 1749.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
MEMOIRE .
Sur l'année de la mort , & le lieu de lafépulture
de Philippe de France , premiér Duc
d'Orleans.
P
Hilippe de France , fils puîné du
Roi Philippe VI.dit de Valois , &
de la Reine Jeanne de Bourgogne,
fa premiere femme , mourut
le premier Septembre 1375 , & fut inhumé
dans l'Eglife Cathédrale d'Orléans.
Deux points que je me propofe de prouver
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
à fond , contre ceux qui ont avancé , que
ce Prince, étant mort feize ans plus tard , en
1391 , fon corps avoit reçû la fépulture devant
le Sanctuaire de l'Eglife des Célestins
de Paris. Entre ceux -là j'ai principalement
en vûe le P. Beuvrier , dans les Antiquités
des Célestins de Paris , p . 2 81 , & M.Piganiol
de la Force , qui tout récemment l'a fuivi
mot à mot dans la nouvelle Deſcription de
cette Ville. Tome IV. p . 43.
Le jour de la mort du Duc Philippe , au
premier Septembre , n'eft point contefté ,
& pour peu qu'il le fût , il feroit aiſé de l'établir
par le Martyrologe de l'Eglife d'Orléans
, que j'aurai occafion de citer ci -après.
Quant àl'année 1375 , elle fe prouve fans
réplique par des Lettres du Roi Charles
V. fon neveu , qui peu de jours après la
mort de ce Prince réunit le Duché d'Orléans
à la Couronne , pour n'en être plus
feparé à l'avenir . Ces Lettres , dont l'original
eft confervé au Tréfor de notre
Hôtel - de-Ville , font dattées du Bois de
Vincennes , au mois de Septembre de cette
même année 1375. Datum in Caftro noftre
Nemoris Vicennar. anno Domini M. CCC.
LXXV. regni noftri XII. menfe Septembri ,
& elles ont été confirmées pour les difpofitions
qu'elles contiennent , par des
Lettres du Roi Charles VI. données à Paris
JUILLET . 1749.
5
I
au mois de Mars 138 , confervées au mê
me Tréfor. Datum Parifiis menfe Martii anno
Domini M. CCC. LXXX. regni vero 1º .
Il est étonnant que François le Maire ,
qui nous a donné une Hiftoire fort ample
de la Ville d'Orléans , Hiftoire compofée
en partie fur les piéces qu'il avoit trouvées
dans le Tréfor de l'Hôtel-de- Ville , où il
avoir l'entrée libre , n'ait point vû ces Lettres
de Charles V. & de Charles VI. &
qu'il ait été obligé , pour fixer la mort de
Philippe , Duc d'Orléans , d'avoir recours
à des Auteurs auffi peu fûrs que Gaguin &
Nicole Gilles , qui lui ont fait prendre le
change fur cet article .
Je paffe au lieu de la fépulture du même
Duc Philippe dans l'Eglife d'Orléans :
elle y eft marquée d'une maniere bien expreffe
dans l'Acte de fondation , que Blanche
de France , fa veuve , fit le 13 Juillet
1384 , d'un Anniverfaire pour fon trèsredouté
Seigneur & efpoux Philippes , fils de
Roy de France , Duc d'Orliens , Comte de
Valois de Beaumont , que Dieu abfoille
duquel , par le plaifir de Dieu , le corps gift
& repofe en l'Eglife Sainte Croix d'Orliens ;
ce qui eft répété dans le teftament que la
même Princeffe fit à Paris le 21 Mai de
l'année fuivante 1392 , où elle ordonne
fa fépulture ; en l'Eglife de Saint Denis fon
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
corps ; en l'Eglife Sainte Croix d'Orliens , en
laquelle gift & repofe fon très- chier Seigneur
& efpoux, que Dieu abfoille , fon cuer , & en
l'Eglife du Pont- aux - Dames , en la Chaftellenie
de Crecy en Brie , fes entrailles. A quoi
on peut ajouter , par abondance de droit
le Martyrologe de l'Eglife d'Orléans dreffé
du vivant même de la Ducheffe Blanche
où on lit la même chofe , au premier Septembre
: September Kal, hac die obiit bone
memorie Philippus Regis Francie filius , Dux
Aurelienenfis, Valefie & Bellimontis Comes
cujus corpus in hac Ecclefia requiefcit.
Le tombeau de ce Prince étoit au milleu
du Choeur de cette Eglife , mais nous ignorons
quelle en étoit la forme , & s'il étoit de
pierre ou de marbre . Nous avons de même
perdu l'épitaphe qu'on y lifoit , & que
Meffieurs de Sainte Marthe citent dans les
additions au premier volume de leur Hiftoire
Génealogique de France. Tout ce
que nous fçavons , c'eft que ce tombeaut
étoit fort élevé : nous apprenons cette circonftance
de certaines Lettres de Charles
Duc d'Orléans , du 15 Février 141 ,
portant que fur les repréſentations des Chanoines
, que fepulture étant au Cuer de ladite
Eglife , en laquelle fepulture repofent le
corps de feu de bonne mémoire Monfr Phelippe
, jadis fils de Roy de France , & Son
JUILLET. 1749. 7
Prédéceffeur Duc d'Orliens , & le cuer defeu,
Madame Blanche , jadis fille de Roy de Fran
ce & de Navarre , fa femme , afait ou temps
paffe & encores fait de prefent grant encom
brier & empefchement audit Cueur d'icelle
Eglife , par ce que aux heures que lefervice
eft faict & celebré , lesdits Doyen & Chapitre,
& les Chapelains faisant ledit fervice , n'ont
pu prevent pleinement veoir l'un l'autre ,
ainfi que fouventefois en a été & eft de neceffité.
Ce Prince leur permet qu'il puiffe faire lever
ladictefepulture du lieu où elle eft de preſent
affife , & icelle transporter.... près du grant
Autel & comme au droit de la Chapelle.
à laquelle eft chafcun jour dicte celebrée
une Meffe pour le falut des ames d'iceux Duc
Ducheffe. Ce tombeau eft reſté dans ce
fecond endroit , qui étoit du côté de l'Evangile
, jufqu'aux premiers troubles de la
Religion , que les Religionnaires au mois
d'Avril 1562 , s'étant rendus maîtres d'Orléans
, le ruinerent ainfi que les Autels &
tous les ornemens de l'Eglife.
On peut objecter contre ce que nous
venons de dire , une réfléxion que font
Meffieurs de Sainte Marthe dans l'endroit
de leur Hiſtoire que nous avons cité,
pour concilier la contradiction qui fe rencontre
entre les monumens de l'Eglife.
d'Orléans , & la tradition des Célestins
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
>
de Paris , fçavoir que le Duc Philippe
après avoir été premierement déposé dans
l'Eglife d'Orléans , avoit été dans la fuite
porté à Paris par les foins de Louis XII ,
mais outre que ce n'eft qu'une conjecture.
hazardée au befoin , il refteroit des marques
de cette tranflation , fi elle avoit été
faite , ou dans le Tréfor de l'Eglife d'Orléans
, ou aux Céleſtins de Paris , ou enfin
dans les Auteurs qui ont écrit la vie de
Louis XII ; on n'en trouve point , &
c'en eft affez pour ôter à cette conjecture
toute la vraisemblance qu'on penfoit lui
donner d'ailleurs .
Sans fortir des Céleftins de Paris , qu'il
me foit permis de faire remarquer une faute
dans laquelle elt tombé l'Hiftorien de
ce Monaftere , & qu'on trouve auffi dans '
les Antiquités de Paris de du Breuil , 688,
& dans celles de Sauval , tome 1. p . 460 ,
qui tous ont écrit que le coeur de François
II. repofe dans la Chapelle d'Orléans en un
vafe doré , fur lequel un Ange tient une Couronne
élevée en l'air , qui eft de bronze , le
tout pofe fur une haute colomne parfemée de
flammes de feu. Il eft vrai que ce monument
avoit été erigé pour y mettre le coeur
de ce Prince , mais on ne l'y mit jamais ;
car étant mort à Orléans le 5 Décembre
1560 , fon corps fut porté à Saint Denis ,
JUILLET.
2 1749 .
& fon coeur à la Cathedrale d'Orléans ,
où il fut enterré dans le Sanctuaire de
cette Eglife, & où il eft refté jufqu'aux premiers
troubles , que les Religionnaires , le
même jour qu'ils ruinerent le tombeau de
Philippe Duc d'Orléans , le chercherent
pour profiter d'une boëte d'argent en forme
de coeur dans laquelle il étoit enfermé,
& l'en tirerent pour le jetter au feu , comme
le marquent Belleforêt , la Popeliniere
& les Hiftoriens d'Orléans , fuivant
des Mémoires manufcrits dreffés par Hec
tor Desfriches , homme fort inftruit des
particularités de ce tems- là , qu'il avoit
apprifes de gens qui vivoient pour lors.
Les Religionnaires ayant à demi brûlé ce
coeur , ils jetterent le reste aux chiens.
D. Polluche , de la Société Littéraire d'Oréans.
CACACACDCDCDCBCAYDED
SUR UNE MALADIE,
MIlle maux,belle Iris , fans compter votre
abſence ,
Sur votre tendre amant exercent leur pouvoir :
Son courage les prend affez en patience ;
Le feul infupportable eft de ne vous point voir.
Je fens qu'à la douleur notre corps s'habitue ;
A v
To MERCURE DE FRANCE .
Mais je ne puis accoûtumer
Mes yeux
à fe paffer de votre aimable vûe ,
Et moins encor mon coeur à ne vous plus aimer.
La perte de votre préſence
M'occupe fi parfaitement ,
Qu'elle fouftrait mon ame à toute autre fouffrance
Que celle qui lui vient de votre éloignement ;
Mais des autres douleurs fi l'amour me diſpenſe ,
Il me le fait bélas ! payer bien cherement :
Je fouffre plus de votre abfence ,
Que je ne fouffrirois de tout autre tourment .
Par M. le Chevalier de R***
XX*XX* X* X *XX* XXX
Sur une convalefcence.
A Quels tourmens les deftins nous expofent !
Au grand galop ils me faifoient courir
Vers le lieu fombre où mes ayeux repoſent.
Aimable Iris , je croyois bien mourir.
Les Dieux enfin autrement en difpofent ,
Non , pour ceffer de me faire fouffrir :
L'art d'Efculape a fçû me ſecourir
Contre les maux que les Cieux nous impofent ;
Mais de celui que vos beaux yeux me caufent
Il n'eft point d'art qui me puiffe guérir,
Par le même.
JUILLET. IL 1749.
AURUAUQUQUEUŤOU DU DUDUSIDY JURY
Sur un mal d'yeux.
1 le mal que l'on fait , tient toujours lieu de
crime ,
Le tourment de vos yeux n'eft que trop légitime ;
D'une jufte vengeance , Iris , il eft l'effet :
Je reflens comme vous leurs douleurs inhumaines ;
Mais quelque foit l'excès de leurs cruelles peines ,
Ils n'en peuvent fouffrir autant qu'ils en ont fait.
Par le même.
Sur une Navette.
Navette tropfortunée !
Que ne donneroient pas les plus heureux humains,
Pour avoir , feulement pendant une journée ,
La gloire d'amufer ces mains , ces belles mains
Que vous feule amufez prefque toute l'année è
Les Sceptres & les Souverains
Doivent être jaloux de votre deftinée.
Il n'eft point de belle en ces lieux ,
Qui fe ferve de vous avec tant de vîteffe ,
Qui fçache vous donner des tours plus gracieux ,
Que votre charmante Maîtreffe.
Ses doigts dans un inftant font fur vous mille
noeuds ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Mais , avec toute leur adreffe ,
Ses doigts en font encor bien moins que fes beaux
yeux,
Par le même.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗選濃
M
LETTRE
A M. Rémond de Sainte Albine.
Onfieur , le projet d'une Bibliothéque
, annoncé dans les Mémoires
de Trevoux de Février dernier , & dans
le Journal de Verdun , eft une entrepriſe
intéreffante pour la République des Lettres
, s'il eft exécuté avec le foin que l'exige
un travail de cette nature. Ce fera un repertoire
pour tous les gens d'étude , en
quelque genre d'art ou de fcience que ce
foit ils y trouveront au moins l'indication
des fources où ils peuvent puifer des .
fecours. Il y a fept ou huit ans que commençant
à me livrer à quelques études
après ma fortie du Collège , l'idée d'une
Bibliothéque univerfelle me frappa , au
point que j'entrepris d'en former une pour
mon propre ufage , & je devins , faute de.
réflexions , fi fort amoureux de ce travail ,
quoique très pénible , qu'en cherchant ce
qui m'intéreffoit , je recueillois , chemn
JUILLET. "
1749. 13
faifant , toutce qui étoit étranger au genre
d'étude auquel je m'appliquois . La difficulté
de pouvoir procéder à ce travail avec
un certain ordre , m'engagea à mettre fur
des papiers feparés rout ce que je découvrois
à fur & à meſure, & quand la collection
me parut un peu abondante , je commençai
à ranger tous mes papiers dans des
cartons. Cette pratique me donna la facilité
de changer au moins vingt fois mon
arrangement , felon que j'y trouvois des .
inconvéniens pour la recherche ; & les
ouvrages périodiques , Journaux littéraires
, Bibliographes , Dictionnaires &
Catalogues , que j'ai eu occafion de voir
dans le cours de ce travail , m'ont fait faire
les réflexions fuivantes , dont je prends la
liberté de vous faire part , Monfieur , pour
les inferer dans le Mercure. Je compte
que l'Auteur du nouveau projet ne manque
pas de lire chaque mois ce Recueil ,
& il fera du peu d'expérience que j'ai acquis
fur ce fujet , tel ufage qu'il jugera à
propos.
Mon projet étoit comme le fien , de divifer
ma Bibliographie en deux parties ,
l'une concernant les Auteurs , & l'autre
les matieres . J'avois crû devoir ranger lest
Auteurs par ordre chronologique , en prenant
la datte de leur mort pour époque.
14 MERCURE DE FRANCE.
J'avois donné la préference à cet arrangement
, parce qu'il me fembloit qu'il pouvoit
former une espéce de tableau hiftorique
de la Littérature , en préfentant l'abregé
de la vie des Auteurs , un détail fuccinct
de leurs difputes littéraires , le Catalogue
de leurs ouvrages avec la notice .
des Critiques & des Apologies aufquelles
ils avoient donné lieu , & la citation des
Livres où il étoit parlé de ces mêmes Auteurs
.
Un autre avantage que je croyois voir
dans ma Méthode , étoit de pouvoir
ajouter l'article d'un Auteur à la fuite de
la collection , à mesure que la République
des Lettres faifoit une perte..
J'avois encore conçu une pratique capable
de concilier tous les goûts pour l'arrangement
des Auteurs. C'étoit de faire imprimer
l'article de chaque Auteur fur une
feuille feparée , en forte que chaque perfonne
, qui auroit foufcrit pour la Bibliothéque
, auroit pû les difpofer felon fon
goût par ordre alphabétique , par ordre
chronologique , ou par ordre de Nations
& de Facultés , mettant les Théologiens
enfemble , les Jurifconfultes d'une autre
part , & c.
Une reffource que je trouvois dans cette
pratique , & qu'il feroit peut- être à ſou-
$
#
JUILLET: 1749.
haiter , malgré fa fingularité , que l'on
pût introduire dans bien d'autres ouvrages
que celui ci , c'eft que , comme il eft
prefque inévitable dans une collection de
cette nature , de tomber dans une multitude
d'omiffions , foit de certains articles
en entier , foit de quelques circonftances
notables qui regardent les Auteurs & leurs
ouvrages , & qu'il furvient des éditions
nouvelles & dignes de remarques , des
Traductions , des Critiques , des Apologies
, on peut réparer les omiffions d'articles
, fans troubler l'ordre , en inferant un
Auteur oublié , ou ajouter des cartons à
la fin de la feuille , pour corriger les erreurs
& marquer les changemens .
Que de Dictionnaires & de Catalogues
bibliographiques deviendroient plus utiles,
s'ils étoient partagés de cette forte ? Quel
degré de perfection n'auroit pas un Dic
tionnaire de Moreri , par exemple , où à la
fin de chaque article de familles , on pourroit
ajouter les nouvelles alliances , les
morts , les naiffances , les faits notables
où entre deux noms illuftres on pourroit
en inferer un autre qui commence à le
devenir , ou qui a échapé aux recherches
des précédens Compilateurs ; un Dictionnaire
d'Hiftoire naturelle & de Phyfique ,
où à la fin de chaque article on pourr
oit
16 MERCURE DEFRANCE.
ajouter les nouvelles découvertes ; un Dic
tionnaire géographique , un Pouillé de la
France , où on pourroit corriger les erreurs
& marquer les changemens , en faifant
réimprimer l'article fur lequel l'un ou
l'autre tomberoit ?
il me
Par-là on pourroit même fe procurer
un plus grand nombre de Soufcripteurs
pour un ouvrage confidérable , en le donnant
par parties & périodiquement , ou à
mefure que les matériaux viendroient , ce
qui feroit en même tems un foulagement
pour les facultés des curieux , & pour le
travail des autres . Mais en tous cas ,
paroît qu'il n'eft point d'ouvrage auquel
cette pratique convienne mieux qu'à une
Bibliothéque univerfelle. En fuivant ce
confeil , l'Auteur du projet en queſtion.
aura la fatisfaction de commencer à jouir
plutôt du fruit de fes recherches laborieufes
, dont le retard le dégouteroit peutêtre
par la fuite.
Al'égard de la feconde partie concernant
les matieres , mon goût s'accorderoit
avec celui de l'Auteur , en les rangeant
par ordre alphabétique en forme de Dictionnaire
, non pas en raffemblant tous
les ouvrages de Jurifprudence , de Médecine
, de Théologie , & c . fous des titres fi
généraux ; moins encore en ayant égard
JUILLET . 1749. 17
aux premiers mots des titres , dont la plûpart
font vagues & ne qualifient rien ,
mais en mettant fous chaque nom de chofe
phyfique ou morale , fous chaque nom de
lieu ou d'époque , fous chaque nom d'art
ou de métier particulier , fous chaque nom
de queftion notable de Théologie , Jurif
prudence , Philofophie , &c . fous chaque
nom d'homme fameux dans l'Hiftoire ancienne
ou moderne , fous chaque nom de
production naturelle ou artificielle , les
ouvrages hiftoriques , critiques , didactiques
, polemiques , philofophiques , &c,
qui y ont rapport.
Je n'aurois pas manqué , comme vous
l'imaginerez fans doute , Monfieur , de
faire auffi un cahier feparé pour chaque
mot , afin de faciliter les corrections &
les additions , que de nouveaux ouvrages
fur chaque matiere , ou de nouvelles éditions
des anciens , rendent frequentes . J'aurois
par conféquent trouvé l'ulage de ces
cahiers plus néceffaire encore , ou du moins
autant , dans la feconde partie que dans la
premiere .
A l'égard des traités généraux de fcience
, comme les cours de Philofophie , de
Théologie , de Jurifprudence , de Médecine
, je me contentois d'en faire mention
à l'article de leurs Auteurs ; mais à cet
18 MERCURE DE FRANCE.
égard je cherchois la briéveté par des raifons
qu'un autre n'auroit peut-être pas.
Voilà , Monfieur , mes réflexions. Elles
font le fruit des inconvéniens que j'ai
trouvés dans une multitude d'autres Méthodes
, dont j'ai effayé fucceffivement.
Il n'y a furtout rien de fi incommode que
les fupplémens , aufquels on eft obligé
d'avoir recours dans tous les ouvrages de
compilations.
Votre zéle pour la République des Lertres
, où vous tenez , Monfieur , un rang
fi diftingué , m'engage à vous adreffer cet
effai , en le foumettant à vos lumieres , &
en vous priant d'y faire les changemens &
les additions que vous croirez propres à le
rendre plus digne de l'attention de l'Auteur
du projet , & du Public. Je prendrai
la liberté de vous adreffer quelquefois.
des productions digerées avec plus de foin.
J'ai l'honneur , &c.
Le Moyne.
De Dieuze , en Lorraine , le 10 Avril.
JUILLET . 1749. 19%
A M. OUDRY ,
Peintre du Roi.
LES DEUX BUCHES ,
FABLE.
Toi , dont les immortels pinceaux-
Rendent trait pour trait la nature,
Et font de tes brillans tableaux
Les chefs-d'oeuvre de la Peinture ,
Oudry , pour un moment , laiffe ces animaux-
A qui , lorsqu'il te plaît , ton art donne la vie;
Et jette un oeil d'ami fur cette rêverie
Que vient d'enfanter mon repos.
Le fage quelquefois à ſes nobles travaux
Doit mêler un peu de folie.
Le livre que tu m'as prêté ,
Sans me l'avoir fait trop attendre ,
M'a fourni la moralité
Du récit que tu vas entendre.
Pour réchauffer fes triftes Lares
Qui grelotoient dans leur foyer ,
Un jour un riche Métayer ,
Dont les mains n'étoient point avares ,
Mit deux groffes buches au feu ,
20 MERCURE DE FRANCE.
L'une de chêne & l'autre de bois neuf.
Sur celle - ci le foufflet eut à peine
Agité l'air par fa preffante haleine ,
Qu'on vit la flamme tout-à- coup
Gagner de l'un à l'autre bout ,
Et récréer par fa chaleur fubite
Les Pénates tranfis & le Maître du gîte ;
L'autre au contraire , au lieu de s'enflammer ,
Noircit fous le foufflet qui cherche à l'animer.
Une épaiffe fumée abforbe les blueites ,
Qu'on tâche à grands coups de pincettes
De faire fortir de fon fein ;
On la tourne cent fois , on y perd ſon latin ,
Honteuſe de ſon lambinage ,
Sa compagne lui dit , ma chere foeur , pourquoi
Ne pas brûler auffi vite que moi ,
Puifque vous êtes faite exprès pour le chauffages
Si , lorsqu'on l'exige de vous ,
Vous répandiez au loin vos chaleurs bienfaifantes ,
Ces mains dont vous fentez les coups ,
Seroient pour vous des mains reconnoiffantes ,
Et votre fort en feroit bien plus doux .
Quand vous vous réduiſez en braiſe ,
Vos feux viennent toujours trop tard.
Corrigez -vous , ma foeur , & j'en ferai bien aiſe .
Rendre fervice à propos , eft un art ,
Dont vous mettez toujours la pratique à l'écart ;
JUILLET. 21 1749 .
Mais ſçachez ( ne vous en déplaiſe )
Que l'on oblige doublement ,
Lorfqu'on oblige promptement,
张派汽送送送送送送:洗洗洗洗洗
REFLEXIONS.
Es taux amis font comme les faux bra
ves ; ils vous abandonnent toujours
dans le befoin.
La beauté eft comme l'aprêt dans les
marchandifes ; elle s'évanouit dans l'uſage
que l'on en fait.
Toute paffion violente eft folie , puifqu'elle
affoiblit les forces de l'entendement.
L'amour & la domination ne veulent
point avoir de collegues .
Un homme vraiment méchant ne fait
jamais à moitié une méchante action .
Le naturel des femmes eft de vouloir
tout & ne vouloir rien , c'eft-à- dire que
leur volonté fe laiffe emporter à tous les
objets qui leur femblent beaux , bons qu
nouveaux , mais fans s'attacher à un feul
folidement , de forte que quand quelque
chofe fe préfente à leurs yeux , elles en
deviennent éprifes , femblables en cela à
22 MERCURE DE FRANCE
:
ces malades qui defirent tout ce qu'ils
n'ont pas , & ne fe foucient nullement de
ce qu'ils ont.
C'eſt une fouveraine prudence que de
fçavoir nous plaire en ce que la néceffité
nous rend inévitable.
La beauté n'est peut - être qu'une opinion
de celui qui la juge telle.
Les poltrons & les amans font extrêmement
fujets à l'hyperbole.
La préfence de la perfonne aimée eft
l'un des plus fouverains remédes que la
trifteffe puiffe recevoir .
Les amans , les plaideurs & les écoliers,
ne mefurent pas le tems comme les autres
hommes , mais felon l'impatience de la
paffion qui les poffede .
La fortune & l'amour fe mocquent de
la prudence.
que
Celui qui veut donner de la peine à
autrui , s'en prépare la plus grande partic.
Rien n'eft peut-être plus amufant
de toujours faire des projets pour fe marier
, mais il faut dans bien des cas fe garder
de conclure .
Ce n'eft pas aimer véritablement que de
cacher quelque choſe à la perfonne aimée.
Celui qui voit ce qui eft aimable fans
T'aimer , manque d'efprit ou de courage.
JUILLET. 1749. 23
On doit plus confidérer l'honneur de
l'objet aimé , que la fatisfaction de celui
qui aime.
L'amour flate toujours fes malades d'efpérance.
La jeuneſſe & la beauté ont une fympa
patie qui n'eft pas petite.
Tout eft bon , & tout eft mauvais , regardé
par differens côtés .
Il eft des perfonnes dont le mépris ne
fçauroit offenfer.
Une coquette & une prude font également
à craindre.
La chicanne eft comme la protectrice
des méchans & le fleau des bons.
Il faut bien aimer pour aimer fon rival.
Il vaut beaucoup mieux n'avoir jamais
eu de félicité , que d'en être privé.
Le mariage , felon les uns , eft le tombeau
de la liberté , & felon d'autres , la
ceffation de l'esclavage .
Un véritable ami eft prefque auffi rare
qu'une jeune perfonne conftante.
Un bon écolier eft comme un bon fonds
où tout profite & vient en maturité.
Un homme nouvellement tiré de l'extrême
mifere & parvenu à une fortune ,
quoique médiocre , eft très-fouvent dans
le cas de fe méconnoître.
24 MERCURE DE FRANCE.
Perfonne ne méprife davantage , que ceux
qui véritablement font méprifables.
L'amour eft de toutes les paffions la plus
pardonnable.
Un homme fenfé & généreux ne fera
jamais confifter le beau d'une entrepriſe
dans les difficultés qui s'y rencontrent.
7
Ce n'eft point la charge , telle qu'elle
puiffe être , qui doit honorer celui qui
la poffede ; c'est à lui à faire honneur à la
dignité qu'il remplir.
il faut ne faire un choix gueres aimable,
pour pouvoir aimer fans avoir de rivaux.
Tout ne refpire à préfent que la légereté.
La conftance , en quoi que ce foit ,
a l'air trop bourgeois.
Par M. Pigeon , Bachelier en Droit en
l'Univerfité de Caën,
VERS
JUILLE T.- 1749 . 25
VERS .
De M. Bafton , à une Demoiselle qui faifoit
le rôle de Zaire.
Quandje voyois étaler fur la ſcéne
Le fpectacle de tes douleurs
Mon coeur aimoit à partager ta peine ,
Mes yeux à partager tes pleurs.
De tes foupirs la rapide énergie
Jettoit le trouble en mon ame attendrie ;
La terreur , la pitié , l'amour ,
De mes fens foulevés difpofoient tour à tour.
Mais bien-tôt l'amour ſeul exerçant fon empire ,
J'étois , hélas ! le dirai - je ? Zaïre ,
J'étois jaloux des pleurs que tu verfais ,
Des tranfports qu'à la fois ton coeur fent & condamne
.
J'étois le rival d'Orofmane ,
Et je le fais plus que jamais.
A Dieppe , le 15 Mai 1749 .
B
26 MERCUREDE FRANCE .
LETTRE
De M. *** à M. *** fur l'Histoire
naturelle des Punaiſes.
I
Left étonnant que perfonne , comme
vous dites , Monfieur , n'ait entrepris
de nous donner l'hiftoire naturelle des Punaifes
, lefquelles peuvent , auffi -bien que
les autres Infectes , nous fournir des obfervations
curieufes , fingulieres , également
intereffantes & dignes de notre admiration,
Dans ce que j'ai pû apprendre à
ce fujet , je vous communiquerai avec plaifir
ce qui me paroîtra être le plus capable
de piquer votre curiofité.
La Punaiſe en Latin eft le Cimex de Pline
, en Greco & Kopis epos . Il paroît que
le mot de Cimex vient du mot Grec Kiμaz
Cubo , je fuis couché , parce qu'on trouve
communément ces fortes d'Infectes dans
les lits . Le nom de Punaife eft dérivé du
mot Latin Punicea , à caufe de la couleur
rougeâtre de ce petit animal . On a donné
ce nom premierement aux Punaiſes rouges ,
& enfuite à toutes les autres . Ménage , en
rapportant l'étimologie de ce mot , ne
parle que des Punaifes des Indes qui font
JUILLET. 1749. 27
les véritables Cochenilles. Il y en a de
jardin , qui font vertes & auffi puantes
que les autres ; il y a auffi des Punaifes de
terre volantes , qu'on trouve dans les
champs fur les arbres . Hoefnaget a dépeint
cette forte de Punaifes de terre volantes
; il y a auffi des Punaiſes d'eau qui
volent , & ont un aiguillon dont elles
piquent très -fort ; mais on ne parlera ici
que de la Punaiſe ordinaire , Cimex Lectularius
, ou Cimex Domefticus.
pour
C'est un Infecte prefque rond ou de figure
rhomboïde , fort plat , de la figure
d'une petite lentille , d'une couleur de canelle
foncée , ayant la peau d'une extrême
fineffe , ce qui le rend facile à écraſer
peu qu'on le touche. Son bec eft courbé ;
fa gueule eft panchée fous la poitrine ; ſa
poitrine a une bordure ou marge tout au
tour ; il a le dos plat , des antennes ou
cornes à quatre jointures; il a fix pieds propres
à courir , une espece de trompe pour
fucer , & une tariere pour percer le bois ;
fon corps a de l'odeur , laquelle , lorfqu'on
l'écraſe , devient encore plus infupportable.
Les cornes ou antennes des Punaifes
font d'une beauté finguliere, quand on les
regarde avec le microſcope , & on croir
qu'elles ne leur fervent pas feulement pour
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
orner leur tête , mais auffi pour tâter le
chemin qui eft devant elles , & connoître
par là s'il n'y a rien qui s'oppofe au paffage
de leurs corps , rien qui puiffe les falir
ou les noyer ; il eft vifible, que lorfque ces
animaux marchent , leurs cornes vont ordinairement
dreffées vers l'endroit où ils
veulent aller ; peut-être que cela eft néceffaire
par des raifons que l'on ne peut façilement
découvrir .
Cet Infecte , comme les autres , ayant .
en foi une matiere propre à produire un
animal fon femblable , & fe trouvant dans
un lieu propre à fa nourriture , y dépoſe
quantité d'oeufs ; ces oeufs produifent d'autres
Infectes , ces Infectes d'autres oeufs , &.
toujours ainfi jufqu'à l'infini .
Dans nos climats les Punaifes meurent
dans l'hyver, ou fe retirent dans des trous ;
mais elles laiffent une infinité d'oeufs légerement
blanchâtres , qui fe confervent
pendant cette faifon , & qui aux approches
de la chaleur s'ouvrent en foule , &
laiffent éclore les petits animaux qu'ils
renferment. Ces Infectes fe multiplient.
prodigieufement , parce qu'ils font trèsféconds
.
L'humeur qui exhale de la fuperficie des
corps des animaux ; les matieres putrides
proche les lits,celle qui tranfpire peu à peu
JUILLET . 1749. 29
du bois , & c . contribuent à faire éclore ces
Infectes, parce que la pourriture eft comme
le nid où leurs oeufs fe convent & éclofent
mieux. Ce petit animal naît dans les vieilles
maifons , dans celles qui font proche
des colombiers & des loges des cailles ,
dans les vieilles folives des maifons , dans
les lirs , ceux fur- tout dont le bois eft de
fapia , & ceux où il y a de vieilles paillaffes
, ou dont la paille & les draps ne font
pas fouvent renouvellés ; dans les lits qui
font proche les murailles , ou les cloifons ,
fur- tout celles qui font enduites de plâtre
ou qui font près de vieux livres ; on en
voit une plus grande quantité aux chambres
d'en haut , aux lieux fecs , & il s'en
trouve plus dans les appartemens expofés
au Midi , que dans ceux qui ont une autre
fituation .
Les Punaifes fe nourriffent de fang ,
de chat , de laine , des étoffes , du bois
qui eft tendre , vieux ou pourri , c'eft - àdire
de quelques humidités qui s'y trou
vent , ainfi que d'autres matieres excrementielles
& corrompues ; il paroît encore
conftant que ces Infectes fe mangent,
comme font les araignées , les uns les
autres.
Ils ont le fang fi groffier & fi glutineux
, que l'air pris dans les poulmons ne
B iij.
30 MERCURE DE FRANCE.
fuffiroit pas pour le faire circuler ; mais
la nature y a pourvû en leur donnant une
trachée artere qui regne d'une extremité
du corps à l'autre , & diftribue partout fes
rameaux , même à plufieurs ouvertures
percées à droite & à gauche par où ils
prennent l'air, & c'est ce qui fait que (comme
les autres Infectes ) ces animaux , frottés
d'huile , meurent , parce qu'on leur a
fermé les conduits de la refpiration .
Parmi les fleaux que la divine Providence
a répandus fur la terre pour punir la
vanité & la molleffe de l'homme , je crois
que les Punaifes ne font pas le moindre.
On s'eft mis beaucoup en peine de chercher
des fecours pour nous défendre contre
ces ennemis de notre repos , & il eft
étonnant de voir la quantité de recettes
que les anciens & les modernes nous donnent
pour cet effet en forme d'huiles, d'onguens
, de lotions , de fumigations , & c.
Je ne parlerai ici que des remédes qui
paroiffent les plus efficaces ou les plus curieux.
L'huile , comme on vient de le dire ,
tue indifferemment toutes fortes d'Infectes
quand ils y ont été plongés un moment.
Selon Mouffet , le marc de beure qu'on
* Mouffetus , Infectorum five minimorum animalium
theatrum. Lond. 1634. folio, lib. 2. cap. xxv.p.
269. &c.
JUILLET. 1749. 31
aura fait bouillir , jetté fur les endroits où
viennent les Punaifes , les détruit d'une
maniere ſurprenante , les faifant , dit- il ,
crever de replétion ; » c'eſt peut - être
» cette graiffe dont Cardan parle en ces
» termes : J'ai connu autrefois ( mais je ne
» m'en fouviens plus ) une espece de grail-
»fe , laquelle fi on en frottoit une affiette
» de bois , s'attiroit toutes les Punaiſes, de
maniere qu'on ne voyoit plus le bois.
Quant aux huiles , onguens , & c. dont
on a coûtume de fe fervir contre les Punaifes,
& dont il y a un très grand nombre,
il faut pour qu'ils produisent leur effet ,
abfolument en frotter & bien imbiber le
mur , le bois de lit , toutes les jointures ,
trous & crevaffes , ainsi que le chevet du
lit,& les endroits tout autour dans lesquels
les Punaifes fe nichent & font leurs couvées
; mais l'effet qui en réfulte , n'eft ni
confidérable ni aucunement durable ; il
res ,
faudroit pour cela que tout le tour du lit
jufqu'aux rideaux , plis , doublures , penrubans
, tout ce qu'il y a autour
des anneaux, en fuffent bien pénetrés , fans
quoi les Punaifes ne manquent pas de reparoître
peu de tems après qu'on s'en eſt
fervi ; outre que ces fortes d'applications ,
quelques efficaces qu'on les trouve , doivent
être fouvent renouvellées , & par-là
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
elles gâtent néceffairement le coucher &
le tour du lit.
Florentinus rapporte que les Punaiſes
font tuées par le parfum des Sangfuës , &
les Sangfuës par celui des Punaifes , ce que
Pline a dit avant lui.
Selon Hippocrate , la fiente de taureau ,
& fi l'on en croit Avicenne , celle de
l'homme chaffe les Infectes venimeux . &
les Punaifes , fi on en fait une fumigation .
Aldrovandus * affûre que la fumée du vitriol
& du verdet les tue , mais cela n'empêche
pas , ajoûte- t'il , qu'elles ne reviennent
bien-tôt . On vante aufli beaucoup
la fumée de la nielle , de la fcolopendre ,
de la cigue & une infinité d'autres.
Il y a effectivement de ces fumigations
qui chaffent les l'unaifes , mais ce n'eft
que pour fort peu de tems , & comme il
eft néceffaire de les réitérer fort fouvent ,
elles ne manquent point de ternir les tableaux
, gâter les dorures , livres & autres
ameublemens.
Lorfqu'on ufe de fumigations , il faut
avoir l'attention de bien enfermer la fumée
par le moyen des rideaux , draps , &c. ~
dont on couvrira bien le lit , afin de conferver
plus long- tems la vapeur.
Démocrite , au rapport de Pline , affir-
* De Infectis Bonan . folio 1638 , p. 138.
JUILLE T. 1749. 33.
me que malgré la faleté des endroits où
l'on couche, & ce qui tranfpire des murs,
les Punaifes ne fe reproduifent point, fi on
attache des pieds de lievres ou de cerfs
autour du pied du lit ; il nous dit encore ,
fi on fufpend du crin de cheval à l'entrée
de la chambre à coucher ,, que les Punaifes
n'y entreront pas ; mais il faut avouer que
tout cela fent bien la fiction. Quelquesuns
pendent un linge trempé dans de l'eau
froide , ce qui éloigne les Punaifes
par la
fraîcheur actuelle. Quand on eft,en voyafûre
fi on met fous le lit un vaiffeau plein
d'eau froide pendant qu'on dort , les Punaifes
n'approcheront point. Mouffet afque
le chanvre ou le fruit d'Alkekenge,
fufpendu dans le lit , éloigne les Punaifes
. Si on met du chanvre dans le lit , dit
Aldrovandis , elles s'enfuyent & ne reviendront
plus. Rhafis affirme que fi on
fe frotte le corps avec de l'huile dans laquelle
on aura fait bouillir de l'abfinthe ,
les Punaifes ne pourront approcher.
On dit encore que l'hyeble , étendu fous
le lit, chaffe les Punaifes , vrai-femblablement
à caufe de fon odeur forte. La mauvaife
odeur du cuir rouge que les Allemands
appellent Ruffifch- Leder , fi l'on
en enferme une certaine quantité dans
un endroit , les détruit d'une manie-
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
re furprenante ,
Mouffet.
*
felon Aldrovandus &
Enfin tous les Auteurs conviennent
que
les drogues qui ont une odeur forte , font
très-contraires aux Punaifes , & on remarque
que chez les Apoticaires Droguistes &
Corroyeurs , on ne voit pas de cette vermine.
On fçait combien les Anciens fe font
efforcés de trouver quelque reméde qui
pût détruire toutes fortes de vermines , &
combien il y a eu de fuperftition dans ce
qu'on appelloit Talismans & amulettes ;
mais fans avoir recours à la magie , on
trouve chez les modernes de ces remédes
externes , dont l'effet eft réel , & peut s'expliquer
par la méchanique.
On nous a donné depuis peu un certain
Prophylactique contre les Punaifes , qui
eft fort en ufage , & qu'on appelle l'Amulette
de la Chine , où il paroît qu'on a
voulu raffembler .& concentrer certaines
odeurs ( qu'on aura trouvées être contraires
à cette vermine ) dans un perit eſpace ,
fous une forme falide & durable , capable
cependant d'une tranfpiration perpetuelle,
& par conféquent de pouvoir agir fur les
corps délicats de ces Infectes avec des efforts
redoublés par un concours d'exha-
* Aux endroits ci-devant cités.
JUILLET. 1749.
35
•
laifons odoriferentes & pénetrantes , que
cette Amulette leur envoye fans ceffe .
que
Je ne puis affûrer fi l'Amulette de la
Chine détruit réellement ou fait mourir
les Punaiſes , mais on peut dire en faveur
de ce reméde , que c'eft le plus commode
& un des plus efficaces qui ait encore paru
contre cette vermine, & qu'il les chaife &
éloigne de maniere à l'empêcher d'être
aucunement incommode , comme l'affûrent
encore beaucoup de perfonnes qui en
ont fait l'expérience. Il y a lieu d'efpérer
l'Auteur de ce reméde ne négligera
rien pour perfectionner de plus en plus
une découverte fi utile au Public. Il eft
extrêmement probable que la connoiſſance
de quelques antipathies qu'il y a dans la
nature , ou des impreffions fingulieres que
font certaines chofes fur d'autres animaux,
pourra enfin conduire par des expériences
analogiques , à la découverte du vrai ſpéci
fique contre une vermine fi incommode,
Un heureux hazard nous découvre même
fouvent des chofes d'une utilité infinie.
à
On affûre qu'on a trouvé depuis peu
Edimbourg , que de certaines odeurs ou
exhalaifons chaffent les rats . Dans un magafin
de marchandiſe de toutes efpeces , il
fe trouva une grande quantité de ces animaux
; après y avoir mis plufieurs cailles
B vi
36 MERCURE DE FRANCE.
1
nouvelles , on fut fort furpris de trouver
que les rats avoient entierement difparu
& on eut la curiofité d'en rechercher la
caufe ; on remua & l'on ôta de ce magafin
plufieurs drogues & marchandifes , &
l'on trouva enfin que cet effet étoit dû à
une caiffe de Sel de Succin , laquelle étant
ôtée , les rats reprirent leur ancienne demeure
, & difparurent encore lorfqu'on
eut remis la même caiffe de Sel , dont les
exhalaifons apparemment font infupportables
à ces animaux .
Dans l'Amérique Septentrionale les habitans
,, pour fe garantir du Serpent à fonnettes,
qui eft fort venimeux & dangereux,
portent attaché au bout d'un bâton un petit
morceau d'une racine de Virginie ,
qu'on appelle Viperina Radix. Quand ils
entendent par le bruit des fonnettes que le
Serpent approche , ils lui font fentir cette
racine , qui par fon odeur le met hors d'état
d'avancer.
On a obfervé que partout où croît le
Pouliot fanvage ou Dictame de Virginie ,
on ne voit point de Serpens à fonnettes .
Extrait du journal d'Angleterre , Journal
des Sçavans , Mars 1666 .
Quoiqu'il y ait des perfonnes qui croyent
que les Infectes ne connoiffent prefque
les objets que par la vûe & le fens du touJUILLET.
1749. 37
*
›
cher qu'ils ont excellent , il eft néanmoins
plus que probable que les Infectes ont
l'organe de l'odorat ; il y a même lieu
d'attribuer particulierement aux Punaifes
une extrême délicateffe ou fineffe
d'odorat , & par - là on explique pourquoi
de deux perfonnes couchées dans
un même lit qui fourmille de Punaifes
, l'une fe trouve mordue & Pautre
point : c'eft , fans doute , à cauſe
de leur odorat extrêmement fin ce qui
fait qu'elles font differemment affectées
par les corpufcules differens qui tranfpirent
des deux corps humains , &
qu'elles s'attachent à l'un , & paffent
l'autre fans y toucher , felon que le fang
de ces differens corps peur leur fournir
une bonne ou mauvaile nourriture , ou
qu'il peut favorifer la confervation ou déranger
l'oeconomie de ces petits animaux.
Quoiqu'il en foit,il n'eft pas facile d'expliquer
autrement ce fait , ni comment certai
nes drogues odorantes , telles que l'Amulette
de la Chine , éloignent les Punaiſes ,
à moins qu'on ne dife que cela s'opére par
quelque antipathie particuliere , ou par
quelque autre vertu cachée dont on ne peut
découvrir la raifon , d'autant plus que rou
tes chofes odoriferentes ne font pas le même
effet. Tout ce qu'on peut dire de plus
38 MERCURE DE FRANCE
la
probable pour expliquer la maniere dont
certaines drogues odorantes opérent fur
ces animaux , c'eft qu'il s'en exhale de
certaines particules extrêmement fines &
pénétrantes , lefquelles armées peut- être
de quelques fels particuliers, & venant à fe
répandre & à s'introduire par leurs pointes
dans le corps tendre & délicat des Punaifes
,, rompent ou menacent de rompre
liaifon de leurs parties , ce qui oblige ces
Infectes de s'éloigner , fans qu'on puiffe
leur refufer pour cela la faculté que la nature
a accordée à tous les animaux qu'elle
a formés , qui confifte à difcerner ce qui
convient à leur bien pour le fuivre , & au
contraire de diftinguer ce qui peut leur
être nuifible , pour le fuir , foit qu'on l'appelle
inftinct ou autrement .
Les Punaiſes nous fourniffent quantité
de faits & d'obſervations curieufes ; les
bornes que je me fais prefcrites ne me permettent
pas de décrire exactement la ftructure
de leurs petits organes , ou d'entrer
dans le détail de tout ce qui regarde la génération
, la multiplication , &c. de ces Infectes.
Il fera plus à propos de renvoyer
cela à une Differtation particuliere qu'on
médite à ce fujet. Je fuis , Monfieur , &c.
A Avignon , le 2 Avril 1749.
JUILLET. 1749. 39
EPITRE
A M ***
Dans un de ces bofquets où l'Art & la Nature
S'unirent pour répondre aux défirs d'un grand Roi,
Sous la voûte d'un If qui garde fa verdure ,
Quand l'Orme dépouillé cede aux rigueurs du
froid ,
Ami , j'invoquois Melpomene ,
Et lui difois , Mufe , ma Reine ,
"
Si vous vouliez m'admettre au rang de vos amis ,
On verroit fortir de ma veine
Un ouvrage nouveau qui plairoit fur la fcéne
Plus que Catilina , plus que Sémiramis.
J'unirois en moi feul la force de Corneille
Avec ce que Racine offre de fentimens ;
J'attacherois l'efprit , je charmerois l'oreille ,
Et les coeurs attendris par mes chants féduifans
Rendroient hommage à la merveille
Qui fçauroit réunir les cabales du tems.
La demande étoit téméraire ,
Et je ne fus point écouté .
Ami , je m'en étois douté.
Mais la Mufe , pour me diftraire
Du projet trop hardi , dont j'étois entêté
40 MERCURE DE FRANĈE.
Fit affeoir près de l'hermitage ,
Où j'avois droit de Citoyen ,
Deux perfonnes, dont l'entretien
Me parut fi touchant , fi fage ,
Que je me réfolus d'en faire un prompt ufage.
Il me plut ; fçais - tu bien pourquoi ?
C'eft que je vis deux cours s'exprimer fans partage
Sur ce qui charme dans le Roi .
Sans en être apperçû , je pouvois les entendre ;
Leurs difcours me firent comprendre
Qu'à titre different ils avoient de l'emploi ;
L'un étoit Commenfal , & l'autre Militaire ;
Leurs noms ne font rien à l'affaire ,
Tu t'en pafferas comme moi.
Je vais fimplement & fans gloſe ,
Te répeter en vers ce qu'ils dirent en profe.
L'Officier Commenfal .
La Paix te rend donc à mes voeux ,
Ami: tu viens fans doute à l'abri des allarmes
En goûter avec nous les charmes ,
Et t'affocier à nos jeux.
L'Officier Militaire.
Après avoir bravé les fureurs de la guerre
7
Sous le Héros vainqueur qui nous donne la loi ,
Je viens , cher ami ; comme toi ,
Admirer à mon tour avec toute la terre ,
Moins le Héros que le bon Roi.
2
JUILLET .
4*
1749.
Le Commenfal .
Si fes fiers ennemis l'ont trouvé redoutable ;
Quand la foudre à la main il les a combattus ;
Que pour eux il feroit aimable ,
S'ils étoient , comme nous, témoins de fes vertus
Dans ce Palais charmant où fon peuple fans ceffe
Se raffemble de toutes parts ,
De Courtifans zelés une foûle s'empreffe
A fixer un de ſes regards.
Le Soleil , en fortant de l'onde ,
Réveille & réjouit le monde ;
Ses rayons annoncent le jour.
Louis paroît : une allégreffe ,
Dont notre ame n'eſt pas maîtreffe ;
Précede & prouve notre amour.
Le Militaire.
C'eft ainfi qu'au milieu des feux que l'airain lance ,
Dans les coeurs des guerriers fon augufte préfence,
En répandant la joye , animoit la valeur .
Sous les yeux le François contre la réſiſtance
Arma toujours un bras vainqueur.
Eh ! de quoi n'eft- il pas capable ,
Quand guidé par un Roi brave , intrépide, aimable,
Il ne confulte que fon coeur ?
Le Commenfal.
Le voir eft un bonheur pour un fujet fidelle ,
L'approcher , le fervir , eft le comble des voeux ;
42. MERCURE DE FRANCE.
D'un regard il fait un heureux ;
Dans fa Royale bouche un mot eft l'étincelle
Qui porte dans un coeur le feu pris par les yeux.
Le Militaire.
Mais de l'éclat qui l'environne
L'efprit & les yeux éblouis
Donnent peut-être à la Couronne
Ce qui n'appartient qu'à Louis ?
Le Commenfal.
Non ; ce n'eft point en lui l'éclat du Diadême?
Qui le rend cher à fes Sujets ;
Le refpect fuit le rang fuprême ,
L'amour veut de plus doux objets.
Dans Louis fçais-tu ce qu'on aime ?
Ce n'eft pas fon rang , c'eſt lui- même :
C'eft ce front plein de Majefté
Où ſe peint la férénité
Qui regne roujours dans fon ame
Ce coeur qu'anime la bonté ,
Qu'envain perfonne ne réclame ,
S'il n'a contre foi l'équité .
Le Militaire.
Je l'ai vu dans ces champs où l'affreufe Bellonne
Répandoir le trouble & l'effioi¹ ;
J'ai vu la mort voler autour de fa perfonne ,
Quand il vainquit à Fontenoy.
Tranquille & l'oeil ferein dans ce péril extrême
JUILLET. 1749. 43
Où tout annonçoit le trépas ,
Il ne craignoit rien pour lui- même
Et craignoit tout pour fes foldats.
Quelles précautions ne l'a t'on pas va prendre
Pour mettre leurs jours à couvert !
Sa tendreffe pour eux lui fait tout entreprendre ;
Contre tous les dangers il cherche à les défendre ;
Le chagrin dans fes yeux fe peint quand il les perd.
Le Commenfal.
Ce n'eft- là , cher ami , qu'ébaucher ſa tendreſſe.
Jufques dans ces horribles lieux ,
Dont les objets bleffent les yeux ,
Et que fuit la délicateffe ,
Combien de fois moi-même ai- je fuivi fes pas
Pour ces victimes de la gloire ,
Dont le fang lui donnoit une pleine victoire ,
A quels foins paternels ne fe livroit-il pas è
Dans ces braves j'ai vû la vie ,
Qui leur alloit être ravie ,
Se ranimer entre les bras.
Ils ne craignoient plus le trépas ";
Eprouvant dans l'azile ouvert à la mifere ,
Les largeffes d'un Prince , & les bontés d'un pere;
Le Militaire.
J'en fus témoin , j'en fus charmé.
Le Commenfal.
Ab ! fice Prince eft grand , ami , qu'il eſt aimable,
44 MERCURE DE FRANCE .
Et qu'il mérite d'être aimé !
Oui , c'eft pour des Sujets un bien ineftimable ,
Qu'un Roi que les vertus pour le Trône ont formé.
Le Militaire..
L'Anglois , ce rival de la France ,
Défait , bleffé , captif, eut part à fes bienfaits.
Louis ne mit alors aucune difference
Entre fes ennemis , & fes braves Sujets ,
Et comme eux de fes foins ils furent les objets,
Le Commenfal.
Ses ennemis l'ont fait connoître ,
1ls ont développé les Royales vertus ;
Son coeur les renfermoit ; on les a vû paroître
? Au moment qu'il les a vaincus ;
Ils ne croyoient pas redoutable
Un Prince qu'ils fçavoient humain.
Lorfqu'Ypres , Furnes & Menin
Subirent à leurs yeux un joug inévitable ,
Alors pour eux , alors , il devint formidable .
Eh ! pouvoient- ils penfer que du fein de la paix ,
Des plaifirs qu'elle donne abandonnant les charmes
,
Louis uniquement connu par des bienfaits ,
Iroit fuivi de Mars tenter le fort des armes ?
Le Militaire.
Ignoroient- ils que les Bourbons
Sont vaillans autant qu'ils font bons ?
JUILLET . 1749. 45
Ils devoient preffentir l'orage.
Pourquoi de ce lion réveiller le courage ,
Et troubler par leurs cris fon paiſible ſommeil
Ah ! que de fang , que de carnage
Le vangerent de ce réveil !
Vingt Villes fous le joug , trois batailles rangées ;
Où toujours la victoire a fuivi nos Drapeaux ,
Tant de Provinces ravagées ,
Dans le Prince paifible ont montré le Hérog
Le Commenfal.
De ces rivaux de notre gloire
Les projets font évanouis ..
Ils fe promettoient la victoire.
Malgré leurs efforts réunis ,
Il trouvent leur bonheur , en cédant à Louis.
Le Militaire.
Enfin ils ont pû fe convaincre
Que d'injuftes foupçons les ont long-tems deçûs ¿
Ils ne paroiffoient pas laffés d'être vaincus ,
Et Louis l'étoit de les vaincre.
Il a fallu que ce Héros
Les forçât de goûter les douceurs du repos .
Il a parlé , bientôt on les a vûs fe rendre.
L'équité dans fa bouche aux coeurs s'est fait ens
tendre.
Ses armes les avoient défaits ;
Des traits de fa bonté pouvoient-ils fe défendre?
Nos plus fiers ennemis lui demandent la paix.
46 MERCURE DEFRANCE.
Le Commenfal.
Quelle gloire pour lui , pour nous quel avantage !
Dans les faftes des tems nous voyons
queurs
des vain
Semer de toutes parts la guerre & ſes horreurs ,
Porter en tous lieux le ravage ,
Réduire tout à l'eſclavage :
Louis , plus grand , fçait vaincre , & foumettre les
coeurs.
Le Militaire.
Eh ! qui n'aimeroit pas un Prince pacifique ,
Qui préfere l'olive à l'éclat du laurier !
Un Prince brave , né guerrier ,
Qui , malgré les fuccès , n'a d'autre politique
Que la félicité publique !
A fa voix , la tranquillité
Succéde dans les coeurs à l'amour de la
guerre ;
Tous veulent à l'envi la bannir de la terre ;
La paix devient l'objet de leur félicité .
Le Commenfal.
Un changement fi prompt avoit droit de furprendre
;
Cher ami , pouvoit- on s'attendre
A cet admirable concours ?
La paix va donc enfin defcendre ,
Et nous affûrer d'heureux jours.
Que j'aimerois d'entendre aux fons de la mufette ,
JUILLET.
47
1749.
La Nymphe que tu vois verſer ici ſes eaux ,
Chanter la paix , & le Héros
Qui fait taire aujourd'hui la guerriere trompette ;
Et fe fait un bonheur de la fin de nos maux !
Il n'avoit pas fini ces mots ,
Que les tendres accords d'une douce harmonie
Dans le même boſquet vinrent frapper mes fens :
Aux charmes de la ſymphonie
Se joignirent les plus beaux chants ;
De ces fons enchanteurs je ne puis rien te rendre;
Voici du moins les voeux qu'ils nous firent entendre.
Fille du Ciel , charmante Paix ,
Qui faites le bonheur de la troupe immortelle ;
Aimable objet de nos fouhaits ,
Deſcendez ; Louis vous appelle.
Envain Mars offre à ce Héros
Les lauriers que donne la gloire ;
Il préfere notre repos
A tout l'éclat de la victoire.
Ecoutez fes juftes defirs ;
Venez , rendez-vous à la terre ;
Faites fuccéder les plaifirs
Aux fureurs d'une longue guerre,
48 MERCURE DE FRANCE.
Sans vous les jeux n'ont point d'appas
Ils n'ofent paroître ;
Ce
Vous les faites naître ;
En eft- il où vous n'êtes pas ?
Venez tarir nos larmes ;
Defcendez , douce Paix ;
Oppofez vos bienfaits
Au bruit affreux des armes ;
Douce Paix ,
Ne nous quittez jamais.
Tu me demanderas peut- être
que font devenus mes interlocuteurs ?
Au premier coup d'archet je les vis difparoître.
Sans doute , ils vouloient reconnoître ,
Et voir de plus près les Acteurs
Qui formoient ce Concert champêtre.
Pour moi , charmé de leurs difcours ,
Marqués au coin du vrai , mais qui furent trop
courts 9
Je fentis en mon ame un nouveau feu renaître ,
Et vis avec plaifir & leurs coeurs & leurs voix
S'accorder en fecret pour faire de leur Maître ,
Le Héros le plus grand , & le meilleur des Rois.
Par un Officier de la Chambre du Roi.
PROPOSITION
JUILLET.
49
1749.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗淡淡淡說洗洗
PROPOSITION
En faveur du Commerce Maritime,
Mémoire fait pendant la guerre , & depuis
adapté aux circonftances de la Paix.
'Intérêt que j'ai dans la Compagnie
L'des Indes , & l'ufage où l'onellà pré
fent de confulter les Actionnaires,& de vifer
en tout à l'utilité commune , m'ont fait
penfer aux moyens d'établir de plus en
plus le crédit & le commerce de cette
Compagnie. J'en ai imaginé un des plus
efficaces , & que je crois praticable. Ce
feroit de ménager la liberté de la navigation
entre les Etats Belligerens , de façon
que les Commerçans pûffent naviger
parmi le trouble des armes , avec autant de
fecurité que dans les tems de paix.
Ce nouveau Concordat n'empêcheroit
point l'ufage des Flottes & des Efcadres
deftinées à des expéditions militaires , ni de
fermer , fi l'on veut , les Ports refpectifs
entre Nations ennemies , mais il empêcheroit
les particuliers de fe combattre , de fe
piller , de fe ruiner réciproquement , fous
prétexte que les Puiffances ont des démêlés
terminer par la guerre . Ces démêlés, après
C
so MERCURE DE FRANCE.
tout , n'ont prefque rien de commun avec
les affaires des Sujets , & les petites guerres
ufitées entre les Navigateurs ne fervent
qu'à l'affoibliffement des deux Parties , &
à l'interruption du Commerce , fans décider
la querelle des Potentats.
Il faut bien diftinguer la guerre qui fe
fait entre Nations , de celle qui fe fair fur
mer entre Particuliers. La premiere eft.
fouvent inévitable , l'autre eft proprement
d'inſtitution libre. Ainfi puifque malgré
la guerre entre les Princes , on facilite , au
moyen des paffeports , le Commerce & les
voyages de terre aux Sujets des Puiffances
ennemies ; qui empêche qu'on ne ménage
également une convention bien expreffe ,
pour leur affûter en tems de guerre la liberté
du Commerce maritime , telle qu'el
le eft à peu près dans les tems de paix ?
Chacun fent l'avantage immenfe qui en
réfulteroit pour les Peuples Belligerens ,
& l'on ne fçauroit oppofer qu'une malheureuſe
coûtume , qui ne s'accorde ni
avec la Religion , ni avec la politeffe de
nos moeurs. Rien en effet de plus contraire
au droit de gens , rien qui fente plus la
barbarie , que de voir de fimples Particuliers
infefter les mers par des pirateries
autorisées.
On fçait que fous Louis XIV . les FranJUILLET.
1749 .
SI
çois & les Hollandois , qui habitoient en
commun quelques- unes des Antilles , convinrent
de bonne foi d'une parfaite neutralité
, au fujet des guerres allumées pour
lors entre les deux Nations. Cet arrangement
fi fage fauva ces Colonies , fans nuire
aux affaires de l'Europe , & perfonne n'en
parut mécontent. On affûre qu'il s'eft fait
dans la derniere guerre , vers 1746 , une
convention de la même nature entre les
Efpagnols & les Anglois , fur quelque
branche de Commerce qui intéreffoit les
deux peuples . Voilà donc une partie de
ce que je propofe , déja réalifée par l'exécu
tion , & qui par conféquent ne doit plus
paroître chimérique.
Mais il y a quelque chofe de plus fort
dans le Traité de Commerce , publié dans
les Gazettes vers la mi-Janvier 1749 , &
conclu depuis peu entre le Roi de Dannemarck
& le Roi des Deux Siciles . Il
eft dit , entr'autres articles , qu'an cas de
guerre entre les Puiffances contractantes ,
Les Sujets auront deux ans pour arranger
leurs affaires , & retirer leurs effets de part
& d'autre , fans pouvoir être inquiétés ,
&c. Ce qui eft une convention inouie , &
'La Neutralité a été auſſi fidélement obſervée
dans la derniere guerre , entre le Pays de Luxem
bourg le Pays Meffin .
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
qui va bien au-delà de mes propofitions ,
puifque ces Princes , dans le cas d'une
guerre ouverte entr'eux , affûrent dès - lors
aux Négocians deux années ențieres d'une
correfpondance libre & facile dans leurs
Etats refpectifs , pour ménager les inté
rêts d'un Commerce réciproque entre
leurs Sujets , au lieu que je ne demande
ici que. de ne pas autorifer les particuliers
à faire les uns fur les autres le métier de
Corfaires. Ainfi plus nous avançons , plus
la raifon & l'humanité gagnent de terrein ,
& plus nous avons lieu d'efperer qu'un
jour le Commerce maritime ne fera plus interrompu
par la guerre. Je ne doute pas enfin
, que fi les deux Princes, qui ont fait un
Traité fi fage & fi favorable au Commerce,
avoient eu connoiffance de la propofition
énoncée dans ce Mémoire , ils ne l'euffent
admife en fon entier , & qu'ils n'en euffent
fait un des principaux articles de leur
Concordat.
Quoiqu'il en foit , ne vantons point ici
les grands fuccès de nos Armateurs ; ce
font tout au plus quelques fortunes particulieres
qui ne fçauroient compenfer la
perte & la défolation publique , & il n'eft
pas douteux que la navigation, rendue fûre
& facile, ne fût infiniment plus fructueule.
Le Commerce libre & pailible eft propre
JUILLET . 1749. 53
ment une pluie douce & continue qui
humecte , qui pénétre & qui fertilife les
terres ; au lieu que les pirateries & les
pillages de toute efpéce ne peuvent être
comparés qu'à des inondations ruineufes ,
qui loin d'améliorer un terroir , ne font le
plus fouvent que le dégraiffer & le ravager
; raifonnement dont les Etats Belligerens
doivent bien reconnoître aujourd'hui
la vérité . En effet , fi les Anglois nous ont
caufé du dommage fur mer , nous les avons
aufli défolés en cent occafions , & nous
avons fait fur eux une grande quantité de
prifes , de forte que ce qu'il y a de plus
exact & de plus vrai fur cela , c'eft qu'on
s'eft fait de part & d'autre beaucoup de mal
en pure perte.
Rien donc de plus utile aux Nations
commerçantes & à leurs Colonies , que de
procurer la fûreté des mers. Ce feroit-li
une convention de plus à joindre au dernier
Traité de Paix , & il me femble que
les Protecteurs de notre Commerce , &
les principaux Agens de notre Compagnie,
devroient s'employer de leur mieux pour
parvenir à ce grand but , & pour épargner
à la postérité les pertes inexprimables qui
s'enfuivent de tant de pirateries avouées
des Puiffances.
Au refte , c'eft dans un tems de calme ,
c iij
54 MERCURE DE FRANCE .
comme celui -ci , que l'on doit fonger å
de tels arrangemens , qui font d'ordinaire
impraticables dans le cas d'une guerre actuelle
ou prochaine . Les efprits , divifés
pour lors par de grands intérêts , ne fe
prêtent pas volontiers à la conciliation .
C'eft pourquoi il faut s'y prendre de bonne
heure , faifir habilement les conjonctures
les plus propres pour faire agréer de
telles propofitions , & pour cimenter d'avance
, autant qu'il eft poffible , un Concordat
fi favorable à tous les Etats commerçans
.
Au furplus , je ne cherche point ici l'avantage
d'une Nation feule , je parle comme
Citoyen de l'univers. Egalement François
, Efpagnol , Anglois ou Hollandois
tous les intérêts des hommes me font chers .
J'envifage le bien de tous les peuples , &
c'eft-là le vrai motif qui me détermine à
préfenter ce Mémoire , dans la pensée
qu'on n'y trouvera rien qui foir dangereux
ou chimérique.
Par M, Faiguet.
A Paris , le 12 Avril 1749.
JUILLET . 1749. 55
***
EPITRE
De M. Racine , fur l'abus que les Poëtes font
de la Poëfie , à M. de Valincourt , traduite
en Latin par M. Heerkens.
F Ruftrà me patrio vatem decorare co: hurno ,
Care VALINCERI , ſatagunt fine fine ſoda'es ;
Fruftrà hederas laurumque mihi gens improba
fpondet.
Te fequor , & vanis claudens monitoribus aurem ,
Corneliique parum rivalibus invida , vitat
Vanum Mufa decus , cujufque aliquando pigeret .
Nam pridem fcelere & quorumdan turpibus aufis
Infecta eft miferè cafta & generofa Poëfis ,
Ars ortu tam pura , Deûm quam laudibus olim
Addixti , pia Relligio , rebufque facratis .
Tu Dea , tu mater Phoebi , Phoebique fororum ,
Per te hominum mens acta , modos & carminis
artem
Plectrique & Cytharæ cognovit amabilis ufum.
Primùm Hebræus homo numeris includere vocem
Aufus erat , fuperifque fimul cantavit , & aris .
Duxerat Ifacides Ægypti immitibus arvis ,
Nube viris monftrante viam ; venientibus æquor
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Ceffit, & infanas fecludere debuit undas ,
Tranfitus ut populo felix fauftufque daretur .
At fluctu revocato iterum , res mira , fequentes
Merfit Niliacos , fævique Pharaonis agnien.
Dux profugum Moyfes facro tum percitus oestro
Incinuit , gratefque piâ Dîs egit avenâ ,
Scilicet id fcribens quod adhuc legit & colit orbis .
Omnibus in terris modus idem patribus , idem
Gentibus incultis ferè conftitit ; Ethnicus aris
Suppliciter pendebat Epos , odamque , vel hym
num ,
Dîs ubi pro quodam deberet munere grates.
Horreaque auricoma fi meffe replêrat arator ,
Farra dabat fuperis , numerifque agreftia certis
Verba canebat ovans , fudorum atque immemor
æftus.
Ufque adeo purâ facra ars ab origine venit !
Quis verò , quis ab innocui caftique parentis
Ore habituque queat fobolem dignofcere ? Quam
non
Ah ! quam non aliena illa eft oblitaque ftirpis !
Quippe procax vulgoque nimis ftudiofa placere
Illicitis vaga matre procul fe credidit ulnis.
Protinus & male fuada , probâque à virgine lena
Evafit , tenerofque aufa eft corrumpere mores.
Mæonides primùm , fingendi callidus , orbi
Dum fatagit fuperos , fuperumque oftendere
vitam
,
JUILLET. 57
.
1749.
Impofuit facili cupidis mortalibus arte.
Heu pictor quam falfus , ab ægro & mentis onufta
Terrigenâ menfus cæleftes ! Mæchus , iniquus ,
Perfidus eft illi , cerebrofus & æger olympo
Jupiter omnipotens , metuendique arbiter ignis.
Ille etiam inceftus , Paphiæque libidinis artes
Arcanas cecinit , lenamque à numine fecit.
Denique fpirabat quos improba Lefbis amores
Illius ex fcriptis duxiffe videtur ,ut inde
Et laudes vini vinoſus Anacreon haufit .
Palladiæ nunquam , licet urbs popularis , Athenæ
Infringi videre fuis , carpive Theatris
Jura verecundi majeftatemque cothurni.
Duriciem propter dominarum atque afpera verba
Quis gemere heroes ibi vidit fyrmate longo ?
Quis ? Quis Melpomenem male frivola dicere
fecit ,
Languidulamque illic , & plenam oftendit amore?
Affectus , fævofque humani pectoris æftus
Infauftos Sophocles exponit , ut inde doceret.
Edipus , invitò fceleratus , criminis offert
Horrorem , lachrymafque ciet fpectantibus unà.
Oppreffofque chorus dum confolatur & offert ,
Juftus ovat , trepidantque rei , virtufque lucratur.
Ufa minus rectè locco fuit Attica , falfum
Juvit Ariftophanem ringente forore Thalia :
Ut labuit , quemcunque maligno ludere verfu
Suetus erat ; Socrateſque acris fiftidia mufæ
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Sæpe tulit ; quin nulla Deos fatis ara tegebat
Illius à fannis ; ridebat & ufque theatro
Plebs populufque Jovem , cui publica templa
ftruebant .
Roma fuperba leves Græcorum difcere mores ,
Et victæ quafi jura fequi , præceptaque gentis
Non dubitavit ; iners & inermis ferva ferocem
Illecebris dominam , mufarumque arte revinxit.
Sic didicit molles tener ille Tibullus amores ,
Deliciafque fuas noctefque referre Catullus .
Sic Nafo fua furta , atque artem fcripfit amandi ,
Artem , jam nimis ; ah ! facilem difcentibus ante.
Quid Flaccus ? male qui mifcendo facra profanis
Præcipit & corrumpit , honeftus & improbus idem.
Nec melior Juvenalis , atro qui percitus cftro
Et nimius plerumque , nefanda procaciter edit.
Pejus & hoc multò refonabat Bilbilis illic
Extundat Veneri Petroni mufa pudorem ,
Denique lauricomis referebat Roma Poëtis ,
Cæfareis quidquid peccatum viderat aulis .
At Venus & Veneris tunc templa merebat
adulter ;
Mortales fcelus hoc divorum exempla docebant.
Excufanda ferè tunc vatum infania , crimen
Non magè crimen erat , cum defiit effe videri.
Nos verò docti meliora , quid obfecro larvæ
* Martialis
JUILLET
.
59
F749.
Stultitiæ fimili prætendimus ? Ufque patramus
Romuleis pejora , malis pejora Pelafgis.
Cur non egregium vates genus ardua famæ
Tradimus , aut vulgo prodeffe decenter amamus ?
Ah ! meritò res flenda ! probrum ! queis finxerat
æther
Corda luto meliore , placet turpiffimus error !
Noftra quidem infecit nondum hactenus ora
cothurnus
Turpibus exemplis , fed inerti invitus amori
Jam didicit fervire ; indutaque fyrmate longo
Gallica Melpomene , gemitus & amantia verba
Molliter & teneras vifa effutire querelas .
Fertur ad hæc fpectator , hiat , totoque movetur
Pectore , peftiferumque imis bibit offibus ignem
Infelix : tantum nugæ & vox mellea pollent !
Immunes animos fervemus , libera quovis
Colla jugo , culpâque alios oneraffe putemus ;
Aut pereant potius lyra , carmen , & omnia Phoebi.
Majeſtas , ſocii , majeſtas debita mufis
Reddatur ; Superis & Relligionis honori
Cantemus , plenâque Deo libemus acerrâ.
Rari equidem tali auſpicio placuêre poëtæ ,
Chrifticolæque movent faftidia fæpè Camoenæ,
At non materiæ vitium hoc : præfertilis illa :
Culpa eft fcriptorum non æqua fubinde canentum
Sunt qui ætate graves , & onufti tempora
canis
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Incipiunt primùm fua plectra impendere Divis ,
Cum foedè , donec viridis permiferat ætas ,
Per fordes coenumque volutavêre Camoenam .
Qui Phædram exponens furiofam in fyrmate
fletam ,
Elicuit patrio , poft ſcenâ ſanctiùs ufus
Pifulis ac infantis ope admirabilis aulæ
Extitit , & gravidus lauris fic defit , ante
Quam vires fenium quoque fregerat , atraque
mortis
Proximitas aviis impleflet corda Poëtæ.
Scilicet interdum tumuli vicinia pravi
Corrigit ingenium , lachefique propinqua fenectus
Flectat Aretinum . Luduntur imagine falsâ
Corda humana diu , fed fato inftante rece·lunt
Mendaces tenebræ , verumque falubre refulget.
Tum piget, & cytharam nollent tetigiffe ,lyramque,
Quodque ævi fupereft , fatagunt impendere coelo ,
Sifuperos placare queant , & vindicis orci
Effugerent tormenta , & feri hi fæpe dolores ,
Seri ! nec veniæ locus infelicibus : eheu !
Profpiciat fibi quifque , Beatus ! qui mala tanta
Prævenit , & feri faftidia prævidet ævi ,
Vitamque incipiat , velit ut fapientior actam.
Grata igitur mihi fcena licet , placeatque theatri
Sæpè fuperbus honor ; metuendum , ne levis olim
JUILLET. 61 1749.
Pæniteat coepti : damnaffe , quod ordiar , odi ,
Nec laurum aut hederas lachrymis aliquando
piandas
Ambitiofus emo ; facris mea dedico , facris ,
Nomaque carus erit nato pater : ô ubi dignè
Illius exemplis infiftere , feflus & ævo
Foffem aris mea plectra , tholoque affigere
Divům !
洗洗洗洗洗淡淡洗洗洗洗洗洗:洗浴
LET TRE
De M. l'Abbé Pican! t de la Rimbertiere ,
à M. de *** , fur la pétrification des coquillages
appellés la Telline ou le Flion ,
& de ceux àpeu près de la même efpéce.
A nature , Monfieur , eft un tableau
ment jetter les yeux : tout y eft grand &
admirable. Les chofes mêmes qui nous -
paroiffent les plus fimples en apparence ,
réfléchies & méditées avec une férieufe
attention , ſouvent donnent à l'efprit une
connoiffance plus parfaite & plus diftincte
, que ne produiroit peut-être la lecture
d'un grand nombre de Philofophes . C'eſt
l'obfervation particuliere que je fis , Monfieur
, il y a quelques jours , à l'occafion
62 MERCURE DE FRANCE .
d'un coquillage que le hazard me procura.
D'abord, il n'y avoit rien à l'extérieur, qui
femblât mériter l'occupation d'un curieux.
On n'y voyoit fimplement qu'une pierre
en forme de caillou , de huit à neuf lignes
d'épaiffeur , fur environ un pouce & demi
de largeur , & autant de longueur . Mais
lorfque par un coup violent on eut féparé
cette pierre par moitié , ce fut en
ce moment , qu'on apperçut ce coquillage
reffemblant affez à ceux qu'on nomme
communément la telline ou le fion. Il fe
trouvoit maftiqué d'un côté dans la pierre,
& dans l'autre partie on y découvroit
très diftinctement fon empreinte. Quoique
dans un terrein fort élevé & à plus
de cent lieues de la mer , je ne fus point
furpris de l'y trouver . Je fçais , avec le plus
grand nombre de ceux qui ont traité ces
matieres , & furtout avec le célébre Auteur
du Spectacle de la Nature , qu'on en
trouve abondamment de tous côtés jufques
fur le fommet des plus hautes montagnes
, & fouvent des poiffons entierement
pétrifiés ; le déluge univerfel , comme
nous n'en pouvons douter , en eft la
véritable caufe : Opertique funt , dit l'Ecriture
, omnes montes excelfi fub univerfo coelo.
Quindecim cubitis altior fuit aqua fuper montes
quos operuerat. Genef. 7. v. 19. & 20,
1
JUILLET . 1749. 64
Point de texte qui en démontre mieux la
vérité. Car , de bonne foi , ne feroit - ce
pas donner dans l'abfurdité la plus affreufe
, que de penfer avec un Auteur * , qui
tout nouvellement vient de paroître fur
la fcéne , que l'effet de cette merveille
provient de ce que tous les terreins dont
notre Globe eft compofé , & même les plus
hautes montagnes , ont été formés & pétris
dans le fein de la mer & que fes
eaux diminuant , comme elles diminuent
tous les jours , laiffent après elles ces veftiges
? J'aurois prefque autant aimé , pour
rendre raifon de ces efpéces de pétrifications
, admettre le déluge , dont Ovide fait
fi ingénieufement la defcription : j'y trouverois
quelque chofe de moins ridicule.
Jamque mare & tellus nullum difcrimen habebant,
Omnia pontus erant , deerant quoque littora ponte.
Lib. 1. Metam . c. 10 .
Mais pour revenir à ce dont il s'agit , &
furtout pour répondre à la queftion que
vous me fîtes , pourquoi l'on trouvoit
tant de pierres ou cailloux , fur lesquels.
on remarquoit une ou plufieurs empreintes
de coquillage , je vous dirai tout na>
turellement que je penfe que cela vient
* Talliamed.
64 MERCURE DE FRANCE.
de ce que les fucs lapidifiques pénétrent
plus difficilement le deffus que l'intérieur
des coquillages en général , & je trouve
deux raifons qui paroiffent appuyer mon
fentiment La premiere eft leur conca- ,
vité , qui formant par elle-même comme
un réfervoir , donne aux fucs lapidifiques
un moyen de s'y attacher plus aifément :
la feconde eft , que dans l'intérieur des
coquillages , il peut fe trouver de certaines
matieres glaireufes, qui jointes aux premieres
, fervent à leur donner cette apparence
de pétrification que j'ai remarquée
en plufieurs , & en celui dont il eft queftion
. Il n'en eft pas ainfi de ces fucs qui
couvrent le deffus . Ne trouvant pas un
femblable avantage , ils ne fe lient à cux
que foiblement , & ils s'en détachent peu à
peu ou tout à coup , foit par quelques rudes
froiffemens , foit même , ce qui eft le plus
ordinaire
, par la trop grande rigueur d'un
hyver. Vous ne devez donc pas être furpris
, Monfieur , d'en trouver fi fréquemment.
Il eft bon auffi que vous remarquicz
qu'il arrive quelquefois qu'il ne s'en détache
que quelque partie , ce qui fait
qu'on voit quantité de ces cailloux repréfentans
des empreintes imparfaites. Je ne
fçais trop fi vous ferez fatisfait de cette folution
; au moins , puis-je me flatter , que
JUILLET. 1749. 65
vous le ferez de mon zéle à vous faire
connoître combien je fuis , &c,
A Orleans , ce 28 Mai 1749.
CICICICI CAND OFCDCECENTRA
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR
ET DE LA BEAUTE'.
CANTATE.
ALeandre &Palemon, bergers du même lieu ,
Se difoient tour à tour dans un doux tête à tête ,
Leurs penfers differens fur le compte du Dieu
Par qui l'on voit unir le Sceptre & la houlette .
L'Amour eft , felon l'un des deux ,
Maître abfolu de la victoire ;
Rien ne peut arrêter ſa gloire ;
Tout cede à l'ardeur de fes feux.
fierté ,
Raifon , devoir , & vous ,
Que vous avez de foibles armes
Pour nous garantir de ſes charmes ,
Et fauver notre liberté !
L'Amour eft , felon l'un des deux ,
Maître abfolu de la victoire ;
Rien ne peut arrêter la gloire ;
66 MERCURE DEFRANCE.
Tout céde à l'ardeur de fes feux.
C'étoit le fentiment d'Alcandre
Qui de Philis adoroit les appas ;
Palémon , encore peu tendre ,
Dédaignoit un vainqueur qu'il ne connoiffoit pas.
On ne peut dans l'indifference
Juger du pouvoir de l'Amour ,
Mais il eſt à craindre qu'un jour
On n'en faffe l'expérience.
'Amphitrite brûle dans l'onde ,
Pluton dans le fond des Enfers.
On ne doit point braver les fers
De qui fubjugue tout le monde.
On ne peut dans l'indifference
Juger du pouvoir de l'Amour ,
Mais il eft à craindre qu'un jour
On n'en faffe l'expérience.
L'indifcret Palemon du plus puiffant des Dieux
S'obftinoit à parler en jeune audacieux ,
Quand , d'un autre hameau , la plus grande merveille
,
Life , cette beauté qui n'a point de pareille ,
Pour la premiere fois fe préſente à les yeux.
JUILLE T. 1749. 67
Que devient le berger Il s'étonne , il admire,;
Interdit , confus , il foupire ;
Son coeur veut réſiſter , vain projet ! vains efforts !
Ce qu'il voit cauſe fa défaite ,
Et d'une paffion parfaite
Il fent au même inftant les plus ardens tranſports.
Triomphez , bergeres aimables ;
Brillez , regnez toujours fur nous ;
´En vain veut-on parer vos coups ,
Vous en portez d'inévitables.
Il n'eft point de coeur infenfible ,
Le plus froid peut être enflammé.
Diane & Bachus ont aimé ,
La beauté trouve tout poffible.
Triomphez , bergeres aimables ;
Brillez , regnez toujours fur nous
En vain veut - on parer vos coups ;
Vous en portez d'inévitables .
Par M. L... B ... C ... de Montpellier.
AIR.
E Pris d'une flame fincére ,
Je fens que des plaifirs l'amour eft le plus douz
68 MERCURE DE FRANCE .
Mais fi j'en fuis fi fort jaloux ,
Qu'à tout autre je le préfere ;
Belle Liris , c'eft que j'efpere ,
De le partager avec vous.
Par le même.
LETTRE
A M. Remond de Sainte Albine,
M
Onfieur , vous engagez par vos exhortations
les amateurs de la Littérature
à vous communiquer les piéces fugitives
dignes d'être confervées , j'efpere
que vous ne défaprouverez pas la liberté
que je prens de vous prier d'inférer dans
le Mercure la Lettre ci-jointe . Elle renferme
une Anecdote qui intéreſſe l'hiſtoire
Littéraire , & dont on n'a pas connoiffance
; elle mérite , je crois , d'ètre
publiée. Cette Lettre eft écrite par un
Sçavant de cette Province , très verfé dans
l'érudition ancienne & moderne , à un
de fes amis , qui étoit alors à Straſbourg,&
qui eft mort depuis un an ; je vous envoye
la Lettre en original , telle que je l'ai
trouvée avec plufieurs autres dans le porJUILLET.
1749. 69
te-feuille du défunt . J'ai l'honneur d'ê
fre , & c,
De S .... Docteur en Droit , & c
De Nancy , le 13 Mai 1749 .
E fuis très -Alatté , Monfieur , des marques
d'eftime & d'affection que vous
me renouvellez dans les circonftances où je
me trouve. Pouvois je être plus agréablement
furpris que de trouver à mon retour
de Paris une lettre de votre part ? Quelle
douce confolation pour moi d'être affûré
que je n'ai pas perdu un ami fi digne de
mon attachement !
Je voudrois pouvoir vous fatisfaire
préfent fur les differentes queftions que
vous me faites, mais comptez que je ne négligerai
rien pour vous donner les éclairciffemens
que vous fouhaitez .
Je fuis charmé que vous goûtiez mon
travail fur les Ecrivains Lorrains . Le titre
de Bibliothéque Lorraine me paroît lui convenir
le mieux . Les matériaux que j'ai déja
aflemblés , pourroient faire trois volumes
in-12 ; mon intention n'eft pas cependant
d'en rien publier fitôt . Verum atque de
cens curo & rogo , & omnis in hocfum.
L'ouvrage de François de Rafieres , fug
70
MERCURE DE FRANCE
lequel vous êtes fi curieux de fçavoir mon
fentiment , eft aujourd'hui fort rare. Il eſt
intitulé , STEMMATUM LOTHARINGIE
AC BARRI DUCUM TOMI
SEPTEM. Ab Antenore , Trojanarum reliquiarum
ad paludes moeotidas Rege , ad bec
ufque Illuftriffimi & Sereniffimi Caroli 111.
Ducis Lotharingia tempora. In quibus præterea
habes totius orbis nobiliorum familiarum ,
ac rerum ubique gentium præclarè geftarum à
fupremis Pontificibus , Imperatoribus Orientis
& Occidentis , Regibus , Ducibus , Comitibus
, etiam Turcis & Barbaris , perutile
compendium , mirabile Theatrum , & ad vivum
ex felectiffimis & graviſſimis quibufque
Chronographis hiftoriarum effe poffit . Autore
Francifco DE ROSIERES , Nobili & P.1-
tricio Barroducao , Archidiacono Tullenfi.
Parifiis , apud Guillelmum Chaudiere , viâ
Jacobea , fub figno temporis & hominis filveftris
, 1580 , cum Privilegio Regie Majef
tatis.
Ce titre n'eft-il pas une analyſe ?
L'anecdote que je vais vous communiquer
me difpenfera de vous en faire une
plus étendue. La voici telle que je l'ai copiée
fur l'exemplaire de M. Bayon , homme
de mérite , Avocat à la Cour Souveraine
de Lorraine. Elle eft écrite de la main
de Jerome Luillier , Maître des RéquêJUILLET.
1749 71
tes & Procureur Général à la Chambre des
Comptes de Paris , à qui cet exemplaire
appartenoit en 1606.
» Pour ce que cette Hiftoire ( dit ce Pro-
» cureur Général ) n'eft pas écrite au vrai
» & fans pailion , & qu'il y a beaucoup de
» chofes fauffes & au deshonneur & defa-
» vantage du Roi Henri III . & de la
» France , j'ai voulu en avertir le Lecteur ,
» enſemble de la confeffion & reconnoif-
» fance qu'en fit l'Auteur au Confeil du
n Roi en l'an 1583 , le xxvi Avril , dont
» a été dreffé Procès verbal par le fieur
» Brulart , lors Secretaire d'Etat de Sa Majeſté
, qui eft au Greffe du Parlement .
» Voici les paroles que l'Auteur dit au
» Confeil , en préfence du Roi , de la Rei
» ne, fa mere , & plufieurs Princes du Sang
» & autres , Cardinaux & Seigneurs dudit
» Confeil y dénommés .
SIRE , je fupplie très- humblement V o-
TRE MAJEST E' de me pardonner la faute
& offenfe que je reconnois avoir faite , qui
eft telle que fans votre bonté & clemence , je
ferois digne de grande punition pour avoir mal
calomnieufement écrit plufieurs chofes dans
Hiftoire qui a été par moi compofee & publiée
fous mon nom contre l'honneur & gran .
deur de VOTRE MAJESTE' & des Rois
vos prédéceffeurs, & de ce Royaume, & contre
72 MERCURE DE FRANCE.
la vérité de l'Hiftoire . Fen fuis très- marri &
très -déplaifant , & m'en repens , & fuis prêtd'en
recevoir telle condamnation qu'il plaira à
VOTRE MAJESTE' ordonner , & vous fupplie
très-humblement , en l'honneur de Dieu ,
ufer de votre bonté accoûtumée & mifericorde
envers moi,
Signé , DE ROSIERES.
Extrait des originaux,
» Etant de la qualité que je fuis , j'ai dû
» mettre au commencement de cette Hiftoire
cette confeffion & efpece d'amen-
>> de honorable & qui devroit être partout,
» & fans ce devroient être deffendus tels
>> Livres & Hiftoires.
Sed quotus quifque qui decus publicum
curet.
» Hierême Luillier , Confeiller du Roi ,
» Maître des Requêtes ordinaire de l'Hô-
» tel de Sa Majefté , & fon Procureur Général
à Chambre des Comptes 1606 .
Vous recevrez , le premier Ordinaire
un abregé historique de la vie de ce François
de Rofieres , avec la critique que j'ai
faite de fon ouvrage.
Je m'eftimerois heureux de pouvoir
vous témoigner la reconnoiffance , l'attachement
JUILLET. 737 1749.
chement & la confidération avec lesquels
vie. Votre , & c.
je ferai toute ma
L. G. D. E. T. C. C. D. C.
A Nancy , le 30 Août 1747 .
ODE SUR LA PAIX .
T
" >
Par M. Vaniere , neveu dufeu Pere Vaniere,
Féfuite , fi célebre dans la République des
Lettres parfor Poëme du Prædium Rufticum
, des travaux des amuſemens & des
plaifirs de la campagne , diviſé en xxvi
Livres , qui contiennent environ quinze
mille vers Latins , dignes du fiécle d' Augufte.
1749.
Cleux ouvrez - vous : les Dieux propices
Ont replongé dans les Enfers
La Difcorde avec tous les vices
Dont elle fouilloit l'Univers .
O Paix fi long tems defirée !
>
Enfin de la voûte azuiée ...
Mais , pourquoi ces noirs étendards a
Quoi ! la Déeffe de la guerre ,
Ole encore effrayer la terre
Du feu cruel de ſes regards !
2°
D
4
74 . MERCURE DE FRANCE.
Ne redoutons plus ſon empire ;
Tout fon éclat eft éclipfé.
Elle gémit , elle foupire
Loin de fon Trône renversé,
De ce long & cruel orage ,
Qu'a partout fait tonner fa rage ,
Tous les feux font évanouis .
Aux accens de fa voix plaintive 募
Prêtons une oreille attentive :
Elle les adreffe à Louis.
+34
C'eft donc en vain que de mon Trône , 7
Prince , je t'ai crû le foutien'!
Mais le triomphe de Bellone
N'étoit - il pas auffi le tien ?
Quoi ! tandis que nulle barriere
Dans la plus brillante carriere
N'arrête tes pas glorieux ,
Faut -il que d'injuftes limites
Par ta main même foient prefcrites
A des faits admirés des Dieux !
***
Lorſque le Giel vous donne au monde ,
Ce n'eft pas pour un calme vain
Héros fa fageffe profonde
N'éclate jamais fans deffein .
→
JUILLE T. 1749. 75
noms , que je ne puis redire ,
Sans retracer de mon Empire
Un trifte & cruel fouvenir !
Noms éternifés dans nos Temples ! ...
Quels faits encore & quels exemples
Alloient étonner l'avenir !
*3
Vois de ta valeur intrépide
Tes guerriers refpectant les droits ;
Souhaiter que ta foudre guide
Le cours de leurs nouveaux exploits .
Avec cet air & ce courage ,
Dont tu les vis braver l'orage
Que diffipa ton front ferein ,
Tu verras ces ames divines
Partout fur d'illuftres ruines
Montrer ton pouvoir fouverain ."
**
De cette triomphante élite ,
Qui veille au falut de fon Roi ,
Dans les coeurs que ta gloire irrite
Le feul afpect jette l'effroi .
Envain la jalouſe furie
D'une triple Paiflance unie
Ofe balancer tes deſtins ;
Ta troupe les rompt , les , difperfe ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Et bientôt avec eux renverſe
Leurs foudres dans leur fang éteints.
******
Tels que jadis ceux de Turenne ,
Sous leurs chefs tes vaillans foldats
Brûlent d'un feu qui les entraîne
Vers les affauts & les combats :
Tous les exploits leur font poffibles :
Les murs les plus inacceffibles
Sont pour eux de foibles remparts.
L'airain tonnant qui les menace ,
N'eft qu'un chemin à leur audace ,
Pour y porter tes étendards.
***
Quel fpectacle donnent au monde
Ces affaillans audacieux ,
Qui fi long- tems bravent dans l'onde.
Les foudres qui tonnent fur eux !
Pourvu que leur bras indomptable
D'un fer ou d'un plomb redoutable
Puiffe diriger les coups fûrs ,
Malgré fon orgueil indocile ,
Ils farceront bientôt l'azile
Du Germain tremblant fur fes murs,
+3x+
Crains - tu que l'horreur ou la haine ,
".
JUILLET.
177
1749.
Qui fuivent les pas des guerriers ,
Ne terniffent de leur haleine .
Le vif éclat de tes lauriers ?
A tous ceux qu'ont foumis tes armes
La victoire offre mille charmes
Dans ton coeur fur eux attendri .
Combats ; mille palmes font prêtes :.
Tu peux étendre tes conquêtes .
Toujours craint , encor plus chéri ,
Si raffafié de la gloire
Des triomphes & des combats ,
Ton coeur néglige la victoire ,
Laiffe ton fils entre fes bras.
Sous tes yeux , fon jeune
courage
A peine a fait l'apprentiſſage
Du noble métier des Héros :
Tout l'éclat , que de fon auror
Fontenoi furpris vit éclore ,"
Va s'éteindré dans le repos.
Je ne veux point rougir fes palmes
Du fang trop cher de tes fujets :
Ses jours triomphans feront calmes ,
Comme des plus beaux jours de paix .
Devant lui , devant tes armées ,
L
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
De ton feu , du en animées ,
Oui , la terreur triomphera :
Et ce qu'elle ne pourra faire
Contre une valeur téméraire ,
LOUIS , ton nom feul le fera.
Que vois- je ! quel bras invincible
Protege les jours des humains ?
Quoi ! Minerve , à leurs voeux fenfible ,
T'arrache la foudre des mains !
Ah ! fans doute cette immortelle
Veut former un parfait modelle
De fes pacifiques vertus ;
Mais fur les traces d'Alexandre ,
Sied -il aux Héros de prétendre
Aux foibles honneurs des Titus a
**
Peut-être en voyant ta fagefle
Triompher dans le coeur des Rois ,
Cette impérieufe Déeffe
Croit m'avoir foumife à fes loix ;
. Mais qu'elle fçache que Bellonne
De la Paix que fa main couronne
Peut renverser tous les Autels ,
Et qu'il me refte des reffources ,
Pour troubler , jufques dans fes fources ;
Lė repos de tous les mortels ,
JUILLET. 1749. 79
Toi , devant qui foible & tremblante
La Paix fuit loin de tous les coeurs ,
Viens de ta flâme dévorante ,
Chere Envie , aider mes fureurs .
Fais qu'une fuperbe rivale
Voye aux triomphes qu'elle étale ,
Succeder de triftes retours.
A tes yeux Bellonne outragée
Doit par toi feule être vengée ;
Ne differe pas tes fecours...
+ x+
Vole , de tous tes feux armée ,
Vers ces Princes trop fatisfaits ,
Dont l'ardeur , envain ranimée ,
S'endort dans les bras de la Paix.
Vas retracer dans leur mémoire
Toute la grandeur & la gloire
Dont brillent aujourd'hui les Lys :
Que leur coeur s'irrite & s'offenſe ,
En avouant la préférence
Que l'Univers donne à LOUIS.
i.
Que tous tes ferpens fur leurs têtes
Soufflent la fureur des combats :
Qu'ils excitent mille tempêtes
Dans les plus tranquilles Etats.
Changeons ces beaux jours pleins de charmes
Di
So MERCURE DE FRANCE.
En des jours d'horreur & d'alarmes :
Que la Paix tombe fous nos coups ,
Et qu'un déluge de victimes
Au fond des ténébreux abîmes
Aille éternifer mon courroux.
***
Aimable Paix , que fur la terre
Rappelle un Roi chéri des Cieux ,
De la Déeffe de la. guerre
Brave les cris féditieux .
Envain fa compagne éternelle ,
L'envie , encore plus cruelle ,
Ira frémir autour des Rois ;
Contre celui qui te protége ,
Que peut fa haine facrilege ?"
Que peut tout l'Enfer à la fois
"
Oui , fi fa gloire trop brillante .
Va des Rois irriter les coeurs
Sa bonté toujours bienfaifante
Y porte auffi fes traits vainqueurs.
Un Monarque , qui rend aimables
Les vertus les plus redoutables , 01 mont
Peut - il faire des ennemis.?
Heureux l'Univers qui l'admire ,
S'il jouiffoit fous fon empire
Des beaux jours qui nous font promis !
JUILLE T. 1749. SI
Mais je veux que l'envie enflamme
Le coeur des plus fiers Potentats ,
Iront -ils , LOUIS , dans ton ame
›
Rallamer la foif des combats ?
Non , non : fûrs du pouvoir fuprême
D'un Roi , qui maître de lui-même ,
Sçait triompher de fa valeur ,
Voudroient - ils éprouver encore
Ce que peut un Héros , qu'adore
Un peuple guerrier & vainqueur ?
炒肉
Eft -il d'affez illuftre titre
Qui puiffe , au gré de nos fouhaits ,
Te peindre , ô fouverain Arbitre
Et de la guerre & de la paix ?
A ta place quel autre Alcide
Eût fixé dans fon cours rapide
Un auffi glorieux deſtin ?
Et fous les plus heureux aufpices ,
Aimé mieux être les délices ,*:
Que la terreur du genre humain ?
Non , non : un choix fi magnanime
N'appartient qu'aux enfans des Dieux ,
Dont la gloire la plus füblime
Seule peut attirer les yeux.
Grand Roi , laiffe au Héros vulgaire ,
Du Dieu que la Thrace révére
D v
3282 MERCURE DE FRANCE
Encenfer les affreux Autels :
Sa fureur ne voit fur la terre
De lauriers , que ceux que la guerre
Arrofe du fang des mortels.
Mais , lorfqu'un noble facrifice
Des triomphes où tu volois ,
Te montre à nos yeux fi propice:
Aux voeux que t'adreffe la Paix.
Tu fçais combien cette victoire
T'éleve au - deffus de la gloire
Des Conquérans les plus fameux ,
Et que les plus brillantes marques:
De la grandeur des vrais Monarques
Sont des fujets toujours heureux.
*3 *+
O Mars loin tes préfens funeftes.
Paix , chere Paix , à pleines mains
Répans fur nous tes dons céleftes
Verfe -les fur tous les humains.
>+
Que des neuf Soeurs la voix s'empreffe ,..
Dans mille concerts d'allégreffe ,
De chanter tes divins attraits !
Quel Roi la trompette & la lyre:
Vont célébrer fous ton Empire !:
Qu'il vive autant que fes bienfaits!:
JUILLET. 1749. 83
ssssssssss 25252525252525
ASSEMBLE' E publique de l'Académiė
Royale des Belles Lettres de la Rochelle
du 23 Avril 1749.
E Pere Valois , Jefuite , Profeffeur
L'Hydrographie , en cette Ville , &
Directeur de l'Académie , ouvrit la féance
par un Difcours fur l'efprit géométrique ,
rélativement à ces paroles de M. de Fontenelle.
L'efprit géométrique n'eft pasfi attaché
à la Géométrie , qu'il n'en puiffe être tiré
& transporté à d'autres connoiffances. On
ouvrage"de morale , de politique , de critique ,
peut-être même d'éloquence , en fera plus
beau.
» Nous connoîtrions mal l'efprit géo-
» métrique , dit l'Auteur , fi nous le bor-
»nions à la jufteffe & à la proportions Ap
profondiffons d'abord ce qui le caracté
>> rife effentiellement , & nous reconnoî-
» trons enfuite, d'un côté, quels avantages
il offre aux Littérateurs , & de l'autre
quels abus fe gliffent quelquefois dans
» l'ufage qu'ils en font ... Il a , entr'autres,
trois caractéres qui font à lui , & qui ne
→font qu'à lui .
29.
» Caractére de clarté & d'étendue : tout
»autre efprit tâche d'embraffer les objets
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
» tout à la fois , & de trancher d'un feul
coup des questions compliquées . Qu'ar-
» rive-il ? La meilleure partie de ce qu'il
» cherche , échappe à fes réflexions , & ce
qu'il tient , il le tient mal ; d'un côté il
»faifit le vrai ; l'erreur fe gliffe par cent
autres ; elle le noye , elle le rend inu-
» tile , quelquefois même elle s'en fert pour
>> s'accréditer.
"L'efprit géométrique décompofe fon
» objet , il prend chaque fil , il le dé-
»brouille , il le fuit jufqu'au bout : fem-
» blable à cet habile Romain qui triompha
» des Curiaces , en les attaquant féparé-
» ment , il fait perdre aux difficultés toute
leur force, en les défuniffant , & c.
39
»
» Où conduit néanmoins la feule clarté
» des penfées ? Avec elle on voit , mais
auprès de foi & à une fi courte diſtance ,
étonnant
qu'il n'eft pas
que la lumière
» ne fe diffipe pas. L'efprit géométrique
» donne une efpéce d'immenfité , en ´accoûtumant
à porter par gradation une
» vûe préciſe fur chaque face d'un même.
» objet.
» Caractére d'attention & de pénétra-
» tion .
و و
L'efprit diftrait ne fait que gliffer fur
»les objets , il n'y entre pas . C'eſt l'attention
qui rend pénétrant , l'attention
JUILLET. 1749 85
"
à chaque branche d'un objet , ou à tous :
» les objets particuliers , renfermés dans
» un objet déja décompofé & fuffiſamment ;
» éclairé……….. Un efprit ouvert aux divers
» rayons que réflechit chaque partie , & .
qui s'eft tenu dans cette Gruation gênan-
» te , éprouve bientôt après le plaifir le
"plus touchant , celui de fentir que la ré-
» folution de chaque fubdivifion entraîne
» enfin la déciſion générale.
"
» Caractére de patience & d'ardeur.
» Avec la feule patience , l'efprit eft inca-
» pable de roidir fon attention ; il n'a pas
» aſſez de nerf , pour jetter un coup d'oeil
»sûr & rapide fur beaucoup d'objets , ou
»fur plufieurs parties du même objet , fans
qu'aucune échappe à fa préciſion & à fa
pénétration. Avec la feule ardeur , il fe
» rebuteroit dans la progreffion meſurée
» de les opérations , & il réuffiroit tout au
plus dans une faillie , dans un effort de
génie , produit par le hazard. L'heureuſe
» trempe pour l'efprit géométrique , c'eſt
»ce mêlange de conftance & de vivacité ,
» que rien ne laffe.
"
"
"
Après avoir développé ces trois caractéres
de l'efprit géométrique , le Pere.
Valois en fit l'application à ces Littérateurs
effentiels & utiles , qui nous rendent
fenfible ce que l'Hiftoire a de cer86
MERCURE DE FRANCE.
tain ; ce que les langues ont de varieté ,
» de délicateffe , d'énergie ; ce que la Religion
a de fublime & d'intéreffant
» dans fes oracles & dans fa morale ; ce
» que l'éloquence & la poëfie ont de for-
» ce , ou de charme ; & infiftant fur ces
deux dernieres parties des Belles Lettres ,
il mit dans tout leur jour les fecours muruels
que fe prêtent à l'envi l'efprit ,
géométrique , qui pofe les fondemens , &
Fefprit littérateur , qui décore l'édifice.
Confidérés féparément , ajouta- t'il ,
» le premier nous fortifieroit aux dépens
» de la Langue, & des graces qui affaifonnent
la raifon ; le fecond nous poliroir
aux dépens de la force & de la folidité .
» S'ils agiffent de concert , l'efprit geomé
trique confirmera dans l'Orateur les
» droits de la raiſon ; il réglera & étendra
» dans le Poëte ceux de l'imagination.
» Accoûtumé de bonne heure à réunir
» avec préciſion , & à appliquer avec proportion
tout ce qui appartient à un
fujet , l'Orateur faifira , fans embarras ,
» tout ce que fa matiere offre d'important,
»>& tout ce qu'elle a de propre dans les
»circonftances : faifant par-là un double
» ufage de la méthode géométrique , il ſe
rendra intéreffant , foit par l'abondance
>>des chofes , foit par le rapport qu'elles
JUILLET. 87 1749.
"
ont avec les perfonnes ; il ira au - delà de
l'éloquence des mots , & tout ce qu'il
» dira fera approprié au goût & aux befoins
de ceux aufquels il parlera .
"
>>>
Mais ce que j'ai avancé touchant le
» Poëte , continue le Pere Valois , ne
» paroîtra-il point tenir du paradoxe -
» Rien n'eft cependant plus vrai ; car s'il
» eft une imagination capricieufe & vaga-
» bonde , qui emporte le Poëte au- delà
» des limites , n'eft - il pas auffi une imagi-
» nation rétive qui l'empêche d'avancer
» Et n'est-ce pas elle qui fouvent borne
» de nos jours le génie du Poëte dramati-
» que , à ce qu'il y a de moins effentiel
» dans la conftitution de fon Poëme ? Son
» imagination fe renferme dans un cercle
trop étroit ; vous le voyez jetter tout
fon feu dans quelques fcénes , dans quelques
portraits ; il s'épuife à verfifier , à
»peindre , à mettre de l'efprit , à fenten-
» cier. Il ne lui refte plus de force pour
» l'ordonnance , pour toute la conduite
» de la piece , pour l'intrigue , parce que
l'efprit géométrique n'a pas forcé l'imagination
à embraffer fon fujet avec tous
» les rapports..
»
"
La derniere partie du difconrs a pour
objet les gens de Lettres qui abufent quelquefois
de l'efprit géométrique , furtout
SS MERCURE DE FRANCE .
>>
23
lorfqu'ils cultivent auffi les fciences.
L'Auteur fait voir , » que s'ils ne fe tien-
" nent pas fur leurs gardes , il les deffèche,
» il les roidit , il les appefantit dans la car-
» riere de l'éloquence , & encore plus dans
» celle de la Poëfie.... Il leur ôte cette
efpéce de foupleffe , ces dehors libres &
» aifés , fi néceffaires au commerce de la
viel, à la politeffe des moeurs , ces manie-
" res aimables , qui rendent tous les coeurs
» comme tributaires .... Il leur donne un
» de ces caractéres infléxibles , qui intro-
» duifent dans les cercles l'efprit de contention
, les chicanes , la maniere de
raifonner dure & algébrique , dont ils
font fi jaloux , parce que leur fageffe ne
» peut fe dégager des chaînes géométri
» ques , felon l'expreffion du lyrique Fran-
» çois ; ils veulent que les autres en parta.
"gent la péfanteur.
»
Le Pere Valois ne pouvoit mieux prouver
l'heureux accord de l'efprit géométrique
avec les Belles Lettres , qu'en jettant
dans fon difcours quelques traits , qui fixerent
les yeux avec complaifance fur deux
perfonnes de l'affemblée * ; il'finit par l'é-
* M. de Pleurre , Intendant , & M. Artus , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Directeur
Général des Fortifications de l'Aunis , & un des
Académiciens titulaires,
•
JUILLET. 1749. S
loge d'un célébre Ecrivain * , dont l'éru-
» dition , le goûr & les talens fupérieurs ,
» donnent depuis plufieurs années un nouvel
éclat à la pourpre Romaine.
39
»
» Verfé dans les Langues fçavantes &
» dans l'Hiftoire , plein de fagacité pour
l'intelligence des Auteurs , connu par
» des ouvrages que l'Europe entiere ne
» ceffe d'admirer , M. le Cardinal Querini
» fait de tems en tems fes délices de la
» Poëfie Françoife , dont il ſe plaît à affo-
» cier les graces à celles de la Poëfie Ita-
»lienne & Latine . Comme fi fon zéle eût
» été trop refferré dans la vaſte enceinte ,
» qui renferme les Livres du Vatican con-
» fiés à fes foins , il a ouvert dans fon Pa
» lais une riche Bibliothèque à tous les
>> amateurs des Lettres , dont il eft le pro-
» tecteur & l'ami .
» A ces titres , Meffieurs , ajoûte le P.
» V. vous ne pourrez manquer de fixer
»fes regards. Il a franchi l'intervalle .
» que fon rang a mis entre vous &
» lui , & il a fouhaité de fe voir affocié à
» vos travaux . Infiniment fenfibles à l'hon-,
" neur que vous fait une adoption auffit
>> glorieuſe , oublierez- vous jamais les exi›
* Son Eminence M. le Cardinal Querini , Eve
que de Breffe , Bibliotéquaire de l'Eglife Romaine,
Affocié honoraire de l'Académie. !!
90 MERCURE DE FRANCE.
"preffions modeftes & les termes de bonté,
» dont il s'eft fervi dans fa Lettre , pour
» vous témoigner fa reconnoiffance ?
» Déformais , Meffieurs , nos Mufes paf-
»feront les Alpes , & il leur fera permis de
» cueillir des fleurs , où notre augufte Pro-
» tecteur vient de cueillir tant de lauriers.
>> Commerce bien flatteur , & bien avanta-
» geux pour nous ! Par une heureufe circu-
» lation nous foumettrons nos effais au ju-
»gement de la Capitale du monde , & à fon
tour elle nous enrichira de fes trésors ; les
» cinq volumes que le fçavant Cardinal a
compofés, & que nous devons à fa liberalité
, en font déja d'heureufes prémices.
Enfuite M. Boutiron Avocat , Chancelier
, lut un Difcours fur la gloire lit
téraire.
Après avoir montré que le defir de la
gloire eft naturel à l'homme , qu'il naît
avec lui , qu'il eft le reffort univerfel qui
met en action fes talens & fes vertus , il
avoue que la véritable gloire , la gloire
brillante , eft le partage des Héros qui pro
diguent leur fang pour la défenfe de la
Patrie : mais il eft, dit-il , une autre forte
de gloire , non moins folide , quoique
moins éclatante , & c'eft celle qu'acquiert
tout Citoyen généreux , qui , à l'exemple de
l'Orateur Romain , confacre utilement fes
t
JUILLET. 1749. 9.1
44
que travaux aubien public ; c'eft auffi celle
mérite tout Artifte qui fe diftingue dans
fon Art. L'homme de Lettres , ajoute t'il ,
feroit-il le feul à qui il ne fût pas permis
de fe livrer à l'attrait de la gloire ? Il eft
vrai que la gloire littéraire eft miſe à un
fi haut prix , que l'éloignement du terme
eft capable d'infpirer du découragement ,
mais les difficultés ne doivent pas rebuter
un efprit qui fçait s'élever , & qui eft fufceptible
de ces fentimens de générosité ,
inféparable de l'amour des Lettres.
Il est donc honnête , même avantageux ,
de fe laiffer enflammer du defir de la gloire
littéraire , mais ce feroit manquer fon but
que de ne pas fe propofer d'autre objet.
L'Auteur entrant dans les preuves de la
premiere partie , commence par la réfutation
d'une Critique de Montaigne , qui
dit , que de toutes les rêveries du monde , la
plus reçue & la plus univerfelle , c'est le foin
de la réputation & de la gloire , que nous
époufons , jufqu'à quitter les richeffes , le repos,
la vie , lafanté , qui font biens affectuels &
fubftantiaux , pour suivre cette vaine image &
cette fimple voix , qui n'a ni corps ni prife.
» Quoi ! dit M. Boutiron , on appellera
»rêverie ce fentiment de l'ame qui eft en
» nous , même malgré nous ? Ce fentiment
a commun à tous les hommes , qui agit
2 MERCURE DE FRANCE.
(
» avec tant de véhemence , qu'il fait facri-
» fier jufqu'aux richeffes , au repos , à la
vie , à la fanté ? Ce font des biens fans
»
doute , mais la réputation & la gloire
»font les biens de l'ame , biens qui l'em-
» portent autant fur les autres par leur ex-
» cellence , qu'il eft vrai de dire que l'ame
eft notre plus noble ſubſtance .
L'Auteur établit enfuite , que fans fortir
des bornes d'une modeftie exacte , &
fans exciter une jufte jaloufie , on peut af--
pirer à la gloire littéraire , en prenant foin
de fe rendre. aimable par l'eftime fincére
qu'on fera des autres , & de leurs talens ...
Car , ajoute-t'il , la gloire littéraire ne
confifte pas dans la bonne opinion qu'on a
de foi-même,quelque fondée qu'elle puiffe
être ; encore moins dans des comparaifons
toujours odieufes en elles - mêmes
mais dans des fuccès avoués généralement...
Et alors il eft permis de fe prêter
à un fentiment également pur , délicat &
Aatteur pour l'amour-propre ; de goûter
cette douce fatisfaction d'avoir fait le bien ,
& de l'avoir fait affez efficacement pour
l'intérêt de la Société.
44
>
Quels efforts un tel efpoir n'eft- il pas
capable d'exciter ? C'eft ainfi que vainqueur
des obftacles , l'homme de Lettres
va fort fouvent beaucoup au- delà de ce
JUILLET.
93. 1749.
19
qu'il auroit pû fe promettre naturellement;
& delà , quels avantages pour le Public ,
pour lui- même ! ...
>> Un Auteur s'eft propofé de nous don
aner une Hiftoire ; il a dans cette vûe fait
toutes les recherches néceffaires pour.
approfondir la vérité des faits ; il les a
difcutés par la Critique la plus judicieufe
. Il a orné fon ftyle de tous les embelliffemens
dont fa matiere étoit fufcepti
» ble. Son Difcours eft nerveux , folide ,
éloquent de l'éloquence convenable au
fujets les fentimens qu'il infpire , font
les fentimens de la probité : il ne parle
des gens vertueux , que d'une maniere à
faire chérir la vertu , & il ne parle des
méchans que pour faire hair & déteſter
le mal : il peint avec tant de force.les.
caractéres & les moeurs , il fait des por-.
» traits fi vifs , fi animés , fi vraiș , qu'on
ne peut s'empêcher , quand on le lit , de
fe remettre au tems dont il nous parle ,
& que notre imagination féduite par les
preftiges de fon art nous repréfente les
objets , non pas comme des chofes dont
on nous fait le récit. , mais comme des
évenemeus qui fe paffent fous nos yeux ,
& avec des perfonnes avec qui nous vivons
& nous converfons,
D
» Le bien qu'a fait un tel Auteur à la
1
94 MERCURE DE FRANCE.
"
fociété , eft- un bien ineftimable ; fes re-
>>cherches remettent fous les yeux un beau
» tableau des faits les plus intéreffans , qui
»feroient demeurés épars , & hors de
» portée : fa Critique nous en garantit la
certitude , ou nous fait toucher , comme
au doigt , les raifons de douter de ceux
» qu'il ne nous a donnés que comme apocryphes
: fon ftyle nous plaît , par
› par les
beautés dont il a eu foin d'orner fon
difcours. Son Livre eft pour nous un
» amuſement gracieux , en même tems qu'il
»eft pour nnoottrree eeffpprriitt une nourriture fo-
» lide , qui l'enrichit des plus belles con-
وو
noiffances : il nous a portés à la vertu
» & nous'a détournés du mal , par les fen-
» timens qu'il a exprimés : ces fentimens
»font devenus les nôtres , & il nous fem-
» ble que dès- lors nous entrons en part
» avec lui du fruit de fes travaux.
«Un autre a mefuré les fiécles . Dans
»un difcours de quelques heures de lec-
»ture , il embraffe tous les âges du monde,
>>& il nous peint tous les évenemens avec
» un pinceau fi vif , fi fin & fi délicát ,
>> qu'il nous femble , en le lifant, que nous
»les voyons tous fans mêlange , fans con-
» fufion & fans aucun nuage. Sans perdre
» un moment le fil de fa narration , qui fe
fuit avec bien plus de rapidité que les
JUILLET. 1749. 95
inftans ne paffent , il ne nous permet
» pas en même tems de perdre de vûe la
main adorable de celui qui conduit tout
Ȉ fes fins , avec autant de douceur que de
» force. Il nous donne l'Hiftoire de l'Univers
, & il nous oblige de conclure
» avec lui, que tous les grands évenemens,
qui ont rempli la fcéne , n'ont eu d'autre
» but que de préparer les voies à celui
qui il a fait les fiécles .
"
""
"
»
par
Dans la feconde partie M. Boutiron fait
voir , combien s'abufent ceux qui dans la
carriere des Lettres ne cherchent qu'à
briller , à plaire , en un mot qu'à acquérir
une vaine réputation d'homme d'efprit.
» Celui , dit-il , qui ne veut que plaire ,
réuffit ordinairement très- mal ..... De
même ceux qui ne veulent que faire rire,
» ne manquent gueres de glacer les fens ,
» & d'exciter contre eux une fecrerte in-
» dignation ; ils prétendent qu'on paye
>> d'un mouvement de l'ame , qui n'eſt que
» l'effet d'une agréable furpriſe , les atten-
» tions qu'ils fe donnent , & qu'ils avertiffent
qu'ils fe donnent pour le caufer,
» Ilen eft de la gloire littéraire , par rap-
» port aux ouvrages d'efprit , à peu près
comme des alimens, par rapport au corps.
Les alimens nous font le plaifir le plus
»fenfible , mais c'eft un plaifir dont les
96 MERCURE DE FRANCE.
3
:
honnêtes gens ne s'apperçoivent pas en
quelque forte. Trop le goûter , c'eſt
» savilir , c'eft fe dégrader de même ſe
voir avec trop de complaifance dans des
ouvrages d'efprit , n'avoir d'autre objet
» que celui de fe faire un nom , c'est le
»montrer indigne de la gloire littéraire ;
c'eft en décheoir. Celui qui y afpire &
qui peut fe promettre un heureux fuccès
, c'eft celui qui avec des talens audeffus
du commun , & avec affez de
» conftance pour triompher des obftacles ,
fe propofe une fin plus noble & plus re-
» levée que cette gloire même.
C
3
n
99
» C'est celui , qui traitant un fujet de mo
rale avec toutes les graces dont il peut
être fufceptible , fe propofe pour but de
régler & de réformer les moeurs .......
» Ainfi les Bourdalouës , les Fenelons , les
» Fléchiers , font parvenus à fe faire dụ
» monde entier un peuple d'admirateurs ;
ils ne cherchoient pas la gloire , elle eſt
venue au-devant d'eux .
" C'est encore ce Phyficien.attentif, qui
» par fon étude , par fon application , par
fes recherches approfondies , par fa fagacité
, nous dévoile la nature , non en
» formant orgueilleufement quelques nou-
»veaux fyftêmes , dignes de trouver place
parmi ceux des Philofophes aveugles ,
mais
JUILLET. 1749. 97
» mais en confidérant avec fimplicité les
objets féparément , & en nous y faifant
» obferver des beautés qu'il fembloit que
» la nature eût voulu tenir toujours ca-
»> chées , & qu'elle n'a revelées qu'à lui
" feal.
Dans tous les genres enfin , l'Auteur
veut qu'on ait en vûe plutôt l'inftruction
& l'utilité publique , que l'envie de paroître
& de fe diftinguer ; à ce prix il promet
aux talens une portion de gloire qui ne
leur ferá pas ravie , pourvû que les Ecrivains
ne s'en prévalent pas , & qu'ils ne
faffent pas d'eux-mêmes , avec autrui , des
paralleles humilians , & c .
Après ces deux Difcours , M. Thilorier
lut une Ode, du Pere Lombart , Affocié de
l'Académie , fur le retour des Arts en Italie
après la prife de Conftantinople , &
une Requête en vers de M. de Bologne
aufli Affocié de l'Académie , à M. l'inten
dant de Limoges .
Voici quelques ftrophes de l'Ode.
Le Goût revoit ces lieux , autrefois fon Empire ;
E
Dans une nuit obfcure il découvre la lyre
Qui fous les doigts d'Horace annoblit tous fes
fons i
E
98 MERCURE DEFRANCE .
Et ce Dien la plaçant fur un throne de roſe ,
Soudainement écloſe ,
Elle parle , dit- il , écoutez mes leçons,
+X +
Il cherche ces objets , qu'à la vie enchantée
Offrirent le Cifeau , rival de Promethée ,
Les bronzes attendris , les marbres animés ;
Du fauvage Alaric il querelle les armes ,
Et baigne de fes larmes
La terre qui les tient dans fon flanc enfermés .
炒菜
Artiftes , puiffiez - vous , formés fur ces modéles,
Préferer leur éclat aux vaines étincelles ,
Et fixer parmi nous le fimple , ami du beau !
Un goût pervers fuccéde au Gépide , au Vandale ;
Et fa licence fatale .
Peut replonger les Arts dans la nuit du tombeau.
La Requête eft dans le ftyle qui convient
au fujet , & peut plaire par le tour que
l'Auteur y a donné.
ONcroit penfer avec raiſon ;
Que le terroir du nouveau monde
Faifant germer l'or à foifon ,
Partant j'ai dû dans ma maiſon
En rapporter bourfe fort ronde.
*
JUILLET
. 1749.
On m'a joué le tour malin
Sur une idée auffi folette
De me taxer comme un Dupin,
Sans égard au nom de Poëte ,
Et de Poëte du Dauphin .
Dans un district comme le vôtre ,
On ose me vexer contre toutes les loix ,
Moi , qu'on a vu d'un pôle à l'autre
Par des accords chéris des Rois ,
Porter la gloire & les exploits
D'un Conquérant , tel que le nôtre.
D'ailleurs , fi les Répartiteurs
Avoient eû quelque connoiffance
Des ûs du Pinde & de nos moeurs
Ils auroient fçû que les Rimeurs
Ne font gens à groffe chévance :
Ils auroient vû que de tout tems
( S'ils avoient un peu lû l'Hiftoire )
Belles , Monarques , Intendans ,
Se font toujours fair une gloire
D'accueillir les doctes enfans
De la Déelle de Mémoire, "
Ce mûrement confidéré ;
Miniftre équitable , éclairé ,
Il vous plaira de faire fête
A ma légitime Requête ,
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE,
Et de régler modiquement
Le malhonnête compliment ,
Que d'un air doux & débonnaire
Les Receveurs me viennent faire,
De ces gens-là , fi j'ai raifon ,
Comme pouvez faire fans peine ,
Par de beaux vers de la façon
D'une mufette amériquaine ,
Vous verrez votre illuftre non
Balancer celui de Mécéne
Dans les archives d'Apollon.
La féance fut terminée par un Difcours
de M. Boutiron , fils , Avocat , Académi
cien nouvellement élû.
Le fujet de ce Difcours eft , que les connoiffances
de l'homme font proportionnées
à fes befoins .
1
"
L'Auteur commence par remarquer que
'efprit de l'homme eft tout à la fois , remli
de lumieres & de ténébres : » Intelligence
vafte , dit-il , il porte quelquefois
"fon yol fi haut , que dans l'éloignement
où il fe trouve placé , à peine peut- il être
apperçu , tandis que fur d'autres fujets
» refferré dans le cercle le plus étroit , il ne
comprend pas ce qui l'environne.
» C'eft de- là que certains Philofophes
ont pris prétexte de dire qu'il falloit
JUILLET. ΤΟΙ 1749%
» douter de tout ; & d'autres , de rabaiffer
» l'homme & d'infulter àfon 'Auteur : c'eft
» la réfutation de ce fentiment & de ces
» plaintes que ce Difcours a pour objet.
C
» N'y a-t'il de bon , dit M. B. que ce qui
eft parfait ? Ce ne font pås des biens im-
» menfes qui font le bonheur du fage :
» celui qui en a affez pour fournir à un
» honnête néceffaire , doit trouver le refte
» dans la modération de fes defirs . L'envie
»de fçavoir , femblable à l'avarice , ne diroit
peut-être jamais , c'eft affez ; mais
la fageffe n'en doit pas accepter avec
moins de gratitude le préfent de connoiffances
que la nature nous fait , fi
» tout borné qu'il eft , il fuffit à nos be-
≫ foins.
33
Pour prouver que nos connoiffances
font en effet fuffifantes, il préfente d'abord
une raifon générale , qui eft , que tout eft
exactement proportionné dans la nature ;
que de tous les animaux qui diverfifient fi
agréablement le fpectacle de l'univers , il
n'en eft aucun , qui n'ait reçû , felon ſa differente
espéce , tout ce qui eft néceſſaire
à fa deftination.
Ne feroit- ce donc , reprend- t'il , que
pour l'homme que la nature auroit été
avare ? Il fait enfuite une comparaifon détaillée
des connoiffances & des befoins de
E iij
1oz MERCURE DE FRANCE .
l'homme ,il le confidere fous trois , raps
ports , dans l'ordre de la Religion , dans
l'ordre de la nature , dans l'ordre de la
fociété , fi fous ces trois points de vûë-là ;
dit- il , il a tout ce qui lui eft néceffaite
que lui reste-t'il à defirer ? for
Comme la nature d'un difcours Acadé
mique ne permettoit pas à l'Auteur de s'étendre
fur l'article de la Religion , il s'eft
borné dans cette premiere partie à prouver
en peu de mots, que les connoiffances qué
nous avons far la Religion , font proportionnées
à l'état dans lequel il a plû à lá
Providence de nous placer.
•
» A la vérité , dit- il , la lumiere que
» nous donne la foi , n'eft point ce jour dé
» l'évidence qui force & qui entraîne l'ef-
» prit : mêlée , pour ainfi parler , d'éclairs
» & d'obfcurité , elle nous offre une face
lumineufe , & une autre impénétrable
» aux lumieres de notre intelligence ; mais
» la feule raifon fuffit pour découvrir le
motif de celui qui en eft l'Auteur,
» Comme créature libre , raiſonnable , in-
» telligente , la foi ne devoit point nous
commander en tyran impérieux ; mais
aufli en nous propofant des objets que
nous ne pouvons comprendre , elle éta
» blit fur les motifs les plus puiffans , les
» hommages qu'elle exige de nous. Ainfi
JUILLET. 1749 103
»notre foumiffion eft éclairée au même
» tems qu'elle a le mérite de l'obéiffance ...
La proportion de nos connoiffances
avec nos befoins naturels eft prouvée par .
une expofition abregée des differentes for
tes d'induſtrie que l'homme met en ufage
pour fe les procurer. » Si le boeuf, docile
joug, traîne à pas tranquilles la charue
»
39
» par
>> que l'homme a fçû conftruire pour foutlager
fes travaux ; également captivés
fon induftrie , l'air , l'eau & le feu ,
font mouvoir les ingénienfes machines
qu'il expofe à leur action . Dans les mains
» induſtrieufes , rien n'eft inutile ; tous les
» êtres lui offrent , les uns contre les au-
>> tres , un fecours réciproque.
»Pour fe mettre à l'abri des injures de
»l'air, un toit ruftique, entrelaffé de brang
»ches & de chaume , lui auroit fuffis la
» nature n'a donné aux oiſeaux que l'inf
»tinct de ramaffer quelques brins d'her
»bes épars , pour faire un azile à leurs petits
; mais le Maître des animaux ne de-
» voit pas être ainfi réduit au fimple néceffaire.
La terre renferme de toutes parts
» les matériaux convenables pour lui fai-
» re une demeure plus graciéufe ; bientôt
» l'homme apprit à s'en fervir. Le fer lui
» fournit le cizeau , qui devoit polir la
» pierre & le marbre ; les métaux prirent
و د
E iiij
304 MERCURE DE FRANCE.
» à fon gré la forme qu'il voulut leur don
» ner , & l'on vit les palais magnifiques ,
» deftinés à loger les Rois , contrafter avec
»l'humble cabane dont le pauvre fe con-
ور
33.
و د
tente.....
» Il n'a point fallu , pourfait l'Auteur ,
» des révolutions de fiécles pour lui ap-
» prendre ce que fes befoins exigeoient
» qu'il fçût . Les arts les plus utiles ont été
trouvés les premiers , & les premiers
perfectionnés ..... au lieu que cette philofophie
, qui cherche à nous inftruire
» de la nature des chofes ,. n'a fait que des
» découvertes lentes on apperçoit dans
» cette oppofition, le deffein de la nature
» dans la carriere détournée , où notre
» curiofité nous a conduits ; à peine fommes-
nous plus avancés qu'au premier pas,
» & dans les recherches où le befoin nous
a guidés , nos fuccès ont toujours été à
» la fuite de nos defirs... Non -feulement,
>> rien ne nous manque de ce qui eſt né-
»ceffaire à la vie , mais pour nous en procurer
l'utilité & l'agrément , nous n'a-
» vons été que trop induftrieux ; notre
» coeur , en s'ouvrant trop au plaifir que la
nature attache au contentement du be-
» foin , a forcé l'art à des rafinemens que
» la raifon défavoue ; & l'avare cupidité
des Artiftes , dont l'induſtrie étoit deſti
JUILLET. 1749. 105
»
»née à un plus fimple ufage , a amorcé par
d'agréables nouveautés la crédule yvrelle
» de l'amour- propre....
La troifiéme divifion , de l'homine confidéré
du côté de la fociété , eft celle fur laquelle
l'Auteur s'eft le plus étendu .
"
Si l'homme , dit-il , eût été deftiné à
» vivre feul , il lui auroit fuffi de fçavoir
rendre ce qu'il devoit à fon Auteur ;
» mais obligé de vivre avec fes femblables,
wil étoit néceffaire qu'il connûr cette équi-
» té diftributive qui lui fît rendre ce qu'il
devoit à chacun d'eux. Ce fentiment a
été gravé dans fon coeurs fa fenfibilité
» pour ce qui le regarde lui- même , lui a
» été donnée pour en être la régle....
25
»
Quand ce qui eft jufte , ne fe trouve
»point dépendant de quelque Loi arbi-
» traite , une fecrette fympathie y conduit
l'efprit humain fur la fimple expofition
»il eft naturellement équitable..
"
» Ces notions de ce qui eft jufte envers
les autres , ne font point à la vérité en
»nous l'impreffion d'une conviction rai-
»fonnée , qui puiffe fe réduire en derniere
analyfe à une même idée ; elles ne font
» pas fondées fur une démonſtration géométrique
; mais nous en éprouvons la
certitude par une impreffion intime que
nous ne pouvons méconnoître , & c'est
Ev
106 MERCURE DEFRANCE
•
» pour nous une évidence plus perfuafive .
»parce que c'eft l'évidence du coeur.... «
»A ces connoiffances des vertus & des
» vices , il falloit ajouter un reffort qui
» les rendît agiffances ; tout eft fimple dans
» les mains de la nature : ce reffort , c'eſt
l'amour de foi-même , appanage inalié-
» nable de tout être qui fe connoît. Quoi
» qu'il n'ait que nous-mêmes pour fin , il
fe répand néanmoins fur tous ...., Ces:
>> travaux mercénaires que la feule néceffité
arrache , ne tournent pas moins à l'avantage
de la fociété , que le dévoue-
>> ment généreux de ceux qui s'y confacrent.
» à deffein ....
" ."
>>
Cependant le defir du bonheur , qui
» met tout en mouvement , s'il fût reftéfans
frein , auroit pû tout renverfer : un
» zéphir rafraîchiffant donne à l'air une .
agitation utile , tandis que l'aquilon
fougueux enléve l'efpérance de nos:
» moiffons...... Mais nous fçavons que
39
nous ne pouvons trouver notre propre
»bonheur , qu'en contribuant à celui des
autres.... Modérés par cette confidéra-
»tion , le defir d'être heureux fe plie né--
» ceffairement
à l'obfervation
des de-
> voirs... La crainte de la réfiftance impole
l'heureufe
néceffité de chercher à gagner
par la douceur ce qu'on tenteroit inuJUILLET.
17491
1107
»tilement d'obtenir par la violence . Les
» hommes , déja inftruits à être équitables
» & juftes , apprennent encore par-là à
» parer leurs vertus de ces dehors aimables,
» qui font fur les cours de fisûres impref-
>> fions.
Les bornes qu'on eft obligé de donner
à un extrait , ne permettent pas de fuivre
l'Auteur dans le développement de fes
idées. Voici ce qu'il dit fur ce que la connoiffance
de l'effence des chofes , & de la
nature des êtres , nous a été refufée.
"
""
» Ces objets font placés hors du cercle
qui mefure l'étendue de nos connoiffan
» ces. Le point de vue fe perd dans l'efpace
immenfe qui les dérobe à nos regards
; ils échappent dès qu'on croit les
faifir. Que l'efprit humain fe contehte
» donc d'un coup d'oeil confus que
la
nature
lui permet
de jetter
fur cette
eſpé-
» ce de vuide
: il ne lui préfentera
à la vé
>> rité
aucune
idée
diftincte
, mais
auffi
il
» ne
le livrera
à aucune
illufioni
; tel que
> nous
ne voyons
jamais
mieux
le Ciel
,
» que
quand
,pur
& dégagé
de nuages
, nos
»yeux
qui
fe perdent
dans
l'athmofphere
,
» n'apperçoivent
que
cette
voûte
azurée
dont
leur
foibleffe
feule
leur
trace
le
contour.
» Mais pourquoi l'homme fe plaindroit-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
" il de n'avoir pas des connoiffances qui
» ne lui font pas cffentielles , & qui peut-
>> être lui feroient préjudiciables ? Rai-
» fonneur oifif , uniquement occupé de
ces brillantes fpéculations , peut -être
» laifferoit- il languir fon induftrie dans
»une inaction funefte ? La terre n'est pour
´ » lui qu'un féjour paffager , il n'en a que
le domaine utile , il n'eft point chargé
» de la rendre féconde , d'organiſer fes
productions , de mettre en jeu les éle-
>> mens ;-a- t'il done befoin de connoître
l'intérieur des chofes ? C'eft affez qu'il
fçache jouir , puifque tout fe produifant
fans lui , il n'a autre chofe à faire qu'à
profiter de ce qu'il trouve fous fa main..
La nature eft fagement liberale ; ce
font nos defits qui font immodérés` ;
» qu'importe que je ne feache point par
quelle fecrette loi les parties de mon
» corps obéiffem fi exactement à ma vo-
»Fonté ? Envain Defcartes , Malebranche ,,
» Leibnitz ont-ils médité là - deffus , ils ne
n'ont rien appris ; mais quand je veux
» agir , mes bras fe meuvent, fans que j'aye
l'embarcas de leur commander ;j'ignore
quel jeu de mufcles les met en action ,
mais ils opérent , ils exécutent , que me
faut-il davantage ? ...
"
L'agréable concordance d'une multiJUILLET.
1749. 100
»tude de fons harmoniques qui frappent
tout à coup mon oreille , charme mon
ame , elle fe livre toute entiere au fenti-
» ment du plaifir qui la faifit ; fuis - je à
» plaindre alors de ce que je ne fçais pas
comment Lair peut me rendre fans confufion
& dans le même tems un nombre
de fons fi divers , ni comment l'ébranlement
infenfible des parties de l'oreille
peut produire en mon ame un fentiment
fi vif ? ...
»
အ
Pourquoi vouloir s'élever au fommet
de la nature , & fonder trop curieufe-
» ment les vérités fimples qui nous doivent
fervir de régle ? Vous allez , dit
' Auteur au Philofophe fpéculatif, placer
» votre demeure fur la cime de cette montagne
qui s'éleve au - deffus des nues ;
vous cherchez un point de vue d'où vous
puiffiez tout découvrir : mais trop éloi-
» gné des objets , vous ne les appercevez
» plus , ou du moins vous ne les diftinguez
pas. Cet air n'eft pas fair pour vous.
n
Trop fibril & trop froid , il vous glace,
»il vous fuffoque ; le Soleil eft là fans ac-
»tion , la nature y eft morte , & n'offre
aux yeux qu'une affreufe stérilité ; def-
» cendez dans la plaine , & venez jouir
» avec nous de la fécondité & des richeffes
dont elle fe pare : la perfpective y eſt
FIQ MERCURE DE FRANCE.
« bornée , mais elle n'en eft que plus agréa
"ble : tous les objets y feront à votre por
>> tée,vous les verrez plus diftinctement.
39
..
" Si le fentiment eft , comme on n'en
» peut douter , le dernier période de la
" conviction , & par là une des plus sûres
régles de nos jugemens , dès que ce fentiment
tombe fur des idées fimples , fur
» ces vérités primitives , dont tous les hom-
» mes reconnoiffent l'évidence , pourquoi
aller plus avant ? La fubtilité d'une vaine
99
23
dialectique nous donnera - t'elle quelque
» chofe de plus ? Que gagne- t'on à paffer
» ces bornes ? On veut analyfer le fenti-
» ment , le décompofer , le réduire à une
» forte de matiere premiere ; il fe perd , il
s'évapore : On cherche des preuves ulté-
»rieures , on n'en trouve point , on doute
>>alors , ou l'on croit être en droit de dou-
» ter ; on ne trouve plus rien de certain ,
» & l'on débite avec emphaſe toutes ces
abfurdités , dont nous fommes redeva-
» bles à tant de graves Philofophes ... Que
le curieux contemplateur de l'effence &
» des propriétés des êtres , exagere , tant
qu'il voudra , l'empire & l'illufion des
»fens , il eſt des vérités que nous ne de-
» vons qu'à eux. Ce que tout le monde
voit , ce que tout le monde entend , n'a
pas befoin de preuves . Tout ce difcours
JUILLET. 1749991
eft d'un détail intéreffant , d'un ftyle plein.
de feu , & extrêmement varié..
L'HEUREUX BERGER.
Cantate à voix feule & avec ſymphonie. Par
M. Join- de- Saufeüil . A Mlle du Pas.
S vr
Ur les bords enchantés d'une onde pure &
clairé ,
Occupé de fa belle & du foin de lui plaire ,
L'heureux Tircis goûtoit à l'ombre des ormeaux
Le plaifir innocent d'enfler fes chalumeaux ,
De chanter les beaux yeux de fa tendre bergere ,,
Et de faire redire aux échos d'alentour
Ces chants que lui dictoit l'Amour.
Vous, qui par vos plaintes fecrettes,.
Rempliſſant l'air de vos douleurs ,
Troublez ces paisibles retraites ,
Ceffez de chanter vos malheurs..
Lorfque dans l'amoureux Empire-
L'Amour même comble nos voeux ,
On ne doit y penfer qu'à rire ,
Et qu'y couler des jours heureux..
Vous , qui , & c..
712 MERCURE DE FRANCE:
C'est ainsi que Tircis célebroit chaque jour
Sur fort haut- bois, fur fa mufette ,
La douceur parfaite
Que produit dans les coeurs un vif& tendre amour,
Il aimoit la jeune Lifette ,
Que la plus belle ardeur confumoit à ſon tour
Leur mutuelle flâme embrafoit leur retraite ,
Et tout n'y refpiroit qu'amour
Quand à fa mufette
La tendre Lifette
Accordoit la voix ,
Les oifeaux des bois ,
Et ceux du rivage ,
Joignoient leur ramage
Aux fons éclatans
De leurs tendres accens,
Une onde docile
Rouloit plus tranquille
Ses paisibles eaux ,
Et les clairs ruiffeaux ,
Au tendre murmure 3°
Paroient la Nature
De ces lieux charmans
De leurs plus beaux préfens .
Les regrets , les langueurs , les foucis & les peines,,
JUILLET.
1749. 113
De ces climats heureux font bannis pour toujours
Les amoureux Zéphirs de leurs douces haleines
Les rafraîchiffent tous les jours,
Les charmes , les appas , les plaifirs & les graces ;
De nos heureux amans pour embellir les traces
Voltigent fur leurs pas , fuivis par les Amours.
Quand la conftance & la tendreffe
Réuniffent deux jeunes coeurs
Par les liens de la ſageſſe ,
Ils ne goûtent que des douceurs:
Tout charme un fi doux eſclavage g
Les ris , les jeux & les Amours ›
Qui leur font donnés en partage ,
Ne leur filent que d'heureux jours.
Quand la conftance , &c.
*3X+3X3 X++B +B X** X* X* X*
L'HY MEN.
Cantate à deux voix , & avec fymphonie
Par le même.
Tircis.
Enfin un doux hymen vient de combler mes
voeux ;
Vous vous êtes renduë à mon ardeur extrême
Je pourrai déformais vous avouer mes feux ,
714 MERCURE DE FRANCE
Et vous jurer fans ceffe , Iris , que je vous aime
Vous êtes faite pour charmer ;
De tous les coeurs vous méritez l'hommage ;
Mais le mien feul a l'avantage
De pouvoir affez vous aimer,
Qu'il eft doux de s'engager
Avec l'objet que l'on aime !
L'on repofe fans danger
Dans le fein du plaifir même.
Plaignons les coeurs que l'Amour
Fait gémir dans fon empire,
Si l'hymen ne vient un jour
Finir leur cruel martyre.
Qu'il eft doux , & c.
Iris.
Je chéris , il eft vrai , le noeud qui nous engage ;
Mon coeur à vous aimer trouve mille plaifirs ;
Mais ce coeur pouffe auffi quelquefois des foupirs,
Et dans le calme même il redoute l'orage.
Vous fûtes mon amant , vous êtes mon époux ,
Sans ce titre jamais vous n'auriez fçû me plaire :
Toutefois pardonnez un aveu trop fincére ,
C'est toujours mon amant que je veux voir en vous,
魔
Lorfque l'Amour nous follicite ,
JUILLET. 1749
Il nous promet mille douceurs ;
Mais que rarement il s'aquitte ,
Lorfqu'il eft maître de nos coeurs !
Heureux qui peut le fuir fans ceffe
Mais hélas ! comment l'éviter !
Il connoît trop notre foibleffe ;
Nous aimons trop à l'écouter.
Lorfque l'Amour , & c.
Tircis..
J
Vos foupçons , belle Iris , vos injuftes allarmes ,
Offenfent mon coeur & vos charmes ;
Goûtons les biens parfaits qui nous font deftinés ,
Au refte des mortels que notre exemple apprenne .
Que ceux qu'un doux hymen enchaîne
Sont les feuls amans fortunés.
Duo
Dieu des tendres fâmes
Regne dans nos coeurs
Que toujours nos ames
Sentent tes ardeurs.
Toutes les careffes.
D'un objet charmant ,
Si tu ne nous bleffes ,
Touchent foiblement.
Dieu des , & c.
,
116 MERCURE DE FRANCE
LETTRE
De M. Rameau à M. Remond de Sainte
J
Albine.
E ne puis me difpenfer , Monfieur ,
de relever un fait avancé dans le
Journal des Sçavans du mois dernier , fur
mon Opera de Platée.
Il y eft dit, à propos des Poemes Lyri- comiques
du feu fieur Hautreau ,
que des
cinq Poemes de ce genre de cet Auteur ,
il n'y a eu que Platée qui ait paru fur le
Théatre , & qu'il n'a pas réuffi , quoique
mis en mufique par , &c.
Je paffe fous filence l'éloge que ces
Meffieurs ont bien voulu faire néanmoins
de mes talens , & je leur en fuis toujours
bien obligé ; mais je vous avoue qu'un peu
plus d'exactitude m'auroit flatte davantage.
Je ne crois pas qu'il y ait eu au Théatre
de fuccès plus marqué que celui de
Platée..
Les fept premieres repréſentations don
nées dans l'efpace de dix jours , & que
L'on pourroit équitablement réduire à fix ,
vû qu'il fut joué le Jeudi , jour du Feu de
JUILLET . 1749. 117
PHôtel - de- Ville , & les trois derniers
jours gras confécutivement , ont produit
19672 liv . 10 fois.
Les fix repréfentations qui en ont été
données enfuite dans le Carême , uniquement
pour fatisfaire à l'emprellement du
Public , l'intention n'ayant été d'abord
que de le donner en carnaval , ont produit
11892 liv. ce qui fait près de 32000
liv. en treize reprélentations .
Cela joint à la comparaison des dernieres
repréfentations de ce Ballet , donné
les Mardis & les Jeudis , avec les premieres
d'un ouvrage d'un autre genre , que
l'on donnoit les Vendredis & les Dimanches
, font des preuves écrites que je ne
me ferois jamais crû dans la néceffité d'oppofer
, tant la chofe eft notoire ; auffi n'eftce
point pour rectifier cet Ecrivain auprès
des perfonnes qui habitent Paris , que je
Vous fupplie , Monfieur , d'inférer ma Lettre
dans le Mercure , mais bien pour les
Provinces , qui ne peuvent être inſtruites
de beaucoup de faits que par les
Journaux , & que l'on devroit par conféquent
avoir plus d'attention à ne pas induire
en erreur. D'ailleurs je fuis trop jaloux
des fuccès que le Public daigne accorder
à mes ouvrages , pour fouffrir qu'on cherche
à en diminuer le nombre.
116 MERCURE DE FRANCE .
Pénétré de la plus vive & de la plus fincére
reconnoiffance des nouvelles marques
qu'il vient de me donner encore de fa
bonté , à l'occafion de mon Opera de la
Paix , j'ofe vous affûfer que je ne me fens
que plus encouragé à mériter la continua
tion d'une faveur qui a été & fera toujours
l'objet de tous mes voeux , & que je
ne défiterois rien tant que d'être plus à portée
de lui procurer encore plus de plaifir
& de pouvoir à mon gré pouffer auffi loin
que j'en puis être capable , un art qui a
fait feul l'occupation de toute ma vie.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Les mots des Enigmes & des Logogryphes
du fecond volume de Juin , font le
Mercure , le femblable , le miroir , l'inftant,
le col , fable , ail & chalumeau . Dans le
premier Logogryphe , qui exprime auffi la
ville & le Marquifat de Sablé , dans le
Maine , en mettant un trait fur l'é , on
trouve bal. , Albe , Bufle , fale , bas , baſe ,
la , Abel , Bela , Ela , Seba , bel , fel , bale
de fufil , bale d'Imprimeur , bale de paume.
On trouve dans le fecond alia , Ali,
Lia , la & la , fille d'Atlas. Le troifiéme
renferme tous les mots qui y font ex
primés.
JUILLE T. 1749. 119
ENIGME.
Avant de devenir ce que tu me vois être ;
Je change quatre fois & de nom & d'état .
Jouet infortuné du fort qui me fait naître ,
Jeune on m'arrache & rompt ; vieux on me noye
& bar.
Enfin c'eſt fous les coups & dans le fein de l'onde
Que l'art ingénieux me forme & reproduit.
Je deviens être utile à prefque tout le monde ,
Même au trifte mortel que fon bâton conduit.
Je ferois infini fi je donnois la lifte
De tout ce qui par moi ſe débite & fe fait ;
Trop d'ardeur me détruit , trop d'humide m'atrifte
.
Je me trahis moi-même & donne mon fecret.
Roy , l'aîné.
De Langres , le 15 Avril 1749.
LOGOGRYPHE.
L'Age d'or finiffoit , lorfque j'ai pris naiffancea
Dès que je fis voir ma puiffance ,
Auffi-tôt la vertu remonta dans les Cieux :
120 MERCURE
DE FRANCE.
Ce fut moi qui forçai les Dieux ,
Juftement irrités , à s'armer du tonnerre.
Depuis ce tems je regne & défole la terre.
J'eus toujours ans la France un ennemi puiffant ;
Qui puoitles efforts de mon bias infolent.
Si , L. &teur, à ces traits tu ne peux me connoître ,
Combine les cinq pieds qui compofent mon être..
Les trois premiers feront paroître
Les
L'effet fubit de la frayeur ;
quatre derniers font le tourment d'un rimeur ;
Qu'on détange le tout , c'eſt une Ile de France ;
Ce que cherchent les dents de tout vieillard trem¬
blant ;
Deux Notes de plein chant ;
Un terme familier à la reconnoiffance ;
Le haut d'une montagne ; un terrible Elément ;
Une paffion furieuſe ;
Le fruit utile & merveilleux
D'une mouche laborieuſe ;
J'en dis affez , Lecteur , devine , tu le peux,
Par A. N. S. D.
A Paris , à la Communauté de fainte
Barbe , le 28 Janvier 1749.
AUTRE
JUILLET.
1749.
AUTRE.
DEs que la
diligente
Aurore¸
Dans le plus brillant appareil ,
Annonce à l'Univers le retour du Soleil ,
Je célebre l'enfant qu'à Cithere on adore.
Des neufpieds qui forment mon corps ,
Si tu démembres la ſtructure ,
Six fupprimés , je fuis dans la Nature
Ce que jamais Sçavant , malgé tous fes efforts ;
N'a pu jufques ici précisément connoître ;
Enfuite , en cherchant dans l'effain
Des mots que renferme mon fein ;
Bientôt tu pourras voir paroître
Deux notes; un beau titre ; un précieux métal ;
Un grand fleuve d'Egypte ; un petit animal ,
Qui dort la moitié de l'année ;
Les délices d'un chien ; le tems de la journée ;
Où Tircis fatigué raffemble fon bétail
Pour le reconduire au bercail ;
La graiffe que produit un animal immonde ,
Dont fix, un, huit, cinq, fept , formeront le mufeau;
Certaine Déeffe de l'onde ;
Un homme déja vieux ; ce qu'avec fon fuſeau
Fabrique une jeune bergere ,
En gardant fes moutons fur la verte fougere
Un meuble de cuifine ; une fleur ; un oifeau ;
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi des animaux ; une couleur obfcure ,
Qui de l'aftre du jour abſorbe les rayons ;
L'inftitut néceffaire à l'humaine Nature ;
Une espece de grain ; trois Villes .... Finiffons ;
C'eft affez te donner , Lecteur , la tablature.
Q
Brunet de Dijon.
A UTR E.
Uelquefois falutaire ,
Très-fouvent néceffaire ;
De huit pieds mon corps eft formé.
Un , deux , trois , quatre , un peuple renommé ;
Un, deux, trois, fix & huit , le pays qu'il habite ;
Un, fix , fept, huit , d'un fat je fais tout le mérite ;
Un ,fix & deux , ce que cherche un vieillard ;
Deux , fept , quatre avec huit , Héros dont les
hazards
D'un Poëte Latin éternifent la gloire ,
Et le rendent célebre au Temple de Mémoire ;
Trois & fix , un & deux , la portion de fruit
Dont le Seigneur jouit.
Un , deux , trois , huit & quatre , une femme fa
meufe
Par fa méchanceté.
Sept , fix , cinq , deux je ſuis une Cité ,
Dans ces derniers tens malheureufe
JUILLET . 1749. [23
Ajoutez huit , autre Ville , où l'erreur
Fut condamnée avec fon défenfeur .
Cinq ,fix & trois , Seigneur dont le courage ;
Malgré les traits d'une envieuſe rage ,
Au Théatre François paroît avec honneur ;
Mais c'eft affez , adieu , Lecteur ,
Scache pourtant qu'une parente
Sous cinq membres encore à tes yeux fe préfente.
Par M. Gir. de Mont.
AUTR E.
E ne fuis point encor ce qu'un jour je dois
JE
ême ,
Je differe pour mieux connoître
Ce qui doit bientôt m'éclairer .
Chez moi , Lecteur , tu peux trouver
Un Roi , Législateur d'une Ville naiffante
Qui devint depuis très- puiflante ;
Animal refpecté par le Mahometan ,
Un autre animal moins méchant ,
Dont plus d'un Auteur fait l'éloge ,
Et chez qui patience loge.
D'un très -beau jeu terme fatal.
Ton muſical.
Un fils du Patriarche
Qui fe fauva dans l'Arche.
D'habit & d'inſtrument certaine portion ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Une exclamation ;
Autre encore ; une Danfe
Qu'on doit apprendre dès l'enfance ,
Et qu'il ne faut point négliger ;
Ce qu'on voit fouvent dégoûter ;
Un Etudiant en Grammaire ;
Un homme obligé de fe taire ;
Equipage d'un grand Seigneur ,
Qui fait bruit , profit & honneur
De l'homme enfin la plus noble partie.
A toi , Lecteur , ma carriere eft finie,
Par le même,
AUTRE.
CE n'eft qu'après la mort
De celui dont je fors ,
Que l'on me fait changer d'état & de figure ;
Je remplace dans la Nature ,
Et fur tout dans un certain tems ,
L'éclat d'un aftre renaiffant.
En combinant , je fuis excellent Aromate ;
Un animal prefque automate ;
De Normandie une belle Cité ;
'Arme offenfive & dont coup fut porté ,
Qui devroit chaque jour faire couler nos larmes,
Stérile lieu fans culture , fans charmes ;
Pour la plupart des jeunes gens.
Trés- agréable amufement ;
JUILLET.
1749. 125
Du tems une partie
Qui regle celui de la vie.
Autre choſe chez moi peut encor ſe trouver ,
Mais c'eſt aſſez , Lecteur , pour te faire rêver.
Par le même.
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX - ARTS , &c.
SUITE DE L'EXTRAIT
Du Livre intitulé LE COMEDIEN.
pas
Ddreavec la multitude les perfonnes
E même qu'on ne doit confor
D
"
qui
ont du goût & du difcernement
, on
doit auffi diftinguer
deux claffes parmi les
Spectateurs
de cette feconde
efpece ; »> Chez
» les uns , dit M. Remond
de Sainte Albine ,
» l'efprit
juge fainement
de ce qu'on lui.
» préfente
, mais renfermé
dans certaines
» bornes , il n'examine
pas fi ce qu'il voit,
» eft tout ce qu'il avoit droit d'attendre
.
» Chez les autres , une imagination
vivé.
» & féconde
accompagne
une raifon droi-
» te & lumineufe
, & ceux-ci , ne fe contentant
pas que ce qui leur eft offert , ſoit
bon , fe plaignent
fi on ne leur donne.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
» pas tout ce qu'ils efperoient . Quand un
» Acteur met à peu près dans fon action
» & dans fa récitation toute la vérité con-
» venable ; quand il ne laiffe appercevoir
» nulle part le travail ni l'effort , les Spectateurs
de la premiere claffe ne deman-
» dent pas davantage , parce qu'ils n'imaginent
rien au- delà . Il n'en eft pas de
» même de ceux de la feconde . A leur
» tribunal , il y a entre le jeu qui n'eft que
» naturel & vrai , & celui qui de plus eft
» ingénieux & fin , la même difference
qu'entre le livre d'un homme qui n'a
:» que du fçavoir & du bon fens , & le livre
d'un homme de génie . Ils veulent non-
>feulement que le Comédien foit copiſte
» fidéle , mais encore qu'il foit créateur.
C'est dans ce dernier point , que l'Auteur
fait confifter les finelles de l'art des
Comédiens.
»
"
Quelque application qu'un Poëte Dra-
» matique apporte à la perfection de fon
ouvrage , il ne penfe pas à tout , & il
» lui arrive quelquefois d'omettre diver-
» fes chofes , qui auroient fait grace dans
fa Piéce. De tems en tems auffi , la gêne
de la mefure & de la rime ne lui permet
" pas de dire tout ce qu'il fent , & , par la
» fuppreffion d'un mot qu'il ne peut pla-
» cer , une idée fine eft perdue pour
JUILLE T. 1749. 127
» un grand nombre de perfonnes , fi le
» Comédien ne les aide à la découvrir.
» Au lieu que les Acteurs médiocres ne
voyent que par les yeux du Poëte ; au
» lieu qu'ils ne foupçonnent point qu'il
ait pû rien ajoûter à ce qu'il dit , les re-
» marques qui lui ont échappé, font faifies
» par les Acteurs fupérieurs , & ce qui
»manque dans le dialogue,fe retrouve dans
» le jeu . Avec eux , on peut fans riſque
» omettre ou fous entendre . On eft toujours
für du fupplément & du commena
taire .
M. Remond de Sainte Albine , après avoir
examiné les fineffes de l'art du Comédien
par rapport à ce qui conftitue leur effence ,
les confidere par rapport à leur differente
deſtination , & il entre dans le détail de
celles qui appartiennent particulierement à
la Tragédie , & de celles qui ne conviennent
qu'au Comique. Nous rapporterons
feulement quelques fragmens du Chapitre
où il eft parlé de ces dernieres.
» Vous devez dans la Tragédie , ob-
» ferve l'Auteur , nous préfenter toujours
»votre perfonnage fous les faces qui lui
font le plus avantageufes. Dans la Co-
» médie , vous êtes fouvent obligé de nous
» le préfenter fous celles qui le lui font
moins. Elle fe plaît fingulierement à
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
•
و د
à nous peindre l'homme extravagant &
» foible ..... Par un air ridiculement précieux
, plutôt que par un fentiment réfléchi
, certaines perfonnes mettent une
grande diſtance entre le Comique noble
» & ce qu'elles appellent injurieufement le
» bas Comique ...... Il faut cependant
» pour le moins autant de génie , & aux
» Poëtes , & aux Comédiens , pour être
» fupérieurs dans un genre , que pour ex-
» celler dans l'autre. Le Comique noble
» ne nous montre la nature que polie par
» l'éducation ; le Comique du genre oppofé
nous la montre privée de cette
" ture. A cette difference près , non - feule-
» ment les deux genres ont le même objet,
» celui de nous corriger ou du moins de
» nous amufer , mais encore ils puifent
» leurs fineffes dans les mêmes fources
, dont le nombre fe réduit à deux .
»Les Acteurs Comiques excitent notre
» gayeté , ou par l'air rifible qu'ils prêtent
» à leurs perfonnages , ou par le talent
qu'ils ont de nous faire rire des autres
»perfonnages de la Piece .
"
و و
cul-
» Il eft une infinité de moyens de fatis-
»faire à la premiere obligation , & celui
auquel il faut principalement avoir re-
" cours , eft de profiter des circonstances
» qui peuvent fervir à faire fortir le ca
و ر
JUILLET. 1749. 129
"
ractére du perfonnage..... Vous nous
» peignez un faux libéral. 11 eft contraint
» de faire une largeffe , & le hazard veut
qu'il laiffe tomber quelque monnoye .
» Il doit la ramaffer & fe hâter de la re-
» mettre dans ſa bourſe .
"
>>
L'Auteur fait une longue énumération
des autres moyens , dont les Acteurs Comiques
peuvent ufer pour rendre rifible
le perfonnage qu'ils repréfentent. Ils y
réuffiffent , en développant avec foin tous.
les défauts qui entrent dans la compofition
du caractère de ce perfonnage ; en lui prê
tant les tics communs chez les perfonnes
de fa condition ; en ayant attention , fi par
hazard le Poëte ne l'a pas caractérisé par
quelque travers , de lui donner ceux qu'on
peut vrai femblablement lui fuppofer ; en
faifant lire dans fes moindres actions , furtout
dans celles qu'il eft cenfé commettreinvolontairement
, le jeu des paffions qui
l'agitent ; en employant certaines difparates
& divers contraftes que le Spectateuc
n'attendoit pas , mais qu'il eſt étonné , lorfqu'il
les apperçoit , de n'avoir pas prévûs.
Ce n'eft pas affez qu'un Acteur Comique
fonge à faire rire de fon perfonnage,
Il doit chercher , s'il fe propofe de jouer
finement , à nous réjouir aux dépens des
Fy
130
MERCURE DE FRANCE.
>>
autres parfonnages de la Comédie . M. Remond
de Sainte Albine remarque que les
Comédiens pour cela n'ont befoin fouvent
que des feuls fecours que la Piéce leur offre
. » Ces fecours font de deux efpéces.
»Par les uns , la leçon de l'Acteur lui eft
» toute dictée , & pour les mettre à profit ,
» il n'a qu'à rendre littéralement fon rôle.
Les autres ne lui font utiles qu'autant
» qu'il fçait en faire ufage . De ce nombre
font certaines ironies délicates , cer-
» taines allufions malignes , qui ne font
» pas diftinctement prononcées par le dia-
» logue ....
»Une des reffources les plus fûres que
les Comédiens puiffent trouver dans la
>> Piéce, pour atteindre au dernier des deux
»buts propofés , eft l'occafion que le Poëte
» leur donne de parodier quelques-uns des
»perfonnages avec lefquels ils font en fcé-
» ne. Ces imitations font fréquentes dans
» la Comédie . Elles font fuppofées être
» dictées , tantôt par le reffentiment , ainfi
» que dans la Scéne du Milantrope , où
>> Ĉelimene emprunte les tons de la prude
» & jalouſe Arfinoë ; tantôt par le fimple
>> enjouement , comme lorfque Damon
dans le Philofophe marié répete après
>> Celiante ,
JUILLET. 1749: 137
Ce portrait- là n'eft pas fort à votre avantage ,
Mais malgré vos défauts je vous aime à la rage .
» Et lorfque Pafquin dans l'Homme à
>> bonnes fortunes , ** affectant les grands
>> airs de fon maître , adreſſe à Marton les
» mêmes difcours tenus par Moncade à cet-
>> te Suivante.
Si les grands Acteurs , ajoûte M. R. de
S. A. ne peuvent tirer de la Piéce les fecours
dont ils ont befoin , ils les tirent de
leur propre génie. Guidés par ce maître ,
ils s'ouvrent plufieurs routes qui les conduifent
à la fin en queftion.
Le Chapitre des fineffes du Jeu comique
eft fuivi d'un expofé des regles générales
, qu'on doit obferver dans l'ufage
des fineffes. L'Auteur explique enfuite ce
qu'on doit entendre par Jeux de Théatre ,
& il donne fur cette partie de l'art des Comédiens
quelques préceptes importans.
4
Dans le dix- feptiéme Chapitre , il parle
de la néceffité dont il eft que les Acteurs
varient leur jeu . » La varieté , dit-il , eſt
» encore plus effentielle à l'Acteur Comi-
» que qu'à l'Acteur Tragique. La Comédie
» s'égaye indifferemment à tout peindre ,
& tout original eft bon pour elle , dès
* Acte 2. Scene 5.
** Acte 1. Scéne 12.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
» qu'elle efpere de faire rire de la copie.
» Moins libre dans le choix des fujets de
»fes tableaux , la Tragédie a coûtume de
" n'offrir à nos regards que des perfonna-
2 ges illuftres. Son principal objet eft de
> nous toucher par des malheurs extraordinaires
, ou de nous étonner & de nous
inftruire par de grands exemples , & elle
»fe met peu en peine fi les Héros d'une
Piéce reffemblent à ceux d'une antre.
» Pourvû qu'elle nous conduife par l'incertitude
, par la crainte & par les lar-
» mes , juſqu'à la cataſtrophe , nous fom-
» mes contens ; & lorfque les Acteurs ,
» qu'elle introduit fur la fcéne , font pla-
»
cés dans une fituation intéreffante &
» neuve , lorfqu'ils agiffent & parlent con-
»venablement à leur fituation , nous n'exa-
>>minons point s'ils ont les mêmes caractéres
» que nous avons vûs déja plufieurs fois au
Théatre. Nous ne nous ennuyons pas mê:
» me d'y voir reparoître les mêmes Héros ,
" fi par de nouveaux moyens ils nous re-
» plongent dans de nouvelles allarmes.
Selon M. R. de S. A. quelque reffemblance
qui foit entre certains perfonnages,
ils different toujours par quelques nuances.
Il cite pour exemple le Beau-pere du Glorieux
& l'oncle du Philofophe marié , & il
montre que s'ils font tous les deux bruf
JUILLET . 137 1749.
ques , ils le font de diverfes manieres &
par des principes differens ;
" que la brufquerie
du premier n'a rien d'airogant ni
d'injurieux ; que celle du fecond eft hautaine
& défobligeante ; que l'une pent
» fubfifter fans fottife & fans vices , que
» l'autre fuppofe la groffiereté de l'efprit
» & la dureté du coeur , & qu'en s'appli
» quant à caractériſer ce qui diftingue ces
» deux Financiers , l'Acteur fera difparoî-
» tre leur prétendue reffemblance .
M. R. de S. A. veut que les Comédiens
varient leur jeu , non-feulement lorfqu'ils
jouent des rôles qui fe reffemblent , mais
encore lorfqu'ils jouent le même rôle. »Les
perfonnes de Théatre , remarque - t'il , ne
م د
» font
pour l'ordinaire fi uniformes , que
»parce qu'elles jouent plus de mémoire que
» de fentiment. Quand un Acteur , qui a
» du feu , eſt bien pénetré de fa fituation ;
» quand il a le don de fe transformer en fon
>> perfonnage, il n'a pas befoin d'étude pour
» varier. Quoiqu'obligé en jouant le mê-
»me rôle , de paroître le même homme ,
>> il trouve le moyen de paroître toujours
"
» nouveau .
En vain le jeu Théatral eft-il parfaitement
vrai. En vain eft- il naturel. En vain
eft -il fin & varié. Il manquera encore
quelque chofe à l'Acteur pour nous
134 MERCURE DE FRANCE.
plaire , s'il ne joint à ces avantages les gra
ces du débit & de l'action . L'Auteur ayant
annoncé ailleurs , que tout doit être majeftueux
dans la Tragédie , & par conféquent
ayant renfermé en un un feul mot
tout ce qu'on peut dire fur les graces propres
aux Acteurs qui chauffent le cothurne,
il ne lui reftoit à traiter que des graces néceffaires
aux Acteurs Comiques.
Celles qu'exige le Comique noble ,
ne font autre chofe , dit M. R. de S. A.
que l'art de rendre la nature élégante jufques
dans fes défauts. L'Auteur exhorte
quiconque n'eft pas capable de donner à
fon jeu cette élégance aimable, à renoncer
au haut Comique , ce qu'il conſeille
aux Acteurs , il le recommande encore plus
aux Actrices. » Ce vernis duifant , cet
élégant je ne fçais quoi , qui nous charme
» dans le jeu comique du genre noble , doit
» varier felon les tableaux , mais on veut
»toujours le reconnoître . Tantôt ce font
» les graces vives & légeres que diftinguent
» la jeuneffe Françoife , & qui feroient les
» plus défirables de toutes , fi elles n'étoient
» pas fi fouvent en divorce avec les qualités
folides & effentielles. Tantôt ce font
» des graces moins enjouées. La gayeté fri-
» vole du Petit- Maître ne fied point au Glorieux
ni même à l'Homme à bonnes forJUILLET..
1749
135
» tunes. Elle s'accorde mal avec le carac
» tére d'un Important toujours occupé du
>>foin d'imprimer le refpect ou de la crain-
>> te qu'on ne lui en manque , & avec le
»fyftême d'un Galant ſcélérat , qui fe fair
» une étude de tromper méthodiquement
» des Beautés crédules... •
Puifque nous demandons des graces ,
même quand on copie des défauts , à plus
forte raifon en demandons- nous , quand
on repréfente des perfonnages caractérisés
feulement par quelque foibleffe , furtout
fi ces perfonnages font deſtinés à exciter
l'intérêt . Dans certains rôles , les graces
naïves font les plus importantes. Dans
d'autres , ce font les graces nobles qui font
les plus néceffaires. » Et qu'on ne croye
» pas , ajoute l'Auteur , que le privilége
» de nous rejouir foit incompatible avec
» les graces nobles... Qu'on ne croye pas
» non plus , que nous n'exigions des gra-
» ces que chez les Acteurs qui jouent dans
» le haut Comique . Nous en exigeons
» même chez ceux dont les perſonnages
» font difpenfés d'en avoir.... Que votre
» perfonnage reffemble aux perfonnes de
»fa condition , mais qu'il leur reffemble
» en beau . Colette au Théatre , n'eft pas
» la même que dans fon village . Il doit y
»avoir entre fes manieres & celles de fes
"
156 MERCURE DE FRANCE .
» pareilles , la même difference , qui eſt
entre fes habits & ceux d'une payfanne.
» ordinaire.
Toute la Théorie , dont nous venons.
de rendre compte , eft éclaircie par des.
exemples deftinés à fixer les idées des Lecteurs
, & à répandre de l'agrément & de
la variété dans l'ouvrage. Ces exemples.
font empruntés de la maniere de jouer de
nos Acteurs les plus célébres , morts ou
vivans , que l'Auteur loue & critique , felon
qu'ils lui paroiffent mériter fes éloges
ou fa cenfure ; & autant qu'il eft poffible ,
les applications des préceptes font prifes
dans les plus belles Scénes des meilleures
Piéces du Théatre François.
Avant que ce Traité fût imprimé , certaines
perfonnes , foit par l'intérêt qu'elles
prenoient à M. Remond de Sainte Albine
, foit par d'autres motifs , firent leurs
efforts le détourner de traiter un
pour
fujet , qu'elles prétendoient ne devoir
fournir que des détails fecs & minutiels.
On peut juger, en lifant cet article , & ceux
inferés dans les Journaux des Sçavans &
de Trevoux , fi elles avoient raifon.
La même matiere , qu'elles avoient d'abord
regardée comme ftérile , leur a femblé
très-abondante , après que l'ouvrage a
vû le jour , & quelques-unes d'elles , qui
JUILLET. 1749. 137
avoient foutenu qu'elle ne pouvoit être
que l'objet d'une Lettre fort courte , ont
tenté d'infinuer qu'elle n'étoit qu'effleurée
dans un volume de trois cent cinquante
pages . C'eft auffi au Public à décider fur
ce point entre ces Juges & l'Auteur . M.
R. de S. A. n'a garde de croire avoir épuifé
fon fujet . Il eft perfuadé qu'on auroit
pû dire plus de chofes qu'il n'en a dit ,
& qu'il n'en a même apperçu . Mais il a
lieu de préfumer , que s'il en avoit oublié
d'effentielles , on auroit relevé fes omiffions.
En tout cas , il fouhaite qu'on les
lui faffe remarquer , & il profitera , avec
reconnoiffance , des avis par lefquels on
voudra bien fuppléer à fes lumieres .
·
Ses Cenfeurs condamnent particulierement
le parti qu'il a pris de ne parler que
de l'action théatrale. Ils auroient voulu
qu'il eût traité en même tems de l'action
du Bareau , & même de celle de la Chaire.
Comment n'ont- ils pas fait attention que
cet affemblage auroit formé un mêlange
bizarre , & qu'en embraffant des objets
d'efpéces fi differentes , il étoit impoffible
de garder cette unité de ton & cette har
monie de coloris , auffi néceffaires dans les
écrits que dans les tableaux ?
Des perfonnages refpectables ont fait un
autre reproche à l'Auteur. Ils convien
138 MERCURE DE FRANCE.
nent qu'il n'y a de matieres ingrates que
pour les Ecrivains fans génie. Ils avouent
même que celle choifie par M. Remond
de Sainte Albine pouvoit donner
prife à une Métaphyfique très -fine , &
étoit fufceptible de beaucoup d'ornemens ,
fi elle étoit maniée par une imagination
féconde & riante , mais ils témoignent quelque
regret de ce qu'il s'eft exercé fur un
fujet qui à leurs yeux eft frivole . Ils font
priés d'obferver que ce qui a pour eux une
apparence de frivolité , ne l'a pas pour un
grand nombre d'autres perfonnes. De tout
tems , on a compté les amuſemens parmi
nos befoins ; & de tous les plaifirs recherchés
par les Nations policées , il n'en eft
point pour qui elles ayent montré un goût
plus vif que pour les fictions theatrales.
Sans doute , on fera toujours plus louable,
en effayant de nous rendre meilleurs ,
qu'en travaillant à perfectionner les
moyens de nous amufer. Mais ce dernier
objet n'a jamais paffé pour indigne des recherches
d'un homme d'efprit.
De plus , c'eft une occupation trèsdigne
même d'un Philofophe , que de s'appliquer
à foumettre au raifonnement un art
qui fembloit n'être que du reffort du fentiment
; à porter le jour dans une matiere ,
fur laquelle on avoit peu de principes
JUILLET. 1749. 139
clairs & ſuffiſamment développés ; à combattre
des préjugés , auffi généralement
qu'anciennement établis , & à donner des
fignifications déterminées à une infinité
de mots , employés continuellement & jamais
définis.
Au refte , fi les Juges dont nous parlons,
blâment indiſtinctement tout ce qui ne
· porte pas le caractére férieux , on n'a rien
à leur répondre. Si au contraire ils croyent
que le fpectacle ne doive pas être profcrit,
s'ils ne traitent pas de pures bagatelles
toutes les Piéces de Théatre , & les ouvra
ges qu'Ariftote & d'autres Sçavans illuftres
ont écrits fur l'art de compofer les
Poëmes Dramatiques , on demande pourquoi
l'on donneroit le nom de frivole à
ún Livre fur l'art d'ajouter une nouvelle
perfection à ces Poëmes par la vérité de
la repréſentation .
à
Peut-être en finiffant cet article , conviendroit-
il d'examiner fi l'ouvrage de M.
R. de S. A. doit contribuer effectivement
procurer cet avantage . Il feroit du moins
facile de prouver la fauffeté des allégations
de quelques gens à talent , qui ayant intérêt
que nous n'ayons point de régles
fixes pour les juger , s'efforçent de nous
perfuader que dans les Arts de goût les
moyens de réuffir font arbitraires , &
140 MERCURE DE FRANCE.
qu'ainfi l'on ne peut établir à ce fujer une
théorie conftante. Cette difcuffion nous
meneroit trop loin , & elle pourra faire
dans la fuite le fujet d'une Differtation
particuliere.
TRAITE' des maladies des yeux. Par M.
Herman Boerhaave . On y a joint fon Introduction
à la Pratique Clinique ; fes
leçons fur la pierre ; quelques defcriptions .
de maladies , & diverfes confultations du
même Auteur. Le tout traduit du Latin ,
& orné de figures en taille douce. A Paris,
rue Saint Jacques , chez Briaſſon , à l'Ange
Gardien & à la Science , in - 12. page 371 .
Avec Approbation & Privilége.
Le nom de M. Boerhaave eft fi connu ,
qu'il eft inutile de faire l'éloge de ce fçavant
Médecin . Tous les ouvrages , dont
on nous donne ici la Traduction , avoient
été imprimés , mais avec plufieurs lacunes
& avec un grand nombre de fautes , qu'un
Copifte ignorant y avoit femées prefque à
chaque page. Le Traducteur annonce qu'il
a fait en forte de fuppléer aux unes , & de.
corriger les autres.
$
M. Boerhaave divife fon Traité des Ma-.
ladies des yeux en trois Parties . Dans la
premiere , il examine les affections des
parties externes de cet organe . Il décrit,
dans la feconde les accidens , qui furvienJUILLE
T. 1749. 141
nent aux parties internes . La troifiéme
partie contient diverfes obfervations fur
la vûe obtuſe , fur la vûe louche , fur la
vûe confufe , fur le ftrabifme * , fur l'ufage
des microſcopes , fur la vûe des vieillards ,
& fur la myopie , c'eſt-à - dire fur la vûe
courte .
Les Réflexions fur la Pierre jointes à ce
Traité , n'ont point été publiées d'après
un manufcrit de l'Auteur. Elles font don
nées telles qu'on a pû les recueillir de fes
leçons verbales. Il ne faut point y chercher
les agrémens du ftyle , mais on y trouvera
beaucoup de méthode & de clarté , plufieurs
vûes ingénieufes & fçavantes , & un
grand nombre d'expériences auffi curieufes
qu'utiles.
NOUVEAUX MEMOIRES d'Hiftoire , de
Critique de Littérature , par M. l'Abbé
d'Artigny. A Paris , chez de Bure , l'aîné ,
Quai des Auguftins , à l'Image Saint Paul ,
1749. Avec Approbation & Privilége
in- 1 2. pp. 502 , en y comprenant la Table
& l'Errata.
Ces Mémoires font écrits d'un ftyle facile
, & il y regne une très- grande variété.
Les principaux roulent fur l'étude de la
On nomme ainfi l'incommodité des perfonnes
, dont un oeil regarde en haut & l'autre en
hasa
142 MERCURE DE FRANCE.
Chronologie ; fur les Antiquités Egyptiennes
& Chaldéennes ; fur l'origine de la
Magie & des autres fuperftitions ; fur quelques
particularités romanefques de la vie
de Moyfe , inventées par les anciens Rabbins
; fur l'époque du Regne de Sefoftris ;
fur l'existence des Géans ; fur l'origine &
les Dieux des Philiftins ; fur les fectes des
Juifs fur les richeffes immenfes que David
laiffa à Salomon , pour la conftruction du
Temple de Jerufalem ; fur le caractére de
Bayle , fur fon Dictionnaire , & fur fes
amours avec la femme du Miniftre Jurieu .
Sur les prétendus fragmens de Petrone ,
publiés par
M. Nodot ; fur un endroit de
la Bibliothèque Françoiſe , de M. l'Abbé
Goujet ; fur une anecdote intéreffante , qui
concerne le Marquis de Langallerie ; fur
les leçons diverfes de Pierre Meffie ; fur
les Noëls Bourguignons , de M. de la
Monnoye ; fur quelques Fables débitées ,
par Jean Struys & par Tavernier ; fur plufieurs
Libelles publiés dans le tems de la
Ligue.
CHOIX de differens morceaux de Poëfie ,
traduits de l'Anglois , par M. Trochereau.
A Paris , chez la veuve Piffot , Quai de
Conti , à la defcente du Pont- neuf, à la
Croix d'or , & chez Piffot fils , Quai des
Auguftins , à la Sageffe , 1749 , in-12
Pp. 206.
JUILLET . 1749. 143
•
Les piéces contenues dans ce Recueil ,
font l'Effai du Duc de Buckingham , fur la
Poëfie ; l'Effai du Comte de Rofcomon , fur
la maniere de traduire les Poëtes ; le Temple
de la Renommée , par M. Poppe ; l'Ode de
M. Dryden , fur le pouvoir de la Mufique
& le petit ouvrage de M. Pomfret , fur le
choix d'un genre de vie. La Traduction de
chaque Poëme eft précedée d'une vie abregée
de l'Auteur qui l'a compofé , & à la
tête du Recueil eft unDifcours préliminaire
dont nous parlerons dans un autre Mercure
.
NOUVELLE TRADUCTION de Salufte ;
avec des notes critiques fur le texte , par
M . *** , de l'Oratoire . A Paris chez
Lottin & Butard , rue Saint Jacques , in-
12. de 304 pages .
›
EXTRAIT d'un Traité démonſtratif de
la quadrature du cercle , & de la duplication
du cube , contenant des principes.
nouveaux , par M. ** . A la Haye , 1748 ,
in-4° . de 26 pages , fans compter les planches.
HISTOIRE générale d'Allemagne , par
le Pere Barre , Chanoine Régulier de
Sainte Geneviève , & Chancelier de l'Univerfité
de Paris. Tome IX. qui com
prend les regnes depuis 1558 , jufqu'en
44 MERCURE DE FRANCE.
1658. A Paris , chez Delefpine & Herif
fant , de 896 pages.
LUDOVICO XV. victori Pacifico Panegyricus
dictus in Collegio Divio- Godranio Soc.
JESU , à Claudio Bichot , Societatis ejufdem
Prefbytero , xiy Kal . Décembris annò 1748,
in- 1 2. de 34 pages . A Dijon , chez Defaint
, 1749.
DISCOURS qui a remporté le prix d'Eloquence
, par le jugement de l'Académie
Françoife , en l'année 1748 , avec plu-
Geurs Piéces de Poëfie , dédiées à Madame
la Dauphine , par M. Soret , Licentié en
Droit. A Paris , chez Claude Hériffant ,
rue neuye Notre- Dame , in- 12 , de So pages.
BENEDICTI XIV. Pont. Opt. Max. olim
Profperi Card. de Lambertinis primùm Anconitana
Ecclefia Epifcopi, deinde Bononienfis
Archiepifcopi , de Synodo Diacefanâ Libri
VIII, nunc primùm editi ad ufum Academia
Liturgica Conimbricenfis , Rome , 1748 , in-
4° . 649 pages.
VENERABILIS Viri Jofephi- Marie Thomafii
S. R. E. Card. opera omnia. 3
in-4°. Roma.
vol.
DELLA Hiftoria Ecclefiaftica defcritta da
F. Giuseppe Agostino Orfi dell' Ordine de
Predicatori , Segretaria della Sacr. Congreg.
dell
JUILLET. 1749. 145
dell' Indice. Tomes 3. in 4° . Roma. On
trouve ces trois derniers ouvrages à Paris.
chez Cavelier , pere , Libraire , rue Saint
Jacques , au Lys d'or .
CAUSE & Méchanique de l'Electricité .
A Paris , chez Pierre Prault , Quai de
Gêvres.
- POETIQUE Françoife , à l'ufage des Dames
, avec des exemples. A Paris , chez
Ganeau , rue Saint Severin , à Saint Louis
& aux Armes de Dombes , 1749. Deux
volumes in-12 .
MARIE d'Angleterre , Reine- Ducheſſe :
Volume in- 12 . dédié à Madame la Marquife
de Pompadour , par Mlle . de Luffan.
A Amfterdam , chez Jacques Defbordes ,
près le Comptoir de Cologne , 1749.
SERMONS de M. Gafpard Terraffon , cidevant
Prêtre de l'Oratoire. Quatre volumes
in- 12. A Paris , chez Didot , Libraire
, Quai des Auguftins , à la Bible
d'or , 1749.
ABREGE' de l'Histoire générale du Languedoc
, par D. Vaiffette , Religieux Benedictin
de la Congrégation de Saint Maur.
A Paris , chez Jacques Vincent ,Imprimeur
des Etats de Languedoc , rue Saint Sevetin
, à l'Ange , 1749 , fix volumes in 12.
'HISTOIRE DE LOUIS XIV. depuis là
mort du Cardinal Mazarin en 1661 , juſ-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'à la Paix de Nimegue en 1678 , par
M. Peliffon , de l'Académie Françoife. A
Paris , chez Rollin , fils , Quai des Auguftins
à Saint Athanafe & au Palmier , 1749 ,
in-12. trois volumes.
OBSERVATIONS expérimentales fur les
éaux des rivieres de Seine , de Marne , fur
les eaux de puits , fur celles d'Arcueil , &
fur. les filtres & les vaiffeaux les plus propres
à purifier & à conferver l'eau. A Pas
ris , au Palais , chez Morel , le jeune , au
grand Cyrus , 1749 .
CODE VOITURIN , ou Recueil des Edits ,
Déclarations , Lettres Patentes , Arrêts &
Réglemens concernant les fonctions ,
droits , priviléges , immunités & exemptions
, tant des Meffagers Royaux que de
ceux de l'Univerfité de Paris , & autres
Voituriers publics , depuis 1200 jufqu'eh
1748. A Paris , chez Prault , Quai de
Gêvres , au Paradis , deux volumes in-4°.
COMMENTAIRES
fur la Coûtume du
Baillage & Comté d'Auxerre , ancien reffort
& enclaves , redigés en préfence &
du confentement
des trois Etats du Pays.
Par M. Jean- Baptifte Née de la Rochelle ,
Avocat du Parlement. A Paris , chez Bau
che , fils , Libraire , Quai des Auguftins , à
l'Image Sainte Genevieve , 1749 , in-4° .
LES TOMES 4,5 & 6 de la Bible
JUILLET. 1749. $ 47
en Latin & en François , avec les notes
littérales , critiques & hiftoriques
tirées du P. Calmet , in- 4° . A Paris , chez
Mariette , Guerin , Martin , Libraires , fue
Saint Jacques.
HISTOIRE des Hommes Illuftres de l'Ordre
de Saint Dominique, par le P. Touron ,
Religieux du même Ordre. A Paris , chez
Babuty , rue Saint Jacques , à Saint Chryfoftôme
, & Quillan , pere , rue Galande ,
à l'Annonciation , 1749 , in-4° . cinquième
volume.
€ INSTRUCTION Paftorale de M. l'Archevêque
de Tours, fur la Juſtice Chrétienne,
par rapport aux Sacremens de Pénitence &
d'Euchariftie. A Paris , de l'Imprimerie
de Guillaume Defprés , Imprimeur ordi
naire du Roi , & du Clergé de France
à Saint Profper & aux trois Vertus , 1749,
in-4° .
MEMOIRES pour fervir à commencer
'Hiftoire des Araignées aquatiques. A
Paris , chez Piffor , Quai des Auguftins , à
la Sageffe , 1749 , in‡ 1 2.⠀
CONFERENCES Eccléfiaftiques du Diocéfe
d'Angers , fur les cas réfervés , &c. Tome
III. A Angers , de l'Imprimerie de Pierre-
Louis Dubé , 1748 , & le trouve à Paris,
chez les freres Guerin , rue Saint Jacques ,
in-1 2. de 40
pages
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
LA VIE de Mahomet , traduite & compilée
de l'Alcoran , des traditions authentiques
de la Sonna , & des meilleurs Auteurs
Arabes , par M. Jean Gagnier , Profeffeur
en Langues Orientales à Oxfort.
Trois volumes in- 12 . A Amfterdam , chez
Weftein & Smith , 1748.
A
RECUEIL des Poëfies d'Adrien Reland :
par les foins d'Abraham Perrenot .
Utrecht , chez Henri Spruit.
QUESTION de Médecine , s'il faut bannir
tout vafe de cuivre de la préparation
des alimens ; propofée par M. François
Thierri de Thulle , Docteur de Pont-à-
Mouffon , fous la Préfidence de M. Falconet
, Docteur de Paris , &c. A Paris , chez
Quillau , 1749.
DISSERTATION fur la Chronologie des
Rois Mérovingiens , depuis la mort de
Dagobert I. jufqu'au Sacre de Pepin , &c.
par M. Gouye de Longuemare , Avocat au
Parlement , & Greffier au Baillage Royal
de Verſailles , in- 12. de 113 pages , en y
comprenant d'autres pièces détachées , de
207 pages. A Paris , chez Chaubert , Quai
des Auguftins.
DISCOURS prononcé à l'Académie d'Angers
, le Vendredi 24 Janvier 1749 , par
M. de la Blandiniere , Chanoine de Saint
Maarille , & Prieur de Saint Sulpice de
JUILLET . 1749. 149
Ballée , lors de fa réception à la place de
M. l'Abbé le Gouvello . A Angers , chez
Pierre- Louis Dubé , de 30 pages in- 4° .
ABREGE' de la Grammaire Françoife ,
ou principes généraux & régles principa
les de la Langue Françoife , pour ceux qui
n'ont point étudié . A Paris , chez Guillaume
Després , & Pierre- Guillaume Cavelier
, rue Saint Jacques , in - 12 . de 176
pages.
MAXIMES pour fe conduire chrétiennement
dans le monde , par M. l'Abbé Cles
ment , Aumônier
du Roi de Pologne Duc
de Lorraine , & Prédicateur
du Roi , A
Paris , chez Hippolite- Louis Guerin , rue
Saint Jacques , in- 12 . de 322 pages.
SUITE de la defcription des maladies
veneriennes. Ouvrage dans lequel on traite
des rétentions d'urine , & en général
des maladies de l'uréthre. Par M. Dibon,
Chirurgien ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent Suiffes de la garde de Sa
Majefté. A Paris , chez de la Guette , Imprimeur
de l'Académie Royale de Chirurgie
, rue Saint Jacques .
LETTRE fur la Proceffion qui fe fait tous
les fept ans , par les Religieux de l'Abbaye
Royale de Saint Denis , à celle des Dames
de Montmartre , in-4° . A Paris , chez
Merigot , Libraire , Quai des Auguftins .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
LES RUDIMENS de la Langue Latine ,
par M. Vallart , feptiéme édition , augmentée
des genres , des préterits & fupins,
& d'un petit Dictionnaire qui renferme
les régles particulieres. A Paris . chez Lot→
tin & Butard , Imprimeur-Libraires , rue
Saint Jacques , à la Vérité.
Six Concerto & douze ouvertures pour
les violons , par M. Handel. A Paris , chez
Vincent , cul- de-fac de l'Etoile , rue The
venot , & Madame Boivin , rue Saint Honoré
, à la Régle d'or.
AIRS & Duo , tendres & bachiques ,
par M. Felord , de l'Académie Royale de
Mufique. Premier Recueil , gravé par
Madame Brouet, Prix 3 liv. A Paris , chez
'Auteur , rue Saint Thomas du Louvre ,
& Madame Boivin .
SEI SONATE à due violini, flauti, corni da
caccia , baffon è baffo , a tré cinque è fei parti,
nuovamente compofte dall Signor Andrea
Adolphati , di Venezia. Opera prima , gravé
par Madame Brouet , prix 9 liv. A Paris ,
chez Madame Boivin ; M. le Clerc , rue du
Roule , & Mlle Caftagnery , rue des Prouvaires.
NOUVEAU SUPPLEMENT au Dictionnaire
de Moreri , in -folio . Deux volumes , faifant
les tomes IX. & X. de ce Dictionnaire,
1749. A Paris , chez Vincent , Coignard
JUILLET. 151 1749 .
"
& Boudet , le Mercier , Deffaint & Saillant ,
Heriffant & Prieur , Libraires.
VOYAGE PICTORESQUE de Paris , ou
indication de tout ce qu'il y a de plus curieux
dans cette grande Ville , en Peinture
, Sculpture & Architecture , par M.
D.... A Paris , chez Debure , l'aîné ,
Quai des Auguftins.
Quillau , pere & fils , Delormel & Leloup,
Libraires à Paris , donnent avis qu'ils im-
-priment actuellement le nouveau Voyage
autour du monde , fait dans les années
1740 , 41 , 42 , 43 & 44 , par George
Anfon , Commandant en Chef d'une
Efcadre de fa Majefté Britannique , laquelle
avoit été mife en commiffion pour
être employée à une expédition fecrette
dans la mer du Sud ; traduit de l'Anglois
: par M. l'Abbé du Gua de Malves , de l'Académie
Royale des Sciences , III . volumes
in- 12 . & un volume in - 4° . ornés de beaucoup
de planches en taille douce , & enrichis
de notes , foit pour ce qui regarde la
Phyfique , foit pour ce qui a rapport à la
Marine.
Quillau fils met en vente 1. un' Livre
intitulé , Methode naturelle de guérir les
maladies du corps , & les déréglemens de
l'efprit qui en dépendent , traduite de
l'Anglois de M. Cheine , Médecin & Ma-
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
thématicien Ecoffois , & Membre de la
Société Royale de Londres , par M. de la
Chapelle , de la même Société , en deux
volumes in- 12 , fur la troifiéme édition du
texte Anglois .
Outre un grand nombre de réflexions
générales & philofophiques fur l'économie
de la nature , dans la vie animale , le
premier volume contient des obfervations
très approfondies fur la nature du mercure
& fur celle du lait , de quelque efpéce
qu'il foit , en tant que ces deux fluides
ont rapport au rétabliffement , ou à la
confervation de la fanté . L'Auteur de la
Traduction y a joint une préface très - curieufe
, qui contient , entr'autres , la Defcription
, l'Hiftoire , la Méthode , & les
effets de la fameufe transfufion du fang.
Le fecond volume traite de toutes les
maladies chroniques en particulier , c'eſtà-
dire , des maladies longues , lentes ou
habituelles , telles que la goutte , l'aftme ,
l'hydropifie , &c. On s'y étend beaucoup
fur les précautions que doivent prendre les
femmes enceintes pour éviter les fauffes
couches ; fur la maniere dont les perfonnes
de l'un & l'autre fexe doivent fe conduire
pour éviter la fterilité ; enfin fur le
régime que doivent obferver les valetudinaires
, pour fe délivrer de leurs infirmités
JUILLET. 1749. 153
fans le fecours des médicamens , ainfi que
les perfonnes âgées pour
verte vieilleffe.
Cet
ouvrage
fe
procurer une
eft écrit de maniere que
l'on peut en entendre la plus grande partie
, fans être verfé dans la Médecine ;
ainfi il convient aux perfonnes de tous
états & de toutes conditions , d'autant plus
qu'il renferme en général tout ce qui a
rapport à l'art de fe conferver la fanté.
2. Defcription du mal de gorge accompagné
d'ulcéres , qui a paru ces dernieres
années à Londres , ainfi qu'en differentes
contrées d'Angleterre ; maladie qui regne
actuellement en France , & principalement
à Paris traduite de l'Anglois de Jean
Sothergill , Docteur en Médecine , par M.
de la Chapelle , Membre de la Société
Royale de Londres. Brochure in- 12 . fur la
feconde édition du texte Anglois. 1
Il est d'autant plus néceffaire que l'on fe
mette bien au fait des fymptômes & du
traitement de cette maladie , qu'elle ne
reffemble guéres aux maux de gorge ordinaires
, & qu'elle eft prefque toujours
mortelle , quand on la traite fuivant la
méthode ufitée en pareil cas , ainsi qu'on
en a eu un très- grand nombre d'experiences
, & qu'on en a encore tous les jours 卤
Paris même , & en beaucoup d'autres en-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
droi´s du Royaume , où il paroît qu'on err
ignoré , & qu'on en ignore encore la
véritable nature , ce qui rend ce mal fort
redoutable. Il est donc du plus grand intérêt
du Public de s'inftruire promptement
fur la conduite que l'on doit tenir , quand
on en eft attaqué .
30. Aftronomia phyfice , juxtà Neutonis
principia , breviarium , methodo Scholafticâ ,
ad ufum ftudiofa juventutis , Authore Petri
Sigorgne , focio Sorbonico & Philofophia Profeffore
in Univerfitate Parienfi.
On trouve chez le même Libraire un
Livre beaucoup plus ample fur cette matiere
, intitulé : Inftitutions Neutoniennes , ou
Introduction à la Philofophie de Newton , par
le même Auteur. Deux volumes in- 8°. figures.
La Philofophie de Newton , étant devenue
celle des Sçavans , l'Auteur a voulu
la proportionner à la capacité des jeunes
gens , & aux forces de ceux qui ne voudroient
pas faire une étude longue & pénible
de la Géométrie , pour fe mettre en
état de lire l'ouvrage même de M. Newton.
Ces inftitutions comprennent toute
l'Aftronomie phyfique , le Aux & le reflux
de la mer , les principales découvertes de
Newton fur la lumière , & leur explication
; les principes de Chymie , & leur
SOMU I LILIE TJ
1749.55
application aux phenoménes les plus remarquables.
C'eft le Commentaire fur
Newton le plus complet , & le plus élementaire
, qui ait encore paru, H eft à la
• portée de ceux qui ont étudié les élemens
de Géométrie. L'abregé Latin que l'Auteur
en a fait , ne contient que l'Aftronomie,
& l'explication des marées. Il eſt
en forme fcholaftique pour la commodité
des claffes , & ne fuppofe prefque point
de Géométrie .
Il étoit tems de rendre familiere une
Philofophie fi sûre & fi profonde , & de
détruire des préjugés , d'autant plus nuifibles
aux progrès de la Phyfique , qu'ils
étoient plus fondés en apparence , & qu'il
étoit plus difficile de s'en défaire , foit par
la lecture de M. Newton , foit même par
celle de fes
Commentateurs .
ESTAMPES NOUVELLES.
L paroît depuis peu chez le St Tardieu,
Graveur du Roi , une Eftampe gravée
par lui , d'après un des plus beaux tableaux
de Teniers , du Cabinet de M. le Comte
de Vence ; ce tableau repréfente une troupe
de foldats qui pillent une Ferme. Au
milieu eft le maître de la maifon , lequel
leur demande la vie à genoux ,
tandis genoux tandis que
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
- fa femme effrayée leur apporte fon argent.
· Plufieurs foldats tiennent lié le Bourguemeftre
du lieu , pour le rendre témoin du
défaftre ; dans le refte du tableau font
d'autres foldats , dont l'un pourfuit le fils
de la maifon l'épée à la main , les autres
emmenent les beftiaux , & c.
Cette Eftampe, qui'a pour titre les Miféres
de la Guerre,fait pendant à celle des Oeuvres
de mifericorde , d'après le même Auteur ,
que le Sieur le Bas , Graveur du Roi , donna
au Public il y a deux ans.
que
Le Sieur Tardieu , Auteur de celle
nous annonçons , demeure rue S. Jacques,
près la rue des Noyers , à Paris.
Le Sieur Petit , Graveur , rue Saint Jacques
, près les Mathurins , continue de
graver
la fuite desHommes illuftres de feu
M. Defrochers , Graveur ordinaire du Roi,
& il vient de mettre au jour les portraits
fuivans.
NICOLAS LENGLET DU FRESNOY , né
à Paris les Octobre 1674. On lit ces
vers au bas , de M. le Chevalier de Neufville.
Le tems de qui Lenglet , malgré d'épaifles ombres,
Retrouve tous les pas , qu'il montre à nos efprits ,
Le tems fur fes doctes écrits
Ne laiffera jamais tomber fes voiles fombres.
JUILLET.
157
1749.
CLAUDE PAION , né à Romorentin en
1626 , Docteur & Profeffeur en Théologie
, Miniftre à Bione , près d'Orleans ,
mort en 1685 .
JEAN- BABTISTE SILVA , Ecuyer , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine ,
en l'Univerfité de Paris , Médecin du Roi ,
& ordinaire du Prince de Condé ; peint
par feu M Rigaud.
Il charmoit les efprits par les traits éloquens ,
Et portoit dans fes mains les trésors de la vie.
Admiré du Public , & recherché des Grands ,
Il fe rendit célébre , & terraffa l'envie.
SIMON VOUET , Peintre du Roi , Maître
de l'Ecole Françoife , né à Paris en 1582 ,
mort en 1641 ,' enterré à Saint Jean - en-
Grêve.
}
Ce fut Ini parmi nous , qui fit fi bien connoître
L'art de rendre la toile animée à nos yeux
"
Son pinceau charma nos ayeux :
Mais ce grand Artiste peut- être
En France feroit moins fameux ,
Si de fon Raphaël il n'étoit pas le Maître.
PIERRE MIGNARD , Ecuyer , Premiér
-Peintre du Roi , Directeur & Chancelier
en fon Académie de Peinture & de Sculpzure
né à Troyes en Champagne , en ›
158 MERCURE DE FRANCE.
t
1610 , mort à Paris en 1695 ; peint par
feu M. Rigaud.
Par les graces de fon pinceau ,
Mignard a de la Grece égalé les ouvrages ;
Et ce fuperbe Dôme , où regne un goût nouveau
Qui mérite tous les fuffrages
Eft encor de Paris le plus bel ornement ,
Et d'un talent divin le plus beau monument.
Les vers qui font au bas de ces trois derniers
portraits , font de M. Daquin .
LET TRE
31
AM. de Boze, de l'Académie Françoise
Honoraire de l'Académie de Peinture
Sculpture , Garde des Médailles &
Pierreries du Cabinet du Roi , &c.
M
Onfieur , à qui devois - je à plus jufte
titre offrir mes découvertes dans
l'art de peindre en gravûre gravûre , qu'à vous ,
qui avez mérité d'être l'arbitre de ceux qui
cultivent les Arts & les Sciences ; qu'à vous,
à la protection finguliere de qui je me dois
tout entier , & fans laquelle je n'euffe jamais
échappé aux malheureux traits de
T'envie ? Souffrez donc , Monfieur , puifJUILLET
.
159 1749.
qu'on ofe encore aujourd'hui m'accufer
d'être éleve de le Blond , & que fous le
même titre de l'art de peindre en gravûre,
on veut confondre mon fyftême avec le
fien , que je mette ces deux fyftêmes en parallele
, que je détermine l'époque de leur
invention , que par leur difference marquée
je repouffe l'injure qu'on m'a voulu
faire , de me fuppofer capable de m'emparer
des découvertes d'autrui , fous prétexte
d'y avoir fait quelque changement .
Epoque de l'établiffement
de l'art d'imprimer
les Tableaux.
Laftman , Peintre Hollandois , qui vivoit
en 1626 ( duquel Rembrandt Van-
Rheyn étoit difciple ) imagina l'impref
fion des Eftampes en couleur ; mais n'ayant
pas
réuffi dans fes tentatives , les ouvriers
dont il s'étoit fervi , fe réduifirent à placer
fur un feul cuivre les differentes couleurs
dont ils vouloient fe fervir , & mirent fous
leur nom , ou fous celui de quelque particulier
des planches dans cette maniere , repréfentant
des oifeaux , des fleurs & des
plantes ; ces planches étoient gravées au
*
* On trouve de ces Eftampes à Londres dans les
Recueils de la Société Royale , & M. de Morti-
Secretaire de cette Académie , m'en a fait
voir plufieurs qu'il a lui-même dans ſon cabinet.
mer ,
160 MERCURE DE FRANCE.
burin & à l'eau forte . D'autres fe fervirent
des gravûres au berceau, imprimées en bleu,
fur lefquelles ils appliquerent d'autres couleurs.
Les nouveautés ne réuffiffent pas toujours,
mais elles ont leur utilité , & fi ces premiers
Maîtres dans l'art de peindre en gravûre
n'eurent pas tout le faccès qu'ils devoient
attendre de leur nouvelle invention
, ils ne doivent en accufer que la dureté
& le mauvais goût de leurs ouvrages.
En effet les dépenfes qu'on a faites dans la
fuite pour perfectionner cet art , font une
preuve de l'accueil favorable qu'on fe
difpofoit à lui faire fi-tôt qu'il auroit trouvé
l'art de plaire. Le Blond , Peintre , Allemand
de nation , difciple ( difoit il ) de
Carlo Maratti , vint en Hollande vers l'an
1704 , il effaya d'appliquer à la Peinture
la théorie du grand Newton fur les couleurs
, & voyant que les tentatives , affez
infructueufes , qu'on avoit faites pour
peindre en gravûre , loin d'en dégoûter le
Public , ne faifoient au contraire que piquer
fa curiofité , & garantir le fuccès de
ceux qui parviendroient à la perfectionner,
propofa à divers Graveurs Hollandois
de faire quelques effais fur les couleurs ,
conformément au Systême de Newton. Il
réuflic en Hollande . Il alla en Anne
put
JUILLET. 1749 . 161
gleterre , où il propofa d'abord à la Socié
té Royale le projet qu'il avoit formé de
graver des planches en couleur fur diffe-
Fens cuivres ; il lui fut facile. de faire entendre
qu'il réuffiroit en fuivant le Syftême
de Newton , & il forma une Société
affez nombreuſe , dont les avances confidérables
le mirent pendant long-tems en
état de fubfifter , & de faire tous les effais
néceffaires pour la réuffite de fon fyftême
pratique ; mais ayant par lui-même , ou
par d'autres voyes , découvert que toutes
les couleurs pouvoient fe réduire à trois
primitives , il s'imagina que le feul moyen
de réuffir étoit de graver trois cuivres , de
maniere à pouvoir former les differentes
nuances intermédiaires. Il ne voulut point
fe départir de ce fentiment. Il réuffit mal
& il s'en prit au peu d'habileté des Graveurs
& des Imprimeurs qu'il faifoit travailler.
Vingt années s'écoulerent fans que
les bénéfices du nouvel art euffent enrichi
fes Affociés ; il fe retira & vint s'établir
en France. Il arrive à Paris en 1735 ; il y
forme une Société ; il y fait annoncer fon
talent ; tous les amateurs du nouvel att de
peindre accourent fur les merveilles qu'il
promet , & l'efpoir d'une fortune immenfe
lui fit bien- tôt trouver des fonds , mais ne
le mit pas en état de réuffir , car il s'agiffoit
162 MERCURE DE FRANCE.
лу
moins d'un fecret , que de l'art de plaire.
Il débuta par une Vierge d'après fon cher
Maitre Carlo Marati , & choiſit M. Tardieu,
Graveur en taille- douce , pour exécu
ter ce morceau. Il avoit cependant appor
té d'Angleterre un tableau des enfans de
Van- dyck & une Vierge , qu'il avoit fait
graver à Londres . Ces deux morceaux ,
gravés felon fon fyftême , furent affez
goutés , mais ils étoient finis au pinceau
avec des couleurs en huile ; c'eſt - là ce
qu'il appelloit mignaturer l'Estampe. Le
tems qu'on employoit à mignaturer ainfi
l'Eftampe , faifoit perdre le fruit qu'on
auroit tiré , s'il avoit eu le talent de les
faire fortir de la preffe telles qu'elles devoient
être , fans ce fecours étranger ; c'eſt
Jà ce qui lui fit tenter d'exécuter la Vierge
de Carlo Maratti fur ce plan; mais M. Tardieu
, quoi qu'entrant parfaitement dans
les vûes de le Blond , ne put parvenir à
faire un morceau digne d'être préſenté au
Public , qui fe dégoûta bientôt de le
Blond.
J'arrivai dans ce tems - là à Paris avec un
projet tout femblable , enfanté à Marſeille
ma patrie , fur des principes differens &
éppofés à celui de l'Auteur dont nous venons
de parler. Agé de 20 ans, inftruit comme
on l'eft ordinairement dans la Provin
JUILLET. 1749.
1749. 163.
ce , j'ignorois , & on le croira fans peine
les grandes merveilles de Paris & de Londres.
La deftinée qui fembloit me fixer
dans Matfeille , me faifoit perdre de vûc
Les avantages de ces Capitales pour les
hommes à talens. J'aimois la Peinture ,
j'en faifois même ma principale occupation
. Les Manufactures d'Indiennes , fi
communes à Marseille qu'on y voit. partout
Les ouvriers travailler dans les rues , attirerent
mes regards , & c'eft là d'où me
vint l'idée de tenter d'imprimer les ta
bleaux dans le même goût. Les grands
projets ne peuvent s'exécuter que dans les
grandes Villes , & je m'imaginai ne le
pouvoir faire qu'à Paris. L'amour de la
gloire me fit renoncer aux engagemens les
plus doux . J'arrivai donc à Paris , je me
gardai bien de communiquer mes idées ,
je ne voulois cependant pas être ignoré ,
je cherchai les moyens de me faire connoître
, & je les trouvai .
Le Pere Caftel me propofa , avant que de
me faire connoître le Blond , un effai ſur le
nouvel art de peindre en gravure. Je choifis
un fujet fimple qu'on pouvoit faire à trois
planches , & le Pere Caftel lui-même me
fit donner une Coquille par M. Mortin
du Pont Notre-Dame ; je la gravai ainfi
parce que les quatre couleurs dont je me
164 MERCURE DEFRANCE .
fers, n'étoient pas néceffaires pour ce fujet.
Le Pere Caftel fut content de l'exécution ,
il m'en fit tirer plufieurs exemplaires ; il me
prôna aux perfonnes qui avoient foutenu
le Blond ; il fit renouer la partie ; les Intéreffés
dans l'entrepriſe de le Blond , crurent
qu'il étoit à propos avant tout d'obtenir
de la Cour un Privilege exclufif qui
leur fut accordé par Arrêt du Confeil le
12 Novembre 1737 , qui donnoit à le
Blond exclufivement à toute autre perfonne
le droit d'imprimer les tableaux avec trois
planches ; & par autre Arrêt du premier
Avril 1738 , Sa Majeſté confirma le précédent
Arrêt , & nomma des Adjoints en préfence
defquels le fieur le Blond feroit tenu de
travailler. Le 24. du même mois , c'eſt - àdire
24 jours après , je fus appellé pour
aider le Blond , fous l'efpoir d'une part
dans l'entreprife, & on m'accorda, en attendant,
6 livres par jour. Je ne fus pas longtems
à m'appercevoir que le Blond avoit
d'autres vûes , & je réfolus de le quitter.
Je mis donc à profit les vuides que me
laiffoient les occupations que j'avois avee
lui , je paffai même quelques nuits à exécuter
un morceau fuivant mon fyftême des
quatre couleurs d'après une tête de S. Pierre
, que M. Tardieu ( qui gravoit pour lors
chez le Blond les portraits de feu fon E. M.
JUILLET. 1749. 165
le Cardinal de Fleury & de Van- dyck) me
prêta. Je fis préfent des Eftampes que j'avois
tirées, aux perfonnes qui protegeoient
le Blond & au R. P. Caftel ; mais voyant
que je ne pouvois par là déterminer le
Blond à tenir fes engagemens , je le quit
tai le 8 Juin 1738 , c'eft- à - dire fix femai
nes après m'être lié avec lui. M. Tardieufinit
le portrait du Cardinal & la copie de
Van-dyck. Le Blond fit enfuite graver le
portrait du Roi par M. Robert , & commencer
par le même Grayeur une planche
d'Anatomie , repréfentant des inteftins.
Le Blond mourut , & fon dernier Eleve fi
nit après la mort cette derniere planche.
N'ayant encore découvert aucun Mécéne,
fous les aufpices duquel je pûffe mettre mes
ouvrages aujour , je ne perdis cependant pas
courage ; je travaillai & je gravai 22 morceaux
differens dans mon ſyſtême des quatre
couleurs , tant en Hiftoire , en Paysage,
qu'en portraits , fruits , fleurs , coquilles
& autres fujets d'Hiftoire naturelle ; & fur
la permiffion que j'obtins par un Arrêt du
Confeil , après la mort de le Blond , les
'Septembre 174 !, j'expofai mes ouvrages
en vente ai depuis exécuté de plus grands
fujets , qui peuvent aller de pair avec de
vrais tableaux , & j'aurois continué , fans
un Cours d'Anatomie en quarante- fix plane
ches , qui m'occupe préfentement,
.
166 MERCURE DE FRANCE.
Systême - pratique des trois couleurs
de le Blond.
Le Blond fit imprimer à Londres un
Traité intitulé , il coloritto , dans lequel
il donne la théorie des couleurs dans le
nouvel art d'imprimer . La Peinture , dit
il , peut repréſenter tous les objets viſibles
avec trois couleurs , fçavoir , le jaune , le
rouge & le bleu , car toutes les autres couleurs
fe peuvent compofer de ces trois , que je nomme
couleurs primitives : par exemple, le jaune &
le rouge font l'orange ; le rouge & le blen
font le violet ; le bleu le jaune font le vert ,
& le mêlange de ces trois couleurs primitives
enfemble produit le noir toutes les autres
couleurs , comme je l'ai fait voir dans la prae
tique de mon invention d'imprimer tous les objets
avec leurs couleurs naturelles. Je ne parle
que des couleurs matérielles , c'est - à - dire ,
des couleurs dont fe fervent les Peintress car
de mêlange de toutes les couleurs primitives
impalpables ne produit pas le noir , mais
précisément le contraire, c'est-à-dire, le blanc,
comme l'a démontré l'incomparable M. le
Chevalier & Newton dans fon Optique, 11
ajoûte enfuite , le blanc eft une concentration
ou un excès de lumiere ; le noir eft
une privation ou un défaut de lumière. L'un
l'autre fe produit par le mêlänge des couici
2
JUILLET . 1749.
167
leurs primitives , mais l'un réfulte du mêlan→
ge des couleurs impalpables , & l'autre des
couleurs matérielles . Il termine ce Traité
par la méthode de préparer les couleurs
fur la palette pour peindre , & il indique
aux Peintres la façon de faire les lumieres,
les ombres , les reflets , les fuyans , les teintes
générales & les meféteintes. [ Léonard
de Vinci nous a donné à peu près les mêmes
préceptes. Voyez dans la planche ci jointe
les trois couleurs de le Blond & leurs combinaiſons
repréfentées autour de la palette,
a, dénote le bleu ; b, le jaune ; c, le rouge ;
abe, indique les trois couleurs enſemble ,
que le Blond difoit produire le noir ; ac ,
les deux qui doivent produire le violet
ou le pourpre ; ab , les deux qui produifent
le vert ; ba , celle qui produit l'orangé.
Je ne fçais comment le Blond pouvoit
former les autres couleurs dont fe fervent
les Peintres , avec ces trois couleurs
primitives , puifque leurs differentes combinaifons
ne peuvent produire que celles
dont nous venons de parler , que leurs
differentes proportions dans leurs mêlanges
ne font que des teintes intermédiaires
de ces couleurs , & qu'aucune de ces teintes
ne peut fuppléer aux autres couleurs,
Il eft bien vrai que le Blond ajoûtoit quelquefois
aux trois planches qui portoient
168 MERCUREDE FRANCE.
Les trois couleurs primitives , une quatriéme
& même une cinquiéme planche ; mais
ces planches ne portoient que quelque
trait de burin pour réparer les touches de
blanc qu'il ne pouvoit conferver dans fes
trois planches primitives ; telle eft par
exemple , la quatriéme planche qu'il fit
graver au fieur Tardieu , laquelle portoit
quelques traits de burin pour former le
bord du colet & la chevelure du portrait
de S. E. M. le Cardinal de Fleury . Il fit
de même graver par le fieur Robert une
quatriéme planche au portrait du Roi ,
qui portoit une couleur pour glacer le
cordon bleu , parce que le bleu de fa premiere
planche. étoit trop fale. C'est donc
mal à propos qu'on a voulu faire entendre
que ces contre-planches avoient du rapport
à ma à ma quatrième planche ; je me fers
auffi quelquefois de ces contre- planches
pour former des dentelles fur des portraits,
mais je ne les trouve propres qu'à cet ufage
, elles n'ont rien de commun avec mes
quatre planches primitives far lefquelles
eft fondé mon fyftême , de -même qu'elles
n'avoient aucun rapport aux trois dont fe
fervoit ordinairement le Blond , & on ne
pourra jamais conclure de là que le Blond
ait pratiqué mon fyftême , ni que j'aye prariqué
le fien , quelque détour ſpécieux que
l'on
Gautier Sculp
ba
ac
Sisteme
AD
ACD
ABCD
A
bc
JUILLET . 1749. 189
on prenne pour le faire entendre au Pulic
. Pour le confirmer , voici quel eft
on fyftême.
yftême pratique des quatre couleurs primitives
du fieur Gautier.
Je me fers de quatre couleurs , pour imier
tous les tableaux peints en huile , fçavoir
, du noir , du bleu , du jaune & du
rouge ; ces quatre couleurs & le blanc du
papier forment toutes les autres couleurs
imaginables , comme je le vais prouver.
C'est pourquoi je grave quatre planches
, fur lefquelles j'applique ces quatre
couleurs , qui avec le blanc du papier, doivent
par leurs differentes nuances , former
le tableau. Ceux qui diront qu'on peut ajoûter
pour la perfection de l'art une quatriéme
& même cinquiéme couleur primitive ,
font dans l'erreur , & n'ont point de connoiffance
de la nature des couleurs pratiques.
Explication de la Palette imprimée ,
du fieur Gautier.
Les Peintres fçavent que les couleurs matérielles
, dont ils fe fervent pour peindre
en huile , & repréfenter tous les objets vifibles
, font ,
1. Le blanc de plomd ou de cerufe.
H
170
MERCURE DE FRANCE
2°. Le jaune de Naples.
3.L'ocre claire ou commune ,
4. L'ocre de Rome ou obfcure.
5°. Le cinabre .
6. Le brun rouge .
7°. L'ocre brûlé ou d'Angleterre.
8°. La terre d'ombre .
9. La terre de Cologne .
10°. Le noir d'yvoire , de vigne , d'Al
lemagne ou de fumée.
11°. L'outre-mer ou le bleu de Pruffe .
12 °. La terre de Verone .
13 °. Le ftil de grain .
14° . La laque de Venife ou le carmin,
Les Peintres fuppléent, par le moyen des
couleurs précédentes , à d'autres couleurs
qu'on trouve auffi toutes formées ; telles
font la cendre bleue , qu'on fait avec le
blanc & l'outre- mer , l'indigo avec le noir
& le bleu de Pruffe , la cendre verte avec
lejaune de Naple & le bleu , les machicots
dores & pâles avec le jaune de Naples , le
blanc & un peu de cinabre ; les orpins dorés
avec le jaune de Naple & le cinabre ,
la laque colombine avec la laque & le
bleu , la mine de plomb avec le cinabre
& le blanc. Il y a encore d'autres
couleurs defquelles on ne fe fert pas communément
, & qui font des compofés de
celles- ci.. Or toutes ces couleurs font réJUILLET.
1749.
172
prefentées fur ma Palette , imprimée fuivant
mon fyftême , dans laquelle ,
E répréfente le blanc de cérufe ou de
plomb , c'eſt le blanc du papier,
EC répréfente le jaune de Naple , compofé
du blanc & de la couleur C.
C , l'ocre claire ou commune , couleur
primitive.
AC , l'ocre de Rome ou obfcure , compofée
du noir & du jaune .
D , le cinabre , couleur primitive .
AD , le brun rouge , compofé de noir
& de rouge.
ACD , l'ocre brûlée, compofeé de noir,
de jaune & de rouge.
ABCD , la terre d'ombre , composée
des quatre couleurs .
BCD , la terre de Cologne , compofée
de trois.
A, le noir d'yvoire ou d'Allemagne ,
couleur primitive.
B , l'outremer ou le bleu de Pruffe , couleur
primitive.
ABC , la terre verte de Verone , compofée
de noir , de bleu & de jaune.
BD , la laque de Venife , composée de
rouge & de bleu ; je puis donner en place
la couleur de carmin. *
J'ai donné un exemple de cette couleur dans
mon tableau imprimé de l'Efpion au Confeil de
guerre.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE!
EB , la cendrée bleue .
AB, l'indigo , compofé de noir & de bleu.
BC , la cendre verte , compofée de bleu.
& de jaune,
CD , l'orpin doré , composé de rouge &
de jaune ..
D, DB, ou pour mieux dire, B , DB , eft
la couleur de laque colombine , faite du
bleu B , & de la laque D B.
BDA , Une couleur innominée.
EA , teinte grife , compofée du noir &
du blanc.
Les quatre couleurs dont je me fers, peuvent
donc , comme je viens de le faire
voir , fuppléer à toutes les autres couleurs.
Quant au ftil de grain , comme c'eſt une
couleur qui n'a aucun corps,& qui ne fert
qu'à glacer , à faire des verds & à donner
certaines teintes aux autres , on peut le
comparer à la couleur ABCD , quand il eft
fur palette , & à la couleur E C , quand
il eft mêlé de blanc , ces deux couleurs
duifant le même effet.
-Je pourrois ajoûter ici quelques reflézions
, qui en étendant davantage mes
idées , jetteroient plus de jour fur mon fyftême
, mais ne feroit-ce pas abufer de votre
complaifance, Monfieur ? J'ai l'honneur
d'être avec un profond refpect , &c.
S. Gautier,
proJUILLET.
1749. 173
REPONSE de M. de Montdorge , anx
informations de M. Rémond de Sainte
Albine , au fujet de la conteftation entre
deux éléves de feu le Blond , dans l'art
d'imprimer les tableaux.
Left vrai , Monfieur , que vous ne pouviez
I mieux vous adreffer ,pour eure éclairci lavrla
conteftation qui s'eft élevée dans vos Journaux ,
au fujet des Estampes colorées . Le Blond qui en
eft l'Inventeur , auroit - il laiffé fon art imparfait ?
Le Sieur Gautier en eft il , comme il le dit , le
Reftaurateur ? Et le Sieur Robert a-t'il pû apprendre
quelque chofe , en méditant fur les cuivres
gravés du Sieur Gautier ? Voilà , je crois , les trois
points , de part ou d'autre , conteftés dans differens
Mercures.
Plufieurs Eftampes coloriées , que le Blond a
laiffées entre mes mains , font des garans inconteftables
, que l'art n'eft pas demeuré imparfait.
Tableaux d'Hiftoire , Portraits d'après le Titien,
d'après Vandyck , Morceaux d'Anatomie furtout ,
qui loin de paroître coloriés fous la preffe, paroîtront
aux yeux même des plus fins connoiffeurs le
chef-d'oeuvre d'un Peintre en miniature ; tous ces
ouvrages , dis -je , fi l'on veut les confulter , ne laifferont
jamais douter que le Blond n'ait pouffé fon
art à la perfection .
Mais , pourront dire les vrais Connoiffeurs , fi
le Blond étoit capable de conduire les ouvrages à
la perfection , pourquoi n'a- t'il donné en France
que des morceaux qui laiflent tant à défirer a
On devroit s'étonner , au contraire , que les
H iij
74 MERCURE DE FRANCE .
morceaux dont on parle ici , ayent laiffé entrevoit
fitôt des efperances de fuccès."
Quand le Blond travailloit en Angleterre ,
c'étoit au centre des bons Graveurs pour la maniere
noire , la maniere des Smiths. Cette mapiere
, qui eft le premier principe du nouvel art ,
étant abandonnée depuis long- tems de nos Graveurs
& de nos Imprimeurs François , on conviendra
qu'il falloit au moins quelques années d'eſſai
pour former des éleves : & la mort enleva le Maître
dans un âge fort avancé , au moment qu'il alloit
triompher des objections & des critiques
qu'on ne ceffoit de faire fur fes ouvrages.
Je déclare , en paffant au fecond article , que
mon intention n'eft affûrement pas de déprifer les
talens du Sieur Gautier ; il a de la pénétration &
de l'activité ; mais en admirant avec tout le monde
les progrès qu'il a faits dans l'art de le Bond
je fuis obligé de certifier que le fuccès eft entierement
dû à l'Inventeur . On fçait , dit cependant le
Sieur Gautier à la page 180 du Mercure de Décembre
1748. On fçait que le Blond ne travail-
»loit qu'en trois couleurs ; le Traité , imprimé à
» Londres , qu'il a donné au Public , les trois
Planches qu'il a faites à Paris , & le Privilége
qu'il a obtenu , le prouvent évidemment ; ainfi
le Sieur Robert , en gravant fur quatre Planches,
ne peut fe dire éleve de feu le Blond.
>>
Je réponds à cela , que c'eft préciſement pour
avoir travaillé avec quatre Planches , que le Sieur
Robert doit être confirmé dans la qualité d'éleve
de le Blond , puifque la réunion des quatre planches
étoit la méthode la plus fûre de fon Maître ;
on en peut juger par les propres termes d'un Mémoire
, que feu M. du Fay m'engagea à faire pour
l'Académie des Sciences, dans le tems que le Blond
follicitoit fon Privilége.
JUILLET.
1749. 175
C'eft avec trois planches , dit ce Mémoire ,
que furent conduits les premiers ouvrages admirés
en Angleterre. On pourroit abfolument
s'en tenir à cette façon d'opérer : mais l'Inventeur
travaille aujourd'hui avec plus de prompti-
» tude & plus de fûreté .
30
כ כ »Quatre planches font néceffaires dans la nou-
» velle façon d'opérer on grave d'abord fur la
premiere tous les noirs du tableau , felon la
» force que demande chaque partie ; & pour rom-
» pre l'uniformité qui tiendroit trop de l'art noir
» ordinaire , on ménage dans les trois planches
qui doivent fuivre , des endroits qui puiffent
" glacer fur le noir . Le papier étant chargé de
» tous les bruns , il eft aifé de comprendre que la
feconde planche qui imprime en bleu , puifqu'on
ne la forçoit que pour aider à faire ces
" ombres , doit être beaucoup moins chargée de
couleur qu'elle ne l'étoit , en travaillant felon
les premiers principes . De même la planche
jaune & la planche rouge , qui fervoient par
tout àformer les ombres , ne font plus chargées
33 que des parties qui veulent marquer en jaune &
"en rouge purs , & de quelques autres parties en
core qui glaceront pour fondre ces couleurs ,
"ou qui réunies en produiront d'autres , ainfi que
» le bleu & le jaune produifent enfemble le verd ,
" & que le jaune & le rouge produisent l'oran-
" gé , & c.
" On trouve , dit encore ce Mémoire dans un
» autre article , on trouve dans prefque tous les
tableaux des tranfparens à rendre , qui demandent
une opération particuliere ; des vîtres dans
l'architecture , des voiles dans les draperies , des
nuées dans les Ciels , & c. Le papier qui fait le
» clair de nos teintes , a été couvert de differentes
ג י
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
couleurs , & par conféquent ne peut plus fervir
"pour faire ces tranfparens , qui doivent être
» blancs ou blanchâtres , & paroitre fur les cou-
» leurs qu'on voit à travers. On fera donc obligé
" pour former ces tranfparens , d'avoir recours à
» une cinquiéme planche , ou plutôt à l'une des
" quatre qui ont déja fervi,
Le Mémoire explique ici , var le ſecours d'une
figure numerotée , de quelle façon on doit opérer
pour employer à l'impreffion le mélange de tou
tes les couleurs ; & ajoute : » Qu'on peut profiter
» des places vuides dans chaque planche , pour
» donner,fi l'on veut,de certaines touches qui aug.
" menteront la force , & avec d'autant plus de facilité
, que la même planche pourra imprimer ,
>>fous un feul coup de preffe , trois ou quatre
» couleurs à la fois , en mettant ou du bleu , ou
» differens blancs , ou du verd , ou d'autres couleurs
dans des parties affez éloignées les unes des
autres , pour qu'on puiffe les étendre & les
» effuyer fur la planche fans les confondre.
Le Sieur Gautier ne doit plus fe diffimuler , me
femble , que plufieurs planches , outre les vraies
primitives , n'ayent été employées avant lui , puifque
c'eft d'après differentes opérations faites en
Angleterre , que le Blond nous a démontré , les
épreuves à la main , qu'il étoit avantageux de s'en
fervir, mais il fe gardoit bien de faire parade de ce
fecours étranger à fon fyftême ; il n'admettoit les
planches au- delà des primitives , que pour exécuter
en quinze jours ce qui auroit coûté peut- être
deux mois de travail , en fe bornant à trois plan
ches . Toute fon ambition étoit de prouver , com_
me il l'a fait fi fouvent , que dès que les trois cou
leurs primitives pouvoient rendre par leur mê¬
lange autant de nuances qu'en fournit la nature
JUILLET . 1749 . 177.
trois cuivres combinés devoient rendre à l'impreffion
le tableau du plus habile coloriſte. C'eſt
pour la gloire de ce fyftême , que le Privilége n'a
fait mention que de trois couleurs , & à parler en
Phyficien , la premiere planche n'apportant que
du noir , rien n'empêche de nommer l'art de le
Blond , l'art d'imprimer les tableaux en trois cou
leurs.
A préfent que je crois avoir établi , que l'Inventeur
formoit fes éleves à travailler par l'affemblage
de quatre planches , je fuis obligé de convenir
, que dans le tems que le Sieur Gautier gra
voit fous lui , le Blond n'avoit point encore déclaré
que ,pour aller à la perfection par un chemin plus
court , on devoit employer le noir , avant d'employer
les trois couleurs primitives ; il attendoit ,'
pour ne rien cacher de fon art , que le Privilége fût
expédié.
Ainfi le Sieur Gautier peut avancer hardiment
que fon Maître ne lui a jamais dit , faites marcher
une planche noire avant les trois autres ; mais les
tableaux que ce Maître a imprimés à Londres , les
effais qu'il a imprimés à Paris , une quatriéme
planche blanche que le Sieur Gautier a gravée luimême
fous le Blond , en difent affez à un Artiſte
intelligent. D'ailleurs le Traité donné en Angle
terre , que le Sieur Gautier cite je ne fçais pour
quoi , dit clairement à la page 17. En prenant
plus ou moins de noir , vous pouvez faire differens
degrés de mézeteintes , felon que vous en
aurez befoin ; & joignez-y de votre couleur principale
( le rouge ) vous verrez fort facilement
combien de cette teinture il y faut mêler ; car
»fi vous n'en donnez pas affez , votre mézeteinte
» fera trop bleuâtre , ou en terme de Peintre , trop
froide , & fi vous en mêlez trop , votre mézeteinte
fera fale.
"
Hy
178 MERCURE DE FRANCE
Ce n'eft donc point fur les cuivres du Sieur
Gautier , comme il fe imagine , que le Sieur
Robert a perfectionné fon talent : mais l'un &
l'autre doivent tout ce qu'ils fçavent en ce genre ,
aux leçons , au Traité , & aux modèles de l'Inyenteur.
Le Sieur Robert n'eft pas le feul qui fe foit
formé fous le Blond : le Sieur Tardieu , Graveur
très-connu ; le Sieur Blackey , Peintre , & plufieurs
jeunes éleves , font en état de travailler à
trois , à quatre & à cinq planches. Le Chrift que
vient d'imprimer le Sieur Robert , prouve que
les
intentions du Roi ont été fuivies ; car en accordant
une penfion à l'Inventeur , qui même après.
fa mort a été payée à fes enfans , l'Arrêt qui accorde
le Privilége , ne l'accorde que fous condition
que l'art du Privilégié ne fera plus un art
fecret , & qu'en formant des éleves il le rendra
utile à la Botanique , à la Géographie , & furtout
à l'Anatomie.
On a vû , il y a quelques années , une Planche
anatomique , gravée fous la conduite de M. Hu
naut , de l'Académie des Sciences , par le Sieur
Robert , qui n'eft point inférieure à celles du Sieus
Gautier ; & fi vous me demandez , Monfieur
pourquoi je n'ai pas fuivi ce projet d'Anatomie ,
auquel je n'étois d'abord intéreffé , je vous avoueai
franchement que j'ai trouvé qu'il fe préfentoit
dans la vie, cent occupations plus féduifantes que
celle de tourner & retourner les entrailles ou le
eoeur d'un pendu. "
Cette Lettre eft déja de moitié plus longue que
je ne comptois la faire : infenfiblement le ton de
la Differtation alloit me gagner ; & c'eſt pour l'éviter
que je finis en vous difant , Monfieur , que
sous les faits que je viens de vous expofer , peuJUILLE
T.
179 1749.
vent être arteftés par M. Duhamel , de l'Académie
des Sciences , avec lequel j'eus l'honneur d'être
nommé Commiffaire par le Roi , conjointement
avec M. du Fay , pour être dépositaires du fecret
de le Blond.
Le R. Pere Caftel , fi intéreffé au triomphe da
Systême des trois couleurs primitives , me permettra
de le citer auffi , comme témoin oculaire
de la fuite progreffive des opérations de le Blond.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 20Juin 1749 .
Montdorge.
Troifiéme Lettre de M. Cantwell , Docteur
Regent de la Faculté de Médecine de Paris,
Membre de la Societé Royale de Londres ,
à Monfieur M. J. P. D. V.
Omme j'ai à vous entretenir aujourd'hui ,
Monfieur , des maladies de l'uréthre, je vous
préviens , fuivant ce que je vous avois déja dit
dans ma premiere Lettre , que vous ne devez attendre
rien de précis de ma part , fur la compofition
des bougies . Elles font en ufage depuis près
de quatre cens ans * , & il y en a plus de treize
Gaddifen , Anglois , donna la Méthode de gué
ir les carnofités de l'uréthre , par le moyen des bougies
, en 1390. Charles IX. fur guéri d'un embarras
dans l'uréthre de cette maniere. Borelli , en 1686 ,
donna la compofition de la bougie d'un Chirurgien de
Hvj
So MERCURE DEFRANCE.
cens que le feul ingrédient utile , qu'on puiffe y
faire entrer fans rifque , eft connu des Médecins ;
cependant à mon égard M. Daran eft le premier
entre les mains de qui j'aye vû des bougies bien
faites . C'eft à l'infpection des fiennes , à l'obfervation
des effets qu'elles produifent , à lalecture
& à mes propres réflexions que j'en dois la décou-
Frontignan. Sennert l'avoit donnée long- tems avant
lui. Aquependens me paroît être l'Auteur de la
canulle des tentes , dont fe fervoit Alliés à Paris .
Parée Fabrice Hildanne donnent auffi leur compofition
& leur Méthode. Gabriel Fallope enfait
de même dans fon Traité des Tumeurs. Alphonfe
Ferreius fait entrer la poudre de Sabine dans fa
bougie. Pierre Foreftus , dans fes Obfervations ,
donne la recette d'un onguent qu'il met au bout de ſa
bougie ; il indique même la façon de l'y incorporer.
François Peccetius , Jean Prevoft Euftache
Rudius enfeignent chacun leur reméde. Outre ceuxci
, il ya nombre d'Auteurs qui ont traité la méme
matiere ; on les trouvera cités dans la Sylva Medica
de George Walter , imprimé en 1679. Mufitan admet
lapoffibilité de la carnofité , mais il la croit extrê
mement rare. Meffieurs Lapi , Marini Saviard.
la rejettent . Blegni , Mufitan & Marini , donnent la
compofition de leur bougie. Vercelloni , pour l'extirpation
de la carnofué , qu'il appelle une fubftance
fongueufe , propofe les remédes les méthodes de
Hartman , Fennert , Regius Brôen ; il parle de
la façon de faire la bougie , & du choix des cauftiques
. En voila bien affez pour prouver que la bougie
eft très-ancienne , & quiconque voudra fe donner la
peine de lire tous les Auteurs que je viens de nommer,
conviendra que M. Daran n'a pas le mérite de la
nouveauté.
JUILLET. 1749. 18rverte
,le dépit de ne pas comprendre ce que je
voyois , & la crainte d'être obligé d'avoir recours
à un autre , dans des cas qui ont une liaiſon ſi
étroite avec des maladies que je traite tous les
jours , m'ont foûtenu dans mes recherches , M.
Daran m'y a fervi de guide en quelque forte , fins.
le fçavoir , & j'aurois grand tort de lui nuire par
un trait de plume , qui montreroit plus de jalousie
que de générosité .
La bougie n'eft autre chofe qu'un morcean
de toile , imbibé dans une compofition , ou dans
une emplâtre fondue , & roulée fur elle même
en forme de petite chandelle ; on l'introduit
dans l'uréthre par la pointe, auffi loin qu'il eft
poffible , jufques au col de la vethe ; le gros bout
en eft attaché au gland par un fil de coton qui
fert de bandage : on laiffe la bougie dans l'uréthre
cinq , fix , fept , huit ou dix heures , felon les in-,
dications qui fe préfentent ; on y en introduit denx
par jour. Ceux des anciens , qui n'y en introdui
foient qu'une dans l'efpace des vingt - quatre heus
res, appréhendoient un effet trop violent de leur
bougie . On la retire quelquefois toute couverte
d'une matiere , que M Daran appelle du pus ,
& que M. Goutard affûre n'être qu'ane matiere
glaireufe , ou une espéce de lymphe exprimée des
glandes , qui fe trouvent fituées le long du canal .
Quelquefois la bougie fort tachée, plus ou moins,
en cinq ou fix endroits de cette matiere , d'autres
fois on n'y en voit point du tout : S'il n'y a point
de cauftique dans la bougie , dit M. Goulard , pourquoi
nommer cette matiére- là , du pus , qui ne fçauroit
fe former en fi peu de tems , ni paroître en cas de
caufique , fans que l'efcarre foit tombée ? On pourroit
lui répondre , avec M. Quefnay , que , le pus.
dont il s'agit , eft un pus d'hemorragie. L'obler182
MERCURE DE FRANCE.
vation même de M. Goulard pourra nous fervir de
preuve paifque felon lui , on voit ſouvent voltiger
des lames membraneufes , ou de petites pellicules
, dans les urines de ceux qui font ufage des
bougies. Mais d'où viennent ces pellicules ? Si
c'eft des parois de l'urétore , la bougie qu'on y introduit
, n'eft rien moins que douce . J'ai quelquefois
vû de ces pellicules à la fuite des violentes
dyuries , mais jamais dans l'urine de ceux que j'ai
traités pour quelque maladie de l'uréthre par le
moyen des bougies .
Parmi les Auteurs qui parlent de la bougie ,
vous en trouverez qui la font de lut , d'autres de
cuir , d'autres de cordes à boyaux , d'autres des
côtes de quelque feuille , d'autres de cire , d'autres
de baleine , d'autres de plomb , d'autres enfin
de differentes emplâtres . Les uns fe fervoient de
tentes armées , les autres introduifoient dans l'uréthre
un cauftique liquide ,par le moyen d'une ca.
nulle. J'ai vu pratiquer cette derniere méthode
à Paris , par un nommé Guillemandet. Il y en a
qui rejettent tout cauftique , tandis que d'autres
ne croyent pas la cure poffible , fans le fecours de
ces remédes .
Ne croyez pas au refte , Monfieur , qu'une feule
efpéce de bougie foit capable de détruire toutes
les affections de l'uréthre. Il en eft que toutes les
bougies du monde ne fçauroient guérir radicalement
, quoiqu'elles puillent faciliter dans ce caslà
l'excrétion de l'urine ; je mets de ce nombre
celles qui dépendent d'un virus caché ; elles ne
réfifteront pas moins à la bougie , qu'une playe
d'une perfonne attaquée de la même maladie réfifte
aux panfemens ordinaires : elles paroîtront
céder à la longue , mais elles renaîtront dans la
fuite , ou elles en produiront d'autres au voisinage,
JUILLET. 1749. 183
comme un chancre , qui céde à un topique , re
paroît fouvent , ou en produit d'autres auprès.
Les affections de l'uréthre , qui empêchent ou
dérangent ' évacuation de l'urine , peuvent fe réduire,
1. aux chancres & aux ulcéres , foit gue les
bords en foient calleux ou non ; 2° . au gonflement
dé que que glande , ou de la fubftance (pongieufe
ou de la cellulçufe , caufée par l'amas de quelque
humeur ; 3. au gonflement de quelque partie de
P'uréthre , caufé par l'érofion d'une portion des
parois de ce canal , ce font les gonflemens que M.
Goulard compare aux faux anévrifmes . 4 °. A quel
ques abfcès ou quelques tumeurs , cachés dans certaines
parties de Puréthre . 5. A l'endurciffement
de quelque glande ou du verumontanum * . 6º. A la
* C'est une petite éminence ovale , fituée au fond de
Puréthre , là où elle s'enfonce dans le corps des profta
tes ; elle eft longuette , groffe en arriere , allongée &
terminée en pointe en derant ; on l'appelle caroncule
grain d'orge , tête de poule , éminence ovale ou véru
montanum. On remarque dans fa groffe portion les orifices
des canaux excretoires des vesicules féminaires .A
côté de ces orifices font placés en croiffant les orifices des
canaux excretoires des proftates. L'endurciſſement de
cette partie , comme celui des proftates , eft ordinairerement
ce que les ignorans prennent pour une carnofité.
La pretefa carnofita , dit un fçavant Italien , non è
altro , chè infezione contratta nel roftro del grano
ordeaceo , o proftate , o pure nel medifime
grano con infiamento , ed induratione . On conçoit
facilement que cette fauffe idée de carnofité induit en
erreur , & que les cauftiques dont on fe fert pour la
d truire, détruifent les valvules ou les fphincters , s'il
yena , des orifices des canaux excretoires , placés dans
lafubfiance & autour du verumontanum ,
d'où Lux
184 MERCURE DE FRANCE.
contraction de l'aréthre , ordinairement caufée
par des injections trop aftringentes . 7 ° . A quelque
verrue , à quelque porreau , à quelque fubftance
fongleufe , à quelque carnofité ou excroiffance de
chair , ou à quelque polype. Ces cas font très rares
, mais on n'en fçauroit nier la poffibilité ; je ne
fuis pas le feul qui aye vû des polypes fortant de
l'orifice de l'uréthre ; & des perfonnes dignes de
foi m'ont affûré avoir vû couper des porreaux dans
P'uréthre d'un malade , que l'excès de la douleur
avoit déterminé à la laiffer ouvrir , pour fe
procurer
du foulagement . Je ne parle pas des cas où il
peut fe rencontrer des glaires ou des pierres engagées
dans l'uréthre .
Or toutes ces affections font des vices locaux, &
les bougies qu'on introduit dans l'uréthre pour les
guérir , font des topiques ; je demande donc aux
Médecins , qui doivent fçavoir la Chirurgie , &
à tous les Chirurgiens qui la pratiquent , fi les premiers
ordonneroient & fi les derniers employe
roient un même topique pour la guérifon de ces
differentes affections , fi elles étoient externes , &
qu'il ne leur fût pas permis de fe fervir du fer.
Je fens bien qu'en cas de virus , le mercure duement
préparé & marié avec d'autres remédes convenables
, fuffiroit , quant au lieu , pour la plus
grande partie ; mais il faudroit ouvrir l'abcès , brû
ler les verrucs , les porreaux , & c. humecter & ramollir
la partie contractée & retrecie , ronger celune
gonnorhée habituelle & incurable . Hæc caron-
' cula ab ignaris Chirurgis deprehenfa cum renifu ,
pro carnofitate habetur & caufticis erofa atque
confumpta , perpetuam parit gonnorrheam , nullis
medicamentis curandam. Drake dans fon Anthropologiefait
la même remarque.
JUILLE T. 1749. 185
e qui feroit endurcie , procurer l'évacuation de
P'humeur amaffée & la régénération des membra
nes rongées. Si les indications étoient differentes
dans ces divers cas externes, pourquoi ne feroientelles
pas differentes auffi dans les mêmes cas renfermés
dans l'uréthre , dont la fonction ne peut
pas ceffer long-tems fais un changement notable
de la fanté , fans des fouffrances horribles &
fans un danger éminent de la vie ? Une verrue ou un
porreau à la main ne m'empêche pas de m'en fervir
, ou même , abſolument parlant , je puis m'en paffer
à la rigueur, & attendre avec patience l'extirpa
tion de cette verrue ou de ce porreau , il en eft de
même d'une tumeur au bras , elle n'exige pas que
je la faffe ouvrir fur le champ ; mais dans l'uréthre
l'attente pourroit être de la derniere conféquence ;
ici il faut remplir & au plus vite les indications
qui fe préfentent , de peur que l'uréthre ne ſe bouche
tout-à- fait , & qu'il ne fe faffe une fuppreffion
totale de l'urine , fuppreffion qui pourroit être fatale
, ou qui rendroit la ponction du périnée abfolument
néceffaire.
On doit faire fuppurer les chancres , les ulcéres,
les déterger , les confolider ; on doit fondre les
bords calleux , & proportionner le fondant au degré
de dureté qui s'y trouve . Il eft aifé de concevoir
que le vrai point d'activité du fondant demande
beaucoup de connoiffances & de réflexions .
Pour produire l'hemorrhagie dans le gonflement
de la membrane celluleufe , doit- on fe fervir d'un
fimple fondant ou d'un cauftique ? Ne fent-on pas
l'infuffifance de l'un & le danger de l'autre , s'il ,
n'eft choifi par un homme parfaitement inftruit
de l'action des remedes , & guidé par la main d'une
perfonne qui connoiffe à fonds la ftructure & la fituation
des parties ? Combien de malades fans cela
ne font ils pas tombés dans une impuiflance in
186 MERCURE DE FRANCE.
curable ? Combien de gonnorhées incommodes ;
enfuite de ces remedes mal choifis , mal appliqués ?
Inflammations dans les parties , fièvres violentes
furvenues fubitement pendant le traitement , tous
accidens à craindre ? On n'a qu'à lire les Auteurs
qui ont traité cette matiere pour s'en convaincre ;
on y verra que la faute la moins lourde qu'on
puiffe faire , eft de prolonger le traitement pendant
dix , douze & quinze mois.
Mais pour revenir aux indications , les gonfle
mens aneviifmaux doivent être doucement comprimés
; les abcès ouverts , les endurciffemens fondus
, les excroiffances de chair détruites , les fibres
contractées & retrécies , humectées & ramollies ;
il n'eft pas poffible de produire tous ces differens
effets par des bougies de la même efpece ; on trouve
chez les Auteurs la compofition des bougies
fondantes , des bougies fuppuratives , des adouciffantes
& émollientes , des rongeantes , des comprimantes
, des defficatives & des anodynes , où entre
l'opium , pour appaifer les douleurs que caufoient
les irritans & les cauftiques , bien ou mal appliqués
; on y en trouve d'antivéroliques , dont quel
ques-uns faifoient mal-à-propos tant de cas , qu'ils
croyoient pouvoir tout guérir par leur ufage, comme
fi une maladie vénérienne confirmée devoit
céder à la petite quantité de mercure que fournit
une bougie introduite dans l'uréthre , idée auffi
fauffe que celle de croire que le virus puiffe refter
cantonné dans l'uréthre fans fe communiquer aux
autres parties du corps . On m'oppoferoit en vain
que la bougie produit la falivation ; je n'en doute
nullement , elle en feroit autant fur un homme qui
n'auroit jamais été entiché de ce mal ; celui - ci n'en
retireroit aucun avantage , & celui - là en retireroit
fi peu , que le même vice ne manqueroit pas de
reparoître dans la fuite , s'il négligeoit de le faire
JUILLET. 1749. 187
adminiftrer les frictions mercurielles en forme.
Ajoûtons à cela que la feule falivation qui fur
vient fi facilement par l'ufage des bougies , ne me
permet pas de douter du mêlange d'un cauftique
avec le mercure. Appliquez de l'onguent mercu→
riel fur une partie excoriée , la bouche fera bientôt
frappée , & la falivation ne tardera pas à fe
manifefter ; appliquez -le fur la même partie , couverte
de fa peau , la falivation ne paroftra peutêtre
point , ou ne fe fera fentir que très - tard. Voila
ce que l'expérience journaliere apprend à ceux
qui traitent le plus de ces maladies. Je ferai voir
dans ma Lettre du mois prochain , qu'on peut frotter
tout le corps d'onguent mercuriel * & guérir la
maladie vénérienne la plus invéterée,fans produire
le pryalyfme.
Enfin les véritables bougies falutaires font celles
que le malade peut fupporter fans douleur , celles
qu'on peut renouveller de huit en huit heures fans
incommodité ; celles qui n'empêchent pas d'uriner
, & qui fans aucun de ces inconvéniens guérif
fent dans l'efpace de deux , de trois ou de quatre
mois, tout au plus.
Qu'on en puiffe faire de pareilles , cela eft trèscertain
, la raifon le dicte & l'expérience me l'a
confirmé. Comme il paroît que vous lifez toutes
mes Théfes , je vous promets de traiter cette
matiere plus au long dans la premiere que je don
nerai fur la Chirurgie. Je dois cet hommage à là
Faculté dont j'ai l'honneur d'être ; c'eft fou apr
probation que j'ambitionne , & c'eft à fes jugemens
que je dois foumettre mes connoiffances & ma
pratique. J'ai l'honneur d'être , &c.
*Voyez ma Théfe, Antthyalyfmus frictionibus mereurialibus
provocatus perfecta luis venerea curationi
adverfetur z
188 MERCURE DE FRANCE.
1
Defcription d'un Surtout de Table , executé
en argent par le Sr Roettiers , Orfévre
du Roi , pour l'Electeur de Cologne .
C'Eft contribuer aux progrès des Arts , que d'exciter
l'émulation des Artiftes , en annonçant
leurs fuccès . Nous manquerions à P'un de nos principaux
devoirs , fi nous ne faifions pas mention
d'un Surtout de Table , que le Sieur Giroft , Commiffionnaire
de Son Alteffe Séréniffime Electorale
de Cologne , a fait éxécuter dans cette Ville , en
conféquence des ordres de ce Prince , par le Sieur
Roettiers , Orfévre ordinaire du Roi , & déja connu
par d'autres ouvrages .
>
I
Ce Surtout , compofé d'un milieu de deux
dormans de quatre girandolles , le tout d'une
perfection finguliere , repréfente un point de
vûe de forêts , & des fujets de chaffe , tels qu'ils
ont été donnés à l'Artifte par le Prince même ,
pour lequel il a été ordonné , & il ne mérite
pas moins d'éloges par l'exécution précife & finie,
que par la bardieffe & la poëfie de la compofition.
Telle eft en général l'idée du fujet & de l'ouvrage.
Voici la defcription détaillée de ce morceau fingulier
d'orfévrerie. >
La piece du milieu eft composée de quatre grou
pes de rochers qui forment une voûte naturelle ,
fur le fommet de laquelle eſt établie une maiſon
ruftique , couverte de chaume. Sur le comble de
cette chaumiere, on voit un cerf aux abois , qui s'y
eft fauvé , pourſuivi par des chiens.
Nous avons averti que cette pofition extraor
dinaire n'eft point de l'invention du Sieur Roettiers.
C'eft un fait arrivé à une chaffe de l'Electeur
de Cologne. Un cerf que ce Prince couroit , a été
pris effectivement dans une pareille circonstance ,
JUILLE T. 1749. 189
& Son Alteffe Electorale a voulu que le Sieur Roet
tiers repréfentât cet évenement. Au- deffous de la
voûte que forment les groupes de rochers , on
découvre un taillis , dans lequel eft un cerf couché
, mais qui par l'attention qu'il porte au bruit
d'un génie condeifant un limier prêt à le lancer ,
paroît le difpofer à partir. Le caractere de vérité
qui regne dans la compofition de tout cet ouvrage ,
eft encore en quelque façon animé par une infinité
de détails particuliers , qui repréfentent en action
differens petits infectes, tels que lézards , limaçons,
& autres , finis comme nature.
La terraffe, qui fert de baſe à tous ces differens
objets , forme un plateau d'un deffein très - élégant
, décoré de quatre têtes de lion , analogues
aux fupports des armes de Son Alteffe Electorale ,
qui font fur les faces , accompagnées d'ornemens
Convenables au fujer . Cette feule partie fuffiroit
pour faire connoître ce qu'on doit attendre du
Sicur Roettiers pour la perfection de fon art.
Aux deux bouts de ce plateau princ pal font.
deux dormans qui l'accompagnent , & qui forment
une continuation de forêts ; l'un repréſente
un fanglier arrêté fous un grand chêne par les
chiens dont l'un le coeffe & les autres dans
des attitudes differentes agiffent autour de lui.
Le fecond dormant repréfente un loup fe défendant
contre des chiens , & cherchant à fe fauver
à travers les taillis qui l'environnent. Les plateaux
de ces deux dormans , comme celui du milieu
font d'une forme gracieufe & nouvelle , & font,
un tout , dont les parties font admirablement liées
enfemble par quatre girandoles formées par autant
de grands chênes , qui femblent ne faire du
tout qu'une forêt. Au pied de ces arbres font des
groupes de génies donnans du cor , & qui pa
Foiffent par leur action prendre part à la prife d
190 MERCURE DE FRANCE.
cerf ,qui fait le principal objet de tout l'ouvrage.
Le Sieur Roettiers a ménagé & difpofé avec tant
d'art , dans les arbres de la piece du milieu & des
deux dormans , & dans les quatre girandolles ,
la place des lumieres , qu'en confidérant la compofition
du tout enfemble , même dans le fervice
de jour , on a de la peine à s'appercevoir de ces pla
ces deftinées pour vingt huit bougies diftribuées
dans les touffes de feuilles , & difpofées avecla plus
exacte fymmétrie .
Ce morceau qui a été vû ici avec admiration
par tous les connoiffeurs , & par un grand nombre
de perfonnes de diftinction de la Cour , & des
Cours étrangeres , prouve en même tems la magnificence
du Prince qui l'a ordonné , la perfection
que les arts acquierent tous les jours en
France , & en particulier celle à laquelle le Sieur
Roettiers porte tous les ouvrages qui fortent de fes
mains.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗:洗洗
L
SPECTACLES.
E 16 du mois dernier , les Comédiens François
donnerent la premiere repréfentation de
Nanine , Piéce du célebre M. de Voltaire. Cet ouvrage
Dramatique , écrit en vers de dix fillabes ,
eft en trois Actes, dont le premier eft fort brillant,
& le tro fiéme a fait répandre des larmes . L'action
étant abſolument la même que celle du Roman
de Pamela , nous croyons inutile de faire l'analyfe
de ce Poëme. Depuis la premieret
repréfentation , M. de Voltaire a fait , nonfeulement
dans le Dialogue , mais encore dans
la conduite de fa Fable , quelques changeJUILLE
T. 1749. 191
prou mens , qui en montrant la facilité à travailler,
vent fon empreffement à profiter des critiques judicieufes
,, & par conféquent la lupériorité. Il n'appartient
qu'aux génies du premier ordre , de
paffer facilement condamnation fur les endroits
foibles de leurs ouvrages .
Convaincus de la vérité de ce principe , nous
ne craignons point de déplaire à M. de Voltaire , en
remarquant qu'on fouhaiteroit, que lorfque la Baronne
fe difpofe à partir avec Nanine pour la me
her au Convent , le Comte allât lui- même s'oppoſer
au départ de cette jeune perfonne , & ne
chargeât pas un valet de cette commiffion. Peutêtre
feroit-il à propos auffi d'adoucir quelques
expreffions dans le rôle de la Baronne , & de rendre
en général le ftyle de la Piéce moins fententieux.
3
Les Comédiens Italiens repréfenterent le 11
une nouvelle Comédie à fcénes détachées , intitu
lée la Cométe , qui n'a point réuffi
Jufqu'à préfent , P'Académie Royale de
Mufique a continué les repréſentations de
P'Opéra de Nais , qui ont conftamment attiré la
même affluence de fpectateurs. On va reprendre
au Théatre Lyrique les Caractéres de l'Amour ,
Ballet héroique , donné avec fuccès en 1738. Ce
Ballet eft de la compofition de M. de Blamont ,
Sur Intendant de la Mufique du Roi,
L'Auteur donne en même- tems une nouvelle
Edition de cet ouvrage avec quelques augmenta
tions & changemens qu'il a faits à l'occafion de
cette repriſe.
Nous mettrons ici le Catalogue des Ouvrages
de M. de Blamont, qui ont été donnés au Public,
gravés ou imprimés.
Les Fêtes Grecques & Romaines , Ballet héroï
que, in-4 . imprimées,
192 MERCURE DE FRANCE .
3
Premier , deux & troifiéme Livres de Cantates ,
in-folio , gravés .
Le retour des Dieux , Divertiffement , in- 4°
imprimé
Le Caprice d'Erato ou les Caractéres de la Mufique
, en forme de Ballet , in -4° gravé .
Diane & Endimion , Paſtorale héroïque , in 4°.
imprimée.
Premier & deuxième Livres de Motets à une &
deux voix & à grand choeur .
Premier , deux & troifiéme Recueils d'Airs férieur
& à boire , in-4° gravés.
La Fête de Diane , quatriéme Entrée , ajoutée
aux Fêtes Grecques & Romaines , à l'avant- derniere
repriſe
Les Caractéres de l'Amour , Ballet héroïque ,
in-folio , gravé.
Autres Ouvrages manufcrits.
Les Préfens des Dieux , Concert.
Le Parnaffe Lyrique , Ballet compofé de fragmens.
La Fête du Labyrinte .
Les Hefperides , Concert.
Zéphire & Flore , Baller ,
L'Amour vengé , Concert.
Ces divers ouvrages ont été faits pour la Cour ,
ainfi que Jupiter vainqueur des Titans , Tragédie
repréſentée au Théatre de la grande Ecurie , &
qui n'eft point encore imprimée.
CONCERTS A LA COUR.
11
E Lundi 19 Mai , on chanta chez Madame la
Dauphine le Prologue & le premier Acte du
Ballet des Elémens . 7
Lo
JUILLET. 193 1749 .
Les Mercredis 21 & 28 , le deux & le troifiéme
Actes du même Ballet.
Le Samedi 31 , on exécuta le quatriéme Acte
chez la Reine.
Les Rôles ont été remplis par les Diles Lalande ,
Canavas , Chevalier , de Selle , Fel & Bezin , &
par les Srs Benoît , Joguet , Poirier , Lagarde &
Jeliotte .
La Dlle Bezin , nouvellement reçue à la Mufique
de la Chambre , a fait grand plaifir dans le
rôle de l'Amour , de l'Acte du Feu , ainfi que le Sr
Joguet dans ce même Acte où il a chanté le rôle
de Valere , &dans le rôle de Saturne au Prologue.
Le Lundi 2 Juin` , on donna en Concert chez la
Reine le quatre & le cinquiéme Actes de l'Opéra
de Roland, Les Diles Chevalier , Bezin & Mathieu
en ont chanté les rôles , ainfi que les Srs le Page ,
Poirier , Richer & Tavernier .
Le Samedi 14 , le Prologue & le premier Acte
de l'Opéra de Séanderberg, de Mrs Rebel & Fran
coeur , Sur Intendans de la Mufique de la Chambre
du Roi , furent chantés à Marly. Les Diles
Chevalier , de Selles , Mathieu , Canavas & Ro
mainville , ainfi que les Srs Jeliotte , Benoît , Lagarde
, Poirier & Godounefche , en ont rempli les'
rôles.
Le Lundi 16 , on exécuta à Marly le deux &
le troifiéme Actes du même Opéra .
Le Mercredi 18 , les deux derniers Actes de
Scanderberg. La Dile Bezin chanta un Monologue
de l'Europe Galante , & fut fort applaudie.
2
194 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
A l'occafion de la Paix , fur l'Air : Va
Manon , ne pleure pû.
CACA , Cataud , j'ons donc la Paix ,
On ne peut pû s'en dédire .
Louis la donne à jamais ,
Oh ventre bleu qu'eu maître Sire !
Il eft affable à chacun ; :
Le voir & l'aimer c'eſt tout un,
Veux-tu fçavoir fon himeur ?
Tout partout c'eſt Henri Quatre ;
Bien loin de dire aux Seigneurs ,
Aguyeu , bon foir , allez vous battre ,
Il étoit à Fontenoy
Qui faifoit fon méquier de Roi .
***
Pour rompre le Bataillon ,
La befogne fut tenace ;
J'en rapportis tras gazons
Et deux balafres fur la face.
C'eft la Croix de Chevayer
Entre nous autres Grenadiers,
J'ons de la premiere main
THE
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, LENOX
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ท
JUILLET. : 1749 195
Eu des Billets pour la Ville ,
Par la veuve d'un coufin
Qui demeuroit à Franconville
Cheux le neveu du Parain
Du biau-frere d'un Echevin.
Tu reffembles , cher objet ,
A la fufé qui s'élance ,
Car , tiens , la tige , le jet
Oui , de te voir c'eſt l'eſpérance ;
Ta préſence en eſt l'effet ,
Mais ton regard c'eft le Bouquet.
************************
VERS préfentés à M. D * . L* . G * .le_jour
de fa fete , par M. fon fils.
Si
jadis
I jadis un illuftre Auteur ,
Le favori d'Augufte , & l'honneur du Parnaffe
Le fenfé , le profond , le délicat Horace ,
Aux mortels éloignés des rives du bonheur
Fit la Bouffole en main connoître leur erreur ;
Trop féduit par mon guide , irai - je fur fa trace
Peindre leur inconftance en fevere Cenfeur ?
Je dois à leurs défauts donner quelque couleur ;
Ou même taire une difgrace
Que je déplore au fond du coeur.
Un pere à qui mon zéle éleveroit un Temple ;
Et dont l'inépuisable & la rare bonté
1ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Pourroit vaincre en vertus , en générosité ,
Celui que le Romain nous donne pour exemple ,
Sur mes fecrets penchans doit être confulté.
;
Tout détour captieux l'auiédit & le bleffe ;
Peignons lui les combats d'une trifte raiſon
Il pardonne aux erreurs de la jeune ſaiſon :
Lui feul plus vertueux fut exempt de foibleſſe.
Le deffein de la Fable , en plaçant chez les Dieux
Un modéle parfait , une auftére Déeſſe ,
Etoit de mettre un frein au goût contagieux ,
Prêté par les humains aux habitans des Cieux
Pour autorifer la molleffe.
Tout l'Olympe n'offroit qu'un exemple odieux ,
Et les mortels , nés vicieux ,
Traitoient de douce pente , & de délicateffe ,
Ce qui ceffoit d'être crime à leurs yeux.
Sur les Autels de l'aimable Sageſſe ,
Brilloit dans ce défordre un dépôt précieux ,
Que j'admire en un pere , objet de ma tendreffe .
Fais , Minerve , à ſon fiis un préſent auſſi doux
Dans ton Temple défert que l'encens fume encore
;
Qu'Epicure foumis embraffe tes genoux.
Et toi , vice enchanteur , triomphe loin de nous
Ton cuite anéantit l'infenfé qui t'adore.
Mais trop fouvent en proye aux folles paffions
JUILLET.
197 1749.
D'un Vaiffeau fur les flots l'homme foible eft
l'image ;
Environné d'écueils & battu de l'orage ,
Si le calme fuccéde à fes réflexions ,
La tempête renaît & le livre à fa rage.
Quoi ! faut- il que nous périffions ,
Sans oppofer avec courage
De conftantes vertus aux dangers du jeune âge ?
Non ; d'heureuſes impreffions
Me fauvent déja du naufrage.
Ah ! fi dès fon printems , un pere eut en partage
Un folide tréfor , un célefte appanage ,
Mon eſpoir , mes prétentions ,
Sur un fi noble & fi doux héritage ,
Me font braver Eole & fon affreux ravagė.
L'honneur , Nautonier sûr , conduit mes actions.
A Madame de B**. fur la naiſſance
de fon fecond fils.
L A postérité de Cythére
Fut toujours moins féconde en filles qu'en gar
çons ;
Trois graces feulement en font des rejettons.
Mais de combien d'Amours,Venus , es tu la mere ?
C'est l'exemple, Philis, qu'aujourd'hui vous prenez,
Voilà déja deux fils qui vous font nés
Et qui n'ont qu'une foeur unique.
Elle réunit les attraits
Į šij
198 MERCURE DE FRANCE.
De celles dont Cypris a formé tous les traits
Et peut fuffire feule à votre République.
Ainfi je prévois qu'un eflain
De ris , de jeux , d'Amours naîtra de votre fein.
Par M.T.
cacacacacaIA CANDEDCƏvato
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE
E Roi partit de Verſailles le 7 du mois dernier
pour aller au Château de Rambouillet , & Sa
Majefté en revint le 9 .
Le 12 , jour de l'Octave de la Fête du Saint Sacrement
, le Roi accompagné de Monfeigneur le
Dauphin & de Mefdames de France , alla à l'Eglife
de la Paroiffe du Château , où S. M. entendit la
grande Meffe , après avoir affifté à la Proceffion.
Pendant l'Octave du Saint Sacrement , le Roi ,
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine & Mefdames de France , out affifté au
Salut dans differentes Eglifes .
La Reine communia le 12 par les mains de l'Evêque
de Chartres , fon Premier Aumônier.
Le Roi partit le même jour au foir pour fe rendre
à Marly.
Sa Majesté a nommé fon Ambaffadeur auprès de
1'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Bohême , le Marquis d'Hautefort , Maréchal
de fes Camps & Armées.
Le Roi a donné le Gouvernement du Canada à
M. de la Jonquiere , Chef d'Efcadre , & il doit
s'embarquer dans peu fur le Vaiffeau de guerre le
Leopold , commandé par M. d'Aubigny, pour le rene
dre à fon Gouvernement.
JUILLET. 1749. 199
Le 10 , le Chevalier Offorio , Gentilhomme de
la Chambre du Roi de Sardaigne , & fon Ambaffa.
deur Ordinaire auprès du Roi d'Eſpagne , qui doit
fe rendre inceffamment à Madrid , eut une audience
particuliere du Roi. Il fut conduit à cette
audience, ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfei
gneur le Dauphin , de Madame la Dauphine , de
Madame l'Infante , & de Meſdames de France ,
par le Marquis de Verneuil, Introducteur des Ami
bafladeurs.
La Marquise de Boufflers Remiancourt a été
nommée Dame de Compagnie de Meldames de
France.
Le Roi a donné le Régiment de Condé au Chévalier
de la Guiche."
Le Comte d'Argenfon , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Guerre & de
Paris , prit féance le 3 du mois dernier à l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres , en
qualité d'Honotaite furnuméraire .
M. Bertin de Blagný & M. l'Abbé Ladvocat
ont été nommés par cette Académie , pour remplir
la place d'Affocié , vacante par la mort de M.
d'Egly. Le premier a été choifi par Sa Majefté.
Le Prince Louis deWirtemberg Stuttgard , Che.
valier de Malte , freré puîné du Duc regnant de
Wirtemberg , arriva à Paris le 6.
Le 11 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - fept cens quarante- cinq livres , les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens
quatre-vingt fix ; & ceux de la feconde , à cinq
cens foixante.
du
Le Maréchal Comte de Saxe fe rendit le
mois dernier àVerfailles , il prit congé du Roi , &
le 9 il partit pour fe rendre à Drefde .
Le Prince de Conty fut inftallé le 10 au Temple
avec les cérémonies accoutumées , en qualité de
Grand Prieur de France.
Į iiij
200 MERCURE DE FRANCE,
Le 19 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens cinquante livres , les Billers
de la premiere Lotterie Royale, à cinq cens quatrevingt-
dix neuf, & ceux de la feconde , à cinq cens
foixante quinze.
Le 21 du mois dernier , Leurs Majeftés & toute
la Cour revinrent du Château de Marly à Verfailles .
Le Roi , Monfeigneur le Dauphin , Madame
Infante & Mefdames de France , allerent le 25 au
Château de Rambouillet.
Madame la Dauphine partit le même jour pour
aller prendre les eaux de Forges.
Le 26 , la Reine alla à Lucienne diner chez la
Comteffe de Touloufe.
Le Roi a accordé au Prince Louis deWirtemberg
le Brevet de Brigadier d'Infanterie , au fervice de
Sa Majefté.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens foixante livres ; les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens quatre-
vingt-dix neuf , & ceux de la feconde , à cinq
cens foixante dix-huit.
DUECAVACIOUNGÓ AU DU punustanu puDU nununuliɔnU JUDU
MORT S.
E 13 Mai 1749 , Alexandre Cofté , Marquis
L'de saint Suplix , Baron de Crépon , Seigneur
9
& Gouverneur de la Ville d'Harfleur , de Buglife ,
de Saint Barthelemy , d'Ecrepentot , de Vaux
de Grais , de Bavan , du Quefnay , de Cambres ,
de Sainte Croix fur Mer , & autres Lieux , mourut
à Paris , âgé de 58 ans & quelques mois
& fut inhumé fur la Paroi fe de Saint Etienne
du Mont le 14 fuivant . Il étoit fils d'Alexandre
Cofté, Marquis de S. Suplix , Confeiller au Parlement
de Normandie, & de Marguerite de Blais , Baronne
de Crêpon, Dame de Vaux, Grais , & autres
JUILLET. 1749. 2012
Lieux. Il avoit épousé én premieres nôces , le 15
Décembre 1717 , Marie - Guillemette de Moura
fille de Don Antoine de Moura , & d'Antoinette
de Camigna , dont font fortis Alexandre Antoine-
Sebaſtien Cofté , Marquis de Saint Suplix , cidevant
Officier dans le Régiment du Roi , Infanterie
, & Ayde de Camp de S. A. S. M. le
Comte de Clermont , Pierre - Jacques Alexandre
Cofté , Comte de Saint Suplix , ci- devant Officier
dans le même Régiment du Roi , puis Capitaine
dans celui de Bonac ; Dame Marguerite- Angélique
Cofté , époufe de M. Noel Florimond Huchet
, Comte de la Bedoye: e , & Anonyme Cofté
de Saint Suplix . Et en fecondes nôces , Catherine-
Françoife Thomas de Montroger , fille de feu M.
Nicolas Thomas de Montroger , Chevalier , Seigneur
du Bois Guillaume lès-Rouen . De ce ſecond
mariage , il n'eft point forti de postérité.
Cette famille eft originaire du Pays de Caux
en Normandie , où elle poflede des Terres & Fiefe
depuis Saint Louis : la preuve s'en tire des Lettres
d'Affranchiffement émanées de ce Prince , dattées
de Poiffy au mois de Juillet 1259 , données en faveur
de Roger Cofté , par lefquelles fon Fief de
Nideliu , fitué dans la Paroiffe de Senneville , eft
affranchi de certaines redevances , dont l'Original
nous a été communiqué par M. Pierre Cofté
Chevalier , Seigneur de Triqueville , chef de la
branche cadette de ce nom , propriétaire actuel
de ce même Fief , qui lui étoit échû lors des partages
à la féparation des branches , & qui a tou
jours été poffedé fans interruption depuis Saint
Louis dans cette famille , ainfi qu'il eft constaté
par tous les Regiftres de la Chambre des Compres
de Normandie , & par l'Epitaphe de Jean Cofté ,
Seigneur d'Harfeur , qui fubfifte encore dans la
même Paroiffe de Senneville , cu il a été inhumé
Han 15 38. Cette famille étoit connue même avana
退田
202 MERCURE DE FRANCE.
Saint Louis dans cette Province : il ne faut qu'ens
confulter Hiftoire , dans laquelle il eft fait mention
d'Hugues Cofté dans les liftes & dénombremens
des Seigneurs & Chevaliers qui firent le
voyage d'Outremer en 1191 , avec Richard , furnommé
Coeur de Lion , Duc de Normandie , &,
Roi d'Angleterre.
•
Jean Cofté dont nous venons de parler , étoit
feptiéme ayeul, d'Alexandre Cofté qui donne lieu
à cet article , fur lequel nous nous étendons ,
étant mieux inftruits de l'ancienneté de fa famille ,
que lorfque nous en fimes mention dans l'article
de notre Mercure du mois d'Octobre 1746 , en
annonçant le mariage de Madame la Comteffe
de la Bedoyere , fa fille . De même mieux informés
que nous ne l'étions alors de l'ancienneté de cellede
Huchet de la Bedoyere , c'est ici la place de
dire en peu de mots , que ceux de ce nom étoient
connus en Bretagne dès le commencement du
quatorziéme fiécle , pour anciens Gentilshommes.
& illuftrés les Charges & Dignités qu'ils poffedoient
dans ces tems reculés , ainfi que la Montrede
1420 , dans laquelle ils font défignés comme
anciens Gentilhommes de la Province , en font:
les preaves inconteftables. En 1407, Bertrand Hu
chet qui étoit Garde des Sceaux & Secretaire d'Etat
du Duc de Bretagne, pour lors régnant, fut nominé
Ambaffadeur de ce Prince à la Cour d'Angleterre
, ce fut lui , qui ayant époulé l'héritiere de
la Maiſon de la Bedoyere , à condition d'en porter
lenom & les armes , que fes defcendans portent:
encore aujourd'hui , quitta les anciennes armes .
de la fienne qui étoient d'azur à trois cors de
chaffe , appellés dans le langage du tems des Huthets.
Les alliances enfin que fés defcendans
ont fait,
ne fervent qu'à confirmer ce que nous venons de
dire de leur ancienneté. Nous pouvons nommer
an particulier celles qu'ils ont contractées avec
JUILLET. 1749. 243
les Maifons de Cahideux , du Gage , Treceffon
Barrin , Pelletier , Sesmaifons , Gouyon , Serview ,
du Puis , Murinais , Saint Brieux , Tanguy , du
Châtel , la Valliere , Beauvilliers , Maillé , Pleffis
Belliere , la Vauguyon , Lufignan , la Châtre ,
Treffan , Corfiny.
Les Terres de Saint Suplix , Buglife , & Saint
Barthelemy, font entrées dans la famille de Coſté,
du chefde Jeanne le Normant , fille deJean le Notmant
, Seigneur desdites Terres , qui époula Pierre
Cofté , Seigneur d'Harfleur, deVidelieu & de Nonneville,
qui mourut en 1577, Doyen de la Chambre:
des Comptes de Normandie , & Confeiller d'Etat,
Celle de Saint Suplix fat érigée en Châtellenie
en faveur de Pierre Cofté II. du nom , petit-fils:
précédent & de Jeanne le Normant mort Doyen
du Parlement de Normandie , Confeiller d'Etat &
Privé , & un des Commiffaires de la Cour pour la
réformation de la Coutume de cette Province.
Les Terres & Baronnies de Crêpon , de Vaux
& Grais , font entrées dans la famille de Saint
Suplix , du chef de Marguerite de Blais , mere du
défunt , iffue d'une très ancienne Maifon de Normandie
, qui les poffedoit de tems immémorial.
Elle étoit fille de Jean de Blais , filleul de Louis
XIII. Confeiller d'Etat , & d'Iſabelle le Sens . Le
célebre M. Huet , Evêque d'Avranches , avec qui
ce Magiftrat étoit en commerce littéraire , lui
avoit dédié une partie de fes Ouvrages ; il étoit
fils de N. de Blais , Confeiller d'Etat , & de ………..
Dubec de Vardes , qui époula en fecondes noces
François le Tellier , Seigneur de la Luthuniere
dont eft fortie une fille qui époufa Henri de Ma→
tignon , Comte de Thorigny. De ce mariage font
iffues deux filles uniques , dont Pune a époufé
le Comte de Matignon , & l'autre en premieres
nôces le Marquis de Seignelay , Miniftre d'Etat.
De ce premier mariage eft illu M. le Marquis
I vj,
204 MERCURE DE FRANCE.
de Seignelay , pere de feue Madame la Ducheffe
de Luxembourg . En fecondes nôces elle épouſa
M. le Comte de Marfan , pere de Mrs les Princes
de Pons & de Lixain . La trifayeule maternelle
du défunt , étoit Elizabeth Morel de Putange ,
du chefde laquelle il avoit hérité en partie, peu de
tems avant fon décès , d'Ifabelle, Claire , Eugenie
de Dreux , Marquife de Brezé, petite-fille de Charlotte
Morel de Putange.
Cette famille enfin eft alliée à toutes les meil
leures Maifons de Normandie , telles que celles
de Faux, de Garnetot , d'Hieville , d'Etampes , de la
Luzerne , Brevan , d'Oizy, de Civille , de Naffi , de
Bec de Lievre , de Mathan , Tierceville la
Rochaimon , Seppeville , Caftel de Crevecoeur
Gouffier d'Ailly.
· ·
>
Dame Magdeleine - Charlotte- Emilie le Févre
de Caumartin , veuve de Jacques de la Cour , Marquis
de la Cour , Seigneur de Balleroy , du Vernay
& du Tronquai , mourut au Château de Balleroy
près Bayeux , le 9 du même mois , dans
la foixante feizième année de fon âge. Elle étoit
fille de Louis le Févre de Caumartin , Confeiller
d'Etat , & de Catherine - Magdeleine de Verthamont.
Elle laiffe deux enfans vivans , Jacques-
Claude Auguftin de la Cour , Marquis de Balleroy,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Premier
Ecuyer de M. le Duc d'Orleans , & Louis - Jacques
de la Cour , Chevalier de Malte , Commandeur
d'Auxerre .
Le premier Juin , Michel - Guillaume Luthier
, Seigneur de Saint Martin , & Villy le Ma
réchal , Confeiller du Roi , Maître ordinaire en
fa Chambre des Comptes , où il fut reçu le 19
Juin 1706 , mourut d'ane attaque d'apoplexie
âgé de 81 ans , & fut inhumé le 3 à Saint Paul
ta Paroiffe , laiffant de fon mariage d'avec Catherine
Moriau , morte en couches, le 26 Février
፡
JUILLET. 1749. 208
ช
1718 , foeur de Nicolas Guillaume Moriau
Avocat & Procureur du Roi de la Ville de Paris ,
une fille unique Catherine Luthier de Saint Martin,
femme de Jean - Baptifte - François de Lamichodiere
, Seigneur d'Hauteville en Champagne ,
Maître des Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi
reçû le 19 Août 1745 , dont le mariage eft
rapporté dans le Mercure du mois de Février
1745 , volume II . page 297.
La famille de Luthier de Saint Martin , origi-
Яaire de Mont Trichard en Touraine , eft fort an
cienne , & il en exifte encore une branche en Poitou
, du furnom de la Richerie , Seigneurs d'Abain
& d'Armançay.
• Le 4 Marie Charlotte de Montmorenci
veuve de Joachim Louis de Montagu , Vicomte de
Beaune , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
Général de fes Armées , & Gouverneur de
Brouage , mourut à Paris , âgée de 47 ans , étant
née le 8 Février 1702 , & fut inhumée à Saint Subpice.
Elle avoit été mariée le 4 Décembre 1716.
Elle étoit , fille puînée de Leon de Montmo
renci , Marquis de Foffeux , & de Marie - Magdeleine
Jeanne de Pouffemothe de l'Etoile . Leon
étoit le feptiéme defcendant de Louis de Montmorenci
, qui a fait la branche des Marquis de
Foffeux , & Louis étoit fils puîné de Jean I I. Seigneur
de Montmorenci , treiziéme defcendant de
Bouchard I. le plus ancien que l'on connoiffe de
cette illuftre Maifon.
•
Cette branche des Marquis de Foffeux eft devenue
l'aînée de la Maiſon de Montmorenci , par le
défaut de celle des Seigneurs de Nivelle en Elandres
, qui s'éteignit en 1570.
Le 8 , Marie - Françoife- Henriette Langlois ,
Epoufe de N. de Fourcy , Préfident au Parlement ,
mourut à Paris , & fut inhumée à Saint Gervais .
Le 9 ,François Hervé , Seigneur de Monberton ,
2
206 MERGURE DE FRANCE.
Montreuil aux Lions , & autres Lieux , Chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Lazare , mourut , &
fut inbumé à Saint Jacques du Haut- Pas .
Le même jour , Gabrielle-Marguerite Ferreau ,
yeuve d'Antoine de Romieu , ancien Officier des
Gardes Françoifes , mourut à Paris, & fut inhumée
à Saint Merry.
Le 13 , Nicole Bachelier , veuve de Jofeph- Jacques
de Peluys , Confeiller du Roi , Maître ordinaire
en fa Chambre des Comptes delParis
mourut à Paris , & fut inhumée à S. Louis en l'Ifle.
Le même jour , Michel Borthon , Chevalier de
POrdre Royal & Militaire de Saint Louis , ancien
Maréchal des Logis des Gendarmes de la Garde du
Roi , Mestre de Camp de Cavalerie ; mourut à Pa
ris , & fut inhumé à Saint Nicolas des Champs.
C
REPONSE
De M. Daviel , Confeiller Chirurgien ordinaire
, & Oculifte du Roi , à la Lettre
Critique de M. Rouffilles , Chirurgien-
Oculifte de la Ville de Chartres en Beauce ,
imprimée dans le fournal de Verdun , du
mois de Février 1749 : page 101 .
C
Onfieur Rouffilles demande-fi M.Daviel fait
des miracles en guériffant certaines maladies
des yeux que les plus habiles gens , de la
même profeffion que lui , regardent comme abfolument
incurables, ou s'il poffede en effet le ta
lent phyfique de les guérir , ou enfin s'il s'eft
trompé , lorsqu'il a crû en avoir guéri quelquesunes
. On va répondre à cette triple question , que
Fon regarde comme très-intéreffante , & qui fait
le fujet principal de la Lettre de M. Roufilles ,
" dont on va faire connoître la fauffeté..
JUILLET. 1749 207
༡
- Rien ne m'a paru plus défagréable que d'être
obligé de répondre à une critique auffi déplacée
& d'entrer dans des difcuffions aufli mal fondées
* que celles de M. Rouffi les , mais ce ne fera pas
d'une maniere aufli peu décente ; je n'employerai
point les termes de groffier & de lourd, dont il
s'eft fervi , il eft des moyens plus doux & plus
honnêtes pour dévoiler les fautes qu'on veut critiquer
, fans fe fervir de ces paroles dures & impo ,
lies , qui ne conviennent qu'aux gens fans éduca
tion : on ne fe compromnet jamais , lorfqu'on fçait
Fart de corriger les autres avec adreffe ; une
critique polie fait aisément convenir de la vérité
Phomme du monde le plus rempli d'amour- propre ,
au lieu que les invectives & les railleries fades
sévoltent les perfonnes les plus tranquilles .
› Seroit - il fi extraordinaire après tout , de le
tromper , puifque les plus grands hommes peuvent
fe tromper tous les jours ? Je l'avouerois , méme
ingénuement , fi cela éfoit car j'ai toujours
crû qu'il valoit beaucoup mieux fe dédire , que
de paroître entêté ; mais je ne puis fouffrir , fans
me plaindre , que M. Rouffilles ait entrepris de me
cenfurer , tandis qu'il ne connoît pas lui même ce
qu'il veut critiquer. Comme fouvent la fimple appréhenfion
donne lieu à un jugement faux, Jene
fuis pas furpris que M. Rouffies ait , fi mal jugé ,
puifqu'il a fi mal réflechi ; je vais tâcher , en me
difculpant envers le Public , de lui faire connoître
que c'eft à tort , que cet Oculifte a voulu me faire
paffer pour un homme fans foi , en m'accufant
mal -à - propos de m'être vanté d'avoir guéri 19.
cataractes adhérentes , dont il a été fi étonné , qu'il
n'a pu s'empêcher de crier au miracle . Cependant
l'adhérence des cataractes n'eft pas nouvelle , M.
Rouffilles n'a feulement qu'à ouvrir le Traité des
maladies de l'oeil, fait par M.Antoine, Maître Jean ,
p . 202. de la feconde Edition ; il y verra que ce
208 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgien a traité avec fuccès en 1694. deux
cataractes adhérentes , à la nommée Madame Germain
de Villenoxe ; ces cataractes étoient fort
adhérentes à la prunelle. M. Rouffilles peut en- *
core lire , s'il veut , le Certificat rapporté à la fin
de cette Lettre ; il y verra auffi que j'ai guéri une
cataracte très adhérente par une piqûre d'épine ,
depuis 7 ans , au fils de M. Carquet , Maître Apo
tiquaire de Montpellier ; ce qui eft attefté par
plufieurs des plus habile , tant en Médecine
qu'en Chirurgie, de la même Ville. En voilà affez ,
ce me femble , pour lui prouver la poffibilité des
cataractes adhérentes , & celle de les traiter avec
fuccès. S'il étoit néceffaire d'en donner d'autres
preuves , on le feroit , puifque plufieurs Auteurs
dignes de foi le rapportent. J'ai même fait plus
de 50 fois cette opération avec fuccès. Entr'autres
une à M. Miran , Receveur du Canal de Carcaſ
fonne en Languedoc , en 1736. Meffieurs Fabre &
Bougnol , Médecins très- habiles , étoient préfens
à cette opération . Ce malade , qui avoit
pour lors 75 ans , avoit perdu l'oeil depuis 15
ans , droit par une cataracte laquelle étoit adhé
rante à l'iris , & à la prunelle par une piqûre d'é
pine de rofeau; & quoique je fuffe refté près d'une
demi -heure dans l'opération , & qu'une petite portion
de la partie poftérieure de l'iris fût déchirée, le
malade n'eut pas le moindre accident , & voyoit à
lire avec une lunette à cataracte . 2°. M. de Gaillard-
Bois , Officier de Marine à Toulon , avoit une
cataracte à l'oeil droit , occafionnée par un coup de
baguette fur cet oeil depuis 36 ans , dont je lui ai
fait l'opération le 14 Avril 1741 , avec fuccès , quoique
cette cataracte fût adhérente à toute la cir-
Conférence interne de la prunelle à la fuite du coup
& par confufion. M. Boucault , célébre Chirur
gien , & Chirurgien Major de la Marine de Toulon
, étoit préfent à cette opération , & a vû le
JUILLE T. 1749. 209
malade bien guéri. Je ne crois pas que M. Rouf
filles veuille révoquer en doute le témoignage
d'auffi grands Chirurgiens que Maîtrejean ,
de Meffieurs Fabre , Baugniol & Boucault , &
encore moins des faits : donc la premiere
queftion de M. Rouffilles tombe d'elle - même ,
puilque beaucoup de témoignages , non - fufpects ,
prouvent qu'il eft des cataractes adhérentes , &
qu'un homme habile peut les guérir .
M. Rouffilles n'accufe fort mal à propos de
plagiat , en difant que l'aiguille que j'ai citée dans
ma Lettre , fe trouve dans la Chirurgie d'Hefter ,
partition feconde, Section 2. Chap. 55. & Planche
17, tandis que rien n'eft plus faux , puifqu'il n'y
en a pas une dans la Planche 17 de M. Heifter
qui reffemble à la mienne , comme tous ceux qui
m'ont vû opérer avec cette aiguille pourroient le
juftifier ; & en dernier lieu Meffieurs Chicoyneau
, Helvetius , Bouillac & Marcot , premiers
Médecins du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , & de Mefdames de France . Meffieurs
de la Martiniere , la Foffe , Hevin & Louftonneau
, premiers Chirurgiens du Roi , de la Reine ,
de Madame la Dauphine & de Mefdames de
France , de même que Meffieurs Morand & Fager,'
deux célébres Chirurgiens , dont on peut voir
les Certificats à la fin de ma Lettre
› que M.
Rouffilles a jugé à propos de critiquer . Ceux qui
ne l'ont pas vue , la trouveront dans le Mercure
de Septembre 1748 , pag. 198. Nombre d'autres
célébres Médecins & Chirurgiens , qui ont vû mon
aiguille tant à Paris qu'ailleurs me rendront
affez de juftice , j'ofe m'en flatter , pour dire que
cette aiguille n'eft pas dans Heifter : donc la feconde
imputation de la Lettre de M Rouffilles
fe trouve détruite ; & pour peu qu'il doute fur
cette aiguille , il peut s'en affurer lui-même . Malgré
la légèreté de fes accufations , & les termes
21 MERCURE DE FRANCE.
peu ménagés dont il fe fert , je me prêterai volon
tiers à le guérir de fes doutes , s'ils ne font pas volontaires
, & s'il veut de bonne - foi qu'on l'en
guériffe.
Il me fera encore moins difficile de répondre à la
troifiéme queftion de M.Rouffilles, qui nie la poffi-'
bilité de l'opération que j'ai faite à M. Garion , le
malade cité dans ma Lettre , p. 9 & 11. C'eft être
bien hardi d'ofer nier un fait , furtout lorsqu'il eft
auffi conftaté que l'eft cette opération ; rien n'eft
plus facile à M. Rouffilles , que de s'en convaincre
lui-même en examinant l'oeil de ce malade , & en
interrogeant ceux qui ont affifté à l'opération .
&
Je crois avoir fuffifamment répondu aux trois
queftions de M. Rouffilles , aux injures près , dont
il lui a plû accompagner une critique amere ,
qu'il eût dû faire dans des termes plus convenables.
Son exemple ne m'engagera point à m'écar
ter des régles de la modération que je me fuis
preferite , & je me contente de lui repérer que
s'il veut encore avoir des doutes , il lui fera facile.
de s'adrefler à moi pour y mettre ordre , & je lui
prouverai que ce n'eft pas ma faute , fi dans plufeurs
années de féjour àDreux , le long & affidu
travail qu'il a fait fur les maladies des yeux , il n'a
pas vú des cataractes adhérentes ; je lui prouverai
auffi que c'eft la faute d'avoir vû mon aiguille dans
M. Heifter ; je lui produirai des Témoins auffi
refpectables , qu'irréprochables , de l'opération
que j'ai faite à M. Gation , & il ne tiendra qu'à
lui d'apprendre qu'un homme fage ne doit pas
être moins circonfpect à nier des faits , qu'à en
avancer.. M. Rouffilles croit- il que les Médecins
& les Chirurgiens de Paris ne fçachent pas voir
comme ceux de Chartres & de Dreux , qu'ils
n'ayent pas les Ouvrages d'Heifter entre leurs
mains, & peut- il efpérer que les négations & les
1
JUILLET. 1749.. 211
affirmations hardies auront plus de poids , que les
témoignages des plus habiles hommes de la Capitale,
de Montpellier & de Marſeille , & autres endroits
, & que celui d'Antoine Maîtrejean , Auteur ,
dout M. Rouffilles doit refpecter les déciſions , &
ne pas improuver des faits , parce qu'il ne les a
'jamais vús ?
Une cataracte ne peut fe rendre adhérente à la
partie poftérieure de l'iris , felon cer Oculiſte , que
dans deux cas. Le premier , par le defléchement
de l'humeur de morgagni ; & le deuxième à l'ocfion
des contufions , & des ophtalmies internes de
l'oeil. Mais comme il y a toute apparence que cet
Oculifte ignore le troifiéme cas , qui rend les cataractes
adhérentes , puiſqu'il n'en dit rien dans ſa
Lettre , je fuis perfuadé qu'il ne trouvera pas mauvais
que je le lui apprenne.
Le troifiéme cas qui rend les cataractes adhérentes
, & qui eft un des plus fréquens , font les
piqûres d'épine , d'épingles , de cifeaux , d'aleines,
& autres inftrumens tranchants & piquans , lef
quels occafionnent prefque toujours des adhé
rences de l'iris à la cornée ; furtout lorfque ces
inftrumens ont percé cette membrane , l'iris & le
cristalin c'eft à la fuite de ces fortes de playes
qu'il fe forme prefque toujours une union fi intime
de la membrane du criftalin à la partie poftérieure
de l'iris , qu'il eft fouvent très - difficile d'abattre
ces fortes de cataractes , & de rompre l'ad
hérence contractée . Cependant comme j'ai fait
plufieurs de ces opérations avec faccès , je ne les ai
jamais regardées comme impoffibles , ni. comme
incurables. Ces cataractes font extrêmement difficiles
à abattre , je l'avoue ; car il faut fçavoir le
pofléder , & manier adroitement une aiguille pour
faire cette opération : de plus , bien connoître la
véritable. ftructure de l'oeil . Je conviens même
avec M. Rouffilles , qu'il n'appartient pas à tous
212 MERCURE DE FRANCE.
les Oculistes de la faire ; mais comme je l'ai faite
fouvent avec fuccés , je foutiens que tout habile
Chirurgien Oculifte peut la faire comme moi &
fans aucun rifque que celui de caufer un fimple larmoyement
qui n'eft pas dangéreux , ni de longue
durée .
Je foutiens encore , que la cataracte ne fe rend
jamais adhérente par fon ancienneté. M. Rouffilles
en convient lui - même , & feu M. Petit , le
pere , célébre Médecin Oculifte , la nie même abſolument.
En effet , c'eſt fi peu l'ancienneté des cataractes,
qui les rend adhérentes à la partie poftérieure
de l'itis , que cette adhérence fe contracte
prefque toujours dès le commencement , & beaucoup
plus lorfque les cataractes font molles , que
quand elles font dures & fort folides. La raifon de
cela eft , que le criftalin dans cet état de mollefie,
étant preffé par l'humeur vitrée , fe porte en avant
& vers la partie antérieure de l'oeil , dont l'action
des quatre muſcles accélere encore l'allongement;
& pour lors la membrane qui envelope le criftalin
venant à s'allonger , donne lieu à ce corps de s'appliquer
fortement à la partie poftérieure de l'iris
& de la prunelle , dans laquelle il s'engage quelquefois
, & forme ce qu'on peut fort bien appeller
une hernie du criftalin dans la prunelle , & principalement
lorfque la membrane a été bleffée par
un inftrument tranchant ; c'eft cet engagement
& ce collement , qui fait la grande difficulté de
l'opération de la cataracte , comme je l'ai expérimenté
plufieurs fois : j'ai même vû ce cas , il y a
environ quatre mois , fur l'oeil gauche d'une jeune
Demoiſelle de Bernay en haute-Normandie , qui
me fut adreffée par M. de la Flêche , très- habile
Chirurgien de la même Ville , & Lieutenant de
M. le premier Chirurgien du Roi , auquel M.
Rouffilles peut écrire , & voir lui-même la malade
pour peu qu'il en doute.
JUILLET. 1749. 213
Les cataractes qui furviennent à la fuite des
ophtalmies internes , ou de la chorroïde , ne fe
rendent jamais , ou très - rarement adhérentes , à la
partie poftérieure de l'iris , quelque forte que foir
l'ophtalmie qui a précedé , à moins qu'il ne fe foit
formé des abces confidérables , & des épanchemens
de pus, dans la chambre poftérieure de l'oeil , entre.
le cristalin & l'iris. Il n'y a tout au plus qu'un
fimple collement du cristalin à cette partie , de
même qu'à la prunelle qu'il eft très facile de
féparer fans rien déchirer , en paffant une aiguille
telle que la mienne entre le cristalin & l'iris. J'ai
fait cette expérience nombre de fois fur des yeux
de cadavre cataractés à l'occafion des ophtalmies
internes , & jai remarqué qu'on pouvoit aisément
féparer le cristalin fans le rompre en aucune
maniere , de même que la lame poftérieure de
l'itis ; & quand bien même cette lame fe trouveroit
déchirée dans l'opération , il n'y a rien à crain
dre , comme je l'ai vu arriver quelquefois auffi en
opérant la cataracte fur des fajets vivans ; ainfi
cette prétendue adhérence eft abfolument fauffe
quoiqu'en dife M. Rouffilles. Les adhérences du
cristalin à l'iris ne fe contractent prefque jamais
que dans l'état de molleffe des cataractes , ou à la
fuite des piques d'inftrumens tranchans , & des
coups portés fur les yeux Je vois bien que cet
Oculifte ignore l'endroit où les cataractes le rendent
adhérentes , & de quelle maniere ; c'eſt ce que
je vais lui dire .
Jamais une cataracte ne peut fe rendre adherente
à la partie postérieure de l'iris , que dans les
deux cas fuivans. Le premier* lorfque es catarac
tes font fort molles ; le fecond , à l'occafion des
piqûres & des coups , comme nous venons de le
prouver , mais on doit obferver que ce n'eft pas- là
* Maladie deyeux de M.Boerhaave de 1749. p . 158.
214 MERCURE DE FRANCE.
ce qui forme la grande adhérence dont j'entends
parler. Le voici : Tous ceux qui ont bien examiné
I'oeil , fçavent que la membrane du crifta in eft unie
aux procès ciliaires , & beaucoup plus dans les
inflamations de la chorroïde , que dans l'état naturel
; c'eft directement dans cet endroit , qui fait leslimites
de la chambre poftérieure de cet organe
que le criftalin, dont la membrane pour lors eft fort
épaiffe , fe rend fi adhérent aux procès ciliaires ,
qu'il est toujours tres-difficile de l'en pouvoir féparer
, de même que dans l'état de mollèfle des
cataractes C'est donc dans cet endroit que l'Ocu- -
lifte éclairé a befoin de tout fon jugement , pourconduire
avec adreffe fon aiguille jufqu'à cette
digue , afin de la détruire & de renverser le cristalin
avecla membrane , Mais il eft bon que l'on fçache
que je n'ai jamais entendu comprendre dans le
nombre des cataractes adhérentes curables , celles .
qui viennent à la fuite des ophtalmies internes &
des abcès dans ces parties ; car l'oeil le trouve -
quelquefois dans un trop grand défordre par la
fonte de l'humeur vitrée ; de plus , et organe
devient plus petit & s'affoiblit , de forte que Popération
deviendroit prefque toujours inutile en ce
cas , puifque le malade ne verroit pas lorfqu'elle
feroit faite , quand même le criftalin feroit bien
abattu.
ל כ
» Pour guérir toute eſpèce de cataracte , dit M.
Rouffilles , il faut chaffer le criftalin de fa capfu..
le , & le loger dans le vitré. C'est l'unique
» moyen d'en lever l'obſtacle , qui dans cette maladie
empêche les rayons de lumiere de fraper
l'organe immédiat de la vûe. Pour guérir donc
une cataracte adhérente à l'uvée , il faudroit la ·
» détacher , la féparer de cette partie à laquelle
» elle eft collée : or on ne peut tenter cette fépa-' .
ration dans l'oeil , fins déchirer l'uvée , fans
Tompre un grand nombre de fes fibres , & faus
"
JUILLET.
ZES
1749.
»la détruire en tout , ou en partie . M. Rouffilles
ole même affûrer , que la moindre bleffure de
P'iris occafionne des accidens terribles , qui fou
vent ne font fuivis de rien moins que de la perte
entiere de l'oeil , que je ne l'ignore pas , & que
c'eft l'expérience de ces fâcheux accidens , qui m'a
engagé de me fervir d'une aiguille moufle. Mais
cet Oculifte va voir dans le moment , que je fuis
bien éloigné de ſa façon de penſer.
Pour guérir toute efpéce de cataractes , felon
moi , & la guérir radicalement , il faut abattre le
criftalin avec fà capfule , & le loger dans l'humeur
vitrée ; fans quoi il eft moralement impoffible de
rendre l'oeil net , & que la vue le faffle parfaitement
, furtout lorsqu'on eft obligé d'abattre des
cataractes molles , ou trop folides ; dans ces dernieres
, le criftalin eft quelquefois fi adhérent à fa
capfule , qu'il n'eft pas poffible de l'en faire fortit
fans la rompre , & occafionner de grandes inflainmations.
Je vais prouver dans le moment l'un &
l'autre cas .
Le cristalin eft un corps gelatineux , plus ou
moins folide dans certains fujets . Que la cataracte
foit ancienne ou récenté , recouverte d'une membrane
auffi plus ou moins épaiffe dans certains
fujets : le cristalin , ou fe trouve folide , ou non .
S'il eft trop folide & deffeché , ou les couches antérieures
,comme le dit M.Rouffitles dans fa Lettre,
page 6. lig. 19. il fe rend adhérent à fa membrane :
>> Souvent dans ce cas les couches antérieures font
» même très-intimement unies à la portion antérieure
de la capfule cristaline , alors il n'eft pas
poffible de détacher l'un fans déchirer l'autre : en
ce cas , la membrane devient inutile , & je fou
tiens même qu'elle forme à peu près le même
obftacle que le criftalin obfcurci ; ce qu'il eft fort
facile d'obferver fur les yeux des malades , auf
quels on a abattu la cataracte, Par cette méthode ,
210 MERCURE DEFRANCE
on voit paroître dans l'inftant même de l'opération
, ou quelque tems après , la membrane du
cristalin , comme un voile déchiré & partagé en
plufieurs morceaux , qui fottent dans l'humeur
vitrée , qui empêche toujours les malades de
voir les objets avec précifion ; ce qui n'arrive pas
lorfqu'on a abattu le criftalin avec toute la capfule
, furtout lorfqu'on abat des cataractes molles ,
comme je vais le prouver ci -après.
Lorfqu'on abat une cataracte molle , on a beau
ouvrir la membrane & preffer fur le corps du
criſtalin : il ne fort tout au plus qu'en partie , qui
fe mêle avec l'humeur vitrée qu'il trouble. La plus
grande partie du cristalin refte colée aux parois
intérieurs de la membrane qui l'envelope , où elle
forme le même obftacle qu'avant l'opération :
donc il faut abattre le criſtalin avec la membrane
dans ce fecond cas , fans quoi on fe trouve avoir
fait une opération inutile , dont les malades no
tirent d'autre fruit , que de voir les objets avec une
grande confufion , ces malades ne pouvant jamais.
parvenir à lire avec des lunettes à cataracte ,
ine les mieux faites.
mê-
UnArtifte enOptique de Paris, * m'a communiqué
depuis peu quelques unes de les réflexions fur l'opé
ration de la cataracte , dans un Traité d'Optique
méchanique , actuellement fous preffe , & qu'il
compte inceffamment donner au Public : il
prétend qu'on ne peut donner des lunettes aux per .
fonnes opérées , que trois mois après l'opération .
Je lui ai prouvé par un malade que j'avois alors
chez moi , ( M. P'Abbé Bouvel de Langres , ) que
quand une opération étoit bien faite , on poue
voit procurer le fecours des lunettes plus promp
*M. Thomin , Marchand Miroitier-Lunetier , rue
Saint Jacques , près le Collège du Pleſſfis , qui excelle
Sansfon are
Lement
JUILLET. 1749. 217
tement. Effectivement il vint lui- même chez moi ,
& fit voir au malade en queftion , le feizième jour
après l'opération , à pouvoir lire & écrire avec des
verres, à la vérité très réguliers, & tout ce que l'art
pouvoit donner de plus parfait. Je lui prouvai encore
fur une feconde réflexion qu'il fait dans fon
Traité , Qu'on ne peut donner aux personnes opérées ,
dufecours qu'avec des verres de foyer, depuis 18 lignes
juſqu'à 20, & par progreſſion jusqu'à 4 pouces inclufis
vement. Ce dernier , felon lui , eft le plus long
foyer qu'il ait jamais pu donner à ceux que
d'autres que moi ont opérés. Je lui prouvai , disje
, que certains fujets , ayant fouffert par
plufieurs opérations douloureuſes & leurs fuites
après la cataracte , j'avois fi bien rétabli le
méchaniſme de l'oeil , par ma nouvelle méthode
d'opérer la cataracte que fix mois ou un an
après , ils étoient en état de lire & écrire avec
un verre de fix pouces de foyer. Je lui ai fait
voir entr'autres une Dame , pour lors à Paris ( Madame
de Vandeüil citée dans ma Lettre ) page 18.
à laquelle il a donné lui même des lunettes du
foyer dont je parle . Il fut très étonné de la longueur
de la vue de la perfonne en queſtion , qui ne
voyoit rien du tout avec ce qu'on appelle lunette
à cataractes ordinaires , & m'avoua qu'il n'en
avoit encore jamais vû à qui la vûe fût ralongée
de cette force-là. Voilà deux faits dont il est témoin
oculaire , & que j'ofe me flatter qu'il atteftera
à tous ceux qui pourroient le lui demander. M.
Thomin fait encore une réflexion , qu'il a trouvé
bien des perfonnes opérées aufquelles il n'a pu être d'au.
cun fecours. Je ne vois pas que de tous ceux que j'ai
traités , il puiffe m'en prouver un à qui il n'ait
réuffi rélativement à l'ufage des lunettes ; & à
Pégard de bien d'autres qui fe mêlent de la même
opération à tort & à travers , fans aucunes précautions
antérieures ni poſtérieures , en vrais charla
K
pas
218 MERCURE
DE FRANCE .
୮
tans, Mettez-vous- là , je vais vous guérir dans la
minutte.
Je lui prouverai , s'il n'eft pas difpofé à me rendre
justice lui-même là- deffus , fur 100 perfonnes ,
plus de 90 auxquelles il n'a pa, réuffi à leur commumiquer
la route exacte des rayons de la lumiere ,
par les moyens que la dioptrique nous fournit.
elle
>
Pour ce qui concerne la bleffure de l'iris ,
n'eft pas à beaucoup près auffi dangéreufe que fo
le perfuade M. Rouffilles . Si cela étoit , un grand
nombre de malades courroient rifque de perdre
la vûe à tout moment dans plufieurs opérations
qu'on eft obligé de faire fur les yeux , principalement
dans la catara &te , furtout de celles qui ont
contracté des adhérences fi intimes avec l'iris ,
qu'il eft très- difficile de venir à bout de les en
féparer fans déchirer cette partie. Cependant , il
n'en réſulte
pas le plus petit accident , comme je
m'en fuis convaincu dans plufieurs opérations de
cataractes adhérentes par des coups , ou des piqûres
d'inftrumens tranchans & piquans , & dans
une infinité d'autres opérations , que j'ai été obligé
de faire dans la chambre antérieure de l'oeil ,
fur l'iris , dont j'ai quelquefois emporté des portions
, comme il arrive auffi affez fouvent dans l'opération
du ftophiloma.
&
La bleffure de l'iris eft de fi peu de conféquence ,
qu'on peut l'ouvrir même de toute fa longueur
fans rien craindre. La preuve en eft évidente , furtout
lorfqu'on eft obligé de faire une prunelle
artificielle comme l'a fait heureufement M.
Chefelden , célébre Chirurgien à Londres , ainsi que
le rapporte M.Heifter dans faChymie , Partition 2.
Section 2. Chap . 55. page 616. & Planche 17. du
même Livre ; & comme on peut le voir encore
dans le Traité d'Opérations de M. Scharp , trèshabile
Chirurgien de la même Ville , que j'ai vu il
y a un mois & demi chez M. Daran Chirurgien ,
JUILLET. 1749 219
ordinaire du Roi , qui enfeigne , comme M. Chefelden
, la maniere de faire cette opération. M.
Rouffilles a donc fort mal interprété mon fentiment
à ce fujet. Pour ce qui regarde les accidens
qui ont coûtume d'accompagner l'opération de la
cataracte , dont l'inflammation & le larmoyement
font les plus confidérables de tous , l'inflammation
eft toujours le plus à craindre , furtout lorsqu'elle
perfifte long tems : cet accident entraîne prefque
toujours après lui une fuppuration totale du globe
de l'oeil , fouvent fans remede. Cette fuppuration
eft quelquefois fi prompte, qu'elle arrive en moins
de 24 heures , quoique la cataracte ait été abattue
dans une minute ; & voici comme cela fe fait.
Lorsqu'on porte l'aiguille dans l'oeil , & qu'on
la dirige fur le corps de la cataracte pour l'abaiffer,
foit antérieurement , on poftérieurement ; car il
n'y a que ces deux méthodes d'abaiffer la catarac
te, je compte même d'être le premier qui ai porté
mon aiguille tout droit vers la partie antérieure
du criftalin ) il faut toujours que la capfule cristalloïde
foit déchirée dans l'union de fes deux lames
qui l'attachent aux procès ciliaires , & que ce déchirement
foit fait à la partie fupérieure moyenne ,
ou inférieure de cette capfule antérieurement ou
poftérieurement ; & comme cette capſule eft
fortement unie aux procès ciliaires , ainfi que
nous l'avons déja dit , & qu'elle s'enclave même
dans toute la circonférence de la retine en forme
de langue de gueule ; il eft moralement impoffible
qu'en preffant avec l'aiguille fur le corps du criftalin
antérieurement ou poftérieurement , pour le
faire fortir de fa membrane, ou de fon chaton , que
les procès ciliaires ( qui font partie de la chorroïde )
ne foient tiraillés de même que la retine : par
conféquent tout le fond de l'oeil en fouffrira de
violentes fecouffes & commotions ; tous les vaiffeaux
fanguins , limphatiques , & furtout les petits
7
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
filets nerveux qui répondent à ces parties , fe trouveront
déchirés & criſpés dans leur principe , & fe
retireront à peu près comme une corde à boyau ,
qui fe caffe lorfqu'elle eft bien tendue ; de-là , il
arrive de violentes douleurs à la tête , aux oreilles,
aux dents , dans toute la circonférence de l'oeil &
de l'orbite , fuivies de vomiflemens & d'une infinité
d'autres accidens , & enfin quelquefois de la
fuppuration totale de cet organe , fans que l'iris
ait été ni touché , ni bleflé en aucune maniere ;
donc ce n'eft pas à l'iris bleffé , ni déchiré , qu'on
doit rapporter tous les accidens & les défordres
qui ont coûtume de fuivre l'opération de la cataracte,
même la mieux faite.
Il eſt auffi abfolument faux que l'adhérence de
la cataracte rende la prunelle immobile. Quelque
forte que foit la preffion du criftalin contre la
partie poftérieure de la prunelle ; même dans prefque
toutes les cataractes occafionnées par des ophtalmies
internes , la prunelle conferve fouvent le
quart de fon mouvement. Mais j'ai déja dit , que
je n'ai pas prétendu mettre ces fortes de cataractes
au rang des autres ; M. Rouflilles a donc pris le
change dans cette occafion . Il eft vrai que le peu
de mouvement de la prunelle peut en impofer à
des Oculistes ordinaires , & les empêcher d'entreprendre
des opérations heureufes . La cataracte du
feptiéme malade, dont j'ai parlé dans ma premiere
Lettre , p . 4. auroit fans doute paffé pour incurable
aux yeux de M. Rouffilles , pui qu'elle étoit de cette
nature . La prunelle n'avoit prefque aucun mouvement
,& à moins que d'y
faire une grande attention
, à peine pouvoit on l'appercevoir. Cependant
cette cataracte a parfaitement réuffi , & quoiqu'elle
parût fort adhérente , je ne la jugeai pas
telle. Le malade n'a eu aucun accident , & voit à
lire de cet oeil , au moyen d'une lunette à cataracte
.
JUILLE T. 1749. 221
M. Rouffilles n'a rien dit de nouveau , lorsqu'il
a affûré que toutes les cataractes ne ſe reffemblent
pas ; il y a fort long-tems qu'on le fçait ; & fans
entrer dans un détail ici trop déplacé , cet Oculifte
auroit fimplement dû prouver , s'il lui avoit
été poffible , qu'il n'y avoit point de cataractes.
adhérentes , fans entrer dans un long verbiage ,
qui ne peut tout au plus qu'ennuyer un lecteur ,
fans l'inftruire .
5
Je le repéte encore , les accidens qui ont fuivi
quelques-unes de mes opérations , ne m'ont jamais
fait croire que les cataractes étoient adhé
rentes , tandis qu'elles ne l'étoient pas , & s'il faut
que je cite à mon tour le nombre d'années de mes
travaux , j'af aflez étudié l'oeil & les maladies
pendant près de vingt- cinq ans dans des Hopitaux
, plus nombreux fans doute , que ceux de
Dreux & de Chartres , furtout dans celui des Galéres
de Marſeille , où j'ai fait plus de fept mille
expériences fur des yeux de cadavres , & nombre
d'autres opérations de toute efpéce fur des fujets
vivans , comme je fuis en état de le prouver , pour
m'être laiffé féduire par des fauffes apparences. Je.
fuis perfuadé même , que fi M. Rouilles veut
faire un peu d'attention à ce que je viens de dire
, il conviendra par les preuves que je lui en
donne , qu'il y a des cataractes adhérentes , & .
que la plupart font curables ; que mon aiguille
n'eft ni dans la Chirurgie d'Heifter , ni ailleurs ,
que l'opération que j'ai faite à M. Garion , étoit
bien indiquée , & qu'elle étoit poffible , puifqu'il
n'eft pas nouveau d'ouvrir la chambre antérieure
de l'oeil , & que de-là on peut paffer un inſtrument
dans la chambre poftérieure pour en extraire un
corps . Il eft vrai que cette opération m'eft parti .
culiere , & M. Rouffilles n'a pas tort de dire
voilà du neuf affûrement, puifqu'il ne trouvera pas.
une pareille obfervation dans aucun Auteur. Ilne
Kiij
222 MERCURE DEFRANCE .
s'agit donc plus à préfent que de prouver que les
cataractes peuvent être tout à la fois fort molles &
très-adhérentes , très - molles & pierreufes , & que
j'ai réellement guéri les 61 cataractes dont j'ai
parlé dans ma Lettre.
Les cataractes peuvent être tout à la fois ,fort molles
& très -adhérentes. J'ai déja dit que l'adhérence
de la cataracte fe formoit toujours plutôt dans fon
état de molleffe que lorfqu'elle étoit folide , la cataracte
peut donc fe rencontrer fort molle , & trèsadhérente
tout à la fois ; une cataracte peut encore
être fort molle dans toute la circonférence ,
& fe trouver pierreufe dans fon centre ; c'eft ce
que j'ai vu auffi plufieurs fois. J'ai même commu
niqué le 2 Avril 1742 , une obſervation à l'Académie
Royale des Sciences au fujer de la pétrification
du cristalin , & l'offification des membranes
de oil : la cataracte étoit cependant fort molle
dans toute fa circonference . Voici les propres
termes de M. Morand ,qui m'écrit de la part de l'Académie,
& à qui j'ai envoyé les pieces offeufes .
J'ai préfenté , Monfieur , à l'Académie Royale
» des Sciences , celle de vos trois obfervations qui
roule fur la pétrification du cristalin , & l'offi-
» fication des membranes. Cette obſervation a été
très-bien reçûe , & elle fera inferée dans l'Hiftoire
de cette année.
ככ
J'ai auffi obfervé plufieurs fois que le milieu
de la cataracte étoit pierreux , & très -fouvent offeux
fur des cataractes que j'ai abattues à des malades.
J'ai trouvé ces cataractes fort molles dans
la circonference , comme je viens de le dire , qui
n'ont pas laiffé de bien réuffir. 1ne me reste donc
plus qu'à citer les malades que j'ai operés , pour
accomplir les foixante-une cataractes que j'ai réellement
guéries. Des 75 que j'ai opérées dans l'efpace
de près de deux ans à Paris , comme je l'ai
avancé dans ma Lettre , que M. Rouffilles fe perJUILLET
, 1749. 223
fuåde une fois pour toutes , que je n'ai pas prétendu
en impofer au Public , & fi je n'ai pas nommé
tous les malades dont je parle , c'eft que bien des
perfonnes ne me l'avoient pas confeillé ; mais la
défiance de cet Oculifte m'oblige à lui communiquer
charitablement la lifte de ces malades : je
l'avois épargnée au Public pour ne pas le fatiguer.
Je finis , en priant M. Rouffilles de fe fouvenir,
que deux confreres doivent traiter vis- à- vis l'un
de l'autre avec modération les queftions , où ils fe
trouvent d'un fentiment contraire , & qu'ils le
doivent par refpect pour le Public , autant que
par refpect pour eux- mêmes. Les injures & les
termes durs , ou peu meſurés , ne pafferont jamais
pour des argumens aux yeux des gens éclairés. Au
furplus je prends la liberté de l'avertir encore , qu'il
peut déformais écrire contre moi , autant qu'il
lui plaira , fans que je lui réponde . J'aime mieux
employer mon tems à tacher de m'inftruire , autant
qu'il me fera poffible , dans un art dont l'éten
due eft immenfe . Une feule découverte , quelque
médiocre qu'elle foit , me dédommagera abondamment
de la patience , avec laquelle je prends le
parti de laiffer en repos ceux qui tenteront inutilement
de troubler le mien par de faufles accufations;
ou par des injures que je tacherai par ma droiture ,
mon application , & par la vérité dont je fais profeffion
, de ne pas mériter qu'on m'accufe , & je
fais voeu de préferer le parti du filence , à la trifte
fatisfaction de rendre des injures pour des injures.
Signé , DAVIEL. A Paris , le premier Juillet 1749.
Supplément des foixante cataractes dont j'ai
parlé dans ma premiere Lettre.
Madame Morel , 60 ans , place du vieux Louvie
, deux cataractes depuis 7 ans .
Le Sr Soquet , 40 ans , cataracte depuis 2 ans
224 MERCURE DE FRANCE .
rue du Bouloir , chez feu M. de Herfan , près um
Bourrelier.
M. du Vochel, 65 ans , une cataracte depuis fix
ans , à Abbeville en Picardie.
Charles Malo , 66 ans , deux cataractes depuis
fax ans , à Bicêtre .
Marie Mabil , 25 ans , cataracte depuis 18 , avec
ophtalmie & ulcéres de la cornée tranfparente , à
Trefnel , fauxbourg faint Antoine.
Catherine Perrin , Servante , 30 ans , deux cataractes
, depuis deux ans de l'oeil droit , gau
che huit , avec ophtalmie & ulcéres de la cornée
transparente.
Jean Ché , des Nos en Champagne , deux cataractes
depuis dix ans , avec ophtalmie confidérable
fur les deux yeux.
Marie Septier , femme de Jean Chauvin , Me-
Buifier , 65 ans , rue S. Antoine , près les Enfans
Trouvés , cataracte depuis deux ans.
Madame Abert , 60 ans , une cataracte depuis
deux ans , à Nevers.
Madame Cardon , so ans , cataracte depuis cinq
ans , chez Mad . du Trulot ,citée dans ma ire. Lettre .
Louis Bourgeot , 72 ans , deux cataractes depuis
trois ans , de Coulommiers en Brie.
Jean-François Boufquet , ancien Soldat de Navarre
, de Villefranche en Rouergue , 36 ans , cataracte
depuis deux ans.
N. Milon , Cabaretier de Rofoy en Brie , âgé
de 66 ans , cataracte depuis quatre ans.
Mad. de Brie , 47 ans, cataracte depuis deux ans,
avec ophtalmie & ulcéres de la cornée tranſparente
, place des Victoires , chez Mlle Migniere .
Me Genêt , Hôte de Nemours , auquel M. Rouffilles
avoit abattu une cataracte à l'oeil gauche
depuis le dix -feptiéme Mai 17461 dont ce
malade n'a rien vû après l'opération , & a fouf ,
fert de violentes douleurs , quoique cette catarac
JUILLE T. 1749. 225
te fût de la meilleure efpece, felon le rapport dudir
malade & de ceux qui l'avoient vû avant l'opération
; l'oeil de ce malade eft totalement perdu fans
aucune reffource ; il eft fâcheux pour M. Rouffilles
que je fois forcé par lui - même de me juſtifier à ſes
dépens , je ne prétends cependant pas le taxer d'ignorance
pour avoir manqué une cataracte, ce qui
peut arriver au plus habile Oculifte.
J'ai operé une cataracte à l'oeil droit du Sr Genêt
, qui n'en voyoit pas depuis cinq ans : cette
opération m'a parfaitement réuffi , & fans qu'il me
foit furvenu le moindre accident .
Je compte préfentement que la furpriſe de M.
Rouffilles doit ceffer, lorſqu'il verra le fupplément
des 61 cataractes que j'ai guéries , comme je l'ai
avancé dans ma premiere Lettre ; & fi c'étoit une
perte pour le Public de n'en avoir cité que 40 de 61,
comme l'a malicieufement dit cet Oculifte , je viens
de réparer cette perte en nommant les 21 catarac
tes qui me reftoient encore ; mais je fuis fâché , com
me je l'ai déja dir, que M.Rouffilles m'ait mis dans
la dure néceffité de nommer ce dernier malade ,
dont je n'auroic iamais dit un mot , fi M. Rouſſilles
ne m'avoit pas attaque.
Copie d'un Certificat de plufieurs Médecins
Chirurgiens de Montpellier , qui prouvent
l'adhérence de la Cataracte occafionpar
une piqûre d'épine. née
,
Confeiller Medecin Nous Antoine Fizés
du Roi , en l'Univerfité de Medecine de Montpellier
, de la Société Royale des Sciences ,
Certifions que le Sieur Jacques Daviel , Maîtreès
-Arts , Chirurgien Juré de Marfeille , entretenu
fur les Galeres du Roi , de la Société des Sciences
de Touloufe , Affocié , Correfpondant de l'Académie
Royale de Chirurgie de Paris , Membre
126 MERCURE DE FRANCE.
de celle des Sciences de l'Inftitut de Bologne
Proteffeur & Démonftrateur Royal de Chirurgie
& d'Anatomie de ladite Ville de Marfeille , a fait
avec beaucoup de dextérité , & entier fuccès , en
notre préfence , l'opération de la cataracte a l'oeil
droit du Sieur Jacques Carquet , fils du Sieur Autoine
Carquet , Maître Apoticaire de Montpellier,
laquelle cataracte avoit été occafionnée par une
piqûre d'épine depuis fept ans , ce qui l'avoir
rendue adhérente du côté du petit angle , & faifoit
la grande difficulté de l'operation , qui n'a été
fuivie d'aucun accident. En foi de quoi nous avons
figné le préfent Certificat . A Montpellier le 19 Fé
rier 1743. Signé , Fizés.
Filz Gerald , Profeffeur en Medecine , & Botanique
de la même Univerfité de Montpellier, & de
Ja Société Royale des Sciences , certifie la même
chofe comme M. Fizés .
Gouraigne , de la Société Royale des Sciences ,
premier Medecin de la Charité. Soulliers , Serres ,
Henry & Mejan, Maîtres Chirurgiens , qui atteſtent
la même chofe.
Nous Maire , & Lieutenant
1
, Confuls
de Montpellier
, certifions
à tous ceux qu'il appartiendra
que Meffieurs
Fizés
,
Filz Gerald
, qui ont figné
le Certificat
ci-deſſus
,
font Profeffeurs
Royaux
en l'Univerfité
de Medecine
de Montpellier
, comme
auffi que M. Gou- raigne
, qui a pareillement
figné
le préfent
Certificat
, eft premier
Medecin
de la Charité
de ladite
Ville
, & que les Sieurs Soulliers
, Serres Henri
& Mejan
font Maîtres Chirurgiens
de ladite
Ville
, aux feings defquels
foi doit être ajou- tée , tant en jugement
que hors. En foi de quoi
nous avons figné le préfent
, & fait contre
- figner
par notre Greffier
, & à icelui fait poſer le fceau
& armes
de ladite Ville
. Fait à Montpellier
le 27 Fé- xier 1743. Signé
, Nadal
, Lieutenant
de Maire
>
JUILLET. 1749. 227
V. P. Baftide , Conful, Berger , Conful. Par lefdits
Sieurs , Caftagne , pour le Greffier.
AV I S.
Comme il eft revenu depuis quelque tems à M.
Daviel , qu'on avoit débité dans le Public qu'il
étoit parti pour s'en retourner à Marſeille , il a été
bien aife de donner avis du contraire , & d'avertir
ceux qui auroient pû le croire , qu'il a fixé pour
toujours fa réfidence à Paris , où il a fait venir toute
la famille depuis le 8 du mois de Mai dernier ,
le Roi l'ayant honoré de la Charge de fon Chirurgien
Oculifte le premier Janvier dernier . Il demeure
toujours fur le quai Malaquais , près l'Hôtel
de Bouillon , dans la Maiſon de M. Mandat ,
Maître des Requêtes , où il continue de faire des
Cours particuliers pour les maladies des yeux , de
prendre des penfionnaires chez lui pour ces fortes
de maladies . On le trouve tous les matins depuis fept
heures jufqu'à dix , & l'après midi , depuis trois
jufqu'à cinq à fa mailon . On prie ceux qui voudront
lui écrire dorénavant de quelqu'endroit que
ce foit , d'affranchir leurs lettres , fans quoi il ne
fera aucune réponſe.
APPROBATION.
'Ai la par ordre 'de Monfeigneur le Chance
lier leMercure de France du mois de Juillet 1949.
A Paris le premier Juillet 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY
TABLE .
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe:
fépulture de Philippe de France , premier Duc
d'Orleans ,
3.
Vers fur une maladie ,
Autres fur une convalescence ,
10
Autres fur un mal d'yeux , & fur une navette, 11
Lettre à M. Remond de Sainte Albine
Les deux Buches , Fable à M. Oudry ,
Refléxions ,
Vers de M. Baſton à une Dlle ,
•
Lettre fur l'hiftoire naturelle des Punaifes ,
Epitre à M. ***
121
19
21
25
26
39
15
Propofition en faveur du Commerce maritime , 49
Epitre de M. Racine à M. de Valincourt ,
Lettre fur la pétrification des coquillages ,
61
Le triomp de l'Amour & de la Beauté, Cantate, 65
Air ,
Lettre à M. Remond de Sainte Albine ,
Ode fur la Paix ,
66
68
73
Affemblée publique de l'Académie Royale des
Belles Lettres de la Rochelle ,
L'heureux Berger , Cantate ,
L'Hymen , autre Cantate ,
Lettre de M. Rameau à M. R. de S. A.
83
III
113
116
Mots des Enigmes & Logogryphes du fecond
Nouvelles Litteraires , des Beaux-Arts , &c .
volume de Juin ,
118
Enigmes & Logogryphes ,
119
125
Eftampes nouvelles ,
155
Lettre à M. de Boze , 158
Lettre de M. de Mondorge à M. R. de S. A. 173
Troihéme Lettre de M. Cantwel , 179
Defcription d'un Surtout de Table , 188
Spectacles ,
190
Chanfon notée , 124
Vers à M. D L. G. Autres à Mad. de B. 195
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 198
Morts 201
Réponse de M. Daviel à M. Rouffilles ,
La Planche gravée doit regarderla page
La Chanjon notée lapage
207
171
3194
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU
ROI.
AV
A O
UST. 1749 .
TUT SPARGAR
LIGIT
|UT
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Sain
Jacques , à S André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defce te du Pont - Neuf
auPalais. JEAN DE NULLY,
JACQUES BARROIS , Qual
des Auguſtins , à la ville de Nevers.
M. DCC. XLIX.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
A VIS.
LA
'ADRESSE générale du Mercure.eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon. Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , &plus promp
tement, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci-deffus
in tiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , ruë des Mauvais Garçons , powe
remettre à M. Remond de Sainte Albine,
PRIX XXX . SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DÉDIÉ AU ROI.
AOUST. 1749.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
Ecrite de
M
LETTRE *
fur la Comédie du Méchant.
Adame , vous me demandez un
examen de la Comédie que vous
avez eu la bonté de m'envoyer ,
& mon premier foin eft de joindre
à mes remerciemens la preuve de ma
* Cette Lettre a déja eté imprimée au commencement
de l'année derniere. Plufieurs des refléxions
qu'on ylit au fujet de la Comédie du Méchant , fe retrouvant
dans le nouvel ouvrage périodique , intitulé,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
déférence pour vos ordres. Amie des talens
, mais zélée pour la perfection des
Arts , vous voulez qu'on rende juftice à
toutes les beautés d'un ouvrage , mais vous
ne croyez pas qu'on doive s'aveugler fur
fes défauts. Je me conformerai à votre
goût , & je ne m'interdirai ni les éloges
ni les critiques que mérite la Piéce fur laquelle
vous défirez de fçavoir mon ſentiment.
>
Quelques- uns de vos beaux efprits , à ce
que vous m'apprenez , Madame , prétendent
qu'il n'eft pas permis de prendre pour
le fujet d'une Comédie un caractére haïffable.
Je penfe differemment. Le vice ,
ainfi que le ridicule , eft admis au Théatre,
pourvû qu'en nous infpirant de la hainę
pour ce qui eft blâmable , on ait le fecret
de nous faire rire , & j'en ai pour garant
le fuccès avec lequel Moliere a mis fur la
fcéne l'impieté & l'hypocrifie.
Cléon étant encore moins odieux que
Don Juan & que le Tartuffe , je ne ferai
donc point le procès à M. Greffer , de neus
avoir peint un fourbe digne de notre aver
fion. Je lui reprocherai feulement d'avoir ,
LETTRES SUR QUELQUES ECRITS DE
CE TEMS , nous croyons faire pla fir aux Lecteurs
en les meitant en état de comparer les obfervations.
des deux Critiques,
A OUST. 1749.
embraffé dans fon Poëme un fujet trop
vaſte . Si un Auteur intituloit une Comédie
LE VICIEUX , nous lui dirions avec
raifon : Le caractére que vous nous annonce ,
eft trop compofe. Pour remplir voire titre, vous
êtes obligé de nous montrer dans un même homme
tous les vices , ou du moins les plus remarquables
. Ce monftrueux affemblage partagera
notre attention entre plufieurs objets , & nous
voulons qu'un feul nous occupe au Théatre. Le
nom de Méchant étant générique , & ne
comprenant pas moins d'efpeces d'hommes
differens que le nom de Vicieux , on peut
faire à M. Greffet une pareille objection .
Autant défaprouvé- je le trop d'extenfion
donné par cet Auteur au caractére de fon
perfonnage dominant , autant j'applaudis
au choix de fes Acteurs fubalternes. Ils font
tous ingénieufement adoptés ,, ou pour
contrafter avec le Méchant , ou pour lui
donner occafion d'exercer fon malheureux
penchant à nuire . Je ne m'arrêterai point
au rôle d'Arifte , pour prouver le difcernement
de l'Auteur dans ce choix . Le Poëte
le plus médiocre auroit fenti la néceffité
d'opposer à Cléon un homme véritablement
vertueux. Ce dont je tiens compte à
M. Greffet , c'est d'avoir fuppofé dans la
mere & dans l'amant de Chloë la diſpoſition
qu'ont la plupart des femmes & des
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
jeunes gens de notre nation à fe laiffer féduire
par l'extérieur , & à méconnoître
le ridicule & même le vice , dès qu'ils fe
déguifent fous des dehors brillans .
M. Greffet n'a pas été auffi heureux dans
l'invention de la fable de fa Comédie, que
dans le choix de ces deux perfonnages . Je
ne me plains point comme vous , Madame,
de ce qu'il ny a pas dans fon Poëme ce
qu'on appelle communément intérêt . Selon
moi , une Piéce comique eft faite pour
amufer l'efprit , & non pour remuer le
coeur. Quand du fujet il naît naturellement
une fituation attendriffante , je n'ai garde
d'exiger qu'on la rejette ; mais quoiqu'à
préfent les perfonnes de votre ſexe defirent
de trouver de pareilles fituations dans la
Comédie , je crois non -feulement qu'elles
n'y font pas néceffaires, mais encore qu'elles
font étrangeres au genre , & que Moliere
& Regnard fe feroient mocqués de quelqu'un
, qui leur auroit demandé fi cette
efpece d'intérêt fe rencontroit dans une
Piéce nouvelle de leur compofition.
Le feul intérêt qu'ils penfoient à faire
entrer dans leurs ouvrages dramatiques, eft
celui que les connoiffeurs nomment inté
rêt de curiofité . Il confifte à exciter dans
le Spectateur un défir inquiet de fçavoir
ce qui doit fuivre chaque incident . M.
A O UST. 1749. 7
Greffet avoit deux moyens de produire
cet intérêt. L'un étoit de faire en forte
que le Méchant fût expofé continuellement
au péril prochain de fe voir démafqué
, & que fon habileté lui fournît , jufqu'au
dénouement , des reffources pour fe
tirer de ce péril. L'autre étoit de jetter fans
ceffe dans l'embarras , par les intrigues du
Méchant , les Acteurs aufquels nous nous
ferions intéreffés , & de ménager , à chaque
inftant où Cléon avoit fujet de croire
qn'il étoit prêt de triompher d'eux , un
hazard favorable qui s'opposât à fon fuccès.
Par-là , M. Greffet auroit mis de l'action
dans fa Piéce , & j'accorde à fes Cenfeurs ,
qu'il a trop négligé cet article . Sa Comédie
n'a de vraies fcénes théâtrales , que
celle dans laquelle Valére ( a ) s'efforce de
dégoûter Geronte de lui ; celle dans laquelle
Cléon , ignorant qu'il eft entendu
de Florife , en fait à Lifette (b) un portrait
fi défavantageux ; celle ( c ) de la rupture
de Floriſe avec le Méchant , & fi l'on veut,
celle imaginée (d) pour procurer à Lifette
de l'écriture de Frontin. Nous verrons
( a) A&t . III . Scen . 7
(b ) A&t . IV . Scen. 9 .
( c ) A&t. V. Scen. 7 .
( d ) A& , V. Scen. 1 .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
le
dans la fuite , que la premiere eft défec
tueufe. La feconde a été employée plufieurs
fois. Pour la quatrième , elle eft
neuve & jolie , mais elle ne mérite pas
nom de fituation. Ce nom n'eft légitimement
dû qu'à la premiere & à la troifiéme.
Je me doute que cette derniere a été fort
applaudie , & l'intrépide malignité , avec
laquelle Cléon , après être tombé aux genoux
de Florife , fe releve & la badine ,
me paroît un de ces coups de Théâtre ,
propres à faire une vive impreffion ſur
tous les Spectateurs.
Vous me mandez , Madame , qu'on a
regardé comme un art dans M. Greffet ,
de n'avoir fait le Méchant ni intéreſſé ni
amoureux , & de ne lui avoir prêté , pour
mettre obftacle au mariage de Valére &
de Chloë , d'autre motif que celui de porter
le trouble dans deux maifons . Je n'adopte
pas le principe fur lequel cette opinion
eft fondée. Il eft vrai que par là
Cléon en eft plus méchant , mais par- là
l'Auteur le rend auffi plus odieux , & cela
fans en retirer aucun avantage. En effet ,
que M. Greffet gagne t'il à prendre ce parti
? Premierement , l'objet de la Comédie
eft l'imitation des défauts communs ; & en
nous peignant un homme qui fait le mal
précisément pour le mal , l'Auteur nous
A O US T. 1749.
9
offre un être fi fingulier , qu'à peine il exifte
à la fois cinq ou fix de fes femblables chez
toute une Nation . Secondement , nous
exigeons dans les Poëmes dramatiques une
vraisemblance beaucoup plus rigoureufe
que dans d'autres ouvrages. Ce qui peut
nous paroître vrai dans un Roman , ce qui
l'eft même dans l'Hiftoire , quelquefois ne
nous le paroît pas au Théâtre , parce que
nous n'y trouvons vraisemblable que ce
que nous voyons arriver le plus ordinairement.
Nous fommes accoûtumés à ne voir
les hommes les plus pervers le déterminer
au crime , que parce qu'ils ont , ou s'imaginent
avoir quelque intérêt à le commettre.
Dans les régles de la vérité théâtrale ,
Cléon devoit relfembler aux méchans que
nous connoiffons.
Il auroit diverfes autres remarques
y
à faire fur la fable de la Comédie du Méchant.
Pour ne pas vous ennuyer , Madame
, par de trop longs détails , je paffe à
l'examen de la conduite de ce Poëme.
On ne peut fans injuftice refufer des
louanges à M. Greffet , fur l'adreffe avec
laquelle il nous épargne les récits longs &
fatiguans , dont quelquefois les expofitions
font furchargées. Tout ce que nous
avons befoin de fçavoir pour l'intelligence
de l'action de fa Comédie , il le dit fans
A v
10 MERCURE DE FRANCE:
lailler entrevoir le deffein de nous inftruire.
C'est dommage qu'il n'établiſſe pas
avec affez de précifion le caractére de fon
principal perfonnage. Suivant la peinture
que nous fait Lifette , Cléon eft ,
(4 ) Un homme faux , deshonoré , perdu ,
Qui nuit à tout le monde , & croit tout légitime!
De pareilles qualifications ne conviennent
qu'au plus horrible fcélerat. Cependant
, prefque dans toute la Piéce , Cléon
n'eft qu'un tracaffier & un médifant. J'a
voue que le confeil qu'il donne à Florife
(b ) , de faire interdire Geronte , manifefte
de la noirceur , & je fens que l'Auteur
a effayé par -là de juftifier fon titre.
Il auroit dû s'appercevoir , qu'en voulant
pallier une faute , il en commettoit une
plus confidérable , que je vous ferai bientôt
obferver.
Je fuis beaucoup moins content du
noeud de la Piéce que de l'expofition . Il
me femble qu'un fimple caprice de Floriſe
eft un trop leger obftacle au mariage de
Valére , & qu'il n'eſt pas naturel que Geronte
, qui a un intérêt preffant de voir
conclure cette affaire , ne prenne pas avec
fa foeur , dans une occafion fi effentielle ,
( a ) A&t. I. Scen. 1 .
(b ) A&t . II . Scen . 3.
A OUS T. 1749. 11
an ton plus abfolu . La Piéce auroit été
mieux nouée , fi M. Greffet , au lieu de
fuppofer Chloë niéce de Geronte , le lui
eût donné pour pere ; fi les richeffes qu'elle
peut efpérer , ne devoient lui venir que
du côté de Florife , & fi l'Auteur , à la
place de l'amour qu'il prête à la foeur de
Geronte pour Cléon , n'eût donné à cette
folle qu'un goût vif d'eftime , qui lui eût
fait fouhaiter que le Méchant épousât fa
niéce . Alors les raifons de Floriſe , pour
s'oppofer à l'union de Valére & de Chloë,
feroient plus fortes que celles qu'elle al
légue , & les complaifances de Geronte
pour fa foeur auroient un fondement plus
légitime.
Ce qui peut être défectueux dans le
noeud de la Comédie de M. Greffet , n'eft
pas de nature à être remarqué par le commun
des Spectateurs. Tous au contraire
ont été certainement frappés du vice du
dénouement. Tous ont dû s'écrier que le
Méchant étoit trop foiblement puni , &
que la perte de l'eftime de gens qu'il
méprife , n'étoit pas pour lui une difgrace
fort affligeante. Il auroit été plus fenfible
au malheur d'être privé d'une maîtreffe
qu'il auroit aimée , ou de l'efpérance d'une
fortune qui auroit été l'objet de fon ambi
tion ; & cette réflexion auroit dû fuffire
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
à M. Greffet , pour rendre Cléon intéreffé
ou amoureux .
Voilà , Madame , les défauts généraux
qui me bleffent dans la conduite de la Piéce.
Je vais vous en détailler quelques- uns
de particuliers.
L'Auteur , & c'eft ici la faute que je
vous ai promis , il y a un moment , de
vous faire obferver ; l'Auteur , dis je , n'a
pas pris garde qu'il n'eft nullement vraifemblable
que le Méchant , qui eft reconnu
pour avoir de l'efprit , & qui en a effectivement
beaucoup , hazarde la propofition
de faire interdire Geronte . Quelle
apparence qu'un homme , tel que Cléon ,
dévoile fi groffierement fa méchanceté
vis-à-vis d'une femme dont il veut fe
ménager la confiance ? Eft- il d'ailleurs.
poffible qu'il ignore que de fages Magiftrats
, malgré tous les efforts de la chicane
la plus fubtile , ne prononcent pas
légerement l'interdiction d'une perfonne ,
qui ne donne fur elle aucune prife à la
cenfure ?
G
Ce n'eft pas la feule occafion , dans la
quelle l'Auteur n'obferve pas l'uniformité
de chaque caractére. Sa Florife du cinquiéme
Acte n'eft point celle du premier.
Dans le premier , c'eft une petite maîtreffe,
prefque un petit- maître. Dans le cinquié
A OUS T. 1749 .
13
me , c'eft la femme la plus raisonnables
prefque une femme philofophe . Avec
Arifte , homme extrêmement eſtimable , '
les
qui n'a fans doute eu pour elle que
manieres les plus polies , elle n'a pu cacher
fa mauvaiſe humeur. Avec Cléon
qu'elle vient d'entendre la déchirer cruellement
, elle a la force de difimuler un
courroux , que les Prudes , les plus exercées
à compofer leur ton & leur maintien ,
auroient de la peine à ne pas faire éclater
.
En vain M. Greffet , pour fa juftifica
tion , rappellera t'il ce difcours de la Suivante
:
*
J'ai déja vû Madame avoir quelques amans.
Elle en a toujours pris l'humeur , les fentimens ,
Le different efprit . Tour à tour je l'ai vue ,
Ou folle , ou de bon fens , & c .
Ces métamorphofes ne font pas abfolument
fans exemple ; mais elles ne fe fuccédent
pas fi rapidement. Pour l'ordinaire,
dans un feul jour , l'étourderie ne fe change
pas en fageffe. De plus , quand on accorderoit
à l'Auteur la poffibilité de ce chan
gement , on lui objecteroit que Cléon n'a
point de fucceffeur dans le coeur de Flarife,
que puifque de l'aveu de Lifette , &
* A&t . I. Scen. 2.
14 MERCURE DE FRANCE.
* Elle n'a d'ame ... que par celui qu'elle aime ,
elle ne doit naturellement fe guérir de fes
travers , que lorfqu'elle aura le bonheur
de faire un amant capable de l'en corriger.
Nous avons vû que le Méchant , contre
l'idée que nous devons avoir de lui ,
montre peu d'efprit & de connoiffance du
monde , dans l'endroit que j'ai cité de fa
premiere Scéne avec Florife. Valére , dans
la Scéne feptiéme du troifiéme Acte , joue
le rôle d'un extravagant. On ne devine
pas , comment M. Greffet n'a pas fenti
que , quelque envie que Valére ait de dégoûter
Geronte de lui , il ne peut vouloir
paffer dans l'efprit de ce vieillard , pour
un homme qui a le tranfport au cerveau.
On devine encore moins , comment un
Auteur , qui a autant de goût que M. Greffet
, s'eft perfuadé que les propos fans ſuite,
tenus par le jeune ami de Cléon au fujet
de la maison de campagne de Geronte ,
dûffent produire un effet agréable .
En général , M. Greffet refpecte peu la
vraisemblance . Je puis , Madame , vous
en convaincre par d'autres preuves que
celles rapportées ci-deffus , & fon dénouement
m'en fournit une nouvelle . Je de-
. Ibida
A O UST. 1749.-
mande à cet Auteur , fur quelle efpérance
Cléon , après que Florife a rejetté la propofition
qu'il lui a faite , écrit à fon Procureur
pour le confulter fur l'interdiction
de Geronte. Il n'eft pas douteux qu'il ne
fût néceffaire de deffiller les yeux de l'oncle
de Chloë fur le compte du Méchant.
Mais il n'eft douteux non plus , que
pas
moyen , dont l'Auteur fe fert pour y parvenir
, ne foit abfolument dépourvû de
tout air de vérité.
le
Que M. Greffer me permette auffi de
remarquer , que toute fa Piéce fur
porte
une fuppofition extrêmement forcée . Il
paroît fort extraordinaire que Floriſe ,
dans le voyage qu'elle a fait avec Lifette ,
nait rien appris des détails fcandaleux ,
dont cette Suivante eft fi bien inftruite. I
n'eft pas moins furprenant que Valére
étant répandu dans le grand monde , ne
fcache point que Cléon eft en horreur à
tous les honnêtes gens , & que ce jeunehomme
craigne de fe donner un ridicule
en rompant avec un tel ami .
"
Après vous avoir communiqué mes réflexions
, Madame , fur les caractéres , fur
la fable & fur la conduite de la Comédie
du Méchant , il me reste à vousparler du
Dialogue de cette Piéce , & de la maniere
dont elle eft écrite . Je diftingue ces deux
*
16 MERCURE DE FRANCE.
chofes , parce qu'un ouvrage dramatique
peut être bien écrit , fans être bien dialo
gué,
*
Celui de M. Greffet eft dans ce cas , du
moins pour ce qui regarde quelques Scénes
, particulierement celle dans laquelle,
Valére entreprend l'apologie de Cléon .
Vous m'avouez , Madame , que malgré les
applaudiffemens donnés à cette Scéne par
le Public , vous ne pouvez fupporter qu'Arifte
n'y reprenne jamais la parole , qu'en
relevant le dernier mot de Valére , & que
celui- ci femble ne jouer vis - à- vis de ce
Difcoureur fententieux , que le fade rôle
deftiné dans un exercice fcholaftique aux
complaifans , qui fe chargent de faire briller
la mémoire du Héros de la Fête . Vous
m'avouerez auffi que ce dernier défaut fe
rencontre dans plus d'une autre Scéne , &
que l'Auteur n'y fait fouvent , comme dans
celle - ci , parler un Acteur , que pour don-.
ner occafion à un autre , de débiter des
portraits ou dés maximes . Vous ne difconviendrez
pas non plus , que fouvent un
perfonnage ne répond pas à ce qui lui a été
dit , & que même quelquefois il paffe d'une
matière à une autre toute differente ,
fans la tranfition foit ménagée par aucune
nuance intermédiaire.
que
* A&t. IV. Scen. 4 .
A O US T. 1749. 17
Je me hâte , Madame , de venir à la
partie , qui fait le plus d'honneur à M.
Greffet dans fon ouvrage. Les détails ,
qu'on y a le plus applaudis , ne font pas ce
que j'y louerai le plus. Soit dans le portrait
que Cléon fait de Paris * , foit dans
les difcours par lesquels Arifte combat les
faux principes du Méchant , ou la folle
prévention de Valére pour cet efprit dangereux
, l'Auteur foutient dignement la
réputation qu'il s'eft fi juftement acquife
par le Vert- vert & par la Chartrenfe . Autant
que perfonne , je fens le prix de plufieurs
traits heureux , par lefquels il nous
prouve la fupériorité de fon talent , & l'excellence
de fon coeur. Mais ils n'annonçent
que l'homme d'efprit , qui écrit & qui
penfe bien , & l'on peut réunir ces deux
avantages, fans être propre à compofer des
Comédies.
Si M. Greffet ne fçavoit que coudre enfemble
des converfations ingénieufes , &
mettre en vers élegans fes réflexions morales
, je lui confeillerois de ne pas fe croire
né pour le genre comique. Il polléde
dans un degré éminent le don de faire parler
les vicieux & les ridicules , de maniere
que leurs caractéres fe peignent dans leurs
* A&t . I. Scen. 2 .
18 MERCURE DE FRANCE.
difcours , & c'est par-là que je le juge
digne de marcher fur les traces de l'admirable
Moliere.
En faveur de ce don , & de celui d'écrire
en général avec un agrément fingulier
, je fais grace à M. Greffet fur certai
nes négligences de ftyle. Cependant il
n'est pas inutile d'avertir les Auteurs novices
, que quelques-unes de fes expreffions
ne doivent pas être imitées.
L'exactitude grammaticale n'admet point
ce tour ,
(4) Et pour qui votre goût m'eſt incompréhenfible.
Ces deux vers ,
(6) Que la plate amitié , dont on fait tant de cas ;
Ne vaut pas les plaifirs des gens qu'on n'aime pas.
ne portent point à l'efprit une idée difftincte.
On ne dit point ,
(e) Votre eftime ...... n'a pas fait plus de frais
pour les femmes.
En eftun mot fuperflu dans ce vers ,
(d) Ce n'eft pas fur leurs moeurs que je veux qu'on
en caufe.
fa) Acte I. Scéne 2 .
(b) Acte II . Scéne 1 .
(c) A &te I I. Scéne
d) Acte II. Scéne 3.
3.
AOUST. 1749. 19
La tranſpoſition ,
(a) A vous en eſt toute la gloire ,
eft
trop
violente. Dans cette frafe ,
(6 Ma mere m'a man lé que c'eft un homme fage;
Que c étoit fon ami , & c.
l'imparfait figure mal après le préfent .
A ce difcours de Valere ,
(c) C'eft juger par des bruits de Pédans , de Comeres
,
la
Arifte , au lieu de dire , non , par la voix
·publique , doit répondre , non , mais par
voix publique. Géronte ne parle pas correctement,
en difant (d) , que in ferois bienfait,
noblement , & il faut qu'il repéte le mot
fait avec ce fecond adverbe. La fraſe ,
(e) A-t'on vû quelque part un fonds d'impertia
nences ,
eft vicieuſe , le régime impertinence devant
être au fingulier. De plus , fond s'écrit ſans
s. On dit bien , l'Orateur des Foyers ,
(a) Acte II . Scéne 7.
(b) Ibid.
(c) A&te III. Scéne 6 .
(d Acte III. Scéne 9.
(e) Acte III . Scéne 10.
20 MERCURE DE FRANCE.
mais on n'a jamais écrit , ( a) l'Orateur des
mauvais propos. Le mot Parodie n'eft pas
le terme propre en cet endroit - ci , qui
d'ailleurs eft fort beau.
(b) Quels titres font les fiens ? L'infolence &
des mots ;
Les applaudiffemens , le refpect idolâtre
D'un effain d'étourdis , chenilles du Théatre ,
Et qui venant toûjours groffir le Tribunal
Du Bavard impofant qui dit le plus de mal ,
Vont femer d'après lui l'ignoble Parodie
Sur les fruits des talens & les dons du génie.
Même,avec un peu de mauvaife humeur,
on pourroit critiquer l'expreflion , groſſir
le Tribunal. Il y a de l'obfcurité dans cette
autre frafe ,
(c) Stérilité de l'ame , & de ce naturel
Agréable , amusant , fans baffefle & fans fiel .
On peut faire le même reproche à celle- ci ,
(d) où vous êtes vous- même , fans lendemain.
Celle , ils ont d'avance ( e) un air que je trouve
à ton Maître , ne fignifie pas la même .
chofe que , je trouve d'avance leur air à ton
Maitre. Sans courir rifque de paffer pour
(a) Acte IV. Scéne
( b ) Ibid.
(c ) Acte IV. Scéne
4. ( d ) Ibid.
4.
t
( e ) Acte V. Scéne 1 .
' A O UST. 21 1749.
top févére , je пор condamne auffi ce vers ,
(a ) A moi , dont vous fçavez l'eftime & la tendreffe
.
On connoît l'eftime & la tendreffe d'un
amant , & l'on ne les fçait point.
Sans doute, les amis de M. Greffet fouhai
eroient que ces taches ne fe trouvallent
point dans fon ouvrage , mais elles ne
doivent rien diminuer de notre eftime pour
les beautés de détail dont ce Poëmme eft
rempli. J'apprens qu'on deftine à cet Auteur
la premiere place, qui vaquera (6) dans
l'Académie Françoife. Cette Compagnie
ne peut affûrément faire un meilleur choix,
& les fuffrages font prévenus par ceux du
Public.
Dans le moment , Madame , que je finis
ma Lettre , je reçois la critique , que vous
me marquez avoir fuivi de près l'impreffion
de la Comédie du Méchant. Vous
trouverez mes obfervations fort differentes
de celles du Cenfeur anonyme. Peatêtre
n'approuvérez - vous ni les unes ni les
autres , mais vous devez du moins approu
wer mon exactitude à vous obéir..
Je fuis avec respect , &c .
( a ) A&te V. Scéne 7 .
( b ) M. Greffet n'a été hommé Académicien qur
quelque tems après la publication de ceste Letired
22 MERCURE DE FRANCE.
PHEBUS ET L'AMOUR.
ODE ANACREONTIQUE.
Par M. Sénant du Chaftelier.
C'Eft de
' Eft de toi , Dieu de la lumiere ,
C'eft de tes fecondes chaleurs ,
Que la nature toute entiere
Reçoit la vie &les couleurs.
+3x+
Nos prés , nos bois en ton abfence
Languiffent privés d'ornement ,
Les oifeaux gardent le filence ,
Et les eaux font lans mouvement.
Mais lorsque la faifon de Flore
Vient nous annoncer ton retour
Et que les Zéphirs font éclore
Les fleurs , doux fruits de leur amour ;
+++
Les tuiffeaux libres de leurs chaînes
Les hôtes aîlés de nos bois,
A O UST.
1749. 2 ;
Célébrent la fin de leurs peines ,
Par leurs murmures & leurs voix.
Phébus , les gazons & l'ombrage ,
Nous les devons à tes chaleurs ,
Mais qui nous en apprit l'uſage
C'est l'Amour , le foleil des coeurs,
Par un arrêt des deſtinées
Tu partages avec la nuit
L'empire éternel des années
Nuit & jour fon flambeau nous luit.
Pendant l'hyver , tes feux ftériles
Eclairent à peine nos champs ;
Dans nos coeurs les Bammes fertiles
Font toujours regner le printems,
Plus doux que celui du Zéphire ,
Son fouffle échauffant les defirs ,
Anime tout ce qui reſpire ;
On ne vit que par fes plaiſirs,
*3*+
Si l'aveugle enfant ne feconde
Tes traits fur la terre femés ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Tu n'éclaires , flambeau du monde ,
Que des êtres inanimés.
Sur fon front les destins injuftes .
Cnt mis un voile injurieux ,
Mais fes coups n'en font pas moins juftes ,
Ma Cloris lui prête les yeux.
+xxx+
Pour elle en ce brillant parterre
Phébus fait éclore les fleurs ;
Sur fon teint le Dieu de Cythere
Les fait naître par les ardeurs.
Tant que tu voudras par
ta flamme
'Animer mes tendres chanfons ,
Son ardeur échauffant mon ame
Produira d'agréables ſons.
Allez mes vers , ofez paroître
Avec les fleurs en ce printems ;
L'aimable Dieu , qui vous fit naître ,
Vous fera durer plus long- tems.
AUTRE
AOUS T. 1749. 25
*********X*X3X+ 3X+
AUTRE.
L'ABEILLE , EMBLESME DE L'AMOUR.
Tout en l'anivers
fommeille ;
Moi feul , de fi grand matin ,
Et la diligente abeille ,
Nous parcourons ce jardin .
De l'amour elle eſt l'emblême :
Avant la pointe du jour
Elle fe leve : l'Amour
S'éveille toujours de même
Ils font tous les deux petits:
Si de la moindre fleurette ,
Et fi des moindres réduits
L'abeille fait la retraite :
Dans l'oeil d'un objet charmant ,
Dans le coin de la paupiere ,
Le petit Dieu de Cythere
Se loge facilement.
Si l'abeille chérit Flore ,
L'Amour aime les zéphirs ;
Le doux Printems fait éclore
B
25 MERCURE DE FRANCE.
Et les fleurs & les défirs .
Ils font tous deux munis d'aîles ,
Et d'aiguillons affaffins.
Tous les deux font des larcins ,
L'une aux fleurs , & l'autre aux belles.
炒茶
Mais leurs vols font innocens ;
C'est en femant qu'ils moiffonnent,
Leurs larcins font des préfens ,
Puifqu'en dérobant ils donnent .
De ce butin précieux ,
Pris fur le lys & la roſe ,
Leur adreffe nous compofe
Un nectar délicieux .
Leurs bleffures font cruelles ;
Si leurs dons ont des attraits !
Mais combien font plus mortelles ;
Amour , celles de tes traits ?
L'on doit craindre ta vengeance ,
Nul ne le fçait mieux que moi .
Mais pourquoi , cruel , pourquoi ,
Punis tu , fans qu'on t'offenſe
Par le même,
1
AOUS T. 1749. 27
AUTRE.
LA GENTILLESSE
ET LA BEAUTE RÉUNIES.
A Mademoiſelle Gauffin.
Cupidon , Upidon , cet enfant gâté ,
Eut ces jours paffés à Cythére
Une difpute avec ſa mere :
Venus difoit que la beauté ,
Pour faire naître la tendreffe ;
Avoit les plus puiffans attraits ,
Et l'amour , que la gentilleſſe
Lui fourniffoit bien plus de traits",
****
Elle eft femme , fon fils rébelle
Aucun d'eux ne voulant céder ,
Un combat devoit décider
Pour terminer cette quérelle .
De la plus belle de fa Cour ,
La Souveraine d'Idalie
Devoit faire choix , & l'Amour
En élire la plus jolic.
*XX
Ce mortel , qui par les écrits ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Dit Venus , nous prouve fon zéle ,
De nos fujets le plus fidéle
Sera ton Juge , & mon París.
Elle crut par ce ftratagême
Corrompre mon intégrité ,
Mais je fuis plus que d'elle - même
Partifan de la vérité.
Le petit Dicu , par qui tout aime ,
Nomma la charmante Gauffin .
Ah ! dit Cypris , j'avois deſſein ,
Pour moi de l'élire elle-même.
Raffemblez donc tous vos appas ,
Et difputez-lui la victoire ,
Dit l'Amour : Venus n'ofa pas
Rifquer le combat & fa gloire.
***
Gauffin , cet aimable fouris ,
yeux à qui tout rend les armes ,
Auroient rendu vains tous les charmnes
Ces
De la ceinture de Cypris.
Vous auriez remporté la pomme ;
J'étois votre Juge en ce jour ,
Et je vous voyois. ... Mais quel homme
Ne vous voit des yeux de l'amour ?
Par le même;
AQUS T. 1749. 19
薪洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗灘
LETTRE
De M. D. D. à M. Rémond
de Sainte Albine.
E confidére , Monfieur , le Mercure ,
comme des archives où chacun a la liberté
de dépofer ſes fentimens , fur ce
qui a rapport aux Sciences & aux Beaux
Arts , pour y être jugé par le Public .
Voici deux obfervations , aufquelles
je vous ſupplie de vouloir bien donner
place.
Je voudrois 1. qu'on pût obtenir de
nos Phyficiens , qu'ils ne regardaffent
jamais leurs découvertes , comme une nouveauté
que leur génie a créée ; & qu'ils fe
perfuadaffent , qu'il n'y a rien qui n'ait étẻ
connu des anciens fous d'autres dénominations
, que celle que les modernes leur donnent
: l'électricité , l'attraction , par exemple,
font de ce nombre : cela n'empêche pas
que retrouvant des chofes perdues , ils ne
puiffent fe faire honneur de les reveler
d'y ajouter leurs remarques , & d'en augmenter
l'utilité & le prix.
2 °. Qu'ils ne s'en tinffent pas à l'apparence
trompeufe des nouveaux fyftêmes ,
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
qu'un autre qui fuccéde immédiatement détruit
; & qu'ils méditaffent & analyfaffent
profondément, avant d'expofer leurs idées,
afin de mériter à bon titre l'immortalité à
laquelle ils afpirent .
J'ai vu dans le fecond volume du Mercure
de ce mois ( Juin 1749 ) deux erreurs
de fait , que je ne puis m'empêcher de relever
: l'une , page 8 , ligne 18 ; l'autre ,
page 128 , ligne 15.
+
Par la premiere , l'Auteur dit , qu'il ne
connoit point de procédé chymique , par lequel
on puif tirer du fel de l'eau.
"
S'il eût mis de l'eau en putréfaction
ou s'il avoit fait de longues diftillations, &
digeftions au bain marie ; que ce bain fùt
d'eau de pluye , ou de riviere , ou de puits ,
n'importe ; qu'il n'eût point changé cette
eau , mais qu'il l'eût feulement remplacée
par de nouvelle , à mefure de l'évaporation
, il auroit trouvé beaucoup de fel ; &
de ce fel , il en auroit tiré du foufre ou de
l'huile . Il auroit encore pû , en calcinant ce
fel plufieurs fois, trouver un attrament qui
lui auroit procuré des principes homogénes
aëriens. C'eft par de femblables procédés
que les Philofophes , élaborant le fel
de nature innominé , & non déterminé , obtiennent
le diffolvant univerfel , l'unique
clef de la fageffe.
A OUS T. 1749. 31
L'autre erreur ( page 128 ) eft renfermée
dans cet expofé. La prétendue invention de
tranfmuer les métaux , n'a point fait fortune
dans les efprits : la deftruction de la matiere ,
eft au même point : les élemens font toujours indeftructibles
, ou immuables ; ce n'eſt pas cependant
faute d'efforts de la part des Chy
miftes , pour faire croire la poffibilité de ces
changemens & anéantiſſemens.
De quoi s'eft avifé l'Auteur de ces pro
pos, d'attaquer, pour faire valoir la méchanique
du Bureau Typographique , la Chymie
qui n'étoit point de fa fphére ? Qui
lui a dit que les métaux ne peuvent être
tranfmués ? L'a- t'il lû dans Lemery ? A- t'il
été la dupe de quelques foufleurs efcrocs ,
ignorans , illitterés , & qui ne fçavent
que tromper par leurs fophiftications ?
Tout le monde fçait à préfent , que l'on
peur défoufrer de l'or , & remétalifer fon
foufre , en y joignant du mercure commun.
Cette opération , qui n'eft pas philofophique
, & qui ne rend qu'à peine poids
pour poids , fert néanmoins de preuve àla
vérité de la tranfmutation : on doit conclure
, qu'il eft ridicule de nier qu'il ne
s'en puifle faire de plus confidérables .
Que veut dire le Typographe ? Les
élemens font indeftructibles & invariables ,
& c.
Bij
32 MERCURE DE FRANCE.
De qui a t'il appris que les Chymiftes
ayent tenté de détruire les élemens ? Ils ne
connoiffent qu'un feul principe , & deux
matieres élementées (la terre & l'eau). Ces.
matieres procédent de ce premier principe
elles fe convertiffent & fe changent
perpétuellement l'une en l'autre : car , l'eau
devient chair terre , bois , pierre
>
OS ,
>
marbre , diamant , métal , &c. & toutes.
ees chofes redeviennent cau.
Le principe feul eft invariable : fon unité
fous la forme de fel , contient le feu &
l'efprit ; voilà la fource féconde de tous.
les êtres , & de toutes les formes déterminées
au premierjour..
avec une
Ceci n'eft pas un fyftême imaginé , mais
une vérité tirée de la nature même par
ceux qui fe donnent la peine de la confulter
, aidés de la doctrine des anciens
Philofophes & de plufieurs modernes , qui
s'occupent dans leur folitude fans.diftraction
, à faire des décompofitions & des.
analyſes ; qui fuivent pas à pas ,
extrême attention , le développement des:
differens mixtes , fortis de la même &
unique fource. Que les Antichymiftes jettent
les yeux fur tout ce qu'a produit cette-
Science pour la néceffité , la commodité ,
la fanté , la sûreté , la perfection des Arts,
en un mot le bien être en général ; ils ſe
X
A OUS T. 1749.
33
perfuaderont bientôt , que ce n'eft point
une fcience vaine & fyftématique , qui ne
met en avant que des pures idées , des mots
& des difputes d'école ; & que la faine
Chymie eft une Anatomie univerfelle , une
Phyfique démontrée , qui ne préſente que
des vérités cachées au vulgaire, mais effentielles
à la fociété en général .
J'ai l'honneur d'être , &c.
**************
REFLEXIONS
Sur la transfufion du fang , à l'occafion de
laquelle M. Cantwell , Docteur in Médecine
, a écrit une Lettre inferée dans le
Mercure de Juin 1749 , page 161.
M
Onfieur Cantwell a dit tout ce
qu'un Médecin peut dire de plus
probable , pour prouver que la transfusion"
ne peut être pratiquée avec fuccès. Il fe
fonde avec raifon , fur la differente ftructure
des corps , la nature dufang , & la conftitu--
tion des tempéramens de chaque individu ::
Il'obferve judicieufement , que le fang n'eſt
pas un fimple produit , ou l'élixir des ali
mens ,& qu'il y entre une grande quantité de
recremens depuis la maftication , jusqu'à ſon
entrée dans la fonfclaviere..
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour prouver encore avec plus de
force , que la transfufion n'eft pas propofable
, il faut entrer dans un examen pro- .
fond de la nature par l'analyfe , & démontrer
que quoique tous les êtres fortent
de la même fource , le principe.qui
en découle eft differemment déterminé , &
qu'il ne peut enfuite de cette détermination
fe rétablir dans fon état primitif ,
qu'après de longues élaborations , qui divifent
& féparent les matieres paffives ,
jointes poftérieurement à la détermination
fpécifique ; en premier lieu , au genre
animal , végétal & minéral ; en fecond
lieu , au caractére particulier de chaque
individu , tous differens , quoique de la
même efpéce.
Pour établir évidemment cette vérité ,
je commencerai par expliquer ce qu'on
doit entendre par la détermination de ce
principe dans le genre végétal , & j'en
prouverai enfuite l'analogie avec l'animal.
Dans un jardin d'un arpent , plus ou
moins , n'importe , je peux femer un trèsgrand
nombre de végétaux ; ils y croîtront
& produiront chacun felon fon eſpéce ,
par le fecours de la chaleur humide du
globe terreftre , de, l'air , des pluyes , de la
rofée , & des rayons vivifians du Soleil.
A O UST. 1749. 35
Cette chaleur humide de la terre opére
le dévelopement du fétus renfermé dans
chaque femence comme l'animal l'eft
dans l'oeuf , elle putréfie la matiere paffive
élementée : voilà le premier degré de la
régénération de tous les êtres .
,
La putréfaction , divifant cette matiere ,
met en liberté le principe générateur : çe
principe contient dans fon unité une portion
de foufre , qui eft le feu ; une portion
de mercure , qui eft l'air ou efprit ; & une
portion de fel , qui eft le corps , particu
lierement configuré & déterminé à l'efpéce
dont la femence procéde *.
Le premier rudiment de la tige commence
à s'élever, à mesure
du côté opque
pofé les racines s'étendent & attirent la
matiere élementée , que la putréfaction a
liquefiée ; cette matiere , comme le fang
de la mere de l'animal , eft la premiere
nourriture de l'embrion . Ces racines naiffantes
, qui ne font encore que de petits
filamens , prefque imperceptibles , néan-
* Ce foufre , ce mercure & ce fel , ne font pas
les communs .
Les Phyficiens n'ignorent pas que le fel de chaque
genre a fa configuration particuliere : le fel
philofophique renferme dans fa ficcité l'efprit &
P'humide radical , inféparablement unis , & c'eft
cette unité , qui eft le principe univerfel .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
moins caractérisés dans leur contexture ;,
felon l'espéce , attirent ( car chaque espéce :
a fon attrament propre ) attirent , dis - je ,
& n'admettent , en s'étendant enfuite dans
la terre , que la matiere élementée de fon
genre ; de même que les filets de coton ,
dont on fe fert pour féparer de l'huile mêlée
d'eau , n'admettent que l'une des deux .
liqueurs dont on les a d'abord impreignés
*.. C'eft ainfi que la féve , qui de la
terre pénétre par les racines fortifiées par
le tems , eft portée jufqu'au fommet du végétal
qu'elle édifie ; mais fi par cas fortuit ,,
il fe mêle à cette féve des héterogénités.
qui dérangent la circulation , l'efpéce lan
guit & meurt..
Ce n'èft pas tout ce qui eft à confidérer
dans la régénération des végétaux ; il faut
remarquer la configuration fpécifique dess
couloirs ,,& les métamorphofes furprenan .
tes qui en réfaltent , puifqu'il fe produit :
d'an végétal, fauvage un autre, végétale
Quoique le chyle foit un compofe de diverfes :
parties diffemblables , les filtres par où il paffe , &:
lorfqu'il eft converti en fang , n'admettent que less
particules d'un fluide , dont ils ont été primitive--
ment.abreuvés; & encore que ces filtres foient pref
que confondus les uns avec les autres , ils ne permettent
pas fans violence l'entrée de ce qui leur
eft hétérogénes tel eft l'admirable méchaniſme des
divifions & des fecrétions dans tous les genres..
A O UST. 1749.
parfait. Le fruit du premier eft défagréa
ble au goûr , celui du . fecond le flatte &
excite.nos defirs ..
La greffe des arbres fe fait. avec auffi
peu de réflexion de la part du Jardinier
qui l'opére , que du Phyficien ſcholaſtiquequi
en voit le progrès.
Elle ne confifte , .1 ° ..qu'à appliquer furun
fauvageon , dont on veut perfection--
ner la production , ou la changer entiere
ment de forme , un oeil , ou bouton à fruit,
enlevé d'un arbre de la plus belle & de la
plus excellente espéce . 2 ° . De retrancher
du fauvageon toutes les branches qui ne
font point greffées , enforte que la féveabondante
foit forcée de ne pénétrer quepar
les couloirs , ou les pores de la greffe.
Cette féve qui étoit propre à ne produire
par exemple , que de mauvaifes prunes .
acres , ne trouvant plus les paffages libres
pour les particules paffives , trop chargées
de fel & de foufre groffiers , hétérogéness
aux nouveaux filtres , ne paffe pas outre
dans fa totalité , parce que la greffe queję
fuppofe avoir été tirée d'un pêcher ,.
eft configurée differemment , & ne peut
admettre qu'une féve homogéne à ſon efpéce
. Après que la tige a acquis la confif
tance ligneufe , que les filtres & les noeuds .
qui comme les glandes des animaux , font:
A
3S MERCURE DE FRANCE
les inftrumens féparateurs & excrétoires
ont été perfectionnés , le mouvement de
circulation & de cohobation de la féve ,
digerée , vivifiée par les rayons pénétrans
du Soleil qui diffipent le phlegme , rend
cette même féve balfamique : elle fe
manifefte , en premier lieu , en fleurs , enfaite
en fruits , au centre defquels fe réunit
la plus pure fubftance élementée , qui fous
la forme d'amande , renferme le principe
générateur.
Cette amande , comme celle dont elle
procéde originairement , contient donc
l'intégrité des principes générateurs , déterminés
à produire par l'addition des matieres
paffives ( la terre & l'eau ) , une longue
fuite de postérité toujours effentiellement
de même nature : ce principe ainfi
déterminé , eft un aiman , qui comme le
ferrugineux que le vulgaire connoît , n'attire
que les particules élementées qui lui
font homogénes. C'eft par cette vertu ,
dont la parfaite connoiffance eft réſervée
à la majefté du Créateur , que les races des
differens êtres fe perpétuent : le filtre , ou
moule , fixe la mefure ; l'attraction en détermine
la qualité ; c'est l'un & l'autre qui
difpenfent à l'embrion les premieres notions
des formes folides , molles , fluides
& fpiritueufes ; les couleurs , la faveur
AOUS T. 1749.
30
, l'odeur &c . dans une jufte proportion
fymmétrique & caractéristique de chaque
efpéce.
Que l'on fuppofe un vieux chêne ,
dont le fommet foit couronné , ou dont le
tronc & les branches foient languiffantes :
qu'on recueille de la féve d'un autre
chêne jeune & vigoureux , ou par incifion
, ou en coupant l'extrêmité d'une de
fes groffes racines ; enfin qu'on en arrofe
tant qu'on voudra le vieux chêne : on ne'
pourra ni le rajeunir , ni le fauver , fi cette
féve n'a été élaborée par un fçavant Artifte
, qui fçache en tirer la quinteffence
falutaire aux animaux , comme aux végétaux
, parce qu'il n'y a que les principes
actifs , purgés de phlegmes & de matieres
impures , qui puiffent ranimer la vie de
l'animal & du végétal ; mais cette revivification
a néceffairement fon terme ,felon la
conftitution du fujet , & l'attention qu'on
a eûe pour le conferver par un régime réglé
, à l'égard des hommes , & une culture
foignée , à l'égard des végétaux.
Il faut à préfent appliquer ce que je
viens d'établir , au genre animal ; rechercher
quelles font l'origine & la qualité du
fang , qui comme la feve conftitue les folides
, les fluides & les efprits. Et d'autant
que la génération de toutes les efpéces eft
40 MERCURE DE FRANCE.
uniforme , je ferai le parallele du dévéloppement
d'un poulet , avec celui de
l'homme..
Que la poule couve extérieurement
l'oeuf qui contient l'embrion , dans un nid
qu'elle arrange elle même , ou qu'on lui a
préparé , & que la femme couve dans l'u--
terus celui qui a été déposé en elle ; cela
revient au même. Lorfque le coq introduit
l'embrion dans la poule , elle lui
fournit auffi -tôt de fa propre fubftance
ce qui eft néceffaire à la nourriture & à
fon accroiffement , jufqu'à ce qu'il forte
de la coquille : & la femme nourrit inté
rieurement , pendant les neuf mois de fa
groffeffe , le férus dont l'homme lui a fait
le dépôt : c'eft en cela feul que la tranf--
miffion de la fubfiftance , & la couvaiſon:
du poulet , different des autres animaux
développés dans le fein de leur mere ; &
quoiqu'en difent quelques Anatomiftes ,
la femme n'a pas plus de part que la poule:
à la formation de fon fruit , & le concours
des trompes de falope , leur méchanifmeforcé
, l'ovaire , les enfs , & les vermif
feaux , hommes imaginés par les Harvey &
les Dodart , font de pures idées démenties
par la nature , que le préjugé & la réputation
de ces Syftématiques ont perpétuées
par la négligence des gens de l'art à dés
AOUS T 1749. 41
velopper la vérité. J'ai plus amplement
traité ceci dans une Differtation particuliere
, fur la caufe phyfique des fignes &
des configurations monftrueufes , que les
enfans reçoivent dans le fein de leur mere ;
j'en ai prouvé l'origine ; j'ai fait connoître
le filtre , ou le moule qui détermine la matiere
féminale , & de quelle maniere l'embrion
fe développe dans l'uterus.
Il faut maintenant examiner la compofition
du fang , & fi fa fubftance , paffant
immédiatement d'un corps fain dans un
cacochime , ou décrépit , foit qu'il procéde
d'un animal de même efpéce que celui auquel
on le fubftitue , foit qu'on introduife
dans les veines d'un homme celui d'une
bête ; fi , dis- je , ce fang étranger peut
procurer la guérifon d'un malade , ou la
réparation de la décrépitude .
Le fang, fuivant M. Cantwel , eft la quinteffence
des alimens , dont l'animal ſe nourrit.
Je dis de plus que ce fang , de même que
la féve , contient les principes actifs & la
matiere élementée , & que dans la plus.
grande partie des hommes & des femmes ,
ce fang eft mêlé de beaucoup d'hétérogénités
, qui procédent de la diverfité des viandes
dont ils ufent fans modération . Violentant
ainfi la nature , ils n'attendent pas.
que leur eftomach les avertiffe de fes be
42 MERCURE DE FRANCE.
foins , ils l'excitent & l'empliffent avec
excès ; & quoiqu'il foit déja chargé de
mauvais levains , ils le comblent encore
par differens mets éguifés d'effences &
d'épiceries qui forment un agréable poifon
, auquel ils joignent beaucoup de vin ,
de liqueurs , & des actions violentes de
toutes efpéces de voluptés : enforte que
le chyle , qui réfulte de ce mêlange , eft
une eau forte , laquelle au lieu de conferver
& augmenter les globules balfamiques
du fang, les divife & les détruit ; elle
corrode les filtres , change la nature des
parties folides , molles & fluides ; enan les
efprits ne font que des particules de feu
violent , qui portant l'incendie dans le
genre nerveux , dérangent ou détruiſent
⚫ les molécules du cerveau , & troublent la
raifon ; voilà la fource féconde de toutes
les maladies graves & aigues , qu'on reproche
aux fuppôts d'Efculape de ne pouvoir
guérir , malgré la phlebotomie exceffivement
réitérée , & les rafraîchiffans fans
vertu voilà d'où procédent les régénérations
cacochimes de ces hommes de foible
complexion , très -communs aujourd'hui
, fujets à toutes les infirmités de tempérament,
débiles , & fans vigueur : voilà ce
qui fait dire aux fots , aux imbéciles , que
la nature dépérit , que les hommes ne font
AOUS T. 1749% 43
plus ce qu'ils étoient autrefois ; que les
alimens n'ont plus la faveur qu'ils avoient
du tems de nos peres , & même lors de leur
adolefcence.
Quoique le fang foit la quinteffence
des alimens des animaux en général , il
faut diftinguer celui des bêtes , de celui
des hommes.
Le premier doit fe fubdivifer en deux
claffes. Celui des bêtes qui ne vivent que
de foin , de grain & d'herbes qu'elles
broutent , eft fimple , & la chair qui en.
provient , eft fans contredit , pour l'homme
, la nourriture la plus homogéne , après
le lait & le fruit.
Mais le fang des bêtes voraces , qui ne
fe repaiffent que d'autres animaux , ou de
la corruption des immondices , eft trop
chargé de foufre & de fel impurs ; la chais
qui en procéde ne peut être pour l'homme
qu'un mauvais aliment .
9
Les bêtes de la premiere claffe transforment
en leur propre fubftance le grain
le foin & l'herbe , par la trituration & la
digeftion , & l'homme qui fe nourrit de
cette fubftance homogéne déja bien préparée
, qui la triture & la digere une ſeconde
fois dans fon eftomach , gouverné
par la fobriété & la continence , fe procure
un chyle très-parfait.
44 MERCURE DE FRANCE.
La forme du fang , proprement dit , eft
globulenfe ; il circule dans les veines avec
une férofité qu'on appelle lymphe : lorfque
la proportion de nature eft bien compaffée
entr'eux , que la tranfpiration eſt
en équilibre avec la nutrition , & que cette
nutrition ne fait que remplacer le volume
& le poids des fécretions , fi la volupté
effrenée ne la corrompoit pas , l'homme
jouiroit d'une bonne & conftante fanté ,
qui le conduiroit paisiblement à cette vénérable
décrépitude des anciens , exempt
des horreurs de fa deftruction au milieu de
fa carriere : fon ame , après un fiécle , s'envoleroit
fans qu'il s'en apperçût.
J'ai divifé le fang des bêtes en deux
claffes feulement , mais celui de l'homme
eft fufceptible d'une bien plus nombreuſe
diftinction , non relativement aux principes
, qui font femblables & inaltérables
mais à caufe des matieres élementées qui
les enveloppent , les divifent & circulent
dans toutes les parties de l'individu . Ces
marieres font plus ou moins hétérogénes ,
raifon des foufres , des fels impurs & des
terreftréités qui tirent leur origine des differens
alimens & boiffons dont les hommes
ufent , ou fobrement , ou avec excès
à quoi il faut ajouter la varieté de leurs
moeurs , de leur conduite réguliere ou dé
AOUS T. 1749. 45
réglée ; de leur état tranquile , ou tumultueux;
de leurs exercices violens ou modérés
, foit du corps, foit fans actions corporelles
; car toutes ces chofes qui influent
fur la compofition des liqueurs , confervent
, ou alterent la conftitution primirive
du fang.
Si l'on met du fang en putréfaction , il
s'enfuit une puanteur infupportable , mais
fi par des diftillations & cohobations réitérées
on dégage fa vraie fubftance de
toutes impuretés , il s'en exhale une odeur
plus fuave & plus parfaite , que celle des
plus précieux parfums de l'Orient.
Enfin fil'on en tire le fel par des calcinations
, & qu'on réduiſe ce fel en huile
philofophique , il produit un reméde fi
fouverain ,, que deux grains pris dans un
véhicule convenable rétabliffent la maffe
fanguine la plus appauvrie ; fon feu homogéne
ranime & dégage celui que l'impureté
a atténué ; il abſorbe à ſon tour cette impureté.
Ce fpécifique eft plus für que la transfufion
, d'autant que le fang de l'animal
le plus fain , le plus vigoureux , eft trèsabondant
en férofité & en terreftreité , &
qu'il ne contient qu'une très- petite portion
de ce feu de nature où réfide la vie.
Que fi les alimens les plus fimples après
46 MERCURE DE FRANCE.
T
avoir été broyés dans la bouche , digerés
dans l'eftomach , mêlés dans le duodenum
avec la bile & le fuc páncréatique , réduits
en chyle dans le méfantere ; que dans tous
ces différens paffages , ce compofé ait reçû
des diffolvans qui coopérent à fa divifion
parfaite , & qu'à l'entrée du méfantere , la
féparation des impuretés les plus groffieretés
fe foit faite , enforte que le réfidu
arrivant au réſervoir de Pecquet , foit un
fluide reffemblant à du lait , que ce fluide
pénétrant par la veine foufclaviere pour delà
paffer dans le coeur & circuler enfuite
dans toutes les parties du
corps , traverfant
une grande quantité de filtres féparateurs ;
enfin fi ce n'eft qu'après tout l'appareil que
je viens d'expliquer très- fuperficiellement,
que les alimens peuvent être convertis en
notre propre fubftance , comment pouvoir
raifonnablement s'imaginer qu'un fang
étranger , tranfmis d'un côté à mesure
qu'on retire de l'autre celui auquel on
le fubftitue , puiffe opérer le fuccès qu'on
fe propofe de la transfufion ? Quel rapport
, quelle homogénité y a-t'il entre ce
nouveau fang & les filtres & les couloirs
où on le fait entrer ? Quelle vertu médécinale
contient- il pour anéantir les levains
dont celui qu'il remplace a impreigné les
inftrumens féparateurs , les arteres
, les
A OUS T. 1749. 47.
veines , le genre nerveux & les parties.
folides ? De quelle maniere peut-il abforber
les dépôts & les empêchemens dans
les vifceres , rendre le reffort aux fibres
obftrués d'un paralitique , ramollir les cartilages
offifiés des vieillards ? Comment
peut-il réparer les ravages que les efprits
ardens d'un furieux ont faits dans la fubtance
molle & délicate du fiége de l'ame ?
Loin de pouvoir produire la réparation
de la décrépitude , le rétabliffement de la
cacochimie , il eft démontré que le fang
étranger ne pourroit qu'occafionner la
corruption de l'individu où on le tranf
mettroit , & bien- tôt la mort.
Mais quand l'uſage de la transfufion feroit
autant avantageux qu'il eft mal imaginé &
pervers , il feroit imprudent de l'autorifer,
parce que les perfonnes opulentes qui pourroient
en hazarder l'effai , ne fe feroient pas
fèrupule de facrifier la vie de jeunes gens
les plus fains & les plus vigoureux ; confidération
qui exige l'attention des Magiftrats
, pour s'oppofer à ce cruel , inutile &
extravagant reméde ; j'ai prouvé qu'il n'avoit
pas plus d'efficacité pour les végétaux.
Que les Miniftres des maladies s'appliquent
à conferver le fang plutôt qu'à
l'extraire & à le remplacer ; qu'ils le purifient
, qu'ils fe procurent d'un nombre
48 MERCURE DE FRANCE
d'hommes fains , forts & robuftes , par des
faignées qu'ils appellent de précaution ,
le fel ou la quinteffence du fang humain
, ou plutôt qu'ils cherchent ce fel
précieux dans celui de nature , qui eſt ſi
commun & fi univerfel , ils feront des miracles
; qu'ils confultent pour cette recherche
les anciens Philofophes , les Nourriffons
d'Hermès , & non Gallien , ils trouveront
ce divin reméde. Mais auffi que les
hommes concourent differemment qu'ils
ne font à conferver leur fanté, qu'ils foient
fobres , qu'ils n'ufent que d'alimens & de
boiffons fimples , qu'ils ayent de la modération
dans leurs paffions & de la retenue
dans la volupté.
D. D.
A
LE
A OUS T. 1749. 49
ဦး မင်းမင်းမင်း ဦး ဦး ဦး ဦး
LE RETOUR DU PRINTEMS .
DIVERTISSEMENT PASTORAL .
Premier couplet chanté par une bergere.
Qu
U'il eft trifte d'être févére !
Que l'amour a de doux momens !
Et que cette retraite éft chere
Aux coeurs fenfibles & conftans !
fa
Chaque berger pour la bergere
Brûle du feu le plus fincére.
Accourez , trop heureux amans ;
Chantons le retour du printems.
Un berger répond.
Chantez , on vous doit cet hommage ;
Chantez , vous êtes en tout tems
Entre les belles du Village ,
Par vos fons flatteurs & touchans ,
Et par votre fimple langage ,
Ce que fous un épais feuillage ,
Entre tant d'oiseaux differens ,
Le roffignol eft au printems.
Ce Divertiffement étoit joint à une Comédie ;
definéepour l'amusement d'une fociété particuliere.
C
50 MERCURE DE FRANCE.
La bergere chante tous les couplets
qui fuivent.
Chantons la paix , ce don fuprême
Du plus tendre des Conquerans ;
Nous fommes , comme il dit lui-même ;
Moins fes fujets que fes enfans.
Chantons ce digne fils qu'il aime :
Déja fa valeur eft extrême ;
Qu'il fera d'exploits éclatans !
N'en jugeons que par fon printems.
Tous ceux qui fçavent ſe connoître
Au front des Rois les plus clémens ,
Nous difent qu'on y voit paroître
Des nuages affez fréquens ;
Celui de notre augufte Maitre
Eft toujours calme , on n'y voit naître
Aucuns jours moins beaux , moins rians ;
On n'y trouve que le printems.
Sous fes loix l'Amour nous appelle ,
Connoiffons les foins bienfaiſans ,
Chantons fa puiffance immortelle ,
Et parons nous de ſes préſens * .
Chaque jour dans un coeur fidéle
* A ce vers elle diſtribue des fleurs à tous lesbergers
&bergeres.
AOUS T.
ST 1749:
Il prend une force nouvelle ,
Mais dans les coeurs indifferens
Il veut naître avec le printems,
De la Louptiere.
EX TRAIT
D'un difcours Latin fur la paix , prononcé
an College des Jefuites de Caen , par le
Pere du Rivet , de la Compagnie de Jefus.
I la paix que Louis XV . vient de pro-
Sture Europe , fait le bonheur de
la France , elle ne fait pas moins celui des
Nations étrangeres . Auffi l'Orateur , dont
nous analyfons ici le Difcours, fe propoſet'il
d'examiner quels doivent être à l'égard
du Roi leurs fentimens & les nôtres . Il
détermine leurs obligations à un tribut de
reconnoiffance , grati animi tributum ; &
les nôtres , aux fentimens d'un amour fans
bornes , amoris fummi ftipendium . Dès
l'Exorde , l'Orateur préfente en racourci un
tableau de la derniere guerre. Il prie les
Nations étrangeres de ne point s'offenfer
des traits qui pourroient lui échapper ,
moins avantageux peut -être qu'il ne le
fouhaiteroit pour lear gloires mais que
cij
52
MERCURE DE FRANCE.
'Hiftoire lui fournit pour preuves . Ici
dit l'Orateur , l'Hiftoire doit me fervir de
guide. Si je n'avois à parler que de vous,
( Nations étrangeres , ) je confulterois un
oracle plus favorables mais je parle de Louis ,
& c'eft dans l'Hiftoire feule de ce Monarque
qu'il faut chercher fon éloge . Cet Exorde
promet du beau & du vrai , Nous aurons
lieu de faire remarquer dans toute la fuite
du Difcours , que cette promeffe eſt aç
quittée ,
PREMIERE PARTI E.
Le tribut de reconnoiffance que dojvent
au Roi les Nations étrangeres , eft
fondé fur deux raifons principales ; l'une ,
c'eſt que Louis leur a procuré la paix , dans
un tems où elle leur étoit devenue nécef-:
faire l'autre , c'eft qu'il leur a libre- ;
ment abandonné prefque tout le fruit de
cette paix qui leur étoit devenue fi néceſſaire.
C'eft à ce double point de vûe que s'at
tache l'Orateur dans cette premiere Partie
de fon Difcours. L'épuifement univerfel
des Nations étrangeres, au tems de la conclufion
de la paix , rend tout-à - fait fenfible
le premier de ces deux points de vûe ,
En effet l'Autriche ne fe foutenoit alors
que par le fecours de fes Alliés , & fes Al-:
liés étoient las de la foûtenir. La Reine
A O US T. 1749.
*
53
de Hongrie s'étoit vûe dans l'obligation
de céder à la Pruffe victorieufe , la Siléfie
; à la Savoye , beaucoup de fes Pays
héréditaires .
Il eft à propos de remarquer , que quoique
l'Orateur ait femblé annoncer dans
fon Exorde aux peuples étrangers , des
traits fâcheux , ce ne font pas ceux de la
déclamation & de l'aigreur . Il rend juftice
à leurs vertus & à leur mérite , il refpecte
même jufqu'à leurs malheurs. On verra
dans la fuite du difcours , qu'il eſt bien
éloigné d'employer cette façon de louer
révoltante , qui ne fçait élever la gloire
du Vainqueur , que fur la honte perfonnelle
des vaincus , & qui femble ne lui
donner à combattre & à vaincre que des vices
, non des hommes , ou des hommes déja
vaincus leurs vices & leur foibleffe .
par
Quels rivaux , què des ennemis de cette
efpéce ? Honorent- ils beaucoup un triomphe
: La route que l'Orateur fuit ici , eft
plus sûre : la politeffe y jouit de fes droits ,
& la vérité n'a point à réclamer les fiens ;
l'éloge ne rifque pas d'être confondu avec
l'adulation , parce qu'on ne confond pas
la vérité avec l'aigreur ; la caufe du Héros
n'en eft pas moins bonne , & la condition
de l'Orateur n'en devient que meilleure.
C'est d'après des vûes fi fages , & qui de-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
vroient être une régle dans l'art du Panégyrique
, que le P. D. R. trace le portrait
de l'Impératrice Reine.
ود
»
»
"
>> La France , dit - il , avoit craint long-
» tems , & avoit pû craindre fans honte
»une fille des Céfars ..... Redevable de
» deux couronnes à fa naiffance , & d'une
» troifiéme à fon mérite... Affez folide
pour écouter de fages confeils & pour,
les fuivre , affez judicieufe pour les ap-
» précier avec intelligence , affez ferme
»pour s'attacher invariablement à fes
projets , affez pénétrante pour démêler
» les talens propres à la fervir , affez fé-
» conde en reffources , pour pouvoir être
quelquefois malheureufe impunément ,
» &c. le refte du portrait eft également
heureux & fidéle . Si ce n'étoit ici un fimple
extrait , nous aurions à nous reprocher
de priver les gens de goût de certains morceaux
qu'il faudroit expofer dans leur total
pour les montrer dans tout leur beau.
Nous nous engageons cependant de leur
en préfenter affez pour les flatter. Il n'y
aura que le choix de difficile. Le caractére
que l'Auteur trace du Roi de Pruffe , nous
fournit de quoi remplir notre engagement.
Voici comme il peint ce Héros.
39
ود
Rappellez vous , Meffieurs , les célé
>> bres victoires du Monarque Pruffien....
AOUS T. 1749. 55
» Héros , dont la vigilance égale la viva-
» cité , prompt à prévenir les deffeins de
» fes ennemis , heureux à les déconcerter ,
» habile à cacher les fiens , jufqu'à ce qu'ils
» puiffent éclater avec avantage , remplif
"
» fant tour à tour avec autant de valeur
» que d'activité tous les devoirs d'un
" parfait Général , imitant dans la rapidité
» de fes opérations celle de la foudre ,
>>dont les coups inattendus préviennent
» le moment de la fuite , ou la rendent
>> inutile ; digne par cette rapidité même
» d'unir fes armes à celles de Louis ; fe dé-
>> clarant pour la paix , fitôt qu'il a manqué
» de raifons plaufibles pour nous feconder
» dans la guerre , c'est- à-dire , tenant en-
»core à Louis par la conformité des vûes ,
>> lors même qu'il ceffoit d'être joint à
» nous par les armes.
Revocate in memoriam infignes illas , quibus
Europa perfonuit, Friderici Pruffiorum Regis
victorias , cum Bohemiam , Silefiam victor
peragraret ; heros vigil , in pravertendis hoftium
confilis acer , in evertendis felix , in
fuis , donec erumpere tuiò poffent , diffimulandis
folers , ad omnes Ducis partes ftrenuus
impiger , hoftem ferire folitus more fulminis
quod improvifos occupat , fugam meditantes
affligit , converfos in fugam affequitur ; dignus
vincendi celeritate , quem belli focium Ludo-
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
vicus haberet ; ubi ftudendi palam defecerunt
honefte rationes , tum verò promovende pacis
cupidus , ideft , cum Ludovico , fi non armorum
, faltem focietate conjunctus animorum.
Toniours dans fon fujet , l'Orateur décrit
enfuite l'épuifement où étoient l'Angleterre
& la Hollande , les murmures &
les clameurs dont retentiffoient Londres
& la Haye , au fujet des fubfides & des
impôts qu'il falloit payer ; il rappelle cet
acte public qui parut à l'ouverture de la
Campagne de 1748 , où les Provinces-
Unies annonçoient leurs frayeurs à toute
l'Europe . L'effroi de la Hollande à la vûe
de l'abbaiffement dont elle eft menacée ,
tandis que Génes fe releve avec éclat
donne lieu à un parallele contrafté entre
ces deux Républiques ; nous nous contentons
de le donner en François. Ce même
parallele amene naturellement l'éloge du
Duc de Boufflers & du Maréchal Duc de
Richelieu . Nous traduirons ce morceau
auffi littéralement qu'il nous fera poffible ,
& nous y joindrons le Latin , pour qu'on
puiffe juger en même tems , & du ſtyle de
l'Orateur & de notre fidélité.
"
» Infortunée Hollande , je ne veux ni
» examiner de trop près , ni malignement
interprêter ici le fyftême de votre politique
. Je confens même qu'on vous faffe
כ כ
AOUS T. 1749. 57
39
»un mérite d'avoir fermé les yeux fur vos
"propres périls , pour ne penfer qu'à ceux
» de votre augufte Alliée ; mais que la
République de Génes , en remettant en-
" tre les mains de Louis les intérêts de fes
>> Citoyens & de fon Sénat , a été bien plus
fage que vous, & que par cette judicieufe
» précaution , elle a joué fur le Théâtre de
l'Europe un rôle bien fupérieur au vôtre !
D'abord éloignée du péril , vous n'en-
" tendiez que de loin les foudres de la
guerre : tranquille au fein de vos marais,
» vous contempliez dans un calme pro-
» fond les Villes de vos voisins fumantes
» & renverfées. Cependant vos Ambaſſa-
» deurs parcouroient avec confiance les
Cours de l'Europe , portant partout la
» balance de la paix : Génes au contraire
» victime déplorable du plus affreux deftin
, malheureufe de furvivre à la perte
" de fa liberté , expirante fous le jong
» d'une domination étrangere , réduite à
» éprouver les rigueurs d'un humiliant efclavage
, ofoit à peine , du fein de l'op
".
n
33
preffion , élever de timides regards &
» demander un vengeur ! Quelle étonnan-
» te révolution a changé tout à coup vos
» deſtinées & les fiennes ; Génes déſolée ,
» tremblante de frayeur , abimée dans le
»deuil , fort de deffous fes ruines , fes lar
Cy
58 MERCURE DEFRANCE.
» mes font féchées , fes efpérances renaif-
»fent , l'affûrance prend fur fon front la
">
ן כ
place de la crainte ; libre de fes fers , elle
» rend inutiles les efforts de fes ennemis ;
» elle écarte les dangers loin de ſes murail
» les , elle brave les menaces de l'Autri-
» che , elle échappe aux entreprifes de la
Savoye , elle regarde fans effroi les flot-
»tes de l'Angleterre : & vous fiers Bata-
» ves , vous pâliffez à votre tour , vous
déplorez vos pertes , vous vous plaignez
des caprices du fort qui vous porte des
» coups mortels . Comment donc la ter
>> reur a-t'elle paffé des murs de Génes
>> dans vos Provinces ? C'eft que les Génois
» ont eû Louis pour défenfeur , & que
» vous n'avez pas craint de l'avoir pour
"
»
>> ennemi .
» O Boufflers , ô foutien d'une Répu-
» blique ébranlée , ô digne inftrument des
» deffeins de Louis ! Génes fubſiſte , elle
>>doit fon repos à vos foins , fon falut à
» votre bravoure ; pourquoi faut-il qu'un
» fort cruel vous frappe dans le cours des
plus glorieux fuccès ? Le tombeau s'ou-
»vre pour vous recevoir , Génes voit luire
»fur elle les premiers rayons de fa liberté
» naiffante , & les horreurs du trépas vous
» environnent : vous êtes privé du fruit
» de vos travaux,comme fi là mort, en vous
"
A OUS T. 1749 .
59
»
»prenant pour victime , avoit voulu remplacer
celles que vous aviez défendues
»contre fes coups. Cependant , ô Héros
» infortuné , cher & tendre objet de nos
>> regrets , confolez - vous ; Richelieu fou-
» tiendra la gloire de vos nobles travaux ;
» il achevera votre ouvrage : Guerrier &
» Courtifan , tout enſemble ; fçavant dans
» l'art de la paix , habile dans celui des
>> combats , uniffant aux dons du genie
» aux charmes de la politeffe , au brillant
» des graces , le feu de la valeur & le
phlegme de la prudence , c'eft-à-dire ,
»capable tout à la fois d'embellir les plus
>> belles Cours , & de fauver les Etats chan-
>> celans , il fera retrouver en lui ce que
» Génes vient de perdre en vous . On ad-
» mirera notre bonheur d'avoir dans
fa perfonne un Héros qui vous ref-
»femble : la préſence de ce Guerrier bannira
la terreur , & écartera les ravages
» d'une ville qui pofféde vos cendres , &
» comme votre tombeau fera dans la fuite
des âges l'autel de la liberté publique ,
» la ftatue de Richelieu deviendra pour
» Génes , ce qu'étoit celle de Pallas pour
» l'Empire Troyen , l'immortelle fauve-
» garde de fes autels & de fes murs.
{"
O Buffleri & Civitatis afflicta columen ! ô
Ludovici confiliorum adminifter animofe ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Genua ftat tuis fecura vigiliis , tuis protecta
laboribus , tuis recreata periculis , & ( ộ vim
fati duriffimam ) jaces , tu , immaturo cafu
prareptus , tumuli detrufus ad tenebras , cum
illa , per te fofpes , fuaviffimâ rediviva libertatis
aurora incipit ferenari , nec ad te vel
leviffimus laborum tuorum fructus pertinuit ,
quafi mors defenfam à tuis ictibus Genuenfium
falutem tuo capite ulcifci voluiffet. Solare tamen
fortis iniquas vices , heros defideratiffime
; quos enim fociis in integrum reftituendis
labores tam alacriter impendifti , eorum laudem
tuebitur Richelius ; abfolvet quod inceperas
, vir pacis idem & Martis artibus potens
, bellator ac aulicus , fic argutias ingenii ,
lautitias urbanitatis , elegantia delicias , cum
fedulitate , cum prudentiâ , cum fortitudine
confocians , ut alteris dotibus aulam omnium
fplendidiffimam ornare poffit , alteris verò
imperium aut rempublicam turbulentiffimis
belli fluctibus agitatam à naufragio vindicare.
Qua propter , ô Buffleri , reprafentabit in fe
Richelius , & repræfentabit quantum est quod
amiffum in te lugent : orbi teftatum relinquet
Galliam non unum civem habere fimilem tui ;
cuftodem cinerum tuorum Civitatem ab hoftili
feritate praftabit illafam ; erit tuus ille tumulus
, ara quadam libertatis ; erit autem Richelii
in marmore fimulacrum velut illa Pal-
Ladis effigies Troja quondam fofpitatrix, ab arâ
>
A O UST.
61
1749.
violationem hofticam , à muris Genuenfibus
vaftitatem propulſabit.
L'Orateur avoit d'abord expofé l'épui
fement des Puiffances ennemies , & le befoin
qu'elles avoient de la paix . Il fe préfentoit
naturellement une objection : la
France n'étoit- t'elle pas dans le même état
d'épuifement ? Objection fpécieufe ; mais
dont il montre le frivole , en appréciant
les pertes & les avantages , les dépenfes
& les reffources des differentes Nations ;
il examine , il peſe tout . Un détail brillant
forme à ce fujet des preuves qui vont jufqu'à
la conviction .
L'Orateur paffe enfuite au défintéreffement
du Roi dans les conclufions de la
paix , fecond motif de reconnoiffance pour
les Nations étrangeres : » Ce défintéreffe-
» ment ,dit- il , n'a pas befoin d'être prou-
» vé , puifqu'il n'a eu que trop de cen-
»feurs. Les uns n'ont pû voir fans cha-
» grin , qu'un Roi , digne de gouverner
» l'univers , refusât de s'aggrandir ; les au-
» tres , dupes aveugles des préjugés popu-
>> laires , ont confondu la grandeur du
» Souverain avec la grandeur du Royau-
» me; ils ont crû que le mérite du Mo-
» narque confiftoit à commander à plus
» de peuples : idée fauffe , puifque le mérite
des Princes eft indépendant de l'é-
1
62 MERCURE DE FRANCE.
» tendue de leur empire , & que leurs ver-
» tus ne doivent pas fe compter par le
» nombre de leurs Provinces.
On releve enfuite ce défintéreflement fi
généreux , en montrant combien il a été
libre & volontaire. En effet , armées nom
breuſes , troupes aguerries , habiles Géné
raux , artillerie formidable , munitions
abondantes , rien ne nous manquoit , &
jamais l'avenir ne nous avoit offert une
perspective plus flatteufe.
Mais Louis , dit l'Orateur , dès le
» commencement de la guerre , avoit ré-
»folu de vaincre pour fes Alliés , & non
»pour lui -même ; que dis- je réfolu , il s'y
» étoit engagé , &c. Qu'on nous permette
ici d'envier le droit de faire une Traduction
, plutôt qu'un Extrait ; il y auroit
pour le Traducteur une gloire à laquelle
nous ne pouvons prétendre n'ayant que le
mérite du choix.
SECONDE PARTIE.
L'Orateur prétend , comme
on a 'dit
plus haut , qu'en nous procurant la paix
Louis a mérité de notre part des fentimens
d'un amour fans bornes. Pourquoi ? Parce
que pour nous procurer la paix , il a fait un
des plus grands facrifices dont les Héros
foient capables , eft illa pax grandi redempAOUS
T.. 1749. 63
ta pretio ; premiere raiſon . Parce qu'en ſecond
lieu cette paix qu'il nous procure , ne
peut manquer d'être durable , eft ad diuturnitatem
compofita. En faveur des nations
étrangeres , Louis avoit refufé d'agrandir
fes Etats ; en faveur de la France , il refuſe
de multiplier fes victoires. Maître de Bergopzoom,
nous étions devant Maftricht, &
Maftricht , étoit fur le point de fe rendre ,
ainfi l'entrée de la Hollande nous étoit ouverte.
Le nom de Bergopzoom rappelloit
naturellement celui du Maréchal de Lowendal
; voici comment en parle l'Orateur
.
))
Quelle difficulté étoit capable d'arrê-
» ter un Héros , qui pour effayer fon bras
» dans le métier de la guerre, avoit domp-
» té les Tartares ? Qui d'un théatre moins
» illuftre appellé fur celui de la France , y
>>paroiffoit avec tant de dignité , en aug-
" mentoit l'éclat par fes vertus militaires ,
» en égaloit la grandeur par celle de fes
exploits ; guerrier , qui tantôt par ſa
promptitude trompe la fortune , pour
» ainfi dire , prévient fes caprices & ne lui
» donne pas le tems de balancer ; tantôt
par la patience triomphe des obftacles &
»rachete la lenteur des opérations par le
» merveilleux du fuccès : toujours fage
jamais heureux par hazard , lors même
n
»
25
"
64 MERCURE DEFRANCE.
99
qu'il l'eft le plus promptement ; auffi digne
du fuffrage de Louis , lorfqu'il em-
» porte Oftende en trois jours , que : lorfqu'il
lutte contre les réfiftances de Ber-
" gopzoom , qu'il l'attaque par trois en-
» droits, & l'oblige de reconnoître pour la
»première fois un vainqueur.
Ce caractére eft fuivi d'une courte def
cription de Maftricht ; dont le péril détermine
enfin les ennemis à folliciter la paix ..
Que fera le Roi , demande l'Orateur ? Habile
à faifir tout ce qui peut entrer en
preuve de fon fujer , l'Orateur tire avantage
de la difficulté que les Héros ont.naturellement
à fe vaincre fur un point
auffi délicat que le font les occafions qui
s'offrent d'ajoûter à leur gloire ; c'est une
carriere brillante qui s'ouvre devant.
eus. Quelle grandeur d'ame ne faut- il pas
pour fçavoir s'y arrêter , lorfqu'on peut la
parcourir avec fuccès ? C'eft cette réflexion
, embellie par le brillant du ſtyle &
la vivacité des images, qui termine la premiere
preuve fur laquelle l'Orateur a fondé
le tribut d'amour que nous devons au
Roi.
Il tire fa feconde raifon , de la conduite.
que le Roi a tenue dans la conclufion de las
paix, & qui nous en affûre la durée . Pour
s'appuyer fur des titres que la malignité &
AOUST, 1749 .
63
l'envie ne puiffent rejetter , il remonte à
la fource de prefque toutes les guerres qui
ont agité la France depuis un fiècle . Il en
attribue la caufe à la jaloufie de l'Europe
& aux vâes d'ambition qu'elle nous fuppofoit
. Tels furent en effet les refforts que
mit en oeuvre le fameux Prince d'Orange
Guillaume III . Or le défintéreffement du
Roi dans la conclufion de la paix permetil
encore à la jaloufie de s'irriter de notre
grandeur , & à la malignité de nous fuppofer
des projets d'ambition ? Que nous
envieront les nations étrangeres , elles à
qui nous cédons tout jufqu'à nos conquêtes
, finon le pouvoir de les rendre heu
reufes? Quelles vûes nous prêteront- elles,
finon celles de nous les attacher par les
liens du bienfait & de la confiance. C'eft
fur ces principes que l'Orateur appuye fes
conjectures fur la durée de la paix . Cependant
comme fi ces raifons ne fuffifoient
`pas , il a recours à l'expérience que nos ennemis
ont faite durant le cours de la guerre
, des reffources inépuifables qu'avoit la
France pour fe rendre le fort des armes favorable
; reffources dans les vertus du Roi,
reffources dans les qualités auguftes de
Monfeigneur le Dauphin , reffources dans
la préfence même du Roi commandant ca
perfonne fes armées , reffources dans la va66
MERCURE DE FRANCE.
leur des Princes du Sang , reffources dans
la capacité des Généraux , reffources dans
la multitude de nos troupes , reſources
dans la bravoure du foldat , enfin reffources
dans le zéle de tous les Citoyens & de
tous les Corps du Royaume.
Le détail de ces differentes reffources
eft un morceau trop étendu pour trouver
place ici , on pourra juger du refte par ce
que nous en allons rapporter.
"3
Reffources, dit l'Orateur , dans les ver-
» tus du Roi. En eft - il dont il n'ait donné
» des exemples éclatans ? Exemple de pru-
» dence , de bravoure , de hardieffe , de conf-
»tance , de modeftie, d'humanité, de bonté
»pour les foldats , de générofité à l'égard
>> même de fes ennemis . Les champs de Fontenoy
font principalement le théatre où
l'Orateur fait remarquer l'affemblage de
ces vertus héroïques. Lejour fous lequel il
les fait paroître , en affûrant au Roi le tribut
d'amour que nous lui devons , promet
à l'Orateur cet hommage d'eftime qu'on
ne peut refufer à ceux qui fçavent peindre
les Héros tels qu'ils font , & la vertu
telle qu'elle doit être pour emporter tous
les fuffrages.
» Reffources dans la capacité des Géné-
» néraux & des premiers Officiers . Ici ,
» Meffieurs , quelle foule de noms illuftres
AOUST. 1749. 67
>>
»
"
» fe préfente à moi ? Les Clermont , les
Broglie , les Coigni , les Maillebois , les
>> Birons , les Segurs , les d'Eftrées , les
» Contades , les d'Armantieres & tant d'au-
» tres qu'il fuffit de nommer pour avoir
» fait leur éloge ? Que ne puis- je du moins
» vous peindre en traits affez majeftueux
» ce brave & intrépide Saxon , né pour
l'avantage de cet Empire , quoiqu'il foit
" né hors de fon fein , comme fi le Ciel
» eût voulu que le même homme fit par fa
naiffance la gloire de l'Allemagne , & par
»fes exploits celle de la France ? Que de
talens que de qualités s'offriroient à
» votre admiration ! S'il affûre dans la
Flandre le fruit de nos victoires contre
» les entrepriſes d'une armée formidable
» commandée par les chefs les plus habiles ;
» c'eſt Turenne , qui à la tête de quel-
»ques troupes , défend une feconde fois
» nos Provinces contre toutes les forces de
» l'Empire. S'il livre une batail'e , s'il at-
>> taque en perfonne ; c'eft un Condé qui
>> triomphe encore à Lens, à Nortelingue,
» à Rocroi : s'il marche pour aller inveftir
» Maftricht , & prenant fa route au tra
>> vers des ennemis , il échappe à toute
» leur vigilance ; c'eft Luxembourg qui re-
>> nouvelle le prodige de la marche de Vi-
» gnamont , & qui l'efface par un prodige
33
68 MERCURE DE FRANCE
$
3
encore plus grand : s'il régle toutes les
» opérations d'une Campagne ; c'eft Catinat
qui joint aux grandes vûes l'efprit
» de détail , qui change de vertus felon les
» conjonctures ; dans les favorables ofe
tout avec hardieffe , dans les difficiles
» n'agit qu'avec précaution , dans la né-
» ceffité ne ménage rien . On diroit que
» Maurice tient à tous les fiécles ; aux paf-
» fés , dont il fait revivre en lui les Héros ,
» au préfent qu'il honore par fes exploits ,
» aux futurs dont il fera le modéle .
و د
» Que j'aimerois encore à vous peindre
» cet autre Général , qui joint une noble &
» heureufe audace à l'activité de l'efprit , à
» la fupériorité des lumieres & de l'intelligence
; dont le courage a défendu Pra-
»gue , les foins , fortifié & embelli Metz.
» Négociateur profond , qui démêle avec
» adreffe le noeud des affaires les plus dif-
» ficiles , & qui à la tête des armées le tran-
» che , s'il le faut , avec le fer ; guerrier
» toujours redoutable à nos ennemis , foit
» qu'il les attaque fur leurs terres , foit
» qu'il les chaffe de deffus les nôtres ; auffi
maître des efprits qu'il domine par l'é-
» tendue du fien , que de la victoire qu'il
>> enchaîne par fa valeur ; Citoyen diftin-
» gué par l'éclat de fes fervices , ne profiA
O UST. 1749. 69
» tant de l'élevation de fa fortune que
pour faire du bien. Que dirai -je de plus ?
Objet de la jaloufie , parce que le deftin
» du mérite fut toujours d'avoir des ja-
>>toux .
33
Adjumenta in bellicis ducum præfectorumque
virtutibus. Hic autem , auditores , quot
fplendida occurrunt nomina , Claromontii ,
Broglii , Cognai , Mallebofii , Segurtii , Bironii
, Eftrai , Contadii , Armentarii , & alia
tam multa que præconio non indigent , quoniam
ipfum nomen inſtar ampliffima laudis eft?
Quin faltem licet animofum illum Saxonem
adumbrare vobis , ut par eft ; Gallia natum
quamvis natus fit extra Galliam, ut idem Germanis
apud illos nafcendo , idem Gallis apud
mos militando , claritatem afferret ? Quot in
uno collecta dotes , congeftaque decora veftrum
omnium animos admiratione defixos fufpenderent
! Ille,fi cum pauciffimis numere copiis victariarum
noftrarumfructus contra celeberrimos
hoftium duses , numerofiffimumque exercitum
tutatur in Belgio , crederes adeffe Turennium
noftras provincias adversùs imperii vires non
nifi cum lectiffimâ militum manu iterum de
fendentem. Si confligit inftructâ acie & hoftes
impetit, confilio rem gerens ac manu, crederes
adeffe Condaum ad rupem regiam , ad Nerolingam
, ad Ļentiam , triumphantem. Si
70 MERCURE DE FRANCE.
Trajectum ad Mofam circumceffurus , iter
inftituit cum exercitu , & intento per mediam
federatorum ducum aciem itinere , experrectam
illorum vigilantiam ludificatur , crederes
adeffe Luxemburgium Vinea-Montani itineris
renovantemprodigia & majoribus fuperantem.
Si belli rationem omnem componit tacitus , crederes
adeff: Catinatum pro difficultate temporis.
cautè , pro commoditate rerum audacter , pro
neceffitate fortiter , fingulis rebus & univerfis
providentem. Adeò Mauricius ad omnes atates
quafi pertinet , ad præteritas quarum heroes
ab inferis excitat , ad prafentem quam
bellicis decoribus illuftrat , ad pofteras quarum
exemplar futurus eft.
Quidni etiam vacat aliter quàm brevioribus
lineamentis Ducem illum defignare confilio
non feracem minus & promptum quàmfeliciter
audacem , Pragisftrenuè defenfis clarum ,
Metis adfplendorem fimul & fecuritatem amplificatis
confpicuum , non modo rebus adhibita
ingenii dexteritate folerter expediendis ,
fed etiam, ubi opus eft , ferro fecandis habilem ;
qui quàm laudabiliter fe geffit in hoftium folo ,
tam fficaciter impedivit ne latrocinarentur
in noftro ; cujus eft & mentibus & victoriæ dominari
, quoniam alterum amplitudinem mentis
, alterum animi fortitu inem poftulat , &
utroquefimul eminet, Civis meritorum clariA
O UST. 1749 . 71.
tate spectandus , in fortune faftigio plures beneficiis
demereri cupidus , cui nec illud etiam
deeft quod fumma virtuti numquam defuit ,:
habere invidos.
On regrette d'être obligé de mettre des
bornes à cet Extrait , nous y avons fait remarquer
bien des beautés , mais nous ne
les avons pas épuifées. L'Orateur partout
femblable à lui -même s'eft foutenu dans
les endroits même qui paroiffent les moins
du reffort du génie . Son difcours eft terminé
par une peroraifon digne du reſte de
l'ouvrage . Il rapproche fes preuves , &
en forme une image , où l'on reconnoît la
grandeur du Héros & les titres fur lef
quels font fondés les fentimens de reconnoiffance
que ne peuvent lui refuter les.
Nations étrangeres , & le tribut d'amour
que la France lui doit pour le bienfait de
la paix.
72 MERCUREDE FRANCE .
PARALLELE DE LOUIS XV.
A
AVEC LOUIS XIV ,
Te louer , grand Roi , dans l'ardeur quí
m'engage ,
Je ne fçais qui je dois admirer davantage ,
Ou Louis qui tranſmit ſes vertus dans ton coeur ,
Ou toi, dont l'héroïſme en foutient la ſplendeur.
Combien de fois vit - on , d'un floriffant Empire
Tout l'éclat s'éclipfer , quand le Monarque expires
Souvent le fils s'endort , & perd dans le repos
La gloire que le pere acquit par fes travaux .
L'infatigable Roi que le François adore ,
Fait douter fi Louis ne regne pas encore :
Partout il fuit fes pas , ' & la foudre à la main ,
Comme lui de la gloire il s'ouvre le chemin ,
Mais quel aftre , jaloux du bonheur de la France ,
Fait fentir à Louis fa maligne influence ?
La fiévre au front livide & la pâle langueur
Dans fa courſe brillante arrêtent ce vainqueur,
La gloire eft confternée & la France éperdue :
Tout n'offre que trifteffe & que pleurs à ma vûe .
Tendres François , voici votre jour le plus beau ,
Jour heureux , où Louis triomphe du tombeau.
L'amour qu'il eut pour vous lui raviffoit la vie :
A peine il la reprend , qu'il vous la facrifie.
Comme
A O UST. 73 1749 .
Comme Louis le Grand , fe plaignant autrefois
Qu'un fleuve impétueux retarde ſes exploits ,
Avec les Légions le traverfe à la nage ,
Et le rend malgré lui témoin de ſon courage
'Ainfi fon fils , touché qu'au jour de fes fuccès
Un accident fatal ſuſpende ſes progrès ,
Ranime fes efprits , combat la douleur vive ,
Qui retient dans fon fein fa grande ame captive :
Il furmonte fes maux , vole au - delà du Rhin :
J'admire dans Fribourg le vainqueur de Menin.
Vous voyez ce Héros dans la plaine Belgique
Enchaîner d'une main la valeur Britannique ,
De l'autre foudroyer des remparts & des tours.
Torrent impétueux , rien n'arrête fon cours.
Naffau que retenoit une lente prudence ,
De Louis devant Mons admira la vaillance.
Plus bouillant, plus hardi, le jeune Cumberland ,
Se prépare à combattre un Héros qui l'attend.
Allons, dit -il , marchons qu'à travers le carnage
Mes bataillons ferrés fe faffent un paffage .
·
C'eſt Tournai qui m'appelle , il faut le fecourir ,
Fondre , frapper , percer , triompher ou périr.
Sa colonne terrible & ſa voix menaçante
A d'autres qu'aux François eût donné l'épouvante.
Louis d'un feul regard anime fes foldats ,
Et force la victoire à marcher fur fes pas.
Va ,vole , dis par tout , bruyante Renommée ,
D
MERCURE
DEFRANCE
.
74
Qu'à force de courage , enfonçant d'une armée
La colonne effrayante , un intrépide Roi
A renversé l'Anglois aux champs de Fontenoy :
Que touché de leurs cris , il reçoit dans ſes tentes
Et ſoulage de Mars les victimes langlantes .
Et toi , brillante gloire , éleve des Aatels
Au plus vaillant des Rois, au plus doux des mortels;
Vous , Héros , dont le fang a cimenté le Trône ,
Recevez les lauriers dont la main vous couronne,
Quede nouveaux exploits , quels lieux , quelle
failon ,
Qui ne ferve , Louis , à fignaler ton nom !
Dans l'horreur de l'hyver , ici Bruxelles priſe
Allarme le Danube & la fiere Tamiſe :
Là vainement la mer s'arme , combat pour vous ,
Oftende , & vous , Anvers , vous tombez fous nos
coups
Apeine par Conty Mons eft réduit en poudre ,
Que Namur par Clermont eft frappé de la foudre
Ce fils du grand Condé , plein d'ardeur pour fon
Roi ,
Nous rappelle à Raucoux le beau jour de Rocroy
Peins, Mufe , dignement le François magnanime ,
Ne craignant que la nuit dans l'ardeur qui l'ani
me :
Peins -nous , comme un Turenne , au milieu des
guerriers ,
Maurice , pour Louis moiffonnant des lauriers.
A O UST.
75
1749.
Charles , de ce vainqueur iedoutant la pourſuite ,
Cherche , tout grand qu'il eft , fon falut dans la
fuite .
Sufpens , Aftre du jour , ton cours précipité :
Quelques moinens encor prête- nous ta clarté,
Sur la France Raucoux répandra plus de gloire ,
Que ne fit de Steinkerque autrefois la victoire.
Nous oublions ces lieux où les Héros François
Firent de leur valeur de fi nobles effais.
Sur tes plus hautes tours Belle- Ifle me tranſporte,
Prague , fameufe Prague , auffi foible que forte :
Foible, quand les François l'attaquent en Célars ;
Forte , lorfque leurs corps lui fervent de remparts.
Ales yeux toujours grands par leur valeur extrême,
Ils le font encor plus par leur retraite même ;
Ils bravent les frimats fous des cieux inconnus
Et s'ouvrent un chemin à force de verrus .
Du courfier d'Apollon je vole fur les aîles ,
Vers ces monts où des Rois s'aigriffent les qued
relles.
En proye aux ennemis , & déja dans les fers ,
Gênes , ta délivrance étonne l'Univers .
J'apperçois le poignard , je vois la main levée ,
Intrépide elle frappe , & la Ville eft ſauvée.
Ah ! pour te recouvrer , aimable liberté ,
Que n'ofe point un coeur de fes fers irrité !
Louis prête fon bras , & partage la gloire
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Du noble & nouveau trait dont brillera l'hiſtoiret
Richelieu , dont le nom eft fi cher & fi grand ,
Acheve les exploits de Boufflers expirant.
Du haut des monts , euflé d'une vaine eſpé
rance ,
Browne comme un torrent inonde la Provence :
D'Amédée imitant le dangereux effort ,
Ofe-t'il fe flatter d'avoir un autre fort ?
Audacieux projet , entreprife inutile !
L'un fuit devant Teffé , l'autre devant Belle- Ifle,
Nervinde reparoît , Lawfeld la reproduit ,
'Avec non moins de fang , mais avec plus de fruit
Nous touchons aux marais de la riche Zélande ,
Et déja nous femons l'effroi dans la Hollande,
Louis ,fur Bergopzom ton bras s'appéfantit :
Des traits de Lowendal rien ne le garantit ;
Par un heureux deftin devenant notre proye ;
De la Paix defirée il prépare la voye.
Nos champs n'offrent encor que d'horribles glaa
çons ,
.
QuandMaftricht de lauriers nous offre des moiffons
A travers les éclairs , la foudre & le tonnerre ,
Dont Bellone en fureur épouvante la terre ,
Au milieu des foupirs, dans le centre des maux
Qu'enfante chaque jour le plus grand des fleaux
Quelle divinité , douce , tranquille , aimable ,
Jette fur les mortels un regard favorable
A O UST.
77 1749 .
D'une puiffante vox , l'olivier à la main ,
Elle impofe filence à cent bouches d'airain.
Tel un calme profond ſuccédant à l'orage ,
Qui n'a produit par tout que grêle & que savage,
Raffûre les mortels , diffipe la terreur ,
Dont les vents irrités avoient frappé leur coeur ;
Telle la paix fuccéde au monftre redoutable ,
Qui fe nourrit du fang des peuples qu'il accable ,
Regle les intérêts qui nous défuniffoient ,
Et fait quitter aux Rois les foudres qu'ils lançoient.
La victoire s'arrête & fe tait devant elle :
L'heureux jour de Nimegue enfin fe renouvelle .
Comme fon Bilayeul oubliant fes exploits ,
De fes armes Louis abandonne les droits.
A foulager fon peuple il trouve plus de gloire ,
Qu'à conferver les fruits qu'il tient de la victoire .
Eh quoi ! pour retenir tant de pays conquis ,
Faut-il qu'un nouveau fang en devienne le prix ?
Plus un Empire eft grand , plus fa chûte eft prochaine.
De cent Princes jaloux il fomente la haine.
Loin d'ici le vainqueur , dont les heureux fuccès ,
Et l'ardeur d'envahir éloigneroient la paix.
J'adore un Conquérant que guide la juftice ,
Et qui des dons de Mars fçait faire un ſacrifice.
De cent Etats en feù le Pacificateur
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
Eft plus grand à mes yeux , que le plus grand vain
queur.
Achevons des deux Rois le brillant parallele :
Que d'amour dans leur coeur pour leur peuple
fidéle !
L'éclat que leur Empire emprunte des Beaux Arts,
Le difpute à l'éclat qu'il reçoit du Dieu Mars.
Nos Héros exercés , & la France aguerrie ,
A l'abri des revers mettent leur Monarchie.
Que de traits reffemblans ! L'on diroit que par tous
Leur gloire fe confond , & ne forme qu'un tout
REFLEXIONS.
Sur la nouvelle Carte que M. de Thuri
vient de donner au Public.
DE
E toutes les entreprifes qui ont été
faites en France pour la perfection de
la Géographie & de la Navigation , il n'en
eft point qui faffe plus d'honneur à la Nation
que celle qui regarde la defcription
géométrique de la France. Que la Terre
, felon la remarque de M. de Fontenelle
* , foit un fphéroïde allongé ou applatti
vers les poles , la difference fera toujours fi
petite ,, que cette queſtion peut paroître
* M. 1740 , page 74.
AOUST. 1749. 79
l'on
plus curieufe qu'importante ; mais que
donne plus ou moins d'étendue aux parties
qui compofent l'étendue de la France ,
c'eft une queftion dont l'importance eft
plus fenfible & l'utilité plus marquée.
D'ailleurs les autresNations partagent avec
la France * la gloire d'avoir concouru à la
connoiffance de la grandeur des degrés
terreftres , tandis qu'aucune n'avoit peutêtre
encore penfé à fe procurer des Cartes
exactes de fon pays .
Il fembloit pourtant que l'intérêt du Roi
& celui de fes Sujets , fe trouvoient réunis
dans l'exécution de cette entrepriſe. Que
l'on propoſe à un Miniftre de faire conftruire
de nouveaux chemins , de régler la
marche des troupes dans l'intérieur du
Royaume , il faut toujours avoir recours
à la Carte , pour la diriger par la voie la
plus courte , ( la diligence eft auffi néceffaire
pour le bien du commerce que pour
le fuccès des armes ) il n'eft point de particulier
qui ne fente la neceffité d'avoir
un plan exact , ou le papier terrier de ſa
terre , & nous fentons tous combien il
nous eft avantageux qne le Roi ait le plan
exact de tout fon Royaume.
Il ne faut pas croire que la préciſion
géométrique foit abfolument inutile , &
* Grandeur & figure de la Terre , p. 17.
D
1111
80 MERCURE DE FRANCE .
que la Géographie de la France , dans l'é--
tat où elle fe trouvoit auparavant , fût
d'une exactitude plus que fuffifante il
fuffit de jetter les yeux fur la Carte de M.
de Thuri , pour voir combien la France
a , pour ainfi dire , changé de face depuis
fa nouvelle réforme ; & pour reconnoître
toutes les erreurs où nos meilleurs Géographes
font tombés , on trouve des differences
de 4 à 5000 toifes entre la diftance
d'une Ville à l'autre , déterminée par
les triangles, & celle que donnent lesCartes
des Sieurs Delifle & Jaillot . Il feroit trop
long de donner ici le détail de toutes les remarques
que j'ai faites fur le rapport de ces
Cartes, je me contenterai d'en rapporter ici
quelques - unes .
Les diftances fuivantes font marquées
en minutes d'un grand cercle , qui répondent
à 951 toifes, parce que c'eft une mefure
commune à toutes les Cartes.
Thuri. Delifle. Jaillot.
De Tarbe à Auch ,
33 3838 40
D'Auch à Toulouſe ,
37
De S. Bertrand à Lombés ,
30
41-40-
35 33
De Langres à Châlons , 77 71--IN
De Troyes à Sens ,
32 28
De Châlons à Rheims , 21
25
De Langres à Dole ,
48
40
De Dole à Châlons , 32 35
A OUS T. 1749.
81
D'Auxerre à Saulieu ,
Thuri. Delifle, Jaillot.
3741-2
De Philifbourg à Strasbourg , 49 44-
De Strafbourg à Neuf Brifac , 35-33½
De Colmar à Befort ,
De Fréjus à Nice ,
33 29
29 26
Du S. Esprit à Arles , 352 39
Du Quefnoi à Rocroi , 39 32-/-/
De Sancerre à Montargis , 41 37
De Montargis à Sens ,
26 23-1/2
De Saintes a la Rochelle ,
32 33 31
D'Angoulême ,
33 342 30/
De Perigueux à Limoges , 45 53
De Lion à Grenoble ,
SI ·42-
De Mende à S. Flour , 35/1/20
32
De Bordeaux à Agen ,
63
60
De Nevers à Moulins ,
26
23-/-/35
De Moulins à Autun ,
De Bourges à Limoges ,
De Bourges à Moulins ,
De Nantes à Luçon ,
De Verdun à Longwy ,
De Clermont à Verdun ,
90
47
4 83-32
10
35
49'
44
28
30
11- 13-
De Langres à Chaumont , IS
19/-/2
De Mets à Thionville . 15 184
De Troyes à Langres , 57 53
Après avoir comparé les diſtances des
principales Villes , fituées dans l'intérieur
& vers les confins du Royaume , j'ai examiné
de la même maniere toutes celles qui
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
font placées fur les côtes de l'Océan , &
aux environs on fçait que nous n'avons
rien de plus exact que les Cartes inſerées
dans le Neptune François , on y remarque
cependant des differences de 2 à 3000
toifes dans la diftance d'une Ville à l'autre
; il eft vrai qu'il s'en trouve plufieurs
abfolument conformes à la Carte de M.
de Thuri. Je ne rapporterai ici que celles
où j'ai remarqué les differences les plus
confidérables.
Les diftances fuivantes font marquées
en toifes.
Selon M. de Selon le Nep-
Thuri. tune François
De Douvres à Calais ,
De S. Vallery à Dieppe ,
De Dieppe à Fécamp ,
De Granville à S. Malo ,
21700 22200
26000 24000
27500 26000
20000 18500
De Frehel à S. Brieu , 19500 14800
De S. Brieu à Treguier , 23500 20000
De S Pol de Leon à Gouluen , 13000
11000
De Breft à Craufen , 8000 7000
De Pontcroix à Quimper , 15000 13500
De Quimperlai au M de Groix , 14000
12060
De l'Orient à Auray , 16000 14000
D'Auray à Vannes , 9000 8000
De Vannes à Guerande 23000 2.1000
Des Sables d'Olonne à la Ro- 32000 28500
chelle ,
De Soulac à la Tête Dubuc , so500 475,00
Dans la Carte du Diocéfe de Coutance
, levée par le Sieur de la Pagerie >
A OUST. 1749. S3
& unades plus exactes de toutes celles qui
ont paru jufqu'à préfent , on remarque
une difference de près de 1 500 toifes dans
la diſtance de l'Ifle Saint Marcou à Valogne
, que M. de la Pagerie établit plus
grande qu'on ne la trouve dans la Carte
de M. de Thuri.
Si les differences que l'on remarque
entre la Carte de M. de Thuri & celles des
autres Géographes , paroiffent exorbitantes
, eu égard à la quantité de Cartes qui
ont paru fucceffivement , & à l'habileté
de ceux qui les ont miſes au jour , il faut
auffi convenir que les moyens , qui ont
été mis en ufage pour les dreffer , paroiffoient
peu propres à donner l'exactitude
que l'on pouvoit defirer. En effet quel art
ne falloit- il pas fuppofer dans un Géographe
, pour fçavoir difcerner parmi le
grand nombre de Mémoires qui lui étoient
communiqués , ceux qui avoient été faits
.par les perfonnes les plus intelligentes ?
Quel tems immenfe , & quelle longue
fuite de combinaiſons , pour débrouiller an
chaos d'obſervations qui fe contredifent
les unes les autres ; & ne pourroit- t'on pas
dire que nos meilleurs Géographes font
ceux qui ont fçû le mieux deviner ?
J'attends avec impatience que M. de
Thuri nous donne le détail de tontes fes
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
opérations , pour pouvoir calculer la diftance
de toutes les Villes principales les
unes par rapport aux autres , car l'échelle
de fa Carte eft trop petite pour que l'on
puiffe eftimer les diftances à 2 ou 300
près .
A Lyon , le 26 Mai.
MADRIGAL.
C'Eft envain que vous m'exhortez ,
Ingénieufe Iris , à peindre vos beautés ;
Je me garderai bien de cette audace infigne.
Avant que de vos yeux j'euffe fenti les coups ,
Mon coeur ne trouvoit rien qui de mes vers fût
digne ,
Et je ne trouve pas mes vers dignes de vous.
Par le Chevalier D……. R..↑
ASAS
A OUS T. 1749: 85
CD ?
DIDIDIDEDEDEDEDEDEDED
NAIS.
CANTATILLE ,
Mife en Mufique par M. N**.
Depuis qu'un Etranger aimable
Embellit ce rivage heureux ,
Les roffignols femblent plus amoureux.
L'Empire de Neptune eft toujours favorable ,
Et le murmure des ruiffeaux
Se mêle aux chants de mille oifeaux.
Roffignols , votre doux ramage ,
Paffe jufqu'au fond de mon coeur :
L'amour , dont j'ignorois l'uſage ,
Eft enfin mon charmant vainqueur.
Pour l'Etranger que l'on admire ,
Je fens des tranſports trop connus :
C'est pour lui feul que je foupire
que fes foins font affidus !
Ah !
Je ne l'apperçois point encore ,
Et déjà le Soleil éclaire ce féjour !
Il devoit devancer l'Aurore
Pour venir me faire fa cour.. :
86 MERCURE DE FRANCE.
Mais , Dieux ! j'entends fa voix enchantereffe !
Ses yeux , remplis des plus beaux feux ,
Vont m'affûrer de fa tendreffe...
Je le vois , il approche , il va combler mes voeux,
Belle Nymphe , un Dieu pour vous plaire
S'eft caché jufques à ce jour :
Ici , vous allez voir Cythere ,
C'est le triomphe de l'Amour .
En moi reconnoiffez Neptune ,
Enchanté de vos yeux charmans :
Pour lui la plus belle fortune ,
C'eft d'effacer tous vos amans.
Venez , Divinité nouvelle ,
Venez, regnez fur mes fujets :
Mon Trône eſt fait pour la plus belle ,
En vous je vois briller fes traits ,
Laffichard.
Cette Cantatille , qui fe vend feulement
chez M. le Clerc , rue du Roule , à la Croix
d'or , eft mife en Mufique par un Auteur ,
qui , fans copier M. Rameau , a fçû raffembler
dans fon ouvrage une partie partie des graces
de ce célébre Muficien . Prix 30 f
L'illuftre Alliance , Cantatille de M.
Noblet , fe vend 1 liv. 16 f, aux adreſſes
1
A OUS T. 1749. 87
ordinaires , de même que le retour de Philinte
, Cantatille , mife en Mufique par une
jeune Demoiſelle , ſe vend 1 liv. 4 f.
洗洗洗洗洗洗洗洗澡洗洗洗洗洗洗洗選
LETTRE
Touchant le vrai nom d'un Poëte François ,
qui a été célébre au XIV.fiècle .
►
Jdonner l'Auteur de la Bibliothéque
E ne puis , Monfieur , m'empêcher de
Françoife toutes les louanges qu'il mérite
, pour avoir furmonté les dégoûts qui
fe préfentent à la lecture de nos anciens
Poëtes , dont il a rendu compte dans fon
ouvrage. Il faut pour ce travail un genre
de conftance , dont tous les Ecrivains ne
font pas fufceptibles . M. l'Abbé Goujet
a fait voir que rien ne l'avoit rébuté dans
fon entreprife. Comme je crois que c'eft
lui faire plaifir que de lui propofer les
doutes qui peuvent naître dans l'efprit de
fes lecteurs , je lui en propofe , Monfieur ,
par votre canal , un qui m'eft venu , en lifant
fon neuviéme tome .
En parlant d'un Religieux de l'A'bbaye
de Chaalis , proche Senlis , qui a écrit
dans le quatorziéme fiécle , fous le regne
de Philippe de Valois , differens fonges
$8 MERCURE DEFRANCE.
en vers François , fous le titre de Pelerinages
, il affecte de l'appeller toujours
Guillaume de Deguilleville. Ce ne peut pas
être une faute d'impreffion , puifque de
Deguilleville y eft répeté plus de foixante
fois. C'eft donc de propos déliberé que
M. L. G. donne à ce Poëte le nom de
Deguilleville .
Cependant il femble que jufqu'à lui ,
on ne l'avoit point connu autrement que
fous le nom de Guillaume de Guilleville ,
Guillelmus de Guillevilla. On peut voir
differens catalogues de manufcrits , que je
n'ai pas actuellement fous la main : M.
Goujer fournit lui - même des preuves que
le de redoublé , eft une altération du nom
de cet Auteur : car à la page 92 l'Abbréviateur
de fa Poëfie l'appelle fimplement
Guilleville... Il eft vrai qu'à la page 75 ,
dans les vers de Pierre Virgin , qui a retouché
notre Poëte après qu'il fut décedé ,
on lit ces vers :
ם כ
Cy enfuit le noble Romant
» Du Pelerin , bon & utile ,
» Compofé bien élegamment
» Par Guillaume de Deguilleville ,
» De Chalis de Pontigny , fille ,
» Moine de l'Ordre de Cifteaux ,
A OUS T. $9. 1749.
» Diſtingué par voye
très-fubtile
En trois livres fpéciaux.
Mais j'ai tout lieu de foupçonner qu'il
y a eu de l'inattention de la part du Copifte
dans le quatriéme vers , parce qu'il
renferme une fyllabe de trop. Donnezvous
la peine de fcander , & vous fentirez
qu'il faut lire , par Guillaume de Guilleville.
Outre cela le nom de Degnilleville me
paroît tout à- fait bizarre . Sa terminaiſon
en ville marque qu'il a été formé de celui
de quelque lieu ; or , je ne vois aucun
exemple qui prouve que jamais aucun poffeffeur
de terre , ou Fondateur de Village
, fe foit appellé Deguille , mais feulement
Guille , qui étoit l'abregé de Guillaume.
Aufli avons- nous en France une
Paroiffe appellé Guilleville : elle eft fituée
au Diocéfe d'Orleans , fur la route de
cette Ville à Chartres , & nous n'en avons
aucune du nom de Deguilleville.
Je m'étends peut- être un peu trop
fur
cette minutie ; mais je compte que M. L.
G. ne trouvera pas mauvais
que je lui aye
demandé la preuve qu'il peut avoir euë ,
pour allonger d'une fyllabe le nom de
notre Poëte ; toujours difpofé à me conformer
à la maniere dont il l'écrit , s'il me
90 MERCURE DE FRANCE.
fait voir par votre Journal , ou par un autre
, que l'affemblage des lettres initiales
de chaque couplet , des lamentations
de ce Poëte dont il parle , page 82 , forme
Guillermus de Deguillevilla.
DDDD: DIY : DID RED DED གུ : : ❁ གུ
Α ΜΡΗΙΟΝ.
CANTATILLE.
AMour , Dieu puiffant que j'implore ;
Viens offrir à mes yeux la beauté que j'adore.
Soit que le blond Phébus quitte le fein des mers ,
Ou qu'à l'obſcure nuit il céde l'univers ,
Quand le Dieu du fommeil partage fon empire,
Et lorique tout ce qui refpire
Se foumet à fa douce loi :
L'écho répete au loin les accens de ma voix.
Fattire les forêts , & j'applanis les monts ,
J'amollis les rochers par le fons de ma lyre.
Cruelle , ton coeur feul me refufe un empire ,
Que tout céde à mes chanfons .
Amphion au comble du malheur ,
Perdant tout espoir de plaire ,
Exprimoit ainfi la douleur ,
Quand l'aimable Dieu de Cythere
;
AOUS T. 91 1749
De Niobé toucha le coeur ,
Et vainquit fa rigueur.
Aveugle , elle fuit feul le penchant qui l'entraîne ;
L'Amour en fouriant l'enchaîne ,
Et lui fait adorer les fers
Dont il accable l'univers.
De ce Dieu redoutez les armes ,
Belles , fuyez , fuyez fes charmes :
Que de larmes , que d'aigreur
Suivent un inftant de douceur !
Amphion par fes chants mélodieux
Obtient le bonheur de lui plaire ,
L'Hymen & le Dieu de Cythére ,
Les joignent par les plus doux noeuds.
'A l'Amour durant le bel âge
On s'engage facilement ,
On aime les chants d'un amant
On en écoute le langage ,
Et l'on en prend les fentimens,
De ce Dieu , & c.
D'A...
92 MERCURE DE FRANCE.
CONSEILS d'un ami à une Demoiselle de
Beauvais , par un Auteur anonyme.
J'Ai 'Ai des confeils à vous donner ,
Ce n'eft pas le moyen de plaire ,
Iris , on ne divertit guere ,
Quand on ne fait que raifonner,
Auffi j'aurois gardé fagement le filence ,
Ou vous n'auriez de moi que de vaines chanfons ;
Si je n'avois connu qu'une heureuſe naiſſance
Avoit dans votre coeur prévenu mes leçons .
Souffrez donc que ces vers aident à vous conduire
En cet âge charmant dont vous allez jouir ;
Affez d'autres fans moi voudront vous réjouir ,
Mais peu fe chargeront du foin de vous inftruire.
Commencez aujourd'hui le cours
D'une longue ſuite d'années .
Efperez , en croiffant , d'heureuſes deſtinées ,
Et qu'une belle humeur anime vos beaux jours .
Il fied mal à vingt ans d'être triſte & rêveuſe ,
Mais n'accordez à vos defirs ,
Ο
AOUS T. 1749. 93
Si vous avez deffein d'être long- tems heureuſe ,
Que ce que la nature a d'innocens plaifirs.
Vous n'avez pas befoin , Iris , que je m'arrête
A vous montrer quelle eft cette févere loi ,
Qui vous commande d'être honnête.
Le fang dont vous fortez le fera mieux que moi.
Çer ordrefouverain n'admet point de difpenfes ,
Et l'honneur en eft fi jaloux ,
Que fur les moindres apparences
Ce Juge rigoureux prononce contre vous.
Fuyez dans vos diſcours l'enflure & la baſſeffe ;
Qu'ainfi qu'en vos habits rien n'y foit affecté ,
Qu'une noble fimplicité
En faffe l'ornement , la grace & la richeſſe.
Celles dont la témérité
De termes trop fçavans pare leur éloquence ,
Au lieu de montrer leur fcience ,
Ne montre que leur vanité.
Evitez la plaifanterie ,
Dont les traits médifans percent jufques au coeur
Et pour rejouir l'auditeur ,
Ne faites point de raillerie
Qui puiffe bleffer fon honneur.
Si vos paroles prononcées
94 MERCURE DE FRANCE.
Sont l'image de vos pensées ,
Voici , fans vous flater d'un traitement trop doux,
que des têtes bien fenfées Ce
Sur de pareils difcours doivent juger de vous.
Qu'une févere contenance
Ne condamne jamais la modefte licence
Des propos que vous entendrez.
Aux bons mots que l'on dit , joignez plutôt les
vôtres ,
Mais faites , quand vous en direz ,
Que les gens que vous raillerez
Puiflent rire comme les autres.
Qui fouffre l'affiduité
De l'amant qu'a fait la beauté ,
Envain auprès de lui veut paffer pour cruelle ,
Unhomme qui fe voit d'une femme écouté ,
Semble devoir efperer d'elle.
Séduit
N'accoûtumez point votre coeur
par la vertu de l'objet qui le tente ,
A s'attendrir par la douceur ,
Même d'une amitié qui peut être innocente.
L'honneur dans le commerce eft fort mal affûré ,
Ne vous y laiffez point furprendre ;
Un ami & fage & fi tendre
Et bien plus dangereux qu'un amant déclaré.
AOUS T. 1749. $
Je ne défends pas à la prude
De prendre un peu de foin de ce qu'elle a d'attraits
,
Ce feroit une ingratitude
De négliger les dons que le Ciel nous a faits.
Mais fi vous prétendez qu'on vous estime fage ;
Apprenez que le trop grand foin
De conferver cet avantage ,
Eft un infaillible témoin ,
Qui prouve qu'on en fait quelque galant uſage.
Celui qui fans difcernement
Adreffe à tous enans les louanges qu'il donne ,
Fall grand tort à fon jugement ,
Et ne fait honneur à perfonne.
Mais auffi d'un coeur inhumain ,
N'allez point infulter aux foibleffes des autres )
Et que les défauts du prochain.
Vous donnent feulement du dégoût pour les vôtres.
Ne difputez jamais avec trop de chaleur ,
Mais jugeant de fang - froid & du pour & du con
tre ,
1
Si vous vous trompez par malheur ,
Loin de foutenir votre erreur ,
Laiſlez-vous vaincre en ce rencontre ,
Et par un beau retour , plein de fincérité ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Revenez à la vérité ,
Qui que ce foit qui vous la montre.
Il ne faut point chercher à voir
Les intérêts cachés d'une intrigue fecrette.
Quand on eft curieufe , & qu'on veut tout fçavoir
On eft fûrement indifcrette.
Si le fecret vous eft malgré vous revelé ,
Cachez- le avec un tel filence ,
Même à celui , dont l'imprudenco
Vous en a fait la confidence ,
Qu'il doute quelquefois s'il vous en a parlé,
Celle qui fouffre en fa préſence ,
Qu'on vante en elle des appas ,
Ou des vertus qu'elle n'a pas ,
N'eft qu'une idole qu'on encenſe :
Une jufte louange a de quoi nous charmer ;
Mais un efprit bien fait doit prendre
Bien moins de plaifir à l'entendre , ¡
Que de peine à la mériter.
La mode eft un tyran dont rien ne nous délivre ,
Afon bizarre goût il faut s'accommoder ,
Mais fous les folles loix étant forcé de vivre ,
Le fage n'eft jamais le premier à la fuivre ,
Ni le dernier à la garder,
AOUS T. 1749. 97
JA
A Paris , le 24 Juin
1749 .
Ai lû , Monfieur , avec bien du plaifir
dans le Mercure du mois d'Avril dernier
, à la page 40 , la réflexion faite , &
les deux folutions données fur un Problême
d'Arithmétique , trouvé dans les ouvrages
de M. Barême , & expofé par M.
Faiguet , à la page 72 du Mercure de
Janvier.
J'ai auffi obfervé , que Meffieurs Darême
& Faiguet ne démontrent pas leurs
opérations ; il n'y a certainement aucune
proportion , ni dans l'une , ni dans l'autre ,
& chacun d'eux s'eft mépris.
Cette réflexion a fon lieu , mais des
deux folutions , la derniere eft la feule qui
puiffe y convenir , & qui donne connoiffance
de la jufte divifion , qui doit être
faite entre la mere & les enfans, de la fomme
de 100000 liv. fuivant l'intention du
Teftateur ; mais comme elle n'eſt aucunement
démo : ftrative , je prens , Monfieur ,
la liberté de vous préfenter ci - deffous cel
le que j'y ai doniée , dont les opérations
étant appuyées aux régles de proportion ,
pourront fervir de preuve & de régle
générale ,
, pour réfoudre tous Problèmes
E
98 MERCURE DE FRANCE.
femblables , ainfi qu'on peut le voir pat
celle que j'ai auffi donnée dans le mois de
Mai dernier , à une propofition de même
nature qui m'étoit parvenue , & que j'ai
l'honneur de vous faire paffer ci -jointe ,
ainfi que trois réfolutions algébriques de
trois Problêmes , qui m'ont été adreffés
d'Italie.
Vous vous appercevrez fans doute
du mauvais langage dans lequel je fuis
obligé de m'exprimer ; mais vous voudrez
bien , Monfieur , excufer un Italien , né
& Citoyen de Milan , depuis peu dans
cette Capitale , & très- peu verfé dans la
Langue Françoiſe. Ce n'eft pas que je
n'eulle une bonne envie de faire un certain
progrès , d'autant plus que cette Langue
, & toutes perfonnes en général de
la Nation Françoife , me font infiniment
agréables. Au refte , fi vous étiez dans
le deffein de faire ufage de mes folutions ,
je me perfuade que vous voudrez bien
prendre la peine de les rendre dans la Langue
convenable.
Je fuis bien flatté de ce que la lecture
du Mercure de France me procure le plaifir
& l'honneur de vous afsûrer de la confidération
infinie , avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , Monfieur , & c.
Rufca.
AOUS T. 1749.
99
DS
"
PROBLESME DE M. BARESME.
Un homme mourant laiffe fa femme enceinte
, & cent mille francs de fon chef.
Il ordonne par fon teftament , que fi elle
accouche d'un garçon , l'enfant aura les
trois cinquièmes de la fomme , & la mere
les deux cinquièmes , & que fi elle accouche
d'une fille , l'enfant aura les trois feptiémes
, & la mere les quatre feptiémes.
1
Il arrive que cette veuve accouche à la
fois d'une fille & d'un garçon : fçavoir ,
combien chacun doit avoir de ladite fomme
, en confervant toujours la proportion de
la mere aux enfans.
RESOLUTION,
Pour réfoudre ledit Problême on doit :
1. trouver un nombre le plus petit , qui
contienne les parties qui y font requifes ,
ce qu'on aura , en réduifant à un commun
dénominateur , les fractions ci-deſſus données
, au moyen de quoi on appercevra ,
que le nombre qui peut y fatisfaire , eft
35.
2. Par la précifié de la propofition , la
mere , accouchant d'un garçon , doit avoir
les de la fomme de 100000 liv. &
l'enfant , les , & accouchant d'une
fille les , & l'enfaur , les =
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Or ayant accouché à la fois d'un garçon
& d'une fille , elle doit avoir en conféquence
les deux cinquièmes dans la part
du garçon , & les quatre feptiémes dans
celle de la fille , fçavoir , pour fa portion
, le garçon , & la fille ; mais
comme lefdites trois parties enfemble furpaffent
le tout d'un entier , & que la
mere avec fa feule part abforberoit prefque
toute la fomme ( ce qui feroit injufte
) ainfi l'on doit avoir recours à la
proportion , compofée fuivant les régles
de fociété aufquelles cette propofition fe
rapporte , & prendre du nombre 35 , les
parties convenables à chacun d'eux , ce
quoi faifant , l'on aura 14 + 20 = 34,
pour les + , dûs à la mere , 21 pour
les trois cinquiémes dûs au garçon , & 15
pour les trois feptiémes dûs à la fille. Enfuite
dreffant la proportion
, dont le
mier terme fera 70 , fomme defdites parties
, le fecond 100000 liv. quantité à
divifer , & le troifiéme chacune pour chacune
de ces mêmes parties , fçavoir , 34 ,
21 & 15. 8
pre-
3º . On fera les opérations fuivant les
régles , pour avoir le quatriéme terme ,
& on trouvera 48571 liv . trois feptiémes,
pour la portion de la mere ; 30000 liv.
A O UST . 1749. 101
pour celle du garçon , & 21428 , quatre
Leptiémes pour celle de la fille , dont la
fomme eft iooooo liv. C. Q. F. J.
Sx7 = 35 .
Pour la mere ;
S = 14)
2420205
Pour le garçon,
Pour la fille ,
347
70
21
34.48571 /
70. 100000 . 21. 30000-
15.21728 /
PROBLE' M E.
Un gros Commerçant de Normandie
laiffe , en mourant , fon épouſe avec huit
garçons & une fille ; il fait par fon teftament
fon fils ainé légataire univerfel de
tous fes biens , felon la loi du pays , qui fe
montent à 900000 livres , à la charge
que fon fils aîné prendra , fuivant ladite
loi , moitié ; que les autres garçons fes freres
auront chacun un huitiéme , & la mere
un quart. Qu'à l'égard de la fille , ils feront
lefdits freres tenus de lui faire chacun une
penfion au prorata de ce qu'ils auront retiré.
On veut fçavoir ce qu'ils auront cha-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
eun pour leur part ,& ce qu'ils feront obligés
de donner de penfion chacun à leur foeur .
SOLUTION.
Comme de la maniere que la fufdite
propofition vient d'être expofée , il paroît
impoffible de fatisfaire à la volonté du Teftateur
, car la moitié que doit prendre le
fils aîné , plus les fept huitièmes qui font
dûs aux autres fept freres , furpaffent le
tout en trois huitièmes ; en forte que trois
defdits fept freres , ainfi que la mere , ne
pourroient pas avoir ce qui leur vient , ce
qui feroit contraire à la difpofition du reftament
& des Loix. Ainfi dans toutes ces
pareilles circonstances il faut fe prendre
à l'équité de la proportion compofée , &
trouver un nombre le plus petit , qui contienne
les parties requifes , dont la fomme
d'icelles fera le premier terme de la pro
portion ; le fecond fera le nombre donné à
divifer , & le troifiéme fera chacun pour
chacune defdites parties. Or le plus petit
nombre qui contient les parties requifes
de ladite propofition eft 16 , dont la moitié
eft 8 , le huitiéme 2 , & le quart 4 , &
leur fomme eft 26. On aura pourtant la
proportion ci - deffous , dont on trouve en
faifant les opérations , que le fils aîné doit
avoir 276923 livres un treizième , chacun
A OUST .
.
1749. 103
des autres fept freres 69230 livres , dix
treizièmes , & la mere 138471 livres, fept
treizièmes , enforte leur fomme fait
900000 livres , comme on peut voir par
ce calcul. C. Q. F. J.
que
8
2
2
2
26.
900000.
2
2
2
4
8 276923
2 69230
69230
ལ་
2 69230
26.
500000. 2 69230
2 69230
2 69230
2 69230
4 138471
A l'égard de la penfion que chacun des
freres eft obligé de faire au prorata à leur
four , comme dans ledit Problême il n'eft
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE.
pas dit fur quel pied elle doit être , il faut
fçavoir fi par la Loi du pays elle eft fixée ,
fans quoi lefdits freres pourroient lui affigner
une penfion à leur goût au prorata de
ce qu'ils auroient retiré.
Il eft bien vr. i que filad.fille devoit avoir
le fond capital qui lui reviendroit en divifion
avec les frères , comme la proportion
quipaffe entre le fils aîné & fes freres , eft de
S , 2 ; à l'égard de la fille elle feroit de 4 , 1 :
ainfi en trouvant le plus petit nombre qui
ait les parties requifes , tel qu'eft le nombre
16 & faifant la fomine defdites parties,
qui eft 23 , fi l'on divife 761538 livres .
forme de ce qui appartient aufdits freres,
par 23 , on aura 331 1o livres pour le
fond qui devroit être donné à ladite
fille , en divifion & qui devroit être
payée par les freres , au prorata de la fomme
touchée
par chacun d'eux , fçavoir ,
12040 livres
12
299
40
ג
110
299
29, par fon frere aîné , &
3010 livres par chacun des autres.
Et comme par cette opération eft conftatée
la portion du fond de raifon de
ladite fille , & la quote que feroient
obligés lefdits freres de lui payer , fi les
intérêts font fixés par la loi às pour cent,
la penfion fera de 1655 livres , c'eſt -àdire
, 602 livres pour celle que devra
299
1 105
A O UST . 1749 .
150
299 pour
payer le fils aîné , & 150 livres
celle qui devra être payée par chacun des
autres fept freres. C. Q. F. J.
REMARQUES.
On doit regarder cette propofition &
fes femblables comme une regle de fociété ;
en voici la démonftration par le fuivant
Problême. Un Négociant ayant fait banqueroute
, laiffe pour tout fon bien la
fomme de 27000 livres ; un de fes créanciers
doit avoir 36000 livres , un autre
9000 livres , & un autre 18000 livres
enforte que les dettes dudit Négociant fe
montent à la fomme de 63000 livres. On
voit pourtant qu'avec le fond de 27000
livres il n'y en a pas affez pour fatisfaire
à tous lefdits créanciers , ainfi il faut que
chacun d'eux en fupporte la perte au prorata
de leur créance ; c'eſt pourquoi en
dreffant une regle de fociété on trouvera
15428 livres quatre feptiémes pour le
premier , 3857 livres un feptiéme pour le
fecond , & 7714 livres deux feptiémes
pour le troifiéme , dont la fomme eft de
27000 livres. C. Q F. D.
.
A Paris le 25 Mai 1749.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Françoife.
Onfieur le Maréchal Duc de Belle-
Mifle ayant été élu pour remplir la
place qui vaquoit dans l'Académie par la
mort de M. Amelot , y prit féance le 30
Juin , & prononça fon Difcours.de remerciment.
» Meffieurs , dit- il , l'honneur que je
» reçois aujourd'hui ne me fait point illu-
»fion fur les principales qualités que doi
» vent avoir ceux que vous admettez aus
» nombre de vos Confreres. Je fçais que
toutes les richeffes du génie & de la littérature
furent le partage des Hommes
» illuftres , qui depuis l'origine de l'Aca-
» démie ont rempli les places, que vous
occupez: ...
Jufqu'à préfent une vie fans ceffe agi-
»tée ne m'auroit point permis de profiter
» de la faveur que vous venez de m'accor-
» der je la reçois au moment que je puis
» en jouir. Ces jours tranquilles que ra-
» mene la Paix , vous avez voulu me les
» rendre agréables , & vous me ménagez
AOUS T. 1749. 107
» encore pour un âge plus avancé tout ce
» qui peut en faire les délices .
Après avoir payé le tribut de louanges
que l'Académie exige des nouveaux Académiciens
pour le Cardinal de Richelieu
& pour le Chancelier Séguier , & avoir
parlé de l'honneur que Louis XIV. a fait
à l'Académie de fe déclarer fon Protecteur,
M. le Maréchal de Belle - Ifle ajoûta , » Ce
» Prince , dont le Regne ne fut qu'un tiffu
» de merveilles , & qui voulut , pour la
>grandeur de cette Couronne , en tranfmettre
le modéle à fes defcendans , fen-
» tit , Meffieurs , combien vous lui deve-
> niez néceffaires : c'étoit par vous qu'il
>> devoit inftruire la postérité. Vous avez
≫rempli fes eſpérances , & par un jufte re-
→t our vos éloges ont rendu à Louis XIV.
» la gloire que vous en avez reçûe.
Le portrait du Roi eft le morceau qui a
le plus frappé dans le difcours dont nous
donnons l'extrait . » Il étoit réſervé à Louis
» XV , dit M. le Maréchal de Belle- Ifle ,
d'apprendre à l'Univers qu'un Roi peut
» combattre & vaincre fans ambition. Ne
» faifons point un crime à l'Europe de fes
craintes inquiettes. Aucun fiécle n'avoit
» vû le Maître d'un vafte Empire n'avoir
» des Princes guerriers que l'activité &
» l'intrépidité ; ne fe mettre en mouve-
"
E vj
IOS
MERCURE DE FRANCE.
» ment que pour l'intérêt de fes Alliés , &
» s'arrêter dès qu'il ne refte que l'intérêt
" perfonnel ; ne chercher la victoire que
» pour arriver à la paix , ne fignaler fa
»puiffance par les conquêtes , qu'afin de
" couper la racine des défiances & des ja--
loufies, en raffurant les efprits par le plus
grand exemple de modération. La poli-
» tique , toujours timide , n'oſoit ſe livrer
» à des efpérances , que l'hiftoire de tous .
» les peuples ne lui permettoit pas de for-
» mer. L'Europe ne voyoit que les conquêtes
de Louis XV, elle ne voyoit point
>> fon coeur.
4
Ce difcours , écrit avec la noble fimpli
cité qui convient à un Général & à un
homme d'Etat , occupé d'objets plus impor
rans que celui de compofer une Piéce d'Eloquence
, fut généralement applaudi.
M. l'Abbé du Refnel , Directeur de l'A-.
cadémie , répondit à M. le Maréchal de
Belle -Ifle. Il commença par rappeller le
fouvenir de plufieurs grands hommes , qui
revêtus , comme ce Général ; de la plus
haute dignité , à laquelle la vertu militaire
puiffe élever , & célébres par une fuite d'actions
également honorables pour eux &
pour la Nation , fe font fait une gloire
d'entrelacer les lauriers , qu'ils avoient
moiffonnés dans les champs de Mars, avec
A O UST.
Tag 1749%
"
ceux qu'Apollon difpenfe à fes favoris.
» Nous fommes très flattés , Monfieur ,
» pourſuivit-il, mais nous ne fommes point
furpris que vous ayez défiré d'être admis
» dans le Sanctuaire des-Mufes. Il touche
» de près au Temple de Mémoire , où déja
» vous vous étiez affûré une place , & à ſi
juste titre.
99.
» La Nature vous a formé pour être fe
» lon les diverfes circonftances des tems ,
» tout ce que demandoient les emplois
» qui vous ont été confiés.
» Par la facilité que vous avez à defcen-
» dre des plus grandes affaires jufqu'aux
" plus petits détails , il n'eft rien de fi
» étendu que votre efprit n'embraffe . Fé-
" cond en refources dans les occaſions où
» il ſembloit que la prudence humaine
» n'en pouvoit plus imaginer , tout ce qui
"vous a paru néceffaire , yous.a paru poffible
, & l'eft devenu .
» Nos braves- François font- ils inveftis.
» dans une Ville immenfe & ruinée , où
>> leur valeur ne peut fe défendre, & dont il
و د
paroît encore plus impoffible qu'ils puif.
» fent fe dérober ? Vous forcez tous les
"obftacles que la rigueur de la faifon , la
» longueur & la difficulté des marches
» les efforts d'une armée nombreuſe , op
» polent à leur retraite.......
110 MERCURE DE FRANCE.
que fi
» L'irruption d'une armée formidable
» dans une de nos Provinces, y répand - elle
une allarme générale ? Par de fçavantes
manoeuvres qu'il n'appartient qu'aux
» Maîtres de l'art , d'expliquer , vous la
» chaffez de nos frontieres. Elle fe retire
avec une perte auffi confidérable ,
» elle eût été défaite en bataille rangée.
» Ce n'eft pas affez pour vous d'en avoir
» délivré la France . Par des moyens dont
»le fuccès feul a prouvé la poffibilité , vous
»fourniffez à de généreux Alliés des fecours
continuels d'hommes & de vivres;
vous fecondez fi habilement la valeur de
cet illuftre François * , l'objet de leurs
» regrets & des nôtres , que les efforts des
Puiffances conjurées deviennent inutiles.
Ce Siége à jamais célebre , & par leur
» opiniâtreté , & par la vigoureufe réfif
» tance qu'elles ont éprouvées , eft levé :
Génes ne craint plus pour la liberté , &
» fi l'ennemi ne peut encore fe réfoudre à
laiffer échapper une fi belle proye , cé
" digne Héritier du nom & des qualités
»fupérieures du grand Armand , leur ôte
tout efpoir de la ravir. Quelle gloire
pour nous de compter parmi nos Con
» freres les deux Libérateurs d'une Répu
* M. le Duc de Boufflers.
A O UST. 1749.
" blique , dont la ruine auroit entraîné
» celle de l'Italie ! ......
A l'éloge de M. le Maréchal de Belle-
Ifle , M. l'Abbé du Refnel fit fuccéder celui
de M. Amelot , & il le peignit ainfi.
» Eloigné de toute efpece d'oftentation,
>> fes manieres étoient fi fimples & fi dou-
»ces , il paroiffoit fr peu occupé du défir
d'attirer fur lui les regards des autres ,
" que lc commun des hommes n'auroit
» peut-être pas rendu toute la justice qui
»étoit due à fes talens , fi de degrés en degrés
ils ne l'euffent élevé jufqu'au Mi-
"
» niftere .
» Dans un pofte fi flatteur , & peut- être
encore plus redoutable , il ſe prêta à la
»fortune , mais feulement affez pour lui
laiffer le pouvoir d'augmenter fon bonheur
; jamais affez pour qu'il dépendît
d'elle de le lui faire perdre...
» Tous les momens dont l'intérêt de
» l'Etat lui permettoient de difpofer , il
» les donnoit à fa famille. & à fes anciens :
» amis ; il s'y livroit alors tout entier , &
»avec cette gayeté qu'ïnfpire la confiance
» de n'avoir aucun reproche à craindre de
» foi-même ni des autres. Il portoit dans
la Société un efprit Gaimable , qu'il n'y
» donna jamais lieu à perfonne de fouhai-
» ter qu'il en eût moins.
"
112 MERCURE DE FRANCE.
>>> Convaincu par une longue expérience
» que rien dans la vie n'offre des plaifirs
»-mieux affortis à toutes efpeces de for-
» tunes & de fituations , que l'étude des
" Lettres & des Arts , M. Amelot en
» faifoit fes plus cheres délices dans les
» tems mêmes qu'il ne pouvoit en faire
fon occupation .
Refferrés dans des bornes trop étroites ,
nous ne pouvons copier tous les morceaux
remarquables de laRéponfe de M. l'Abbé
du Refnel.
Lorfqu'il eut ceffé de parler , M. de
Foncemagne lut des Refléxions de M. de
Fontenelle fur la Poëfie. Il fut fouvent
interrompu par des battemens de mains ,
qui annonçoient également, & la juſte admiration
des Auditeurs pour M. de Fontenelle
, & l'intérêt que prend le Public
à la perfonne & à la gloire de cet illuftre
Doyen de l'Académie.
AOUST. 1749.
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogryphes
da Mercure de Juillet par le pa
pier , crime , Roffignol , Medecine , Ché
cuméne & chandelle. On trouve dans le
premier Logogryphe cri , rime , Rié, mie , re
mi , merci , cîme , mer , ire & cire . On trouve
dans le fecond- Mede , Medie , mine
mie , Enée dime , Melée , Nice , Nicée ,
Cid & niece. On trouve dans le troifiéme
Numa , chat, âne , mât , ut, Cham , manche,
ba , bé , menuet , Thême , muet , meute &ame….
On trouve dans le quatrième Canelle , âne
Caen , lance , lande , dance & an.
,
: ❁༧❁
LOGOG RTP HE.
JEE fuis décharné , maigre , étique ;
Et courbé fous le faix des ans ;
Mais malgré ma figure antique ,
Je compte encor des partifans .
Quoiqu'amateur des dons de Cerès , de Pomone,
Je ne parois jamais dans l'été , dans l'automne,
J'affronte l'hyver redouté ,
Et quand par fes chants Philomele
Annonce la faifon nouvelle ,
Je parsfans être regretté..
Da
114 MERCURE DE FRANCE.
Six pieds compofent ma ftructure ,
Quarante autres font ma mefure ,
Avec quatre on me voit dans les plaines de Mars
Fixer le fort & la victoire ,
Et les efclaves de la gloire
Ne doivent point fans moi s'expofer aux hazards.
Mais tel eft du fort le caprice :
A peine ces pieds font changés ,
Qu'à Marſeille ils font le fupplice
Des hommes pour crime engagés
Dans une honteufe milice .
Lecteur , j'offre encor à tes yeux
Un nom qui flatte & qui décore
L'Iris , dont l'Hymenée a couronné les feux ;
Mais ce même nom déshonore •
Quand l'amour de l'Hymen n'a point ferré les
noeuds.
J'enferme un élement qui m'eft très néceffaire.
Il fournit à mes partisans
Des mets variés & frians ,
Dont ils font toujours maigre chere .
Je fuis encor l'enfant gâté
Qui fut maudit dans la colére
Du Patriarche reſpecté ,
Sans qui nous boirions de l'eau claire.
Je fais avec cinq pieds le Difciple facté
D'un Citoyen des Cieux qu'on n'a point enterré.
AOUS T.
1749. TIS
J'offre encor un ragoût dont fait un grand uſage
Le laboureur dans fes repas ,
Et quoique commun au Village ,
Les Grands ne le dédaignent pas.
Mais à propos , Lecteur , les beaux jours vont re
naître ,
Je dois ſonger à difparoître.
Le Normand.
Souvent
AUTR E.
Ouvent les curieux de l'Art , de la Nature ,
Par moi font mis à là torture ;
Mais ,pour à leurs fins parvenir ,
Ils fçavent quelquefois par le feu m'en punir.
Toujours fur neuf pieds je chemine.
Qui fuis-je donc ? Lecteur , lis & devine.
Par cinq , forte femelle eft tenue en prifon.:
Je fuis des jardins la parure ;
Enigme , ou Difcours fans raiſon ;
Inquiétude , ou fleur ; bois propre à ligature ;
Ce que toujours le Magifter défend ;
Hors la ville une promenade ;
Vieux mot marquant d'où la race defcend ,
Et ce dont on reçoit dangereufe
gourmade.
Par quatre , je montre un Paſteur ;
L'Auteur fréquent de bonne ou mauvaiſe fortune ;
Rerraite ordinaire au voleur ,
116 MERCURE DE FRANCE.
Un lieu rempli d'humains , fous une loi commune ;
Ce qui le Prince par tout fuit ,
Le nom d'un fajet de la Porte ,
Mót , qui dit édifice , engin ; rufe & circuit ;
Un échange ; un vaiffeau pour le vin qu'on
transporte.
Pa trois , je marque où l'Archer viſe ;
Pierre dure , outil de labeur ;
Un homme noté de bêtiſe ;
Etat d'une biche en chaleur.
Vent d'eftomach ; jus d'herbe ; une marque de
joie ;
Une groffe piéce d'argent';
Inftrument qu'un Veneur employe ;
Et l'afige , qu'on fuit chez la myftique Gent
Mais j'ai déja d'ici fubi l'exil ,
Ou tu n'as pas l'efprit fubtil.
AUTR E.
JEE change par goût ; la Nature
Me fait auffi changer de forme & de figure.
Mes membres combinés font un arbre fameux ;
Animalfier & courageux ;
De France en même tems une Ville brillante ;
Autre animal craintif , à chair appétiffante ,
Dont l'homme le plus délicat
Pour l'ordinaire fait grand cas.
Simple foldat dans une armée ,,
9
AOUS T.
1749.
Qui n'eft jamais fans tête couronnée.
Habitant d'un pays fis au Septentrion
Ce qu'eftP'homme formé par l'éducation. "
Fleuve d'Afrique , un autre d'Italie ;
Chofe néceffaire à la vie ;
Saint reveré par le Normand ,
Autre à qui dans le premier tems
L'Eglife ,
Comme à Saint Pierre , fut foumife ;
Sous même nom , plante dont le produit
Peut nous fervir & le jour & la nuit ;
Femme de Patriarche ; enfin plante commune ,
Dont l'odeur fouvent importune.
Par M.G. de Mont.
NOUVELLES LITTERAIRES ,
I
DES BEAUX- ARTS , &c.
L paroît une troifiéme édition de
l'ABREGE' CHRONOLOGIQUE de M. le
P. H. in-8°. & in-4° . L'in- octavo est en
deux volumes , fans vignettes , & l'in,
quario eft orné de tout ce qui peut rendre
une édition précieufe. Cette édition fe
vend chez Prault , pere & fils , & chez
Defaint & Saillant.
118 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage eft augmenté d'environ un
cinquième , & l'on y a joint une Table
très- étendue , dont l'utilité fe fera fentirchaque
fois qu'on la confultera . Nous
tranfcrirons feulement une des additions
faites par l'Auteur. Elle regarde l'année
1650.
que
"Mort de Descartes le 11 Février à
» Stockholm. On a dit de Defcartes , qu'il
» avoit donné le ton à fon fiécle . On роц-
»voit dire fon fiécle avoit un autre
» ton qu'il lui a fait perdre : c'eft celui
» d'une érudition , dénuée des lumieres de
» la Philofophie ; en forte que d'un fiécle
qui n'étoit que fçavant , il en a fait un
fiécle vraiment éclairé. C'eft le juge-
» ment que Bayle porte du feiziéme & du
dix-feptiéme fiécle . Je crois , dit- il , que
» le feizième fiècle a produit un plus grand
nombre de fçavans hommes le dix-fep-
» tiéme , néanmoins il s'en faut beaucoup
nque le premier de ces deuxfiécles ait eu autant
de lumieres que l'autre..... Les gens
»font aujourd'hui moins favans & plus babiles.
Hobbes enchérit bien far Bayle.
» Ce Philofophe Anglois , qui avoit beaucoup
plus medité qu'il n'avoit lû , ne
faifoit nul cas de la fcience , & difoit
» affez plaifamment , que s'il avoit donné
» à la lecture autant de temsque les autres
"
que
AOUST. 1749. 119
20
»
hommes de Lettres , il auroit été auffi
ignorant qu'ils le font. On fent com-
»bien cela eft outré , mais c'eft un Philofophe
qui reproche à la Science le mau-
» vais ufage qu'en faifoient alors les Sça-
» vans , & qui s'éleve contre des hommes
qui ne fçavoient raifonner que par cita-
»tions & par autorités. A ces deux fiécles
" en a fuccedé un troifiéme , où loin d'adopter
les opinions des autres , on a
»peut être un peu trop affecté de ne puifer
» que dans fon propre fond , & où l'am-
» bition de ce que l'on appelle le bel efprit
, a fait que l'on a abulé quelquefois
du véritable. Prenons garde que le dix-
»huitiéme fiécle ne décrie l'efprit , com-
»me le feiziéme avoit décrié l'érudition.
"
39
29
La plupart des autres additions font du
même mérite que celle- ci , & c'eſt avec
regret que nous n'ornons pas notre Recueil
des articles qui concernent les Régences
,
les Ennobliffemens , les Fiefs ,
les Communes , l'Univerfité , le Concordat
, l'état de la Cour à l'avenement de
Louis XIV , &c. Nous fommes furtout
fâchés de ne pouvoir donner place ici aux
réflexions de l'Auteur , fur les progrès que
les Loix avoient faits , depuis le commencement
de la Monarchie , jufqu'au milieu
du feiziéme fiècle. -
120 MERCURE DEFRANCE.
Il nous feroit difficile d'encherir fur les
éloges , que le feu Abbé Desfontaines a
donnés à l'Abregé Chronologique . Ce
Critique , fi peu accoûtumé à louer fes contemporains
, l'a comparé au Bouclier d'Achille
, & à celui d'Enée , où le Dieu du
feu avoit fçû tracer d'une main fçavante
toute l'Hiftoire des Romains. Clypei non
enarrabile textum , &c.
OBSERVATIONS SUR LES GRECS . Par
M. l'Abbé de Mably. A Geneve , Par la Compagnie
des Libraires , 1749 , in- 12. pp.
-273 .
L'Erudit ne cherche dans la lecture de
J'Hiftoire que la connoiffance des faits &
des dattes. Le Politique y cherche la connoiffance
des caufes qui ont produit les
évenemens , & des refforts qui ont fait
échouer ou réuffic les grandes entrepriſes.
Le Philofophe y étudie principalement
-les opinions , les moeurs , les ufages , les
loix , le gouvernement des peuples , & les
caractéres des perfonnages célébres qui pa-
Coiffent fur la fcène.
Par ce que nous avons dir ci- deſſus de
l'Abregé Chronologique , on a vû que l'Auteur
a également travaillé pour ces trois
claffes de Lecteurs . Mais dans fon ouvrage
les remarques politiques & philofophiques
ne font que l'accelloire. M. le P. H.
les
AOUS T. 1749. 121
1
> les donne de furabondance ; & il fuit ,
en les joignant à fes notes hiftoriques ,
l'exemple de ces bienfaicteurs généreux ,
qui non contens d'accorder ce qu'on leur
demande , fe diftinguent par des largeffes
qu'on n'avoit point droit d'efperer.
Il n'en eft pas de même de l'Auteur des
Obfervations que nous annonçons. M
l'Abbé de Mably s'oblige par le titre de
fon ouvrage , à n'être Hiftorien qu'accidentellement
, & à ne rapporter les évenemens
, que pour avoir occafion de juger
les Acteurs qui y ont eu la principale
part.
ཉ
La maniere , dont il remplit fes engagemens
, lui fait autant d'honneur , qu'elle
fera de plaifir à fes lecteurs . Fineffe dans
les réflexions , profondeur dans les raifonnemens,
élegance dans le ſtyle , tout ce
qui peut rendre un Livre utile & agréable,
fe trouve dans celui de M. l'Abbé de
Mably. Notre Auteur excelle particulierement
dans l'art de peindre les hommes.
On pourra juger de la délicatee & de la
vérité de fon pinceau par ce portrait qu'il
nous fait d'Alcibiade.
» Ce n'étoit pas un ambitieux , mais
» un homme vain , qui vouloit faire du
» bruit & occuper les Athéniens . Sa valeur
, fon éloquence , tout dans lui étoit
F
122 MERCURE DEFRANCE.
"3 embelli des
par
"
graces .
Abandonné aux
» voluptés de la table & de l'amour
» jaloux des agrémens & d'une certaine
élégance de moeurs , qui en annonce
>> prefque toujours la ruine , il fembloit
» ne fe mêler des affaires de la Républi
» que , que pour le délaffer des plaifirs . Il
» avoit l'efprit d'un grand homme , mais
» fon ame , dont les refforts amollis
» étoient devenus incapables d'une appli-
» cation conſtante , ne pouvoit s'élever au
grand que par boutade * . J'ai bien de la
peine à croire , qu'un homme affez fou-
» ple pour être à Sparte , auffi dur & auffi
»fevere qu'un Spartiate; dans l'Ionie, auffi
recherché dans fes plaifirs qu'un Ionien ;
» qui donnoit en Thrace des exemples
de rufticité , & qui dans l'Afie faifoit
» envier fon luxe par les Satrapes du Roi
» de Perfe , fût propre à faire un grand
» homme .
»
"
EUVRES de M. Remond de Saint Mard.
Nouvelle édition. A Amfterdam , chez
Pierre Mortier , 1749 , 5 vol. in- 1 2 .
Tous les amateurs des ouvrages de goût
ont lû les Dialogues des Dieux , les Lettres
galantes & philofophiques , & les
Nous defirerions que l'Auteur eût employé un
autre mot , celui de BOUTADE n'étant pas affez
Luoble.
A O
UST .
1749. 123
réflexions de M. Remond de Saint Mard
fur la Poëfie. Le Public a accordé à chacune
de ces productions l'eftime qu'elle
méritoit , & les Dialogues des Dieux ont
été comptés avec juſtice au nombre des
écrits les plus ingénieux de ce fiécle.
Cette édition , non-feulement par le
mérite de plufieurs piéces qui n'avoient
pas été imprimées , mais encore par l'élégance
des ornemens & par la correction
, eft extrêmement digne d'être recherchée
. Voici un avertiffement
Libraire a mis à la tête .
que
le
» Les differens ouvrages qu'on a tou-
» jours donnés à M. Remond de Saint
» Mard , n'ont paru long- tems que dans
» des volumes feparés . Des Libraires en
» 1742 les raffemblerent , & les mirent en
" trois volumes ; mais l'édition , faite ap-
» paremment fans foin & avec promptitu
» de , eft tellement chargée de fautes ,
» même de celles qu'un Lecteur intelli-
» gent a peine à fuppléer , que nous comp-
» tons faire un préfent au Public , .en lui en
>>donnant une correcte . Le hazard nous
» a mis en état d'y parvenir ; une copie
» des ouvrages de l'Auteur nous eft toin-
» bée depuis peu dans les mains , & com-
» me elle nous a paru parfaitement exacte ,
nous nous flatons que le Public fera
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
« content de l'édition que nous lui don-
" nons. Avec plufieurs morceaux qui ont
» été augmentés ou retouchés ; avec une
grande quantité de notes , qui , quoique
»très-propres à embellir le texte, ont paru
» à l'Auteur avoir meilleure grace à être
mifes à part , on y trouvera quantité de
» chofes qu'on n'a pas vûës , par exemple ,
» quelques piéces de vers , dix Dialogues
» nouveaux , plufieurs nouvelles Lettres ,
» & un morceau de Littérature en forme de
» Lettre , adreffé à M. Crevier.
CHOIX de differens morceaux de Poëfie ,
traduits de l'Anglois , par M. Trochereau .
A Paris , chez la veuve Piffot , Quai de
Conti , à la Croix d'or , & Piffot , fils ,
Quai des Auguſtins , à la Sageſſe , 1749.
Nous avions promis de nous étendre
fur le Difcours Préliminaire , que M. Trochereau
a joint à fes Traductions. L'abondance
des matieres ne nous permet pas de
tenir notre promeffe , & nous nous contenterons
de remarquer , que l'Auteur fe
propofe , 1 ° . de combattre l'opinion des
perfonnes qui prétendent que les Poëtes
ne peuvent être bien traduits qu'en vers ;
2º. de relever les faux jugemens que plufieurs
Ecrivains Anglois ont portés de nos
meilleurs Auteurs . Ce Difcours eft compofé
avec fageffe. M. Trochereau y montre
A O UST .
1749: 125
autant de modeſtie que d'érudition . Peutêtre
lui reprochera- t'on fes citations trop
fréquentes , mais il n'a point à craindre
qu'on l'accufe d'avoir cultivé fa mémoire
au dépens de fon diſcernement.
Selon les apparences , dans une feconde
édition il nous donnera des détails plus
circonftanciés fur les vies des Poëtes qu'il
traduit , & il corrigera la faute qu'il a faite
, d'attribuer à un feul Duc de Buckingham
les ouvrages de deux differens Seigneurs
de ce nom .
LE TEMPLE DE LA RENOMME'E . Poëme
de M. Poppe , traduit en vers François.
A Londres , 1749. Brochure in- 12. pp .
33.
Cette Traduction a paru quelques jours
avant celle que M. Trochereau a donnée
du même Poëme , & qui fait partie du
Recueil dont nous venons de parler . Elle
étoit compofée depuis dix ans , & la Muſe
anonyme , à qui nous la devons , ne fon .
geoit point à la rendre publique ; mais
ayant appris qu'on en imprimoit une en
profe , elle a voulu conftater le droit d'aî
neffe de la fienne .
HISTOIRE DU CHEVALIER DU SOLEIL.
Tirée de l'Eſpagnol. A Londres , 1749 , 4
vol. in- 12. Vol. 1 , pp. 138 , vol . 2 , pp.
130 ; vol . 3 , pp. 152 ; vol . 4 , pp. 156.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
On a une Traduction Françoife de
ce Roman , & elle a reçu dans fon tems
un accueil favorable , mais à préfent
on foûtiendroit difficilement la lecture
de huit volumes énormes , remplis d'épifodes
inutiles , de converfations languiffantes
, & d'ennuyeufes répétitions.
C'eft rendre fervice au Public , que de lui
fournir , en retranchant ces défauts d'un
ouvrage dont le fond par lui- même eſt
excellent , le moyen de le lire fans ennui .
Il nous paroît que l'Abbreviateur du Roman
en queftion a fait plus , & qu'il l'a
mis en état d'être lû avec plaifir.
VOYAGE de la Baye de Hudſon , fait en
1746 & 1747 , pour la découverte du
paffage de Nord- Oueft , contenant une
Deſcription exacte des Côtés , & l'Hiftoire
haturelle du Pays , avec une Relation hiftorique
de toutes les expéditions , faites
jufqu'ici pour la découverte d'un paffage
plus court aux Indes Orientales , & des
preuves évidentes de la réalité de ce paffage.
Traduit de l'Anglois de M. Henri
Ellis , Agent des Propriétaires pour cette
expédition. A Paris , chez Sebaſtien Forry,
Imprimeur-Libraire , rue de Hurepoix ,
aux Cigógnes , 1749. Avec Approbation
& Privilége. 2 vol. in- 12 . Premier volume
, pp. 182 , fans y comprendre la PréA
O UST 1749 127
face & la Table qui en rempliffent 56.
Second volume , pp. 319.
Un
ouvrage , auffi intéreffant que celuici
pour le Commerce & pour la Géographie
, mérite d'être annoncé autrement
que par fon titre. Nous en parlerons plus
au long dans un des prochains Mercures.
COURS DE CHYMIE , 1749 , in- 12 . pp.
191 .
Les Lecteurs font redevables de cet ouvrage
à M. Gontard , Médecin à Villefranche
en Beaujolois . Il avertit dans une
courte Préface ,.qu'il ne donne ici rien de
lui , & qu'il a recueilli feulement les leçons
d'un des Médecins de Montpellier les plus
célébres , fur les opérations & fur les remédes
chymiques .
TRAITE' fur les Maladies Veneriennes ,
dans lequel on explique l'origine & la
communication de cette maladie en général
, & de toutes fes efpéces en particulier
, avec les remédes fpécifiques pour
leur guérifon ; deux Traités , l'un des
écrouelles & de tous les ulcéres , l'autre
des quinteffences tirées des trois Regnes ;
& plufieurs Differtations fur les matieres
qui compofent les remédes , & far leurs
préparations. Avec un Difcours Prélimi
naire. Par M. Jourdan de Pellerin , Médecin
Chymyfte. AParis , chez Michel Jombert,
Fiiij
128 MERCURE DEFRANCE.
Porte Saint Michel , à l'entrée de la rue
Hyacinte , & Prault , pere , Quai de Gevres
, 1749. Avec Approbation & Privilége.
LE COMEDIEN , Ouvrage divifé en deux
Parties. Par M. Remond de Sainte Albine.
Nouvelle édition , corrigée & augmentée.
A Paris , chez Vincent , fils rue Saint
Severin.
DICTIONNAIRE UNIVERSEL de Mathé .
matique & de Phyfique , contenant l'explication
des termes de ces deux Sciences ,
& des Arts qui en dépendent , tirés des
Dictionnaires de Mathématique d'Ozanam
, de Wolf, de Stone , & d'un grand
nombre d'autres ouvrages ; avec leur origine
, leurs progrès , leurs révolutions ,
leurs principes , & les fentimens des plus
célébres Auteurs fur chaque matiere . Par
M. Saverion , Ingénieur de la Marine . En
deux volumes in-4°. enrichis de cent planches.
A Paris , chez Rollin , fils , Quai des
Auguftins , à Saint Athanafe , & au Palmier
; Charles-Antoine Fombert , Libraire
du Roi , pour l'Artillerie & le Génie , au
coin de la rue Gille-Coeur à l'Image
Notre-Dame , 1749. Avec Approbation
& Privilége du Roi .
>
Nous ferons imprimer dans le prochain
Mercure quelques uns des articles de ce
AO U 129 爨S T. 1749.
Dictionnaire , afin de donner aux lecteurs
une idée de la maniere dont il eft exécuté.
Charles -Antoine Jombert publiera in
ceffamment un ouvrage intitulé : L'Art de
mefurer fur mer le fillage du Vaiffeau ; avec
l'idée de l'état d'armement des Vaiffeaux
de France . Par le même Auteur. Volume
in-8°. avec figures , fous preffe.
TABLE des Mémoires en faveur de la
Nobleffe de France . Motifs de cet ouvrage
, avec differens autres objets intéreffans
, pour le Roi & fes Sujets , énoncés
dans l'Avertiffement. Mérite de la Nobleffe
Françoiſe , portrait d'un vrai Gentilhomme
, utilité de la Nobleffe dans un
Etat , caufes de fa décadence dans ce
Royaume. La Nobleffe de France , éclipfée
par les gens
de nouvelle fortune , dont
une très - grande partie eft infiniment plus
nuifible à l'Etat , qu'elle ne peut lui être
de quelque utilité. Quelles font les fortunes
légitimes , avantageufes à la Patrie.
La pauvreté de la Nobleffe caufe le déperiffement
dans tous les Etats & Empires
du monde Chrétien . Juvenal fur la pauvreté.
Defcription de la pauvreté , & les
mauvais effets qu'elle produit parmi la
Nobleffe . Le bien du fervice du Roi , &
la puiffance de l'Etat , demandent que la
Nobleffe foit aifée. Anciens exemples qui
Fv
130 MERCURE DEFRANCE.
prouvent cette vérité . Exemples moder
nes qui la confirment. Secours à accorder
a la Nobleffe dans fes quatre âges , de
jeuneffe , d'adoleſcence , de virilité , & de
caducité , dans les deux fexes , fans qu'il en
coûte rien au Roi ni à l'Etat. Pour les vrais
Gentilshommes dans leur adolefcence.
Propofition d'établir à cet effet dixhuit
Colléges Royaux , pour 4320 No
bles , dans les vûes du Roi François I.
Montant de la dépenfe pour de fi beaux
établiſſemens , avec les économies fondamentales
néceffaires . Emplacement à de
beaucoup moindres frais , d'un de ces Col-
Iéges Royaux , dans la Ville de Touloufe.
Facilités à accorder à la Nobleffe
dans les Univerfités , pour le foulagement
des Gentilshommes pauvres. Juftice , &
préferences que le Roi peut accorder à la
Nobleffe dans le parti de l'Eglife . Dans
le Clergé Séculier. Dans l'Ordre Monaſtique.
Aux Demoifelles dans le même Ordre
, au grand foulagement des familles
nobles. Secours propofés pour l'éducation
des Demoiselles dans leur jeuneffe. Prédi
lections qui feroient rechercher en maria—
ge les vraies Demoifelles , malgré leur peu
de facultés. Montagne fur les méfalliances
. Eloge de l'Epée Françoife. Débouché
néceffaire pour la jeune Nobleffe , peu acA
O UST. 131 1749.
commodée des biens de la fortune , par la
création de fix Compagnies de Cadets ,
fur l'établiffement de Louis le Grand . De
la Juftice diftributive . Expédient établi en
Efpagne pour fupprimer les follicitations ,
diminuer confidérablement les frais des
Procès , & en accélerer les Jugemens.
Dureté de la Loi des Fiefs dans le Reffort
du Parlement de Touloufe. Exemple &
conféquences de la Jurifprudence de cette
Cour Priviléges que le Roi peut accorder
à la Nobleffe dans la Robe , dans l'état
préfent de la Judicature. Moyens pour
abréger les Procès , & en modérer beaucoup
les frais , en faveur de la vraie Nobleffe
, fans déranger l'ordre actuel de la
Jurifprudence . Portrait de la Chicane ,
par Mezerai . Eloge du Parlement de
Toulouſe. Permettre à la Nobleffe quelque
efpéce de commerce , fans indécence ,
pour améliorer fon état. Du Commerce
Maritime , & de l'utilité générale & commune
à toutes les Nations de l'Europe
d'en laiffer la Navigation libre en paix &
en guerre , avec les précautions de convenance.
Des Banqueroutes . Expédient pour
conferver les biens dans les familles nobles
, & en prévenir les diffipations , fans
intéreffer la foi publique. Mariages des
Sauvages de l'Amérique , ménagemens &
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
efpéce de politeffe dont ils ufent lors de
leurs féparations , qui devroient être établis
parmi la Nobleffe pour fauver l'honneur
des familles, & pour prévenir les combats
& les meurtres qui arrivent quelquefois
parmi les gens de condition , à quoi il
feroit important & facile au Roi de pourvoir
par les expédiens propofés. Juftice
d'épargner à la Nobleffe les frais inutiles ,
dont le Roi ne profite pas , lors des hommages
& dénombremens. Utilité pour le
Domaine du Roi , de la vente des petits .
Domaines , & de la revente de ceux aliénés
, fous des Albergues au profit du Roi ,
en faveur de la Nobleffe poffédant Fiefs.
Repréſentations fur le fait de la Chaffe ,
à l'égard de la Nobleſſe . Défordres caufés
par l'exceffive licence du port des armes à
feu , prouvés par de nouveaux & funeftes
accidens. Expédient affure pour
faire obferver les Ordonnances renduesfur
un fujet auffi important. Moyen certain
pour faire exécuter les falutaires Déclarations
, qui restent fans effet au fujer
de l'exceffive licence du port de l'Epée ,
& de fes conféquences. Propofition de
rétablir en France l'ancien Ordre de Chevalerie
Militaire par l'inftitution d'un
nouvel Ordre , fur le modéle de ceux de
Saint Jacques, & d'Alcantara en Eſpagne ;
›
A OUS T. 1749. T33
pe
alis
Roi,
par
de Chrift & de Calatrava , en Portugal ;
de Saint Etienne , en Tofcane ; de Saint
Lazare , en France & autres Pays , pour
fecourir la vraie Nobleffe . Origine , Création
& Priviléges accordés à ces fix Ordres.
Juftice de diftinguer dans les Priviléges
les Nobles de pere & de mere ,
d'avec les nouveaux annoblis , & de
ceux qui fe feront méfalliés , ou qui ne
feront pas profeffion de la Religion Romaine.
Compofer un Corps équestre de
Gentilshommes pour le Service du Roi ,
en tems de guerre , au grand foulagement
de l'Etat , dont l'utilité eft prouvée
les fervices importans que de pareils
Corps rendent dans differens Royaumes.
De la néceflité de ramener les domestiques
à leur devoir par des établiffemens
nouveaux , pour les progrès de l'Agriculture
, celui du Commerce , & au
grand avantage du fervice des Maifons
de la Ville & de la Campagne . Etabliſſement
de Maifons de retraite pour la Nobleffe
, dans fon âge de caducité. Une pareille
Maiſon pour nombre de veuves des
Gentilshommes , à établir dans la Ville
de Toulouſe , fans aucun débourfé . Indication
des fonds fuffifans pour tous les établiffemens
propofés , avec quelque fecours.
aux Hôpitaux Généraux , pour leur aider
aules
nes!"
DOX
dus
1cer
sDe
in ce
IX09
* 34 MERCURE DE FRANCE.
au renfermement de partie des coureurs
des faineans , des vagabonds , & des man- ›
dians volontaires , qui augmentent tous
les jours à un excès infupportable. Projet .
de la répartition des fonds indiqués. Conclufion
de ces Mémoires .
Permis l'impreffion ce premier Avril 1745;
Signé , de Morthon , Juge Mage. A Touloufe
, de l'Imprimerie de N. Caranove ,
& Caranove , fils , à la Bible d'or.
Nous fommes priés d'inférer ici l'avertiffement
fuivant.
Charles - Antoine Jombert , vient d'imprimer
une Explication du Flux & Rein
flux , auffi neuve que fon expofition
dans fes véritables circonftances , qui
avoient été déguifées ou diffimulées . En
un volume in- 4° .
On y prouve , 1° . que le Flux , bien
loin de s'étendre de l'Equateur aux Pôles ,
& le Reflux des Pôles à l'Equateur , arrivent
au même tems dans des Ports peu ou
fort éloignés , qui ont pleine & baffe mer
à la même heure , dans des divifions de
mer qui leur font adjacentes , auffi limitées
& entremêlées que celles qu'on fait connoître
par une Table fort curieufe.
2º Qu'il réfulte de cette Table , tirée
du Neptune François & de la Connoiffance
des Tems , & de l'application des
A O UST. 1749. * 39
régles pour prévoir l'heure de la marée ,
que la ftation de pleine mer après le Flux ,
& de baffe mer après le Reflux , n'exiſte
dans les Ports & divifions de l'Océan ,,
que dans des tems differens & inégaux ,
ou femblables , bien loin d'exifter fous
toutes les zones à la fois , ou fucceffive
ment.
3 °. Que la marée , bien loin d'y retarder
chaque jour , comme le retour de la
Lune au Méridien , avance des Quartiers
aux Sizigies dans tout Port d'Europe de
§ heures , 12 à 14 minutes , & en retarde
feulement des Sizigies aux Quartiers , de
quelque inégalité que foit l'intervalle de
ces phafes , & la durée des jours lunaires
qu'il comprend.
4°. Que l'heure de pleine mer cft toujours
femblable en conféquence , dans un
même Port au jour des Sizigies , & toujours
differente de cet efpace de tems au
jour des Quadratures , & d'une partie
proportionnelle aux jours d'intervalle ,
avec une équation déterminée , parce que
felon le nombre de jours & d'heures d'intervalle
d'une phafe à l'autre , elle avance
ou retarde journellement , d'une partie
proportionnelle de 3.12 à 314 minutes.
5°. Que cette heure eft tellement attachée
à la phaſe de la Lune , & à fon âge
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle a fervi deux fois à M. Caffini ,
pour reconnoître une erreur qui s'étoit
gliffée dans le calcul de la phafe lunaire ,
de même que cette phaſe eſt un Cadran
conftant de l'heure de pleine mer en tous
ces Ports , avec une équation dont les régles
font connues.
6°. Que cependant cette heure eft differente
depuis une heure du jour Aftronomique
qui commence à midi jufqu'à i2 &
demi dans des Ports, auffi voifins que ceux
des Ifles de Zélande , de Fleffingue & de
l'Eclufe , & femblable dans d'autres auffi
éloignés que ceux de Bayonne & Dublin ,
ou de Belle- Ifle & Bergue.
7°. Que l'accroiffement des marées des
Quadratures aux Sizigies , & leur décroiffement
des Sizigies aux Quadratures , eft
peu près périodique comme leur heure ,
avec cette difference que la plus haute marée
n'arrive qu'un ou deux ou trois jours
felon les differens Ports , avant ou après
la nouvelle ou pleine Lune , & la plus foible
avant ou après les Quartiers , & que
partout la marée eft plus forte à une Sizigie
des Equinoxes que des Solftices , &
plus foible à une Quadrature des Solſtice,
que des Equinoxes.
8°. Qu'en toutes conjonctures & cir
conftances Aftronomiques elle a plus d
AOUS T. 1749. 137
S
S
force fous le milieu des zônes tempérées
que fous la zône Torride , à laquelle la
Lune peut feulement être verticale , de
même que le Soleil .
9°. Que la diverfité de leur diftance &
de leur déclinaifon contribue , comme la
proximité d'un Solſtice ou d'un Equinoxe ,
à faire varier la hauteur de la marée , mais
jamais autant que leur configuration actuelle,
qui feule influe fur la variation de l'heure
de pleine & de baffe mer , leur paffage
par leur Méridien ayant plus d'influence
fur la force de la marée , que fur la déter
mination de cette heure.
10°. Que ce Phénoméne n'a pas moins
été déguisé en plufieurs autres circonftances
effentielles , afin de l'accommoder au
Syftême Cofmographique de Copernic &
au Systême Phylique de Defcartes on de
Newton , & qu'afin de ne pas découvrir
combien il leur eft contraire , on n'a pas
moins continué ce déguifement , malgré
les Mémoires lûs à l'Académie des Sciences
de Paris , qui établiffent les articles.
précédens fur des Journaux d'obfervations,
faites à fa follicitation par ordre du Roi
pendant huit ans dans les Ports principaux
de France.
Le même Libraire débite les Lettres fur
la Coſmographie, avec l'Analyſe raiſonnée
138 MERCURE DE FRANCE.
du Systême moderne de Cofmographie & de
Phyfique générale , dont l'un eft un état apparent
du Ciel , fyftématiſé , après avoir
été dreffé & publié en quatre Planches par
M. Caffini , dans les Mémoires de l'Académie
pour 1709; & l'autre un réfultat fyftématique
des expériences les plus ufuelles
fur l'électricité. Prix broché trois livres .
LETTRE
De M. Racine , de l'Académie Royale des
Belles-Lettres , à M. Remond de Sainte
Albine , au fujet de l'Edition qu'on vient
de donner des Lettres de Rouſſeau .
II vous ma Melfiren
E vous porte ma plainte , Monfieur
que vous ayez la bonté de la rendre
publique , du titre d'Editeur des Lettres
de Rouffeau , qu'on a voulu me donner.
Si j'avois été le maître de ce recueil ,
je ne l'aurois préfenté à l'impreffion que réduit
à un petit volume , parce que n'y laif
fant que ce qui peut intéreffer la Littérature
, j'en aurois retranché tous les détails
inutiles , plufieurs critiques d'ouvrages
modernes , & les éloges des miens. J'ai
T'honneur d'être , & c. .
Le 12. Juillet 1749.
Racine.
A O UST. 1749. 139
PLANCHES ANATOMIQUES .
E Sr Gautier vient de préfenter au
Roi lafuirede fes Planches Anatomiques
; il a eu l'honneur de dédier à Sa Majefté
la Céphalatomie ou l'Anatomie complette
de la tête. Le Roi a reçû favorablement
la Dédicace de cet Ouvrage & le
nouveau Livre . L'Auteur à eu l'honneur
d'être préfenté à Sa Majefté par M. le Ma
réchal Duc de Richelieu , Premier Gentil
homme de la Chambre .
Epitre Dédicatoire du Sr. Gautier.
SIRE ,
Avicéne , célebre dans la Médecine
étoit Prince de Cordoue . Mithridate , amateur
de cette fcience , étoit Roi de Pont.
Plus d'un Souverain & plus d'un Potentat
ont cultivé l'art de guérir , & par conféquent
l'Anatomie , qui en eft la baze , j'cferai
donc dédier à Votre Majefté mes tablea
imprimés de l'Anatomie de la tête.
Vous y admirerez , SIRE , la ftructure
de cette partie du corps humain , qui ,
plus que toute autre , diftingue l'homme
des animaux foumis à fon empire. C'eſt
te Temple de la fageffe , le Sanctuaire de
la vertu ; c'eft le moule divin , où ſe forme
140 MERCURE DE FRANCE.
la modération des Conquérans pacifiques
& l'amabilité des Rois chéris de leurs peuples.
Votre Majefté ne dédaignera pas de jetter
les yeux fur des merveilles qui la touchent
de fi près. Je les lui préfente fidellement
exprimées d'après nature . Mon
burin lui fauvera l'horreur que lui inſpireroit
la Nature elle -même , violée par un
fer , peut-être barbare. Ce n'eft que dans
les champs de Mars , que de pareils objets
ne fçauroient ébranler votre intrépidité ,
par tout ailleurs il font capables de faifir
un Roi fenfible , digne du furnom qu'il
tient de l'amour de fes Sujets.
SIRE ,
De Votre Majefté , le très-obéïſſant &
fidéle ferviteur & fujet ,
Jacques Gautier.
L'Auteur diftribue la Myologie complette
de M. Duverney, en vingt Planches,
de couleur & grandeur naturelle , & la
Céphalatomie ou Anatomie de la tête
qu'il vient de préfenter au Roi , en huic
Planches. Il a propofé dans le premier
volume du Mercure de Juin dernier fon
projet de foufcription pour ce qui refte à
donner dans l'Anatomie complette.
A O UST. 1749. 141
MEMOIRE
Que M.7. R. Pereire a lù dans la Séance de
Académie Royale des Sciences le 11 Juin
1749 , & dans lequel, en préſentant à cette
Compagnie unjeune fourd & muet de naiffance
, il expofe avec quel fuccès il lui a
appris à parler. On y a ajoûté plufieurs
obfervations qui n'ont point été lûes à l'Affemblée,
& qui font néceffaires pour un
plus grand éclairciffement. Ce font celles
qu'on trouve en forme de notes au bas des
pages,
M Effieurs , après les gracieux applaudiffemens
que la fçavante Académic
des Belles-Lettres de Caen & nombre de
perfonnes éclairées m'ont fi généreuſement
prodigués fur ma méthode pour ap
prendre à parler & à raifonner aux fourds
& muets , rien n'a pû détourner mon efprit
d'afpirer au bonheur de mériter l'approbation
d'une Compagnie , qui par l'augufte
protection du plus grand des Monarques
& par les incomparables lumieres des
Membres qui la compofent , fait fi dignement
l'admiration & l'ornement le plus
folide de la France , de l'Europe , de l'U.
niyers.
142 MERCURE DE FRANCE.
C'est dans une vûe auffi Aatteuſe , que je
viens vous fupplier , Meffieurs , d'examiner
les effets que mes foins ont jufqu'ici
produit fur M. d'Azy d'Etavigny , fourd
& muet de naiffance , que j'ai l'honneur
de vous préfenter.
Ses progrès actuels fourniront à votre
pénétration admirable affez de matiere ,
pour porter un jugement décifif fur tous
les avantages que les fourds & muets devront
attendre de mon art. J'ai formé ſur
ce fujer un Mémoire qui contient en outre
quelques remarques qui lui font relatives ;
daignez , Meffieurs , je vous prie , en entendre
la lecture.
MEMOIRE .
Ce jeune Sourd & muet prononce diftinctement
, quoique très lentement enco-
-re , les lettres , les fyllabes , les mots , foit
qu'on les lui écrive , foit qu'on les lui indique
par fignes. Il répond de fon chef
verbalement ou par écrit aux queftions familieres
qu'on lui fait ; il en forme lui-
-même très-fouvent , il agit en conféquence
de ce qu'on lui propofe de faire , foit
qu'on lui parle par écrit ou par l'alphabet
manuel dont fon Maître fe fert envers lui ,
fans qu'il foit befoin d'y ajoûter aucun
autre figne qui indique ce qu'on veut qu'il
AOUS T. 1749. 143
faffe . Il demande , par le moyen de fa langue
, les chofes dont il a befoin journellement.
Il récite par coeur le Décalogue , le
Pater & quelques autres prieres, & répond
avec intelligence à plufieurs queftions du
Catéchisme. En Grammaire , il donne l'article
convenable à chaque nom ( rarement
il s'y trompe ) il en connoît un peu la valeur
des cas ; il a une médiocre connoif
fance , principalement dans la pratique
des pronoms dont on fe fert le plus communément.
A l'égard des verbes , non-feulement
il les fçait conjuguer, dès qu'ils font
réguliers , mais il en dit encore la perſonne
qu'on lui demande féparément , de quelque
nombre , tems & mode qu'elle foir
(fon plus fort cependant eft fur l'indicatif.)
Sur les autres parties du difcours , ainfi
que fur la Syntaxe , il connoît , à quelque
chofe près , ce qu'il y en a de plus
néceffaire dans les expreffions les plus
communes & familieres ; il ne donne pas ,
par exemple , un adjectif féminin à un
fubftantif mafculin , ni un pluriel à un fingulier
; il ne fe trompe que rarement fur
les tems , les nombres & les perfonnes des
verbes qu'il fait entrer dans fes expreffions,
fut tout fi c'est au mode indicatif qu'il doit
les employer ; il évite déja bien des répetitions
par le moyen des pronoms & par-
1
144 MERCURE DE FRANCE
ticules relatifs , qu'il employe le plus fou
vent fort à propos. Il obferve finalement
quelques regles d'orthographe paffablement
bien. Il eft de plus à remarquer , 1º.
que fifur tout cela on lui fait des fautes en
lui écrivant , il s'en apperçoit pour l'ordimaire
, & même les corrige , dès qu'on lui
permet de le faire . 2° . Il change fa prononciation
en differentes façons , il parle haut
ou bas , fuivant qu'on l'exige de lui ; il
imite par le ton de fa voix , mais ce n'eft
pas encore bien exactement , les differences
qu'on y fait fentir, lorfqu'on interroge,
qu'on récite , qu'on prie , qu'on commande
, &c. 3 °. Quoique les lettres , & principalement
les voyelles , foient dans le
François fufceptibles de differentes prononciations
, n'y en ayant aucune qui n'en
admette plufieurs , & qui ne devienne
muette dans quelques rencontres , néanmoins
M. d'Azy d'Etavigny ne manque
point à leur donner la valeur convenable ;
s'il s'y trompe quelque fois , ce n'eft que
dans des mots qui lui font inconnus. Il
fçait en Arithmétique , quoique fans fractions
, les quatre Regles , les deux premieres,
même par livres , fols & deniers ; & il
nombre verbalement toutes les fommes
qu'on lui propofe en chiffres. En Géographie
, il diftingue fur la Carte les quatre
parties
A OUS T. 1749. 145
parties du Monde , les principaux Royaumes
de l'Europe , dont il nomme les Capitales
; il étend fon fçavoit fur la France aux
Provinces & aux Villes les plus remarquables.
Il a encore quelques autres connoiffances
qu'on pourroit rapporter à la Chronologie
, comme la divifion qu'il fait de
l'année , du mois , de la femaine à l'Hif- ;
toire , comme la création du monde , qu'il
récite , & même à des fciences plus abftrai
tes , mais il feroit difficile d'en donner
écrit une jufte idée .
par
M. d'Azy d'Etavigny eft âgé de 19 ans.
Pereire commença à l'inftruire dans le
Collège de M. le Duc d'Orléans , à Beaumont-
en- Auge , en Normandie , le 13 Juillet
1746. Dans peu de jours il parvint à
lui apprendre à prononcer quelques mots
intelligiblement ; il eut l'honneur quatre
mois après,de le préfenter à l'Académie des
Belles - Lettres de Caën , où préfidoit , comme
Protecteur , M. l'Evêque de Bayeux
pour y être examiné fur fes progrès , lefquels
étoient déja affez confidérables du
côté de la prononciation , pour le peu de
tems qu'il y avoit que Pereire l'inftruifoit.
Il fut obligé de quitter fon Eleve au commencement
du mois de Mai 1747 , lorf
que celui- ci avoit l'intelligence d'environ
treize cens mots , & lifoit & prononçoit
G
>
146 MERCURE DE FRANCE.
C
tout diftinctement * . Pereire n'a pû repren
dre fon inftruction qu'au 15 Février 1748;
il trouva fa prononciation , faute d'un affez
long ufage fous fa direction , extrê
mement vicieuſe & très peu intelligible ,
enforte qu'on pourroit affûrer, fans crainte
de s'y tromper beaucoup , eu égard aq
tems qu'il a fallu pour la corriger , que tout
ce que M. d'Azy fçait à prefent, a été l'ouvrage
du tems écoulé depuis cette dernie
re époque , c'eft-à- dire , d'environ ſeize
mois.
On obferve , outre la lenteur , une certaine
rudeffe dans la prononciation de
ce jeune homme ; elle provient en partie
des vices contractés pendant les dix
mois d'interruption qu'il a euë , mais prin
cipalement de la roideur de fes organes ,
lefquels avoient beaucoup perdu de leur
flexibilité , lorfque Pereire à commencé à
les faire agir , fon Eleve ayant déja dans
ce tems- là feize ans ** . On juge bien , au
1 . Tout cela fe trouve circonftancié & vérifié
dans les Piéces fuivantes de 1747 , Journal des
Sçavans de Juillet , Mercure de France d'Août ,
Journal de Verdun de Novembre , &c.
** On fent bien que plus les muets feront jeunes
, plus les organes de la parole auront d'aptitude
chez eux pour une prononciation aiſée. Il eſt
certain que pour concevoir , fur tout lorsqu'il s'agit
de ce qui eft abftrait , les plus âgés ont plu
A O UST.
1749. 147
refte , que ces défauts diminueront confi.
dérablement chez lui à proportion qu'il
continuera , fous les foins de fon Maître ,
à faire ufage de la parole , car il n'eft point
douteux que les parties qui la forment, n'acquierent
par ce moyen plus de foupleffe &
d'agilité, & ne lui rendent par conféquent
l'articulation plus facile & plus réguliere .
On voit par lecontenu de ce Mémoire,
que les vûes de Pereire fur l'inftruction
des fourds & muets s'étendent à leur apprendre
non feulement à prononcer tous
les mots de la Langue Françoiſe , ( ou de
feurs avantages fur ceux qui le font moins ; mais
auffi n'eft il pas moins vrai que les enfans , dès l'â–
ge de fix ans & avant même , commencent àcomprendre
un grand nombre de petites chofes , qui
fuffisent à M. Pereire à l'égard de les Eleves , pour
donner l'exercice convenable à leur langue , &
pour les mener infenfiblement à des connoif
fances plus confidérables , & cela avec d'autant
plus de facilité que leur ayant rendu comme natuel
l'ufage de la parole, ils s'expliqueront avec une
aifance que les grands Les grands ne fçauroient acquérir que
par une pratique beaucoup plus longue. Il eft à
propos d'avertir ici que la méthode de M. Pereire,
( qu'il exerce par lui-même & par fon frere feulement
) quoiqu'extrêmement pénible pour lui , n'a
cependant rien de violent ni de défagréable pour
fes Eleves , & n'eft pour eux qu'une espece d'amufement.
M. Pereire pourroit encore le faire aider
par Mlle fa foeur , s'il étoit queftion d'inftruire
quelque Demoiselle.
Gij
14S MERCURE DE FRANCE.
toute autre Langue , pourvû qu'il l'ait apprife
lui-même auparavant , ) mais encore ,
ce qui en eft l'effentiel , à comprendre le
fens de ces mots , & à produire d'eux-mêmes
, tant verbalement que par écrit , toutes
leurs penfées comme les autres hommes
, ce qui par conféquent les rendra
*
* Il y a une très -grande difference ( laquelle eft
beaucoup plus confidérable chez les muets que
dans les autres hommes ,) entre fçavoir prononcer
, & comprendre ce qu'on fçait prononcer ;
cela échappe ordinairement aux perfonnes qui
n'y font point d'attention , ou qui n'ont appris
d'autre Langue que celle de leur pays. Qu'on ſe
donne la peine d'y refléchir , on verra qu'à l'exception
des dictions qui fignifient des chofes vif
bles , prefque tous les mots d'un Dictonnaire font
très difficiles à expliquer aux muets , & que pour
l'ordinaire , fur les chofes purement intellectuelles
, on ne leur fait comprendre que des idées im,
parfaites.
( On a jugé que les remarques fuivantes ne ſeront
pas ici tout-à fait déplacées . )
M. Pereire divife le total de fon inftruction en
deux parties principales : la prononciation & l'intelligence
; il apprend aux fourds & muets , par la
premiere, à lire & prononcer le François ( ou tout
autre langage , s'il en étoit queftion , ) mais fans
Leur faire comprendre que les noms des chofes
vifibles & d'un ufage journalier , telles que les
alimens , & les habillemens ordinaires , les parties,
meubles & immeubles d'une maison , &c. Dans la
Leconde partie, il leur apprend tout le refte de l'inf
truction , c'est- à- dire à comprendre la valeur des
A OUS T. 1749. 149
capables d'apprendre & de pratiquer comme
eux quelque art ou quelque fcience
que ce foit, fi l'on en excepte feulement , à
mots contenus dans toutes les parties du difcours
& à s'en fervir à propos , foit en parlant , foit en
écrivant , conformément aux regles grammatica
les , & au génie particulier de la Langue .
Dès le quinziéme jour d'inftruction , les Eleves
de M. Pereire commencent pour l'ordinaire à prononcer
quelques mots intelligiblement ; pour les
inftruire fur la premiere partie de fon art , il lui
fuffit de douze à quinze mois , fur tout s'ils font
d'un âge encore tendre , mais pour la parfaite
inftruction fur la feconde partie , il lui faut un tems
plus confidérable.
M. Pereire n'exige rien d'avance ; on pourra
convenir avec lui, pour la premiere partie,d'unprix
payable en trois payemens ; le premier ne lui devra
être délivré qu'après que fon Eleve articulera
diftinctement quarante à cinquante mots ; on ne
donnera le fecond que lorfqu'il en fçaura prononcer
quatre à cinq cens , ni le troifiéme , que
quand M. Pereire fe fera acquitté de cette premiere
partie de fon inftruction ; le prix de la feconde
fe réglera fur celui de la premiere , & on
aura égard au tems qu'il lui aura fallu y employer.
Afin d'informer d'une maniere entierement fa
tisfaifante les parens, qui ne réfideront pas à Paris ,
des progrès des Eleves , M. Pereire foumettra au
jugment de Meffieurs de l'Académie Royale des
Sciences , ou à celui de quelques perfonnes éclairées
, dont on conviendra avec lui , la décifion de
ces progrès , pour être en droit d'exiger les récompenfes
qui lui en feront dues.
Avertiffement pour les Etrangers. Si au lieu du
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
l'égard de la pratique , les chofes pour
lefquelles l'ouie eft indifpenfablement néceffaire.
Pereire leur apprend lui- même
l'Arithmétique , & peut leur donner quelques
connoiffances fur le commerce , les
Mathématiques , & c .
On penfe bien que pour parler aux
Eleves de Pereire , il faudra fe fervir
ou de l'écriture ou des fignes ordinaires.
Quoique ce dernier moyen ait
toujours quelque chofe de confus & d'ambigu
, il eft clair néanmoins que les interrogations
verbales , que les fourds & muets
feront obligés de faire pour s'affûrer de ce
qu'on voudra leur dire , fuppléeront à ce
défaut d'une maniere fuffifante.
Outre ces deux moyens de leur parler ,
Pereire en employe un troifiéme qui a les
François , il falloit apprendre à quelque perfonné
muette l'Espagnol ou le Portugais , M. Pereire le
feroit d'autant plus volontiers , que l'orthographe
en eft bien plus ailée ,& qu'il poffede ces deux Lan
gues . Pour inftruire un muet fur un langage dif
ferent des trois mentionnés , il faudroit à M.
Pereire , comme il l'a dit dans le Mémoire , l'ap
prendre lui même auparavant. La Langue Italienne
, dont il a quelque connoiffance , lui feroit
pour cer effet la moins difficile.
M. Pereire demeure à l'Hôtel de Bourgogne ,
fue de Savoye, près des Grands Auguftins à Paris .
Les perfonnes qui voudront lui écrire fone priés
d'affranchir le port des lettres.
A O UST. 1749. 151
avantages d'être auffi expreffif que le premier
, plus bien féant que le fecond , &
plus ailé que tous les deux . C'eft un alphabet
manuel qu'il a appris en Espagne,
mais qu'il lui a fallu augmenter & perfec
tionner confidérablement pour le rendre
propre à parler exactement en François ;
il s'en fert avec une brieveté qui approche
plus de la promptitude de la langue que
la lenteur de la plume. Cet alphabet eft
contenu dans les doigts d'une feule main ,
laquelle fuffit encore à Pereire pour exprimer
en chiffres toutes fortes de fommes, &
pour enfeigner à fes Eleves,bien plus facilement
& plus fûrement que par les métho
des ordinaires , les quatre regles d'Arithmétique.
de
Ce ne font pas là les feules reffources
qui pourront adoucir le malheur de la
furdité dans les éleves de Pereire : ils auront
encore la facilité d'entendre aux mouvemens
naturels des lévres , des yeux , de
la tête , des mains , &c . des perfonnes qui
les fréquenteront , ce qu'on voudra leur
dire. Cette façon de concevoir demande
cependant une étude d'un tems confidérable
, & fera toujours néanmoins fujette à
quelques équivoques , fur tout fi ceux qui
parleront aux muets , ne leur font pas bien
connus , & fi les difcours qu'on leur tien-
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
dra, s'éloignent des converfations familieres
; cependant elle leur fera toujours de
quelque utilité, & pourra être perfectionnée
à la longue par leur propre pénétration
& par la pratique.
Conclufion.
Ce feroit trop abufer de votre complaifance
, Meffieurs , que d'ofer m'arrêter à
vous expofer ici nombre d'obfervations
que je pourrois faire fur le contenu de ce
Mémoire ; j'efpere cependant qu'elles auront
encore lieu, & qu'il me fera même plus
convenable de vous en parler, fi vous me le
permettez , à mesure que vous examinerez
les progrès de mon Eleve , & que vous daignerez
me continuer l'honneur de votre
attention fur chacun en particulier.
Lû par M. Pereire à l'Académie le 11
Juin 1749.
Paraphé par M. de Fouchi , Secretaire
perpétuel de l'Académie Royale des Sciences.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences du 9 Juillet 1749.
୨
Nous avons vû par ordre de l'Académie
nn Mémoire que M. Pereire a lê dans l'Affemblée
du 11 du mois dernier , fur les effets
de fon art pour apprendre à parler aux
fourds & muets de naiffance, & nous avons
A O UST. 1749.
193
•
en conféquence examiné en particulier ce
qu'il y rapporte de M. d'Azy d'Etavigny,
fon éleve , fourd & muet de naiffance.
Ce n'eft point d'aujourd'hui qu'on voit
confirmer par l'expérience la poffibilité d'un
art fi curieux & fi utile ; M. Wallis en Angleterre
& M. Amman en Hollande l'ont
pratiqué avec fuccès dans le fiécle dernier ;
les ouvrages de ces deux Sçavans font connus
de tout le monde ; il paroît par leur témoignage
qu'un certain Religieux s'y étoit
exercé bien avant eux . Emanuel Ramires
de Cortonne & Pierre de Caftro , Eſpagnols
, avoient auffi traité cette matiere
long- tems auparavant , & nous ne doutons:
point que d'autres Auteurs n'ayent encore
écrit & donné au Public des méthodes fur
cet art , ( mais ) l'exemple de M. d'Azy
d'Etavigny eft le premier & le feul dont
nous ayons connoiffance.
On voit par le Mémoire & par les Certificats
que rapporte M. Pereire , qu'il
avoit déja fait d'autres effais de cette natu
re avec fuccès ; qu'il entreprit en Normandie
le 13 Juillet 1746 l'inftruction de ce
jeune fourd & muet , âgé pour lors de 16
ans ; que dans peu de jours il lui appric à
articuler quelques mots , comme papa ,
maman , château , Madame , chapeau : qu'au
mois de Novembre fuivant il le préſenta à
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
l'Académie des Belles- Lettres de Caën , laquelle
trouva qu'il prononçoit déja diftinctement
& avec intelligence , un grand
nombre de mots ; que M. Pereire fut obligé
de le quitter au commencement du mois
de Mai 1747 , dans le tems qu'il avoit conhoiffance
d'environ treize cens mots , &
qu'il commençoit à lire & à articuler paffa
blement ; qu'il reprit fon éleve le 15 Février
1748 , & qu'il a été obligé , par rap
port aux défauts qui s'étoient gliffés pendant
ce tems là dans fa prononciation , encore
peu affermie , de commencer de nou、
veau , pour ainfi dire , fon inftruction , ce
qui fait que M. Pereire penfe avec raifon
qu'on doit réputer le fçavoir de ce jeune
homme comme l'ouvrage de feize mois.
A l'égard des progrès actuels de M.d'Azy
d'Etavigny , quoique ce que nous en avons
vû dans l'Académie nous paroiffe fuffifant
pour en juger, notre devoir néanmoins nous
engage à entrer là-deffus dans un détail un
peu circonftancié.
M. Péreire rapporte dans fon Mémoire ,
& nous avons verifié par l'expérience , que
te jeune fourd & mutet lit & prononce
diftinctement routes fortes d'expreffions
Françoifes ; qu'il donne des réponſes trèsfenfées,
tant verbalement que par écrit , aux
queftions familieres qu'on lui fait par écrit
A O UST. 1749. 255
on par fignes ; qu'il comprend & qu'il exécute
promptement ce qu'on lui propofe de
faire par le moyen de l'écriture ou par l'alphabet
manuel dont fon Maître le fert;
qu'il récite plufieurs prieres par coeur ; qu'il
donne aux noms le genre , le cas & le nombre
qui leur conviennent . Il connoît & employe
à propos les pronoms qui font le plus
d'ufage, & il conjugue les verbes , foit qu'on
lui propofe de le faire d'une façon fuivie ,
foit qu'on lui renverſe l'ordre des modes ,
des tems
,
des perfonnes & des nombres :
il en faut excepter cependant les conjugaifons
irrégulieres & peu communes. Il a
une connoiffance proportionnée au reſte
de fon fçavoir fur les participes , les adverbes
, les prépofitions & les conjonctions,
& il obferve dans la conftruction de la
phrafe & dans l'orthographe plufieurs régles
avec affez d'exactitude . On voit même avec
furprife , que fouventil corrige les fautes
que l'on fait en écrivant, contre l'orthogra
phe ou contre la Syntaxe ; que malgré les
differentes prononciations qu'on donne à
chaque lettre & à chaque fyllabe , il les articule
néanmoins de la maniere qu'on doit
le faire ; qu'il parle à fon gré haut ou bas ,
& qu'il fait fentir quelque difference dans
les tons entre la queftion & la réponſe ,
la priere & le commandement , &c .
G vi
156 MERCURE DE FRANCE!
On obferve que la prononciation de M.
d'Etavigny eft lente , grave , comme tirée
du fond de la poitrine , & qu'il ne lie pas
affez les fyllabes ; M. Pereire en donne pour
raifon principale l'inaction dans laquelle
fes organes avoient demeuré pendant feize
ans, & le trop peu de tems qu'ils ont eu juf
qu'ici pour acquerir par l'ufage la flexibili
té néceffaire à une articulation aifée. Il
n'eft pas douteux que ces irrégularités.
n'ayeut été bien plus confidérables dans le
commencement de l'éducation , & il eft
naturel de penfer qu'elles diminueront de
plus en plus , à mesure que M. Pereire con
tinuera à lui donner fes inftructions.
M. d'Azy fçait les quatre régles d'Arithmétique,
& connoît fur la Carte les parties:
du monde , les Royaumes & les Capitales.
de l'Europe , les Provinces & les Villes
principales de la France .
M. Pereire fe fert fort à propos d'un afphabet
manuel pour s'exprimer avec fon
Eleve , & it le fait par ce moyen bien plus.
commodément & plus brièvement que par
l'écriture , ce qui lui évite l'incommodité:
d'avoir continuellement la main àlà plume.
M. Pereire efpere porter encore fon art
à un bien plus haut degré de perfection , il
vife à inftruire les fourds & muets au point
de comprendre ce qu'on voudra- leur dire
AOUST. 1749. 1'57
aux mouvemens ordinaires des lévres & dur
vifage de ceux qui leur parleront : il reftraint
cependant cela aux perfonnes avec
lefquelles fes Eleves auront de l'habitude ;
leur intelligence avec les autres , dit M
Pereire , fera bien plus bornée ; il faudra ,
pour le faire entendre aux muets , avoir
fouvent recours à l'écriture ou aux fignes
ordinaires :
On voit par l'exemple de M. d'Azy,que
lès vûes de M. Pereire , en inftruifant les.
fourds & muets , font de leur apprendre à
lire , à écrire & à parler la Eangue qu'il
leur aura enfeignée à en comprendre le
fens , à produire d'eux-mêmes leurs pen
fées , foit par l'écriture , foit par la parole,
& à acquérir , comme les autres hommes
toutes les connoiffances , excepté les idées
pour lesquelles la fenfation de l'ouie eft
abfolument néceffaire..
Nous trouvons que les progrès que M
d'Azy d'Etavigny a faits en fi peu de tems,
prouvent très- fuffifamment la bonté de la
méthode que M. Péreire fuit dans fon inf
truction , & démontrent la fingularité de
fon talent pour la pratiquer ; qu'il y a tour
lieu d'efperer que par ce moyen les fourds
& muets de naiſfance pourront non-feulement
prononcer & lire toutes fortes de
mots,& comprendre la valeur de ceux qui
158 MERCURE DE FRANCE :
défignent des chofes vifibles , mais encore
acquérir les notions abftraites & générales
qui leur manquent , & devenir fociables ,
capables de raifonner & d'agir de la même
maniere que font les perfonnes qui ont
perdu par accident l'ouie après avoir
atteint l'âge de raifon. Comme on a
vû de certe efpece de fourds qui com→
prenoient au mouvement des lévres ce
qu'on vouloit leur dire , nous ne faifons
pas difficulté de croire que M. Pereire
pourroit parvenir à donner à fes Eleves
une ſemblable facilité , en y joignant les
reftrictions qu'il marque dans fon Mémoire.
s'il
Nous penfons auffi que l'alphabet manuel
de M. Pereire , pour lequel il n'employe
qu'une feule main , deviendra ,
le rend public , d'autant plus commode
pour les Eleves & pour ceux qui voudront
commercer avec eux , qu'il paroît extrêmement
fimple & expéditif , par conféquent
aifé à apprendre & à pratiquer.
Nous jugeons donc que l'art d'apprendre
à lire & à parler aux muets , tel que M. Pereire
le pratique , eft extrêmement ingénieux
; que fon ufage intéreffe beaucoup le
bien public , & qu'on ne fçauroit trop encourager
M. Pereire à le cultiver & à le
perfectionner.
A OUST. 1749. 359
Au refte il nous paroît qu'il n'a rien exageré
dans fon Mémoire. Fait à Paris ce 9
Juillet 1749. Signé , d'Ortous de Mairan ,
Buffon , & Ferrein.
Je certifie l'Extrait ci-deflus & des autres
parts , conforme à ſon original & au jugement
de l'Académie . Signé Grandjean de
Fouchy , Secretaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
'Académie des Jeux Floraux fera la
diftribution de fes prix le troifiéme
Mai 1750.
Ces prix font une Amaranthe d'or de
la valeur de quatre cens livres , qui eft
deftinée à une Ode.
Une Eglantine d'or , de la valeur de
quatre cens cinquante livres , destinée à
une Piéce d'éloquence d'an quart d'heure ,
ou d'une petite demi- heure de lecture ,
dont le fujet fera pour la même année
1750 :
NOTRE BONHEUR EST EN NOUS - MESMES,
fuivant le fens de ces paroles : Nemo laditur
nifi à fe ipfo.
Une Violette d'argent de la valeur de
deux cens cinquante livres , deftinée à un
Poëme de foixante vers au moins , ou de
cent vers au plus , qui doivent être Ale160
MERCURE DE FRANCE .
xandrins , & dont le fujet doit être héroïque
ou dans le genre noble..
Un Souci d'argent , de la valeur de deux
cens livres , qui eft deftinée à une Elégie ,
à une Idyle ou à une Eglogue , ces trois
genres d'ouvrages concourant pour le même
prix. Les vers en doivent être aufli
Alexandrins , fans mêlange de vers d'autre
meſure.
Un Lys d'argent , de la valeur de foixante
livres , deftiné à un Sonnet à l'honneur
de la Sainte Vierge.
Les fujets des differens genres d'ouvrages
aufquels l'Amaranthe , la Violette & le
Souci , font deſtinés , eft au choix des Autears
, qui font avertis de ne pas fe négliger
fur les rimes & fur toutes les régles de
la verfification , auffi - bien que les Auteurs
du Sonner.
Les ouvrages qui ne font que des Traductions
ou des imitations , ceux qui traitent
dès fujets donnés par d'autres Académies
, ceux qui ont quelque chofe de burlefque
, de fatyrique , ou d'indécent , font
exclus des prix .
Les ouvrages qui auront paru dans le
public , & ceux dont les Autenrs fe feront
fait connoître avant le jugement , ou pour
lefquels ils auront follicité ou fait ſolliciter
les Juges , en font auffi exclus.
A O US T. 1749. 161
Les Auteurs qui traitent des matieres
Théologiques , doivent faire mettre aut
bas de leurs ouvrages l'Approbation de
deux Docteurs en Théologie , ce qui fera
obfervé même à l'égard du Sonnet , fans
quoi ces ouvrages ne feront pas mis au
concours.
pies
On doit faire remettre, dans tout le mois
de Janvier de l'année 1750 , par des perfonnes
domiciliées à Touloufe , trois Co
pies bien lifibles de chaque ouvrage à M.
le Chevalier d'Aliez , Sécretaire Perpé-
Fuel de l'Académie , logé rue des Coûteliers.
Son Registre devant être barré dès
le premier jour de Février , on ne fera plus
à tems à lui remettre des ouvrages , dès
que le mois de Janvier fera expiré.
Les ouvrages feront défignés , non -feulément
par leur titre , mais encore par une
dévife ou fentence , que M. le Sécretaire
écrira dans fon Regiftre , auffi- bien que
le nom , la qualité ou la profeffion , & la
demeure des perfonnes qui les lui auront
remis , lefquelles figneront la réception
que M. le Sécretaire en aura écrite dans
fon Regiſtre , après quoi il leur en expédiera
le récépiffé :
M. le Secretaire ne recevra point les
páquets qui lui feront adreffés par la Pofte
en droiture ,s'ils ne font affranchis de porty
162 MERCURE DE FRANCE:
.
& il ne répondra point aux Lettres qu'on
lui écrira fans avoir cette attention . Les
Auteurs font avertis que l'Académie ex-.
clud même du concours tous les
ouvrages
qui n'ont pas été remis à M. le Secretaire
par une perfonne domiciliée à Toulouſe ,
la voie de la Pofte en droiture étant fujette
à trop d'inconveniens .
M. le Secretaire avertira les perfonnes
qui auront remis les ouvrages que l'Académie
aura couronnés , afin que les Auteurs
viennent eux- mêmes recevoir les
prix , l'après- midi du troifiéme Mai , à
l'affemblée que l'Académie tient dans le
Grand Confiftoire de l'Hôtel - de- Ville où
ils font diftribués. Si les Auteurs font hors
de portée de venir les recevoir eux-mêmes,
ils doivent envoyer à une perfonne domiciliée
à Touloufe , une Procuration en
bonne forme , où ils fe déclarent affirmativement
les Auteurs de l'ouvrage couronné,
& cette perfonne retirera le prix des mains
de M. le Secretaire , fur la Procuration de
l'Auteur , & fur le récépiffé de l'ouvrage.
On ne peut remporter que trois fois
chacun des prix que l'Académie diftribue a
les Auteurs des ouvrages qu'elle décou
vrira avoir enfreint cette loi , en feront
exclus , auffi-bien que les ouvrages qu'on
pourra juftement préfumer être préfentés
fous des noms d'Auteurs fuppofés .
AOUS T. 1749. 163
Après que les Auteurs fe feront fait con
noître , M. le Secretaire leur donnera des
atteftations , portant qu'un tel , une telle
année , pour tel ouvrage par lui compofé ,
a remporté un tel prix , & l'ouvrage en
original fera attaché à ces atteſtations , fous .
le Contre -Scel des Jeux .
Ceux qui auront remporté trois Prix ,
( celui du Sonnet excepté ) & l'un defquels
foit celui de l'Ode , pourront obtenir felon
l'ancien ufage , des Lettres de Maîtres des
Jeux Floraux , qui leur donneront le droit
d'opiner comme Juges & comme étant
du Corps des Jeux , dans les affemblées
générales & particulieres des Jeux Floraux,
& d'affifter aux Séances publiques.
Par les dernieres Lettres Patentes du
Roi , qui autorifent l'augmentation du
prix du difcours , les Auteurs qui auront
remporté trois fois ce prix depuis cerre
augmentation , pourront auffi obtenir des
Lettres de Maîtres des Jeux Floraux , fans
qu'il foit néceffaire qu'ils ayent remporté
des prix de Poëfie.
L'Ode qui a pour titre LA CHASSE , &
pour Sentence Manet fub Jove frigido Venator
tenera conjugis immemor , a remporté
le prix de ce genre d'ouvrage .
Le difcours qui a pour Sentence , Aurum
eft periculum poffidentium ,enervatio virtutum,
164 MERCURE DEFRANCE.
a remporté le prix d'Eloquence de cette
année.
Le Poëme qui a pour titre LE TRIOM
PHE DE LA VERITE' , & pour Sentence ,
Confundentur ab Idolis quibusfacrificaverunt,
a remporté le prix.
Le prix du genre Bucolique a été adjugé
à l'Idyle , intitulée LE LABOUREUR , qui
a pour Sentence : Omne tulit punctum , qui
mifcuit utile dulci.
Le Sonner qui a pour Sentence : Et ſta
tuit aquas quafi in utre , a remporté le Prix
de ce genre.
L'Académie a réſervé un prix de Dif
cours , un prix de Poëme , & deux prix de
Sonnet , qui l'avoient déja été les années
précédentes.
L'Académie Royale d'Angersavoitpriet
pofé 1747 , un prix le fujet
eft le progrès des Sciences & des Beaux Arts.
fous le Regne de Louis XV . avec la liberté
de le traiter en profe ou en vers , & un
prix de Phyfique fur cette question.
Les animaux les métaux ne deviennentils
électriques que par communication ? Pour
quoi ne le deviennent-ils pas par les moyens
que l'on employe pour rendre les autres corps
électriques ?
AOUST. $749. 169
Ces prix devoient être délivrés en
1748 , mais l'Académie s'eft trouvée obligée
de les remettre , & dans une affemblée
publique, tenue le 3 du mois de Juin dernier
, elle a adjugé celui dont le fujet eſt
le progrès des Sciences & des Beaux Arts ,
a une Ode qui eft de M. la Combe , &
qui a pour dévife , Sunt gloria Principis
Artes.
Nous n'en donnons ici que quelques
ftrophes , qui pourront préfenter une idée
de la Piéce , & faire connoître les talens
de fon jeune Auteur pour la Poëfic.
Strophe IV. *
CEffez , vains Héros de la Fable ,
Ceffez de vanter vos travaux ' ;
Une gloire plus véritable
Immortalife vos rivaux
Voyez fur quelle affreufe plage ,
Malgré l'horreur d'un Ciel ſauvage ,
L'amour du vrai conduit leurs pas :
Enfin de la terre étonnée
La figure eft déterminée ,
Les Dieux ont guidé leurs compas.
* Progrès de l'Aftronomie & de la Géographie ;
voyage de Meffieurs de l'Académie des Sciences paur
fixer lafigure de la terre.
166 MERCURE DE FRANCE.
1
Strophe VI. *
Comme, dans fon effor rapide ,
Le fier oifeau de Jupiter
Domine le peuple timide
Qui ſous lui voltige dans l'air :
Ainfi l'amant de Therpficore
Par un vol plus rapide encore
S'éleve entre tous les rivaux ,
Et fur les aîles du génie ,
Jufqu'au Temple de l'Harmonie
Se trace des fentiers nouveaux.
Strophe V11. **
Eft-ce Appollon qui de fa Lyre
Exprime ces accords , ces fons ,
Et parle à l'efprit qu'il inſpire
Le langage des paſſions è
J'éprouve à fon gré la trifteffe ,
Et les tranfports de l'allegreffe ,
Et les accès de la fureur :
C'eſt écho qui ſoupite encore
Zéphyre qui careffe Flore ,
L'Amour qui charme un jeune coeur.
La feconde Ode fur le même fujet , eft
du Pere Chabaud , de l'Oratoire , Profef-
* Progrès de laMusique Lyrique , que M. Ramsan
a étendue de perfectionnée .
** Progrès de la Mufique inftrumentale.
A O UST. 1749. 167
feur de Rhéthorique à Boulogne , &
-Membre des Académies de Villefranche
& de Pau . Elle eft fous cette dévife : Veteres
revolavit artes , Horace,
Nous en donnons également ici quelques
ftrophes.
Strophe X.
L'oubli pour toi n'aura point d'ombres
La Peyronie ! envain la mort t'enleve à nous :
Ton nom , quand tu deſcends dans les royaumes
fombres ,
Eft indépendant de ſes coups,
*
Par tes dons génereux le criminel infame
De nos jours fortunés a prolongé la trame.
Son fupplice eft un double gain :
Par la mort même il nous fait vivre ;
Mutilé , fon corps eſt un Livre ,
Utile à tout le genre humain.
Strophe XII.
Trop long-tems votre petiteffe * ,
Infectes , vous valut nos injuftes mépris.
Sur vous l'obfervateur , qui connut votre adreffe,
A fixé nos regards furpris ;
* Leprogrès de l'Anatomie , par les fondations qu'a
fait M. de la Peyronie à Saint Côme ¿ à la Faculté
de Médecine de Montpellier.
* Progrès de l'Hiftoire naturelle.
168 MERCURE DE FRANCE.
Le docte Réaumur découvre un nouveau monde ;
Que d'animaux vivoient fur la terre & dans l'onde,
Qui n'exiftoient point à nos yeux !
Les Cieux me peignent ta puiſſance ,
Grand Dieu ! mais ton intelligence ,
Dans un Ciron , je la vois mieux .
L'Académie a adjugé le prix de Phyfique
, dont le fujet eft , Les animaux &
les métaux ne deviennent-ils électriques , &c.
à une Differtation qui eft du Pere Beraut ,
Jefaite , Profeffeur de Mathématiques -à
Lyon.
ESTAMPES NOUVELLES.
E. Sieur Moyreau , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une nouvelle Eftanpe , intitulée
, l'Abreuvoir Hollandois , n ° . 62. dè fa fuite.
Cette Eftampe eft gravée d'après un Tableau de
Wouvermens , qui eft dans le Cabinet de M. de la
Haye , Fermier Général .
On trouve chez le Sieur Odieuvre , Marchand
d'Estampes , rue des Mathurins , une Eftampe nouvelle
du portrait du Prince Charles Edouard
Stuard , peint par le Sieur Toqué , & gravé par le
Sieur Bafan. Le même Marchand débite une autre
Eftampe , qui a pour titre , Vue & Perspective
de Londres du côté de la Tamife . Cette Eftampe
eft gravée par le Sieur Tardieu , d'après le Tableau
du Sieur Charles- Léopold de Grevenbroeck.
Le fuccès brillant de l'Abregé Chronologique
de
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
THE
NEW
YORK UBLIC
LIBRARY
. ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
A O UST. 1749. 169
de l'Hiftoire de France , par M. le Préfident Hemault
, ayant encouragé le Sieur Odieuvre , à former
une fuite complette des portraits des François
Illuftres , il avertit le Public , qu'il a employé
tous les foins pour la rendre auffi parfaite qu'il eft
poffible . Dans le cours de ce mois , il expotera en
vente tous les portraits gravés qu'il a préparés pour
cet ouvrage.
L
E Sieur le Rouge , Ingénieur Géographe du
Roi , vient de publier un nouveau plan de
Paris , dans lequel on a eu foin, de marquer les
fauxbourgs & les marais , tels qu'ils font aujourd'hui
, ce qui le rend entierement different des
anciens.
Q
CHANSON .
Ui la voit un jour feulement ;
Voudroit ne plus voir qu'elle :
Sans peine on dévine comment .
Ce charme-là s'appelle.
**
D'autres auront de plus beaux traits
Et vous plairont moins qu'elle ;
Amour m'a dit par quels fecrets ,
C'eft qu'elle eft mieux que belle.
MICH
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Dans les yeux eft un afcendant ,
Dont voici le myſtère ;
Son efprit s'y peint chaque inſtant ;
Jugez s'ils doivent plaire .
****************
SPECTACLES.
E Mardi 1 Juillet , l'Académie Royale de
L as Leycierde
Mufique au remis fur fon Théatre les Caractéres
de Amour , Ballet héroïque , repréſenté
pour la premiere fois le 15 Avril 1739. On peut
s'inftruire dans l'Avertiffement , du mérite des differentes
Mufes à qui le Public doit les vers de ce
Ballet , & de fa premiere deftinée ; cette feconde
édition eft précédée d'une Epitre Dédicatoire à
Monfeigneur le Dauphin , où l'Eloge fincere &
mérité de fon illuftre Epoufe , & celui de notre
augufte Moñárque , ne font pas oubliés.
Dans le Prologue , le Théatre repréſente l'e
de Cythere dans une belle nuit : Venus paroît au
milieu de fa Cour , qui célébre avec la Déelle les
avantages de la nuit . L'Amour defcend des
Cieux , il évoque les ombres des Poëtes renommés
, les invite à publier fa puiflance & la gloire
, & fait le partage des trois Actes du Ballet des
Caractéres de l'Amour dans ces vers .
51 705
Rendez- lui le tribut qu'il exige de vous ,
Il eft conftant , il eft jaloux ,
Et quelquefois il eft volage ,
Mais il eft , quel qu'il fait , digne de votre hommage.
II
A O UST. 1749. 171
>
Un Ballet figuré , ingénieufement compofé , &
bien exécuté par Miles Mimi & Lani & les
Sieurs du Moulin , Aubri & de Vifle , exprime
agréablement ces trois caractéres .
Dans la premiere entrée , deſtinée à l'Amour
conftant , le Théatre repréfente la Fontaine de
Vauclufe , fi renommée par les promenades de
Laure , & tant chantée par l'amoureux Petrarque ;
ce Poëte fameux y revient après une longue abfence
& des périls effuyés , il y rencontre fon ami
Octave , ordonnateur d'une Fête qu'Alphonfe
Prince fouverain d'Avignon , prépare pour Laure
qu'il prétend époufer . Petrarque , par Pindulgence
d'Octave, affifte à la fête, déguifé fous la figure du
Dieu du Rhône ; fa jaloufie éclate ; il eft reconnu
& plaint par Laure , menacé par Alphonfe , qui
vaincu par fa générofité , lui pardonne & unit ces
deux amans fi dignes d'être heureux , d
La deuxième entrée eft remplie par Elmire ,
Princefle Afriquaine ; Arfane , Prince Africain , fon
amant, & Almanfor , fon rival , Prince Sarrazin &
Magicien. La jaloufie y paroît perfonifiée, & évoquée
par le Magicien , elle triomphe & immole
les trois amans à fa fureur.
La troifiéme entrée , confacrée à l'Amour vo
lage , fe paffe dans un agréable féjour champêtre,
où l'inconftance regne fur des coeurs ordinairement
fidéles , & amufe le fpectateur par des fcénes
vives & legeres , & par un divertiffement qui termine,
au gré du Parterre , ce Ballet, dont la Mufi.
que gracieufe eft de la compofition de M. Collin
de Blamont , Sur - Intendant de la Mufique de la
Chambre du Roi, M Lani , Compofiteur des danfes
de l'Académie Royale de Mufique , a fait briller
fon génie & fon goût.
Les Comédiens Italiens ont donné une Piece
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
再
dans le goût ultramontain , intitulée , Arlequin ,
Roi par hazard , qui a plû par ſo ſpectacle & fes
lazi. Le petit Vincent y a danfé avec l'aimable Camille
, & ils ont été foit applaudis.
Les mêmes Comédiens ont remis au Théatre la
Comédie de la Surpriſe de l'Amour , de M. de Marivaux.
Mlle Sylvia , felon fa coûtuine , a charmé
les Spectateurs par fon jeu égaleshent naturel &
fin, & le Sieur Riccoboni s'eft ſurpaſſé dans le rôle
de l'amant.
CONCERTS A LA COUR.
LeSamedi,ar le 23,& leMela
E Samedi 21 Juin , le Lundi 23 , & le Mer-
Reine , le Prologue & les cinq Actes de l'Opéra
d'Atis . Les rôles ont été chantés par les Demoifelles
Chevalier , Fel , de Selle , d'Aigremont ; &
par les Sieurs de Chaflé , la Garde , Jeliotte , Poirier
, Dubourg , Richer & Godonnefche.
Le Samedi 18 , on chanta le Prologue & le
fecond Acte de l'Opera de Tarfis Zelie , de
Mrs Rebel & Francoeur, Sur Intendans de la Mufique
de la Chambre du Roi Les Demoitelles
de Selle & Mathieu en remplirent les rôles , ainfi
que e Sr Benoît .
Le Samedi 12 Juillet , le Lundi 14 , & le Samedi
19 , on executa à Compiègne chez la Reine
POpera d'Iphigenie . Les Demoifelles Laiande ,
Mathieu , de Selle , Canavas , Godonnefche & Bezin
, en ont chanté les rôles , ainfi que les Sieurs
Benoît , Poirier & Dubourg.
A O UST . 1749. 173
AVERTISSEMENT
Sur les Nouvelles Etrangeres & fur le
Journal de la Cour , &c.
L les
Es Auteurs du Mercure ont toujours
négligé d'avertir que , foit pour
Nouvelles de Politique & de Guerre , foit
pour le Journal de la Cour & de Paris ,
ils ont , de tems immémorial , copié mot à
mot la Gazette de France . Tant que M.
Remond de Sainte Albine a compofé ces
deux Ouvrages périodiques , cette omiffion
étoit plus excufable chez lui que chez
un autre. A préfent qu'il n'eft plus chargé
de la Gazette , il fe feroit un fcrupule de
garder là - deffus plus long- tems le filence.
Il annonce donc qu'il continuera de fuivre
l'ufage établi , mais que ne devant à l'avenir
avoir d'autre part aux articles mentionnés
ci- deffus , que le foin de les faire
tranfcrire ou tout au plus abreger , il ne
prétend point fe faire honneur d'aucun
de ces articles.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
說洗洗洗潔淡淡淡淡淡淡渐渐淡淡
NOUVELLES ETRANGERES .
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Mai.
Na arrêté depuis quelques jours plufieurs
particuliers qui tenoient des difcours féditicux.
Le Grand Seigneur , qui avoit été indifpofé
dans le commencement de ce mois , fe poite
beaucoup mieux , L'arrivée d'un courier des frontieres
de la Perfe , a donné lieu à la tenue d'un
grand Divan , après lequel il a été dépêché plufieurs
couriers.
Le Capitan Bacha , commandant la Flotte def
tinée pour aller faire le recouvrement des fommes
dues au Grand Seigneur dans les mes de
l'Archipel , fous le nom de tribut , a mis à la voile
hier :on dit qu'il eft chargé d'ordres fecrets pour
examiner dans fa tournée la conduite de plufieurs
Officiers publics , contre lefquels il y a des plaintes
, & de les punir , s'ils fe trouvent coupables ,
ou par la privation de leurs Charges , ou par la
mort.
•
Il est arrivé hier un courier de Babylone ; depuis
qu'il a remis fes dépêches au Grand Vifir
le bruit court que le nouveau Bacha , envoyé par
le Grand Seigneur dans cette Ville , après y avoir
fait fon entrée en triomphe , avoit fait arrêter une
quarantaine de perfonnes du parti contraire , auf
quelles il avoit fait couper le tête , afin que cet
exemple en imposât aux féditieux , dont le nombre
augmente tous les jours .
Les , trois Députés de la Régence d'Alger furent
admis à l'audience du Grand Vifir ; on dit
A O USTA 175 1749
que l'objet de leur venue eft d'obtenir du Grand
Seigneur quelques Vaiffeaux de guerre pour
être en étar d'en impofer aux Puiffances Chrétiennes
, lefquelles , à ce qu'ils ont affûré , méditent
de concert de les attaquer. Le bruit court que ces
Députés n'ont pas été bien reçûs ; que le Grand
Vifir leur a reproché les excès aufquels ils fe portent
tous les jours par leurs pirateries , fans égard
même à lafoi des Traités , leur notifiant , que s'ils
ne changeoient de conduite , le Grand Seigneur
leur retireroit fa puiflante protection.
S
D'ALGER , le 25 Mai.
+
Ur le bruit qui s'eft répandu , il y a quelques
jours , que le Port d'Oran fe remplifloit de
Vaiffeaux , qu'on y faifoit de grands préparatifs
de guerre, & que les Espagnols avoient pour objet
mre entreprife contre cette Ville , afin de punir la
Régence d'avoir fouffert que les Corfaires donnaflentla
chaffe à leurs Bâtimens, le Gouvernement
a ordonné à tous les Bayts , Caitz , & autres Chefs
de Milice , de raffembler leurs troupes , & qu'el
les fuflent en état de marcher au premier commandement.
La crainte d'un bombardement a
fait prendre auffi differentes mefares pour mettre
cette Ville à l'abri de la bombe. Tous les poftes voifis où l'on pourroit craindre une defcentel, -font déja renforcés
; les fentinelles
de nuit pour crier Palette , ſont doublées , & l'on travaille fans relâche à mettre les Châteaux
& les ouvrages en état de faire une bonne défenfe , en cas que les Efpagino s parviennent
à en faire le fiége dans les
formes .
W
tlfe tint le 17 de ce mois un Divan , dans lequel
il a été déliberé ſur toutes les autres mefures qu'il
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE.
falloit prendre pour le garantir de l'attaque dont
PEtat eft menacé. Il a été décidé que toutes les
troupes fe porteroient fur le rivage , & qu'elles
feroient les derniers efforts pour empêcher que les
Espagnols ne fiffent une defcente.
Le Contre Amiral Frenfel , commandant les
Vaiffeaux de guerre , fervant d'eſcorte à quatre
Flutes Hollandoifes , que les Etats Généraux des
Provinces-Unies envoyent chargées de préfens
pour la Régence , arriva le s du mois paffe dans
cette Ville , & eut une audience du Dey le 7 ;
M. Frenfel étoit accompagné de M. Paravicini ,
Conful de la Nat on , du Comte de Byland &
de M. Heemkerke , Capitaines , en préfentant la
Lettre , dont il étoit chargé de la part de leurs
Hautes Puiffences , il fit un compliment ſur l'objet
de fon arrivée : il expliqua en quoi confil.
toient les préfens que la République envoyoit. Le
Dey marqua dans les termes les plus obligeans la
fatisfaction qu'il reffentoit de l'attention de leurs
Hautes Puiffances à l'égard des Algériens ; mais
M Frenfel , ayant fait apporter les préfens qu'il
avoit ordre de lui remettre en particulier , le Dey
àcette vue ne put contenir fa joie & les tranfports
, il s'écria , que les Etats Généraux étoient
de vrais amis de grands m's , & qu'il étoit aifé
d'en juger par la quantité & la richeffe de leurs
préfens
Le 3 de ce mois , il entra dans ce Port un Bâtiment
Vénitien , venant de Marſeille , chargé de
ſucre & de cire , dont les Corſaires de cette Ville
s'étoient emparés à la hauteur de Civita Vecchia ;
l'équipage a eu le bonheur d'échapper à l'efciaen
gagnant le rivage , à la faveur de la
Chaloupe . Le 10 , un petir Vaiffeau de Ragufe ,
que les Corfaires avoient amené le 7 , fut relâché ,.
1444
vage •
AOUS T. 1749. 177
Fe Capitaine ayant produit un fauve- conduit du
Grand Seigneur , par lequel fa Hauteffe accorde
fa protection aux Bâtimens de la République de
Ragufe , qui commercent , en confidération du
tribut qu'elle lui paye , & qui menace de fon indignation
les Vaiffeaux Turcs , & fpécialement
ceux de Tunis , de Tripoli & d'Alger , qui oferont
troubler les Ragufains dans leur navigation.
DE MOSCOU , le 23 Juin.
Il arriva le 22 du mois dernier , un courier extraordinaire
dépêché par le Gouverneur de Cazan,
avec la trifte nouvelle que le feu avoit réduit en
cendres cette grande Ville , Capitale d'une des
plus fertiles Provinces de Ruffie , fans qu'il eût été
poffible d'arrêter les progrès de l'incendie : elle fur
fentiere , qu'il n'eſt pas resté une feule maifon
fur pied. Ce fâcheux évenement a fait une fi gran
de impreffion fur l'efprit de l'impératrice , qu'elle
a ordonné que les précautions fuffent redoublées
ici , pour prévenir de pareils accidens Le contr'ordre
a été auffi envoyé dans la même crainte
au Directeur des Bâtimens , pour qu'il fit ceffer le
Palais de bors , auquel on travailloit pour loger
l'Impératrice , fon intention étant qu'il foit bâti
de pierre , pour ne pas être expofée aux rifques du
feu
Le Landgrave de Heffe- Hombourg a envoyé
ces jours paffés aux Bureaux des Affaires Etran
geres les titres qui l'autoritent à le mettre fur les
rangs comme Candidat , lorfqu'on procédera às
Election d'un Duc de Courlande. Ce Prince recommande
en même tems fes intérêts pour l'héré .
dité du feu Landgrave de Heffe- Hombourg .
L'Impératrice qui a été fort indifpofée , eft par
H. W
178,MERCURE DE FRANCE.
·
faitement rétablie ; fa Majefté Impériale s'eft rendue
le 3 de ce mois à la Maifon de campagne de
Perrowa ,où elle eft actuellement , tous les Miniftres
Etrangers font venus fui faire leur cour , & la féliciter
fur fa convalescence .
"
La Cour envoya la ſemaine paffée des ordres
dans les Villes Limitrophes de l'Ukraine , pour
qu'on tirât des magazins qui les approvifionnent ,
le bled dont elles pourront fe paffer , pour le verfer
dans cette Province , fa Majefté Impériale
ayant été émûte de compaffion , en apprenant par
les Députés , qui lui ont été envoyés à ce fujer ,
que les fauterelles avoient fait un fi grand ravage
dans ce Pays l'année derniere , qu'il n'y avoit
point eu de récolte , que les peuples y languif
foient , & qu'ils étoient à la veille de périr , à
quoins qu'ils ne fuffent promptement fecourus ,
On affûre qu'après la tenue d'un Confeil , où
PImpératrice a prefidé , il a été dépêché de nouveaux
couriers à Pétersbourg & en Finlande ; on
dit qu'ils portent un contr'ordre pour que la Flotte
qui devoit mettre en mer inceffamment , reftât dans
le Port , & pour fufpendre la marche des troupes
& leur embarquement.
L'Impératrice , le Grand Duc & la Grande Du
cheffe , font revenus le 20 en cette Ville , & dois
vent en partir de main pour le rendre au Monaftére
de Traitza , dans l'intention d'y paffer quelques.
jours. Sa Majesté Impériale , informée que le
Prince Jean , fils du Duc Antoine Ulrich de Brunf
wich , devenoit d'un âge à recevoir une éducation
conforme à fon rang , a fait choix elle-même
des fujets qu'elle a jugés dignes de ce foin : indépendemment
de tous les Maitres qu'elle a nommés
pourl'inftruire de tout ce que doit fçavoir un
Prince de fon rang , elle a ensore envoyé ordre.
A O UST . 1749 179
qu'on lui en donnât pour apprendre les Langues
Ruffienne , Allemande & Latine.
Tous les détails qu'on a reçûs de l'incendie
arrivé à Cafan , confirment la ruine de
grande Ville : rien n'a échappé aux flammes , &
jufqu'aux Archives du Royaume ont été confumées
par le feu ; il vient d'arriver un malheur
égal à Kalogua , Ville diftante de cette Capitale de
cent quatre- vingt werftes ; le dommage y a été
d'autant plus confidérable que tous les magafins
ont été brûlés entierement. Le 4 , le feu prit auffi
à un Village voifin de Perrowa , ou étoit alors
P'Impératrice & fa Cour , ce qui a été caufe que la
Majefté Impériale en eft partie le lendemain pour
fe rendre ici.
Le Comte de Beftuchef, Grand Chancelier , Le
rendit les auprès de l'Impératrice , pour recevoir
fes ordres , à l'occafion de plufieurs dépêches apportées
par differens couriers. Le lendemain , le
Général Bernes , Ambaffadeur de l'Empereur &
de l'impératrice des Romains , confera avec le
Grand Chancelier , & le 7 il dépêcha un couriera
fa Cour.
L'impératrice a envoyé ordre à Pétersbourg ,
pour qu'on habillat de neuf toute la Garde à pied ,
& qu'on lui diftribuât dix Etendarts , dont le premier
fera de fatin banc , relevé par une broderie
d'or aux deux côtés , avec les Armes de l'Empire
au milieu , les bords garnis de franges d'or, Les
neuf autres Etendarts feront de fatin rouge , auffi
relevés d'une broderie d'or.
DE STOCKHOLM , le 30 Juin..
Le Roi continue fon féjour à Carlberg , o fa
Majefté prend alternativement le plaifir de la
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
chaffe & de la promenade. On apprend de Carelfcroom
, Port fur la mer Baltique , qu'il s'y trouveactuellement
dix huit Vaiffeaux de guerre , & dix
Fregates , prêts à mettre à la voile , quand le befoin
l'exigera.
D'autres avis de Calmar , dans la Province de
Smaland , portent que l'on y avoit lancé à l'eau
ane Galére nouvellement conftruite , & que dans
deux autres Ports , à Westerwich & Norkoping,,,
il en avoit été mifes en mer deux autres , fous les
noms de Jankoping & de l'Ofirogotie.
Le Baron de Scheffer , Colonel au fervice de
France , vient d'obtenir une Compagnie dans le
Régiment des Gardes , & le Roi a accordé à M.
Morath , Capitaine du Régiment du Prince Guftave
, le titre de Major , & lui a permis de donner
fa démiffion pour fa Compagnie.
Le Marquis d'Avrincourt , Ambaffadeur de
France en cette Cour , a de fréquentes conféren
ces avec le Comte de Teffin , & les autres Minif
tres du Roi. Il reçut ces jours paffés un courier de
Norwege , dépêché par l'Abbé le Maire , Miniftre
de France auprès du Roi de Dannemarck ,
On ne doute pas que fa Majefté ne nomme in
ceffamment, un Miniftre pour aller réfider en An
gleterre , le Baron d'Hamilton qui avoit été choifi
pour s'y rendre , ayant fupplié le Roi de l'en difpenfer,
Le Sénéchal Jean. Guillaume Liliemberg.
vient d'obtenir le Gouvernement d'Abo , Ville
Maritime de la Province de Finlande..
>>
A O UST. 1749.3
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 4 Juillet.
L'Impératrice Reine a approuvé le Réglement
dreflé par le Comte de Choteck , Intendant
Général du Commerce des Provinces Héréditai
res , pour améliorer les Manufactures , & pour
procurer le débit des denrées de ces Provinces.
D
Le 8 du mois dernier , on s'apperçut ici d'un
tremblement de terre . Il dura une minute : le jour
fuivant , on fut effrayé par une feconde fecouffe
mais elle n'occafionna aucun fâcheux accident.
Le 12 , on fentit une troifiéme fecouffe.de trem
blement de terre , il ne caufa aucun dommage dans
cette Capitale , mais il n'en a pas été de même à
la campagne , où il y a eu plufieurs maiſons entr'ouvertes.
On apprend de Neuftadt , que les
Moines d'un Convent fitué dans les Montagnes
avoient été fi effrayés de l'ébranlement de leur
maifon , qu'ils s'étoient fauvés , & qu'un inftant
après elle avoit été convertie én maſure..
Deux Edits viennent d'être publiés : le premier
régle le tems de la durée des Foires , & les droits
percevoir fur les marchandifes & dentées qui s'y
débiteront. Le fecond Edit arrête les droits d'entrée:
& de fortie du tabac , tant du crâ du Pays .
que pour celui qu'en apporté des Pays . Etran
gers,
La groffeffe de l'Impératrice : Reine a été dé
clarée le 14 du mois dernier.
la
Dans l'Edit publié ces jours paffés , qui commue:
P ine de mort , dont étoit , puni ci- devant le
Grime de défention on promet à tous ceux qui
rêteront des déferreurs , loin cavaliers ou toli.
dass , uue: récompenfe, de vingt florins par tête,
182 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'ils feront remis entre les mains de la
Justice . Il est défendu par le même Réglement ,
fous peine d'une amende confidérable de leur
donner aucun azile , foit dans les Convents , ou
dans les maifons de féculiers.
Depuis que la Comteffe de Fuchs , Grande Maî.
Troffe de la Maifon de l'Impératrice , prend les
bains a Mannerfdorf , fa Majefté Impériale y fait
de tems en tems des voyages.
On apprend par les dernieres Lettres de Prague
, que le Corps d'artillerie qui eft en quartier à
Budweis & dans les environs , a commencé à faire
fes exercices , depuis Parrivée du Prince de Lichtenftein
qui en eftale Grand Maître.no , ri
Lestroupes quifont en garniſon en Boheme ,
Prague , à Pillen , à Egra , &c. ont ordre de fe te
nir prêtes à marcher pour les camps qu'on doit
former inceffamment. On travaille actuellement
pour qu'elles forent habillées de neuf.
da
L'impératrice Douairiere eft partie le 21
mois dernier pour le rendre à Hertzdorff , où ſa
Majefté Impériale doit paffer cé Elle ya
donné
audience le 24 à M. Blondel, Miniftre de Sa Ma-.:
jotte Très-Chrétienne.
T
f
La levée des recrues pourla Cavalerie eſt.com
pletve , mais on preffe avec chaleur celles de l'In
fanterie , & à mesure qu'il en arrive , on les fait
partir pour leur destination . Les Régimens de
Cavalerie- qui étoient répartis en Hongrie , font:
déja fortis de leurs quartiers , pour aller former less
Camps que l'Imperatrice Reine a ordonnés.
DE BRESLAU , le 6 Juillet.
La nuit du 21 au 22 du mois dernier , il y eu
ici un orage épouventable , dont les faites ont été
AOUS T. 1749. 183
:
les plus funeftes à trois heures après minuit , le
tonneire tomba fur un magafin rempli de cinq
cens milliers de poudre , & y mit le fu : le bruit
épouventable que cet horrible accident occafionna
, ébranla toutes les maifons de la Ville . Le dégât
à la campagne & aux environs occafionné par
la tempête , & par l'éclat de la poudre , a été fost
grand , & il y a péri un grand nombre de Btftiaux.
Le Gouverneur de cette Ville a fair percer dės
mailons , pour fervir de magazins aux effets des
particuliers dont les maiſons font ouvertes , & y
a fait porter des habitans bleffés , afin qu'ils y
trouvent de prompts fecours. Il a dépêché un
courier à Berlin pour rendre compte au Roi des
malheurs arrives en cette Ville.
DE DRESDE, le 7 Juillet.
t
On apprend de Warlovie que le Tribunal Af
fefforial travaille avec beaucoup d'affiduité aux
affaires du Royaume , & que le Grand Chancelier
Malachouski fe trouve régulierement aux féances.
Les mêmes avis ajoutent qu'il paroîtra dans peu
un nouveau Réglement pour augmenter les Fi
nances , qui améliorera le revenu de cette Cou
ronne , fans être à charge aux peuples , & qu'oneft
auffi occupé dans les Conférences , de trouver
les moyens de rendre le Commerce floriffant
& d'y donner plus d'étendue qu'il n'en a eu juf
qu'ici.
Par les dernieres Lettres de Cracovie , on eft
informé que le Prévôt de cette Ville eft mort
à Przifbyllawice , d'une petite vérole qui eft rentrée.
Les troupes de l'Impératrice de Ruffie , revenues
184 MERCURE DE FRANCE.
de Boheme en dernier lieu , ont été mises en garnifon
en Courlande & en Livonie . On écrit de
cette derniere Province , auffi-bien que de l'Eftonie
,qu'ils'en trouvoit un fi grand nombre dans ces
quartiers-là , que l'on avoit été dans l'obligation
d'en faire cantonner une partie dans les Villages
Voifins.
Le Maréchal Comte de Saxe arriva iei de Paris
le 22 leurs Majeftés l'ont reçû avec les témoignages
de la bienveillance la plus fincére . Toute
la Cour s'eft empreffée de fon côté de le féliciter
fur fon heureufe arrivée , & il n'y a perfonne qui
n'ait tâché de lui marquer le vrai plaifir qu'on en
reffenti..
ESPAGNE.
DE MADRID , le 8 Juillet.
E30 du mois dernier , le Roi , la Reine &
l'Infante, qui jouiffent d'une parfaite fanté,
partirent du Château d'Aranjuez pour se rendre
au Palais du Buen - Retiro Le 24 , Fête de S. Jean-
Baptifte , dontle Roi de Portugal porte le nom ,
la Cour fut fort nombreufe , & leurs Majeftés recurent
à cette occafion les complimens des Miniftres
étrangers & de tous les Grands de cette Court
Don Jofeph Cantelmo Estuard, Duc de Popoli,
Prince de Peterano , Grand d'Eſpagne de la premiere
Clatie , Chevalier del'Ordre de Saint Jan»
vier , Commandeur de POrdre d'Alcantara , Gentilhomme
de la Chambre du Roi en exercice pour
Cette année , & Lieutenant Général des armées
de sa Majefté , mourut en cette Ville le 17 du mois
paffé , âgé de cinquan e fix ans Il n'étoit pas
moins recommandable par les fervices importans
A O UST. 1749 185
2
1
C
qu'il a rendus , que par fa naiffance diftinguée.
M. Keene , Miniftre Plénipotentiaire du Roi de
la Grande Bretagne , vient de dépêcher un courier
à Londres , par lequel il envove un ordre de fa
Majefté Catholique , pour la reftitution de tous les
Bâtimens Anglois enlevés pa les Eipagnols depuis
l'expiration du terme indiqué dans les pré iminaires
de Paix, fignés à Aix la Chapelle . Conféquem
ment aux Conférences tenues à cette occafion
entre les Miniftres des deux Puffances , il a é é reglé
que fa Majefté Britannique ordonneroit la
même reftitution en faveur des Négocians de cette
Couronne, qui fero dans le même cas . Avant
que Don Ferdinand Pignatelli partit pour fon
Ambaffade auprès du Roi Très Chrétien , leurs
Majeftés lui ont fait remettre de magnifiques pré-
Lens , pour les rendre de leur part à ſon arrivée en
France à l'Infante Ducheffe de Parme.
On affûre que le Comte de Sade qui eft parti
pour le rendre à Turin , en qualité d'Ambaffadeur
de fa Majeflé auprès du Roi de Sardaigne , a ordre
de remett e au Duc de Savoye le portrait de
Irfante Marie Antoinette.
Le Roi a nommé l'Abbé de Grimaldi , fon Miniftre
auprès du Roi de Suede. Cet Abbé a réfidé
ici , il y a quelques années , en la même qualité ,
de la part de la République de Céves .
Le Comte de Flemming , Miniftre de Suéde ,
arriva ici la ſemaine derniere .
Le Roi travaille avec beaucoup d'affiduité aux
affaires de l'Etat , & à mettre un fi bon ordre dans
les Finances , que les dettes occafionnées par la
derniere guerre , puiffent être libérées fans être à
charge à fes peuples. Sa Majefié a déja obtenu du
Pape un Bref, par lequel Sa Sainteté permet au
Roi de lever un indult de trois pour cent , fur tous
186 MERCURE DE FRANCE.
les revenus Eccléfiaftiques , tant à la nouvelle Efpagne
qu'au Pérou . Ce moyen fouinira des
fommes confidérables , & il eft d'autant plus à
fa place , que le Clergé en Amérique qui y
poflede des biens immenfes , n'a preſque point
contribué , ou du moins fort peu , aux charges
publiques & aux frais de la derniere guerre.
ITALIE.
DE CIVITA VECCHIA , le 29 Juin.
4
A permiffion accordée ces jours paffés au
Smirne , de mettre à terre plufieurs paflagers qui
étoient fur fon bord , & differentes marchandiles
dont il vouloit faire le tranfport , a penſé occafionner
ici un foulevement général . La populace s'eft
attroupée , a couru en foule chez le Commandant
de la Place , & a demandé à grands cris que cette
permiffion fût révoquée . Sur les enquêtes qu'on
fit auffi-tôt pour être informé des raifons qui
avoient occafionné cette rumeur , on apprit que
le peuple fe perfuadoit que fi le débarquement
dont il étoit question fe faifoit , il en résulteroit la
communication du mal contagieux contre lequel
on eft actuellement en garde dans tous les Ports .
*En vain a - r'on voulu faire comprendre à cette pcpulace
allarmée , que fa terreur étoit frivole , rien
n'a été capable de la calmer ; pour la raffûrer & la
faire rentrer dans le devoir , il a fallu révoquer la
permiffion accordée , & envoyer ordre au Vaiffeau
Suédois de remettre à la voile , & de fortir fur
le champ de ce Port.
AOUST. 1749 187 .
1
$
1
DE GENES , le 9 Juillet.
Le Patron d'un Navire venant de Cadix , richement
chargé , qui eft arrivé , il y a quelques jours,
dans cette Rade , a rapporté qu'il avoit rencontré
à la hauteur du Cap de Palo , un Vaiffeau de guerre
de Malte , deux d'fpagne & deux Chebecqs ,
qui croifoient dans les Mers de Catalogne , & qui
donnoient la chaffe aux Corſaires de Barbarie . On
eft informé par la même voye , que l'on attend
avec d'autant plus d'impatience à Cadix le retour
de la Flotte de la Vera Crux & de la Havanne ,
que l'on eft perfuadé dans ce Port , que le projet
d'attaquer les Barbarefques , fuppofé que l'Elpagne
Pait réellement formé , n'aura lieu que lorf
que cette Flotte fera arrivée .
Le crédit de la Banque de Saint Georges com
mence à fe rétablir ; les Billets de cette Banqué
font augmentés depuis quelques jours de quatre
pour cent. La commiffion établie pour cet effet
travaille affiduement aux moyens de lui rendre
#fon ancien crédit .
On apprend de Livourne , par un Vaiffeau Anglois
, arrivé en cinq jours de Navigation , que
les Algériens font dans la confternation , à cauſe
des nouvelles qu'ils ont reçûes des armemens que
differentes Puiffances Chrétiennes vont mettre en
mer pour les punir de leurs Pirateries , & que
Régence de cette Ville a envoyé des ordres pour
que les Corfaires qui fe préparoient à fortir du
Port , dans le deffein d'aller en courſe , ne miffent
point à la voile.
la
188 MERCURE DE FRANCE
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES Le
, Juillet.
17
L
E 7 de ce mois , le Roi partir du Palais de
Kenfington pour aller à Clermont , Terre appartenante
au Duc de Newcaſtle, & fit l'honneur à
ce Seigneur de dîner avec lui . Plufieurs perfonnes
de confidération y furent invitées. Sa Majesté retourna
le foir à Kensington .
La Compagnie des Indes Orientales s'aflembla
extraordinairement le 2 de ce mois ; l'affaire concernant
les obligations données par le Gouverneur
de Madras , & le Confeil de cet établiffement
, au mois de Septembre 1746 , fut appellée
devant les Proprietaires & examinée par des Jurif
confultes. Conféquemment à leur décifion , il fut
réfolu unanimement que ces obligations , felon les
loix , devoient être acquittées à la réſerve d'une
feule de cent trente mille Pagodes , au profit de
Gouverneur Mourſe , dont il falloit fufpendre le
payement attendu que le Gouverneur & le Confeil
de Madras ont manqué au devoir de leur charge
, & par leur conduite font trouvés coupables
de fraude , & que dans le cas que la Compagnie
put prouver que les poffeffeurs de ces obligations
fuffent complices du monopole , elle feroit en
droit de fe pourvoir contre eux en Juftice ; en
conféquence de cette décifion , la propofition fur
faite d'acquitter les dettes obligatoires , à condi
tion que ceux qui s'en trouvent les poffeffeurs, autoriferoient
la Compagnie par un écrit qu'ils figueroient
, à uftifier la fraude , & à fe pourvoir en
Juftice contre ceux qui s'en trouveroient coupables
, foit que ce fuffent les poffeffeurs des obliga
tions ,ou le Gouverneur , où le Confeil de Madras
AOUS T. 1749. 189
Après de vifs débats , cette propofition paffa à la
negative , & l'affaire demeura fufpendue fine die.
La principale ratfon qui a porté la Compagnie
à
prendre ce parti , c'eft l'espérance qu'elle a conçûe
de recouvrer dans peu les Regiſtres & les pa-
Epiers que les François ont enlevés, orfqu'ils fe font
emparés de Madras & du Fort de Saint Georges ,
mn'étant pas douteux qu'ils ne foient rendus avec
cette Place , ce qui mettant alors la Compagnie à
pportée de vérer le fait , elle le trouvera en état de
juger faisement & équitablement la conteftation .
Le Brigantin Anglois le Thomas Marie , appartenant
à Scarbouroug , Ville de la Province
Yorck, pris, il y a quelques mois , par le Turpin ,
Armateur de Dunkerque , doit être reftitué dans
peu aux proprietaires , parce qu'il a été prouvé
que ce Vaiffeau avoit été enlevé depuis l'expiration
du terme porté par le Traité de Paix . Le Roi
Très Chrétien a ordonné qu'il fût rendu , & que
le Corfa re payât les frais & dommages convenables
pour ce fujet.
On publie affirmativement que le Roi de Pruffe
a envoyé ici une fomme d'argent pour acquitter
Pemprunt qu'il a fait , il y a quelques années , &
qu'il a hypotequé fur la Silefie L'intérêt des neuf
années de cet emprunt , eft fur le pied de fept pour
cent par an,
190 MERCURE DE FRANCE
**********
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 29 Juin , le Roi alla à Choify , & Sa Majeſté
L'en revint le 2 Juillet.
Le 3 de ce même mois , le Roi alla au Château
de la Meutte , & Sa Majeſté fit dans le Bois de
Boulogne la revue des deux Compagnies des
Moufquetaires de fa Garde.
Madame la Dauphine coucha le 25 du mois de
Juin à Gizors ; le lendemain elle arriva à Forges ,
& le 27,
elle commença à prendre les eaux .
Le Roi a difpofé de la Charge de Prevôt & Mai
tre des Cérémonies de l'Ordre du Saint Efprit ,
qu'avoit feu M, Amelot , en faveur du Marquis de
Brezé , Lieutenant Général de ſes Armées.
Sa Majesté a donné la Charge de Maître d'Hôtel
Ordinaire de la Reine, vacante par la mort de
M. Fournier , au fils de M. Helvetius.
Le Maréchal Duc de Belle- Ifle fut reçu le 30
Juin à l'Académie Françoife , & il fit fon difcours
de remerciment , auquel l'Abbé du Refnel, Directeur
, répondit au nom de l'Académie...
Le 3 du mois dernier , les Actions de la Compa
gnie des Indes étoient à dix fept cens trente livres,
les Billets de la premiere Lotterie Royale , à cinq
cens quatre- vingt- dix huit , & ceux de la feconde à
cinq cens foixante-feize .
Le Roi partit le 4 Juillet du Château de la Meutte
, accompagné de Monfeigneur le Dauphin &
de Madame Infante , d'où Sa Majeſtė arriva à
Compiegne le même jour.
A O UST. 1749. 191
La Reine & Meldames de France ne s'y rendi
rent que le 7.
Le , l'Infante Ifabelle eyy arriva dans les caroffes
du Roi.
Madame la Dauphine continue avec fuccès à
prendre les eaux à Forges . Depuis que le tems s'eft
remis , au beau , la Princeffe va les prendre à la
Fontaine. L'empreffement de lui faire la cour y
attire tous les jours la Nobleſſe de la Province , &
une grande affluence de perfonnes de differentes
Villes des environs.
Le 10 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens quarante- cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens
quatre-vingt- dix neuf, & ceuxde la feconde àcinq
cens foixante - dix- huit.
Le 13 , la Reine accompagnée de Monſeigneur
le Dauphin & de Mefdames de France , fe rendità
1'Eglife de la Paroiffe du Château , &. Sá Majeſté
y affifta à la grande Melle.
L'après midi , la Reine alla entendre les Vêpres
dans l'Eglife du Monaftere des Religieufes de la
Congrégation de Notre- Dame.
Le foir , le Roi & la Reine , accompagnés de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame Intante &
de Meſdames de France , aſſiſterent au Salut du
Saint Sacrement dans l'Eglife Royale & Collégialeide
Saint Clément.
Le 16 , la Reine fe rendit au Convent des Reli
gieufes Carmélites , qui célébroient la Fête de Notre
-Dame du Mont-Carmel. Sa Majefté y entendit
la Grande Meffe , & communia par les mains
de l'Archevêque de Rouen , fon Grand Aumônier,
L'après midi , elle aſſiſta aux Vêpres & au Sermon
du Pere Bouchot , Gardien du Convent des
Cordeliers de Noyon , & le foir elle entendit le
Salut!
192 MERCURE DE FRANCE.
Le 17 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-huit cens quinze livres les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à fix cens , &
ceux de la feconde à cinq cens quatre vingt.
BENEFICES DONNE'S.
E Roi a accordé l'Abbaye de Saint Martin de
Rouen , à l'Abbé de Gouyon , Aumônier de la
Reine
Celle de Morigny , même Ordre , Diocèle de
Sens , à l'Abbé Drouas , Vicaire Général de l'Archevêché
de Sens..
Celle de Ferrieres , même Ordre , même Diocê .
fe , à l'Abbé Onic , Aumônier du Duc d'Orléans.
Celle de Fontaine- le Comte , Ordre de Saint Auguſtin
, Diocèſe de Poitiers , à l'Abbé de Ribeyreys.
Celle de Marvilles Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Cambray , à Dom Doffegnies , Religieux
du même Ordre .
#
Celle de la Piéte- Dieu , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Troyes , à Dom Morice , Religieux du
même Ordre
Celle d'Arrouaife , Ordre de Saint Auguftin ,
Diocèle d'Arras , à Dom Saladin , Religieux du
même Ordra
L'Abbaye de Saint Jean le Grand , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe & Ville d'Autun , à la Dame
le Beck.
Celle de Saint Remy , près Villers- Cotterêts ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèle de Soiffons , à la
Daine de Chanut.
Le Prieuré de Moutons , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle d'Avranches , à la Dame de Vargemont.
NAIS
A O UST. i749 . 195
諾洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗:洗落
NAISSANCE, MARIAGES
Morts.
E 12 Juillet , eft né & a été baptifé Cefar- Louis-
Marie François- Ange , fils de Claude Conf
tance-Cefar de Houdetot , Comte de Houdetot , Seigneur
de la Paroiffe de Saint Germain de Noards
en Normandie , Chevalier de l'Ordre Militaire
de Saint Louis , & Capitaine -Lieutenant des Gen
darmes de Berry , & d'Elizabeth Sophie- Françoife
de la Live. Il a été tenu fur les Fonts de Baptême
par Louis -Denis de la Live de Bellegarde , fon
ayeul maternel , Seigneur d'Epinay, la Chevrette ,
la Briche , &c. repréſenté par Ange Laurent de la
Live de Jully, fon fils , & par Marie- Louiſe - Françoife
Fillion de Villemur , veuve de Louis Pierre ,
Comte de Houdetot , & époufe d'Alphonfe- Marie-
Louis , Comte de Saint Severin d'Arragon ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Miniftre d'Etat ,
Lante paternelle.
Le Comte de Houdetot, pere de celui qui donne
lieu à cet article , étoit fecond fils de feu Charles
de Houdetot , Marquis de Houdetot , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Lieutenant Général
de la Province de l'Ile de France , & Commandant
pour le Roi dans la Comté de Bourgogne
, mort le 5 Juin 1748 ; & de feue Catherine-
Magdeleine - Thérefe Carrel , morte le 4 Janvier
1749 .
Le Comte de Houdetot eft de la feconde branche
de fa Maifon , une des plus anciennes de Normandie
, où elle eft connue par les Titres & les
Hiftoires depuis l'an 1934 ; les armes, de toute an
I
194 MERCURE DE FRANCE.
cienneté , font d'argent à une bande d'azur diaprée
d'or de trois pieces , celle du milieu chargée
d'un lion , & les deux autres d'un aigle à deux têtes,
le tout d'or. Voyez cette Généalogie bien détaillée
dans l'Hiftoire des Grands Officiers de la Couronne.
Tom . 8. fol. 16. ¿e.
Le 17 Février
, Louis -Thomas
, Comte
de Humes
de Cherify
, Seigneur
de Ville- Dieu , Deminats
, & autres
Lieux
, Capitaine
de Cavalerie
,
époufa
dans la Chapelle
du Château
de Flogny
,
entre Tonnerre
& Saint Florentin
, Marie-Elizabeth
de Braque
, fille de feu Paul-Emile
de Braque
,
Marquis
de Braque
, Comte
de Loches
, Seigneur
du Luat , Pifcop
, & autres
Lieux
, & de Marie
Genevieve
Amiot
.
Louis-Thomas eft fils de Louis- Benigne , Comte
de Humes de Cherify , Capitaine de Cavalerie au
Régiment de Turenne , & d'Armande -Jeanne-
Blanche Hue de Miromenil.
La Maifon de Humes , originaire d'Ecoffe , eft
une des plus anciennes & des plus grandes de ce
Royaume. Ceux de ce nom en étoient les premiers
Barons. Voyez, Sainte Marthe , Etatgénéral
del Europe , publié en 1680.
Georges de Humes paffa en France fous le regne
de François I. avec Robert Stuart depuis
Maréchal de France fous le nom d'Aubigny ,' Prince
-de la Maifon Royale d'Ecofle , & obtint des Let-
-tres de Naturalité au mois de Juin 1534.
Antoine de Humes , Seigneur de Cherify & de
-Sancy , Gouverneur de Montbelliard & de Flavigny
, prit alliance dans la Maifon de Stuart par
-fon mariage du premier Septembre 1571 , avec
Martine Stuart, Dame de Quicerot, Jours , Samboc
& Vermanton , niéce du Maréchal d'Aubigny , en
-préfence de Robert Stuart ; Seigneur de Vefigues
fon frere.
A O UST. 1749. 195
,
Jean de Humes , Lieutenant des Gardes du
Corps , obtint en récompenfe de ſes ſervices rendus
au fiége d'Amiens le 9 Juin 1611 une perfion
de 2400 livres , & le 30 Juillet 1615 , il fut nommé
Gouverneur du Marquis de Verneuil , frere naturel
de Louis XIII. 1
Charles Antoine de Humes fut nommé Colol-
Lieutenant du Régiment de Condé , par Brever
du 25 Juillet 1648 , & Maréchal de Camp le IS
Août 1652 Louis- Thomas , qui donne lieu à cet
article , eft fon arriere petit- fils.
La Mailon de Braque eft ancienne & illuftre:
Elle a contracté des alliances avec les Maiſons de
Savoye & de Stuart , & elle a fondé le Couvent des
Peres de la Mercy, à Paris , près la rue de Braque ,
où eft encore un ancien Hôtel de même nom.
Le 9 Juin , Claude - Alexandre Touftain , Seigneur
de Crefimes- les Murs , & autres Lieux, Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
& fous-Lieutenant des Grenadiers à Cheval de la
Garde du Roi , époufa dans l'Eglife Paroiffiale de
Saint Gervais , Françoile Magdeleine Midy fille de
feu Claude Midy, Conſeiller du Roi , Auditeur en
fa Chambre des Comptes de Paris , & de Marie-
Jeanne le Marchand.
Claude- Alexandre eft fils de François Touftain ,
& de Marie de Mailly.
Le 14, Marguerite Baron , épouse de Pierre Montholon
, ancien Officier desVaiffeaux du Roi, mou-
_rut âgée de 44 ans , & fut inhumée à Saint Paul .
Le 21 , Marie - Charlotte d'Estampes , fille de
Philippe Claude d'Eftampes , Marquis de la Ferté
Imbaut , Colonel du Régiment de même nom ,
mourut âgée de 13 ans , & fut inhumée à Saint
Roch.
Le même jour , Charles Coffin , ancien Recteur
I ij
196 MERCURE DEFRANCE:
"
de l'Univerfité de Paris , & Principal du Collége
de Beauvais , mourut d'une fluxion de poitrine ,
dans la foixante- treizième année de fon âge , étant
né le 4 Octobre 1675 à Zufage , Bourg du Diocefe
de Rheims. Il vint à Paris en 1693 achever fes
études. Les progrès qu'il y fit , & les talens pour
- enfeigner , n'échapperent point aux yeux de M.
Rollin , alors Principal du Collége de Beauvais ,
qui en 1701 le nomma Régent de Seconde dans
ce Collége. Il fe diftingua dans cette place par un
grand nombre de pieces en profe & en vers , qui
furent imprimées chacune dans leur tems , & que
l'on trouve recueillies avec beaucoup d'autres
qu'il a faites depuis , dans un volume imprimé en
1727 chez Quillau , fous ce titre : Selecta carmina
Orationefque clariffimorum quorumdam in Univer-
-fitate Parifienfi Profefforum . Trois Harangues qu'il
prononça ; l'une en 1709 , fur les dangers & les
avantages des Belles Lettres , la feconde en 1710 ,
fur l'utilité de l'Hiftoire prophane , & la troifiéme
en 1712 , fur la mort du Duc de Bourgogne , lui fi
rent auffi beaucoup d'honneur.
2
•
En 1712 , M. Rollin s'étant retiré du Collège
de Beauvais , feu M. de Mefines , Premier Préfident
du Parlement de Paris , chargea M. Coffin de
l'adminiſtration de ce College , qui eft fous la direction
immédiate du Parlement , & au mois de
Juin 1713 , il fut établi Principal en titre .
Il fut élû Recteur en 1 ~ 18 , & continué l'année
fuivante . Son Rectorat fut illuftré par l'établiflement
de l'inftruction gratuite , projet formé par
le Cardinal de Richelieu , & que la faveur & la
protection de M. le Duc d'Orleans , Régeut du
Royaume , réalifa par les foins de seu M. d'Atgenfon
, Garde des Sceaux & Vice- Chancelier. Les
complimeus & les remerciemens que M. Coffin fit
A O UST . 1749. 197
au Roi & au Prince Régent , ont été imprimés,
ainfi que la harangue qu'il prononça au nom de
P'Univerfi é , fur l'heureuſe naiffance de Monfeigneur
le Dauphin.
Connu par fon talent pour la Poëfie facrée, plufeurs
Eglifes lui demanderent des Hymnes à leur
ufage , & le nouveau Bréviaire de Paris en contient
un grand nombre.
Il a été inhumé le 22 dans la Chapelle du Collége
de Beauvais , fur la Paroiffe de Saint Etienne
du Mont.
Le 23 , Jofeph Sevin , Comte de Quincy, Lieutenant
de Roi de la Province d'Orleanois , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis
mourut âgé de 7 ans , fur la Paroiffe de Saint
Roch , & fut tranfporté aux Feuillans .
>
Il avoit époufé en premieres noces Magdeleine
de Seve reuve d'Anne Poitiers , Seigneur du
Parc , morte le 20 Octobre 1729 , âgée de 1
& en fecondes nôces Marie- Magdeleine
Eugenie de Tournai d'Affigny d'Oify, morte le 11
Mai 1738.
ans ;
Il étoit fils d'Auguftin Sevin , Seigneur de la
Carbonniere , près de Brie- Comte Robert , & de
Françoile Clupion de la Boiffiere , petit - fils de
Charles Sevin , Seigneur de Quincy , Maître des
Requêtes , & de Marie le Maître , fille d'Auguftin
le Maître , Confeiller au Parlement.
ร
Cette famille eft ancienne dans la Robe . François
Sevin , ayeul de Chailes , étoit Préfident à la
Cour des Aydes. Il époufa Antoinette le Rebours ,
Dame de Quincy. Jean Sevin , Seigneur de Vitré ,
bifayeul de Charles , demeuroit à Orleans , & fon .
fils Macé vint s'établir à Paris .
Le mêmejour , Gabriel -Jean de Pleurre , Maître
des Requêtes , & Intendant de la Généralité de la
I iij
198 MERCURE DE FRANCE :
Rochelle , mourut dans fon Intendance, âgé d'environ
36 ans. Il avoit été reçû Confeiller au Parlement
en la feconde Chambre des Enquêtes le 26
Mars 1733 , & Maître des Requêtes au mois de Février
1741. Le 1s Janvier 1-42 , il avoit épousé
Adelaide- Sophic l'Epinau , fille unique de Nicolas
l'Epinau , & d'Anne Morel .
Il étoit fils de Jean - Nicolas de Pleurre , Seigneur
de Romilly , Confeiller au Parlement de Paris
le 20 Avril 1701 , & de Marie- Françoife de la
Porte , morte le 15 Avril 1713 , âgée de 32 ans.
Leas , Michel - Jofeph Serrion , Seigneur d'A
gleghen , mourut âgé de 5 ans , & fut inhumé à
Saint Germain l'Auxerrois.
Le 29 , Jean Bodinier , de la Paroiffe de Urriz ,
Dioceſe de Nantes , mourut fans fouffrir aucun
mal , âgé de 102 ans Il avoit toujours joui d'une
pleine fanté , & trois jours avant la mort , il avoit
été à la Meffe à une leue de diftance de fa demeure.
Le premier Juillet , Charles Coffin , Seigneur de
la Quaquetiere , & autres Lieux , Lieutenant Général
d'Artillerie de France, mourut , & fut inhumé
à Saint Jean en Greve.
Les , Magdeleine Andreas du Mefnil , époufe de
N. de Souligné, Confeiller, Secretaire du Roi , Maifon
& Couronne de France & de fes Finances
mourut , & fut inhumée à Saint Roch.
Le 6 , Angélique de Hautefort , veuve de Cefar-
Phebus , Marquis de Bonneval , mourut à Paris
dans la quatre vingt- onzième année de fon âge.
"
Le 7 , Marthe Vergez mourut à Vienne , près
de Nerac , dans la cent dixième année de fon âge.
Elle étoit veuve du nommé Louis Landis , mort depuis
environ deux ans , âgé de 104 ans.
AOUS Τ. 1749. 199
ARTICLE
Sur feu M. le Cardinal de Roban.
E 19 Juillet , Armand Gaſton - Maximilien de
Lohan ,Cardinal Prêtre de la Sainte Eglife Romaine,
du Titre de la Trinité in monte Pancio , tvêque
& Prince de Strafbourg , Landgrave d'Alface ,
Prince du S. Empire , Grand Aumônier de France,
Commandeur de l'Ordre du Saint Efprit, Proviseur
de Sorbonne , Abbé des Abbayes Royales de Saint
Waaft d'Arras , de la Chaife- Dieu , & de Foigny,
l'un des Quarante de l'Académie Françoiſe , &
Honoraire de celle des Infcriptions & Belles Lettres
, mourut à Paris en fon appartement du Louvre
, dans la foixante- feizième année de ton âge.
Son corps a été tranfporté le 21 en l'Eglife Paroiffiale
de Saint Germain l'Auxerrois , & de-là au
Convent des Religieux de la Mercy , lieu de ſa ſépulture.
Il avoit été élû Chanoine de Strasbourg le
Septembre 1690 ; reçû Capitulaire le 6 Septembre
1692, nommé Coadjuteur du Cardinal de Furftemberg
, Evêque de Strasbourg , le 28 Février 1701 ;
facré Evêque de Tiberiade le 26 Juin fuivant , dans
P'Eglife Abbatiale de Saint Germain des Prés , par
le même Cardinal de Furftemberg , qui en étoit
Abbé. Devenu Titulaire de l'Evéché de Strasbourg
en 1704 , il prêta ferment de fidélité au Roi le 15
Juin de la même année . Au mois de Juin 1706 ,
Sa Majesté lui donna fa nomination au Cardinalat
, & le Pape Clement X I. le créa Cardinal le
18 Mai 1712. Il reçut la Barrette des mains de Sa
Majefté le 21 Juillet fuivant . Après la mort du Car,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
•
dinal de Janfon , il fut nommé Grand Aumônier
de France , & en cette qualité Commandeur de
l'Ordre du Saint Eſprit , & il prêta ferment le 10
Juin 1713.
M. le Cardinal de Rohan étoit le quatriéme
fils de François , Prince de Rohan , qui a com
mencé la branche des Princes de Soubife , Ducs
de Rohan - Rohan , Pairs de France , & d'Anne
de Chabot , fille aînée de Henri de Chabot , Duc de
Rohan , Pair de France , & de Marguerite , Ducheffe
de Rohan.
François étoit fils de Hercules , Prince de Rohan
, Duc de Montbazon , Pair de France , & de
Marguerite de Bretagne , fa feconde femme.
Hercules , qui a fait la branche des Ducs de
Montbazon, Pairs de France , étoit fils de Louis VL
du nom , Prince de Guemené , & d'Eléonore de
Rohan , fa parente.
Louis étoit le fixiéme deſcendant de Charles de
Rohan Charles a fait la branche des Princes de
Guemené , il étoit fils aîné de Jean I. du nom ,
Vicomte de Rohan , & de Jeanne de Navarre ,
fille de Philippe , Comte d'Evreux , Roi de Na
varre , & de Jeanne de France. Par cette alliance ,
Jean 1. fut petit fils de Louis Hutin , Roi de France,
& beau-fiere de Philippe de Valois , Roide France ;
de Pierre , Roi d'Arragon ; de Gaſton , Comte de
Foix , & de Charles II . Roi de Navarre.
Le même Jean I. Vicomte de Rohan , étoit le
huitiéme defcendant d'Alain I. du nom , Vicomte
de Roban , mort l'an 1128 .
Alain I. étoit le troifiéme fils d'Eudon I. Comte
de Porhoer , Vicomte de Rennes , & d'Anne de
Leon.
Eudon I. étoit petit fils de Guemené , Comte de
Porhoet ,Vicomte de Rennes , vivant l'an 1008 .
AOUS T. 1749. 201
Tous les anciens monumens , qui concernent
cette Maiſon , prouvent qu'elle eft iffue de celle de
Bretagne , & tous les Hiftoriens , qui en parlent , -
rendent le même témoignage.
M. le Cardinal de Rohan foutenoit une origine .
fi illuftre par tout ce qui peut en relever l'éclat.
Avec l'extérieur qu'il avoit reçû de la nature , il
n'avoit prefque pas befoin des marques de fes dignités
, pour annoncer fa haute naiffance . La no-
Bleffe de fon ame répondoit à l'air de grandeur
qui brilloit dans fa perfonne ; & quelque confidérables
que fuffent fes revenus , à peine paroiffoientils
proportionnés à fon humeur magnifique & bienfaifante.
N'ayant ufé de ſes richeſſes & de fon crédir
,que pour faire le bien; ayant joint toujours, aux
qualités les plus propres à imprimer le refpect , celles
pár lefquelles on réuffit le plus à fe faire aimer, il eft
auffi juftement regretté aprés fa mort , qu'il a été
loué généralement pendant fa vie.
Le Sieur Hericé , Architecte de feu M. le Prince
de Carignan, vient d'achever au mois d'Avril 1749,
deux nouvelles Machines des plus fimples pour
récurer les ports de mer, rivieres, canaux , marais "
étangs , & c. L'une de ces machines eft à double
pelle grillée , qui opere des deux côtés . Elle eft
compofée de quatre treuils feulement , & peut
enlever ( à vingt pieds de profondeur ) tre te pieds
tubes en moins d'un demi quart d'heunre , avec
dix hommes.
ton
ces Ma-
La feconde pour le même fujet eft avec un moupour
faire entrer une pelle dans les forts tufs
que l'on peut rencontrer ; on évitera
chines les balancemens des pelles que
des eaux peuvent occafionner par
par
les courans
la maniere dont
I Y
202 MERCURE DE FRANCE.
les cordages des treuils retiennent ces pelles , lotfqu'elles
font defcendues & montées .
Ceux qui fe trouveront dans le cas d'en avoir
befoin , pourront voir la manoeuvre des modeles
chez M. Chapelet , joignant les Prêtres de l'Ora
toire .
ILy a près de trente ans que M. & Madame
Harrington , compofent , avec leurs enfans , differens
remedes pour le foulagement des malades.
L'intérêt qu'ils prennent à Putilité publique ,
les porte , quant à préfent , à donner avis d'une
pommade où remede extérieur dont ils ufent depuis
bien des années avec un fuccès toujours égal ,
& qui fans altérer l'économie animale , guérit en
peu de tems par la tranſpiration , les paralifies
goutte fciatique , & thumatifimes , amollit & rend
la liaifon & la force aux nerfs , en les allongeant
lorfqu'ils font raccourcis , & rappelle aux malades
leur premiere vigueur. Plus de cinq cens perfonnes
en ont reffenti les bons effets l'année derniere :
les uns extrêmement âgés, qui depuis quinze , vingt
& vingt- trois ans , avoient tenté les remedes ordinaires
, les eaux, &c . fans avoir reçu de foulagement ;
les autres qu'on ne pouvoit depuis bien des années
remuer qu'avec le drap de lit , par les cruelles douleurs
dont ils étoient tourmentés , ont éte guéris par
ce remede , & fe portent au mieux . M. Harrington
eft en état de faire voir quantité de Lettres de remerciemens
, Certificats , Actes paffés devant des
Notaires Royaux , Atteftations de beaucoup de
Meffieurs les Recteurs, Curés , Prêtres & Gentilshommes
, Gardiens ou Prêtres d'Hôpitaux , de Religieufes
Hofpitalieres , & autres de plufieurs perfonnes
de confidération qui affirment ces guéris
J
A OUST 1749. 203
fous , auxquels on peut d'ai leurs écrire , fi l'on
veut être inftruit de l'état actuel des malades gué
ris. Quoiqu'il y ait peu de jours que M. Har
rington foit à Paris , il indiquera des perfonnes
diftinguées qui y reffentent les bons effets de fon
remede , qui rétablit auffi les enfans noués ,
raffermit en vingt- quatre heures les nerfs des membres
démis : ce remede ne peut jamais faire aucun
mal , mais toujours beaucoup de bien.
&
M. Harrington fait fa réfidence en la Province
de Bretagne , fon adreffe eft à M. Harrington de la
Corderie , Chevalier de Saint Lazare , à fon Château
de la Brouffe, par Lamballe , à Matignon.
Ceux qui lui écriront auront agréable d'affranchir
le port.
Quelques affaires l'ont appellé à Paris , où il
pourra refter jufqu'au mois de Septembre , fi pendant
le féjour qu'il y fera , quelqu'un a befoin
de fon fecours , il fe fera un plaifir de le lui donner.
Il occupe le premier appartement au Caffé
Beaulieu , place Maubert,
2
NOUVELLES preuves des effets extraordinaires
des Gouttes du Général de la.
Mothe , qui font voir qu'elles font d'une
grande reffource dans les cas les plus critiques.
L
E troifiéme Juin 1749 , la Dame l'OEillot ;
demeurant à Paris , vieille rue du Temple , au
bout de la rue Paradis , a eu une perte de fang
des plus confidérables pendant deux fois vingtquatre
heures , après un accouchement fort la
borieux pour l'arrêter on la faigna deux fois ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ce qui la réduifit dans une foibleffe extrême , ac
compagnée d'un violent mal de tête jufqu'a
12 du même mois , où ce mal eft devenu à furieux
, qu'elle tomboit fouvent dans des espéces
de convulfions. Elle réfifta pendant deux jours ,
fans vouloir confentir à une faignée du pied qu'on
propofoit ; mais le mal de tête , les convulfions &
les faignemens de nés , devinrent fi exceffifs
qu'elle y confentit ; elle ne pouvoit pas même
prendre aucune nourriture fans vomir . Auffi - tôt
qu'il fut forti environ ` uune poëlette & demie de
Lang,la malade tomba dans une foibleffe convulfive
qui arrêta le fang , & qui dura vingt minutes.
Elle fut jugée fi mal enfuite , que l'Accoucheur affura
qu'à moins d'un miracle , elle n'avoit pas
encore une heure à vivre. Une feconde convul.
fion la reprit encore , ce qui fit juger au Pere Filiftin
, Carme Déchauffé , fon Confeffeur , qui
étoit préfent , que c'étoit fa derniere heure , d'autant
qu'on ne trouvoit plus de pouls.
Madame de Mars , tante de la malade , arriva
dans ce moment . Ayant déja vû des miracles
faits par les gouttes de M. le Général de la Mothe
pour des faites de couches ; elle prit fur elle de
lui en donner vingt gouttes , ce qui la ranima fi
bien qu'elle fut en état de recevoir les Sacremens.
Auffi -tôt apres elle lui en fitreprendre trente gouttes
, enfuite defquelles la vue prefque éteinte ,
auffi- bien que la parole , lui revinrent enfin
quelques heures après on lui en donna encore.
vingt gouttes , ce qui commença à donner au lait
un cours par les urines , avec des fueurs confidérables
, fur tout à la tête : le pouls revint dans fon
état naturel , les maux de tête diminuerent confidérablement
, & enfin à la faveur encore de quelquès
prifes , tous les maux ont difpărù , & le 29
A OUS T. 205 1749 .
du même mois de Juin , la malade a été entierement
en parfaite ſanté.
LETTRE aux Auteurs du Mercure.
C
Omme l'objet principal de vos travaux , Mef
•
j'ai crû que vous voudriez bien lui faire part d'une
découverte fort avantageule pour ceux qui font
dans le cas de faire ufage de remedes pargatifs :
les Medecins font toujours convenus qu'il feroit à
fouhaiter qu'on pût trouver quelques moyens pour
les rendre moins défagréables , non- feulement
pour éviter le dégoût qu'ils caufent en les avalant ,
mais encore pour empêcher que l'effomach ne les
rejette , & que l'on ne perde par ce moyen le fecours
que l'on en efpéroit , en caufant au malade .
une double occafion de dégoût ; plufieurs Artiftes
ont tenté jufqu'à ce jour d'enlever la fadeur de la
caffe , de la manne , du fené , & l'amertume de
la rhubarbe agaric leurs peines ont été inutiles ;
mais le Sieur de la Planche, Maître Apoticaire, rue
da Roulle , y a réuffi : il a communiqué fes décou
vertes à fes Eleves dans le cours de Chymie..
L
E Sieur Flechy , de Paris , ancien Chirurgien-
Major aux Armées & Hôpitaux du Roi , cidevant
Médecin & Chirurgien - Major en chef
desis troupes de Son Alteffe Electorale Palatine ,
Infpecteur Général des Hôpitaux , Chirurgien-
Major Civil des Duchés de Bergue & de Juliers ,
Profeffeur d'Anatomie à Duffeldorff , & Accoucheur
de la Cour , a cru devoir informer le Public
206 MERCURE DEFRANCE.
qu'il traite chez lui toutes les maladies Chirurgi
cales , & particulierement les Maladies Venerieanes
, & les humeurs froides , avec d'autant plus
de fuccès , qu'une longue expérience lui a acquis
une méthode fûre & parfaite , pour le traitement
& la guérifon de celles- ci , quelque invétérées
qu'elles foient. La réputation qu'il s'eft acquife ,
tant dans les Cours Etrangères qu'aux Armées ,
eft un préjugé légitime du fuccès qu'il fe promet
d'avoir à Paris. Il donnera gratis les avis aux pauvres
, depuis midi jufqu'à deux heures. Il demeure
rue Saint Denis , au Café , vis - à - vis la rue de la
Heaumerie , près la Porte- Paris .
L
E Sieur Rofa partira à la fin de Septembre
pour Lyon , pour recueillir les biens confidérables
qui lui ont été adjugés par plufieurs Arrêts.
Il donne avis au Public qu'il y diftribuera fes Bandages
pour les hernies , comme il faifoit à Paris ,
où il a guéri plus de huit cens perfonnes ; il guérit
hommes , femmes & enfans , fans aucune incifion
ni opération , fans prendre aucun reméde par la
bouche , & fans garder la chambre ; il poffède le
fecret de faire plufieurs fortes de bandages fans
fer , qui n'incommodent jamais , quelques exer.
cices que l'on faffe ; il avertit auffi les Dames qui
ont le nombril gâté , & qui cachent leur maladie
aux Médecins ou Chirurgiens , qu'il a le fecret de
guérir radicalement cette maladie , dont plus de
quatre cens perfonnes font mortes depuis le mois
de Janvier dernier , faute d'avoir déclaré leur maladie
, ou du moins l'ayant déclarée trop tard ,
la gangrêne s'y étant mife , & n'y ayant plus pour
lors de reméde .
Geux qui fe trouveront incommodés des fufdiAOUST.
1749. 207
tes maladies , n'ont qu'à lui envoyer la meſure
au jufte , prife fur la chair où le mal fe trouve , &
affranchir les ports de Lettres .
Sa demeure à Paris , eft chez le Sieur Flavigny
Traiteur , rue de la Calandre , près le Palais . Et à
Lyon , Place des Carmes , pres les Terraux.
AVIS AU PUBLIC.
LAveuve du Sieur Bunon, Dentiſte des Enfans de
France, donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue Sainte Avoye , au coin de la rue de Braque
, chez M. Georget, fon frere , Chirurgien , les
remedes de feu fon mari , dont elle a feule la
compofition , & qu'elle a toujours préparés ellemême.
Sçavoir: 1°. Un Elixir anti -fcorbutique qui raffer
mit les dents , diffippe le gonflement & l'inflam
mation des gencives , les fortifie , les fait recroître,
diffippe & prévient toutes les afflictions fcorbutiques
, & appaife la douleur de dents.
2º. Une Eau appellée Souveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffippe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des lèvres & des
joues , en fe rinçant la bouche de quelques gouttesdans
de l'eau tous les jours , elle la rend fraîche
& fans odeur, & en éloigne les coruptions , elle
calme la douleur des dents .
3. Un piat pour affermir & blanchir les dents ,
diffiper le fang épais & groffier des gencives, qui
les rend tendres & mo laffes, & caufe de l'odeur à
la bouche,
4° Une Poudre de Coral pou blanchir les
dents & les entreteni , elle em, eh. que le limon
208 MERCURE DE FRANCE.
ne ſe forme en tartre , & qu'il ne corrompe les
gencives , & elle les conferve fermes & bonnes ;
de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui
ont foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire de
les faire nettoyer. Les plus petites bouteilles , font
d'une livre dix fols .
Les plus petites bouteilles d'Eau Souveraine ,
font d'une livre quatre fols ; mais plus grandes que
celles de l'Elixir.
Les pots d'Opiat , les plus petits font d'une livre
dix fols.
Les boëtes de Poudre de Corail, font d'une livre
quatre fols.
Maniere defe fervir des remedes ci deffus ,
& leurs ufages.
Avant de fe fervir de l'Elixir , fi les dents font
chargées de tartre ou autres malpropretés , il faut
les faire nettoyer, & dégorger les gencives , enfuite
fe gargarifer trois ou quatre fois la bouche ,
plus ou moins par jour , de quatre à cinq gouttes
d'Elixir dans un demi verre d'eau tiede ou froide ,
felon qu'il y a de fenfibilité , même d'une demie
cuillerée d'Elixir pur, fi la corruption des gencives
eft plus forte , & frotter avec le doigt , en gargarifant
, & baffiner les endroits de la bouche qui
fe trouveront plus irrités , avec cet Elixir pur ,
s'il eft néceflaire. Pour la douleur des dents , on en
met dans la carrie avec du coton imbibé , & ón le
renouvelle.
On tire un grand avantage de l'Eau Souveraine
, lorfqu'on a la bouche échauffée & de mauvaife
odeur , les gencives tendres & les dents foibles
& branlantes , de même que lorsqu'il y a
quelques petits chancres ou boutons , foit à la
Jangue , aux lévres & à l'intérieur des joues. Pour
A O US. T. 1749.
2༠༡
les premieres circonftances , on fe rince la bouche
cinq à fix fois le jour , d'une demie cuillerée
de cette Eau , dans le quart d'un verre d'eau ,
comme pour l'Elixir , jufqu'à ce que l'échauffement
foit diffippé & les dents raffermies ; il fuffic
après , d'une ou deux fois par jour , le matin & le
foir. Pour les boutons ou chancres , on en met
une demie cuillerée , dans deux ou trois cuillerées
d'eau , qu'on roule dans la bouche , on renouvelle
de momens à autres pendant quelques demies heures
, ce qui fuffit pour diffiper cette incommodité,
L'Opiat blanchit & raffermit les dents , rétablit
le mauvais état des gencives ; il en diffippe
le fang groffier , qui les rend tendres & mollaffes
ce qui caufe de la mauvaiſe odeur pour plus d'effi
cacité , il faut faire ôter le tartre . On prend de cet
Opiat au bout d'une racine , d'une éponge ou
d'un linge , & on frotte les dents & les bords des
gencives autant qu'il eft néceffaire pour les rétablir
après quoi , une fois ou deux par femaine
fuffit.
Pour ceux à qui le goût fait préférer la Poudre
de Corail , ils s'en fervent de même que de l'Opiat
, avec une racine ou une éponge ; le cas où
on la doit préférer à l'Opiat , eft lorfque les gencives
font fermes & faines : elle empêche que l'une
& l'autre ne décheoient de cette perfection ,
elle
conferve la bonne qualité de l'émail & fa blancheur
, & le blanchit , quand cette perfection lur
manque.
On trouve auffi chez elle des Racines préparées &
des Eponges fines.
La veuve Bunon ofe affurer que le Public fera
auffi fatisfait de la bonté deſdits remedes , dont les
Dames de France ont uſé , qu'il l'étoit du vivant de
fon mari.
1
210 MERCURE DE FRANCE;
Ce qu'on doit obferver pour entretenir la
bouche propre conferver les dents .
ur Il est très important d'empêcher que le limon
ne féjourne fur les dents & les gencives ; p
y parvenir , il faut avoir l'attention de le rincer
la bouche tous les matins avant que de manger ;
pour cela , ilfaut fe fervir d'un cure dent de plume,
une petite éponge ou une racine , de quelque
bonne poudre ou opiat , avec de l'eau un peu
tiéde , un peu d'eau- de-vie , de vulnéraire , d'eau
fouveraine ou de lavande , diftilée à la commodité
on volonté des perfonnes : on prend de l'eau dans
la bouche , gargatifant & frottant avec le doigt ,
en comprimant les gencives du haut en bas à la
fupérieure , & du fens oppofé pour l'autre , on
prend le cure-dent enfuite pour dégager le limon
d'entre les dents , doucement , fans effort , & en
prendre de plus minces , s'il eft néceffaire ; après
quoi , on paffe un peu d'eau dans fa bouche , &
puis on prend l'éponge ou la racine , & on frotte
du fens droit les dents , & non de travers , & on
prend garde qu'il ne refte point de limon fur les
rebords des gencives ; & cela , pour éviter qu'il
ne fe forme un tartre ou chancre , & lorfque le
cure-dent , l'éponge ou la racine, ne peuvent ôter
le limon déja un peu attaché fur les dents , alors
il faut fe fervir d'un peu de poudre ou d'opiat ,
en frottant avec la même éponge ou racine , lé
gerement & n'en point mettre trop fouvent , ne
s'en fervant que lorfque les dents ne peuvent être
bien nettoyées fans ce fecours , & lorfque le tartre
eft trop attaché , & qu'il mange les gencives ,
il faut faire nettoyer les dents plus tôt que plus
tard ,, pour éviter le danger. Il faut habituer de
bonne heure les enfans à fe laver la bouche , &
AOUST. 1749. ΣΤΗ
avoir recours à l'oeil & à la main du Dentiſte au
befoin. Les jeunes femmes après leurs groffeffes
doivent faire examiner leur bouche , pour prévenir
la perte des dents , & les accidens qui s'enfuiil
faut auffi fe rincer la bouche après le
vent ;
repas.
50Z 302 522 506 JOE 50% 502 502 502 : 502 386 502 502 5
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi,
du 30
`Décembre 1738 , portant reglement pour .
l'adminiſtration des deniers communs du Corps &
Communauté des Marchands de Vin , & pour la
reddition des Comptes des Maîtres & Gardes du
dit Corps & Communauté.
AUTRE du 26 Avril 1746 , portant regie.
ment pour l'adminiſtration des deniers communs
du Corps & Communauté des Marchands de win ,
& pour la reddition des comptes des Maîtres &
Gardes dudit Corps & Communauté.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois
Avril 1749 , portant fuppreffion des Jurifdictions
des Prévôtés , Châtellenies , Prévôtés -foraines ,
Vicomtés , Vigueries , & toutes autres Jurifdictions
Royales établies dans les Villes où il y a des
Siéges de Bailliage ou Sénéchauffée ; & réunion
aux Bailliages ou Sénéchauffées desdites Villes.
ARREST du 29 , portant que les Négocians
acquitteront les quatre fols pour livre des droits des
Marchandifes qu'ils ont fait & feront venir de l'é
212 MERCURE DE FRANCE.
tranger , ainfi que le montant des foumiffions par
eux fournies pour raifon des mêmes quatre fols
pour livre fur les Marchandifes qu'ils ont tirées de
l'étranger depuis le mois de Mars 1746.
AUTRE du même jour , qui ordonne que le
heur Sanfon , Receveur des Confignations à Paris ,
remettra dans le jour de la fignification d'icelui ,
à l'Adjudicataire des Fermes Générales unies , une
fomme de quatre mille huit cens quarante - fept
livres quinze fols trois deniers , provenans de la
vente des biens immeubles faifis réellement fur
Jean Chaudun , Receveur des Gabelles à Brou ,
reliquataire , & ce , fans aucune diminution ni retenue
du droit de Confignation prétendu par ledit
feur Sanfon.
2
ORDONNANCE du 8 Mai , concernant
les Compagnies de bas Officiers de l'Hôtel Royal
des Invalides.
ARREST du 10 , qui ordonne l'exemption du
Dixiéme pour les Rentes créées par Edit du pré
fent mois.
'
AUTRE du 31 , qui permet aux Prieur &
Religieux de Saint Martin des Champs , de continuer
de tenir un Bac fur la riviere de Marne au
lieu d'Annet , & de percevoir , pour le fervice du.
paffage , les droits qui y font énoncés.
AUTRE du 10 Juin , portant reglement fur
la preftation de ferment & l'enregistrement des
Provifions des Officiers des Greniers à fel dans les
Bureaux des Finances.
A O UST. 1749. 213
AUTRE du même jour portant nomination
des perfonnes qui figneront les Coupons des Reconnoiffances
qui doivent être fournies par le
Tréforier de la Caiffe générale des Amortiffemens
aux acquéreurs des Rentes créées par Edit du mois
de Mai deraier,
AUTRE du même jour , qui fait défenfes à
toutes perfonnes , de quelque qualité & condition
qu'elles foient , de faire fortir des Provinces de
Flandre , du Haynault , de Picardie , d'Artois &
du Soiffonnois , pour l'Etranger , aucuns Lins ou
Filets gris ou écrus , ni aucuns Fils retors , qui ne
foient teints ou blanchis.
AUTRE du même jour , qui ordonne que
les Poffeffeurs des maifons & héritages , fitués
dans la Ville de Caen , & tenus de Sa Majefté en
fief , rôture , franc- bourgage ou franche bourgeoifie
, feront tenus de repréfenter leurs titres de
proprieté aux Receveurs & Contrôleurs Généraux
des Domaines de la Généralité de Caen , pour être
enregistrés & contrôlés,
ORDONNANCE du Roi du 6 Juillet ,
qui détend à fes Sujets , réfidens dans les Echelles
de Levant & de Barbarie , d'y acquerir des biens
fonds.
A VIS.
O
Des Auteurs du Mercure.
N prie ceux qui doivent des Mercures
, de les
payer dans le courant
de ce mois.
J
APPROBATION.
Ai lû par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le Mercure de France du mois d'Août
#749. A Paris , le premier Août 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY.
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Places FUGITIVES en vers &
"
Phébus & l'Amour , Ode Anacréontique ,
L'Abeille , Emblême de l'Amour ,
La gentilleffe & la beauté , réunies
3
22
25
27
Lettre de M. D. D. à M. Remond de Sainte Albine
,
Refléxions fur la transfufion du fang ,
29
33
Le Retour du Printems . Divertiſſement Paſto-
49
ral ,
Extrait
d'un
Difcours
Latin
fur la Paix
, prononcé
par le Pere
du Rivet
, Jefuite
, au College
des
des
Jéfuites
de Caën
,
S &
1
Parallele de Louis XV ayec Louis XIV , 72
Reflexions fur la nouvelle Carte de M. de
Thury ,
Madrigal ,
Naïs , Cantatille ,
78
84
85
87
90
Lettre touchant le vrai nom d'un Poëte François
du quinziéme fiécle ,
Amphion , Cantatille ,
Confeils d'un ami à une Dlle par un Auteur añonyme,
92
Lettre fur le Problême d'Arithmétique propofé
par M. Faiguet ,
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
97
106
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du Mercure
de Juillet ,
Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , des Beaux-Arts , &c .
113
ibid.
117
Lettre de M. Racine à M. Remond de Sainte Albine
, au fujet de l'Edition des Lettres de Rouffeau
,
138
139 Planches Anatomiques du Sr Gautier ,
Mémoire lû par M. Pereire dans la Séance de l'Académie
Royale des Sciences au fujet d'un fourd
& muet , auquel il a appris à parler ,
Programme de l'Académie des jeux Floraux , 159
Celui de l'Académie Royale d'Angers ,
141
Eftampes nouvelles & Plan de Paris ,
Chanfon notée ,
Concerts à la Cour ,
Spectacles ,
164
168
169
170
172
Avertiffement fur les Nouvelles Etrangeres & fur
le Journal de la Cour , & c.
Nouvelles Etrangeres ,
173
174
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c . 190
Bénéfices donnés ,
Naiflance , Mariages &Morts ,
194
193
Article fur feu M. le Cardinal de Rohan ,
Son Eloge ,
& c.
1.99
201
202
Machines pour récuter les Ports de Mer , & c. 201
Pomade les Paralifies , pour
Guérifon extraordinaire , opérée par les Goutes
de feu M. le Général la Mothe , 203
Secret pour rendre les médecines moins déa
gréables ,
Avis du Sr Flechy ,
Du Sr Rofa ,
De la veuve Bunon ,
Arrêts notables ,
-La Chanfon notée doit regarder la page
201
ibid.
206
2.97
211
169
i .
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
23
MERCURE
DE FRANCE,
1 1
DÉDIÉ AV ROI.
SEPTEMBRE . 1749 .
IGIT
||
UT
"
SPARGGAT
Chez
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S André .
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
M. DCC . XLIX .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
La
ADRESSE générale duMercure eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon . Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voirparoître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces on des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deſſus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions,
Ainfi il faudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. Remond de Sainte Albine.
PAIX XXX. SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE
. 1749.
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
LE PRINCE DE NOISY.
S
Ballet héroïque.
Ans doute les Habitans des Provinces
nous fçauront gré , de
leur faire lire un ouvrage ingénieux
, qui n'eft connu que de
la Cour , & d'un certain nombre de perfonnes
de cette Capitale. Ce Ballet a été
repréſenté devant le Roi , fur le Théatre
des petits Appartemens. Le Poëme eft de
M. de la Bruere , qui dans fon Ballet des
A ij
4 MERCURE DE FRANCE
Voyages de l'Amour , & dans l'Opéra de
Dardanus , avoit donné des preuves brillantes
de fon talent pour la Poëfie Lyri
que. Meffieurs Rebel & Francoeur , Sur
Intendans de la Mufique de Sa Majesté ,
out compofé la Mufique du nouveau Ballet
, & elle n'a pas été moins applaudie
que les paroles.
PERSONAGES,
Le Druide , Enchanteur , pere d'Alic.
Choeur de Gnomes.
Alie , fille du Druide .
Le Prince de Noify , connu fous le nom
de Poinçon , & amant d'Alie.
Un Druide , Grand Prêtre , & Ordonna
nateur des Jeux .
Druides , & Peuples des Gaules.
Un Suivant du Druide.
Moulineau , Géant & Magicien , amou̟-
reux d'Alie .
Suite du Druide , déguiſée en Saltimbanques.
Génies & Fées
SEPTEMBRE . 1749 .
CICACACSCava cacacaca
ACTE PREMIER .
Le Théatre repréfente l'endroit le plus
épais d'une Forêt , orné de Monumens
antiques , entre lefquels eft le Bufte de
Cléopatre on voit le Chêne facré où
l'on doit couper le Guy ; au pied eft un
Autel ruftique.
QUAUQUQUQYAHÝNY DUPERCEL DU KON
SCENE PREMIERE.
E
LE DRUIDE.
Sprits qui commandez aux ombres ;
Et qui tremblez fous mes loix ,
Sortez de vos antres fombres ,
Venez , accourez à ma voix.
Les Gnomes fortent du fein de la terre
à la voix du Druide.
Choeur des Gnomes.
Sortons , accourons à la voix.
Le Druide.
L'avenir , dont mon art fçait percer les ténébres ,
Ne m'annonce en ce jour que des objets funébres.
Le Ciel feroit - il le foutien
Du perfide ennemi qui me livre la guerre
A iij
6 MERCURE DE FRANCE!
Ce monftre , le mépris & l'horreur de la terre ,
Verroit-il fon deftin l'emporter fur le mien
Choeur des Gnomes.
D'un Oracle irrévocable
Obferve les décrets ;
Crains un danger redoutable ,
Si tu méprifes fes Arrêts.
Le Druide.
J'ai fuivi vos confeils , j'ai fait dès fon enfance
Conduire dans ces lieux le Prince de Noify :
Enfermé dans ce Bufte , il y garde en filence
Ce Glaive précieux , ma plus chere eſperance.
Je lui cache avec foin que mon coeur l'a choifi
Pour lui donner ma fille & ma puiffance.
Le fecret de fa naiffance
Doit refter enseveli
Jufqu'au jour de ma vengeance.
On danfe .
Le Choeur.
Contre l'Amour & fes traits
Défens leur foible jeuneffe :
S'ils connoiffent fes fecrets ,
A l'inftant ton pouvoir ceffe.
On danſe .
Le Druide.
Le Deftin a prefcrit qu'une heure chaque jour
Ils puiffent fe voir & s'entendre,
SEPTEMBRE. 1749.
Par leur fimplicité je cherche à les défendre.
Hélas ! c'eft un foible détour
Un regard éclaire un coeur tendre
Sur tous les fecrets de l'Amour.
Les Gnomes fe retirent.
SCENE I I.
LE DRUIDE , ALIE.
Seigneur
Alie.
Eigneur , déja l'heure s'envole ,
Poinçon devroit être en ces lieux.
Quoi ne verra- t'il point les Jeux ?
Le Druide.
Quel foin ! quelle crainte frivole !
Poinçon va paroître à vos yeux ..
Ma fille , occupez - vous du danger qui nous preffe
Contre l'Amour gardez bien votre coeur ,
Songez qu'un éternel malheur
Suivroit un inſtant de foibleffe .
Alie.
Je fçais combien je dois redouter fa fureur.
Vous me l'avez trop dit ..... Mais que Poinçon
paroiffe.
Le Druide touche avec fa baguette le
piédeftal du Bufte de Cléopatre. Poinçon
en fort ; il vole vers Alie , qui va au-devant
de lui avec le même empreffement .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Le Druide.
Pendant les Jeux facrés
L'Enchanteur cherche à me furprendre :
Préfidez tous les deux à ces Jeux réverés ,
Tandis que je vais vous défendre .
M
SCENE III.
POINÇON , ALIE .
Poinçon .
On coeur peut donc s'ouvrir au plaifir le plus
doux ;
Je foupirois déja de ne point voir Alie.
Ah ! je voudrois retrancher de ma vie
Tous les momens que je paffe fans vous.
Vous ne partagez point ma vive impatience ;
Le doux plaifir regne en ces lieux charmans ;
Il abrege pour vous les heures de l'abſence ,
Et j'en compte tous les momens.
1
Alie.
Cette retraite eft embellie
Par l'effort de l'art enchanteur ;
Mais aucun des plaifirs dont je la vois remplie ,
Aucun n'a ce charme flatteur
Que vous portez dans mon ame ravie .
Au fein de ces plaifirs , vous manquez
coeur ;
Quandje vous vois , je les oublie
à mon
SEPTEMBRE . 1749 . 9
Poinçon.
Que cet aveu m'eſt doux ! que mon fort eſt heureux
!
Alie.
Notre bonheur dépend de notre obéiffance .
Si le fatal Amour diſpoſoit de nos voeux ,
Nous fommes menacés des maux les plus affreux .
Poinçon.
Aidons - nous l'un & l'autre à braver fa puiffance.
Alie.
Quoi ! les piéges qu'il tend font ils fi dangereux ?
Poinçon.
On dit que fous fon esclavage ,
Par l'efpoir le plus doux il fçait nous attirer ;
Mais quel bien peut defirer
Un coeur que remplit votre image ?
A peine le mien tout entier
Suffit à l'amitié dont le noeud nous engage :
Loin de chercher aucun partage ,
Il voudroit fe multiplier ,
Pour vous aimer davantage.
Eh ! quel bien peut défirer
Un coeur que remplit votre image ?
Alie.
Vous peignez tous mes fentimens :
Les grandeurs , les tréfors , les plaifirs , les délices
>
A v
10 MERCURE DEFRANCE
Je les donnerois tous pour un de nos momens
Et je ne croirois pas faire de facrifices .
Enfemble .
Porte ailleurs tes enchantemnens ;
Fuis , Amour , tyran redoutable .
Alie.
Vous plaire , vous aimer , eft le bien véritable,
Enfemble .
Porte ailleurs tes enchantemens ;
Fuis , Amour , tyran redoutable.
Poinçon.
Je trouve dans vos yeux charmans
Un tréfor inépuisable
De plaifirs , de raviffemens.
Enfemble .
Fuis , Amour , tyran redoutable ,
Porte ailleurs tes enchantemens.
SCENE I V.
POINÇON , ALIE , LE
GRAND
PRESTRE , Ordonnateur des Jeux ;
Druides & Peuples qui viennent célébrer
la Fête du Guy facré.
Poinçon.
Vous , Divinité puiffante ;
Que nous cache l'horreur de ces Bois ténébreux,
SEPTEMBRE . 1749. LI
Recevez l'encens & les voeux
Qu'un peuple foumis vous préfente.
Le Choeur.
O vous , Divinité puiſſante , &c.
Poinçon.
De nos chants harmonieux
Que ce Bocage retentiffe ;
Que tout l'Univers applaudiffe
A la gloire de nos Dieux.
Le Choeur.
De nos chants harmonieux , &c.
On danfe.
Le Grand-Prêtre.
L'heure approche , il eft tems : venez , Miniſtręs
faints +
Du fer facré venez ariner mes mains.
Sur une Symphonie myftérieufe , on apporte
la Faucille d'or , & les Urnes dans
lefquelles on doit brûler l'encens.
Le Grand- Prêtre.
Prophanes , détournez vos regards téméraires,
Peuple fidéle , fuivez- moi
Aux Autels des Dieux de nos Peres.
Frémiffons tous d'un faint effroi ,
En célébrant ces auguftes Myftéres
Le Choeur
Frémillons tous , &c.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Poinçon.
Rameau divin , gage mystérieux ,
Quittez votre tige adorée .
Brûlez , encens , brûlez dans cette Urne ſacrée ,
Montez jufqu'au trône des Dieux .
Le Grand- Prêtre coupe le Guy facré ;
les Druides vont l'adorer : enfuite les Peuples
célébrent la Fête par
des danfes .
Poinçon , alternativement avec le Choeur.
Les ris & les jeux
Regnent dans ces lieux :
Sans chaînes ,
Sans peines ,
Tout flatte nos voeux.
D'un Dieu dangereux
Evitons les feux :
L'Amour de nos jours
Troubleroit le cours :
Les craintes ,
Les plaintes ,
Le fuivent toujours.
On danfe.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs.
H.
SEPTEMBRE 1749.
13
Le Grand-Prêtre.
S'il a d'abord quelques douceurs
Bientôt il fait fentir fa rage.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage , & c.
Le Grand-Prêtre.
7
S'il a d'abord quelques douceurs ,
Bientôt il fait fentir la rage.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs.
Le Grand-Prêtre , avec le Choeur.
C'eftun Soleil brûlant qui confume & ravage
Les champs où fon aurore a fait naître des fleurs.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs,
Poinçon au Grand-Prêtre,
Daignez m'apprendre à le connoître
Pour m'aider à l'éviter mieux.
Le Grand-Prêtre.
Quand on aime , on ſe donne un Maître.
L'esclave le plus malheureux
Eft plus libre cent fois que le coeur qui foupire ;
C'est pour l'objet aimé qu'il vit & qu'il refpire ;
Tous les fentimens , tous fes voeux
Dépendent de ce qu'il aime.
Un coeur vraiment amoureux
14 MERCURE DE FRANCE.
Devient étranger à lui-même ,
Pour être tout entier à l'objet de les voeux.
Poinçon courant vers Alie.
Dieux ! Quel trait de lumiere a paffé dans mon
ame !
C'étoit l'Amour , Alie....
Alie , avec effroi.
Ah ! Je lis dans mon coeur..
Quoi ! Le fatal Amour....
Poinçon.
Ne craignez point fa flamme :
Un fentiment fi doux peut- il être une erreur ?
On entend le bruit du tonnerre ; le Ciel
s'obfcurcit ; la terre tremble ; tous les Monumens
fe brifent. On voit , fur le piédeftal
du Bufte qui renfermoit Poinçon , le
Glaive d'or , qui jette une vive lumiere au
milieu de l'obſcurité.
SCENE V.
Les Acteurs de la Scéne précédente , un
Suivant du Druide.
Le Suivant du Druide.
LEE Ciel contre nous fe déclare.
Le Druide eft vaincu ; fon ennemi barbare
A mes yeux l'a chargé de fers.
SEPTEMBRE. 1749 19
Poinçon.
Hélas ! Mon imprudence a caufé ce revers.
Ce Glaive précieux du moins nous refte encore..
Il prend le Glaive magique.
Glaive cher & facré , daignez armer mon bras.
Alie.
Contre un Tyran cruel que pourriez-vous , hélas ?
Tout l'Enfer le feconde.
Poinçon.
Er moi je vous adore.
L'Amour qui vient de m'égarer ,
L'Amour m'encourage & m'éclaire ;
C'est lui qui va réparer
La faute qu'il m'a fait faire.
L'Ordonnateur.
J'approuve ces nobles tranſports.
Mais il faut du Tyran tromper la vigilance.
Venez , fuivez mes pas , vous fçaurez quels ref
forts
Peuvent fervir votre vaillance.
Venez, fuivez mes pas , courez à la vengeance.
Poinçon & le Chaur.
Courons, courons à la vengeance.
16 MERCURE DE FRANCE.
ACTE II.
Le Théatre représente les Jardins de Monlineau.
SCENE I.
MOULINEAU.
IL gémit dans les fers , ce Druide orgueilleux
Qui m'ofa refufer Alie :
La main qu'il dédaigna , l'accable & l'humilie ;
Malgré lui , je vais être heureux.
Efprits , qui fervez ma puiffance ,
Hâtez vous , conduifez Alie en ce ſéjour :
Que le triomphe de l'Amour
Suive celui de la vengeance.
Les Génies s'envolent pour aller chercher
Alie. On entend une fymphonic
gaye.
Quels fons !... Quels doux concerts !
SEPTEMBRE. 1749. 17
SCENE II.
MOULINEAU, POINÇON conduiduifant
les Suivans du Druide travestis en
Saltimbanques , qui arrivent en danfant.
Qu
Moulineau.
Uel fpectacle nouveau !
Poinçon à Moulineau.
Ces jeux vous font offerts,
Notre art eft de féduire ,
Notre gloire eft de le dire ;
Le plaifir nous inſpire ;
Offrez-lui , pour être heureux ,
Vos voeux.
Nos jeux
Scauront vous inftruire
Des loix qu'il veut preſcrire :
Cedez tous
A fon empire.
Quel deftin peut être plus doux
Pour vous ?
Qui le cherche , le voit paroître ;
Qui s'y livre le fent renaître :
Tout vous invite à dire avec nous ,
C'eft notre Maître.
Moulineau à Poinçon.
Quel eft ton fort
18 MERCURE DE FRANCE.
Poinçon.
Tout cede à mes charmes puiffans :
Je diffipe à mon gré la trifteffe fauvage ;
L'Amour vole à mes accens
Et le plaifir eft mon ouvrage.
Moulineau.
Pourſuivez vos jeux , j'y confens.
On danſe .
Poinçon , alternativement avec le Chanr.
L'éclat de la grandeur
N'eft fouvent qu'une erreur.
Cherchez-vous le bonheur !
Ecoutez votre coeur.
Un moment vient s'offrir ,
Vous devez le faifit :
On ajoute au plaifir ,
Lorfqu'on fçait en jouir,
Un coeur tendre
Doit attendre
De beauxjours
Filés toujours
Par la main des Amours:
Le Choeur.
Aimons , aimons fans ceffe ;
Redoublons nos feux ;
Le penchant qui nous preffe
Nous égale aux Dieux.
SEPTEMBRE. 19 1749.
Poinçonfeul.
La troupe légere
Des ris & des jeux ,
Du Dieu de Cythere
Vient former les noeuds.
Petit Choeur de femmes.
La raifon fe fait entendre ,
Elle vient pour nous défendre.
Poinçon feul.
Mais le coeur inquiet
Redit en fecret :
Aimons , &c.
On danfe .
Poinçon.
'A nos concerts l'Amour préfide ¿
Peut-on trop chanter ſes attraits
Du vrai bonheur feul il décide ;
A l'envi prévenons fes traits :
Si quelques maux fuivent fes chaînes ,
Doit-on craindre un doux lien ?
Un jour finit les peines ;
Le paffé n'eft rien.
On danfe.
Moulineau.
J'aimé , & de la beauté dont mon coeur eft épris,
Bien- tôt je me verrai le maître.
zo MERCURE DE FRANCE.
Que dites-vous ?
Poinçon.
Moulineau.
Alie à tes yeux va paroître ;
De ma victoire elle fera le prix.
Poinçon à part.
Je préviendrai ce moment redoutable.
Moulineau,
Apprens-moi le fecret de lui paroître aimable.
Poinçon .
Pour plairé, l'art ne peut prêter
Qu'une foible impoſture ;
C'eft le fecret de la Nature ,
Qu'en vain il voudroit imiter.
D'une ardeur fincere
Laiffez vous enflammer :
S'il eft un art pour plaire ,
C'eft de bien aimer.
Moulineau.
J'entens peu ce fubtil langage :
Je te charge du foin de lui vanter ma foi
Et moi je punirai le rival qui m'outrage ,
Poinçon.
Vous avez un rival ?
SEPTEMBRE, 21 1749.
Moulineau.
Rien n'eft caché pour moi :
Je poffede en ces lieux un Oracle infaillible ,
Il m'a dit qu'Alie eft fenfible.
Poinçon.
A-t'il nommé l'objet de fes defirs fecrets
Moulineau.
Un Prince de Noify que je ne vis jamais,
Poinçon.
Vous croyez que fon coeur.....
· Moulineau ,
La preuve en eft certaine ;
Jamais mon art ne m'a trahi .
Je vais de mon ennemi
Appéfantir encor la chaîne.
Attens ici mon retour ,
Et pendant que ce foin m'appelle ;
Prépare une fête nouvelle
Pour l'objet de mon amour,
Il fort.
SCENE III.
POINÇON &fafuite..
ALie en aime un autre ! Alie étoit parjure I
Quel trait empoisonné vient de frapper mon coeurà
Mais fi c'étoit une impofture ...
22 MERCURE DE FRANCE.
?
Que dis je , hélas ! & quelle eft mon erreur !
Qui peut à me tromper engager l'enchanteur
Toi , qui femblois fi bien m'entendre ,
Tu répondois à d'autres voeux !
L'amour qui brilloit dans tes yeux ,
Cet amour que j'ai crû li tendre,
N'avoit donc pour objet que mon rival heureux ?
Je fuccombe , je cede à mes maux rigoureux.
Le Choeur.
Trahirez vous notre eſpérance !
Poinçon.
La mort est tout ce que je veux.
Le Choeur.
L'Amour eft outragé , vivez pour la vengeance)
Le Druide enchaîné …… ..
Poinçon.
Quel reproche !
Le Choeur.
Poinçon.
Armez vous.
I languit dans les fers... & par mon imprudence.
Périſe l'enchanteur , qu'il tombe fous mes coups! ..
Le Choeur.
Périſſe l'enchanteur, qu'il tombe ſous vos coups.
SEPTEMBRE.
1749. 23
Poinçon.
N'efperons point de vaincre en ces lieux fa puiffance
;
Un fecours plus certain doit fervir mon courroux.
Au milieu de nos chants, préparez vos guirlandes ,
Déposez à les pieds nos magiques offrandes ,
Et bientôt le fommeil viendra fermer les yeux.
Il faut chanter l'Amour , fes plaifirs & ſa flamme,
Lorſque le déſeſpoir trouble & remplit mon ame.
Le tyran reparoît , recommencez vos jeux.
La fuite de Poinçon danfe autour de
Moulineau , & l'enchaîne avec les guirlandes
enchantées. Poinçon lui offre une
Couronne de fleurs.
Poinçon , alternativement avec le Chaur
Laiffez-vous couronner
De ces fleurs qui parent nos têtes,
L'Amour va vous enchaîner ,
Tout puiflant que vous êtes ;
Mais les fers qu'il veut vous donneṛ
Valent toutes vos conquêtes.
On danſe .
Moulineau,
Interrompez vos chants ; Morphée & fespavots
Me font reffentir leur puiſſance,
Attendez en filence
24 MERCURE DE FRANCE.
Mes ordres pour des jeux nouveaux.
Moulineau s'endort,
Poinçon.
Le charme eft accompli , frappons notre victime,
Ilfrappe Moulineau du glaivefacré.
De ce Monftre cruel j'ai purgé l'Univers,
A fa fuite,
Partez , & du Druide allez brifer les fers.
J
SCENE : IV.
Poinçon feul.
E ne puis réfifter au défir qui m'anime.
Je veux dans ce Palais refter quelques inftans ,
Interroger cet Oracle moi - même.
Une réponſe affreufe eft tout ce que j'attens ,
Mais pour condamner ce qu'on aime ,
Peut-on vouloirtrop de garants !
Ah dans le trouble que je fens ,
C'eft un bonheur extrême
Que de pouvoir encor douter quelques momens
ACTE
SEPTEMBRE. 1749. 25
ACTE III.
Le Théatre repréfente un Veſtibule du
Palais de Moulineau. On voit au milieu
un grand Portique , fur lequel eft
écrit , Temple de l'érité , & dans le fond
la ſtatue enchantée qui rend des oracles.
SCENE I.
POINÇON Seul.
LE voilà cet Oracle affreux.
Il me femble déja qu'il prononce & m'accable ;
Je marche, en frémiffant, vers ce lieu redoutable ,
J'ofe à peine lever les yeux.
En lifant l'infcription qui eft fur le portique.
Temple de Verité..... La vérité terrible
Habite donc fur cet Autel ?
Toi , qui vas d'un coeur trop
Combler le défeſpoir mortel ,
Adoucis ta lumiere horrible ,
fenfible
Ou permets -moi , s'il eſt poſſible ,
De détourner mes yeux de ton flambeau cruel.
Les Génies que Moulineau avoit envoyés
pour enlever Alie , l'amenent fur
un nuage qu'ils conduifent.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Choeur des Génies.
Triomphez , belle Alie , & regnez à jamais.
Poinçon.
Quels chants... Dieux , je la vois paroître $
Aux Génies.
Efclaves du Tyran , qui ferviez les forfaits ,
Il n'eft plus , j'ai puni ce traître.
Sous mes loix tremblez déſormais ,
Ou redoutez le fort de votre maître .
SCENE II.
ALIE , POINÇON.
Alie.
QUoi c'estvous ! Mon amant eft mon libérateur
?
Ah ! que c'eft un plaifir flateur
De tout devoir à ce qu'on aime !
Mon bonheur m'en paroît plus doux ,
Et les biens que je tiens de vous
Ont le charme de l'Amour même.
Poinçon à part.
Elle ofe feindre encor la plus fincere ardeur.
à part. à Alie.
L'ingrate .
.... Alie .... O Dieux :
Alie.
Quel trouble vous dévore !
SEPTEMBRE . 1749. 27
D'où naît cette fombre fureur ?
Quoi! ne m'aimez vous plus ?
Poinçon avec fureur.
Hélas ! je vous adore ...
Mais vous , n'efperez pas de me tromper encore ;
Je le connois trop bien , ce coeur qui m'a trahi.
Qu'entens -je ?
Alie.
Poinçon.
Vous aimez le Prince de Noify.
Mes yeux fe font ouverts fur ce myftere horrible.
Alie.
Dieux cruels ! quel affreux foupçon !
Pour la premiere fois j'entens nommer ce nom,
Poinçon.
L'enchanteur me l'a dit , fon art eſt infaillible.
Alie.
Et vous croyez plutôt un ennemi jaloux ,
Qu'une amante fimple & fenfible ,
Qui ne refpire que pour vous.
Hélas ! que mon coeur eft plus tendre !
Quand l'Univers entier
Contre vous le feroit entendre ,
Un regard fuffiroit pour vous juftifier.
Poinçon.
Eh bien, ſur cet aniour que votre coeur m'annonce
1
1
Bij
28 MERCURE DEFRANCE,
Que l'Oracle prononce.
Vous le voyez ... Je vais l'interroger.
Alie.
Non ,par ce doute affreux ceffez de m'outrager
Poinçon.
Eh quoi ! craignez-vous la réponſe
Alie.
Je voulois que votre amour
Vous répondît de ma flâme :
Mais fi l'Oracle feul peut r'affûrer votre ame,
Je vais l'interroger fans crainte & fans détour.
A l'Oracle,
Si la vérité t'infpire ,
Je ne crains point tes Arrêts ;
Dévoile de mon coeur tous les replis fecrets ,
Nomme l'objet pour qui ce coeur foupire.
Après une fymphonie mystérieuse , l'Oracle
prononce .
L'amant qu'Alie a choifi ,
Eft le Prince de Noify.
Les portes du Temple fe ferment ,
Poinçon défefperé,
Q Dieux !
Alie.
Non , c'est toi feul que j'aime.
4
SEPTEMBRE . 1749. 22
Garde-toi d'écouter un preſtige impofteur.
Quand le Ciel parleroit lui-même ,
Le Ciel feroit démenti par mon coeur .
Tu détournes de moi tes yeux remplis de larmes
Rougis.tu de t'attendrir
"
Par l'excès de mes allarmes ?
Poinçon.
Cruelle , laiffez - moi vous fuir .
Alie.
Non , non , je te fuivrai fans ceffe.
Tout espoir eft perdu pour moi :
Je me vone à jamais aux pleurs , à la triſteſſe ;
Mais je fouffrirai près de toi ;
Bientôt j'en mourrai peut - être.
Heureufe ,fi du moins le dernier de mes jours
Te prouve que mon coeur n'eut jamais d'autremaître
,
Et que ce fut mon fort de t'adorer toujours.
Poinçon.
Eh bien , tu le veux donc , ta victoire eft certaine,
Périffe cet Oracle affreux.
De tes douleurs le charme impérieux ,
Malgré moi , m'attire & m'entraîne.
Ah !fi je fuis trompé , fais que ce charme heureux
Toujours te fuive & m'environne ;
N'écarte jamais de mes yeux
Le bandeau que l'Amour me donne.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Alie.
A quels foupçons encor ton ame s'abandonne !
SCENE III .
Les Acteurs de la Scéne précédente ,
J
LE DRUIDE.
Le Druide à Poinçon.
Eune Héros , reprenez votre nom ,
Je puis enfin vous en inftruire :
Le Prince de Noify reſpire ,
Caché fous l'habit de Poinçon.
Alie & le Prince de Noify.
O Dieux par ce feul mot que vous calmez de
peines !
Le Druide.
L'Hymen va vous unir de fes plus douces chaînes,
Le Prince de Noify à Alie.
Oui , j'en fais le ferment ,
Des foupçons l'atteinte cruelle
Ne troublera plus votre amant.
Le Prince de Noify & Alie,
Oui , j'en fais le ferment ;
Oui , j'aimerai fi tendrement ,
Que vous ne pourrez pas devenir infidelle.
SEPTEMBRE. 1749. 31
Le Druide.
D'un jour fi beau rendons la mémoire éternelle .
Qu'un fuperbe Palais s'éleve dans ces lieux.
3 Et vous , Efprits , à mes ordres fidelles ,
Accourez à ma voix , Subftances immortelles.
Le Théatre change , & repréfente un Palais
éclatant ; les Génies & les Fées viennent
s'y rendre de toutes parts. On y voit
un Trône préparé pour le Prince de Noify
& pour Alie.
Le Druide aux Génies.
Que vos fons volent jufqu'aux Cieux ;
Chantez de ces amans le bonheur & la gloire ;
L'amour doit à leurs feux
Sa plus éclatante victoire.
Chaur des Génies,
Que nos chants volent juſqu'aux Cieux ,
Chantons , & c.
On danfe .
Le Prince de Noify .
Vole , Amour , regne fur nos ames ;
Tu triomphes , tu nous enflâmes :
Par l'attente de tes plaifirs
Ranime encore nos défirs:
Vole , Amour , regne fur nos ames ,
Tu triomphes , tu nous enflâmes.
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Pour annoncer à quel degré les danfes de
ce Ballet ont réuffi , il fuffit de dire qu'elles
font de la compofition du fieur de Heffe , Compofiteur
Ordinaire des Ballets des petits Appartemens
, & l'un des Comédiens Italiens de
Sa Majesté.
LETTRE
D'un Sçavant Genevois , à M. Remond
de Sainte Albine , fur les Evêques de
Geneve.
M connoître les RR . PP . Benedictins
Onfieur , n'ayant pas l'avantage de
qui travaillent à une nouvelle Gaule Chré
tienne , vous me permettrez de m'adreffer
à vous , pour leur faire parvenir ce que je
pourrois avoir à leur communiquer de relatif
à leur ouvrage. J'ai remarqué que
d'autres dans cette même vûe , ont eu recours
à votre Journal *. Il eft devenu entre
vos mains un Recueil de Piéces dont
la plupart font inftructives , & il n'y a
prefque aucun genre de Littérature , qui
n'y puiffe entrer aujourd'hui.
Le feul article que je toucherai ici ,
Mercure de France , Octobre 1748 , p . 72.
SEPTEMBRE. 1749 . 33
c'est celui des Evêques de Geneve. Quelque
habileté qu'ayent les nouveaux Edi- ·
teurs,quelque fagacité qu'ils ayent montrée
jufqu'ici à puifer dans les véritables fources
de l'Hiftoire Eccléfiaftique , il me femble ,
que quand il s'agit de donner la fuite des
Evêques d'un Diocéfe, ceux qui font actuellement
fur les lieux , peuvent connoître certains
faits , dont des Sçavans , qui travaillent
dans un autre pays, ne feroient jamais
informés , fi on négligeoit de les leur com
muniquer. Je me flatte que la difference
de Religion ne rendra point mes Mémoires
fufpects , mais ce que j'ai lieu de craindre
, c'eft qu'on n'y trouve bien des chofes
inutiles & fuperflues , parce qu'elles
étoient deja connues à Meffieurs de Saint
Germain-des-Prez. Après tout , le mal ne
fera pas grand j'aurai montré par là ma
bonne volonté à concourir à la perfection
d'un ouvrage auffi intéreffant , & il y aura
an moins un certain nombre de ceux qui
lifent votre Journal , & qui ont du goût
pour ces fortes de recherches , qui y ver
ront des particularités qui feront nouvelles
pour eux .
Nous avons plufieurs Catalogues , plus
ou moins anciens , de nos Evêques de Geneve.
Celui dont on fait le plus de cas ,
fe voyoit autrefois à la fin d'une Bible
R v
34 MERCURE DE FRANCE.
Latine du dixiéme fiécle , que l'on conferve
dans notre Bibliotéque publique . Il
ne s'y trouve plus ; mais Bonnivard , qui
étoit Prieur d'un Convent de l'Ordre de
Cluni , lors du changement de Religion ,
nous l'a confervé dans une Chronique
manufcrite que l'on a de lui. Ce Catalogue
paroît être originairement du dixiéme
fiécle , comme la Bible où il étoit inferé.
Il eft vrai qu'on y voyoit plufieurs Evêques
des fiécles fuivans , mais qui y avoient été
ajoutés d'une feconde main , avec le titre
de Subfequentes , pour les diftinguer de
ceux du Catalogue primitif. Guichenon
en eut une copie , qu'il communiqua aux
Freres de Sainte Marthe , qui s'en font
beaucoup fervis dans leur Gallia Chrifziana.
Nous avons encore une lifte des Evêques
de Geneve , dreffée par François- Auguftin
della Chiefa , qui vivoit au milieu du
fiécle paffé ( 4 ). Il étoit Evêque de Saluces.
Ughelli , dans fon Italie Sacrée , en
parle fort avantageufement. Il nous apprend
qu'il étoit Hiftoriographe du Duc
de Savoye , & que c'eft de lui qu'il tient
le Catalogue des Evêques de Saluces , que
l'on voit dans l'Italià Sacra ( b ). Il faut
( a ) Hift. Pedemont . Ch. XLVI . p . 345 .
(6 ) Tom. I. p. 1233. Edit . de Venfe.
SEPTEMBRE . 1749. 35
fuppofer qu'il y a mieux réuffi que fur les
Evêques de Geneve. On ne peut rien de
plus mal digeré , que ce qu'il dit des huit
ou dix premiers. Ce font des anachronifmes
continuels. Je pourrai en relever quelques-
uns dans la fuite , quand l'occaſion
s'en préfentera .
Le dernier Catalogue que je connoiffe ,
eft inferé dans le Miffel ou Rituel du Diocéfe
de Geneve , réimprimé à Annecy en
1747 , fur une édition précédente faite à
Rumilli , petite Ville de Savoye. Il eſt fort
ample & fort étendu . Il commence par
un Evêque de Geneve , qu'on nous donne
pour avoir été Difciple de Saint Pierre ,
& il finit par le Prélat qui fiége aujourd'hui
à Annecy.Ceux qui ont dreffé ce Catalogue,
ont profité de tous les précédens.
Ils nous avertiffent dans une petite Préface
, qu'ils ont auffi puifé dans la Chronique
de Saint Antonin , dans le Marty.
rologe Gallican de Sudauffai , & dans
d'autres bons Auteurs. On verra par-là ,
difent-ils , une fucceffion d'Evêques , non- interrompue
depuis les Apôtres , & prouvée
d'une maniere plus claire que la lumiere du
Soleil. Il me femble qu'ils promettent un
peu trop, Les véritables Sçavans , tels
les nouveaux Editeurs de Saint Germaindes-
Prez , ne font pas fi décififs. Ils recon-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
"
noiffent de bonne foi , que le Soleil qui
les éclaire dans ces fortes de recherches ,
eft fouvent couvert de nuages , & qu'il les
laiffe dans l'obfcurité . Ils fe trouvent fré-
-quemment arrêtés faute de lumiere. Ils
n'ont que de fombres lueurs , qui les obligent
de tâtonner pour pouvoir faire chemin.
On eft réduit à faire cet aveu , pour
peu qu'on fe pique de fincérité.
L'Hiftoire d'un Diocéfe doit commencer
par fixer le tems que le Chriftianifme
y a été établi , & c'eft ordinairement ce
qu'il y a de plus difficile. Dans les fiécles
paffés , chaque Eglife prétendoit avoir été
fondée , ou du tems des Apôtres , ou fort
peu après. Alors tous les peuples voufoient
tirer leur origine des Héros de
Troye , & toutes les Eglifes , ou des Apôtres
mêmes , ou de leurs Succeffeurs inmédiats.
Geneve a eu cette ambition comme
les autres. On a débité affez long- tems
que Nazaire , Difciple de Saint Pierre ,
étoit venu dans notre Ville ; qu'il y avoit
converti , entr'autres , Celfe , qui l'avoit
beaucoup aidé dans la fuite à y établir
l'Evangile. Cette tradition a été adoptée
dans le Gallia Chriftiana * . On la
trouve de même dans le Rituel d'Annecy .
T. II. P. $ 94.
SEPTEMBRE . 1749 37
A la tête de la Lifte des Evêques , on lit
ces mots : S. Nazarius B. Petri Apoſtoli™
Difcipulus qui S. Celfum , Civem Geneven
fem Evangelio peperit . On trouve quelque
chofe de femblable dans la Legende Dorée ,
& c'eft- là fa véritable place , car rien ne fent
plus la Légende . Nazaire ni Celfe n'ont
jamais été à Geneve. Un Hiftorien de
Génes a dit , que les Habitans de cette
Ville s'étoient éclairés à la prédication de
Nazaire & de Celfe , & il y avoit une
Eglife qui portoit leur nom. La reffemblance
du nom de Geneve & de celui de
Génes aura caufé l'équivoque . Il y a même
beaucoup d'apparence que chez eux ,
comme chez nous , Celfe eft un Prédica
reur imaginaire , & qui n'a aucune réalité
*.
Après avoir fait répandre à Nazaire les
premiers rayons du Chriftianifme dans
Geneve , on prétend que cette Eglife naiffante
prit des accroiflemens confidérables
L'Eglife de Milan pourroit auffi les révendiquer.
On lit dans l'Hiftoire Eccléfiaftique , que
Pan 394 , Saint Ambroise fit déterrer les corps des
Saints Nazaire & Celle qui étoient enterrés dans
un jardin hors de la Ville , & qu'il les fit tranfporter
à Milan dans l'Eglife des Apôtres , qu'on nom
moit La Romaine.
38 MERCURE DE FRANCE.
par
les foins de Paracodus , ou Paracodés ,
comme quelques autres le nomment. On
veut qu'il ait été un des foixante- dix Difciples
, & on le fait venir dans les Gaules
avec Denis l' Areopagite. Les Freres de Sainte
Marthe placent Denis & Paracodés dans
le fecond fiécle , & cela , pour s'être fiés
trop légèrement à certaines Lettres des
Papes , qui font reconnues aujourd'hui
pour fuppofées . La Chiefa met de même
Paracodés à l'an 195 , fur la foi d'une prétendue
Lettre du Pape Victor à cet Evêque.
Paracodés fut Evêque de Vienne , &
non pas de Geneve , quoique peut- être il
y ait fait annoncer l'Evangile en y envoyant
des Prédicateurs . La queftion eft
de fçavoir quand il a vêcu. Les Evêques
de Vienne font dans cet ordre . Verus ,
qui foufcrivit au Concile d'Arles en 314.
Juftus , Denis , Paracodés , & Florent qui
foufcrivit au Concile de Valence en 374 .
Paracodes vivoit donc vers le milieu du
quatriéme fiécle , & il y a beaucoup d'apparence
que c'eft -là la véritable époque
du Chriftianifme dans notre Ville . On ne
doit l'y chercher , que lorfqu'il eut déja
fait d'affez grands progrès dans les Gaules.
C'est ce que l'on a affez bien éclairci dans
SEPTEMBRE. 1749. 39
la derniere édition de l'Hiftoire de Geneve
*.
Le Catalogue des Evêques de Geneve ,
auquel j'ai donné la préference , & qui a
été tiré d'une ancienne Bible de notre Bibliothèque
, avertit dans une Préface , que
l'Eglife de Geneve a été fondée par Paracodus
, Difciple des Apôtres , & Evêque de
Vienne. Il faut remarquer que cette qualité
de Difciple des Apôtres ne doit pas être
prife à la rigueur , comme fi cet Evêque
avoit été leur contemporain. On peut
prendre ces termes dans le même fens ,
que Pallade appelle Saint Hippolyte Dif
ciple des Apôtres , pour dire leur Succeffeur
, quoique fort éloigné. C'eft en ce
fens que Gregoire de Tours dit de Saint
Saturnin , venu felon lui - même fous Déce,
qu'il avoit été ordonné par les Difciples des
Apôtres. On a donné le même titre à plufieurs
Fondateurs des Eglifes de la Gaule.
Une preuve que celui qui a dreffé ce
Catalogue, a pris ce terme dans cette étendue
, c'eft que le premier Évêque de Geneve
qu'il nomme, n'eft que du quatrième
fiécle. C'eft Diogenus , que d'autres nomment
Diogenés. Il affifta au Concile d'Aquilée
qui fe tint l'an 381. Voilà donc
*
Hift . de Geneve , 1730. Edit. in-4°. p. 17, dans
La note.
40 MERCURE DE FRANCE.
apune
date fûre , & il eft fatisfaifant de pouvoir
fe reconnoître dans ces tems ténébreux
. Mais ce qui altère un peu cette fatisfaction
, c'eft la prétention de l'Eglife
de Génes , qui dit que cet Evêque lui
partient. Voici fa fignature au Concile
d'Aquilée , Diogenus Epifcopus Genuenfis.
Cela peut marquer également Génes &
Geneve. Ughelli l'a placé parmi les Evêques
de Génes. Mais il reconnoît en même
tems que rien n'eft plus obfcur que
l'Histoire des Evêques de ce tems là , &
qu'il n'y a aucuns monumens pour l'éclaircir.
Il va plus loin ; il avoue de bonne
foi , que ceux qui avoient travaillé
avant lui à cette Lifte , y trouvant de trop
grands vuides , les avoient remplis du nom
de quelques Evêques qui nous appartiennent
inconteftablement , tels qu'un Maxime
& un Optandus. Pour donner auffi de
notre côté des preuves d'impartialité , je
crois que nous pouvons abandonner aux
Génois ce Diogenés , comme leur apparte-
- nant plus légitimement qu'à nous. Je fuis
d'avis au moins de nous en rapporter à la
décifion des nouveaux Editeurs , qui ne
manqueront pas de prononcer fur ce petit
differend .
Ce n'est pas feulement dans l'Hiftoire
Eccléfiaftique ,
, que la reffemblance des
SEPTEMBRE. 1749. 41
vrage
noms de Génes & de Geneve a mis de la
confufion ; on s'en apperçoit auffi dans
l'Hiftoire Civile. Il parut en 1713 un ouoù
l'on donne le Catalogue des Auteurs
qui ont écrit fur chaque Pays . Il eſt
d'un Théatin Italien , nommé Savonarola ,
mais qui a déguiſé fon nom ( a ) . On y voit
une Lifte de ceux qui ont travaillé fur
l'Hiftoire de Geneve , & l'on y en trouve
deux ou trois qui font évidemment des
Hiftoriens de Génes. Le pas eft fi gliffant ,
que le Pere le Long , avec toute fon exactitude,
s'y eft auffi mépris . On trouve , dans fa
Bibliothéque des Hiftoriens de France , le titre
d'une Hiftoire de Geneve , qui regarde uniquement
la Ville de Génes. L'Auteur eft
un Italien qui s'appelloit Bizaro (b ) .
Le Pere le Cointe veut auffi que l'on ait
confondu quelques Evêques de Geneve
avec ceux de Mende , dans les Cevennes
( c ) . Il trouve notre Catalogue fort
confus après Pappole , qui affiſta avec Pro
tais de Sion au Concile de Châlons ,
l'an 644. 11 prétend qu'on a mêlé nos Evê-
( a ) Alphonfi Lafor à Varca Univerfus Terrarum
orbis , c. Patavii 1713.
(b ) Genevenfis Senatus Populique rerumgeftarum
Annales , in-fol . Antuerpia 1579. n° . 15417.
( c ) Annal. Franc. Tom. IIl. ad ann. 644. nº。
36, & 37.
42 MERCURE DE FRANCE .
ques avec ceux de Mende . Le mot de Gebenne
, qui défigne quelquefois Geneve &
quelquefois les Cevennes , aura pû donner
lieu à l'équivoque. On connoît ce vers
de Lucain .
Gens habitat cand pendentes rupe Gebennas
Quelques Auteurs l'ont entendu de Geneve
, quoique le Poëte ait voulu parler
des montagnes des Cevennes. J'avoue que
fi l'on trouvoit dans un ancien Auteur le
titre d'Epifcopi G bennenfes , fans que rien
déterminât s'il s'agit des Evêques des Cevennes
ou de ceux de Geneve , on pourroit
d'abord fe trouver un peu embarraffé :
mais s'il s'agiffoit de ceux de Mende en
particulier , il n'y a plus moyen de les
confondre. Un Evêque de Mende fignoit
Epifcopus Gabalitanus , nom totalement different
de celui de Gebennenfis.
Il y a plus . J'ai oui dire à un homme de
Lettres , qui a fort étudié les antiquités de
notre Ville , que le mot de Gebenna , pour
défigner Geneve , n'eft pas fort ancien , &
n'étoit pas ufité dans le fiécle dont parle
le Pere le Cointe . Dans les tems reculés ,
le nom de Geneve étoit Geneva , comme
il paroît par les Commentaires de Céfar .
Dans la Table Théodofienne ou de Peutinger
, on lit Gennava . Dans Grégoire de
SEPTEMBRE. 1749. 43
Tours fenuba , & Jenuva * . Dans la vie
de Pepin , Janua. Ce ne fut que dans le
onzième ou douzième fiécle , que prefque
tous les Auteurs s'accorderent à appeller
Geneve , Gebenna. Voici la raifon qu'en
donne notre Sçavant. Il y a apparence ,
dit- il , que quelque Notaire de ce tems là ,
ou quelque demi- fçavant , voulant faire
l'habile , crut que Lucain avoit défigné
Geneve dans le vers que j'ai cité . Ce Notaire
, pour fe donner des airs d'érudition ,
commença dans fes Acts à appeller Geneve
, Gebenna , & il ne tarda pas à être
fuivi des autres. Il eft vrai qu'on objecte
à notre Sçavant un Pafinge d'Eginard où
on lit Gebenna , ce qui rendroit ce nom auffi
ancien que Charlemagne . Il répond qu'il
y a beaucoup d'apparence que les Copiſtes
ont alteré le texte original , & il allégue
pour
foutenir fon fentiment une note marginale
de Duchefne , où il avertit que
quelques manufcrits on lit Geneva.
dans
Le Pere le Cointe ajoute que dans un
certain efpace de tems notre Lifte paroît
avoir trop d'Evêques. Depuis Pappulus ,
qui eft le douziéme dans le Gallia Chrif
tiana , jufqu'au trente- cinquième , qui eft
Walternus ce Critique trouve l'eſpace
›
Liv. IV. chap 31.
44 MERCURE DE FRANCE.
trop petit pour en fournir un fi grand nom
bre. Le Catalogue des Evêques de Mende
au contraire eft fi peu chargé , que depuis
l'an 540 jufqu'à 630 , il ne fournit que
trois Evêques . Il eft difficile de répondre
à la difficulté du Pere le Cointe , tirée de la
trop grande abondance de notre Catalogue
, oppofée à la difette & à la ſtérilité
de celui de Mende , mais il ne fuit point
du tout de- là , que notre Lifte ait été dreffée
aux dépens de celle de cette Eglife ,
& que leurs Evêques ayent verfé chez
nous.
Par furabondance de droit , je vais ha
zarder quelques conjectures fur la difficulté
qu'on nous fait , fur ce que nous
avons eu trop d'Evêques dans un aſſez
petit intervalle. Je ne les donne que pour
ce qu'elles font , c'eft- à dire pour très- legeres,
n'en pouvant guéres avoir que de ce
genre fur des Evêques , dont nous n'avons
prefque que les noms , fans aucune circonftance
de leur vie.
Peut-être que quand on voit des noms
differens dans ces Liftes , ils ne défignent
pas toujours des perfonnes differentes . Je
trouve dans le Gallia Chriftiana , que le
dix huitiéme Evêque eft Andreas , qui eft
fuivi immédiatement par Gracus. Quelque
Copiſte aura féparé ces deux mots qui
SEPTEMBRE. 1749. 45
devoient être joints , & ne faire qu'un
feul Evêque , Grec d'origine, On a des
exemples d'attributs , ou de titres ainfi
perfonifiés , & cela dans des fiécles beaucoup
plus connus , & où l'on avoit plus
de fecours pour ne s'y pas méprendre,
Les Freres de Sainte Marthe nous donnent
pour quatre- vingt onzième Evêque Louis
de Rie , qu'ils font précéder par un Auberius
, perfonnage tout - à- fait inconnu. Ce
Prélat étoit Abbé d'Auberive , & cette
Abbaye a produit cet Evêque imaginaire,
Le Rituel d'Annecy l'a retranché fort fagement
de fa Lifte. Ils ne pouvoient pas s'y
méprendre. Louis de Rie leur étoit parfaitement
connu, Il vivoit en 1548 , c'eſtà
- dire , depuis le changement de Reli
gion arrivé à Geneve , & il avoit fiégé à
Annecy .
Un Evêque peut avoir eu deux noms
differens , qui rapportés l'un & l'autre
dans le Catalogue , auront fait deux Evêques
au lieu d'un, On a auffi des exemples
de femblables méprifes fur des Evêques
qui n'ont pas vêcu dans des fiécles fort reculés.
Le foixante- quatorziéme de nos Evêques
eft Jean de la Roche- Taillée , en Latin
de Petra fciffa . J'ai vu un Catalogue où
l'on en fait deux Prélats differens , l'un
Jean de Roche-Taillée , & l'autre Jean de
46 MERCURE DE FRANCE.
de con-
Pierre-cife. C'est dans un ouvrage
troverfe que fit imprimer un Curé de Savoye
, il y a plus de trente ans *. On ne
doit pas douter que dans les fiécles précédens
on n'ait fait quelquefois de femblables
méprifes. Quand on a ainfi coupé un
Evêque en deux , comme a fait notre bon
Curé , chaque moitié a la propriété du
Polype d'eau douce , & devient avec le
tems un Evêque complet . Il y a lieu de
foupçonner que ce font de ces bévûes qui
ont contribué à groffir nos Liftes & à multiplier
nos Evêques . A
On trouve dans quelques-unes de nos
Liftes des efpéces de Pafje volans , fi j'oſe
me fervir de ce terme , qui ne font connus
de perfonne. Tel eſt un Amianus , que la
Chiefa & le Rituel d'Annecy mettent dans
le rang des Evêques de Genéve , & qu'ils
font paffer en revûe. Nous ne fçavons ni
d'où eft cet Amianus , ni qui il eft . Il faut
cependant faire quelque tentative pour
deviner de quel pays il peut nous être venu,&
par quelle aventure il fe trouve dans
ces deux Catalogues feuls.
Genabum , qui étoit l'ancien nom d'Orleans
, a auffi fignifié quelquefois la Ville
de Genève.
Motifs de la converfion du Chevalier Minųtoli
, 1714.
SEPTEMBRE . 1749. 47
L'Itinéraire d'Antonin l'a pris dans l'un &
l'autre de ces fens . Cela a caufé quelquefois
de l'équivoque, Divers Auteurs ont dit , par
exemple , que l'Empereur Aurélien avoit
rebâti Genéve après un incendie qui
l'avoit entierement confumée. Philippe
de Bergame l'afflure * . Plufieurs autres
l'ont dit après lui . On voit clairement
qu'ils ont pris Genève pour Orleans . Cette
méprife dans l'Hiftoire Civile en a caufé
une autre dans l'Hiftoire Eccléfiaftique.
Ces mêmes Auteurs ont dit que plufieurs
hommes célébres ont illuftré notre Ville ,
& dans ceux qu'ils nomment, on reconnoît
vifiblement des Evêques d'Orleans . Geben
na , dit Philippe de Bergame , in quâ plurimi
claruêre viri , quorum numero Anianus
urbis Epifcopus **. Peut- on méconnoître
S. Agnan , qui lorfqu'Attila fit le fiége
d'Orleans , l'an 451 , en étoit actuellement
Evêque ? Voici donc ma conjecture . S.
Amianus eft une faute de copiſte pour S.
Anianus.L'Evêque de Saluces ayant trouvé
ce dernier dans Philippe de Bergame , comme
ayant fiégé à Genève, n'a pas hésité à lui
donner rang dans fa Lifte ; mais comme la
Chronique n'a point marqué le tems où
* Voyez Supplementum Chronicarum Philippi
Bergomatis. Venet . 1490. p. 126.
** Ibid.
48 MERCURE DE FRANCE.
vivoit S. Agnan , la Chieſa y a été embarraffé
; il l'a placé au hazard dans le feptiéme
ou huitiéme fiécle , fans aucune date
précife , quoiqu'il ait pris foin de mar
quer celle des autres Evêques. Le Rituel
d'Annecy a copié la Chiefa. Voila le fond
qu'on peut faire fur leur S. Amianus , Evêque
de Genéve.
L'article le plus difficile fur nos Evêques
, c'eft de trouver ceux qui ont fiégé
depuis l'établiſſement du Chriftianifme
jufqu'à Maxime , qui affifta au Concile
d'Epaone. Il s'agit d'environ un demi fiécle.
Voici ceux que nous fournit notre
ancien Catalogue , que je crois le plus fidéle
de tous. Après avoir rendu aux Génois
leur Diogenés , le premier qui fuit, eft
Domnus , le fecond Salvianus , le troifiéme
Elhenthere , le quatriéme Théoplafte , déja
Evêque en 475 ; le cinquiéme Fraternus ,
le fixiéme Palafcus , le feptiéme Maxime ,
élu en 513 , & qui figna au Concile d'Epaone
en 17. Ici nous commençons à
avoir un point fixe , propre à redreffer la
Chronologie.
Je n'ai point mis dans cette petite Lifte
Florentin , quoiqu'il ait été élu Evêque de
Genéve immédiatement avant Maxime ;
en voici la raifon , c'eft qu'il abdiqua auffi-
tôt après avoir été facré. Il étoit du
nombre
SEPTEMBRE, 1749. 49
+
nombre des Sénateurs , & il avoit été élu
d'une voix unanime ; mais de retour au
logis pour l'apprendre à ſa femme Artémie
, elle l'obligea à renoncer inceffamment
à fon élection , ce qui arriva l'an
513 , peu de mois avant la naiffance de
S. Nizies leur fils , depuis Evêque de Lyon.
Grégoire de Tours , fon petit neveu & fon
difciple , rapporte le fait de cette maniere .
C'est la raifon pour laquelle notre ancien
Catalogue ne fait aucune mention de Florentin.
Il est un peu plus difficile de donner
la raifon de ce qu'on n'y voit point paroître
non plus un Ifaac , & un Salo
nius , qui doivent avoir gouverné l'Eglife
de Geneve avant Maxime. L'article de Sa-
Lonius demande une difcuffion un peu étendue
, qui pourra venir dans la fuite. Pour
Ifaac , le feul endroit où il en eft parlé ,
c'eft dans une Lettre adreffée à Salvius , où
l'on trouve l'histoire des MartyrsThebéens ,
& que l'on attribue à Eucher , Evêque de
Lyon . On fçait que des Critiques , un peu
féveres , ont douté de l'authenticité de ces
Actes duMartyre de la Légion Thébéenne * .
Ils ont remarqué que cet Iſaac ne ſe trouve
nulle part ailleurs , & que ce pourroit
* Biblioz . Raiſonnée , T. xxxvI. p. 427.
50 MERCURE DE FRANCE,
bien être un perfonnage imaginaire *..
Quoiqu'il en foit , il a été au moins inconnu
à ceux qui ont dreffé notre ancien
Catalogue dans le IX . fiécle. Cependant
je ne veux point contefter là - deffus, Il
ne s'agit que de lui affigner fon rang parmi
nos anciens Evêques. Il eft dit dans cette
Lettre d'Eucher , qu'Ifaac avoit appris,
l'hiftoire des Martyrs Thébéens , du Bienheu
reuxThéodore , Evêque de Sion. Eucher étoit
déja vieux , quand il fut au Concile d'Orange
en 441. Théodore , Evêque de Sion ,
s'étoit trouvé au Concile d'Aquilée en 381 .
On peut donc placer Ifaac vers la fin du
IV . fiécle ** .
Gregorio Leti , dans fon Hiftoire de Genéve
, nomme encore cinq ou fix Evêques
, qu'il prétend avoir vêcu avant le
Concile d'Epaone , Donnellus , Hyginus ,
Quand même les Actes du Martyre de la Lé
gion Thébéenne feroient une Légende fabuleuſe ,
comme le croyent plufieurs Auteurs , cela n'empêcheroit
pas que cet Ifaac , Evêque de Genéve ,
qui y eft cité, n'ait effectivement fiégé dans ce Diocèfe.
Il y eft nommé avec Théodore, Evêque d'Oc
todurum , qui eft un perfonnage très- réel .
** On trouve dans le Catalogue de la Chieſa ,
immédiatement après Paracodés , Ifaac , nommé
par S. Eucher , l'an 250. Il eft furprenant que le
bon Evêque de Saluces , qui cite Eucher , foit
tombé dans un ſemblable anachroniſme .
SEPTEMBRE. 1749. St
Fronze , Thelefphore , Tiburne , noms inconnus
à tout autre qu'à cet Hiſtorien.
Il cite pourfon garant un manufcrit, conte
nant une Defcription de Genève , dédiée à
la Reine Clémence , femme de Louis X. Roi
de France. L'Auteur étoit un Religieux
de l'Ordre de Saint Benoît , nommé Frere
Jean de Anfelmo . On nous dit que cette
rare piece fut trouvée dans une armoire
murée du Château de Prangin , à quatre
lieues de Genève , fur la fin du fiécle paffé.
Le Général Balthafar , Seigneur du lieu
faifant quelques réparations à fon Châ
teau , découvrit heureufement ce manufcrit.
Il le communiqua à Leti , qui le fit
déchiffrer à Genéve par deux Experts, dont
on nous dit les noms. Cet Hiftorien en
a tiré je ne fçais combien de particularités
qui ne fe trouvent point ailleurs . On voit
continuellement dans la marge de fon Livre
, MS. Balthafaro.
Mais une armoire de la Bibliotheque
de Genève , qui n'avoit point été fouillée
depuis long-tems , vient de donner un dé.
menti formel à l'armoire du Château de
Prangin , que l'on dit avoir enfanté ce manufcrit.
Il s'y eft trouvé un Certificat du
Miniftre du lieu , qui déclare que tout ce
*
Hiftoria Genevrina , Tom. 1. p . 46.
C ij
52 MERCURE DEFRANCE.
que Leti a dit de cette belle trouvaille , eft
une pure fable. Il nous affure qu'ayant lû
l'Hiftoire de Geneve de Lett , il voulut
s'éclaircir , auprès du Général Balthafar
de la découverte de ce manufcrit Gaulois ,
& que ce Seigneur lui déclara que tout
ce qu'en avoit dit Leti , étoit une pure
fiction , & qu'il ne s'étoit trouvé aucun manufcrit
dans fon Château . Il paroît de - là ,
que ces anciens Evêques que l'on trouve de
plus dans l'Hiftoria Genevrina, que
dans les
autres Catalogues , n'ont jamais fiégé que
dans le cerveau creux de Leti,
Le Curé de Savoye dont j'ai déja parlé,
avoit faifi avidement dans fon Livre de
Controverfe ces cinq ou fix Evêques de
la façon de l'Auteur Italien. Il groffiffoit
par- là fa Lifte. Mais il en a été raillé fort
vivement dans un Journal , fans que l'on
fût encore informé du Certificat qui met
ces Evêques dans les efpaces imaginaires.*
On l'a attaqué fur l'abfurdité de quelques
particularités de leur vie, qu'il a rapportées
d'après Leti. Depuis peu de tems , on a inféré
le Certificat du Miniftre de Prangin
dans un Journal qui s'imprime à Neucha
tel en Suiffe.Il paroît clairement que l'hif
toire de la découverte de ce prétendu manufcrit
n'eft que fuppofition & que faits
* Journ. Helvetig. Mars 1746. p. 220,
SEPTEMBRE.
S3 1749.
>
controuvés . On y donne les raifons de ce
qu'on a attendu fi tard à publier cette déclaration
. Puffendorff appelloit Varillas
l'Archimenteur. Leti peut bien partager
avec lui cette honorable épithete . Quoique
les nouveaux Editeurs ne foient pas
gens à s'en laiffer impofer par un Auteur
tel que le Signor Gregorio , on a crû devoir
les informer de ce fait , pour leur
épargner la peine de quelque difcuffion
fur ces Evêques chimériques.
Je fuis , & c .
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗澡
T
A MLLE DE CR .....
Qui m'avoit demandéfon Portrait.
Ravaillant l'autre jour au portrait d'Uranie ;
Dans ma chambre enfermé j'excitois mon génie.
Pour tout meuble en mon attelier ,
J'avois de l'encre & du papier..
C'en eft affez pour un Poëte ;
Tout le refte eft pris dans fa tête ;
Mais fi pour prix de fon tableau ,
Il attend un accueil honnête ,
Il doit produire du nouveau .
Déja fous mes doigts , mille rofes
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
D'un trait de plume étoient écloſes.
Je comptois ajouter des lys
Au Pinde récemment cueillis ,
Et ne négligeant rien pour fa riche parure ,
J'aurois fait de la belle une telle peinture ,
Que contre juſtice & raiſon ,
Vénus n'eût été rien , mife en comparaison.
Apollon , qui par fois préfide à mon ouvrage ,
Vint me dire à l'oreille , efface cette page ;
Tu vas débiter des fadeurs ,
Comme font tant d'autres rimeurs ,
Qui tous les jours me donnent des vapeurs.
Faut- il , pour foumettre les coeurs ,
Etre de la beauté le plus parfait modéle ?
Je connois Uranie, & fçais bien qu'elle eſt belle ,
Mais belle de mille agrémens ,
La plus part fort indépendans
De ces traits que ſouvent , fans aimer, on admire.
Près d'elle il faut penfer , rarement on foupire.
Celui qui vit fous fon empire ,
Ignore ces fentimens ,
Ou tendres , ou languiffans ,
Qui donnent un air malade
A l'amant langoureux & fade.
De ce charmant objet les yeux , fans être grands,
Sont pleins de feu , vifs & brillans ;
Pénetrent jufqu'au fond de l'ame ,
SEPTEMBRE. 1749. SS
Et vont porter partout la flâme.
Ces yeux noirs , ces perfides yeux ,
Ne peuvent cacher leur malice .
De tous les maux qu'ils font vous les voyez joyeux,
Sans que plus on les en haïffe .
L'éclat des lys n'eſt point éteint
Par le coloris de fon teint ;
Convenons- en ; mais en revanche
S'il eft quelque beauté plus blanche ,
Quel air plus grand , plus noble , & quel port plus
romain !
D'une fiere Amazone elle a le coeur hautain ;
Le trait qui vous furprend , n'amollit ni n'énerve ;
Non,ce n'eft point Vénus , c'eft Pallas ou Minerve .
Un mortel prétend-il lui plaire & l'engager ?
Qu'ilfe montre un Héros , & non pás un berger.
L'amour qu'on fent pour elle , éleve le courage ;
Le lage qui la voit , n'en devient que plus fage ;
L'amant rougit , l'étourdi ſe contient ,
Et le petit maître devient ,
Tant auprès d'elle il faut fe contrefaire ,
Un homme prefque ordinaire.
On craint les traits de ſon eſprit.
Tout mot équivoque eft profcrit ,
Si le bon goûr & la fineffe
Ne font unis à la délicateffe .
Sur ce que plus haut j'ai cité ,
On la croiroit un peu méchante ;
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE:
Je doute auffi que la bonté
Soit fa qualité dominante .
Mais qui la voit , conviendra bien ,
Pour peu qu'il foit jufte & fincere ,
Que fa malice n'ôte rien
A fon aimable caractére.
Je ne dis plus qu'un mot de ſes talens divers
J'ai retenu quelques bons vers,
Qu'elle cache par modeftie.
A la toilette d'Uranie
On trouve un compas , un écrin ,
Un tome de M. Rollin ,
Un Livre nouveau de muſique ,
Avec un Traité de Phyſique .
Là ce font ponpons & rubans ,
Qu'elle agence dans fa cornette ;
Plus loin des mouches & des gants ;
Puis les regles de la Comete.
Mêler au férieux un aimable enjouement ;
Faire marcher de pair le fçavoir , l'agrément ;
S'amuſer du badin , fans négliger l'utile ;
Rien pour elle n'eft difficile .
S'il fe peut , Uranie , ofez défavouer
L'éloge que le Dieu , qui feul à jufte titre
Peut fe mêler de vous louer ,
M'a dicté ſur votre chapitre.
SEPTEMBRE. 1749 .
57
PENSEES.
Traduites de l'Anglois.
Cfes,ni dans le refus des honneurs ,
E n'eft pas dans le mépris des richefque
réfide la vraye Philofophie , mais dans
le bon ufage qu'on en fait.
La fortune favorife Damis ; la faveur)
du Prince l'honore des premieres places ;
il est décoré de tous les honneurs ; il eft:
grand , il eft noble ; une maiſon vafte ,
ornée & fuperbe ; une table bien fervie ,
un nombreux domestique , des équipages
leftes & brillans ; tout cela n'ôte rien à fa
générofité. Il l'exerce partout ; le vice même
en reffentiroit les effets , fi ce n'étoit
point le rendre criminel que de partager
ſes biens avec ceux qu'il infecte. Damis
fe plaît à élever le mérite ; il ne fe fouvient
jamais de fes poftes , de fes honneurs,
que pour fe reffouvenir qu'il ne doit
s'employer qu'à faire des heureux ; il n'eft
attaché à fa fortune , que par cequ'elle lui
procure le doux plaifir de foulager ceux
que l'injuftice perfécute. On ne le voit jamais
dans fon particulier , fans être touché
du bonheur de ceux qui l'environnent ; il
Cv
5S MERCURE DE FRANCE.
}
eft homme , & veut vivre avec des hommes
; ce ne font point des efclaves qui le
fervent ; fes domeftiques font fes amis , ils
font tous heureux , & quelque médiocre
que foit leur état , ils l'oublient , quand ils
penfent à celui qui les nourrit , qui les habille
, qui les paye & qui leur commande.
Tel eft Damis , voilà le fage , voilà le Philofophe.
Recevoir un confeil , c'eft acquérir le
droit d'en donner.
Tout eft au-deffus de l'homme vicieux ,
tout eft au- deffous de l'homme vertueux .
Un homme que les paffions honteufes
poffedent , lorfqu'il eft connu , n'eft plus
à craindre , c'eſt un être indifferent pour
la fociété.
Les défauts , les imperfections & les vices
de l'homme corrompu , font autant de
boucliers qui repouffent les traits que la
noirceur de fon coeur lui fait lancer contre
le mérite & la vertu .
و
Avoir recours à un homme vicieux
c'eft être fur le point d'abandonner la
vertu .
Ne pas oublier les fervices qu'on a rendus
, c'eft fe rendre indigne d'en rendre.
Exiger de la reconnoiffance
, c'eft en
exempter.
La médifance eſt une petiteffe dans l'efSEPTEMBRE.
1749. 59
prit , ou une noirceur dans le coeur ; elle
doit toujours fa naiſſance à la jalouſie , à
l'envie , à l'avarice , ou à quelqu'autre paſfion
; elle est la preuve de l'ignorance ou
de la malice ; médire fans deffein , c'eſt bêtife
; médire avec refléxion , c'eſt noirceur.
Que le médifant choififfe, qu'il opte,
il eft infenfé ou méchant .
Le peuple juge du coeur des hommes
par leur façon d'agir , le fage n'en juge
que par leur façon de penfer.
La pratique d'une vertu ne fait pas
l'homme de bien . En faifant le bien , on
ne fait fouvent qu'une action très- ordinaire
. Damon tient parole à un Grand ,
c'eſt la crainte , l'ambition ou l'avarice ,
peut-être toutes les trois qui le font agir.
Je ne l'en foupçonne pas, quand il tient fa
promeffe à fes enfans , à fes domeftiques
à fes vaffaux ; mais je fuis prêt de dire que
c'eft par amour propre . Sans être vertueux,
on fait fouvent de grandes actions ; mais
que Damon ne fe démente point , qu'il
faffe toujours le bien , & qu'il le fafle fans
motif d'intérêt , de crainte ou de vanité ,
alors je dirai que Damon aime la vertu.
A Orleans , ce 21 Juillet.
Cvj
06M ERCURE DE FRANCE.
Myny: By:DODDAY
ཀྱི v : : !
LE PRINTEMS ,
A Mile C......
Dans cette riante faiſon ,
Où fur un renaiffant gazon
Brille une agréable verdure ,
Tout fe ranime en la Nature.
La terre , Iris , nous offre des préfens
Qu'étouffoit en fon fein l'importune froidure .
Ces fleurs , qui quelquefois vous fervent d'ornemens
,
Font même la moindre parure.
Autour des humides rofeaux ,
Le doux Zéphir forme un léger murmure ,
Et fe joue en foufflant fur la face des eaux.
Dès l'aurore , fa fraîche haleine
Nous invite à courir dans la plaine .
Là, vous voyez mille amoureux oiſeaux ;
Par leurs chants à l'envi , célébrer tous enſemble
Cet heureux jour qui les raffemble.
Quel fpectacle plus enchanteur ?
Ici , Tircis à ſon Amynthe
Déclare fes feux , & l'ardeur >
Dont fon ame eft pour elle atteinte,
Elle qui fe fent contrainte
SEPTEMBRE. 1749. 61
Par une auftére pudeur ,
Lui laifle adroitement lire
Dans les yeux languiffans ce que penſe fon coeur.
Si par hazard , dans un tendre délire ,
A la faveur d'un bois , quittant fa fiere humeur ;
Elle accorde à regret quelqu'honnête faveur ,
Ce Berger prend fa flute , & chante fon bonheur
Que les échos voifins ont le foin de redire ,
Ce qui le lui rend plus fateur.
Vous le voyez , belle Iris ; tout foupire ;
Livrons- nous aux plaifirs que le printems inſpire ;
On n'entend prononcer que le nom de l'Amour,
Votre coeur feul feroit- il infenfible ?
Ce Dieu , quand on l'aigrit , devient un Dieu ters
rible ;
Contre fon pouvoir invincible
Ne vous révoltez pas ; profitons du beau jour
Et parlons- en tous deux à notre tour.
7. F. Guichard,
?
JAL
62 MERCURE DEFRANCE.
************************
LES DEUX BOUQUETIERES ,
FABLE.
LA faifon trifte & rigoureuſe
Venoit de terminer la carriere ennuyeuſe ;
Aux Aquilons fuccedoient les Zéphirs ,
Et du peuple de l'air la voix mélodieuſe ,
De l'Amour vantant les plaifirs ,
Rempliffoit chaque bocage
De la douceur de fon ramage.
La terre reprenoit fes premieres beautés ,
Et l'on voyoit de tous côtés
Les animaux joyeux fortir de leurs tannieres ,
Lorfque deux Bouquetieres ,
Allant cueillir les précieux préfens
Que leur offroit le retour du printems
Virent de loin une prairie
Spacioufe & bien fleurie.
La diverfité des couleurs
Les porte auffi tôt à s'y rendre ;
Et la beauté des fleurs ,
Et leurs douces odeurs ,
Les y firent bien -tôt defcendre,
L'une , fans fortir de fa place ,
Prend toutes ces fleurs à la fois ,
Et fans choix ;
SEPTEMBRE. 1749. 63
Elle en fait un bouquet fans agrémens, fans grace.
Ce n'est qu'un mêlange confus ,
Qui des paffans attire & mépris & refus.
Sa compagne , bien loin d'imiter ſa pareſſe ,
Va , court , & revient & s'empreffe
Sçait ménager les ornemens
Rejette ce qui pourroit nuire ,
Le remet dans un autre tems :
Ici c'eft du jafmin , & là c'eft un oeillet ,
En un mot , pour le dire ,
Elle fait de ce tout un fuperbe bouquet.
On le voit , on accourt , on l'admire , on l'achette,
D'un côté je peins un Poëte ,
Qui traitant des ſujets qui ſont déja traités ,
Leur donne cependant de nouvelles beautés :
Et de l'autre , un for plagiaire ,
Qui prend tout, & n'en fait rien faire,
Par le même,
Du 24 Mai 1749.
¿
64 MERCURE DE FRANCE :
EXTRAIT d'une Lettre écritepar M.
Short , de la Societé Royale de Londres ,
à M. Folkes , Président de cette Académie,
far les Télescopes à réflexion . Cette Lettre
a été lue dans une des affemblées de la Société
Royale de Londres.
Na à lapage 17 Lettre de M.
Na vû , à la page 172 du Mercure
>
Koenig , Profeffeur de Mathématiques à
la Haye ; dans laquelle il annonce les progrès
confidérables qu'a fait M. Mégard ,
du Canton de Berne , dans l'art de perfectionner
les Télescopes à réflexion. Ce
Profeffeur ne s'eft pas contenté de parler
avantageufement de fon ami ; il n'a pas
fait difficulté de dire qu'il foupçonnoit
les Anglois d'avoir profité de ſes vûes , par
la communication d'une de fes Lettres ,
dont il avoit envoyé des copies à Londres.
Il ajoute que ce qui le confirme dans cette
idée , c'eft qu'il ne lui parut pas , fix mois
auparavant , lorsqu'il étoit en Angleterre,
qu'on y pensât le moins du monde à perfectionner
ces fortes d'inftrumens , en diminuant
leur longueur.
M. Short , habile Artifte Anglois , qui
a conftruit le fameux Télefcope de douze
SEPTEMBRE . 1749. 65
"
pieds , placé dans l'Hôtel de Marlboroug ,
a crûque ces reproches intéreffoient , nonfeulement
fon honneur , mais auffi celui
de toute fa Nation . Il n'a pû fouffrir
qu'on l'accusât d'avoir voulu s'approprier
des remarques qui ne lui appartenoient
pas : il a écrit pour fa juftification , le 11
Mai dernier , une affez longue Lettre à
M. Folkes , Préſident de la Société Royale
de Londres , afin qu'il la communiquât à
cette fçavante Compagnie ; & il a produit
en même tems une copie de la Lettre ,
dont on prétendoit qu'il avoit tiré des fecours.
On nous a communiqué l'une &
l'autre piéce , & il nous a paru que la juftice
que nos Journaux doivent à tout le
monde , exigeoit de nous que nous inferaffions
ici un extrait qu'on nous a envoyé
de la Lettre de M. Short. Ce morceau fuffira
, pour mettre au fait de la conteftation
les Lecteurs qui s'intéreffent
aux progrès
des Arts , & dont la curiofité
fera fans
doute excitée par les avantages
que la Marine
& l'Aftronomie
recevront
vraifemblablement
un jour de l'ufage des nouveaux
Télescopes
.
L'Artifte de Londres prétend , que les
Copies de la Lettre de M. Mégard n'auroient
pû lui apprendre que ce qu'on étoit
déja en poffeffion de fçavoir en Angle66
MERCURE DE FRANCE.
terre. M. Smith ayant propofé à la Société
Royale de Londres dès le mois de Janvier
1740 , de fubftituer aux miroirs de métal,
dans les Télescopes , des miroirs de verre ,
inégalement épais vers le bord & vers le
centre , ou dont les deux furfaces ne fuffent
pas paralelles ; fa propofition , qui eft
appuyée de toutes les recherches néceffaires
de Théorie , a été imprimée dans les
Tranfactions philofophiques Nº. 456 , &
il
Y eft prouvé qu'on peut proportionner
tellement les deux courbures , qu'on évi
tera , par les refractions que fouffriront
les rayons de lumiere en traverfant deux
fois la furface concave , prefque toute la
féparation nuifible des rayons de differentes
couleurs. Il eft parlé de ce même expédient
dans le Systême d'Optique de M.
Smith , & dans la Relation des expériences
qu'on en a faites en préſence de plufieurs
perfonnes. Les images des objets
paroiffoient très- diftinctes , mais elles
étoient environnées d'une feconde lumiere
, qui étoit vraisemblablement réflechie
par la furface concave. M. Short affûre
qu'il avoit remarqué la même choſe , en
fe fervant d'un miroir de verre , conſtruit
de la maniere indiquée par M. Newton
dans fon Optique , & qu'il obferva que ces
amiroirs étoient encore fujets à un autre
SEPTEMBRE. 1749. 67
-
défaut très-confidérable . Ils affoibliffent
la lumiere , & ils la diminuent fouvent de
plus de moitié , fi on les compare à des
miroirs de métal. Toutes ces obfervations
répetées avec foin avoient détermi
né M. Short , long- tems avant qu'il entendit
parler de M. Mégard , à renoncer
I aux miroirs de verre , pour ne s'occuper
que de la perfection de ceux de métal ,
dont il s'occupe encore actuellement , &
aufquels il travaille depuis 1733-
Il fuit de - là , fi l'on s'en rapporte , comme
il nous paroît qu'on le doit faire , aux
piéces qu'on nous a communiquées , que
les procédés des deux inventeurs font
tout-à-fait differens , & qu'il n'y a pas le
moindre lieu de regarder l'un comme
plagiaire des vûes ou des découvertes de
l'autre , ce qui fait tomber abſolument les
foupçons de M. Koenig . On fe propofe
d'un côté de conftruire des Télescopes
avec des miroirs de verre , dont les deux
furfaces feront de differentes courbures
pendant qu'on travaille de l'autre côté à
former des Télefcopes avec des miroirs de
métal , qu'on tache de rendre plus par
faits. M. Short ajoute qu'il fe conformoit
d'abord à la Table publiée par M. Newton
, dans les Tranfactions philoſophiques,
mais qu'il s'apperçut dès 1740 , qu'on
›
68 MERCURE DE FRANCE.
pouvoit donner une plus grande ouver
ture à ces inftrumens , ou , ce qui revient
au même , qu'on pouvoit gagner fur leur
longueur , en la diminuant confidérablement.
C'est ce qu'il juftifie , non-feulement
par l'exemple du grand Télefcope
de douze pieds , achevé en 1747 , & placé
dans le jardin de l'Hôtel de Marlboroug,
mais par plufieurs autres , dont il fait
mention dans fa Lettre à M. Folkes , &
à l'égard defquels il paroît qu'il a changé
d'une façon avantageufe le rapport entre
leurs principales dimenfions. Celui de
douze pieds , dont le miroir a dix huit
pouces de diamètre , eft réduit de plus de
moitié , puifqu'il eût été long de vingtneuf
pieds , fi l'on fe fût conformé aux
régles de M. Newton . Ainfi , felon M.
Short , ce n'eft que parce que M. Koenig
n'avoit examiné la chofe qu'avec précipitation
, qu'il a pû dire , que lorfqu'il étoit en
Angleterre , on n'avoit aucune notion de
la vraie maniere de perfectionner les Téleſcopes
en les accourciffant .
M. Short fe propofe de conftruire un de
ces inftrumens , qui n'aura que dix - huic
pouces de longueur , quoiqu'il en ait fix
d'ouverture. Čela rendra encore plus néceffaire
l'attention qu'il a toujours cue de
donner une figure parabolique au grand
SEPTEMBRE. 1749. 69
miroir , & une ellyptique au petit , toutes
les fois qu'il a percé le grand miroir , felon
la méthode de Grégori.
Nous pourrons fçavoir bientôt ce qu'il
faut penfer de ce qu'avance M. Koenig ,
au fujet d'un ouvrier de Franquer , qui
conftruit , à ce qu'il affûre , des Télefcopes
incomparablement meilleurs que ceux
qu'on fait en Angleterre , & qui les don-
Ae à un tiers meilleur marché. M. Short
s'eft adreffé à M. le Comte de Bentinck ,
Ambafladeur des Etats Généraux des Provinces-
Unies auprès de Sa Majeſté Britannique
, pour le prier de vouloir bien
lui procurer un de ces inftrumens , en obfervant
toutes les formalités néceffaires ,
pour que le Public puiffe ajouter foi à l'examen
& à la comparaifon qu'on en fera
à Londres , en préfence de Juges inté
gres & éclairés,
70 MERCURE DE FRANCE
RAPALAPATntsła PDes ?AEAA
POEM E ,
Ou Effai , fur le progrès des Sciences & des
Beaux Arts , fous le Regne de LoUIS
le Bien- Aimé , dédié à Meffieurs de l'Académie
des Belles- Lettres de Montauban ,
par M. de la Soriniere , de l'Académie
Royale des Belles-Lettres d'Angers,
1749.
● vous ,dont les brillans effais
S'annonçent par des coups de maître ,
Dans la lice où j'ofe paroître
Affûrez-moi d'heureux fuccès :
Si dans l'art des beaux vers j'ai fait quelques pro
grès ,
C'est vous qui les avez fait naître.
Quels progrès éclatans paroiffent à mes yeux !
Les Sciences , les Arts , riches préfens des Cieur ,
Par les foins de Louis s'accroiffant dans leur
courſe ,
Deviennent chaque jour plus dignes de leur fource !
Semblables à ces eaux dont l'humide criſtal ,
Au fortir d'un rocher fe creuſant un canal ,
* L'Académie de Montauban eft nouvellement étaª
blie.
SEPTEMBRE. 1749 . 71
Forme un fleuve écumeux , dont les ondes altieres
Roulent en bouillonnant les eaux de cent rivieres.
Le Paftel.
Un Art ne fait qu'éclore : il eſt déja complet ;
Le Paſtel en naiffant m'offre un tableau parfait,
L'Opéra.
Sur ces bords où la Seine , en miracles féconde ;
Raffemble tous les Arts qui décorent le monde ,
Il eſt un Sanctuaire aux graces confacré ,
Séjour des Amadis , & des Dieux révéré.
C'est un Temple lyrique , où l'enfant de Cythere
Vient entendre des airs infpirés par fa mere ,
Et verfer à long traits ce dangereux poiſon,
Qui dévore le coeur , & trouble la raiſon,
Le Dieu s'en applaudit , & doublement perfide
Bleffe le ſpectateur du même trait qu'Armide ;
Il rit de voir Ifméne , en proye à ſes douleurs ,
Aux foupirs qu'elle exhale entre- mêler des pleurs,
Et pour de faux Rolands réalifant fes peines ,
Se forger dans fon coeur de véritables chaînes.
Dans ces lieux enchantés , tout prend une ame
un corps ;
Tout s'y perfonnifie , & reffent des tranſports ,
La force du pinceau du Dieu de la peinture
Y trace mille objets plus beaux que la nature
J'y vois dans des lointains avec art ménagés
* Décorations.
72 MERCURE DE FRANCE.
De fuperbes Palais dans l'inſtant erigés :
Neptune en courroux , commandant aux orages
,
Sur les flots entr'ouverts produire des naufrages,
Le calme reparoît , & foudain des danfeurs
Foulent d'un pied léger la verdure & les fleurs =
Et des Amours badins une troupe enfantine
Répéte de Rameau la Mufique divine .
Ce Monarque des Sons , par Euterpe enfanté ,
Donne à tout ce qu'il touche un ton de vérité ,
Qui , de l'art enchanteur augmentant le preftige ,
Frappe , étonne , conduit de prodige en prodige.
Quel charme me tranfporte ! Et quelle illufion
Sur mes fens éperdus fait tant d'impreffion !
Les Chênes de Dodone en ces heureux fpectacles
Parlent , fe font entendre , & rendent des oracles!
Tout s'anime , fe meut , & des quatre élemens
Agités , confondus , dans des chocs éclatans ,
Naiffent des feux foudains , dont les bruyantes
flammes
Excitent la terreur & le trouble en nos ames
N'eft- ce point Jupiter , qui du Dieu de Lemnos
Lance fur les Titans la foudre & les carreaux ?
Ou qui , pour conſumer un autre Salmonée ,
Arme ce bras vengeur qui punit Capanée ?
Le Tonnerre de l'Opéra
LA
SEPTEMBRE. 11774499.: 73
La Guerre.
Jamais aux champs de Mars l'Art des Déme
trius (a)
N'avoit tant illuftré les Siéges , les Blocus.
L'Europe en eſt témoin ; cent Villes affiégées
Se font fous nos drapeaux & fous nos loix rangées :
Et dans moins de quatre ans le Belge plein d'effroi ,
A reconnu mon Prince & LOUIS pour fon Roi.
Marches & campemens , fourages , ſubſiſtance ;
Contre marches, fecours, magnifique ordonnance ,
Ont vu des plans nouveaux que l'Art feul dirigeoit
,
Et que , fuivant les lieux , la raifon corrigeoit.
Non , jamais la Tactique aux champs de Man
tinée (b) ,
Nacquit autant d'honneur que dans cette jour◄
née (c) ,
Où par un coup de l'art l'Anglois fi redouté
Vit fon hardi projet compris , déconcerté :
Et le fier bataillon , la terrible colomne ,
Que menoit Cumberland fur les pas de Bellone ,
(a) Demetrius Poliorcétes , ou le preneur de Villes...
Fils d'Antigone , &c.
(b) L'affaire de Mantinée , felon les connoiſſeurs ;
nous offre le plus bel ordre de bataille qu'art fourni
l'antiquité l'Epaminondas de notre fiécle sçaurois
bien en juger.
(c) Fontenoy,
D
74 MERCURE
DE FRANCE
.
1
Mife en poudre auffi tôt par ce Prince guerrier
Qu'attendoit dans ces champs le plus digne laurier .
Louis fçut d'un coup d'oeil y fixer la victoire :
Et Mars en l'admirant , foufcrivit à fa gloire.
Retenez bien ces traits , illuftres Orateurs (4) :
Et pour les confacrer , gravez-les dans vos coeurs.
Et vous , fille du Ciel , divine Poëfie (b) ,
Qui joignez les tons forts à la tendre harmonie ,
Dans une autre Henriade accordez vos concerts.
Voltaire , c'eſt à lui que tu dois tes beaux vers (c) #
Avant lui , tu le fçais , la fublime Epopée ,
Dans l'enfance des tems encore enveloppée ,
Aux François étonnés ne s'étoit point fait voir,
Après les Childebrand ( d) on n'eût oſé prévoir ;
Que la France eût fon Taffe , ainfi que l'Italie
Il falloit que Louis échauffat tan génie .
Perfection du Microscope, & du Télescope
à réflexion.
Apprens- moi , Réaumur , quel eft cet inftru
ment
Qui voit dans un Ciron chaleur & battement
La nature eft à nud , lorſque ton Microſcope
Dans les mains de Mairan s'unit au Téleſcope.
(a) L'Eloquence. (b) La Poësie. (c) La Henriade:
(d) Childebrand , Poëme prétendu Epique de
M. de Sainte Garde . Il est au-deffous de l'Alaric de
M. de Scuderi ; & peut-être plus ennuyeux que
Pucelle de Chapelain.
La
SEPTEMBRE. 1749. 75
Electricité , Phyfique expérimentale ( a) .
Et vous , docte Nollet , dont l'Electricité ,
Par des fentiers fecrets , mene à la vérité ,
Vous ne vous vantez point de ces hardis ſyſtêmes
Qui n'offrent à nos yeux que de brillans problêmes
:
Vous regnez fur nos fens , que vous fubordonnez
Aux loix de l'évidence : & quand vous raifonnez ,
L'expérience enfin qu'on ne peut contredire
Sur le plus incrédule exerce fon empire .
Le célébre Fluteur , & les autres machines
Surprenantes de M. de Vaucanfon , un des
plus grands Mechaniciens qui ayent jamais
paru.
>
O nouvel Archimède , illuftre Vaucanfon;
Qui , mettant la Nature & l'Art à l'uniffon ,
Sçavez donner la vie à de froids Automates
Dans l'affemblage heureux de matieres ingrates ,
J'entens les doux concerts d'un célébre Flûteur ,
Qui , furprenant l'efprit , charme & ravit le coeur .
•
Opérations de Meffieurs Bouguer & de la
Condamine , pour déterminer la figure de la
Terre (b) .
(a) M'Abbé Nollet a donné un ouvrage fur
l'Electricité , & déja 4 vol . de fa Physique expéri
mentale...
(b) Onfuppofe au commun des Lecteurs , du moins
Dij
76 MERCURE DE FRANCE :
Qui pefez dans vos mains ce que fon globe enferre;
calcul nouveau Vous avez eftimé par un
Les ofcillations de Paris à Quito :
Et fur des plans certains , qu'on avoit crû frivoles .
Elevé l'Equateur , en rapprochant les Pôles .
Argonautes François , quels immenfes travaux ;
Aux yeux de l'Univers , étonnent vos rivaux !
A Meffieurs de l'Académie,
Beaux Cygnes affemblés dans ce docte Licée ;
Célébrez de mon Roi l'augufte Caducée (a) ;
Chantez les hauts exploits , fa douceur , ſa bonté ;
Ses vertus ,
ce beau nom juftement mérité .
Que votre amour pour lui foit conftamment fidéle,
Des tendres fentiniens lui même eft le modéle.
Traduction du fameux Dyftique de Virgile
Note pluit totâ ; redeunt fpectacula manè ;
Divifum imperium cùm Jove Cefar habet.
Il plut toute la nuit , le beau revient le jour : '
Jupiter & César gouvernent tour à tour.
une légere connoiffance des Relations & du Livre de
ces Meffieurs , & quelque médiocre teinture de la
matiere dont il s'agit . Tandis que Meffieurs Bou
guer de la Condamine parcouroient les Plages
brilantes du Pérou , d'autres fçavans Académiciens
affrontoient& franchiffoient courageusement les glaces
du Nord , pour le même objet..... Toutes ces Rela
sions font imprimées....
(a) Le Roi a fait & donné la Paix à toute l'Eu-;
горе.
SEPTEMBRE. 1749. 77
VERS, fur le Parnaffe François de M.
Titon du Tillet , exécuté en Bronze ,
la gloire des Auteurs illuftres.
Heureux Auteurs , dont la lyre m'enchante ,
Ah ! que j'envierois votre fort !
Vainqueurs du tems & de la mort
Heureux Auteurs , Titon vous chante !
Dans les faftes brillans de l'immortalité ,
Son burin conduit par la gloire ,
Tranſmet vos noms à la poſtérité ;
Et vous vivrez enſemble au Temple de Mémoire .
AVERTISSEMENT
Sur la Lettre fuivante .
N n'a point voulu nous dire le vrai nom
O de la jeune beauté , quife cache sous celui
de Philarete , mais pour peu qu'on connoiffe
Turin , on la devinera facilement , & l'on
trouvera que les éloges contenus dans la Lettre
qu'on va lire , ne font point exagerés .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
De M. de S. R. à M. Rémond
de Sainte Albine.
Ous avez expofé , Monfieur , dans
& d'Avril de cette année , quelques folutions
d'un Problême affez difficile . Mifes
fous les yeux d'une Nymphe charmante
des bords du Pô , elles n'ont pas pû lui paroître
fatisfaifantes , mais elles ont excite
fes talens. J'ai l'honneur de vous adreffer
la copie du travail de cette belle perfonne
fur le Problême en queftion , elle est écrite
de fa main.
Philarete eft fon nom , elle est née &
demeure à Turin . Décorée de la plus haute
naiffance , formée par les graces , infpirée
par la fageffe , elle joint à tous les
dons de la nature , aux charmes d'une jeuneffe
brillante , l'efprit le plus délicat , la
converfation la plus ornée , & des talens
peu communs dans les perfonnes de fon
fexe .
N'est- ce pas vous donner , Monfieur ,
une preuve de mes fentimens pour vous ,
que
de vous mettre en état de rendre juſtice
au mérite de la belle Philarete , en faiSEPTEMBRE
. 1749. 79
fant paroître fon travail dans le Mercure
du mois prochain ? Je puis même avoir
l'honneur de vous dire , que cette attention
de votre part ne peut que confirmer
la haute opinion que l'on.a de vos talens
& de vos lumieres au-delà des Alpes . Elle
vous attirera auffi dans ce pays- ci des remercimens
que vous ferez très-aife de
vous procurer.
J'ai l'honneur d'être , & c
AParis , ce 11 Juillet 1749 .
D. S. R.
KMMMMMMMMMMMMMMM
PROBLEME ,
Refolu par l'illustre Philarete.
UN
N homme à l'article de la mort ,
laiſlant fa femme enceinte , ordonne
par fon teftament que fi elle accouche d'un
fils , ce fils aura les trois cinquièmes de fon
bien , & la mere les autres deux cinquiémes
, & que fi au contraire elle accouche
d'une fille , les quatre feptiémes feront
pour la mere , & la fille aura les autres
trois feptiémes . Or il arrive qu'elle met
au monde un fils & une fille , & l'on demande
ce que la mere , le fils & la fille
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE.
doivent avoir fur l'héritage qui fe trouve
de 100000 livres , en confervant toujours
la méme proportion de la mere aux enfans.
Confidérons premierement que felon
l'intention du pere , le fils doit avoir
un cinquième plus que la mere , & la mere
doit avoir un feptiéme plus que fa fille.
Ainfi , fi nous prenons 3 pour le fils , la
mere aura 28 & la fille 24 , & ces trois
nombres ajoûtés enfemble font $ 7 . Donc
il n'y plus qu'à faire trois regles de proportion
, en difant , fi fur 87, le fils prend
35 , combien prendra- t'il fur 100000 , &
ainfi de même pour la mere & pour la
fille .
87 , 35 , 100000 , 40229 , 17,8
87,28,100000,32183 , 18 , 1
87,24 , 100000 , 27 ; 86 4 , I "
100000 O
36
87 pour le fils.
81
87 pour la mere .
37 pour la fille.
57
Et ces trois fommes font enſemble
100000 livres , qui eft juſtement le fond
de l'héritage.
On trouveroit la même chofe en fuppofant
la portion du filsx , & alors la
portion de la mere feroit , & celle de la
fille , & faifant tout l'héritage 100000
a , on auroit l'équation x ++
25a
35
35
a. En la réduifant on trouvera x =
, c'est-à dire v40229 , 17 , 8 pour
SEPTEMBRE. 1749. 81
40
5
21
37 pour la
32183 , 18 , 1
27586 , 4 , 1 pour la
le fils ;
mere ; x
=
35
fille .
Autrement.
La volonté du pere fut de laiffer à fon
fils un cinquiéme de tout l'héritage de
plus qu'à la mere , à laquelle il vouloit
laiffer un feptiéme de plus qu'à fa fille ,
de tout l'héritage auffi . Donc fi l'on fuppofe
tout l'héritage a , & la part du fils
x , celle de la mere fera = x 2/, &
celle de la fille = x-
5
a
7
a
5
a
3x-- , fomme de ces trois
portions étanta , nous aurons l'équation
fuivante 3 x
19a
-
35
a, & en transpo .
fant
3 x = a +
19a 54a
35 35
= , & en divifant
8a
35
par 3 ; x = ; & comme on fuppofe
a = 100000 livres , nous aurons
X
x
x51428
pour le fils.
= 31428 pour la mere.
17142 pour la fille,
6
7
100000 liv.
DY
82 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Envoyés à une Dame , qui avoit fait préfent
d'un cabaret de porcelaine à l'Auteur.
LAMaîtreffe du cabaret
Mérite bien qu'on la dépeigne.
Qui vit l'amour , vit fon portrait :
Celui d'Hebé lui fert d'enfeigne.
Bacchus , affis fur fon tonneau ,
La prend pour la fille de l'onde .
Même en ne verſant que de l'eau ;
Elle fçait ennyvrer fon monde.
VERS de M. de Voltaire , à Mde de B. R.
Os yeux font beaux ,mais votre ame eft plus
belle ,
Vous êtes fimple & naturelle ,
Et fans prétendre à rien , vous triomphez de tout.
Si vous euffiez vêcu da tems de Gabrielle ,
Je ne fçais pas ce qu'on eût dit de vous ,
Mais l'on n'auroit point parlé d'elle.
SEPTEMBRE . 1749. 83
**********X *X*X* X
VERS du même , à Madame la Comteffe de
la Neuville , en lui envoyant l'Epitre fur
la Calomnie.
Parcourez donc de vos yeux pleins d'attraits
Ces vers contre la calomnie.
Ce monftre dangereux ne vous bleffa jamais ;
Vous êtes cependant fa plus grande ennemie
Votre efprit fage & mefuré ,
Non moins indulgent qu'éclairé ,
Excufe , quand il peut médire ;
Et des vices de l'univers ,
Votre vertu mieux que mes vers,
Fait à tout moment la fatyre.
MADRIGAL.
P Hilis , te fouviens - tu de ce jour agréable
Où te livrant aux jeux , aux chanſons , aux plaifirs
Tu folâtrois avec un air aimable
Et plus vive que les Zéphirs
>
Tu voltigeois en habit de bergere ,
Entre les fleurs & là fougere.
Pour moi je m'en fouviens . Que ce jour fut chat
mant !
Je te vis , tu me plús , je devins con amant ;
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Ce jour-là même étoit ma fête .
Pouvois- je avoir un deftin plus heureux
Que d'être ta conquête ,
Et t'offrir pour toujours mon encens & mes voeux
Si du Soleil j'obſerve la vîteſſe ,
Depui cinq ans tu connois mon amour ,
Mais fi j'en crois mes feux & ma tendrefle ,
Je t'aime de ce jour.
'w. W.
VERS , envoyés de Paris à un ami , qui avoit
engagé l'Auteur à revenir en Province.
V. Ainement par ta voix l'amitié me rappelle .
Dans des lieux où l'Amour fe plaît à m'outrager ,
Pour oublier mon infidelle ,
Des cha mes de Paris j'ofe tout efperer ;
Hélas ! en me rapprochant d'elle
J'animerois des feux que je veux étouffer.
Par le même.
VERS à Madame de F. . .. . niéce de
M. de Voltaire , jouant le rôle de Céliante
dans le Philofophe marié,
Q
Uand l'aimable raiſon ſe déguiſe en caprice ;
Elle s'efforce envain de faire illufion ,
SEPTEMBRE.
1749. S
Le Spectateur charmé qui fent tout l'artifice ,
Pour Céliante a les yeux de Damon .
Par le même.
B
4
DISCOURS
Qui a été fait pour être prononcé à l'ouverture
d'une Ecole Royale de Mathématiques à
Nancy, * parM.Gautier, Chanoine Régulier,
Profeffeur de Mathématiques & d'Hiftoire
des Gentilshommes Cadets du Roi de
Pologne. ( Ce Difcours contient en général
des vues utiles fur la meilleure maniere
d'éindier & d'enfeigner toutes les fciences
qui font da reffort de l'efprit.)
M
Effieurs , il eft tant d'Arts & de
Sciences qui dépofent en faveur des
Mathématiques , qu'on eft difpenfé d'en
* Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , a été fur le point de fonder à Nancy des
Ecoles de Mathématiques & de Deffeing . On au
roit fuivi un plan à peu près femblable à celui que
Meffieurs de l'Académie Royale des Sciences ont
approuvé pour les Ecoles de Rheims . ( Voyez le
Mercure du mois de Sept. 1748. On auroit conferé
à ces Sçavans le droit de nommer les Profeffeurs.
On devoit démontrer toutes les parties des Mathématiques,
& faire des Cours de Phyfique Expé
86 MERCURE DE FRANCE.
faire l'éloge. Elles guident le Phyficien
l'Aftronome , le Navigateur ; la Peinture
lui doit fes chefs- d'oeuvre de perſpective;
la Géographie , la perfection ; la Mufique ,
la théorie de fes rapports. Elles forment
des Arithméticiens & des Algébriftes. Les
Géometres , les Méchaniciens , les Architectes
, les Ingénieurs , en empruntent
leurs connoiffances . Quels fervices ne rendent
- elles pas à l'Arpentage , & à tant
d'autres Sciences , qui en font les parties ,
ou qui y tiennent par quelque endroit
Leurs influences fe répandent jufques fur
les Arts qui en paroiffent les plus éloignés
; frappés de l'ordre , de la préciſion
de la jufteffe qu'elles s'affocient toujours
ils tâchent de les faire paffer dans leurs productions.
A ne les confidérer même qu'en
tant qu'elles fervent à former l'efprit
quelle idée avantageuſe ne doit -on pas en
avoir Elles lui donnent de la pénétration
, en l'habituant à prêter une attention
foutenue en le pliant à des réflexions
>
"
s
mentale fuivant la méthode de M. l'Abbé Nollet.
L'Auteur de ce Difcours étoit deſtiné par Sa
Majefté à remplir ces deux derniers emplois.
On peut encore efpérer que ces établiſſemens
auront lieu à Nancy , puifque depuis le tems où ils
ont été projettés , S. M. Polonoile a fondé une
Chaire de Profeffeur de Mathématiques chez les
RR.PP. Jéfuites de Pont-à- Mouflon,
SEPTEMBRE. 1749 87
:
profondes qui le font percer au travers
des voiles les plus épais ; de la juftefſe , en
Lui procurant le goût du vrai , & les moyens
de diftinguer les nuances du faux de la
préciſion , en préſentant les objets dégagés
des inutilités acceffoires , dépouillés des
ornemens propres à féduire l'imagination ;
de la netteté , par la nature des objets qu'el
les offrent , objets propres à être conçus
diftinctement ; de l'étendue , par la diverfité
des rapports & des idées qu'elles obligent
d'embraffer d'un coup d'oeil ; de la
profondeur, en le fixant fucceffivement fur
toutes les faces d'un objet qu'elles occupent
, qu'elles analyſent pour en pénétrer
l'intérieur .
Plus cette fcience eft utile , plus il eſt
important de bien connoître la maniere de
l'apprendre foi- même , & de l'apprendre
aux autres. Les plus grands fuccès font fouvent
dûs à d'heureux commencemens , &
ces derniers à la route qu'on a choiſie.
PREMIERE PARTIE .
Quoique les Mathématiques foient d'une
vafte étendue , l'expérience a montré qu'on
pouvoit en poffeder toutes les parties . Ne
croyons pas que l'efprit doive fe refferrer
dans un feul genre de connoiffances.
88 MERCURE DE FRANCE.
Laiffons à l'ignorance le foin d'accréditer
ce préjugé. Que des hommes laborieux ſe
ignalent dans differentes carrieres , lear
fupériorité fera conteftée par de petits génies.
Ils ne concevront pas comment on
peut faifir tant de rapports , lier tant d'idées
, les placer fans confufion. Il n'eft
donné qu'à des perfonnes de beaucoup d'efprit
, de connoître jufqu'où va celui des autres
; les vrais éloges ne partent guéres que
de ceux qui les méritent.
Pour s'en rendre digne , il eft important
, lorsqu'on étudie feul , de fe former
un plan & de ménager fes forces. Les autres
Sciences l'exigent : à plus forte-raifon
les Mathématiques , dont les vérités font
enchaînées plus intimement , les difficultés
plus nombreuſes , les démonftrations
plus compliquées. Faute d'une bonne méthode
, on multiplie fes travaux inutilement
. Combien ignorent leurs talens pour
les avoir mal tâtés , ou n'en font plus
aucun ufage ; parce qu'ils en ont brufqué
les effais , & font tombés dans un découragement
, dont les fuites font plus fâcheufes
que celles de la préfomption ! On
double fon efprit par la maniere de l'employer
. A l'aide d'une machine , on éleve
un gros fardeau avec une force médiocre.
L'art des recherches a fes procedés , fes faSEPTEMBRE
. & 1749 .
çons . Qui fçait les apprécier , en eft prefque
le créateur.
J'avoue qu'on peut fe repofer du plan
fur des Auteurs qui ont afforti les vérités
Mathématiques avec toute la clarté poffble
, avec l'ordre le plus convenable. Mais
la maniere de fuivre ce plan doit être décidé
par le plus ou le moins d'intelligence
dont on eft doué . Il en eft qui voulant
franchir les limites que la Nature, leur a
tracées , tâchent de marcher à grands pas ;
its effleurent les rapports , & ils les manquent.
Leurs idées n'ont pas le tems de
prendre affez de corps : d'autres idées , au
lieu de s'arranger de front , fe placent devant
celles - ci ; bientôt elles attirent toute
la foible attention d'un efprit qui fe précipite
; les premieres ne font apperçues
que par des teintes extrêmement affoiblies,
& ne femblent exifter que pour faire appercevoir
les dernieres. Ainfi dans la Peinture
, la dégradation des lointains fait fortir
les objets qui font fur le devant du tableau.
De- là la confufion , la néceffité de
retourner fur fes pas, une marche craintive,
le dégoût toujours voifin des efforts ftériles.
Avance - t- on avec une lente activité ;
les idées fe preffent , s'emboitent , fe fortifient
en s'étayant, elles forment des points
go MERCURE DE FRANCE.
d'appui inébranlables ; on apperçoir leurs
connexions , leurs differences , leurs divers
dégrés d'utilité.
On peut tomber dans un inconvénient
qui n'eft pas moins à craindre que la précipitation
; c'eft de regarder toutes les vérités
Géométriques , comme également im
portantes : l'attention fe répandant de la
même maniere fur les conféquences & fur
les principes fondamentaux , l'efprit ſe
bande trop , fes forces diminuent , parce
qu'elles font trop partagées. Il faut des
points dominans , où l'attention fe replie
plus que fur les autres. La connoiffance des
vérités capitales emporte celle des fubalternes.
Maître du tronc , on l'eft des branches.
Il y a une infinité de propofitions renfermées
dans d'autres , leur développement
fatigue ceux qui débutent. Quand on connoît
bien les maffes principales de l'édi
fice , on entre avec bien plus de facilité
dans le détail des petites diftributions : il
faut tendre à l'enfemble . L'efprit qui ne
voit que des parties ifolées , eft toujours
médiocre . On énerve fes forces dans les
conféquences minucieuſes.
Mais quelque foin qu'on prenne de les
ménager , il arrive quelquefois qu'on eft
arrêté , foit par des vérités profondes, dont
on ne peut approcher que par des circuits ,
SEPTEMBRE. 1749.99
foit
par un grand nombre de propofitions
qu'il faut le rappeller & fuivre comme une
chaîne qui aboutit au noeud de la difficulté ;
foit par des démonftrations qu'un Auteur
a mal articulées , qu'obfcurciffent des fousententes
, des ambiguités . Il y a tant de manieres
de défigurer le vrai
Ne le diflimulons pas , il eft des raifonnemens
dont le fil ne peut être fuivi que
par des efprits peu communs . Que ceux
qui ont de la peine à concevoir , ne fe découragent
point. Le tems fupplée fouvent
à la fagacité. A force de remanier les mê→
mes idées , on découvre les endroits par
où elles peuvent s'affembler ; c'eft en luttant
contre les obſtacles , que l'efprit de
vient robufte ; d'ailleurs ce qui a coûté ne
s'oublie point .
Les efforts font ils inutiles ? On doit
recouri à d'autres Auteurs qui ont traité
la même matiere. Par - là , on a l'avantage
des perfonnes qui font enfeignées de vive
voix , c'eft de paffer en revûe les mêmes vérités
offertes de differentes manieres.
Un von Maître , il faut l'avouer , vous
épargnera beaucoup de tems & de peines
, en retournant chaque objet , fuivant
Fafpect qui donne le plus de prife à votre
intelligence ; mais cela ne doit pas vous
difpenfer de travailler en votre particu
92 MERCUREDE FRANCE .
lier : faute de donner de l'exercice à l'ef
prit, il devient incapable de marcher feul ;
il contracte une forte de molleffe qui le
fait gliffer fur tout ce qui paroît épineux.
Craindre le travail , c'eft renoncer à plafeurs
vérités . Sous les yeux. même du Maître
, l'Eleve doit tendre fon efprit , afin de
le devancer , pour ainfi dire , dans fes démonftrations
; il doit rapprocher ce qui a
été dit , de ce qu'il prévoit qu'on va dire.
L'efprit de comparaifon remplace les autres
genres d'esprit , il ne peut jamais être
remplacé.
Prête -t-on une attention affez foible
pour fe laiffer emporter à des idées étran
geres ? On ne peut fe flatter d'aller bien
loin dans les Sciences : la vérité eft jaloufe ,
elle veut qu'on foit tout à elle .
Une des fuites de l'inattention , eft d'ignorer
pourquoi on ne conçoit pas un raifonnement
que d'autres trouvent très-clair.
Il eft cependant effentiel pour faire des
progrès folides,de pouvoir affigner le point
précis où commence l'obſcurité . En dévoi
ler les caufes , c'eft la diffiper.
Effet plus nuifible de l'inattention , ori
croit entendre des propofitions qu'on n'entend
point. On fe contente d'entrevoir
quelques rapports , fans examiner s'ils s'adaptent
à la matiere dont il s'agit : on on
SEPTEMBRE.
1749. 95
les refferre , ou on les étend trop . Un faux
rapport en amene un femblable , & d'erreur
en erreur on parvient à une prétendue
évidence , qui ne permet ni de faifir le vrai,
ni de s'en écarter entierement.
Le remede à ces inconvéniens feroit
fans doute de fecouer le joug d'une honte
déplacée , qui nous empêche d'avouer que
nous concevons difficilement . Il femble
qu'on aime mieux ne pas pénétrer, que de
paffer pour manquer de pénétration . Il ar
rive de là , qu'on fe voit privé, dans la fuite,
d'une réputation qu'on auroit acquife , fi
on n'avoit pas cru la mériter. Pourquoi
ne pas demander des éclairciffemens ? Eft il
honteux de chercher à faire des progrès
L'amour propre eft bien mal fervi par la
vanité.
Je fçais , Meffieurs , qu'en apprenant
les autres Sciences , on doit éviter la plû
part des défauts que nous indiquons. Nous
tâchons d'infinuer des vérités générales
qu'on ne sçauroit trop inculquer , & qui
font furtout importantes dans les Mathé
matiques , où la liaiſon & la févérité des
matieres ne permet point de voltiger , de
fe borner à des notions vagues & indéter
minées.
Heureux les Maîtres , fi leurs Difciples
ont les difpofitions que nous demandons
94 MERCURE DE FRANCE :
plus heureux les Difciples , fi leurs Maîtres
Les enfeignent de la maniere que nous allons
développer.
SECONDE PARTIE.
Figurons- nous un Mathématicien doué
des talens néceffaires pour former de bons
Eleves ; un efprit clair , net , jufte , précis
, à qui l'étude des vérités abftraites n'ait
ni noirci l'humeur , ni deffeché l'imagination
; également propre à enfeigner, foit
en particulier , foit en public. Dans le premier
cas , il s'appliquera à difcerner les divers
génies , & y pfiera fa méthode.
S'il rencontre des efprits lourds , il ne
laiffera pas tranfpirer le jugement qu'il en
porte ; il ne leur ôtera point la fatisfaction
qui refte à ceux qui font dépourvus d'intelligence
, la perfuafion d'en avoir ; il
leur applanira toutes les difficultés , les
dédommagera par fes égards de ce que la
Nature leur a refufé , convaincu que les
Difciples qui méritent le moins d'atten
tion , font ceux qui en ont le plus de
befoin ; que des efprits pefans peuvent
devenir très-utiles àla fociété, en acquérant,
par une étude opiniâtre , des connoiffances
d'autant plus sûres , qu'ils font forcés
de s'y renfermer .
Pour les efprits dont les idées font vola
SEPTEMBRE . 1749. 95
tiles , il liera commerce avec leur imagina
tion , tantôt par des comparaifons , par
des expreffions figurées , tantôt par des
applications aux opérations des Arts , par
une pratique qui fait tableau. Il y auroit
trop d'inconvéniens à vouloir les affervir
à une application auftere , dont leur lége
reté eft incapable ; on gagne peu à fe roidir
contre des défauts qui tiennent à l'organiſation
. Le moyen de ne pas déroger à
la méthode ordinaire avec des Eleves qui
n'ont rien de fixe que le défir de changer
d'objets ?
Avec des efprits timides , dont les talens
font enveloppés dans un germe qu'il ne
s'agit que de faire éclore , il defcendra
à une douce familiarité , il applaudira à
tous leurs fuccès ; bientôt une louange occafionnera
le fujet d'une autre ; il parvien
dra à leur infpirer une noble confiance qui
eft toujours la fource des progrès , quand
elle eft le fruir du travail. Les Eleves timides
font fenfibles , il faut mefurer fes
expreffions avec eux ; il fe les attachera par
des prévenances polies , par des foins obligeans
, qu'il fera prendre pour une mar◄
que de fa propre fatisfaction .
Les esprits préfomptueux qui croyent
poffeder une fcience , lorfqu'ils en ont à
peine une teinture , il les ramenera peu
96 MERCURE DE FRANCE.
à
peu à l'idée qu'ils doivent avoir de leur
capacité ; il les mettra fouvent à même de
fe convaincre qu'il faut fe défier de fes
forces , en leur faifant des objections qu'ils
ne pourront pas réfoudre , & dont il tirera
la folution des propofitions mêmes
qu'ils fe flattoient de concevoir . On fe
connoît mieux par les chofes qu'on ne peut
pas faire , que par celles que l'on fait.
A des efprits vifs , dont la pénétration
dévore les difficultés , il les leur préfen
tera fous un feul point de vûe ; il ne fera
que dégroffir les matieres , indiquer l'ordre
qu'il faut fuivre , donner la main dans
les mauvais pas. Il les engagera à déduire
eux - mêmes plufieurs conféquences , découvertes
, qui animeront leur émulation ,
& leur feront naître le défir d'en faire de
plus importantes. Les grandes font dûes
aux petites.
Si ce Maître trouve de ces efprits lents ,
qui ne laiffent pas d'avoir de la jufteffe
& de l'intelligence ; il offre fon fujet par
le côté le plus lumineux ; il en ferre les
parties , afin que l'une faffe appercevoir
l'autre il recharge fes teintes quoique fon
cées , il ne quitte le pinceau , que quand
il voit l'objet bien figuré dans leur efprit :
ce qu'il reconnoît ailément à une certaine
kberté qui fe répand fur leur phyfionomie.
Les
SEPTEMBRE. 1749 .
97
Les yeux furtout dénotent fi l'on conçoit ;
ils ceflent d'être fixes , & fe tournent avec
agilité. Quand on porte l'attention jufqu'à
ce point , on épargne fouvent à des Difciples
la confufion de n'avoir pas entendu
une propofition qu'on leur fait répeter ; &
on fçait qu'ils eftiment les Sciences à proportion
qu'elles leur donnent plus d'occa
fions de s'eftimer eux - mêmes.
Avec des efprits étendus , il épuife toutes
les parties d'un genre ; profonds , il
les fait remonter à l'origine des chofes
& en démêler les dépendances les plus
cachées.
On me dira qu'il eft difficile qu'un Profeffeur
nivelle ainfi la portée de fes Eleves.
Il eft vrai que cela demande de l'attention
; mais le défir de remplir fa profeffion
avec honneur, rend tout facile, fournit
des moyens qui échappent à l'homme
mercenaire.
Celui qui n'enſeigne qu'en public , a
une moindre tâche à remplir ; il n'eft point
dans l'obligation de creufer les divers génies.
Il doit pourtant partir d'une portée
commune , & y ajuſter fa méthode. Il fuppofera
que fes Difciples ont un efprit trèsmédiocre
, de-là la néceffité de n'employer
que des expreffions claires , & pour ainfi
dire transparentes , nulles phrafes entor
E
8 MERCURE DE FRANCE.
tillées , nuls détours ennuyeux , aucun placage
.
›
Il évitera de fubftituer de nouvelles fa
cons de parler , à celles qui font reçûes. Le
langage des Mathématiques eft une espece
de Langue facrée , qui ne permet point d'innovations
moins encore d'enluminures,
Un Phyficien fort eftimé a voulu répandre
quelques agrémens fur des élémens
de Géométrie , il a rendu obfcures des démonſtrations
énoncées clairement dans des
ouvrages médiocres. Il eft des vérités que
la parure offufque. Le vrai Mathématique
eft au- deffus des jeux & du fafte de l'imagination,
il vent être peint avec des couleurs
mattes , un coloris gai le rendroit ridicule,
Le langage fût- il clair & modefte ; la
plupart des raifonnemens feroient difficiles
à pénétrer , fi on ne les alignoit fuivant
l'analogiela plus fimple, & fi on laiffoit
des vuides entre les idées . Il faut pour le
grand nombre des Difciples , que les rapports
fe touchent ou s'embraffent les uns
autres. de les autres. C'eft le beau de l'Art , de les
réunir à une feule tige , d'où ils fortent
comme des rameaux . Alors il eft aifé de
les fuivre , furtout fi l'on efquiffe un petit
plan de la démonftration qu'on va donner
. Un pareil raccourci fauve à l'efprit une
incertitude qui le tiraille . Sans cette préSEPTEMBRE.
1749. 99
caution , il eft fufpendu par
differentes propofitions
dont il
n'apperçoit pas le terme ;
au lieu qu'en lui marquant la route qu'on
va choifit , les allées qui fe croiferont , les
circuits qu'on fera obligé de faire pour
atteindre le .but , il porte
tranquillement
fon attention fur chaque branche de la diffi
culté , il fuit
facilement un chemin qu'il
peut déja tracer lui - même.
Il prend un effor plus libre encore
lorfqu'on lui abrége le nombre des idées
moyennes , de ces idées qui s'appellent
mutuellement. La
fuppreffion de quelques
anneaux , en raccourciffant la chaîne des
preuves , en augmente la force, & les met à
portée d'un plus grand nombre d'efprits.
હૈ
En prenant les mesures que nous indiquons,
& celles qu'elles fuppofent, on mene
clairement fes Eleves aux conclufions , à
moins qu'on ne leur ait pas laiffé le tems
de fe
familiariſer avec les idées fimples ,
de bien appercevoir leur liaiſon , & qu'on
ait paffé trop légerement fur les définitions,
fur les premieres notions qu'on doit leur
donner . Tout dépend des couches préliminaires.
Nous tâcherons, Meffieurs , de les appliquer
de telle forte , que nous n'ayons rien
à nous reprocher. Puiffions- nous nous élever
au degré de perfection qu'exigent les
É ij
too MERCURE
DE FRANCE
.
:
grandes
vûes du Roi , être occupés
des
progrès de nos Eleves , comme il l'eft du
l'avoir probonheur
public ! Il ne croit pas
curé ,
, tant qu'il apperçoit
des moyens de
l'augmenter
, & il en voit toujours
, parce
qu'il défire toujours
d'en voir ,
Quatrième
Lettre de M. Cantwell
, Docteur
Régent de la Faculté
de Paris , Profeffeur
de Chirurgie
aux Ecoles de Médecine
, Membre
de la Société Royale de Londres
.
J
E vous ai entretenu
, Monfieur
, dans
ma derniere
Lettre , des affections
du
conduit
urinaire
, & des bougies
qu'on èm. ploye pour les guérir : je vous entretien- drai dans celle- ci de l'action
du Mercure
.
L'objet de votre difficulté eft , que regardant
la falivation
, comme contraire à
la cure des maladies vénériennes
, je fuis
d'avis qu'on employe pour chaque traitement-
le double , ou plus que le double de
la quantité de mercure qu'on y employe
ordinairement
, & vous demandez
comment
avec cette double quantité de mercure
, je puis prévenir le Puyaliſme.
Pour mettre plus d'exactitude
dans ma réponſe
, je diviſerai
cette Lettre en trois
articles. Dans le premier
, je dirai quelque
SEPTEMBRE. 1749. 101
par chofe du virus , & j'expoferai les voies
lefquelles il s'infinue dans la maffe des humeurs
; dans le fecond , je regarderai la
falivation comme un effet accidentel du
mercure , j'en expliquerai les caufes , &
j'indiquerai les moyens de l'éviter ; dans le
troifiéme , je l'envifagerai comme un effet
qui dépend de quelque qualité inhérente
de ce minéral , & j'examinerai l'on peut
le dépouiller de cette vertu.
Premier Article.
Le virus eft un poifon , dont la moindre
particule , mêlée avec nos humeurs , en
change la difpofition naturelle , & lui
communique la fienne. Toutes nos humeurs
font dans une circulation continuelle
, & fe remêlent néceffairement les
unes avec les autres , excepté les excrémens
qui font expulfés du corps comme
inutiles & nuifibles. Toute l'habitude du
corps humain , toutes les membranes qui
en tapiffent les cavités , font parfemées de
vaiffeaux abſorbans . Ces vaiffeaux , ou ces
pores , fi vous voulez les appeller de ce
nom , pompent les particules les plus fubtiles
des corps qui leur font appliqués , &
les charrient dans les veines lymphatiques.
Les emplâtres véficatoires , celui de vigo ,
Ponguent mercuriel , & les bains domeſti
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ques,nous fourniffent des preuves de cette
vérité. Voilà des voies ouvertes au virus.
Il y a des malades qui n'accufent qu'un
bonnet , des gands , ou d'autres vêtemens
qui avoient fervi à des gens infectés de
cette maladie . D'autres affûrent que la
feule cauſe qui peut leur avoir occafionné
ce mal , c'est d'avoir couché dans les draps
de quelques perfonnes qui en étoient travaillées.
Ces cas me paroiffent poffibles ,
mais fort fufpects . Que le virus s'infinue
par les pores de l'uréthre , ou des parties
voifines , ou attenantes de la matrice , c'eſt
un fait qui ne fouffre point de difficultés.
Quelquefois il fe niche dans un coin , &
y caufe une inflammation , qui fe termine
par un abſcès ou un ulcére, d'où les particu
les du pus fe tranfmettent dans la maffe
des humeurs. Quelquefois il rencontre une
glande , une lacune , ou une playe , par
laquelle il s'infinue avec facilité. Il y a apparence
que dans trois de ces derniers cas ,
il s'introduit immédiatement dans les veines
lymphatiques ou dans les fanguines.
C'est dans celles-ci , ou dans le réſervoir
commun , que les veines lymphatiques le
conduifent , d'où il eft porté à la veine
foufclaviere , à la veine cave , au coeur ,
& de-là à toutes les parties de la machine.
Le virus peut rouler long-tems dans le
1
SEPTEMBRE . 1749. 16f
fang , fans caufer des fymptômes apparens.
Mais quand il ſe manifefte dans un
endroit , n'a- t'on pas lieu de craindre qu'il
n'ait laiffé ailleurs la difpofition de paroître
également ? Peut -on croire qu'il n'aura
pas changé la modification naturelle de
la lymphe , & communiqué à nos humeurs
une altération qui pourra éclore tôt ou
tard ? La lymphe & le fang , qui reviennènt,
des parties couvertes de porreaux ,
de verues , ou d'autres excroiffances femblables
, en font vraisemblablement entichés.
Le pus , qui fe forme dans les abſcès
ou dans les ulcéres, en eft infecté indubitablement.
En pareil cas , ne doit- on pas
craindre le progrès du mal , & une infection
générale Peut-on être fûr que la
lymphe de quelque partie que ce foit
n'en aura pas reçu l'impreffion ? L'expérience
eft d'accord avec la raiſon , & ne
permet pas de révoquer en doute une vérité
fi conftante ,
Ce principe une fois établi , fi le mercure
eft le vrai fpécifique du mal , il
faut le faire paffer & repaffer plufieurs fois
dans toutes les parties du corps. Pour qu'il
produife plus fûrement fon effet , il doit
être tellement diſtribué , qu'il puiffe rencontrer
fouvent toutes les particules des
tumeurs , pour y détruire l'altération que
E iiij
-104 MERCURE DE FRANCE.
dix
le virus y aura pû caufer . Tout divisible
que foit le mercure , je ne crois pas que
ou douze gros de ce minéral , mis en mouvement
par les feules puiffances vitales ,
puiffent être reduits en particules fi petites
, que le nombre en égale celui des vaiffeaux
qui compofent le corps humain . A
plus forte raifon ne fourniroient-ils pas
affez de particules pour rencontrer toutes
celles de nos humeurs. On ne les adminiftre
pas tous à la fois , & il s'en échappe
à chaque inftant par toutes les fecrétions
de forte qu'il ne refte jamais ni le tiers , ni
même le quart de cette quantité , à la fois
dans le corps. Si les excretions font augmentées
, les pértes augmenteront à proportion
, & la quantité du mercure reftant
fera toujours moindre. C'eft fur ce fondement
que je penfe , qu'on doit employer
pour le moins deux onces , ou deux onces
& demie de mercure , fans compter l'axonge
ou le beurre de cacao.
Second Article.
>
Le mercure , tranfmis dans le fang par
les vaiffeaux abforbans , arrive à la fin au
ventricule gauche du coeur , qui le rejette
dans l'aorte , d'où il eft porté dans toutes
les artéres fanguines , féreufes , lymphatiques
, & nevro-lymphatiques , & diftribué
SEPTEMBRE. 1749 . 105
>
dans toutes les parties de la machine. Les
veines qui répondent à ces artéres , reçoivent
la plus grande portion de ce mercure
qu'elles conduifent au ventricule
droit. Celui- ci l'envoye aux poulmons
par l'artère pulmonaire , dont la veine
congenere le rapporte au ventricule gauche.
Je dis que les veines reçoivent la plus
grande partie du mercure que le ventricule
gauche a jetté dans l'aorte , parce qu'il
s'en échappe par les vaiffeaux perfpiratoires
; ce qui fe prouve par la blancheur marquée
que l'on apperçoit fur les bagues des
perfonnes à qui on fait les frictions , fur
les cannes à pommes d'or qu'elles manient
,fur l'or & les montres qu'elles peuvent
porter dans le gouffet. Il s'en perd
encore par les autres fecrétions , puifqu'on
en trouve dans l'urine de ceux qui ont les
voies urinaires fort ouvertes , & dans la
falive de ceux à qui l'on a provoqué le
Pryalifme. Celui qui tombe dans les cavités
qui n'ont point d'iffue , eft repompé
par les vaiffeaux abforbans , & rapporté
dans les voies de la circulation. C'eſt dans
cette circulation continuelle où eft le mer
cure avec le fang & la lymphe , qu'il doit
rencontrer tous les globules de nos hu
meurs , les brifer , les divifer , & détruire
toute la modification contre nature , qu'ils
Ev
106 MERCURE DE FRANCE
peuvent avoir reçue de la maladie . S'il en
refte un feul de vicié , qui ait échappé à
l'action du mercure , le malade eſt manqué,
& de nouveaux fymptômes paroiffent
dans la fuite.
"
Voyons maintenant.comment cela
peut
arriver à ceux à qui l'on procure la ſalivation.
Le commencement de l'aorte eft
une espéce de courbe , & par conféquent
le fegment de quelque cercle. Le fang eft
de lui-même un liquide héterogene , & le
mêlange du mercure augmente en lui cette
qualité. Tout corps , mû circulairement ,
tache de s'échapper par les tangentes du
cercle qu'il décrit. Donc les particules
qui compofent ce liquide hétérogéne
tachent auffi dans la portion circulaire de
l'aorte , de fortir par les tangentes. Plus le
corps mû circulairement eft agité avec
force , plus grand auffi eft l'effort qu'il fait
pour s'échapper. Les particules du mercure
, étant plus denfes que celles du ſang,
reçoivent plus de mouvement qu'elles.
Leur effort à paffer par les tangentes eft
donc plus fort que celui des particules du
fang ; elles s'approcheront donc plus de la
farface fupérieure de cette courbe que dé
crit le commencement de l'aorte , que n'en
approcheront les particules du fang. C'eſt
de cette furface fupérieure que naiffent en
SEPTEMBRE 1749 107
gortangentes
, ou approchant de tangentes
des vaiffeaux qui peuvent les laiffer échap
per. Ces vaiffeaux font deux foufclavie
res , & la carotide , dont les diamètres font
confidérables. Donc la ftructure du com
mencement de l'aorte , & la naiſſance des
fouclavieres & de la carotide , font paffer
plus de mercure à proportion vers les parzies
fupérieures que vers les inferieures.
Les artéres carotides fe divifent à une cer
taine hauteur en internes & en externes.
Celles -là font , pour ainfi dire , perpendi
culaires ; celles - ci forment des plans inclinés.
Les externes vont au col , à la
ge , à la bouche , aux glandes qui s'y trou
vent , & à toutes les parties extérieures de
la tête. Un corps s'élevé plus facilement
par un plan incliné que par une ligne perpendiculaire.
Donc les particules de mereure
, qui paffent par les carotides externes
, confervent plus de leur mouvement ,
qu'elles n'en auroient confervé , fi elles
ávoient paffé par les carotides internes.
Il y a même lieu de croire que cette origine
des carotides externes facilite l'entrée
du mercare qui y paffe , & multiplie
le nombre de fes particules. Il n'eft done
pas furprenant , qu'après trois ou quatre
frictions faites coup fur coup , ou à un
petit intervalle l'une de l'autre , les vaifĘ
vj
108 MERCURE DE FRANCE .
feaux falivaires fe rempliffent , les glandes
deviennent engorgées , la bouche s'échauffe
, s'enflamme , des vaiffeaux s'y rompent
; il s'y forme des chancres & des ulcéres
, les malades fouffrent de grandes
douleurs , le Pryalifme furvient , & le
mercure s'évacue avec le fang , le pus , la
falive & les crachats.
Dans le tems de la falivation , le mer
cure trouve moins d'obſtacles dans la bouche
, qu'il n'y en trouvoit auparavant. Il
coule avec plus de facilité , & s'y porte
en plus grande quantité , comme fait la
férofité dans les inteftins , lorfqu'on a pris
médecine , ou dans la veffie , lorfqu'on a
avalé un diurétique qui a ouvert les
tuyaux des reins. Avant le Ptyalifme , la
plus grande portion du mercure , qui venoit
à la bouche , retournoir au coeur par les
ve ines , & continuoit à rouler avec le fangs.
mais dès qu'on a provoqué le Pryalifme ,
elle paffe par les vaiffeaux dilatés , déchirés
ou ulcerés. Chaque contraction du
coeur y en envoye une nouvelle quantité :
fi le coeur . fe contracte quatre mille fois.
par heure , la déperdition du mercure fera
répetée quatre- vingt feize mille fois par
jour, & toujours à raifon de la quantité
de la falivation , du nombre des ulcéres &
des déchirures. Ce n'eft pas- là la feule
SEPTEMBRE. 1749 109
voie par laquelle le mercure s'échappe dans
le tems de la falivation : la fueur de la tête
& des parties voisines augmente ordinairement
pour lors , & en entraine avec elle
une partie. La facilité que le mercure
trouve à paffer par la bouche , diminue la
quantité qui devroit fe porter aux autres
parties , qui en peu de tems n'en reçoivent
plus du tout. Le ravage qu'il a caufé dans
la bouche & à la gorge , empêche qu'on
ne faffe de nouvelles frictions , & le malade
conferve encore chez lui quelques
parties de virus. On croiroit que du moins
La bouche & la gorge en devroient être abfolument
dégagées , & que le retour du
mal ne devroit point commencer à s'y mafefter.
L'expérience journaliere prouve
cependant le contraire , & la raifon en eft
bien claire. C'est que tous les vaiffeaux
de la bouche & de la gorge ne font pas
également gonflés dans le Ptyalifme : les
plus dilatés en compriment d'autres , que
le mercure ne peut enfiler ,, parce que le
cours des humeurs y eft gêné , de forte que
le virus qui s'y trouve, ne peut être détruit,
our y eft fi foiblement combattu , qu'il
peut reparoître dans quelque tems avec
toute fa force & fon énergie. Et fi cela arrive
dans la bouche , qui dans le tems de
la falivation reçoit à proportion plus de
110 MERCURE DE FRANCE.
mercure que les autres parties du corps ,
ne doit- on pas craindre pour
celles-ci qui
fe trouvent alors privées de leur contingent
de ce minéral ?
Je n'ajouterai point à ces réflexions
l'expérience & le calcul que j'ai inferés
dans ma Théfe * , & qui fourniffent des
preuves de ce que j'avance. Vous pouvez
la confulter , Monfieur , puifque vous l'avez
entre les mains.
Il s'enfuit de tout ce que je viens de
dire , que la caufe du Ptyaliſme eft la trop
grande quantité de mercure qui vient à la
bouche , ou l'impétuofité avec laquelle il
sy porte. Pour prévenir cet effet , il faut
1. adminiftrer le mercure , de forte qu'il
n'arrive qu'en petite quantité à la fois au
ventricule gauche du coeur , & par ce
moyen iln'y en entrera que peu à chaque
contraction de ce vifcére dans la croffe de
Paorte. Ce peu fera diftribué à tous les
vaiffeaux , & quoique les carotides & les
fouclavieres en reçoivent plus à proportion
que les autres ,la quantité en fera toujours
petite par rapport à la bouche.
•
2. Pour prévenir l'impétuofité du mercure
, il faut faire enforte qu'il ne s'excite
Voyez ma Thefe de l'an 1741. An Ptalifmus
frictionibus mercurialibus provocatus , perfecta
Luis venerea fanationi adverfetur ?
SEPTEMBRE . 1749 . FIY
dans le
corps , ni fiévre , ni mouvement
déréglé ou impétueux . Tout Médecin de it
être en état de prendre ces précautions ,
puifque ces mouvemens ne font occafionnés
que par des accidens dépendans des
chofes non-naturelles .
L'onguent fait au tiers me paroît plus
propre à ce deffein , que celui qui eft fait
de parties égales de mercure & de graiffe ,
& il eft plus à propos de faire les frictions
fur une grande étendue de l'habitude du
corps , que fur une petite. La raifon de
Fun & de l'autre eft facile à comprendre.
Quant au nombre des frictions , à la dofe
de l'onguent qu'on doit employer pour
chacune, & à l'intervalle qu'on doit garder
entre elles , il n'y a qu'une connoiffance
parfaite des régles que je viens de pofer ;
un examen journalier de la bouche & de
la gorge ; une attention infinie à l'état du
poulx , un foin extrême de découvrir le
plus ou le moins d'élasticité , & de tenfion
des fibres , & la vifcofité ou la fluidité
du fang , avec beaucoup d'expérience ,
qui puiffent Fenfeigner. Vous concevez
bien qu'il ne faut pas traiter tous les malades
de la même maniere ; que la diffe
rence du tempérament , la force ou la
foibleffe du malade , les maladies qui peu
vent le trouver compliquées avec celle
112 MERCURE DE FRANCE.
que l'on traite , les fymptômes qui l'accompagnent
, le plus ou le moins de difpofition
naturelle qu'on a de moucher ou
de cracher , la facilité plus ou moins grande
que les amigdales ont à s'engorger , doivent
beaucoup varier le traitement. C'eft
au Médecin d'appliquer ces régles aux difpofitions
de chaque malade en particulier,
& de veiller par lui même à la conduite
du traitement , fans fuivre l'exemple de
quelques- uns des grands Maîtres , qui l'abandonnent
à quelque Ministre fubalterne
, qui n'eft guére plus éclairé ni mieux
inftruit que le malade qu'il a à traiter ;
fource inévitable de beaucoup d'accidens
qui aigriffent le mal , & en font manquer
la cure. Il eft étonnant de voir combien
de gens font profeffion de traiter cette
maladie , quoiqu'ils n'ayent pas la moindre
teinture des premiers principes de
F'Art. Vieilles femmes , petits fraters ,
charlatans étrangers , tous s'en mêlent , au
grand malheur des Citoyens , qui ne ſont
que trop fouvent la dupe de leur fotte
crédulité. Il.me paroît à moi , qu'on ne
fçauroit être trop éclairé , trop expérimenté
, ni trop attentif , pour réuffir dans le
traitement de cette maladie.
SEPTEMBRE . 1749. 113
Troifiéme Article.
Je viens de regarder le mercure , comme
un fluide très - pefant , toujours divifi- !
ble dans des particules homogénes au tout,
& fans autres préparations que quelques-
unes de celles qu'aucun Médecin ne
devroit ignorer. C'eft dans cette derniere
hypothéle ,› que j'ai expliqué la cauſe du
Ptyalifme , & propofé des régles pour l'éviter.
La crainte des inconvéniens de la
falivation ayant fait naître à d'autres Praticiens
le deffein de la prévenir , voici de
quelle façon ils s'y font pris . Les uns ont
penſé qu'il falloit donner le mercure en
très-petite dofe , & laiffer des intervalles
confidérables entre les frictions , de forte
que fuivant leur méthode il faut quatre
ou cinq mois au moins pour achever la
cure. D'autres vouloient qu'on fit de plus
amples frictions , & qu'on purgeât le malade
le lendemain de chacune , pour détourner
le reméde de la bouche , & le précipiter
en bas. Enfin d'autres ont crû qu'il
falloit corriger le mercure , & le dépouiller
de fa vertu falivante .
La premiere de ces méthodes pourroit
être efficace , fi l'on n'avoit pas à craindre
l'impatience du malade ou du Médecin.
Quelque inattention accidentelle de la
114 MERCURE DE FRANCE.
part de celui-ci , eft d'une dangereufe conféquence
, & il arrive fouvent des fymptômes
urgens , qui ne fouffrent point une
femblable lenteur , qui s'augmentent de
plus en plus , & font un ravage extrême
même dans la méthode ordinaire , avant
que le mercure foit parvenu à les combattre.
Ajoutez à cela qu'il y a bien des malades
, à qui les affaires , & les circonftances
particulieres où ils fe trouvent , ne 'permettent
pas de donner un tems fi confidérable
au rétabliffement de leur fanté .
La feconde méthode n'eft pas plus fûre
que celle de la falivation . Le mercure
que l'on tranfmet dans le fang par les
frictions, en eft bientôt expulsé par les purgatifs.
Les inteftins , & les autres vifcéres
du bas ventre , en font accablés , & les
accidens qui arrivent en conféquence , ne
permettent pas de l'adopter ; comme dévoyemens
, dyffenterie , hémorrhoides , &
quantité d'autres auffi douloureux & embarraffans.
La troifiéme méthode a réuffi à pen de
perfonnes . Je dis à peu de perfonnes , car
il y en a effectivement qui l'ont employée
avec fuccès , & qui fçavent donner le
mercure en une dofe confidérable , fans
craindre qu'il fe porte à la bouche. Je
n'hésite pas de l'avancer , & j'ai pour ga
3
SEPTEMBRE . 1749.f
115
rant un Médecin de Paris , qui n'eft pas
moins digne de foi , que célébre par fes
lumieres & fon expérience , & qui m'a affûré
qu'il fçavoit dépouiller le mercure de
fa vertu falivante , fans lui ôter rien de
fa vertu fpécifique. Son nom feul , fi j'ofois
m'en appuyer , ne laifferoit là - deffus
aucun doute dans l'efprit le plus incrédule.
Mais le profond refpect que j'ai
pour les talens & pour fon mérite , m'impofe
le filence, jufqu'à ce qu'il m'ait permis
de le rompre
.
CONCLUSION.
Les frictions mercurielles adminiftrées
de la maniere ordinaire , foir à un malade
, foit à une perfonne faine , excitent
ła falivation. On guérit cependant nombre
de malades par le moyen des frictions ,
fans les faire faliver. M. Chicoineau l'a
affûré dans fa Théfe. M. de la Peyronie
me l'a fouvent dit , & s'attribuoit le mérite
de l'invention de cette méthode.
M. Aftruc même ne le nie pas dans fon
excellent ouvrage de Morbis Venereis . Et
il n'y a guéres de Médecins , à qui il ne foit
arrivé de guérir fans Pryalifme. La falivation
n'eft donc pas abfolument néceffaire
pour détruire le virus. Il me femble
que j'ai prouvé qu'elle peut apporter un
11G MERCURE DE FRANCE.
obftacle à la cure : elle eft donc non feu
lement inutile , mais même contraire au
deffein que l'on fe propofe. Tout le
monde convient qu'elle eft fâcheufe , incommode
, dangereufe , & quelquefois
mortelle. Pourquoi donc en rifquer l'évenement
? Et y a - t'il fujet de s'étonner
qu'on l'évite , quand on a des régles pour
fe conduire , & qu'on peut dépouiller le
mercure des qualités qui produifent cet
effet ? Voilà , Monfieur , ce que j'avois à
répondre aux principales queftions de
votre Lettre ; mes affaires m'empêchent
de vous donner fur les autres des réponfes
particulieres ; mais vous pourrez affifter
aux leçons publiques que je dois bientôt
faire , & qui rouleront pour la plupart
fur ces matieres.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SEPTEMBRE . 1749. 117
RELATION
Du Service folemnel qui a été fait dans l'Eglife
des Peres Barnabites du Collège de
Montargis le 20 Mars 1749 , pour le repos
de l'ame de trés- haute , très-puiffante
très-excellente , Princeffe Marie Fran,
coife de Bourbon , Douairiere de S. A. R.
Philippe Duc d'Orléans , Régent din
Royaume,
du
E deffein de la pompe funebre , préce
d'après le deffein du rétable de l'Eglife des
Peres Barnabites ; rétable que les Connoiffeurs
eſtiment , & qui étant compofé
de quatre colomnes , avec nombre de pilaftres
de marbre noir, & de pierre de lierre
parfaitement belles , traçoit naturellement
le deffein qu'on devoit fuivre pour la décoration
de l'Eglife . Trente-quatre pilaftres ,
qui partagent ce vaiffeau , étoient revêtus
d'un marbre fimulé , parfaitement reffemblant
aux pilaftres , & aux colomnes de
marbre qui font dans le Sanctuaire . Differentes
litres d'une belle largeur , reparties
dans toute l'étendue de l'Eglife , la
tageoient en autant de parties & de figures
par118
MERCURE DE FRANCE.
diverfes qu'il en falloit pour rendre fidelement
le deffein du rétable . Les deux Autels
plus petits , qui forment comme une
dépendance du grand , n'étant qu'en fimple
boiferie d'une belle fculpture , on les
avoit revêtus en blanc ; les colomnes avoient
été mises en marbre noir : & pat cette difpofition
, elles ne formoient avec le grand
Autel qu'un tout parfaitement reffemblant.
Sur le haut de ces trois Autels , on avoit
placé de grands écuffons accolés extrêmement
riches. On en avoit également orné
toutes les litres , mais en les variant. Les uns
étoient en palmes , tantôt en or , tantôt en
argent; les autres avec des manteaux d'hermine
, femés de Fleurs de Lys d'or fur le
revers ; les autres avec des cordelieres de
toute efpece.
Les intervalles, entre les pilaftres placés
dans la Nef, étoient remplis par des emblêmes
, qui caractérifoient les differens
traits de la vie & de la morr de l'augufte
Princeffe qui faifoit l'objet de cette trifte
cérémonie , & à tous ces emblèmes répondoient
autant de luftres qui éclairoient
cette hiftoire fymbolique ; au-deffus &
au-deffous de ces emblèmes , on avoit
orné les litres du chiffre de cette illuftre
Princeffe, qui étoit en or.Tous les pilaftres
fembloient s'unir par des guirlandes en
SEPTEMBRE . 1749. 119
noir & en blanc , qui regnoient dans toute
l'Eglife. La corniche de ces pilaftres étoit
remplie de flambeaux d'argent avec des
bougies. Telle étoit la difpofition générale
de l'Eglife .
Le Sanctuaire étoit orné fimplement, mais
avec goût. Les tableaux des trois Autels
étoient couverts de draps mortuaires , des
plus beaux. Tout le blanc, qui en forme la
Croix , étoit femé de Fleurs de Lys , de
palmes , de chiffres , de couronnes en or ;
tout le noir étoit enrichi de larmes , de
têtes de mort , de chiffres , & autres ornemens
en argent . Les Armoiries de la Princeffe
formoient les quatre coins de ces draps
mortuaires , & étoient auffi riches que tout
le refte. Tout l'efpace qui fe trouve depuis
le rétable du grand Autel jufqu'aux petits
, étoit rempli par des pieces d'étoffe ,
difpofées en colomnes , mi- parties de
blanc & de noir , fur lefquelles on avoit
mis le même deffein que fur les draps mortuaires
des Autels, Toutes les colomnes
blanches étoient enrichies de divers ornemens
en or ; toutes les colomnes noires l'éroient
en argent.
Sur une baze quarrée de douze pieds
en longueur , de onze en largeur , & de
fix en hauteur, placée dans le milieu de la
Croix de l'Eglife , s'élevoiënt fix dégrés
120 MERCURE DE FRANCE.
l'un fur l'autre , qui réunis avec la baſe ,
formoient une figure pyramidale de la hauteur
de plus de onze pieds . Le dernier
dégré de cette pyramide foutenoit un tombeau
à la Romaine , de marbre noir. Cette
urne , qui étoit de cinq pieds de haut ,
étoit ornée , dans toutes les faces , des armoiries
de la Princeffe , de fon chiffre ,
de têtes de mort, & d'autres ornemens placés
avec fymmétrie . Sur le haur de l'urne,
étoit placée une couronne d'or qui repofoit
fur un carreau de deuil : on l'avoit
couverte d'un voile tranfparent , qui en
laiffoit, entrevoir l'éclat. Ce catafalque
étoit orné auffi richement que le Sanctuaire
, & dans le même goût. On avoit pris
des plus belles étoffes neuves en noir & en
blanc , qui rempliffoient tous les gradins
d'une maniere uniforme. L'or & l'argent
répandus fur les écuffons , les Fleurs de Lys,
les chiffres , les palmes , têtes de mort ,
larmes , &c. qui ornoient ces pieces d'étoffe
, réfléchiffoient avec beaucoup d'éclat
la lumiere que jettoit un nombre
prefque infini de bougies placées avec fymmétrie
fur les fix dégrés , dans des chandeliers
ou des flambeaux d'argent , & fembloient
la reproduire. Quatre Vertus appuyées
fur le premier gradin d'en bas
dans les quatre coins du catafalque , préfentoient
SEPTEMBRE . 1749. 127
Tentoient tous les fymboles , tous les
effets de la douleur ; elles fembloient
pleurer une Princeffe fi digne des regrets
de la Religion , & devenoient par - là trèspropres
à exprimer les regrets d'unCollége,
fi fpécialement dévoué à l'Augufte Mailon
d'Orleans .
Au - deffus du catafalque , s'élevoit un
dôme de dix-fept pieds de haut , qui prenant
fa naiſſance dans la voûte de l'Eglife ,
defcendoit en proportion , & formóit , en
s'élargiffant toujours , un grand rond qui
renfermoit toute l'étendue du catafalque.
De ce cul de lampe renverfé , qui en dedans
& en dehors étoit orné de larmes , de
têtes de mort , avec de grands galons d'argent
, & qui étoit terminé par de beaux
feftons , pendoient quatre rideaux d'une
étendue immenfe , mi-partis de blanc &
de noir, garnis d'hermine fur le blanc , de
larmes & de têtes de mort fur le noir . Les
rideaux après avoir formé un grand feſton,
en defcendant à volonté , étoient attachés
aux quatre maîtres piliers de la Croix , d'où
ils defcendoient en feftons jufqu'à terre.
Entre ces rideaux & les bords du dôme
pendoient quatre lampes d'argent. Du centre
pendoit un grand luftre de cristal , dont
les bougies conduifoient avec les lampes
la lumiere par dégrés , depuis le catafalque
F
122 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'au grand cercle du dôme , qui fem
bloit ne former lui - même qu'un grand cer
cle de lumiere , par la multitude de bougies
dont il étoit garni , à très - peu de diſtance
l'une de l'autre, Plufieurs autres luftres
qu'on avoit placés dans le Sanctuaire , dans
les côtés du catafalque & dans la Nefde
l'Eglife , avec un grand nombre de flambeaux
d'argent , qu'on avoit répandus par
tout où les luftres ne pouvoient être pla
cés, remplaçoient abondamment, par la lu
miere des bougies dont ils étoient char
gés, la lumiere du jour qu'on avoit dérobée,
en fermant exactement toutes les fenêtres
& toutes les portes.
Dès la veille de la cérémonie , tous les
exercices du Collége avoient été entierement
fufpendus en figne de deuil. Les clo
ches du Collège l'annonçoient d'heure en
heure. M. le Prieur de Montargis voulur
donner dans cette occafion une nouvelle
preuve de fon zele pour la Maifon d'Or
leans , en faifant fonner également toutes
les cloches de l'Eglife Paroiffiale, Vers les
neuf heures & demie , M. le Prieur de
Montargis avec tout le Clergé de la Paroiffe
, les Peres Bénédictins de Ferrieres ,
les Peres Récollers , le Préfidial , le Corps
de Ville , les Eaux & Forêts , l'Election
& tous les autres Corps qu'on avoit in
S
1749. 125 SEPTEMBRE.
vités en cérémonie; s'étant rendus dans l'Eglife
des Peres Barnabites , avec une exactitude
digne du zele qui anime les Chefs &
les Membres de ces differentes Compagnies
pour l'augufte Maiſon d'Orleans , le
Service commença. La Meffe fut célebrée
par le Supérieur du Collége , & chantée
à plufieurs choeurs d'une Mufique propre
à la cérémonie lugubre qui en faifoit le
fajet. L'Oraifon funebre , qui fut pronon
cée par le Profeffeur de Rhétorique après
l'Evangile , étant achevée , on continua
la grande Meffe , après laquelle on fit les
abfoutes , afperfions , & les encenſemens
ordinaires. La cérémonie finit par un De
profundis chanté par la Mufique.
L'Oraifon funebre prononcée par le Pro
sfeffeur de Rhétorique exprimoit trop fide
fement les fentimens qu'on avoit éprouvés ,
& qu'on éprouvoit encore à Montargis ,
pour ne pas être goûtée. L'Orateur prit fon
texte de cet endroit duChapitre 16 duLivre
d'Efther : Luxit eam omnis populus. Après
avoir rappellé, de la maniere la plus énergi
que , cette trifteffe générale répandue dans
tous les coeurs , lorfqu'on apprit dans cette
Ville la mort de cette illuftre Princeffe ,
il trouva dans les motifs de cette douleur
le plan & la divifion de fon difcours. Elle
fnt pleurée de tout le monde , dit - il ,
F ij
124 MERCURE DEFRANCE.
Pourquoi parce qu'elle faifoit le bonheur
& l'admiration des hommes , par les
rares qualités de fon coeur ; parce qu'elle
faifoit la gloire & l'ornement de la Religion
,, par l'éminence de fes vertus.
La modeftie de l'Orateur ne lui ayant
pas permis de remettre fa piece pour en
faire ou une copie , ou du moins des extraits
en régle , on fe contente d'en tracer
ici quelques traits échappés , qui pour être
plus frappans , fe font gravés plus profondément
dans la mémoire. En parlant de
l'innocence de cette grande Princeffe pendant
fon féjour à la Cour , voici à peu près
comment l'Orateur commençoit ..
» Mais où la fit - elle éclatter , cette in.
»nocence ! Et fur quel Théatre viens - je
Q ici vous préfenter cette religieufe Princeffe
Sageffe adorable de mon Dieu, par
» quelles routes conduisez- vous vos Elus ?
» Ah ! Mrs , ne perdez rien d'une cir-
» conftance auffi intéreffante : c'eft dans le
fein de la Cour la plus brillante de l'Univers
que je viens la produire. Quel Théatre
pour la vertu ! Et l'avoir nommé
» n'eft- ce pas d'avance vous avoir donné.
» l'idée de la grandeur du danger ? Pourquoi
la Cour des Princes de la terre ,
» qui nous offre l'image la plus fenfible de
₪ la grandeur , de la puiffance du fouveSEPTEMBRE
. 1749. 125
rain Maître , n'en exprime - t - elle pas
auffi la fainteté ? Pourquoi ces Sanctuai-
Dres fi refpectables , fi dignes de tous nos
» hommages , font - ils en même tems le
» trop jufte objet de nos larmes & de notre
» zéle ?
Ici l'Orateur faifoit le portrait de la
Cour , & le frappoit avec les couleurs les
plus vives , il le finiffoit à peu près en ces
termes.
» ...... La Cour , où pour
l'ordinaire
' on n'adore que la fortune , & le puiffant
» Monarque
qui la tient dans fes mains 3
où la vérité ne fit prefque jamais en-
» tendre fa voix fans contradiction
& fans
» danger ; où mille fyftêmes , enfans du
» libertinage & de l'orgueil , portent tous
D
les jours de nouvelles atteintes à un refte
» de Religion qu'on cherche à étouffer ;
» la Cour , en un mot : tel eft le Théatre
» où la Providence veut faire briller l'in-
" nocence & la piété de notre illuftre Prin
» ceffe..
» Ici , Meffieurs , repréfentez - vous To-
» bie , qui encore jeune , dans le tems que
" tout le monde alloit adorer les Veaux
d'or qu'avoit élevés Jeroboam , confus
» de l'encens idolâtre qu'il voyoit offrir,
» couroit aux pieds des faints Autels pour
"y a dorer le vrai Dieu ; image fenfible
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE:
» de l'innocence de cette grande Princeffe
» Auriez - vous pû la méconnoître à des
» traits fi reffemblans ! Voilà fa conduite :
» voilà ce qu'elle faifoit pour fon Dieu
dans un âge , où pour l'ordinaire , la rai-
» fon & la Religion ont fi peu d'empire
» fur le coeur humain , dans un lieu où tout
eft écueil pour l'innocence. Hac & hisfimiliafecundum
Legem Dei .... obfervabat,
»Vivre dans la retraite & le recueille-
»ment , lorfque la décence de fon état lui
» permet de s'y renfermer ; & n'en fortir
» que pour répandre au dehors la bonne
» odeur de Jefus- Chrift . Etre continuellement
en garde contre les furprifes de la
»féduction , & en repouffer les atteintes
avec une force qui femble tenir da mi-
» racle ; entretenir la paix & l'union avec
» tout le monde , & cependant ne rien
perdre , ne rien laiffer altérer de fon in-
» nocence par la contagion du mauvais
exemple ; condamner les vices , cenfurer
les paffions dominantes
» pendant rendre cette cenfure aimable ;
faire honorer la vertu , l'accréditer par
>> fon exemple ; voilà l'occupation , je di-
" rois prefque , voilà les miracles de cette
» augufte Princeffe dans ce lieu tout à la
fois , & le plus refpecté , & le plus redouté
par les vrais partifans de la Reli-
"
ور
»
& ceSEPTEMBRE.
1749. 127.
gion. L'y vit-on jamais , vile efclave d'une
» prudence mondaine, encenfer des idoles
» qu'elle y vit adorer ? L'y vit- on ,vile adu-
» latrice des Dieux de la terre , y appuyer
» de fon fuffrage des excès qu'elle devoit
» condamner ? L'y entendit- on , féduite par
» une préfomption téméraire , répandre ,
» comme tant d'autres ,mille doutes fur des
»vérités faintes qu'elle devoit croire & ref-
» pecter ? Non , non , fa politique fut tou-
» jours celle de la Religion même. Jamais
elle n'en connut , elle n'en fuivit d'au-
» tre. Ce qu'elle autorifoit , ce qu'elle con-
» damnoit , ce qu'elle propofoit ; voilà ce
qui fit toujours la régle invariable de fes
penfées , de fes paroles , de fes démarches.
Ainfi dans le féjour du menfonge
& de la diffimulation , dans le centre
de la licence du coeur & de l'efprit ,
fçut- elle conferver la candeur de la vé
rité , l'innocence des moeurs , toute la
pureté de fa foi . Hac & his fimiliafecun
dum Legem Dei ..... obfervabat.
L'Orateur parlant enfuite de fa retraite
de la Cour, s'exprimoit en ces termes.
»Trop long - tems elle a gémi , comme
»Efther , fur une cruelle néceffité de fafte
» & de diffipation , impofée par fa condi-
» tion : elle veut fecouer un joug qui l'em-
» pêche de s'occuper uniquement de fon
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE .
"falut. Que les honneurs , que les charmes.
" de la Cour enchantent les enfans du fié-
" cle ; notre religieufe Princeffe ne peut
و ر
29
ود
en foutenir le poids. Elle s'éloigne donc
"d'un lieu où fa piété eft affujettie à des
" bornes trop
étroites , & en s'éloignant
ainfi du centre des honneurs , elle donne
cette importante leçon , que comme dans
le Chriftianifme on peut vivre au milieu
"des honneurs par état ou par obéiffance ,
on doit cependant les fuir par goût &
>> par Religion. Jufqu'ici elle a juſtifié par
fon exemple qu'on peut , & comment
on peut allier l'innocence & la fainteté
"avec les honneurs ; il eft une feconde
"inftruction également précieuſe , &
peut -être plus difficile dans la pratique,
que cette religieufe Princeffe réſervoit
» aux Grands du monde ; c'étoit de leur ap-
»prendre à s'en détacher , & c .
"
»
>>
»
>
L'humilité Chrétienne de cette grande
Princeffe avoit été mife dans tout fon jour.
Voici comme l'Orateur rendoit fes dernieres
volontés fa
pour pompe
funebre.
>> Tel eft l'excès de l'aveuglement & de
»l'orgueil des Grands . Ils naiffent dans la
»pourpre , ils vivent dans le fein des hon-
" neurs ; ils veulent que la magnificence
» les fuive même après leur mort. Etrange
» fafcination ! oui , Meffieurs , ce fuperbe
SEPTEMBRE. 1749 . 129
- "
appareil qui embellit Leurs Palais , ils exi-
» gent qu'il foit comme reproduit fur leur
» tombeau. Ici l'ordre eft renverfé . Comme
و د
la gloire qui environne les Princes , ne
"" fut jamais pour notre illuftre Princeffe
» qu'un objet de mépris , cette pompe qui
و د
les fait après leur trépas , devient éga-
» lement l'objet de fon dédain . Un cercueil
ordinaire , un convoi fimple & fans
» art , fuffiſent à cette grande Princeffe. Et
» fi elle pouvoit interrompre le filence du
-" tombeau où elle eft defcendue , ne devrions-
nous pas craindre qu'elle ne nous
» adrefsât ces paroles fi conformes à cette
» grandeur d'ame qui formoit fon vrai ca-
» ractere ? Miniftres du Seigneur , où vous
» emporte un zele ardent ? Et pour qui
> offrez- vous un encens qui brule avec tant
» de profufion ? Mais pardonnez , grande
» Princeffe , pardonnez ce foible témoi-
» gnage de notre refpect & de notre recon-
» noillance; ainfi cherchons-nous à tromper
» notre douleur : fi dans un Sanctuaire , mo-
» nument précieux de la munificence de vos
glorieux ancêtres , nous nous bornions à
לכ
"
une expreffion ordinaire , les pierres mê-
» mes de ceTemple augufte , élevé par leur
» générosité, ne dépoferoient- elles pas con-
» tre nous ?
--- La charité que cette grande Princeffe a
Fy
130 MERCURE DE FRANCE
fait éclatter dans tous les rems pour les pauvres
, n'avoit pas échappé à l'Orateur.Voici
peu près comme il s'exprimoit. à
»
"
» On l'avoit vûe cette grande Princeffe ,
» au milieu de la Cour la plus brillante
» qui ſoit dans l'Univers , ufer de ſes grands
» biens, comme n'en ufant pas. On l'avoit
»vûe, fur ce Théatre où l'on ne voit qu'é-
» mulation de luxe & de vanité , donner
» à la charité ce que la décence la plus religieufe
n'exigeoit pas indifpenfablement
pour fon ufage. Sa retraite l'a heurea-
»fement affranchie des bienséances de fon
» état il n'eft plus de lien qui l'attache
»aux biens de la terre. Deformais la Re-
» ligion & la charité en régleront feules
l'ufage & la deftination . Nourrir avec
une fainte profufion les membres d'un
»Dieu fouffrant ; brifer les chaînes des
» malheureux qui gémiffent dans les prifons;
fournir à l'entretien ,à la décoration
de ces lieux refpectables, établis contre le
défeſpoir de l'indigence ; confacrer à la
pompe des Temples ce que la terre a de
»plus précieux ornemens; tel eft l'ufage que
cette religieufe Princeffe fait des grands
»biens que la Providence lui a confiés.
»Prodigue de fes tréfors pour s'en faire
des amis pour le Ciel , ou pour ériger des
trophées à la Religion , elle ne connoît
SEPTEMBRE. 1749. 131
ל כ
n
» d'économie que lorfqu'il eft queſtion
» d'elle-même. Inépuisable dans fes reffour-
» ces pour les autres , fa charité ne s'ex-
» prime que par des miracles : pas de befoin
qui échappe à fa générofité , Infenfible
pour elle- même , elle ne connoît
» elle n'écoute que la voix du retranche-
» ment & du facrifice . Merveilleux con-
» trafte produit par la charité ! Un coeur
» qui en eft rempli fuffit à tout le monde
» fes intérêts propres font les feuls qu'il
» oublie , les feuls dont il ne fçauroit s'oc-
» cuper. Faut- il , Meffieurs , des preuves de
» la vérité que j'avance ? Je n'en veux d'an
tre que les larmes ameres que tant de
» pauvres , que tant de malheureux ont répandues
fur fon tombeau . Vous le fçavez,
» Meffieurs; on les a vus, dans ces jours de
» trifteffe & de deuil , venir en foule au-
" tour de fon Palais , & publier par leurs
cris lamentables tant de charités que no
» tre illuftre Princeffe avoit cherché à dérober
à la connoiffance des hommes. O
>> mon Dieu , ferez -vous infenfible aux gémiffemens
de tant de veuves éplorées ,
»de tant de pauvres inconfolables , qui
vous demandent le falut de l'illuftre
Princeffe , & c.
L'Orateur avoit une occafion trop na
turelle de parler de S. A. S. M. le Due
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'Orléans , Protecteur du Collège des Peres
Barnabites , pour ne pas la faifir ; il
continuoit à peu près en ces termes.
"
"
» C'en eft donc fait , familles défolées ,
» vous avez perdu votre confolation . Pupilles
, abandonnés à toute la rigueur du
»fort , vous avez perdu une mere tendre
» & compatiffante. Pauvres , accablés Lous
» le poids de votre mifere , vous avez per-
»du une reffource inépuifable dans vos
» maux. Mais qu'ai - je dit ? Non , non ,
» confolez -vous ; celui qui du haut du
» Ciel jette les yeux fur l'affligé & fur l'indigent
, a pourvû à vos befoins ; il per-
» pétue dans l'augufte fils les charitables
»profufions de Pilluftre mere Pouvoit- il
» vous confoler plus tendrement de la per-
» te de l'une , qu'en vous ménageant de
puiffans fecours dans la charité de l'au-
» tre ? Quel heureux préfage n'en trouvez-
» vous pas dans la conduite de ce grand
Prince , l'objet de notre admiration , de
notre refpect & de notre amour ? Juf
» qu'ici quelle efpece de befoin a pu
échapper à fa miféricordieufe vigilance ?
» Avec quel foin le voyons nous tous les
»jours bannir l'indigence , écarter par fes
largeffes les mauvais confeils d'une pau-
»vreté honteuſe ? Miniftre fidéle du Dieu
» des miféricordes ; coopérateur de fes
و ر
"
"
SEPTEMBRE. 1749. 137
bontés , image la plus reffemblante des
tendres attentions de la Providence ,
» comme il eft l'expreffion la plus fidelle
de la fainteté d'un Dieu par fes vertus ,
que ne peut- on pas fe promettre d'un
» Prince , qui n'aime à compter fes jours,
» fes momens , que par les bienfaits ?
L'Orateur finiffoit fon difcours par
une Priere conçue à peu près en ces
termes.
• »
"
Mais , Seigneur , fi malgré toute l'ef-
» pérance que nous donnent tant de graces
» reçûes , tant de vertus pratiquées , il ref
» te encore dans cette grande ame quelque
légere faute à expier ; fi les larmes & les
»prieres de tout un peuple attentif à im
plorer pour elle vos divines miféricor-
» des , n'ont pas encore fatisfait à toute
» l'étendue de votre Juftice :ne rejettez pas ,
» ô mon Dieu, les voeux de toute une Ville
profternée aux pieds de votre Trône ,
prêtez l'oreille à la voix de tant de Mi
» niftres de vos Autels , qui peu contens
de vous avoir offert déja plufieurs fors
» pour fon repos le Sacrifice d'expiation ,
»fe réuniffent encore aujourd'hui pour
23.
vous l'offrir tous enfemble. Exaucez les
> voeux de ces illuftres Compagnies , qui
» peu contentes d'avoir déja fait éclatter
leur zéle pour cette illuftre Princeffe ,
134 MERCURE DE FRANCE.
viennent aujourd'hui répandre de nouvelles
larmes fur fon tombeau . Exaucez
les voeux ardens que vous offre pour el-
» le tout un Collége, que la reconnoiſſance
» pour l'augufte Maiſon d'Orléans a déja
i fouvent conduit aux pieds de ces
Autels. Exaucez le Sacrificateur par le
»mérite du Sacrifice , faites entrer dans
>votre faint repos cette illuftre Princeffe ,
» qui fit toujours de votre Loi fainte
l'unique régle de fa conduite . Que
votre Juſtice , ô mon Dieu , foit fatisfaite
par une victime fi précieufe , & qui
>> coûte tant de regrets à notre coeur . Con-
>fervez - nous le grand Prince qui nous retrace
fi parfaitement cette religieufe
Princeffe que nous pleurons. Son fort
fait celui de ces Provinces , j'ofe dire ,
celui de la Religion . Confervez- nous
fon augufte fils ; dès l'aurore de fes jours
il a fait notre gloire , pourroit- il ne pas
faire notre bonheur ? Oui , confervez-
> nous ces deux têtes fiprécieufes ; que votre
miféricorde fe répande fur les dignes
objets de leur tendreffe : dès lors nos défirs
font remplis , nous leur abandon-
> nons avec confiance tous les foins de notre
félicité.
J
SEPTEMBRE. 1749. 135
Emblemes placés dans la Nef de l'Eglife
pour caractériser les traits de la vie & de la
mort de S. A. R. Madame , Ducheffe
d'Orléans.
Le premier caractériſoit fa tendre pietés
c'étoit l'Héliotrope , tourné vers le Soleil
, avec cette infcription : Te quocumque
fequar.
Cette fleur à l'Aftre du jour
Rend hommage de fa naiffance ;
Mille foins affidus lui prouvent fon retour ,
Et fa pure reconnoiffance ;
Elle imite fon cours, & le fuit en tous lieux.
Telle chaque jour à nos yeux
On vous vit rendre , adorable Princeffe ,
Au fouverain Maître des Cieux
Un hommage conftant d'amour & de tendreffe
Le fecond marquoit fa dévotion envers
le Saint Sacrement , figurée par l'Aigle fixant
fes regards fur le Soleil , avec cette
infcription : Non aciem radius ladit.
Cet Aigle fixe fes regards
Sur l'Aftre qui du jour difpenfe la lumiere ,
Et qui du haut de ſa carriere
Répand fes feux de toutes parts.
Princeffe , la piété qui regnoit dans votre ame,"
Quand la mort de vos jours éteignit le flambeau
136 MERCURE DE FRANCE.
窿
Fit brûler votre coeur d'une céleſte flâme
Pour un Dieu , dont la voix réclame
Un hommage toujours nouveau.
Le troifiéme exprimoit ſa fidélité pour
Dieu au milieu des dangers du monde ,
qu'on avoit figurée par une bouffole que
les mouvemens & les agitations n'empêchent
pas de fourner vers l'étoile polaire ,
& qui fuit toujours le mouvement qui l'y
porte , avec cette infcription : Et regit &
regitur.
Miférable jouet d'un aveugle caprice ,
Qui de ton coeur confacre & nourrit les déſirs ,
Mortel,qui fais pour quelques faux plaifirs
De C ton repos le facrifice ;
En vain loin de l'objet qui peut te rendre heureux,
Cherches- tu le bonheur folide.
Ah ! fi tu l'aimes , fuis mille écueils dangereux ;
Lâche, je veux t'apprendre à tourner tous tes voeux
Vers celui qui des coeurs eft le fidéle guide.
Le quatrième caractériſoit fon amour
pour Dieu , figuré par une balance , qui
d'un côté porte un globe, & de l'autre un
triangle , fur lequel eft un coeur enflammé,
qui la fait pancher , avec cette infcription
: Orbi praponderat amor.
En vain le monde avec tous fes attraits
SEPTEMBRE . 137 1749.
Vouloit-il à ce coeur faire rendre les armes ;
Ses honneurs, fes plaiſirs , fes biens les plus parfaits,
Ne purent l'éblouir jamais ;
Un plus aimable objet le foumit à fes charmes ,
Et fixa fut lui fes fouhaits.
Le cinquiéme marquoit fon refpect
dans les Temples , figuré par la vapeur de
l'encens , avec cette infcription : Numen
veneratur odore.
L'agréable odeur que j'exhale ,
Me confacre à l'Autel du Souverain des jours.
Brûler d'un feu facré , mais y brûler toujours ,
C'est ma fonction principale .
Sage Princeffe , hélas ! lorſqu'une vive ardeur
Vous dévoroit dans nos faints temples ,
De votre pieté mille rares exemples
Répandoient parmi nous une céleste odeur.
Le fixiéme exprimoit fa retraite & fon
recueillement , figurés par un ver à foye
dans fa coque , avec cette infcription :
Melior fortuna fequetur.
Renfermé dans cette retraite ,
Pour quelque tems j'y perds ma liberté ;
Mais durant ma captivité ,
Pour un fort plus heureux j'agis , je m'inquiéte¿
Pour un deftin plus glorieux ,
138 MERCURE DE FRANCE.
Mortel , ru dois agir fans ceffe ;
Travaille conftamment , travaille fans foibleffe ;
Mon exemple t'apprend à mériter les Cieux ;
pour Le feptiéme caractériſoit fa charité
les pauvres , figurée par une fontaine
abondante , avec cette infcription : Affluit
omnibus unda .
Si tant de malheureux qu'une affreufe mifere
Sacrifioit à fa rigueur ,
Ont mille fois , dans votre coeur ,
Trouvé les fentimens de la plus tendre mere ,
Princeffe , dont la mort cauſe notre douleur ,
Lorfque par vos bienfaits vous terminiez leur
peine ,
#
N'étiez - vous pas cette claire fontaine ,
D'où couloient à la fois leur gloire & leur bond
heur ?
Le huitiéme exprimoit fa douceur & fa
complaifance dans le commerce de la vie ,
figurées par la glace d'un miroir,avec cette
infcription : Omnibus omnia .
Si je prends de chacun le propre caractére ,
J'imite de l'ami fincére
La complaifance & la candeur.
Princeffe , l'aimable douceur
Que le Ciel avec vous fit naître
SEPTEMBRE . 1749. 130
Cette douceur , qu'en vous on vit toujours pa
roître ,
Fut l'image de votre coeur.
Le neuviéme marquoit la patience édifiante
avec laquelle cette illuftre Princeffe
a foutenu fa maladie . On l'avoit figurée
par une torche qui brille encore , quoique
prête à finir , avec cette infcription :
Pereundo corufcat.
En répandant une vive lumiere ,
Comme l'Aftre du jour qui brille dans les Cieux ;
J'ai rempli conftamment mon deftin glorieux ;
Prête à terminer ma carriere ,
Je brille comme lui d'un éclat radieux.
Le dixième caractérifoit la mort de la
Princeffe , figurée par l'Eclipfe de la Lune,
avec cette infcription : Rediviva micabo.
Și je ne répands plus dans ce vafte hémiſphere
Le bel éclat que milie objets
Recevoient par mon miniftere ,
C'eft que la terre , oubliant mes bienfaits
Arrête les regards de l'Aftre qui m'éclaire ;
Mais quand pourfuivant fa carriere ,
L'ingrate aura paffé dans quelqu'autre climat,
Brillante alors d'une vive lumiere ,
Je paroîtrai dans mon prémier éclat,
140 MERCURE DE FRANCE.
- Le onzième caractérifoit la famille aut
gufte de l'illuftre Princeffe , en particulier
S. A. S. M. le Duc d'Orléans , qui la fait
furvivre à elle- même . On l'avoit figurée
par un grand nombre d'étoiles , précédées
d'une plus grande & plus brillante , qui
fortent d'une fufée qui éclatte dans l'air ,
avec cette infcription Succedit Incida
proles.
Ce beau feu, qui brilloit dans l'air
Déja commence à difparoître ,
Le même inftant qui l'a vu naître ,
Le voit finir comme un éclair.
Mais cette lumiere féconde ,
Qui de la nuit perçoit les voiles ténebreux ;
Attentive au bonheur du monde ,
Fait fortir de fon ſein mille Aftres radieux.
& Le douzième exprimoit les regrets qu'a
caufés la mort de la Princeffe, fpécialement
au Collège de Montargis , qui a l'honneur
d'être fous la protection de la Mai
fon d'Orléans. Ils étoient figurés par une
Fleur de Lys deffechée & flétrie , dont la
tige tient encore à fa racine , qui a la forme
d'un coeur , avec cette infcription : In
corde fuperftes.
Telle eft la fin de la grandeur ;
On a vú cette belle feurSEPTEMBRE.
1749. 141
Naître avec la brillante aurore ;
Mais victime du tems , elle perd fa couleur ;
Elle a péri ; nous la pleurons encore,
Ce que vous eûtes de mortel ,
Hélas ! adorable Princeffe ,
Devoit un jour être offert à l'Autel ;
Mais la vertu , mais la fageffe ,
Qui vous ont confacré nos pleurs ,
Vous feront à jamais revivre dans nos coeurs,
光送送送送洗洗洗洗洗洗洗洗求送券
LETTRE
A M. Remond de Sainte Albine , fur une
Monnoye finguliere,
MA
LIARD
DE
FRANC C
Rouvez bon , Monfieur , que je me
ferve de la voye du Mercure pour
demander l'explication d'une Piéce que je
poffede dès le tems que j'étois écolier ,
c'eft-à-dire il y a bien 35 à 36 ans ; c'eft
par
elle que j'ai commencé mon petit Médailler,
Cette Médaille , s'il eft permis de
142 MERCURE DE FRANCE.
la nommer ainfi , n'eft ni Egyptienne ni
Hébraïque; fi elle étoit telle, je n'y connoîtrois
rien , fi elle étoit Grecque , j'en connoîtrois
tout au plus les lettres , defquelles
j'ai oublié l'affemblage ; elle eft donc Romaine
, vont s'écrier Meffieurs les Antiquaires
; voyons, eft- ce une Médaille Confulaire
eft- elle des premiers Empereurs
ou du bas Empire ? eft - elle d'or ou d'argent
? eft - elle en grand ou petit bronze ?
a- t'elle un beau vernis ? eft- elle empreinte
de la précieufe rouille ? ou enfin eft- elle
frufte ?
Rien de tout cela , Meffieurs. C'est donc
une Médaille Papale ? point du tout , c'eftune
piéce de monnoye de France , de laquelle
le Blanc , en fon Traité Hiftorique,
n'a pas jugé à propos de parler. Pour finir,
c'eft un Liard & un Liard de France , frappé
en 1656 , marqué à la lettre A , & par
conféquent à Paris.
Or ce Liard extraordinaire , le voilà , je
vous l'envoye,Monfieur , je m'en dépouille
en faveur du Public , vous le ferez graver, fi
vous le jugez à propos.
N'allez pas croire pourtant que je vous
faffe un grand facrifice , car il eft bon de
dire vous que cette Piéce n'eſt auffi rare
que l'eft un Othon , un Pertinax , ou un
Pefcennius Niger . Non, Monfieur, il n'eſt
pas
SEPTEMBRE . 1749. 145
pas abfolument bien difficile d'en trouver
de femblables dans le commerce, & j'aurois
pû , depuis que j'ai celle- là , lui donner
une trentaine de compagnes , mais néanmoins
peu ou point d'auffi lifibles.
Vous voyez , Monfieur , qu'il n'y a rien.
d'extraordinaire dans ce Liard du côté où
l'on lit , Liard de France , & où l'on voit
au-deffous un A entre trois Fleurs de Lys ,
finon qu'il y a un point après le C du mot
Franc , & un O au lieu d'E , qui femble
fuivre ce point. On pourroit dire que ce
que je prends pour un O , eft un petit e ;
cela peut être , mais ce qu'il y a de vrai ,
c'eft que fur les Liards de Louis XIV du
même tems, l'E qui finit le mot France , eft
un grand E , fans qu'il y ait de point entre
le C & l'E ; voila toute la difference des
autres Liards à celui- là de ce côté .
A l'égard du côté de la tête ( voici l'extraordinaire
) & für quoi on demande une
explication , ce n'eft pas Louis XIV , lors
regnant , qui y eft repréfenté ; c'eft Charles
II , Duc de Mantoue , couronné de fa
Couronne Ducale , fermée par le mont
Olimpe , & on lit autour du bufte Charles
II, DD. Mantou , 1656 .
Quel droit avoit donc Charles II , Duc
de Mantoue , de faire frapper des Liards
en France en 1656 , our s'il les faifoit fraps
144 MERCURE DE FRANCE.
per à Mantoue , quel droit avoit-il d'y faire
mettre Liard de France ?
Les faifoit- il fabriquer dans la Princi
pauté d'Arches , dont Charleville eft la
Capitale ; c'eft ce que j'ignore. Cette
Principauté n'appartenoit - elle pas dès-lors
à Anne de Gonzague , Princeffe Palatine ,
fa tante? & n'eft-ce pas par le mariage de fa
fille Madame la Princeffe Anne Palatine
de Baviere avec Henri-Jules de Bourbon ,
Prince de Condé , que cet Etat a paffé dans
la Maifon de Condé ? En un mot quel
droit avoit le Duc de Mantoue de faire
mettre fon effigie fur une monnoye de
France ?
La curiofité fur les petites chofes peut
produire des remarques intéreffantes pour
'Hiftoire ; celle- ci me paroît de ce nom.
bre. Si Meffieurs de la Monnoye ont au
tant d'empreffement pour fatisfaire la curiofité
du Public , que j'en viens de donner
à quelques Lecteurs , j'efpere qu'il
fera bien- tôt fatisfait , & ils en font trèshumblement
priés. Je fuis très- parfaite
ment , & c.
OBSER
SEPTEMBRE. 1749. 145
OBSERVATION
Sur Martial d'Auvergne , ancien Poëte
de Paris.
I
la Croix
L- eft certain , Monfieur ,
du Maine s'eft trompé en parlant de
Martial d'Auvergne , fameux Poëte François
du quinziéme fiécle , lorfqu'il a affûré
que ce Poëte mourut à Paris d'une fièvre
chaude, & qu'il fe précipita dans l'eau, étant
preffé de la fureur de fon mal .
M. l'Abbé Goujet , en fon dixiéme tome
de la Bibliothéque Françoife , a bien fait
pour montrer l'erreur de cet Ecrivain ,
de produire le morceau de la Chronique
de Louis XI , d'où il avoit puifé quelque
choſe de cette Hiftoire. Il y eft marqué en
effet qu'en 1466 un jeune homme , nommé
Martial d'Auvergne , Procureur au
Parlement & Notaire au Châtelet de Paris
, ayant perdu l'efprit vers la Saint Jean,
au tems que les féves fleuriffent , fe jetta
par la fenêtre de fa chambre dans la rue
fe rompit une cuiffe , fe froiffa tout le
corps , & fut en grand danger d'en mourir.
M. Goujet fe contente d'inferer de ces
dernieres paroles de la Chronique , que
d'Auvergne ne mourut pas de fa chûte ; &
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fur ce que dans une édition de cette Chronique
, donnée en 1558 , les titres de Procureur&
Notaire ne fe trouvent point fpécifiés
à l'article de ce fait, il en conclut que
ce ne peut être que par conjecture que la
Croix du Maine a penfé que le fait rapporté
en cet endroit concernoit le Poëte
Martial d'Auvergne.
C'eft un malheur à la Croix du Maine
de s'être contredit dans cette occafion ,
puifque malgré ce qu'il a avancé, que d'Auvergne
mourut de la chûte , qui étoit arri
vée en 1466 , il le fait vivre encore en
1483. Mais auffi je ne pense pas qu'il faille
lui donner tout le tort , lorfqu'il affûre en
général que c'étoit à un Poëte de ce nom ,
qu'étoit arrivé le malheur de s'être jetté
par une fenêtre dans la chaleur d'une frenéfie.
D'Auvergne étoit jeune lors de cet
évenement; le Chroniqueur l'affûre en termes
formels. Il est également certain qu'il
fut Notaire au Châtelet. J'ai vû des Actes
d'environ l'an 1455 ou 60 , fignés , d'Auvergne
, & paffés par devant lui ( Martial
d'Auvergne ) & Jean Larchier, Notaires au
Châtelet. De plus , M. Goujet ne pouvoit
il
pas recourir à d'autres éditions qu'à celle
qu'a donnée Denis Godefroy de la Chro
nique de Louis XI , vulgairement ( mais
mal-à- propos ) appellée fcandaleufe ? En re-
S
SEPTEMBRE. 1749. 147
1 montant à celle d'Antoine Verard de l'an
1500 , qui eft la plus ancienne , & qui
fe trouve jointe aux Chroniques Marti-,
niennes en lettres gothiques in folio , il y
auroit trouvé à l'an 1466 , mot pour mot
l'hiftoire de la frénéfie de Martial d'Auvergne
, aufli-bien que la note de fon mariage
tout récent avec une des filles de Jacques
Fournier , Confeiller au Parlement ,
telle que Godefroy & autres l'ont publiée ,
avec la difference cependant que dans cette
édition le récit ne finit point par ces
mots , & fut en grand dangier de mourir ;
mais qu'on y lit deux ou trois lignes de
plus , fçavoir , fut en grand dangier de
mourir , depuis perfevera longuement en
ladite frénéfie , & après ce revint & fut en
fon bon fens.
Rien n'empêche donc de croire que
Martial d'Auvergne de la Chronique , &
le Poëte qui a compofé les Vigiles de Charles
VII , n'eft qu'un feul & même homme
qui a pû continuer & perfectionner fon
ouvrage , lorfqu'il fut revenu en fon bon
fens , tant fous Louis XI , que fous Charles
VIII , avant que de le faire imprimer.
J'abandonne ceci aux réflexions des Lecteurs.
Au reste ceux qui ne peuvent fe
procurer tous les anciens Poëtes François ,
ont obligation à M. Goujet de leur avoir
G ij
148 MERCURE DE FRANCE,
fait connoître les fragmens où, d'Auvergne
décrit les abus & défordres qui regnoient
dans la Littérature de ces tems - là ; par
exemple , que les Bibliothéques des Monaftéres
étoient devenues des Faulconne .
ries; que les jeunes Légiftes , qui revenoient
de l'Univerfité d'Orléans , n'y avoient ap- ар
pris autre chofe , finon à bien jouer des flutes
, &c. De pareilles circonftances n'auront
pas , fans doute , été oubliées par ceux
de nos modernes , qui fe font propofé de
repréfenter l'état des fciences en France
durant le quinziéme fiécle.
Les mots des Logogryphes du Mercure
d'Août , font Carême , obfcurité & Papillon.
On trouve dans le premier arme ,
, ame mer , Cam , mere , Carme & crême.
On trouve dans le fecond écrou , buis , rébus
, fouci, ofier , bruit , cours , eftoc , Curé ,
fort , bois , Cité , Cour , Turc , tour , troc
broc , but , roc , foc , fot , rut , rot , fuc , ris ,
écu , cor & rit. On trouve dans le troifiéme
Pin , Lion , Lyon, Lapin , pion, Lapon, poli,
Nil , Pò , pain , Saint Lô , Saint Lin , lin ,
Lia & ail.
SEPTEMBRE. 1749 149
J
ENIGM E.
E ne tiens point de la baleine ,
Ne reffen ble pas au goujon :
Mais j'ai fept lettres dans mon nom ,
Ainfi que ces habitans de la liquide plaine .
Je fuis être , qui dis & le mal & le bien ;
Affez fouvent , porte fur rien ,
Sur rien ? Non , c'eft trop peu ; mais fur nulle
matiere.
Je fais fur le vafte Océan ,
Ou bien fur la mer du Sultan ,
Tant eft ma nature legere ,
Autant de chemin qu'un vaiffeau ,
Quand il fuivroit le vol du plus fubtil oifeau .
Je fuis en France , en Italie ,
A Vaugirard , en Laponie ,
Er toujours le même en tous lieux.
Rien ne peut éviter mes yeux ;
J'arrête une main parricide ;
Je romps les deffeins d'un perfide ,
Je rends meilleur l'homme de bien ,
Et quelquefois bon fujet , un vaurien .
Je fais encor bien autre chofe ;
Mais j'en dirois trop , bouche cloſe .
G iij
450 MERCURE DE FRANCE.
NUNUAUNUNUDUYDU DU DUNULIANU YAY
LOGOGRYPHE.
S1 te
I jamais tu te vois ſur l'inconftant Neptune ,
Fui-mois par moi l'on perd la vie ou la fortune.
De mes pieds fi tu veux retrancher le dernier ,
Sous un nom feminin , je fuis encor moi- même.
Si le fecond précède le premier ,
Les autres à l'écart , par mon pouvoir fuprême ,
Je tiens lieu de beauté , d'efprit , de vertu même.
Je renferme encor dans mon fein
Une note , un inftrument rauque ,
Une terre jaunâtre : un Saint
Que pour un fléau l'on invoque :
Cette amante , qui d'une tour
Se lança dans la plaine humide ,
Appercevant le corps livide ·
De fon amant privé du jour :
Une Nymphe , dont le coeur tendre
Ne fut payé d'aucun retour ,
Et qui gémit fouvent d'un malheureux amour ,
Comme en la confultant on peut encor l'entendre .
Enfin pour peu , Lecteur , que tu fois attentif ,
Tu peux dans un , deux , trois , voir mon diminutif.
Brunet , de Dijon.
SEPTEMBRE. 1749.
131
AUTRE
M. Affe bruté & fans agrénient ;
J
Au fortir du fein de ma mere ,f
Sous les efforts de l'art j'éprouve d'ordinaire
Le plus fuperbe changement.
Même fans m'exalter plus qu'il n'eft néceffaire ,
Je puis dire , Lecteur , qu'aux yeux de l'Univers
J'offre encor tous les jours cent chefs-d'oeuvre
divers.
La veille de certaine Fête ,
Je péris par le feu , fi tu tranches ma tête .
Prends trois de mes pieds ; fur flots mes
L'on eft en grad danger pendant une tempêtes.
Combinant autrement , tu peux des matelots
Trouver en moi le commun aftencile :
Une fubftance : un inftrument utile
Au fupplice d'un ſcélerat :
I
Ce qu'un guerrier doit porter au combat :
Choſe auffi peu commune aux champs que dans
la Ville :
Un endroit où l'eau ne vaut rien :
Enfin certain fujet d'un Monarque Indien.
Par le même.
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
J
AUTRE.
E fuis un féjour renommé ;
Dans mon riche fein tout abonde ;
A mon afpect l'oeil cft charmé ;
Je fuis rempli du plus beau monde.
Mes quatre premiers pieds préfentent un talent ,
Qu'on ne peut acquerir , s'il ne vient en naiffant;
Trois autres en ſuivant , une plante très - forte ,
Qui fouvent à pleurer nous porte.
Ceci n'eft-il pas fingulier ?
Je montre encor fur mer un espace de terre ;
Je contiens de l'efprit l'aliment néceſſaire ;
La femelle du fanglier ;
Une femme proftituée ,
Et chez les Turcs enfin un endroit enchanteur ,
Où vous , ainfi que moi , Lecteur ,
Voudricz-bien , je crois , avoir entrée.
J. F. Guichard
.
Fait à Versailles , ce 30 Juillet 1749-
SEPTEMBRE . 1749. 153
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX -ARTS , &c.
A GRANDEUR DE DIEU dans les merveilles
de la Nature. Poëme , par M.
Dulard , de l'Académie des Belles Lettres
de Marfeille . A Paris , chez Deffaint &
Saillant , rue Saint Jean de Beauvais ,
1749. Avec Approbation & Privilége du
Roi.
Chanter la grandeur de l'Etre fuprême
peindre les merveilles que nous offre le
fpectacle de l'Univers , voilà fans doute
les deux objets les plus nobles que la Poëfie
puiffe fe propofer . Non - feulement il
n'eft point de fujet plus propre à fournir
des idées fublimes , mais il n'en eſt point
de plus fécond . Où trouver une fource
plus inépuifable de tableaux frappans &
variés , que dans les ouvrages de l'Auteur
de la Nature ?
M. Dulard ne s'eft point diffimulé que
fi le champ étoit vafte , il étoit rempli de
beaucoup d'épines. Mais la richeffe & la
beauté de la matiere l'ont étourdi fur les
difficultés. Son ouvrage , à ce qu'il nous
annnonce , a été compolé parmi des alter-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
"
natives de courage & de crainte , de vigueur
& de laffitude. Enfin d'efforts en
efforts , il a été achevé . » Je ne fçais , dit
» l'Auteur , fi le Public défapprouvera l'exécution
, ou s'il daiguera la mettre au
rang de ces fuccès inefperés , qui font ,
»moins dûs à la capacité qu'à une heu
reufe audace. Le promt débit de la premiere
édition de ce Poëne doit avoir tiré
M. Dulard de fon incertitude , & eft une
preuve du jugement favorable qu'on a
porté de fon ouvrage.
LES VIES DES HOMMES ILLUSTRES de la
France , continuées par M. l'Abbé Perau ,
Licentié de la Maifon . & Société dẹ Sorbonne.
Tome XVII . A Amfterdam , &
fe vend à Paris , chez le Gras , Grande
Salle du Palais , à l'L Couronnée
, 1749 ,
in- 12 . pp . 567 , fans y comprendre la
Table des matieres .
Ce volume eft un des plus intéreffans de
tous ceux qui compofent jufqu'à préfent
la fuite des vies de nos Hommes illuftres.
On n'en fera pas furpris , quand on fçaura
qu'il contient la vie du fameux Duc de
Guile le Balafré.
Les grandes qualités & les vices brillans
de cet illuftre audacieux fes attentats & fa
fin tragique , forment un des morceaux
les plus curieux de notre Hiftoire . M.
SEPTEMBRE. 1749. 155
l'Abbé Perau n'a négligé aucune des recherches
, qui pouvoient ajouter quelque
prix à fon ouvrage. Il a raffemblé avec
foin plufieurs anecdotes , éparfes de côté
& d'autre , & dont la lecture ne peut être
qu'agréable.
HISTOIRE DE PIRRHUS , Roi d'Epire.
Par M. Jourdan . A Amfterdam , chez
Pierre Mortier , 1749. Deux volumes
in- 12 . Le premier volume pp . 375 , &
le fecond 486 , en y comprenant les Ta-
.bles.
Il y a quatre ans qu'il parut à Londres
un Livre fous le titre de Voyages & Expéditions
de Pirrhus . Cet ouvrage , qui
n'eft qu'une espéce de Roman politique ,
a fait naître à M. Jourdan l'idée de compofer
l'Hiftoire d'un Prince , à qui les Romains
ont dû les premieres connoiffances
qu'ils ont acquifes dans l'art militaire. M.
Jourdan avoue qu'il y a dans fon premier
.volume bien des chofes qu'il doit à l'Auteur
du Livre imprimé en Angleterre.
Dans le fecond volume , qui renferme particulierement
la vie de Pirrhus , il s'écarte
totalement de la route qu'a fuivie le premier
Ecrivain . Non content de corriger
les fautes , il fupplée aux omiflions , & il
s'étend confidérablement fur plufieurs faits
qui méritoient d'être approfondis. Glau
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cias , pere de Pirrhus , ayant été détrôné
pour avoir voulu foutenir les intérêts
d'Olimpias après la mort d'Alexandre , &
Pirrhus ayant été mêlé dans les guerres des
fucceffeurs de ce célébre Conquerant ,
M. Jourdan ne pouvoit guéres fe difpenfer
d'entrer dans plufieurs détails qui concernent
Alexandre , & même Philippe.
Il a abregé ces détails autant qu'il a pû ,
& il en a ufé de même pour tout ce qui
n'étoit
pas intimement de fon fujet. Par
une licence qu'on ne fe permet ordinairement
que dans les ouvrages de fiction , il
place une partie de ces recits dans la bouche
d'un des perfonnages qu'il fair paroître
fur la fcéne. Il effaye de juftifier par
plufieurs raifons l'innovation qu'il veut
introduire à cet égard dans le genre hiſtorique.
3
HISTOIRE ARISTOMENE , Général des
Meffeniens. Avec quelques réflexions fur
la Tragédie de ce nom. Par le même Auteur
, 1749.
Tout ce qui regarde ici la vie d'Ariftomene
, eft puifé dans Paufanias , & quel
quefois M. J. emprunte même les expreffions
de la Traduction faite de cet Auteur
par l'Abbé Gedoyn , mais pour l'ordinaire ik
eft plus vif & plus ferré que fon modéle .
La critique qu'il fait de la Tragédie ,
SEPTEMBRE. 1749. 157
dont Ariftomene eft le Héros , paroîtra
bien fevere à la plupart des Lecteurs. Selon
lui , le fujet de cette piéce n'eft pas
fondé , les trois premiers Actes font vuides
d'action , & ne fe foutiennent que par
quelques maximes impofantes ; le quatriéme
eft fort découfu , & le cinquiéme beaut
coup trop chargé de récits .
RECUEIL de plufieurs Piéces d'éloquence
& de Poëfie , préfentées à l'Académie
des Jeux Floraux , l'année, 1749 , avec les
Difcours prononcés dans les affemblées
publiques de l'Académie. A Toulouse , chez
Claude- Gilles Lecamus , feul Imprimeur
du Roi , & de l'Academie des Jeux Floraux.
Avec Privilége du Roi.
L'Ode , qui a remporté le premier Prix
de Poëfie , eft de M. de Marmontel , & elle
a pour fujet la Chaffe . M. Chalamont de la
Vifclede, Secretaire de l'Académie de Marfeille
, eft Auteur du Difcours qui a été
couronné , & dont le fujet étoit , les Richeffes
font- elles un écueil plus dangereux pour
la vertu , que la pauvreté ?
DICTIONNAIRE UNIVERSEL de Mathé
mariques & de Phyfique , contenant l'explication
des termes de ces deux Sciences &
des Arts qui en dépendent , & c. Par M.
Saverion , Ingénieur de la Marine . A Paris,
chez Jacques Rollin & Charles -Antoine
158 MERCURE DE FRANCE.
Jombert, Avec Approbation & Privilége.
On publiera l'année prochaine ce Dic .
tionnaire , & il formera deux volumes
in-4°. Nous avons promis d'inferer dans
le Mercure quelques uns des articles , dont
cet ouvrage eft compofé , & nous allons
fatisfaire à notre engagement.
ATT. Attraction . Terme de Phyfique : l'action
d'attirer. Kepler eft le premier , qui a établi
une loi d'Attraction dans tous les Corps . M Frenicle
l'admettoit auffi ; & M. Roberval la définif
foit : Vim quamdam corporibus infitam , quá partes
illarum in unum coire affectent. Suivant Newton ,
l'Attraction eft une propriété inféparable de la matiere
, par laquelle elle eft unie , & tend à s'unir
(quâ corpora ad fe mutuo tendant ) . Pour concevoir
cette Attraction mutuelle & réciproque dans les
Corps , il faut leur fuppofer une vertu ou faculté
Attractive . Cette vertu eft fans doute une des qualités
occultes. Defcartes ,qui ne les vouloit pas reconnoître
, avoit auffi banni de la Phyfique & l'Attraction
& le Vuide , & on les en croyoit bannis
pour toujours , lorfque le grand Newton les réta
blit d'une façon nouvelle , & armés , comme le dit
agréablement M. de Fontenelle , d'une force dont
on ne les croyoit pas capables ( Suite des Eloges
des Acad. Eloge de Newton ) .
Kepler avoit obfervé , que la Force qui empêche
que les Corps céleftes fuivent dans leurs Mouvemens
la Ligne droite , avoit une action variable
felon les differentes diftances , & cela en raifon
renverfée du Quarré des diftances au Centre de
feur Mouvement . En forte que fi un Corps eft
trois fois plus éloigné , la Force Centrale ou CenSEPTEMBRE.
1749. 159.
tripete , Force qui retire le corps vers fon centre ,
eft neuf fois moins forte.
2. Newton eft parti de là . Abſtraction faite de
cette loi & de ce principe , il a cherché dans les
Phénomenes le principe. Au lieu de fuppofer que
les Planettes pelent ou font attirées par le Soleil ,
en raiſon renversée du Quarré de leurs diſtances ;
pour expliquer le cours des Planettes , le Philofophe
Anglois a au contraire du cours déduit la loi
Ce grand Homme a démontré , que les Planettes
ne peuvent décrie un Elliple , dont le Soleil occupe
l'un des Foyers , que leur Attraction ne varie
dans la raifon inverfe du Quarré des diftances.
Cette foi a lieu dans tous les Corps qui décrivent
par leur mouvement cette Courbe .
Cela une fois démontré , M. New ton en a conelu
, que les Corps pefent les uns fur les autres ,
& qu'ils s'attirent réciproquement en raifon de
leur maffe. Et quand ils varient dans le même
tems ; qu'ils tournent vers un Centre commun ;
qu'ils font attirés & qu'ils s'attirent , leurs Forces
Attractives varient dans la raifon renversée des
Quarrés de leurs diſtances à ce Centre . Tel eft le
fond de fon Syftême , celui de fon grand Ouvrage
des principes ; & , pour tout dire , tel eft le triomphe
de PAttraction.
tion ;
Un fameux difciple de Newton , M. de Maupertuis
, a encore rencheri fur cette Démonftrail
a ofé fonder les vûes du Créateur. De
toutes les loix générales qu'il a dû choifir , dit - il ,
la plus fimple a fans doute été préférée . Or , cette
fimplicité eft renfermée dans la loi de l'Attraction.
Celle -là feule , fuivant le calcul du Président de
l'Académie de Berlin , réunit l'avantage de la diminution
des effets , avec l'éloignement des caufes.
C'eft pouffer loin les recherches , & les pouffer
160 MERCURE DE FRANCE
tout à la fois d'une façon bien hardie & bien inge
nieuſe . Mémoire de l'Acad. 1732.
3. Quelque puiffante que foit la démonftration
de Newton , & quelque victorieux que pu ffe être
le raifonnement de M. de Maupertuis , l'Attrac
tion n'eft point généralement admife. La caufe de
cette Attraction eft bien moins fenfible que l'effet
qu'on lui attribue . Encore cet effet eft- il conteſté.
M. Bernoulli prétend , 1 ° . Que les Corps ne peuvent
s'attirer réciproquement , c'eft à - dire , fe
mettre d'eux- mêmes en mouvement , parce qu'on
ne connoît aucune caufe de ce mouvement , &
qu'un effet fans caufe , & une action fans principe
d'agir , eft une chimere ; 2° . Que fi l'Attraction
avoit lieu dans les corps , elle devroit y avoir lieu ,
non en raison de leur furface , mais en raiſon de
leur maffe . Il s'enfuivtoit de -là une terrible conféquence
. C'est que leur Attraction diminueroit en
raifon triplée , ou comme le Cube de leurs diftan
ces , & nullement comme les Quarrés de ces diftan
ces. Bernoulli Opera. T. III . Nouv . Penf.fur lefyft..
de Descartes.
A ces objections , M. Clairant en ajoint tout
récemment une autre . Il s'agit du mouvement de
l'Apogée de la Lune , non calculé par M. Newton.
Le Géométre François , après avoir trouvé l'Equation
de la courbe que décrit la Lune , a reconnu
, que fi la loi de l'Attraction fuivoit exactement
le Rapport renversé du Quarré des diftances , l'Apogée
ne feroit une révolution qu'en 18 ans.
& elle la fait en 9 ; d'où M. Clairaut conclut que
La Loi de l'Attraction ne fuit pas tout- à -fait le quarre
des distances inverses , mais celle des quarrés , plus
d'une certaine fonction de ces quarrés , ou même d'une
autre puiffance de ces diftances. Mém. pour l'Hift. des:
Scienc. mois de Janv. 1748.
*
SEPTEMBRE. 1749 161
•
>
4. Que doit- on penfer maintenant de l'Attrac
tions Les Corps céleftes font-ils doués d'une vertu
Attractive ? ll y'a dans ce mot un je ne ſçais quel
air de myftére qui fait peine. Si au lieu d'Attrac
tion , nous nous fervions du mot de Pefanteur , ou
de gravitation , peut-être nous entendroit-on
mieux ; car tout le monde fçait que les Corps pefent
; & le terme de Pefanteur eft plus connu
plus familier que l'autre , quoique fon principe foit
auffi caché que celui d'Attraction , & qu'il dé .
pende peut-être de l'Attraction même. Lorfqu'on
dit donc qu'une Planette eft attirée par le Soleil ,
on entend que cette Planette pele ou gravite fur
Je Soleil. Qu'il y a- t'il là d'étonnant ? On demandera
peut-être pourquelle n'y tombe pas . Si les
Planettes n'étoient pas dans un mouvement trèsrapide
, qui l'emporte par fa vitefle fur la Force
de la maffe , il eft certain qu'elles ne tarderoient
pas à reffentir les impreffions ardentes de cet
Aftre. Le mouvement , auquel elles font en
proye , ne leur perimet pas de fuivre la loi de la
Pefanteur. C'eft la force centrifuge qui les en
éloigne. A l'égard de la loi de PAttraction ou gravitation
, elle doit être renfermée dans celle de la
Force Centrifuge , & celle de la Force Centripete,
c'eft à dire , dans la loi de ces deux Forces . felon
Jefquelles les Corps tendent par leur maffe vers
leur Centre de Pefanteur , & s'en éloignent par le
mouvement. Voyez Force centrifuge , & Force cen
tripete.
5. Ceci ne regarde que l'Attraction , quant aux
Corps céleftes , quant au Systême du Monde. Les
Newtoniens ne s'en tiennent pas - là . Ils veulent
que l'Attraction ait lieu dans tous les Corps ; qu'el
le foit la caufe de tous les Phénoménes , comme
de la Cohéfion , de l'afcenfion de l'eau dans les
16 MERCURE DE FRANCE.
tuyaux capillaires , de la chute des Corps , de la
réfraction de la Lumiere . Il est même des Newtoniens
, qui foutiennent que l'Attraction n'eft pas
moins eflentielle aux Corps , que leur étendue.
( V. la Préfacé de l'Edition de M. Cotes , des Princ.
Phil. Natur. ) On tâche de prouyer cela par diffe
rentes Expériences . 1. C'eft une vérité reconnue
de tous les Phyficiens , que les parties d'un liquide,
quel qu'il foit , pourvû qu'il fe divife par goutes ,
s'attirent réciproquement dans le Plein , comme
dans le Vuide . 2°. Que plufieurs Corps folides
ont une vertu Attractive, dont on peut être témoin
lorfqu'on veut, Qu'on mette deux Miroirs l'un fur
l'autre , on ne les féparera qu'avec peine , & cette
peine fera très -fenfible , on les a un peu preflés .
M. Defaguliers a remarque , que deux Sphères de
criftal , qui fe touchent par une furface de la dixié.
me partie d'un pouce , ayant été un peu preffées ,
font Equilibre par leur veitu Attractive avec une
Force de 19 onces . Ce n'eft pas tout. Deux Miroirs
, qui ne fe touchent point , ne laiffent pas
que de s'attirer , s'ils font féparés par une foie.
Un Cône de verre , fuivant les Expériences de
Newton , détourne la Lumiere à une & même
deux lignes de diftance. Eh ! combien d'autres
expériences n'a-t'on pas , qui établiffent une loi
d'Attraction univerfelle ( V. l'Eſſai de Phy . Par
M. Mufchenbroeck. T., I. L'Optique de Newton.
Les El. de Phyf. de s'Gravefande , & la Micrographie
d'Hook.
Il y a des Sçavans qui le difent , comme ils le
penfent. M. Keil , par exemple , veut , que les ef
fets de la fecrétion ayent l'Attraction pour caule.
Et un Aureur , qu'on connoît bien , qu'on a même
nommé, dans cet article , a voulu prouver , que
c'eſt à l'Attraction , que le Foetus doit la formation.
SEPTEMBRE. 1749.163
( V. Animal Secretionis par Keil. Venus Physique.
C. XVII . ) Sans parler du Docteur Mead , qui fait
de l'Attraction la clef de la Médecine.
.
Comme les Auteurs , qui ont écrit fur l'Attrac
tion ne l'ont fait que pour adopter ou réfuter le
fyfteme de Newton , je me réserve de les faire
connoître à cet article. Voyez Système.
BO M. Bombe. Boule de fer creuſe , armée de
deux anfes , plus épaiffe de métal dans fon culot ,
que dans fa partie fupérieure , où elle eft percée
pour être remplie de poudre . On ne fait pas ufage
dans l'Artillerie d'autre compofition. La question
eft feulement de la remplir comme il faut.
M. Wolf , dans le quatrième Tome de fes ele
menta Mathefees univerfa , apporte à cet égard
quelqu'attention qu'on ne doit pas négliger avant
que de la remplir . Il veut qu'on chauffe d'abord
la Bombe , pour s'affurer s'il n'y a point de creval
fes, que la dilatation de l'air rendra plus fenfibles ,
& dont on jugera , fi après y avoir mis de l'eau
froide, on la bouche exactement , & qu'on la faffe
tremper dans de l'eau bouillante . ( On prend de
l'eau de favon , parce qu'elle a plus de chaleur ,
lorfqu'elle eft échauffée , que toute autre. ) Alors
l'air , renfermé dans la Bombe , étant dilaté par la
chaleur de cette eau bouillante , s'échappera de la
Bombe , & formera fur la furface des petites bulles
d'air , fuppofé que la Bombe ait des crevaffes ou des
fentes , qui lui donnent iffue.
Une fois qu'on a reconnu que la Bombe n'a point
de fentes , on la remplit de poudre non pilée , &
on enfonce avec force une fufée par la lumiere ,
pour communiquer le feu à cette . poudre. On
bouche exactement ce trou avec une espéce de
maftic , capable de réfifter aux efforts de la poudre
enflammée , qui réduit dans cet état la Bambe cy
164 MERCURE DE FRANCE.
piéces , On jette la Bombe par le moyen du Mortier.
Voyez Mortier.
Metius , dans fon Traité d'Artillerie , T. II . ch .
4. confeille de fe fervir , pour remplir la Bombe, de
cette compofition. Au lieu de poudre commune ,
il prend 20 livres de falpêtre , 13 livres de foufre
bien broyés pendant 24 heures, & humectés avec de
bon vinaigre , où il a mêlé de l'eſprit de vin camphré
, & dans lequel il a fait infufer de l'ail. Ce
mêlange forme une pâte qu'on réduit en grain
comme la poudre ordinaire.
il
La charge d'une Bombe de 17 pouces de diamétre
, qui eft de la plus grande efpece , eft ordinai
rement de 48 livres de poudre. Elle pefe , étant
chargée , environ 490 livres. Je fuppofe ici qu'il
ne s'agit que de faire crever la Bombe ; car fi l'on
vouloir parfon moyen mettre le feu à une Ville ,
ne faudroit pas épargner la poudre, M. Belidor a
donné des régles pour charger les Bombes qu'on
veut faire crever , déduites de plufieurs expérien
ces. Voyez fon Bombardier François , fans négli
ger les Mémoires de l'Artillerie de S. Remi.
2 . Charger comme il faut une Bombe , n'eſt
difficile ; mais ce n'eft pas là en quoi confifte l'art
pas
du Bombardier. Le grand point eft de la fçavoir
jetter. En effet , à quoi ferviroit une Bombe bien
chargée, fi elle étoit mal dirigée ? Voici quelques
principes qui renferment toutes les régles de l'art
de jetter les Bombes. Ces régles font des corollaires
de la théorie de cet art , dont on trouvera les
fondemens au mot Balliftique.
Il est démontré que la portée de differens coups eft,
a charge égale, comme le double des Sinus des Angles
d'élévation du Mortier. Delà il fuit
que connoiffant
la portée d'un coup à une élévation donnée
on aura celle de tel autre coup , en telle élévation
SEPTEMBRE. 165
1749. 1749 .
*
4.
qu'on voudra , en difant : Le Sinus du double de
l'Angle de l'élévation connue eft au double du Sinus
de l'Angle de l'élévation proposée , .comme la portée
connue eft à la portée qu'on demande.
Pour avoir cette portée , qui doit fervir de fondement
à toutes les autres , il faut faire une Expérience.
Dans les chofes Pyfiques on est toujours
obligé d'en venir là . Galilée & fon fucceffeur Toricelli
n'ont pu faire autrement , eux à qui l'on eft
redevable de l'art qui fait ici l'objet de nos réflexions.
Une Bombe étant donc chaffée fous un angle
d'élévation déterminé , on meſure exactement la
portée de cet angle, ce qui donne le premier Terme
d'une régle de Proportion pour toutes les por
tées quelconques , qu'on formera comme ci-dewant.
Ajoutons que ces deux portées étant don-
´nées , cette Expérience fervira également pour
trouver les Angles d'élévation par cette Analogie :
La portée connue eft à la portée donnée , comme le
double du Sinus de l'Angle, de l'élévation du Mortier,
avec laquelle on a fait l'expérience , eft au double du
Sinus de l'Angle que l'on cherche.
Au refte, je dois dire ici , pour ceux qui ne le fçavent
pas, qu'on fuppofe que la portée donnée n'ex-
' cede pas celle que peut donner 45 ° d'élévation ,
qui eft la plus grande , comme l'a reconnu le premier
Tartaglia. Et à propos de 45 ° , n'oublions
pas , pour le cas précédent que fi l'Angle qu'on
propofe , a plus de 45 ° , il ne faudra pas prendre le
double pour avoir le Sinus que demande la régle ;
mais doubler celui de fon complement.
Il ne reste plus pour achever l'ébauche de l'art
de jetter les Bombe , que de faire mention des
inftrumens néceflaires pour connoître l'Angle d'élévation
du Mortier. On en a inventé de plufieurs
fortes. Le plus fimple eft , fans contredit , l'Equers
166 MERCURE DE FRANCE .
te de Tartaglin , appellé Equerre des Canoniers.
Voyez Equerre,
3. Voilà l'att de jetter les Bombes ' , tel qu'on le
pratique depuis aflez long- tems. De nos jours
des Officiers fupérieurs ont voulu le rendre plus
terrible. Pour le Tir du Canon , M. de Vauban a
inventé le ricochet. ( Voyez Batterie. ) Ce ricochet
, fi utile pour l'attaque des Places , fit penfer
que fi l'on pouvoit tirer les Bombes à ricochet , on
perfectionneroit abfolument certe partie de l'art
de la guerre. En 1723 , des Expériences furent faites
à ce sujet , & de ces expériences il réſulta que
les Obus , forte de Mortier , ( Voyez Mortier ) inclinés
depuis 8° degrés jufqu'à 12 ° toujours entre
ces deux Nombres , chafloient la Bombe de telle
maniere qu'elle ne fe mouvoit que par fauts &
par bonds. L'effet de ces Batteries à ricocher doit
être terrible. Qui en doute ? Il eft bon cependant
de voir là- deflus les refléxions de M. Belidor daus
fon Bombardier François.
4. Cet art doit fa naiffance à un habitant de
Vanlo , dans la Province de Gueldres . Ce fut pour
le divertiffement du Duc de Cleves , qu'il imagina
ce fpectacle. Il en jetta plufieurs en la préfence ,
dont une tombant par malheur fur une maifon
, où elle perça , embrafa la moitié de la Ville.
Quelques Hiftoriens Hollandois veulent que
cet art foit plus ancien. Ils en font honneur à
un Ingénieur qui avoit fait antérieurement des expériences
à Bergo-op-zom , honneur qu'il paya
cher: il lui coûta la vie.
Cafimir Siemianowicz prétend que c'eſt au Siége
de la Rochelle , qu'ont été jettées en France les
premieres Bombes, Si l'on en croit M. Blondel , on
n'a commencé à en faire ufage qu'au fiége de la
Motte en 1634. Selon cet Auteur , le premier qui
SEPTEMBRE. 1749. 167
en a jetté eft un Ingénieur Anglois nommé Malthus
, que Louis XIII avoit fait venir , & dont les
commencemens ne forent pas heureux. Comme il
alloit en râtonnant , & que fuivant que te coup
portoit , il hauffoit ou baiffoit au hazard fon Mor
tier , il tuoit beaucoup de François qui étoient de
Pautre côté de la Ville . Ce n'eft qu'entre les mains
de Galilée & de Toricelli , que l'art de jetter les
Bombes à pris une autre forme , & qu'une fçavante
théorie en a établi les folides fondemens.
Il eft vrai que Tartaglia , ainfi que je l'ai dit
avoit déja reconnu que les coups tirés à 45
étoient ceux qui donnoient une plus grande por
tée. Son Livre , où l'on trouve de très - bonnes cho
fes , a pour titre : De la Science nouvelle . Après lui
le Pere Merfene a publié le fien . Il eſt intitulé : Las
Ballistique. M. Blondel a écrit ex profeffo fur cette
matiere.. Il a établi dans toutes les régles un art de
jetter les Bombes. M. Belidor en a auffi donné quelques
principes dans fon nouveau cours de Mathématiques
& des Tables très utiles pour connoître
l'étendue de toutes les portées dans fon Bombar
dier François. J'ai déja cité les Mémoires d' Artillerie
de S. Remi , T. II . Il me reste à faire mention
d'un ouvrage où il eft traité du Jet des Bombes felon
toutes les inclinaiſons. C'eſt la nouvelle Théorie
fur le Méchaniſme de l'Artillerie , par M. Du-
Larg.
las
CAL. Calcul . Opération par Nombre & par
lettres , par laquelle on divife un tout en fes par
ties,& on réduit les parties en leur tout ; & par
quelle on évalue , on compare plufieurs Quantités
pour en découvrir le rapport. Le Calcul Arithmétique
, qui s'exerce fur les Nombres , femble ne
mettre fous les yeux que l'expreffion de plufieurs
Nombres qu unis ou défunis , & préſentés par ore
168 MERCURE DE FRANCE..
dre & par fuite. Le calcul Algébrique n'eft pas fi
borné. Il va chercher le rapport des Nombres , &
par ceux qu'il connoît , il découvre ceux qu'on
ignoroit abfolument. Voyez , Arithmétique & Al,
gébré.
¿ I
1. Calcul des Infiniment petits. Dans le tems de
Descartes , on ne connoiffoit que ces Calculs qui
ont pour objet des quantités finies. Depuis ce
grand Géométre on a été plus loin . Les Calcula
teurs ont ofé porter leur vue fur les Quantités in,
finies & réduire fous leur main l'infini ; que dis je
Pinfini ! Finfini même de l'infini , & comme le dit
Pilluftre Marquis de l'Hopital , une infinité d'infi
nis. Ceci paroît paffer les bornes de l'efprit humain.
Auffi dès que le Calcul des Infiniment petits
parut , on crut réellement que les Géométres ne
mefuroient plus leur force , & que leurs idées alloient
beaucoup au de- là. Des Mathématiciens
mêmes , ainfi que Niewentit , Relle , Ceva , en fu.
rent férieufement effrayés. En Angleterre , des
Docteurs monterent exprès en chaire pour avertir
le Public de fe méfier d'eux , de les regarder com
me des gens perdus , qui donnoient tête . baiffée
dans des chimeres , & d'éviter leur commerce ,
comme très - dangereux pour l'efprit & pour la Religion
. Par ce trait le Lecteur juge combien c'eſt
une belle & hardie découverte que celle du Calcul
de l'infini. On peut dire fans exagération que c'est
celle d'un nouveau monde Géométrique. Les Mathématiques
y perdroient trop , fi je laiffois échapper
cette occafion d'en donner la carte ; & la plûpart
des Lecteurs n'y gagneroient pas affez , fi je
ne les conduifois par la main dans un pays fi pea
connu encore & fi peu fréquenté.
2. Faiſons abſtraction de l'infini . Que ce mot
ne nous effraye pas. Sans prévention , remontons
à l origine
C
SEPTEMBRE. 1749. 169
-&
Porigine de ce Calcul. Confidérons une Courbe ,
un Cercle , pour fixer notre imagination ,
voyons comment nous pourrions faire pour connoître
le développement de cette Courbe , c'eft à.
dire , fa longueur en ligne droite . Que firent les
premiers Géométres , lorfqu'ils fe propoferent ce
Problême ? Archimede fuppofa fans façon , que le
Cercle eft compofé d'une infinité de petites Lignes
droites , & cela pour faire évanouir la courbure.
Plus ces petites Lignes étoient fuppofées en grand
nombre , plus la fuppofition s'approchoit de la
réalité . En concevant le Cercle divifé en une infinité
de petites parties , il n'y avoit plus de difficulté
à Padmettre . Premiere idée , on peut dire
même premiere époque du Calcul des infinimens
petits.
3. Jufques- là c'étoit concevoir les Courbes d'ane
maniere bien vague . Suivant la nature des
Courbes qu'on vouloit développer , ces petites Lignes
devoient être , & en plus grand nombre , de
quelque façon qu'on pût le repréfenter l'infini des
unes & des autres , & divertement fituées pour
former telle courbe ou telle courbure . Les parties
infiniment petites , ou , pour abreger , les Elémens
d'un Cercle doivent être differens de ceux de la
Parabole , de l'Hyperbole , &c. Archimede , &
après lui Appollonius , Grégoire de S. Vincent , qui
le comprirent chacun en leur maniere , imaginerent
d'infcrire & de circonfcrire des Poligones
d'une infinité de côtés connus , c'eſt- à -dire , dont
le rapport étoit établi avec une connue , par une
fuite infinie , une méthode d'aproximation , à peu
près comme l'on connoît la Racine d'un Nombre.
fourd. C'eft ainfi que les plus grands Géométres
anciens , tels que Cavallerius , Fermat , Wallis ,
Pascal , confidérerent l'infini & en firent l'appli
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cation à la Géométrie , en fuivant néanmoins les
chemins qu'ils fe frayoient chacun en particulier.
Telle étoit avant Newton & Leibnitz , & pour
parler avec plus de précifion , avant Barrow , la
fcience de l'infini Car on doit regarder la nouvelle
, fuivant plufieurs Mathématiciens , comme
ayant germé entre les mains de Barrow. Mais ce
n'en étoit que le germe . M M. Leibnitz & Newton
firent vegéter ce germe , aufquels M M. Bernoulli
, freres , & le Marquis de l'Hôpital firent porter
des fleurs.
Puifque nous fommes à l'hiftoire du Calcul de
P'infini , eft dans l'ordre que nous en connoiſſions
l'inventeur , avant que d'entrer dans le Calcul même
C'est une grande queftion parmi les Sçavans,
que celle de décider à qui nous fommes redevables
de ce Calcul. Newton & Leibnitz partagent l'honneur
de cette découverte. Les Anglois en font
honneur abfolument à Newton. Dans les Actes de
Leipfic , M. Leibnitz en a la gloire . Quel parti
prendre ? Il faut remonter à la fource avant que
de fe déterminer.
4. On fait que MM . Newton & Leibnitz le
communiquoient mutuellement leurs découvertes .
Newton fit part à Leibnitz , de celle du nouveau
Calcul & de fa Méthode. Leibnitz répondit qu'il
avoit un Calcul femblable , mais dont la méthode
étoit differente , & publia en 1684 les principes du
Calcul des infiniment petits , fous le titre du Calcul
differentiel. (On verra ci après la raifon de ce titre.)
Lors de cette publication , où Newton étoit oublié
, le Géométre Anglois , qui auroit peut- être
pú le plaindre , ne dit mot. M. Fatio de Duillers
fut le premier qui cria à l'injustice . Il prétendit.
que M. Leibnitz n'avoit imaginé le Calcul differen
tel, queparce que Newton lui avoit fait connoître
SEPTEMBRE . 1749. 171
la méthode des Fluxions , qui n'étoit autre chofe
que ce Calcul . Leibnitz répondit qu'il ne connoiffoit
nullement les découvertes de Ne ton en ce
genre , lorsqu'il inventa le alcul differentiel
Cette réponſe auroit dû fuffire ; mais M. Leib
nitz , l'un des principaux Auteurs des Actes de
Leipfic , ne fe contenta pas de refufer d'imprimer
la réplique que faifoit M. Fatio à ſa réponſe. It
s'oublia encore plus . Dès que le Traité de New.
ton fur les Quadratures parut , il confentit que les
Auteurs de ces Actes rabbaiffaffent l'Ouvrage du
docte Anglois , & qu'ils lui préferaflent Tſchirnhaus
Les Journalistes de Leipfic , en voulant défaverifer
Newton , qui les offufquoit par rapport à
Leibnitz , fufciterent à celui - ci une querelle terrible
de la part des Anglois. Cette comparaifon injufte
les indifpofa , & Keil fe chargea , au nom de
la Nation , plus jaloufe de la gloire de Newton ,
que Newton même , fe chargea , dis- je , de tirer
raifon d'une forte d'infuite qu'ils attribuoient à
M. Leibnitz , & qu'ils prenoient pour eux. Keil
fit done imprimer en 1708 dans les Tranfactions
Philofophiques , que Newton étoit l'inventeur du
Calcul des infiniment petits , & que Leibnitz s'en
étoit emparé , après avoir défiguré la méthode de
Newton , en changeant le titre ou le nom , & le
caractére ou la notation .
•
On devine aisément qu'un pareil plagiat , attritribué
à un homme tel que Leibnitz , dut beaucoup
le piquer. Il en porta plainte à la Société Royale
de Londres ; demanda & une rétractation & une
réparation authentique de la part de Keil , qu'il appella
homo novus & rerum ante actarum parum pe→
ritus. Sur ce que celui - ci répondit , la Société
nomma des Commiffaires de toutes les Nations
•
H
172 MERCURE DE FRANCE,
pour juger le differend ; & le rapport que les Commiffaires
firent , donna , avec art , gain de cauſe à
Keil : je dirois à Newton , puifque ce procès le
regardoit en propre ; mais le filence qu'affectoir
ce grand homme , doit être confervé dans cette
partie de fon Hiftoire , & c'est le conformer à fa
modeftie que de ne laiffer parler ici que le Lecteur
pour lui. 1
De ce petit détail hiftorique , on peut conclure
deux chofes, l'une, qu'il eft certain que M. Newon
a inventé le Calcul des infiniment petits ; l'autre
qu'il y auroit de l'injuftice à vouloir que M. Leibnitz
ne l'ait pas découvert , aidé de ſon ſeul & admirable
génie Dans une difpute où les plus grands
Géométres ont obſervé une exafte neutralité , je
n'ai garde de décider. Les perfonnes , qui voudront
être inftruites du fond de ce procès , doivent avoir
recours aux piéces même du procès , imprimées
conjointement avec le rapport des Commiffaires
nommés par la Société Royale de Londres ,fous
ce titre : Commercium Epiftolicum. On trouvera
plufieurs Ecrits fur cette matiere dans les Journaux
Litteraires des mois de Mai & Juillet 1713 , T. I.
P 208. Novembre & Décembre 1713 , T. II.
2 Part .
P. 445 , & M. de Juillet 1714 , p. 319 ; &
dans un Livre intitulé : Recueil de diverses Piéces
fur la Philofophie , la Religion naturelle & les Ma
thématiques , par MM . Newton , Leibnitz & Clark,
T. II . La belle Préface , dont M. de Buffon a orné
ſa Traduction du Traité des Fluxions de M.
Newton , eft encore bien digne d'être citée. Elle
mérite d'être lue avec la plus grande attention,
Voyez auffi Wallis opera Mathematica. T. III. p.
645 & 648 ; Philoſophia naturalis principia Math.
pag. 253 , de la premiere Edition , & pag. 226
de la feconde; Aa eruditorum 1684 , pag, 467;
SEPTEMBRE. 1749. 173
& Philofoph . Tranfact. 1708 , mois de Mai &
Juin . &c.
ATTAQUES , Plan & environs de la Ville d'Y.
pres , affiégée par le Roi le 6 Juin 1744 , & prife
le 25 fuivant , levés & deffinés fur les lieux , par
M. Pierre de Jeandeau , Ingénieur & Géographe
ordinaire du Roi.
L'Auteur de cette Carte travaille à en faire exécuter
plufieurs autres par lui levées fur les lieux
qui contiendront les Marches , Campemens , Sié
ges & Batailles , depuis environ dix ans , ce qui
formera un Théatre complet des Guerres de Flandre
, d'Italie & d'Allemagne , dont il donnera inceffamment
le Profpectus bien détaillé . Il fe propofe
de donner auffi au Public un très grand ouvrage
concernant le génie .
Cette Carte fe vend à Paris , chez Lantino , rue
du Cherche midi , à l'Hôtel du Roure ; Bernard ,
Quai de l'Horloge ; Gandouin , Libraire , Quai
de Conty ;lesfreres Morel , Grande Salle du Palais ,
Guillyn ; Libraire , Quai des Auguftios , & Julien,
à l'Hôtel de Soubize. Le prix eft de 35 f. tiré fur
papier lavé & battu , pour recevoir les couleurs ,
& 30 f. fur papier ordinaire.
LETTRE
Ecrite à M. Remond de Sainte Albine ,fur
Le Voyage Pictorefque de Paris.
LE
EVoyage Pictorefque de Paris , que vous avez
annoncé , Monfieur ; dans le Mercure de
Juillet , exigeoit , ce me femble , de votre part
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
quelques lignes un peu avantageufes , fealement
pour établir les differences qui la diftinguent des
defcriptions de cette Ville . L'accueil favorable
que le Public a la bonté d'y faire , eft bien capable
d'encourager un Magiftrat parvenu à peine à fon
cinquiéme luftre. Un des principaux agrémens de
ce Livre eft un Catalogue des Tableaux de M. le
Duc d'Orleans , chambre par chambre , & fuivant
la place qu'ils y occupent. Nous avions déja ,
il eft vrai , une defcription de ces Tableaux , par
du Bois de Saint Gelais , mais le défaut d ordre &
d'arrangement la rend totalement inutile , au lieu
que celle- ci facilite extrêmement le moyen de
connoître la quantité & le nom des Auteurs dont
on voit les productions La Table alphabétique
des Peintres , Sculpteurs & Architectes , qui termine
l'ouvrage , n'eft pas indifferente . Vous
voyez un Tableau , une Sculpture d'un habile
homme ; vous defirez fçavoir le lieu de fa nail
fance ,fon pays en un mot : cette Table vous
l'apprend avec fon furnom & fon nom de baptê
me. La juftice que vous avez accoûtumé de rendre
aux Auteurs , me fait efperer , Monfieur , que
vous voudrez bien inferer ma Lettre dans le Mercure
, pour réparer cette petite omiſſion , qui n'a
pú naître que de l'oubli .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 28 Juillet 1749 .
D***.
FAS
SEPTEMBRE. 1749 175
LETTRE
De M. Trochereau , au même.
ME pardonnerez -vous, Monfieur , d'interrom
pre un moment vos occupations littéraires ,
pourvous faire part du chagrin que j'ai de quelques
fautes groffieres , qui fe font gliffées dans les notes
du petit ouvrage que je viens de donner au Public ,
& au fuccès duquel vous avez bien voulu vous intéreffer.
Lors de l'impreffion de cet ouvrage , je
fus obligé de quitter Paris , & je ne pus pas veiller
moi-même à la correction des épreuves . Indépendaniment
d'un nombre aflez confidérable de fau
tes typographiques qui gâtent le texte , Voici
quelques bévues quej'ai eu le chagrin de trouver
dans les notes.
1º . p . 34. Ingentes dolores flupent , parvi loquuntur
.
Voici le vers de Seneque , tel qu'il faut le réta-
-blir.
Cura leves loquuntur , ingentes ftupent.
Art. 2 Hypp . 3. v . 18 .
1
2°.p. 78. Necfic incipies , ut Poëta Cyclicus olim ,
Il doit y avoir , ut fcriptor Cyclicus . Art . p . v .
136.
3°. p. 100. Si vis me flere dolendum eft ipfi tibi.
Ilfaut lire ainfi :
Si vis me flere , dolendum eft
Frimùm ipfi tibi Art p. v. 103 & 104 .
Difcours préliminaire , p. xxxiv . liv. 10. Ho
race , lifez Virgile , fixiéme Livre de l'Enéïde .
Mes amis qui fçavent que j'ai paffe la meilleure
partie de ma jeuneffe à l'étude des Auteurs an-
Hij
176 MERCURE DE FRANCE.
ciens , ne mettront pas ces fautes groffieres fur
mon compte , mais je penfe que je dois au Public
de le prévenir moi même. Il n'eft pas obligé de
nous traiter mieux que nous ne paroiffons le mériter.
Je me flatte que les preuves d'amitié , dont
vous m'avez honoré jufqu'à préfent , & aufquelles
je fuis extrêmement fenfible , vous détermineront
à vouloir bien vous donner la peine d'en faire une
note dans l'article littéraire du Mercure prochain .
Il m'eft tombé hier entre les mainsun ouvrage
périodique Anglois , qui paroît à Londres tous les
mois , intitulé : The Gentleman's magazine. J'y
ai lû les particularités fuivantes , extraites des
Tranfactions philofophiques ( n° . 484. ) qui viennentd'être
miles au jour .J'ai crú qu'ellespourroient
intéreffer la curiofité des amateurs des Arts & de
l'Antiquité. J'ai l'honneur de vous en envoyer
la Traduction . Vous en ferez l'ufage que vous
jugerez à propos d'en faire : fi vous croyez qu'el
les puiffent être agréables au Public , je vous prie
de leur donner une place dans le Mercure prochain
. Les voici :
"
•
Une Lettre de M Hoare dattée de Rome ,
du mois d'Août 1747 , apprend que le Tableau ,
repréfentant Achilles & Chiron , trouvé à Hercu
lanum , eft de cinq pieds de long fur quatre de
large que les figures en font moitié grandes
comme nature ; qu'elles font très fraîches , artistement
coloriées ; & bien deffinées ; que celle
d'Hercule eft parfaite ; que le Tableau de Thefée
& du Minotaure eft haut de cinq pieds , & quel
que chofe de plus. Theſée eft debout dans une
belle attitude , un pied fur la tête du Minotaure ;
cette tête eft celle d'un taureau jointe à un
corps humain. On y voit quelques Génies ou
Amours , s'empreffant à l'envi de careffer leur
SEPTEMBRE. 1749 . 177
liberateur : l'on lui baiſe la main , l'autre lui em~
braffe la jambe ; plufieurs autres , dans differente
attitudes , lui témoignent les fentimens de leur
reconnoiffance .
Un autre Tableau contient l'Hiftoire de Virginie
; elle eft fondante en larmes , & on s'intéreffe
afes malheurs. Appius eft agité par des tranfports
furieux ; l'expreffion de ce Decemvir eft admirable.
Un autre repréſente Hercule & la Déeffe de la
Nature . Ce Tableau eft orné de plufieurs figures
fymboliques : on y remarque particulierement un
enfant qui tette une daine. Celle-ci léche les genoux
de cet enfant , comme une marque de tendreffe
, & arrange fes jambes , de façon qu'elle ne
puiffe pas le bleffer. La Victoire couronne le Hé
ros , qui s'appuye fur fa maflue , & la Nature eft
affife devant lui ; elle applaudit à ſes travaux ; le
deffein en eft exquis & parfait.
Il y a un autre Tableau extrêmement fingulier
& bizarre ; il a dix-huit pouces fur neuf ; il repré .
fente un perroquet traînant un char , dans lequel
eft une groffe mouche , dont les cornes fervent de
bride pour conduire le perroquet.
Deux Tableaux de quatre pieds & demi de long
repréfentent des Comédiens fur le Théâtre. La
perspective en eft fort bien obfervée .
Un autre est une nôce. Il n'eft compofé que de
trois perfonnes. 11 eft fort dans le goût de la Nôce
Aldobrandine qui eft à Rome.
On trouve . dans ces décombres une multitude
infinie de petirs fujets , qui repréſentent les cérémonies
des anciens facrifices. La plupart font
peintes fur des fonds rouges ou noirs ; on y
auffi quelques grotesques.
voit
Ces Peintures réfolvent une de nos difputes .
HY
178 MERCURE DEFRANCE.
littéraires , & nous convainquent que les anciens "
connoifloient la perfpective.
&
Cette derniere réflexion eft une nouvelle preuve
que les anciens excelloient dans les Arts , & que
nos modernes , dont ' e ton eft de déprimer l'Antiquité
, rougiront de la témérité de leur critique
fouvent indécente , à mesure que d'heureux hazards
nous découvriront de précieux monumens ,
qu'on pourroir appeller les médailles juftificatives
des connoiffances des anciens dans les Arts . Peutêtre
ferions - nous petits devant les Egyptiens , fi
nous étions parfaitement inftruits , jufqu'à quel
dégré de perfection ils ont pouilé la Statique , la
Gnomonique , l'Hydraulique , & c.
Je fuis perfuadé que cette façon de penfer eft
de votre goût . Monfieur , vous qui eftimez l'Antiquité
, parce que vous la connoiffez , & que vous
l'avez étudiée .
Je vous fupplie d'être intimement perfuadé de
la pureté de mes fentimens , & du parfait attache
ment , & de la fincere reconnoiffance avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , &c.
Trochereau.
LETTRE
De M. Collin de Blamont , Sur-Intendant de
la Mufique du Roi , au même.
le
JE me fuis apperçu , Monsieur , que dansde Cas
tion dans le Mercure du mois de Juillet , vous
avez obmis de marquer au fujet de la Tragédie de
SEPTEMBRE. 1749. 179
Jupiter , reprefentée devant le Roi au Théatre des
grandes Ecuries , que M. de Bury , mon neveu
Maître de la Mufique de la Chambre , avoit part
à cet ouvrage. Je vous fupplie de vouloir bien
contribuer avec moi à lui rendre aux yeux du
Public la juftice qu'il mérite , en faisant inferer
cette Lettre dans votreprochain Journal.
Je fuis , & c.
Collin de Blament.
A Paris , ce 1 1 Août 1749.
LETTRE écrite par M. Briffeaud , de la
Ville d'Orbe , Canton de Berne de Fri.
bourg, à M. Bourgeois , Docteur en Mé
decine de la Ville d'Yverdun , Canton de
Berne en Suiffe , au fujet de la Méthode de
M. Daran, Chirurgien du Roi, pour traiter
les maladies de l'uréthre.
M
Onfieur , je vous ai promis , en partant pour
Paris , de vous rendre compte du fuccès des
reinédes de M. Daran , entre les mains de qui je
venois me mettre. Je n'ai attendu fi long - tems
à m'acquitter de ma parole , que parce que je vou
lois être aflûré de ma parfaite guérifon , avant de
vous en inftruire .
Quoique des accidens de la nature de ceux qui
m'ont déterminé à faire ce voyage ; faffent des
impreffions qui ne s'effacent pas ailément ; je vais,
Monfieur , vous retraçer en peu de mots la fituation
où je metrouvois , lorfque j'arrivai à Paris ;
j'avois le perinée criblé de trois fiftules , & deux à
H vj
180MERCURE DE FRANCE:
côté près du fondement , par lesquelles l'urine
s'échappoit avec des douleurs inouies . Je ne pouvois
demeurer ni affis , ni couché , ni debout. La
fituation la plus commode que je pouvois trouver
étoit de me mettre fur les genoux , en m'appuyant
fur les mains , & quoique j'euffe toujours eu recours
aux perfonnes les plus célébres de l'art , je
n'en avois retiré aucun foulagement.
Cet affreux état , auquel je ne comptois trouver
de reffources que dans la mort ,
dont les approches
me paroiffoient plus à defirer qu'à crain
dre , étoit la fuite des embarras qui s'étoient formés
dans le canal de l'uréthre. Le fil de mes urines
diminua fenfiblement ; je ne les rendis plus
fans ardeurs , je fis alors beaucoup de remédes qui
furent infructueux. Je ne retirai pas un plus grand
foulagement des bains de Plombieres , dont on me
confeilla Pufage . Ces differens remédes n'arrêterent
point même le progrès du mal. Les embarras
de l'uréthre augmenterent tellement, qu'il fe forma
au perinée , & à côté , des abfcès qui donnerent
paffage à l'urine & au pus . On traita vainement
ces nouveaux accidens par les remèdes , qui furent
jugés les plus convenables Je vous priai dans ces
circonftances , Monfieur , de confulter à Paris les
perfonnes qui ont le plus de réputation pour la
guérifon des maux aufquels j'étois en proye. Un
des plus célébres Médecins de cette Capitale , &
qui eft fort enréputation pour les maladies de la
nature de la mienne , fut confulté. Mais je trouvai
qu'il valoit mieux mourir que de fuivre fon
avis C'étoit , comme vous vous en fouvenez ,
Monfieur , de m'ouvrir toutes les parties affligées ,
jufqu'à la véffie , & d'emporter avec les inftrumens
tranchans toutes les excroiffances qui faifoient
obftacle à la fortie de l'urine.
.
SEPTEMBRE . 1749. 181
Heureufement M. Daran , confulté en même
tems , avoit donné une réponſe plus favorable. fl
marquoit que ma maladie lui étoit bien connue
par le mémoire que je lui en avois envoyé ; qu'el
le étoit de la nature de celles qu'il traite habituel
lement , & qu'il répondoit de ma guériſon , fi je
pouvois faire le voyage de Paris .
Dès ce moment même , je me fis accommoder
une berline garnie de matelats , & foutenue de
plufieurs refforts pour rendre fen mouvement plus
fupportable dans mon état , pendant une route
auf longue que celle que j'allois entreprendre.
J'arrivai heureufentent à Paris le quinzième Oc
tobre 1747 , & je fus defcendre chez M. Daran ,
qui m'avoit fait préparer une chambre chez lui ,
afin d'être à portée de fuivre l'effet de fes remédes
avec la plus fcrupuleufe exactitude.
Comme il eft dans l'ufage de n'entreprendre le
traitement d'aucun malade fans en avoir fait conftater
l'état par des gens de l'Art , on fit une confultation
où le trouverent M. Chomel , Médécim
ordinaire du Roi , & Meffieurs Dumoulin , Doyen
des Chirurgiens de Saint Côme , & Malaval , dont
le nom eft très célébre dans la même Compagnie .
Ces Meffieurs , après un mur examen , furent effrayés
de ma fituation , & convinrent qu'il feroit
très-difficile de me guérir.
Je le fuis cependant , Monfieur , & je jouis d'une
fanté plus parfaite que je n'ai fait depuis plus
de vingt ans. C'est ce que vous pourrez attefter
à ceux qui vous demanderoient des nouvelles de
mon état. Ileft vrai qu'il a fallu un tems confidérable
pour y parvenir , mais j'étois dans un état fi
pitoyable , lorfque M. Daran a commencé à me
traiter , que je regarde ma guériſon prefque com
me une création nouvelle.
182 MERCURE DE FRANCE.
Je compte , Monfieur , que vous ne ferez pas
fâché que je rende cette Lettre publique , & qu'à
votre témoignage pour la vérité des faits qui fe
font paffés fous vos yeux , je joigne auffi celui de
M. le Confeiller Bourgeois , Chirurgien d'Orbe ,
qui fit alors tout fon poffible pour me foulager.
Au refte c'est moins à mareconnoiffance pour le
fervice effentiel que M. Daran m'a rendu , que je
crois devoir la publication de ma Lettre , qu'à
l'humanité entière , qui a intérêt d'être inftruite
que des maux femblables aux miens ſont ſuſceptibles
de guérifon . Si trois ans plutôt quelque malade
, dans l'état où je me trouvois , du grand
nombre que M. Daran traite , m'eût fait connoître
les reffources que l'on peut trouver dans fon expérience
confommée , quelle obligation ne lui aurois-
je pas eue, & combien de fouffrances ne m'au
roit-il pas épargnées !
t.
Nous fouffignés certifions qu'il n'y a rien dans
cette Lettre que de conforme à la vérité ; que
nous avons vu le malade le 18 Octobre 1747 ;
qu'après l'avoir examiné avec attention , nous
avons trouvé plufieurs fiftules , non -feulement au,
perinée , mais encore aux parties latérales >
en
forte que le malade, n'urinant que goute à goute,
par la voie ordinaire , les urines refluoient , &
fortoient par ces differentes fiftules , comme par
un arrofoir ; que lorfque M. Daran voulut introduire
une de fes bougies dans l'aréthre , elle ne
put faire route que de deux travers de doigt ;,
qu'aujourd'hui nous avons vû avec fatisfaction
la bougie pénétrer facilement dans toute l'éten
due du canal jufqu'à la veffie ,fans trouver de réſiſtance
, quoiqu'elle fût des plus groffes ; qu'enfin
nous avons trouvé les fiftules guéries & cicatrifées
, & le malade fort bien guéri ; en foi de quoi
SEPTEMBRE. 1749. 183
nous avons figné le préfent certificat , ce vingthuitiéme
Juillet 1749. Dumoulin , Doyen , Chomel,
Malaval.
Avis aux amateurs de l'Hiftoire naturelle.
L
E Sieur Guyot , Apoticaire- Chymifte de M
Pajot d'Ons- en- Bray , donne avis au Public
qu'il eft le feul Auteur de la compofition d'une
Liqueur préfervative , confervative & univerfelle ,
à laquelle il réuffit depuis douze ans , qui ne reçoit
aucune variation , ni de la gelée , ni des grandes
chaleurs , & qui conferve parfaitement toutes for
tes de plantes en fleurs & en fruits.
En conféquence il a fait à M. d'Ons- en Bray pen
dant le tems fufdit , un Cabinet à Bercy- lez- Paris,
contenant deux mille bouteilles , dont quinze à fèize
cens renferment des plantes graffes , marines &
aquatiques , la plupart étrangeres , & celles qui
font employées avec avantage en Médecine .
De même , cent cinquante elpéces de champi
gnons de differentes formes & de diverfes couleurs
, les uns plus délicats que les autres ; ainfit
que quelques noftocs , agarics , & autres excroif
fances végétales.
Cette liqueur ne borne pas ici fes effets . Ellet
confeive encore au naturel les poiffons de mer ›
& d'eau douce de toutes les espèces , même les
infectes les plus glutineux , tels que la limace , les
vers , & c.
En un mot , tous les animaux , tant volatils que
terreftres ; & ce qui eft plus étonnant , les parties
les plus tendres & les p us délicates , qui dépendent
de ces deux genres , végétaux & animaux , contenus
dans le fufdit Cabinet , & qui font foi de ce
qu'on avance.
184 MERCURE DE FRANČE .
Le Sieur Guyot prend d'autant plus volontiers
la liberté d'en informer le Public , qu'il laffe à
penfer aux Sçavans de quelle utilité peut être une
pareille découverte , pour apporter au naturel , &
mettre fous nos yeux les richeffes de cette nature,
qu'on poffede inutilement pour nous aux extrêmités
du monde , & defquelles nous n'avons qu'une
connoiffance imparfaite , faute d'avoir trouvé
jufqu'ici le fecret de les apporter , & de les conferver
au naturel.
Le Sieur Guyot a déja eu lieu d'être fatisfait
du jugement avantageux qu'en ont porté plufieurs
Membres illuftres de l'Académie des Sciences ,
ainfi qu'un grand nombre de perfonnes de la premiere
diftinction , qui ont vu les effets finguliers
de cette Liqueur.
'Autre avisfur un Anemométre fonnant.
C
" Eft une machine inventée par M. l'Abbẻ
Aubert , de Verdun fur Meufe , perpétuelle ,
fans poids , ni roue , & fans qu'on ait jamais befoin
d'y toucher , laquelle pronoftique par une
mufique divertiffante dans une chambre les differens
tems qu'il doit faire , les differentes forces
du vent , la pluye , le beau tems , le froid , le
chaud , bien plus fârement , & plus promptement
que le Barométre . qui eft fujet à fe déranger par
les perméations réitérées d'un air fubtil , & enfuite
de quelque chofe de l'air plus groffier. Celle-
ci ne peut jamais le déranger , & quand on y
toucheroit pour la faire carillonner à volonté ,
elle fe remet jufte d'elle même . Elle eft auffi avec
fourdine & répetition , & amufe agréablement
SEPTEMBRE. 1749 185
dans une chambre , parce qu'elle forme une muque
continuelle & en accord fuivant les differens
airs qui diftinguent les tems , & on ſe donne
ainfi un concert pendant un repas , ou avant de
s'endormir ou à fon lever , la machine jouant
toujours d'elle - même , à moins qu'on ne fufpende
pour un tems ces petits carillons , qui autrement
iroient feuls perpétuellement.
ESTAMPE NOUVELLE ,
Et Réception de M. Balechou , à l'Académie
Royale de Peinture , Sculpture , &c.
E Samedi 19 Mars 1749 , l'Académie Royale
? ?
Lde Peinture & Sculpture agréa unanimement
M. Balechon Graveur fur le portrait qu'il a
gravé du Roi de Pologne Electeur de Saxe , peint
par feu M. Rigaud . Ce morceau eft d'une grande
beauté , & il fait voir à quel degré de perfection la
gravûre eft parvenue en ce fiécle ; il a deux pieds
& demi de haut fur vingt-un pouces de large. Le
Roi de Pologne y paroît dans un champ borné
par un Laurier & par une espéce de rocher tronqué.
Ce Prince eft debout , tenant un Bâton de
Commandement, qui porte fur le rocher. Sur les
épaules de Sa Majefté Polonoife flotte un Manteau
Royal , doublé d'hermine , qui répand une
Jumiere éclatante du côté droit. A gauche on voit
un Maure qui ſemble marcher , & venir préfenter
un cafque au Roi . L'ombre de la figure de Sa
Majefté tombe fur ce Maure , & occafionne avec
Ja doublure d'herimine , qui répand de l'éclat du
côté droit , un très bel effet de clair obſcur.
186 MERCURE DE FRANCE :
Les Curieux pourront voir cette Eftampe chez
l'Auteur , Graveur du Roi , rue Saint Etienne
des Grecs ,avec trois autres qu'il préfenta en même
tems , deux d'après M. Jeaurat , & la troifiémę
d'après M. Nattier.
LETTRE
De l'Auteur de l'Ombre du grand Colbert,
à M. Remond de Sainte Albine *.
P
Ermettez-moi , Monfieur , de vous marquer
ma reconnoiffance de la façon obligeante dont
vous avez parlé de l'Ombre du grand Colbert dans
le Mercure. Je vous en fais des remercimens
fincéres , & vous prie de croire que j'y fuis très-fenfible.
Je ne l'ai pas moins été à l'accueil que le
Public a eu la bonté de faire à l'ouvrage & à l'Auteur.
Quelle a été ma joye d'avoir trouvé une fou
le auffi grande de Citoyens & de vrais François qui
foupirent après le rétabliſſement de l'honneur &
de la décence du Louvre & la liberté de fa façade ,
qui défirent de tout leur coeur , & contribueroient
de leur propre bien à l'achevement d'un Edifice
qui feroit la gloire de la Nation , le Monument le
plus fuperbe du regne de Louis XV , & dont le feul
afpect du Périftile publieroit , avec autant d'éclat
que toutes les bouches de la Renommée , la fublimité
du goût François !
Mon deffein , dans la feinte réfurrection de ce
* Il y a déja quelque tems que cette Lettre nous a
été envoyée , mais nous n'avons pû la faire paroître
plutôt , par l'abondance des matieres.
SEPTEMBRE . 1749. 187
Miniftre immortel , a été de reffufciter avec lui la
grandeur & l'ancienne vigueur du génie de la Nation
, non - feulement dans les Beaux- Arts , mais
dans tout ce qui peut fervir à la puiffance & à la
fplendeur de ce Royaume , & d'engager ceux à
qui ce génie obéit , à le relever de fa chûte & l'arracher
à l'oppreffion & à la perfécution à laquelle
il eſt abandonné . Si mon defſein n'a malheureuſement
aucun effet , foit par la révolution prodigieufe
qu'un tems fort court a faite fur nos elprits , foit
par la fatalité des circonftances , au moins j'aurai
la gloire d'avoir défendu le bon goût contre les
abus & l'ignorance qui l'attaquent de toutes parts,
& lui portent tous les jours des coups mortels . Je
jouirai chez la postérité du trifte honneur d'avoir
vu mes efforts applaudis par tous les braves Citoyens
& généreux François , mes contemporains,
-feulement par ceux qui font dans les plus hau
tes places , mais encore par les plus illuftres Etrangers
& du plus grand nom.
non-
Je viens au fujet de cette Lettre. Vous avez dit ,
Monfieur , dans l'article du Mercure qui par
le de l'Ombre cu grand Colbert , que l'Auteur de
ce Dialogue étoit déja connu par d'autres ouvra
ges fur les Beaux Arts . Ayant appris de plufieurs
perfonnes , que l'on m'a attribué fur cette matiere
les brochures , où l'on a critiqué très- durement
quelques ouvrages de nos Peintres & de nos Sculpteurs
qui ont le plus de réputation , j'ai l'honneur
de vous écrire pour me plaindre d'une méprite auffi
injufte. Après la Lettre que je donnai à la fuite de
mes Refléxions fur l'état de la Peinture en France,
où j'expolai mes fentimens à ce fujet , fentimens
qui feront toujours en moi fermes & in variables ,
je n'aurois pas dû m'attendre à ce reproche , qui
n'a été très- fenfible . J'y avois dit , qu'attaquer
188 MERCURE DE FRANCE.
fans ménagement les talens d'un Artiſte & la ré
putation qu'ils lui ont acquife , c'étoit lui enlever
non feulement la fatisfaction qui fait le bonheur
de fa vie , je veux dire l'opinion de l'excellence de
fes ouvrages , mais encore lui ravir le fruit de fes
travaux, & tarir la fource de fa fortune en ruinant
fa répuration , fon bien le plus flatteur & le plus
folide. Quelle apparence , qu'après m'être élevé
avec tant de force contre cette injuſtice , & fans aucun
intérêt que celui de l'équité & du bien général
de nos grands Ouvriers , je me fuffe rétracté
auffi lâchentent & prefque au même inftant ! Et
d'ailleurs,quel eft le but de mes Ecrits ? N'eft ce pas
uniquement le progrès des Arts & leur perfection?
Comment donc aurois - je pris une voye auffi oppolée
à mon deffein , que celle de bleffer l'amour
propre de ceux qui y peuvent le plus contribuer ,
avec les armes les plus offenfantes , pleinement
convaincu qu'une critique violente & groffierement
fincére n'a jamais produit que la haine du
eenfeur , & ce qui eft bien plus important , le découragement
de l'offenfé. Je ne parle point des
coups que ce's Critiques ont dû porter aux Ouvrages
expofés , en prévenant contre eux ceux à
qui ils étoient deftinés. Attentat à la fortune de
leurs Auteurs , que j'eftime très grave , & dont je
me croirois irréparablement coupable .
Il eft douloureux pour moi de n'avoir pu perfuader
par le ton de mes Ecrits , que je ne fuis critique
ni par goût , ni par humeur ; je le fuis encore
moins par intérêt , mon état n'ayant nul befoin des
reffources infamantes d'une plume vénale ou chargée
de fiel , que la malignité de l'homme & fes
goûts pervers ne rendent que trop lucratives &
trop faciles. On auroit tort cependant de conclure
de la facilité d'une critique amere , celle d'une cri
SEPTEMBRE . 1749. 189
tique modérée & en même tems utile , ni qu'elle
fût même plus ailée que la louange. Je conviens
qu'une cenfure , armee de traits piquans & empoifonnés
, qui affligent & qui défelperent ; une critique
impétueufe, qui ne connoît de frein que la licence,
& de juftice que fa paffion , coûte peu à l'ef
prit abondamment aidé de la corruption du coeur
mais une cenfure exacte , & en même tems modefte,
qui ne veut point briller par l'étalage de fes connoiffances
, mais feulement faire appercevoir les
fautes néceffairement cachées aux yeux de tout Auteur
qui ne voit que par les fiens ; une cenfure
adroite , détournée ou voilée fous une fiction qui
préfente les défauts obliquement & comme dans
un miroir de refléxion , qui toujours attentive à ne
point bleffer l'amour propre , n'a pour armes
qu'un compas & une balance que ni la prévention
ni les antipathies de caprice & fans fondement,
i aucun intérêt perfonnel , ne fçauroient faire incliner
par de faux poids , & qui cependant ait affez
d'attrait & de force pour plaire & pour corriger
; non , non , cette façon de critiquer , la feule
digne d'un galant homme , n'eft point ailée , & je
la tiens beaucoup plus difficile & plus méritoire
que la louange , cet art fi vanté , & cependant G
funefte à tous les hommes par l'orgueil & par la
faufleté qu'il met dans leurs idées & furtout dans
celles de leurs productions.
Je déclare donc non-feulement que je n'ai aud
cune part à ces brochures qui contiennent des critiques
indécentes & fi peu mefurées pour les expreffions
, mais j'ajoûte encore que je les défa
prouve hautement , en convenant cependant que
la plupart des ouvrages critiqués, je ne dis pas tous,
le font avec juftice, & qu'il n'y manque que la dé-
Kence & la maniere. Je conviens encore que l'on
190 MERCURE DE FRANCE.
y trouve des réflexions fenfées & des projets dont
Péxécution feroit fort avantageufe à l'embelliffement
de Paris & au bon ordre , auffi bien qu'au
progrès des Arts . Vous m'obligerez beaucoup ,
Monfieur , de mettre dans le Mercure cette déclaration
ou plutôt ce renouvellement public de
mes fentimens. J'ai l'honneur d'être , &c.
D. L. F. de Saint Tenne.
VERS
A Mile Labat, Comédienne & premiere
Danfeufe de la Troupe de l'Infant Duc de
Parme , fur ce qu'elle quittoit quelquefois
la danfe noble , pour danfer déguisée en
Matelot.
Mufe de tous nos jeux , objet de nos hommages
,
Stachez que le dépit ſe mêle à nos fuffrages ,
Lorfque vous empruntez des traveftiflemens
Trop peu dignes de vous, malgré leurs agrémens ;
D'un naturel heureux l'afcendant eft extrême ;
Pour nous plaire toujours , foyez toujours vousmême.
Sous des myrthes fleuris , dans des Palais char
mans ,
Dès que vous devenez Dryade ou Nétéïde ,
Ou compagne de Flore, ou Bergere , ou Silphide
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
SEPTEMBRE. 1749.
191
Vous caufez dans les coeurs de doux enchantemens.
Ua murmure s'éleve , éclatte , augmente encore ;
Vous entendez par tout mille applaudiffemens ;
Quel triomphe flateur ? c'eft un peuple d'Amans
Qui couronne ce qu'il adore.
Hé bien , croyez - les donc , ces coeurs que vous
troublez
Sous les déguifemens que votre art vous préſente ,
Vous n'êtes jamais plus charmante ,
Que quand vous vous reffemblez.
DUO A BOIRE.
E Ntre l'Amour &le vin
Je ne vois point de difference ;
Tous deux charment notre deftin ;
Nul ne mérite préférence ,
Difoit Lucas quelque matin .
Tu te trompes , répond Grégoire ;
Le vin,mieux que l'Amour,fçut toujours me char
mer ,
Et la raison que je vais t'en donner ,
C'est qu'en aimant j'ai foif & voudrois boire,
Mais quand je bois , je me paffe d'aimer.
192 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
Lies,exécuté le vendredi 15 août , jour de
E Concert Spirituel du Château des Thuillel'Affomption
, a commencé par une fymphonie
gracieule , terminée par un Menuet applaudi . En-
Quite on a chanté Domini eft terra , Motet à grand
choeur de la compofition de M. le Febvre , Organifte
de la Paroifle de S. Louis dans l'Ifle , qui a
obtenu l'approbation d'une très nombreuſe afiemblée.
M. Taillard le cadet , a joué fur la flûte traverfiere
un Concerto de Vivaldi, Benedictus Do
minus , petit Motet tant de fois chanté , du mélodieux
Mouret , a eu un fuccès nouveau & des plus
brillans , étant exécuté par M. Befche le cadet ,
haute- contre célébre de la Mufique de Notre - Da
me. Le Public , par des applaudillemens fans ceffe
redoublés , a fait l'éloge de la beauté extraordinaire
de cette voix , & le plaifir fingulier de l'enten.
dre avoit attiré une foule innombrable d'amateurs.
Cette foule fe trouvoit les Samedis au Motet à
Notre- Dame depuis l'arrivée de M. Beſche à Paris.
Il a couronné le Concert en chantant le Gloria patri
de Cantate Domino , Motet à grand choeur de
M. de la Lande , qui a été précedé par un Concer
to de M. Gavinies .
L'Académie Royale de Mufique a continué avec
un fuccès auffi brillant que mérité , les Repreſentations
des Caractéres de l'Amour.
Le troifiéme Acte de ce Ballet paffera toujours
pour un des plus agréables qui foient au Théatre
Lyrique.Dans les deux autres Actes, ainfi que dans
le Prologue , il y a grand nombre de morceaux de
Mufique
SEPTEMBRE . 1749. 193
Mufique , frappés au meilleur coin , & l'on admire
fur tout la Chacone. L'Air que chante Mlle Chevalier
, eft d'une beauté finguliere , & l'accompagnement
en eft également ingénieux & fçavant.
Mlle Lani , fuivant fa coûtume , a charmé dans ce
Ballet par la fineffe , la préciſion & la légereté de
fa danfe. On y a vû débuter avec plaifir Mlle Victoire
, aimable & jeune Danfeuſe , arrivée de l'Opera
de Bruxelles."
Après les Caractéres de l'Amour , l'Opera donnera
un Ballet nouveau en trois Actes , précedé
d'un Prologue , & intitulé le Carnaval du Parnaſſe,
Les paroles font de M. Fuzelier, un des Auteurs du
Mercure. La Mufique eft de M. Mondonville
Maître de Mufique de la Chapelle de Sa Majesté ,
fi connu par la beauté de fes Motets.
bre par
>
Les Comédiens François repréfentérent le 24
Juillet pour la premiere fois la Tragédie des Ama...
zones. Cette Piéce eft de Mad . du Boccage , céle- .
fon Poëme du Paradis Terreftre , imité de
Milton. On en trouvera l'Extrait dans un article :
féparé. Ils ont donné le Mercredi 13 , la premiere
repréfentation du Faux Sçavdnt , Comédie en trois
Actes , de la compofition de M. du Vaur , Gentilhomme
Languedocien , & Officier dans les Troupes
du Roi. Cet Auteur a déja donné au Théatre
quelques fruits de fes amufemens. Le Faux Sçavant
eft une Piéce très- bien écrite ; le ſtyle en eft
vif, léger , extrêmement gai , & ce ne font p3s de
ces bluettes néologiques , cant frondées par l'Ab-.
bé des Fontaines & par tous les partifans du bon
goût.
Le Lundi 21 Juillet , les Comédiens Italiens ont
remis au Théatre le Prologue qui a pour titre les
Comédiens Efclaves , avec Arcagambis , Tragédie.
burlesque , en un Acte , des Srs Romagneſi & Do-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
minique , & avec la Comédie du Silphe. Il eft inú
tile d'ajoûter à cette Piéce le nom de M, de Sain
te Foy ; la fineffe du ſtyle décéle affez l'Auteur.
Le Dimanche 27 , les mêmes Comédiens ont
donné pour la premiere fois un brillant Feu d'artifice
, nommé les Jardins de Flore , Spectacle nouveau,
très-gracieux & très bien imaginé. Les couleurs
variées des fleurs , vues à travers de mille
feux étincelans , produifent un tableau frappant.
Le Mardis Août , la Dile Favar , jeune Actrice ,
qui taffemble tous les talens agréables , préconisés
dans le Prologue du Ballet des Fétes Grecques &
Romaines , a débuté dans les Débuts & dans l'Epreuve.
M. de Heffe , qui ne peut jamais être loué avec
autant de génie & de varieté qu'il en met dans fes
aimables compofitions , a donné un Ballet nouveau
de Savoyards , qui a un fuccès des plus éclattans
, & dont tous les perfonnages font animés &
comiques. L'Actrice nouvelle y brille par fa dante,
& par le débit naïf d'un Vaudeville dans le goût
des Porteufes de Marmote.
EXTRAIT
De la Tragédie intitulée , les Amazones ..
I l'on en croit quelques Hiftoriens , une con-
Strée voifine de la Scythie a été habitée par un
peuple d'Héroïnes , connues fous le nom d'Amazones
, & tout homme , que fon malheur y conduifoit
, fubiffoit la mort ou l'esclavage. Mad. du
Boccage fuppofe que Thefée , en allant à la pour-.
fuite des monftres & des brigands , aurive chez les
SEPTEMBRE .
195 1749 .
Scythes , dans le tems que ces femmes guerrieres
fe difpofent à les attaquer. Avec les Grecs qui
l'accompagnent , il marche au fecours des Scythes.
L'action s'engage , & il eft fait prifonnier , ainfi
qu'Idas fon Confident.
Orithie , Reine des Amazones , ne peut à la vûe
de Théfée, conferver fon infenfibilité . Elle fe propofe
de le dérober au fort qui le menace , & elle
lui donne afite dans fon Palais .
Dans la premiere Scéne de la Tragédie , Menalippe
, une des principales Amazones , demande
en leur nom , que ce Prince foit facrifié au Dieu
Mars. La Reine ne fe laiffe point ébranler par des
difcours qui lui paroiffent bleffer fon autorité , &
elle répond fierement ,
Les mortels , dont le front eft ceint du diadême ,
Ne connoiffent de loi que leur pouvoir fuprême,
Souventjugeant à tort de leurs motifs fecrets ,
De la plus jufte cauſe on blâme les effets.
Nous devons mépriſer la cenfure publique ,
Et dans tous les détours fuivre la politique.
Sa prudence , inconnue aux vulgaires humains ,
Par un crime apparent prévient des maux certains.
Cependant , pour faire ceffer les clameurs du
peuple , elle promet de confulter les Dieux. La
troifiéme Scéne fe paffe entre Orithie & Antiope
jeune Amazone , à qui Thefée a fauvé la vie.
La Reine y fait l'aveu de fes fentimens pour ca
Prince , & elle juſt fie - fa foibleffe , en difant ,
Qui venge l'Univers , peut bien dompter mon
coeur.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
Antiope.
Dans la noble fierté qu'infpire un diadême ,
yous fçaurez en fecret triompher de vous -même.
Orithie.
Je le croyois ainfi , mais hélas ! la grandeur
Ne fert qu'à foutenir les caprices du coeur.
Confiante en la force , ignorant les contraintes ,
Ses défirs véhémens triomphent de fes craintes ,
Et les réflexions d'un grand coeur amoureux
Autorifent fon choix , & nourriffent les feux.
Thefée ouvre le fecond Acte avec Idas . Ils font
interrompus par Orithie , qui fait preffentir au
Prince fes difpofitions ,favorables pour lui . Elle
fort peu contente des réponfes de Thefée , & Antiope
, reftée feule avec ce Prince , lui déclare l'amour
de la Reine . Thefée profite de l'occafion
pour annoncer à la jeune Amazone , qu'elle feule :
a pû toucher fon coeur , & qu'il eft le Guerrier
qui l'a garantie du trépas.
Le troifiéme Acte commence par ce Monologue
d'Orithie.
Devoir , honte , remords , cédez à ma tendreffe.
De l'amour , Mars lui même a reffenti l'yvreffe ;
Seules dans l'Univers aurons- nous en horreur
Ce feu dont la Nature eft l'ouvrage & l'auteur ?
Cette Princeffe apprenant que Thefée n'a pour
elle que du reſpect , menace de s'en venger . Quoi !
s'écrie- t'elle ,
Un mortel, inftruit de mon amour
SEPTEMBRE. 1749. 197
Mépriſant mes tranſports , verroit encor lejour ?
Non. Qui refte infenfible aux foins de ma tendreffe ,
Qui du coeur d'Orithie a caufé la foibleffe ,
S'il n'y répond . . .. . . . eft digne de la mort.
Theſée , aux Dieux vengeurs j'abandonne ton fort.
Un Ambaſſadeur des Scythes vient propofer la
paix, & demande Antiope en mariage pour Gelon ,
leur Souverain . La jeune Amazone , à qui Theſée
a infpiré d'autres fentimens que ceux de la fimple
reconnoiffance , eflaye de détourner la Reine d'accepter
les offres de l'Ambafladeur. Elle en reçoit
cette réponſe.
Pour le bonheur du peuple on établit des loix ,
Mais le befoin préfent change ou reſtraint leurs
droits.
L'oeil du Législateur n'a pû voir la meſure
Des divers intérêts de la race future .
Souvent le mal prévû nous arrive le moins ,
Et d'autres accidens exigent d'autres foins .
Orithie la quitte , en lui ordonnant de fe prépa
rer à donner la main à Gelon . Avant qu'Antiope
fe foit remife de fon premier trouble , Thefée la
joint , & elle ne peut lui taire ce qu'elle fent pour
lui. Cette Scéne , déja touchante par elle-même ,
acquiert un nouveau degré d'intérêt par ces mo
dulations de voix fi tendres , avec lesquelles Mile
Gauffin eft certaine de charmer les oreilles des
plus indifferens . Pendant la converſation d'Antiope
avec Thefée , Idas vient avertir ce Prince ,
que les Grecs de fa fuite fe font avancés dans là
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
forêt de Themifcire , pour tâcher de l'enlever des
mains des Amazones.
Au quatriéme Acte , Orithie , fur la nouvelle
qu'Idas a pris la fuite , recommande d'obſerver
Thefée de plus près . On la preffe de publier la
volonté des Dieux , & elle déclare qu'ils condim
nent à la mort le Héros prifonnier. En même- tems
Antiope , perfiftant à refufer d'époufer Gelon , eft
arrêtée par ordre de la Reine. La cinquième Scéne
entre Orithie & Thefée eft celle qui a eu le
plus d'applaudiffemens , & elle en mérite beaucoup.
Nous en copierons ici les principaux traits.
Orithie.
Autour de ce Palais mon peuple.mutiné ,
Qui même avant les Dieux vous avoit condamné
Armé par la vengeance , attend le facrifice.
Je ne puis plus régler fa haine ou fon caprice.
L'oracle eft divulgué , l'Etat en eft inſtruit.
Il faut que je vous livre , ou mon regne eft détruit.
Thefee.
'Armez mon bras , Madame , & par ma feule audace
J'éloignerai de vous le coup qui vous ménace .
Pour payer vos bienfaits , au péril de mon fang ,
Je ferai refpecter les droits de votre rang.
Orithie.
Si j'avois par mes foins obtenu ta tendreffe ,
SEPTEMBRE. 1749. -199
Sans courir aux combats , pour conferver tes jours ,
Ton coeur dans mon amour chercheroit du fecours.
Cet inftant favorable eft le feul qui te refte .
Parle. Un mot peut changer ton deftin tropfunefte,
Pour attendrir ton ame , en cet inftant peins-toi
Mes exploits , mes bienfaits , ma famme & mon
effroi.
Une Amazone en pleurs, quand la mort te menace,
Mérite bien le coeur d'un Héros de ta race .
Thefee.
Reine , votre beauté , vos vertus , vos exploits.
Orithie.
..Laiffe ma gloire , & conferve ta vie.
Je chériffois nos loix , je te les facrifie :
Fidele à la vertu , fans toi mon trifte coeur
Jamais des feux d'amour n'eût reffenti l'ardeur ;.
Et fur le Thermodon tu portes plus d'allarmes ,
Que les monftres cruels , terraflés par tes armes.
Leurs perfides regards du moins n'ont point
d'appas ,
Qui voilent les dangers qu'on trouve fur leurs pas.
· ·
.... S'il eft des mortels faits pour tout charmer ,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Qué n'ont- ils donc des coeurs que l'on puiffe en
flammer ?
Hélas!
Thefée.
:
Orithie.
De t'attendrir mes pleurs auroient- ils le pouvoir ?
S'il étoit vrai , grands Dieux , j'oublierois mes allarmes
,
Mes foupçons , mes remords , un trône plein de
.charmes.
Par des détours cachés t'arrachant à la mort ;
Avec toi j'oferai fortir de mon Empire.
*
Les Dieux & les humains t'enlevent leur fecours.
Prens l'unique moyen de conferver tes jours.
Viens , je veux avec toi porter partout la guerre.
De monftres , de brigands , allons purger la terre.
Montrons à l'Univers , à quel point de grandeur
L'amour d'une Amazone éleva fa valeur.
" Ce difcours pourroit paroître indécent dans la bou
che d'unefemme ordinaire , mais il ne doit point bleffer
de la part d'une Amazone , qui étant une espece
defemme homme , ne ſe croit point aſſujettie à la resenue
que nous impofons aux perfonnes de ſon ſexe. ·
SEPTEMBRE . 1749. 201
Pour une Amante , née au milieu des allarmes ,
Ne crains ni les dangers , ni la foif , ni les armes.
Quelle félicité de partager la gloire
De l'objet de fes feux , chéri de la victoire !
D'avoir les mêmes foins , les mêmes ennemis ,
Se voir tous deux vainqueurs , & le refte foumis
Tant de paffion ne peut faire oublier à Theſée
la fidélité qu'il a promife à Antiope , & la Reine
le congédie , en lui diſant ,
•
· • C'en eft affez , Thefée
La lumiere renaît dans mon ame abuſée
Epargnez - moi l'horreur de gémir à vos yeux,
Et ne jouiffez plus d'un triomphe odieux . *
Entre le quatriéme & le cinquiéme Acte , Thefée
eft délivré par les Grecs , pendant qu'on le
conduit à l'Autel pour y être immolé . Menalippe,
dans la troifiéme Scéne da dernier Acte , fait la
relation du combat qui s'eft donné à cette occa
fion. Cette Amazone affûre que Theſée y a perdu
la vie , & elle termine fon récit par ces vers .
L'Univers étonné , fur nous fixant la vûe ,
Verra nos traits vainqueurs d'une attaque imprévue
;
Quelque admirable que foit toujours Mlle du
Mefnil , elle s'eft montrée fupérieure à elle-même
dans cette Scéne,
IV.
202 MERCURE DE FRANCE.
Le plus grand des mortels affervi fous nos fers ,
Et rendu par nos coups aux rives des Enfers.
Un grand bruit fe fait entendre , & bien- tôt la
nouvelle apportée par Menalippe , est détruite . On
apprend que Thefée non-feulement eft vivant
mis encore qu'il a renverfé tout ce qui s'eft oppofé
à lon paffage , & qu'il eft rentré triomphant dans
Themifcyre. Ce Héros paroît avec plufieurs Amazones
enchaînées & les Grecs de la fuite . Après
avoir annoncé qu'idas a été pris pour lui , ilinvite
Ja Reine à reprendre fon rang & tous les droits
& il ne demande pour prix de la victoire que la
main d'Antiope.
Orithie.
Thefée ! as tu penfé que la main qui me tue ,
Pût me rendre des biens dont j'aimåffe à jouir ?
...
Y
Le comble des maux, en terminant ma courfe,
Eft d'avoir un moment vû ton fexe orgueilleux
Regner fur un climat fi rebelle à fes voeux.
Puiffes tu quelque jour . •
Languir dans le mépris qu'un feu jaloux infpire ,
Voir tes Etats gémir fous un pouvoir nouveau ,
Et dans son défeſpoir te plonger au tombeau.
En fe perçant , elle ajoûte ,
Menalippe , regnez fur ce trifte rivage.
"
Maturefle de vos fens,vous fcaurez mieux que moi,
Gouverner un Etat dont j'ai trahi lạ loi.
SEPTEMBRE. 1749. 203
En acceptant mon fceptre , époufez mon offenſe ;
Que j'emporte avec moi l'eſpoir de la vengeance.
Je meurs , & le trépas me rend la liberté.
Plufieurs Mufes fe font empreffées de célebrer le
faccès de cette Tragédie : Les vers François qui
fuivent, font tirés d'une Epitre , adreflée à Mad . du
Boccage par M. Tanevot .
Calliope d'abord a filé vos deftins.
La tromperte d'Homere a paflé dans vos mains.
Déja vous avez fçu par d'héroïques veilles
Vous placer auprès de Milton ,
Et Melpomene en pleurs , aux bords du Ther
modon ,
Vous a mife à côté de l'ainé des Corneilles .
Voici un Diftique latin , compofé en l'honneur
de cette moderne Héroïne du Pinde.
Lesbia , Amazonibus vitam vocemque dedifti.
Ut placeant, oculos , Lesbia ,junge tuos.
Nous mêletons nos voix à ce concert de louanges
, pour féliciter Mad. du Boccage d'employer
ainfifon loifir.
3 vj
204 MERCURE DE FRANCE:
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 18 Juillet , le Marquis de Saint Germain ,
Ambaffadeur Ordinaire du Roi de Sardaigné ,
eut à Compiegne fa premiere audience particuliere
de Sa Majefté , à laquelle il préfenta fes Lettres de
Créance. Il fut conduit à cette audience , ainfi
qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame Infante & de Meflames de
France, par le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
...On a appris par un courier extraordinaire d'EL
pagne, que le 11 du même mois il étoit entré dans
fe Port du Ferol cinq vaiffeaux de guerre , trois
navires Marchands & un Paquebot , qui étoient
arrivés de la Havanne , très -richement chargés ,
& qui faifoient partie de l'Eſcadre commandée par
Don André Reggio , Lieutenant Général des Armées
Navales de Sa Majefté Catholique.
Le 24 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens trente livres ; les Billets de
la premiere Lotterie Royale , à fix cens , & ceux
de la feconde à cinq cens foixante dix - neuf.
Le 27, Monfeigneur le Dauphin partit de Com
piegne , & arriva le même jour à Verfailles.
Madame la Dauphine partit de Forges le 26 ;
elle coucha le même jour à Gizors , & le lende
main elle arriva a Verſailles.
→ M. Hurfon , Confeiller au Parlement , a été
nommé à l'Intendance de la Martinique .
Le 31 , les Actions de la Compagnie des Indes
SEPTEMBRE . 1749. 203
étoient à dix- huit cens quarante- cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale , à fix cens
cinq , & ceux de la feconde , à cinq cens foixante
dix-neuf.
Le Roi s'étant rendu le 7 Juillet à l'Eglife du
Collége des Jéfuites de Compiegne , qui célébroient
la Fête de S Ignace , Sa Majesté y afſiſta
au Salut , après lequel elle affigna une fomme
d'argent pour diftribuer des Prix aux Ecoliers de
ce Collége .
La Reine partit le même jour au matin , pour
retourner à Versailles.
Le 30 , le Comte d'Albermale , Gentilhomme
de la Chambre , & Ambaffadeur Extraordinaire &
Plénipotentiaire du Roi d'Angleterre , eut fa premiere
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il préfenta à Sa Majefté fes Lettres de Créance . Il
fut conduit à cette audience , aipfi qu'à celles de
la Reine , de Madame Infante & de Mefdames de
France , par le Chevalier de Sainctet , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Les Août, le Commandeur Don François Pignatelli
, Ambaffadeur ordinaire du Roi d'Espagne , eut
auffi fa premiere audience particuliere du Roi , &
il y fut conduit , ainfi qu'à celles de la Reine , de
Madame Infante & de Mefdames de France , par
le même Introducteur.
L'Univerfité fit le 4 , dans la Salle des Ecoles
extérieures de Sorbonne , la diftribution des Prix,
fondés par le feu Abbé le Gendre , & le Parle
ment y affifta. Cette cérémonie fut précédée d'un
Difcours Latin , prononcé par M. Guérin , Profef
feur de Rhétorique au Collège du Pleffis . Après
ce Difcours , M. de Maupeou , Premier Préfident
du Parlement , donna le premier Prix. Les autres
furent diftribués par M. Hamelin , Recteur.
206 MERCURE DE FRANCE.
*
On apprend de la Haye , que les Etats Géné
raux des Provinces Unies ont nommé M. Leftevenon
de Berkenrode , Echevin de la Ville d'Amfterdam
, pour venir réfider auprès du Roi , eu
qualité de leur Ambaſſadeur.
Le 7 Août , les Actions de la Compagnie des
Indes étoient à dix - huit cens trente - cinq livrest
des Billets de la premiere Lotterie Royale , à fir
cens trois , & ceux de la feconde , à cinq cens
quatre vingt.
Le Roi partit de Compiegne le ro du moisdernier
, & le lendemain Sa Majesté ſe rendit au Château
de la Meute.
Sa Majesté a donné le Gouvernement du Château
Royal de la Baſtille , vacant par la mort de
M Jourdan de Lunay , à M. Bayle , Lieutenant
de Roi du Château de Vincennes.
Le 9 , la Maiſon & Société de Sorbonne tint une
affemblée extraordinaire , compofée du Cardinal
de Soubize, de l'Archevêque d'Einbrun , de l'Evêque
du Puy & d'un grand nombre de Docteurs.
Le Cardinal de Tencin y fut élu unanimement
Proviſeur , à la place du feu Cardinal de Rohan ..
Le 14 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante livres ; les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à fix cens dixhuit
, & ceux de la feconde , a cinq cens quatrevingtonże.
Le 14 , veille de la Fête de l'Affomption , la Rei •
ne communia par les mains de l'Archevêque de
Rouen , fon Grand Aumônier.
Le 15 jour de la Fêre , le Roi & la Reine ac
compagnés de Monseigneur le Dauphin , de Ma.
dame a Dauphine , de Malame Infante & de
Meldames de France , entendirent la grande Meffe
célébrée pontificalement par l'Evêque de Bayeux ,
SEPTEMBRE. 1749. 207
& chantée par la Mafique. L'après midi , leurs
Majeftés affifterent aux Vêpres , & enfuite à la
Proceffion.
Le même jour , le Commandeur Don François
Pignatelli , Amballadeur Ordinaire du d'El
pagne , eut fa premiere audience de Mo feigneur
le Dauphin . Tiy fur conduit , ainsi qu'à celle de
Madame la Dauphine , par le Chevalier de, Sainctot
, Introducteur des Ambafladeurs.
Le 16 , pendant la Meffe du Roi , le Cardinal de
Soubize , Evêque de Strasbourg , & Grand-Aumô
nier de France , prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté.
Le Roi a reglé que la Place deftinée pour la
Statue Equeftre , que Sa Majesté a permis à la Vil
le de Paris de lui ériger , feroit au Carrefour de
Buffy .
Le 1s du mois dernier , Fête de l'Affomption de
la fainte Vierge , la Proceflion folemnelle qui fe
fait tous les ans à pareil jour , en exécution du
Vou de Louis XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires
, & l'Archevêque de Paris y officia ponrificalement.
Le Parlement, la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides & le Corps de Ville , y
affifterent. 1
Dans l'Affemblée tenue le 16 par le Corps de
Ville , M. de Bernage a été continué Frévôt des
Marchands , & Mrs Ruelle & Allen ont été élus
Echevins.
Le 21 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante- deux livres & demi
; les Billets de la premiere Lotterie Royale , à
fix cens vingt, & ceux de la feconde , à cinq cens
quatre- vingt- dix & demi.
208 MERCURE DE FRANCE.
PLANCHES ANATOMIQUES.
O N avertit les Soufcripteurs des Planches Anatomiques
du Sr Gautier , que l'on fera lapres
miere diftribution de la quatriéme Soufcription
dans le courant de Novembre prochain . Cette Soulcription
a été annoncée dans le Mercure de Juillet
dernier . Elle cantiendra dix - huit Planches qui repréfenteront
les parties de la génération des deux
fexes , le foetus dans la matrice , l'Angeologie
en entier , & la Nevrologie . Douze de ces Planches
formeront quatre figures fur pied , de grandeur
humaine, tant de l'homme que de la femme,
ce qui fera extrêmement utile à l'étude de l'Anato
mie . On recevra les foufcriptions jufqu'à la fin
d'Octobre chez M. Gautier , rue de la Harpe.
L
Morceau fingulier d'Architecture .
E fieur Siluy , ayant fait la découverte des
principes généraux d'Architecture des Aneiens
, vient de compofer fur ces mêmes principes
un Frontifpice de deux ordonnances Doriques ,
l'une fur l'autre , ce que les modernes ont jufqu'à
préfent eftimé impoffible . Les perfonnes curieufes
en cet Art,& qui aiment la pureté des proportions,
la noble fimplicité & beauté des fymmetries Architectoniques
des anciens Grecs , qui en font créa
teurs , peuvent voir cet ouvrage chez l'Auteur ,
rue neuve des petits Champs , près l'Hôtel de S.
Pouange , au magafin de la Poudre Alchimique,
SEPTEMBRE . 1749 . 209
இது
MARIAGE ET MORTS.
A nuit du 8 au 9 du mois de Mai dernier , M.
monie du mariage de Charles - Antoine- François-
Marie , Marquis de Wignacourt , avec Damoiſelle
Conftance- Françoife Duffon de Bonac , fille de feu
Jean- Louis Duffon , Marquis de Bonac , Lieutenant
de Roi au Pays de Foix , Ambaffadeur Extraordinaire
à la Porte Ottomane , Chevalier de l'Ordre
de Saint André de Ruffie , & de Magdeleine- Françoiſe
de Gontaut , fille du Maréchal Duc de Biron .
La Maiſon Duſſon , noble & ancienne , tire fon
nom de la Baronie & Château Duſſon , ſitués dans
le Pays de Donezan , dont les Seigneurs Duffon
ont difputé la poffeffion pendant un fiécle aux
Comtes de Foix.
Le Marquis de Wignacourt eft fils de Roberta
'Antoine , dit Comte de Wignacourt , Seigneur de
Warnaucourt , de Brunohamel , & c. & de Dame
Marie- Louife Goujon de Condé , & petit- fils
d'Antoine , Marquis de Wignacourt , Gouverneur
de la Ville de Doncheri , & de Dame Marie- Helene-
Magdeleine de Villelongue .
La Maifon de Wignacourt , qui a donné dans
le dernier fiécle deux Grands Maîtres à l'Ordre de
Malte , fçavoir Aloff & Adrien de Wignacourt,
le premier mort le 14 Septembre 1622 , & le
dernier le quatre Février 1667 , eft originaire
d'Artois , & tient rang parmi les plus nobles &
anciennes familles de ce pays , dont plufieurs
branches fe font répandues en Picardie & en
Champagne. Le Marquis de Wignacourt , dont
210 MERCURE DE FRANCE.
nous annonçons le mariage , eft de la branche de
Warnaucourt , aînée de celles qui font établies en
Champagne.
Le lo Juillet , Marie Geneviève Lefchaffier des
Champs de Morel , époufe de Jean Baptifte - Pierre
Lambert , Confeiller du Roi , Correcteur ordinaire
en fa Chambre des Comptes ,, mourut à Pa-
-ris , & fut inhumée à Saint Côme .
Le 12 , Marie- Nicole Sevin , époule de N. Nigon
, Receveur Général des Domaines & Bois de
la Généralité de Caën , mourut , & fut inhumée à
Saint Gervais.
Le 13 , Charles , de Beauharnois , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , Lieutenant Général des armées Navales
de Sa Majefté , ci - devant Gouverneur &
Lieutenant Général pour le Roi de toute la Nouvelle
France , Pays de la Loufiane & Ifles adjacentes
, mourut âgé de foixante dix - neuf ans , &
fut inhumé à Saint Sauveur.
Barthelemi -Joachim de Melun , Seigneur de
Brumets & de Somme py , appellé le Vicomte de
Melun , titre primitif de fa Maiſon , qu'il avoit
repris depuis l'extinction des branches aînées ,
eft décedé dans fon Château de Brumets , le 17
Juillet , âgé de foixante-cinq ans , neuf mois ,
deux jours , étant né le 18 Octobre 1683 , & a
été enterré dans le choeur de l'Eglife Paroiffiale de
Brumets , fous le tombeau de Henri -Joachim -Comte
de Melun , & de Françoife de Lyons d'Expaux ,
fes pere & mere. I defcendoit d Adam III . Vi
cointe de Melun , ué en 1211 , & de la Comtefle
de Sancerre , Maifon de Champagne , par leur
fecond fils Jean de Melun , Auteur des branches de
la Borde-le -Vicomte , frere cadet d'Adam IV.
Chef des Comtes de Tancarville & des Princes
SEPTEMBRE. 1749. 21-7
ท
J'Epinoy , & Paîné de Simon de Melon , Maré
chal de France en 1293 , tué à la bataille de Cour
trai , le 11 Juillet 1302 , & il avoit pour premier
aycul connu , Salon , Vicomte de Melun , un des
Grands du Royaume en 991 , & d'origine Royale ,
fuivant la déclaration du Roi Louis le Grand
dans les Lettres d'Erection du Duché- Pairie de
Joyeuse , données à Louis de Melun , Prince d'Epinoy
, le mois d'Octobre 1714 , & enregistrées
au Parlement le 18 Décembre de la même an❤
née ; origine fi éclatante , que l'Empereur Rodolphe
II . juge les alliances avec la Maifon de Melun ,
un relief, dans le Diplôme de Prince d'Empire en
faveur de Lamoral , Comte de Ligne , de l'année
1601 .
Barthelemi Joachim de Melun avoit épousé le
28 Janvier 1728 Louife- Renée de Belinzani , fa,
mille noble du Mantouan . Illaiffe de fa veuve
Adam-Joachim-Marie , Vicomte de Melun , né le
30 Octobre 1730 , Aloff Claude - Marie , Comte
de Melun , né le 2 Février 1736 , & Adelaïde-
Louiſe de Melun , née le 10 Avril 1733.
Le 19 , mourut Jerome Gabriel Confiret , Con
feiller du Roi , Maître ordinaire en fa Chambre
des Comptes de Paris.
Le 26 , Guillaume Favieres , Seigneur du Pleffis
le- Vicomte & de Charmoi , Confeiller du Roi en
fes Confeils , & Maître ordinaire en fa Chambre
des Comptes mourut & fut inhumé à Saint
Paul.
>
Le 28 , N. Felix , Contrôleur Général de la
Maifon de Sa Majefté , mourut , & fut inhumé à
Saint Germain l'Auxerrois,
Charles-Antoine de Chabannes I , du nom , eft
mort dans les derniers jours du même mois à Saint
Michel en Lorraine , âgé de cinquante- cinq ans.
112 MERCURE DEFRANCE!
Il avoit paffé la plus grande partie de ſa vie au
fervice du Roi , & ne s'étoit point marié. Il étoit
le quatriéme fils de Gilbert de Chabannes , Marquis
de Pionfac , Colonel du Régiment de Navarre
, Gouverneur des Ifles d'Oleron , Maréchal
des Camps & armées du Roi , & d'Anne Françoiſe
de Lutzelbourg , fille d'Antoine de Lutzelbourg ,
Seigneur d'Imling , & de Marie- Magdeleine de
Schellemberg , qui avoient été mariés le 30 Juin
1681. Ses trois aînés font 1 ° . Gafpard - Gilbert ,
qui a époufé en Avril 1708 Philiberte d'Apchon ,
fille du Marquis d'Apchon , de laquelle font nés
Gilbert , Jean & Jofeph. 2 °. François - Antoine ,
mort en 1734 , 3 ° . Thomas mort le 7 Juin
1735. Il avoit eu auffi deux foeurs , 1º . Marguerite
, Religieufe , morte à la Magdeleine de Tref
nel de Paris , 2º. Anne , mariée en 1708 , à Anne
de la Queille , Seigneur de Pramenoux , fils du
Vicomte de Châteaugai.
La Maiſon de Chabannes eft des plus illuftres
parfon ancienneté , fes alliances & fes fervices.
Gilbert , pere de Charles Antoine , qui donne
lieu à cet article , étoit arriere - petit- fils de Gabriel
de Chabannes , dernier fils de Joachim de
Chabannes. Gabriel , qui a fait la branche des
Seigneurs de Pionlac , eut pour femme Gabrielle
d'Apchon. Joachim avoit eu quatre femmes , 1º.
Petronille de Levis , fille de Gilbert de Levis I. du
nom , Comte de Ventadour. 20 Louiſe de Pompadour
, fille d'Antoine , Seigneur de Pompadour.
3 °. Catherine- Claude de la Rochefoucault , fille
de François I. Comte de la Rochefoucault . 4°.
Charlotte de Vienne , veuve de Jacques de Montboiffier
, Marquis de Canillac , fille de Gerard de
Vienne , Seigneur de Pimont & de Ruffey ; de ce
dernier mariage fortit Gabriel.
SEPTEMBRE . 1749. 215
Joachim étoit petit - fils de Gilbert , qui a fait la
branche des Seigneurs de Curton . Ce Gilbert étoit
fils de Jacques , petit-fils de Hugues de Chabannes
, Seigneur de Chatlus- le- Pailloux.
Le 2 Août , Louife-Jofephe de Graves , veuve de
Pierre Armand , Comte de Jaucourt , mourut âgée
de 42 ans , & fut inhumée à S. Sulpice .
Le même jour , Emery- Louis- André Tauxier ,
Seigneur de Valzibert & autres lieux , Confeiller
du Roi , Auditeur en fa Chambre des Comptes
ancien Commiffaire des guerres , mourut , & fut
inhumé à Saint Louis- en - Ï'Ifle. "
Le 6 René Jourdan , Seigneur de Launai , de la
Bretonniere , & autres lieux , Capitaine & Gou
verneur du Château Royal de la Baftille , & Che
valier de l'Ordre Royal & militaire de Saint Louis,
mourut âgé de foixante feize ans , d'une
d'une attaque
d'apoplexie.
Le 7 , Marie- Catherine le Bouts , veuve d'Elie-
Louis de Coutance , Seigneur de la Fredonnerie ,
ancien Capitaine de Cavalerie , mourut , & fut ins
humée à Saint Nicolas - des Champs.
Louis Augufte Thibouft de Berry , Chevalier Seigneur
& Comte de la Chapelle Thibouft de Ber
ry , anciennement la Chapelle- Gautier en Brie
Seigneur du Ru-Guerin , des grand & petit Trefnels
, des Hangets , de Gatins & autres lieux
Confeiller d'honneur au Baillage & Siege Préfidial
de la Ville de Melun , mourut le 13 en fon Château
de la Chapelle , dans la cinquante- neuvième
année de fon âge.
11 laiffe quatre enfans de fon mariage avec Marguerite
Charlotte le Petit de la Grand'cour , fçavoir
, Louis- Charles Nicolas Thibouft de Berry ,
Cointe de la Chapelle , fils majeur ; François Thi
bouft de Berry , depuis peu forti des Pages de ,
214 MERCURE DE FRANCE.
Madame la Dauphine , & à préfent Lieutenant
dans le Régiment Infanterie de Mailly ; Louife-
Marguerite Thibouft de Berry , & Charlotte-
Louife- Agathe Thibouft de Berry, ces trois der
niers enfans mineurs,
Il étoit fils de Louis Thibouft de Berry , Seigneur
& Comte de la Chapelle , & perit fils de
Gabriel Thibouft de Berry , Seigneur & Comte de
la Chapelle , Gouverneur & Capitaine des Chaffes
de Fontainebleau .
Cette Maifon de Thibouſt eſt très-ancienne , &
defcend d'un Thibouft , Prevôr des Marchands de
la Ville de Paris fots Philippe le Bel.
N
Ous ne devons point paffer fous filence la
mort de Martin Paîné , Verniffeur du Roi.
Cet Artifte , imitateur des ouvrages de la Chine &
du Japon , a furpaflé les modéles par un goût des
plus recherchés , qui regnoir dans tous les deffeins,
Ayant appris que le Sieur Julien Martin , ſon frere,
qui a toujours travaillé avec le défunt , s'eft aflocié
avec la veuve , nous annonçons au Public avec
plaifir , qu'il ne fera pas privé des ouvrages du
Japon & de la Chine , ainfi que des beaux vernis
& belles dorures qui fe fabriqueront toujours dans
la même maifon du feu Sieur Martin , fauxbourg
Saint Denis , à gauche,
J
APPROBATION.
'Ai lû par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le Mercure de France du mois de Septem
bre 1749. A Paris , le 28 Août 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY,
TABLE.
3
PIECES FUGITIVBs en Vers &en Profe.
Le Prince de Noily , Ballet Héroïque ,
Lettre d'un fçavant Génevois à M. Remond, de
Sainte Albine , fur les Evêques de Genéve ',
Vers à Mile de Cr *****
Penfées traduites de l'Anglois ,
Le Printems à Mlle C ***
Les deux Bouquetieres , Fable ,
32
537
57
60
62
Extrait d'une Lettre fur les Télescopes à refle-
641
xion ,
Poëme
fur le progrès
des Sciences
& des Beaux-
Arts , fous le Regne
de Louis
le Bien aimé
, 70
Lettre
de M. de S. R. à M. Remond
de Sainte
Albine
,
Problême réfolu par l'illuftre Philarete ,
>
78
79
ibid
Vers envoyés à une Dame qui avoit fait préfent
d'un Cabaret de porcelaine à l'Auteur
Autres de M. de Voltaire à Mad de B. R.
Autres du même à Mad la Comteffe de la Neuvil
le , en lui envoyant l'Epitre fur la Calomnie , 83
Madrigal ,
ibid
Vers envoyés de Paris à un ami qui avoit engagé
l'Auteur à revenir en Province ,
Autre à Mad. de F ... , niéce de M. de Voltaire
jouant le rôle de Celiante dans le Philofophe
marié , ibid.
Difcours fait pour être prononcé à l'ouverture d'u
84
ne Ecole Royale de Mathématiques à Nancy , 85.
Quatriéme Lettre de M. Cantwel , Docteur Régent
de la Faculté de Paris , Profeffeur de Chirurgie
aux Ecoles de Médecine , Membre de la Société
Royale de Londres ,
Relation du Service folemnel qui a été fait dans
100
l'Eglife des Peres Barnabites du Collège d
Montargis , pour le repos de l'ame de S. A. Ri
Madame la Ducheffe d'Orleans , 117
Lettre à M. Remond de Sainte Albine fur une
141 Monnoye finguliere ,
Obfervation fur Martial d'Auvergne , ancien Poëte
,
145
149
Mots des Logogryphes du Mercure d'Août , 148
Enigme & Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , des Beaux- Arts , &c. 153
Plans & Cartes , 173
Lettre à M. Remond de Sainte Albine fur le voya
ge Pictorefque de Paris ,
ibid.
175
Lettre de M. Trochereau au même ,
Lettre de M. Collin de Blamont, Sur- Intendant de'
la Mufique du Roi , au même 178
•
183
184
Autre écrite par M. Brifleaud , de la Ville d'Orbe ,
à M. Bourgeois, Docteur en Médecine , au fujet
de la Méthode de M. Daran , Chirurgien du
Roi , pour traiter les maladies de l'uréthre , 179
'Avis aux amateurs de l'Hiftoire Naturelle ,
Autre avis fur un Aneme netre fonnant
Eftampe nouvelle , & Réception de M, Balechou à
l'Acad. Royale de Peinture , Sculpture , & c . 185
Lettre de l'Auteur de l'Ombre du grand Colbert ,
à M. Remond de Sainte Albine ,
Vers à Mile Labat , Comédienne , & premiere Danfeufe
de la Troupe de l'Infant Duc de l'arme
185
fur ce qu'elle quittoit quelquefois la Danfe noble
⚫ pour danfer deguifée en Matelot ,
*
Duo à boire ,
Spectacles ,
190
191
192
Extrait de la Tragédie intitulée'les Amazones , 194
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 204
Planches Anatomiques du Sr Gautier ,
Morceau fingulier d'Architecture ,
Mariage & Morts ,
La Chanfon notée doit regarder lapage
208
ibid.
209
194
DE FRANCE,..
DÉDIÉ AU ROI.
JUILLET . 1749 .
UTSPARGAT
LIGITU
Chez
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S. André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont-Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais ,
JACQUES BARROIS , Quaj
des Auguftins , àla ville de Nevers.
M. DCC. XLIX.
Avec Approbation & Privilege du Roi.
PUBLIC
THE NEW YORK
PUBLICLIRIY
335201
ASTOR, LENOX AND
A VIS.
TILDER' FOUNTATION DRESSE générale duMercure eft
190 M. DE CLEVES D'ARNICOURT
,
rue des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon . Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître.
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , quifouhaiteront avoir le Mercure
de Francede la premiere main , &plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deffus
indiquée ; onfe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. Remond de Sainte Albine.
PRIX XXX. SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU
ROI.
અને
JUILLET
. 1749.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
MEMOIRE .
Sur l'année de la mort , & le lieu de lafépulture
de Philippe de France , premiér Duc
d'Orleans.
P
Hilippe de France , fils puîné du
Roi Philippe VI.dit de Valois , &
de la Reine Jeanne de Bourgogne,
fa premiere femme , mourut
le premier Septembre 1375 , & fut inhumé
dans l'Eglife Cathédrale d'Orléans.
Deux points que je me propofe de prouver
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
à fond , contre ceux qui ont avancé , que
ce Prince, étant mort feize ans plus tard , en
1391 , fon corps avoit reçû la fépulture devant
le Sanctuaire de l'Eglife des Célestins
de Paris. Entre ceux -là j'ai principalement
en vûe le P. Beuvrier , dans les Antiquités
des Célestins de Paris , p . 2 81 , & M.Piganiol
de la Force , qui tout récemment l'a fuivi
mot à mot dans la nouvelle Deſcription de
cette Ville. Tome IV. p . 43.
Le jour de la mort du Duc Philippe , au
premier Septembre , n'eft point contefté ,
& pour peu qu'il le fût , il feroit aiſé de l'établir
par le Martyrologe de l'Eglife d'Orléans
, que j'aurai occafion de citer ci -après.
Quant àl'année 1375 , elle fe prouve fans
réplique par des Lettres du Roi Charles
V. fon neveu , qui peu de jours après la
mort de ce Prince réunit le Duché d'Orléans
à la Couronne , pour n'en être plus
feparé à l'avenir . Ces Lettres , dont l'original
eft confervé au Tréfor de notre
Hôtel - de-Ville , font dattées du Bois de
Vincennes , au mois de Septembre de cette
même année 1375. Datum in Caftro noftre
Nemoris Vicennar. anno Domini M. CCC.
LXXV. regni noftri XII. menfe Septembri ,
& elles ont été confirmées pour les difpofitions
qu'elles contiennent , par des
Lettres du Roi Charles VI. données à Paris
JUILLET . 1749.
5
I
au mois de Mars 138 , confervées au mê
me Tréfor. Datum Parifiis menfe Martii anno
Domini M. CCC. LXXX. regni vero 1º .
Il est étonnant que François le Maire ,
qui nous a donné une Hiftoire fort ample
de la Ville d'Orléans , Hiftoire compofée
en partie fur les piéces qu'il avoit trouvées
dans le Tréfor de l'Hôtel-de- Ville , où il
avoir l'entrée libre , n'ait point vû ces Lettres
de Charles V. & de Charles VI. &
qu'il ait été obligé , pour fixer la mort de
Philippe , Duc d'Orléans , d'avoir recours
à des Auteurs auffi peu fûrs que Gaguin &
Nicole Gilles , qui lui ont fait prendre le
change fur cet article .
Je paffe au lieu de la fépulture du même
Duc Philippe dans l'Eglife d'Orléans :
elle y eft marquée d'une maniere bien expreffe
dans l'Acte de fondation , que Blanche
de France , fa veuve , fit le 13 Juillet
1384 , d'un Anniverfaire pour fon trèsredouté
Seigneur & efpoux Philippes , fils de
Roy de France , Duc d'Orliens , Comte de
Valois de Beaumont , que Dieu abfoille
duquel , par le plaifir de Dieu , le corps gift
& repofe en l'Eglife Sainte Croix d'Orliens ;
ce qui eft répété dans le teftament que la
même Princeffe fit à Paris le 21 Mai de
l'année fuivante 1392 , où elle ordonne
fa fépulture ; en l'Eglife de Saint Denis fon
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
corps ; en l'Eglife Sainte Croix d'Orliens , en
laquelle gift & repofe fon très- chier Seigneur
& efpoux, que Dieu abfoille , fon cuer , & en
l'Eglife du Pont- aux - Dames , en la Chaftellenie
de Crecy en Brie , fes entrailles. A quoi
on peut ajouter , par abondance de droit
le Martyrologe de l'Eglife d'Orléans dreffé
du vivant même de la Ducheffe Blanche
où on lit la même chofe , au premier Septembre
: September Kal, hac die obiit bone
memorie Philippus Regis Francie filius , Dux
Aurelienenfis, Valefie & Bellimontis Comes
cujus corpus in hac Ecclefia requiefcit.
Le tombeau de ce Prince étoit au milleu
du Choeur de cette Eglife , mais nous ignorons
quelle en étoit la forme , & s'il étoit de
pierre ou de marbre . Nous avons de même
perdu l'épitaphe qu'on y lifoit , & que
Meffieurs de Sainte Marthe citent dans les
additions au premier volume de leur Hiftoire
Génealogique de France. Tout ce
que nous fçavons , c'eft que ce tombeaut
étoit fort élevé : nous apprenons cette circonftance
de certaines Lettres de Charles
Duc d'Orléans , du 15 Février 141 ,
portant que fur les repréſentations des Chanoines
, que fepulture étant au Cuer de ladite
Eglife , en laquelle fepulture repofent le
corps de feu de bonne mémoire Monfr Phelippe
, jadis fils de Roy de France , & Son
JUILLET. 1749. 7
Prédéceffeur Duc d'Orliens , & le cuer defeu,
Madame Blanche , jadis fille de Roy de Fran
ce & de Navarre , fa femme , afait ou temps
paffe & encores fait de prefent grant encom
brier & empefchement audit Cueur d'icelle
Eglife , par ce que aux heures que lefervice
eft faict & celebré , lesdits Doyen & Chapitre,
& les Chapelains faisant ledit fervice , n'ont
pu prevent pleinement veoir l'un l'autre ,
ainfi que fouventefois en a été & eft de neceffité.
Ce Prince leur permet qu'il puiffe faire lever
ladictefepulture du lieu où elle eft de preſent
affife , & icelle transporter.... près du grant
Autel & comme au droit de la Chapelle.
à laquelle eft chafcun jour dicte celebrée
une Meffe pour le falut des ames d'iceux Duc
Ducheffe. Ce tombeau eft reſté dans ce
fecond endroit , qui étoit du côté de l'Evangile
, jufqu'aux premiers troubles de la
Religion , que les Religionnaires au mois
d'Avril 1562 , s'étant rendus maîtres d'Orléans
, le ruinerent ainfi que les Autels &
tous les ornemens de l'Eglife.
On peut objecter contre ce que nous
venons de dire , une réfléxion que font
Meffieurs de Sainte Marthe dans l'endroit
de leur Hiſtoire que nous avons cité,
pour concilier la contradiction qui fe rencontre
entre les monumens de l'Eglife.
d'Orléans , & la tradition des Célestins
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
>
de Paris , fçavoir que le Duc Philippe
après avoir été premierement déposé dans
l'Eglife d'Orléans , avoit été dans la fuite
porté à Paris par les foins de Louis XII ,
mais outre que ce n'eft qu'une conjecture.
hazardée au befoin , il refteroit des marques
de cette tranflation , fi elle avoit été
faite , ou dans le Tréfor de l'Eglife d'Orléans
, ou aux Céleſtins de Paris , ou enfin
dans les Auteurs qui ont écrit la vie de
Louis XII ; on n'en trouve point , &
c'en eft affez pour ôter à cette conjecture
toute la vraisemblance qu'on penfoit lui
donner d'ailleurs .
Sans fortir des Céleftins de Paris , qu'il
me foit permis de faire remarquer une faute
dans laquelle elt tombé l'Hiftorien de
ce Monaftere , & qu'on trouve auffi dans '
les Antiquités de Paris de du Breuil , 688,
& dans celles de Sauval , tome 1. p . 460 ,
qui tous ont écrit que le coeur de François
II. repofe dans la Chapelle d'Orléans en un
vafe doré , fur lequel un Ange tient une Couronne
élevée en l'air , qui eft de bronze , le
tout pofe fur une haute colomne parfemée de
flammes de feu. Il eft vrai que ce monument
avoit été erigé pour y mettre le coeur
de ce Prince , mais on ne l'y mit jamais ;
car étant mort à Orléans le 5 Décembre
1560 , fon corps fut porté à Saint Denis ,
JUILLET.
2 1749 .
& fon coeur à la Cathedrale d'Orléans ,
où il fut enterré dans le Sanctuaire de
cette Eglife, & où il eft refté jufqu'aux premiers
troubles , que les Religionnaires , le
même jour qu'ils ruinerent le tombeau de
Philippe Duc d'Orléans , le chercherent
pour profiter d'une boëte d'argent en forme
de coeur dans laquelle il étoit enfermé,
& l'en tirerent pour le jetter au feu , comme
le marquent Belleforêt , la Popeliniere
& les Hiftoriens d'Orléans , fuivant
des Mémoires manufcrits dreffés par Hec
tor Desfriches , homme fort inftruit des
particularités de ce tems- là , qu'il avoit
apprifes de gens qui vivoient pour lors.
Les Religionnaires ayant à demi brûlé ce
coeur , ils jetterent le reste aux chiens.
D. Polluche , de la Société Littéraire d'Oréans.
CACACACDCDCDCBCAYDED
SUR UNE MALADIE,
MIlle maux,belle Iris , fans compter votre
abſence ,
Sur votre tendre amant exercent leur pouvoir :
Son courage les prend affez en patience ;
Le feul infupportable eft de ne vous point voir.
Je fens qu'à la douleur notre corps s'habitue ;
A v
To MERCURE DE FRANCE .
Mais je ne puis accoûtumer
Mes yeux
à fe paffer de votre aimable vûe ,
Et moins encor mon coeur à ne vous plus aimer.
La perte de votre préſence
M'occupe fi parfaitement ,
Qu'elle fouftrait mon ame à toute autre fouffrance
Que celle qui lui vient de votre éloignement ;
Mais des autres douleurs fi l'amour me diſpenſe ,
Il me le fait bélas ! payer bien cherement :
Je fouffre plus de votre abfence ,
Que je ne fouffrirois de tout autre tourment .
Par M. le Chevalier de R***
XX*XX* X* X *XX* XXX
Sur une convalefcence.
A Quels tourmens les deftins nous expofent !
Au grand galop ils me faifoient courir
Vers le lieu fombre où mes ayeux repoſent.
Aimable Iris , je croyois bien mourir.
Les Dieux enfin autrement en difpofent ,
Non , pour ceffer de me faire fouffrir :
L'art d'Efculape a fçû me ſecourir
Contre les maux que les Cieux nous impofent ;
Mais de celui que vos beaux yeux me caufent
Il n'eft point d'art qui me puiffe guérir,
Par le même.
JUILLET. IL 1749.
AURUAUQUQUEUŤOU DU DUDUSIDY JURY
Sur un mal d'yeux.
1 le mal que l'on fait , tient toujours lieu de
crime ,
Le tourment de vos yeux n'eft que trop légitime ;
D'une jufte vengeance , Iris , il eft l'effet :
Je reflens comme vous leurs douleurs inhumaines ;
Mais quelque foit l'excès de leurs cruelles peines ,
Ils n'en peuvent fouffrir autant qu'ils en ont fait.
Par le même.
Sur une Navette.
Navette tropfortunée !
Que ne donneroient pas les plus heureux humains,
Pour avoir , feulement pendant une journée ,
La gloire d'amufer ces mains , ces belles mains
Que vous feule amufez prefque toute l'année è
Les Sceptres & les Souverains
Doivent être jaloux de votre deftinée.
Il n'eft point de belle en ces lieux ,
Qui fe ferve de vous avec tant de vîteffe ,
Qui fçache vous donner des tours plus gracieux ,
Que votre charmante Maîtreffe.
Ses doigts dans un inftant font fur vous mille
noeuds ;
A vj
12 MERCURE DE FRANCE .
Mais , avec toute leur adreffe ,
Ses doigts en font encor bien moins que fes beaux
yeux,
Par le même.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗選濃
M
LETTRE
A M. Rémond de Sainte Albine.
Onfieur , le projet d'une Bibliothéque
, annoncé dans les Mémoires
de Trevoux de Février dernier , & dans
le Journal de Verdun , eft une entrepriſe
intéreffante pour la République des Lettres
, s'il eft exécuté avec le foin que l'exige
un travail de cette nature. Ce fera un repertoire
pour tous les gens d'étude , en
quelque genre d'art ou de fcience que ce
foit ils y trouveront au moins l'indication
des fources où ils peuvent puifer des .
fecours. Il y a fept ou huit ans que commençant
à me livrer à quelques études
après ma fortie du Collège , l'idée d'une
Bibliothéque univerfelle me frappa , au
point que j'entrepris d'en former une pour
mon propre ufage , & je devins , faute de.
réflexions , fi fort amoureux de ce travail ,
quoique très pénible , qu'en cherchant ce
qui m'intéreffoit , je recueillois , chemn
JUILLET. "
1749. 13
faifant , toutce qui étoit étranger au genre
d'étude auquel je m'appliquois . La difficulté
de pouvoir procéder à ce travail avec
un certain ordre , m'engagea à mettre fur
des papiers feparés rout ce que je découvrois
à fur & à meſure, & quand la collection
me parut un peu abondante , je commençai
à ranger tous mes papiers dans des
cartons. Cette pratique me donna la facilité
de changer au moins vingt fois mon
arrangement , felon que j'y trouvois des .
inconvéniens pour la recherche ; & les
ouvrages périodiques , Journaux littéraires
, Bibliographes , Dictionnaires &
Catalogues , que j'ai eu occafion de voir
dans le cours de ce travail , m'ont fait faire
les réflexions fuivantes , dont je prends la
liberté de vous faire part , Monfieur , pour
les inferer dans le Mercure. Je compte
que l'Auteur du nouveau projet ne manque
pas de lire chaque mois ce Recueil ,
& il fera du peu d'expérience que j'ai acquis
fur ce fujet , tel ufage qu'il jugera à
propos.
Mon projet étoit comme le fien , de divifer
ma Bibliographie en deux parties ,
l'une concernant les Auteurs , & l'autre
les matieres . J'avois crû devoir ranger lest
Auteurs par ordre chronologique , en prenant
la datte de leur mort pour époque.
14 MERCURE DE FRANCE.
J'avois donné la préference à cet arrangement
, parce qu'il me fembloit qu'il pouvoit
former une espéce de tableau hiftorique
de la Littérature , en préfentant l'abregé
de la vie des Auteurs , un détail fuccinct
de leurs difputes littéraires , le Catalogue
de leurs ouvrages avec la notice .
des Critiques & des Apologies aufquelles
ils avoient donné lieu , & la citation des
Livres où il étoit parlé de ces mêmes Auteurs
.
Un autre avantage que je croyois voir
dans ma Méthode , étoit de pouvoir
ajouter l'article d'un Auteur à la fuite de
la collection , à mesure que la République
des Lettres faifoit une perte..
J'avois encore conçu une pratique capable
de concilier tous les goûts pour l'arrangement
des Auteurs. C'étoit de faire imprimer
l'article de chaque Auteur fur une
feuille feparée , en forte que chaque perfonne
, qui auroit foufcrit pour la Bibliothéque
, auroit pû les difpofer felon fon
goût par ordre alphabétique , par ordre
chronologique , ou par ordre de Nations
& de Facultés , mettant les Théologiens
enfemble , les Jurifconfultes d'une autre
part , & c.
Une reffource que je trouvois dans cette
pratique , & qu'il feroit peut- être à ſou-
$
#
JUILLET: 1749.
haiter , malgré fa fingularité , que l'on
pût introduire dans bien d'autres ouvrages
que celui ci , c'eft que , comme il eft
prefque inévitable dans une collection de
cette nature , de tomber dans une multitude
d'omiffions , foit de certains articles
en entier , foit de quelques circonftances
notables qui regardent les Auteurs & leurs
ouvrages , & qu'il furvient des éditions
nouvelles & dignes de remarques , des
Traductions , des Critiques , des Apologies
, on peut réparer les omiffions d'articles
, fans troubler l'ordre , en inferant un
Auteur oublié , ou ajouter des cartons à
la fin de la feuille , pour corriger les erreurs
& marquer les changemens .
Que de Dictionnaires & de Catalogues
bibliographiques deviendroient plus utiles,
s'ils étoient partagés de cette forte ? Quel
degré de perfection n'auroit pas un Dic
tionnaire de Moreri , par exemple , où à la
fin de chaque article de familles , on pourroit
ajouter les nouvelles alliances , les
morts , les naiffances , les faits notables
où entre deux noms illuftres on pourroit
en inferer un autre qui commence à le
devenir , ou qui a échapé aux recherches
des précédens Compilateurs ; un Dictionnaire
d'Hiftoire naturelle & de Phyfique ,
où à la fin de chaque article on pourr
oit
16 MERCURE DEFRANCE.
ajouter les nouvelles découvertes ; un Dic
tionnaire géographique , un Pouillé de la
France , où on pourroit corriger les erreurs
& marquer les changemens , en faifant
réimprimer l'article fur lequel l'un ou
l'autre tomberoit ?
il me
Par-là on pourroit même fe procurer
un plus grand nombre de Soufcripteurs
pour un ouvrage confidérable , en le donnant
par parties & périodiquement , ou à
mefure que les matériaux viendroient , ce
qui feroit en même tems un foulagement
pour les facultés des curieux , & pour le
travail des autres . Mais en tous cas ,
paroît qu'il n'eft point d'ouvrage auquel
cette pratique convienne mieux qu'à une
Bibliothéque univerfelle. En fuivant ce
confeil , l'Auteur du projet en queſtion.
aura la fatisfaction de commencer à jouir
plutôt du fruit de fes recherches laborieufes
, dont le retard le dégouteroit peutêtre
par la fuite.
Al'égard de la feconde partie concernant
les matieres , mon goût s'accorderoit
avec celui de l'Auteur , en les rangeant
par ordre alphabétique en forme de Dictionnaire
, non pas en raffemblant tous
les ouvrages de Jurifprudence , de Médecine
, de Théologie , & c . fous des titres fi
généraux ; moins encore en ayant égard
JUILLET . 1749. 17
aux premiers mots des titres , dont la plûpart
font vagues & ne qualifient rien ,
mais en mettant fous chaque nom de chofe
phyfique ou morale , fous chaque nom de
lieu ou d'époque , fous chaque nom d'art
ou de métier particulier , fous chaque nom
de queftion notable de Théologie , Jurif
prudence , Philofophie , &c . fous chaque
nom d'homme fameux dans l'Hiftoire ancienne
ou moderne , fous chaque nom de
production naturelle ou artificielle , les
ouvrages hiftoriques , critiques , didactiques
, polemiques , philofophiques , &c,
qui y ont rapport.
Je n'aurois pas manqué , comme vous
l'imaginerez fans doute , Monfieur , de
faire auffi un cahier feparé pour chaque
mot , afin de faciliter les corrections &
les additions , que de nouveaux ouvrages
fur chaque matiere , ou de nouvelles éditions
des anciens , rendent frequentes . J'aurois
par conféquent trouvé l'ulage de ces
cahiers plus néceffaire encore , ou du moins
autant , dans la feconde partie que dans la
premiere .
A l'égard des traités généraux de fcience
, comme les cours de Philofophie , de
Théologie , de Jurifprudence , de Médecine
, je me contentois d'en faire mention
à l'article de leurs Auteurs ; mais à cet
18 MERCURE DE FRANCE.
égard je cherchois la briéveté par des raifons
qu'un autre n'auroit peut-être pas.
Voilà , Monfieur , mes réflexions. Elles
font le fruit des inconvéniens que j'ai
trouvés dans une multitude d'autres Méthodes
, dont j'ai effayé fucceffivement.
Il n'y a furtout rien de fi incommode que
les fupplémens , aufquels on eft obligé
d'avoir recours dans tous les ouvrages de
compilations.
Votre zéle pour la République des Lertres
, où vous tenez , Monfieur , un rang
fi diftingué , m'engage à vous adreffer cet
effai , en le foumettant à vos lumieres , &
en vous priant d'y faire les changemens &
les additions que vous croirez propres à le
rendre plus digne de l'attention de l'Auteur
du projet , & du Public. Je prendrai
la liberté de vous adreffer quelquefois.
des productions digerées avec plus de foin.
J'ai l'honneur , &c.
Le Moyne.
De Dieuze , en Lorraine , le 10 Avril.
JUILLET . 1749. 19%
A M. OUDRY ,
Peintre du Roi.
LES DEUX BUCHES ,
FABLE.
Toi , dont les immortels pinceaux-
Rendent trait pour trait la nature,
Et font de tes brillans tableaux
Les chefs-d'oeuvre de la Peinture ,
Oudry , pour un moment , laiffe ces animaux-
A qui , lorsqu'il te plaît , ton art donne la vie;
Et jette un oeil d'ami fur cette rêverie
Que vient d'enfanter mon repos.
Le fage quelquefois à ſes nobles travaux
Doit mêler un peu de folie.
Le livre que tu m'as prêté ,
Sans me l'avoir fait trop attendre ,
M'a fourni la moralité
Du récit que tu vas entendre.
Pour réchauffer fes triftes Lares
Qui grelotoient dans leur foyer ,
Un jour un riche Métayer ,
Dont les mains n'étoient point avares ,
Mit deux groffes buches au feu ,
20 MERCURE DE FRANCE.
L'une de chêne & l'autre de bois neuf.
Sur celle - ci le foufflet eut à peine
Agité l'air par fa preffante haleine ,
Qu'on vit la flamme tout-à- coup
Gagner de l'un à l'autre bout ,
Et récréer par fa chaleur fubite
Les Pénates tranfis & le Maître du gîte ;
L'autre au contraire , au lieu de s'enflammer ,
Noircit fous le foufflet qui cherche à l'animer.
Une épaiffe fumée abforbe les blueites ,
Qu'on tâche à grands coups de pincettes
De faire fortir de fon fein ;
On la tourne cent fois , on y perd ſon latin ,
Honteuſe de ſon lambinage ,
Sa compagne lui dit , ma chere foeur , pourquoi
Ne pas brûler auffi vite que moi ,
Puifque vous êtes faite exprès pour le chauffages
Si , lorsqu'on l'exige de vous ,
Vous répandiez au loin vos chaleurs bienfaifantes ,
Ces mains dont vous fentez les coups ,
Seroient pour vous des mains reconnoiffantes ,
Et votre fort en feroit bien plus doux .
Quand vous vous réduiſez en braiſe ,
Vos feux viennent toujours trop tard.
Corrigez -vous , ma foeur , & j'en ferai bien aiſe .
Rendre fervice à propos , eft un art ,
Dont vous mettez toujours la pratique à l'écart ;
JUILLET. 21 1749 .
Mais ſçachez ( ne vous en déplaiſe )
Que l'on oblige doublement ,
Lorfqu'on oblige promptement,
张派汽送送送送送送:洗洗洗洗洗
REFLEXIONS.
Es taux amis font comme les faux bra
ves ; ils vous abandonnent toujours
dans le befoin.
La beauté eft comme l'aprêt dans les
marchandifes ; elle s'évanouit dans l'uſage
que l'on en fait.
Toute paffion violente eft folie , puifqu'elle
affoiblit les forces de l'entendement.
L'amour & la domination ne veulent
point avoir de collegues .
Un homme vraiment méchant ne fait
jamais à moitié une méchante action .
Le naturel des femmes eft de vouloir
tout & ne vouloir rien , c'eft-à- dire que
leur volonté fe laiffe emporter à tous les
objets qui leur femblent beaux , bons qu
nouveaux , mais fans s'attacher à un feul
folidement , de forte que quand quelque
chofe fe préfente à leurs yeux , elles en
deviennent éprifes , femblables en cela à
22 MERCURE DE FRANCE
:
ces malades qui defirent tout ce qu'ils
n'ont pas , & ne fe foucient nullement de
ce qu'ils ont.
C'eſt une fouveraine prudence que de
fçavoir nous plaire en ce que la néceffité
nous rend inévitable.
La beauté n'est peut - être qu'une opinion
de celui qui la juge telle.
Les poltrons & les amans font extrêmement
fujets à l'hyperbole.
La préfence de la perfonne aimée eft
l'un des plus fouverains remédes que la
trifteffe puiffe recevoir .
Les amans , les plaideurs & les écoliers,
ne mefurent pas le tems comme les autres
hommes , mais felon l'impatience de la
paffion qui les poffede .
La fortune & l'amour fe mocquent de
la prudence.
que
Celui qui veut donner de la peine à
autrui , s'en prépare la plus grande partic.
Rien n'eft peut-être plus amufant
de toujours faire des projets pour fe marier
, mais il faut dans bien des cas fe garder
de conclure .
Ce n'eft pas aimer véritablement que de
cacher quelque choſe à la perfonne aimée.
Celui qui voit ce qui eft aimable fans
T'aimer , manque d'efprit ou de courage.
JUILLET. 1749. 23
On doit plus confidérer l'honneur de
l'objet aimé , que la fatisfaction de celui
qui aime.
L'amour flate toujours fes malades d'efpérance.
La jeuneſſe & la beauté ont une fympa
patie qui n'eft pas petite.
Tout eft bon , & tout eft mauvais , regardé
par differens côtés .
Il eft des perfonnes dont le mépris ne
fçauroit offenfer.
Une coquette & une prude font également
à craindre.
La chicanne eft comme la protectrice
des méchans & le fleau des bons.
Il faut bien aimer pour aimer fon rival.
Il vaut beaucoup mieux n'avoir jamais
eu de félicité , que d'en être privé.
Le mariage , felon les uns , eft le tombeau
de la liberté , & felon d'autres , la
ceffation de l'esclavage .
Un véritable ami eft prefque auffi rare
qu'une jeune perfonne conftante.
Un bon écolier eft comme un bon fonds
où tout profite & vient en maturité.
Un homme nouvellement tiré de l'extrême
mifere & parvenu à une fortune ,
quoique médiocre , eft très-fouvent dans
le cas de fe méconnoître.
24 MERCURE DE FRANCE.
Perfonne ne méprife davantage , que ceux
qui véritablement font méprifables.
L'amour eft de toutes les paffions la plus
pardonnable.
Un homme fenfé & généreux ne fera
jamais confifter le beau d'une entrepriſe
dans les difficultés qui s'y rencontrent.
7
Ce n'eft point la charge , telle qu'elle
puiffe être , qui doit honorer celui qui
la poffede ; c'est à lui à faire honneur à la
dignité qu'il remplir.
il faut ne faire un choix gueres aimable,
pour pouvoir aimer fans avoir de rivaux.
Tout ne refpire à préfent que la légereté.
La conftance , en quoi que ce foit ,
a l'air trop bourgeois.
Par M. Pigeon , Bachelier en Droit en
l'Univerfité de Caën,
VERS
JUILLE T.- 1749 . 25
VERS .
De M. Bafton , à une Demoiselle qui faifoit
le rôle de Zaire.
Quandje voyois étaler fur la ſcéne
Le fpectacle de tes douleurs
Mon coeur aimoit à partager ta peine ,
Mes yeux à partager tes pleurs.
De tes foupirs la rapide énergie
Jettoit le trouble en mon ame attendrie ;
La terreur , la pitié , l'amour ,
De mes fens foulevés difpofoient tour à tour.
Mais bien-tôt l'amour ſeul exerçant fon empire ,
J'étois , hélas ! le dirai - je ? Zaïre ,
J'étois jaloux des pleurs que tu verfais ,
Des tranfports qu'à la fois ton coeur fent & condamne
.
J'étois le rival d'Orofmane ,
Et je le fais plus que jamais.
A Dieppe , le 15 Mai 1749 .
B
26 MERCUREDE FRANCE .
LETTRE
De M. *** à M. *** fur l'Histoire
naturelle des Punaiſes.
I
Left étonnant que perfonne , comme
vous dites , Monfieur , n'ait entrepris
de nous donner l'hiftoire naturelle des Punaifes
, lefquelles peuvent , auffi -bien que
les autres Infectes , nous fournir des obfervations
curieufes , fingulieres , également
intereffantes & dignes de notre admiration,
Dans ce que j'ai pû apprendre à
ce fujet , je vous communiquerai avec plaifir
ce qui me paroîtra être le plus capable
de piquer votre curiofité.
La Punaiſe en Latin eft le Cimex de Pline
, en Greco & Kopis epos . Il paroît que
le mot de Cimex vient du mot Grec Kiμaz
Cubo , je fuis couché , parce qu'on trouve
communément ces fortes d'Infectes dans
les lits . Le nom de Punaife eft dérivé du
mot Latin Punicea , à caufe de la couleur
rougeâtre de ce petit animal . On a donné
ce nom premierement aux Punaiſes rouges ,
& enfuite à toutes les autres . Ménage , en
rapportant l'étimologie de ce mot , ne
parle que des Punaifes des Indes qui font
JUILLET. 1749. 27
les véritables Cochenilles. Il y en a de
jardin , qui font vertes & auffi puantes
que les autres ; il y a auffi des Punaifes de
terre volantes , qu'on trouve dans les
champs fur les arbres . Hoefnaget a dépeint
cette forte de Punaifes de terre volantes
; il y a auffi des Punaiſes d'eau qui
volent , & ont un aiguillon dont elles
piquent très -fort ; mais on ne parlera ici
que de la Punaiſe ordinaire , Cimex Lectularius
, ou Cimex Domefticus.
pour
C'est un Infecte prefque rond ou de figure
rhomboïde , fort plat , de la figure
d'une petite lentille , d'une couleur de canelle
foncée , ayant la peau d'une extrême
fineffe , ce qui le rend facile à écraſer
peu qu'on le touche. Son bec eft courbé ;
fa gueule eft panchée fous la poitrine ; ſa
poitrine a une bordure ou marge tout au
tour ; il a le dos plat , des antennes ou
cornes à quatre jointures; il a fix pieds propres
à courir , une espece de trompe pour
fucer , & une tariere pour percer le bois ;
fon corps a de l'odeur , laquelle , lorfqu'on
l'écraſe , devient encore plus infupportable.
Les cornes ou antennes des Punaifes
font d'une beauté finguliere, quand on les
regarde avec le microſcope , & on croir
qu'elles ne leur fervent pas feulement pour
B ij
28 MERCURE DE FRANCE.
orner leur tête , mais auffi pour tâter le
chemin qui eft devant elles , & connoître
par là s'il n'y a rien qui s'oppofe au paffage
de leurs corps , rien qui puiffe les falir
ou les noyer ; il eft vifible, que lorfque ces
animaux marchent , leurs cornes vont ordinairement
dreffées vers l'endroit où ils
veulent aller ; peut-être que cela eft néceffaire
par des raifons que l'on ne peut façilement
découvrir .
Cet Infecte , comme les autres , ayant .
en foi une matiere propre à produire un
animal fon femblable , & fe trouvant dans
un lieu propre à fa nourriture , y dépoſe
quantité d'oeufs ; ces oeufs produifent d'autres
Infectes , ces Infectes d'autres oeufs , &.
toujours ainfi jufqu'à l'infini .
Dans nos climats les Punaifes meurent
dans l'hyver, ou fe retirent dans des trous ;
mais elles laiffent une infinité d'oeufs légerement
blanchâtres , qui fe confervent
pendant cette faifon , & qui aux approches
de la chaleur s'ouvrent en foule , &
laiffent éclore les petits animaux qu'ils
renferment. Ces Infectes fe multiplient.
prodigieufement , parce qu'ils font trèsféconds
.
L'humeur qui exhale de la fuperficie des
corps des animaux ; les matieres putrides
proche les lits,celle qui tranfpire peu à peu
JUILLET . 1749. 29
du bois , & c . contribuent à faire éclore ces
Infectes, parce que la pourriture eft comme
le nid où leurs oeufs fe convent & éclofent
mieux. Ce petit animal naît dans les vieilles
maifons , dans celles qui font proche
des colombiers & des loges des cailles ,
dans les vieilles folives des maifons , dans
les lirs , ceux fur- tout dont le bois eft de
fapia , & ceux où il y a de vieilles paillaffes
, ou dont la paille & les draps ne font
pas fouvent renouvellés ; dans les lits qui
font proche les murailles , ou les cloifons ,
fur- tout celles qui font enduites de plâtre
ou qui font près de vieux livres ; on en
voit une plus grande quantité aux chambres
d'en haut , aux lieux fecs , & il s'en
trouve plus dans les appartemens expofés
au Midi , que dans ceux qui ont une autre
fituation .
Les Punaifes fe nourriffent de fang ,
de chat , de laine , des étoffes , du bois
qui eft tendre , vieux ou pourri , c'eft - àdire
de quelques humidités qui s'y trou
vent , ainfi que d'autres matieres excrementielles
& corrompues ; il paroît encore
conftant que ces Infectes fe mangent,
comme font les araignées , les uns les
autres.
Ils ont le fang fi groffier & fi glutineux
, que l'air pris dans les poulmons ne
B iij.
30 MERCURE DE FRANCE.
fuffiroit pas pour le faire circuler ; mais
la nature y a pourvû en leur donnant une
trachée artere qui regne d'une extremité
du corps à l'autre , & diftribue partout fes
rameaux , même à plufieurs ouvertures
percées à droite & à gauche par où ils
prennent l'air, & c'est ce qui fait que (comme
les autres Infectes ) ces animaux , frottés
d'huile , meurent , parce qu'on leur a
fermé les conduits de la refpiration .
Parmi les fleaux que la divine Providence
a répandus fur la terre pour punir la
vanité & la molleffe de l'homme , je crois
que les Punaifes ne font pas le moindre.
On s'eft mis beaucoup en peine de chercher
des fecours pour nous défendre contre
ces ennemis de notre repos , & il eft
étonnant de voir la quantité de recettes
que les anciens & les modernes nous donnent
pour cet effet en forme d'huiles, d'onguens
, de lotions , de fumigations , & c.
Je ne parlerai ici que des remédes qui
paroiffent les plus efficaces ou les plus curieux.
L'huile , comme on vient de le dire ,
tue indifferemment toutes fortes d'Infectes
quand ils y ont été plongés un moment.
Selon Mouffet , le marc de beure qu'on
* Mouffetus , Infectorum five minimorum animalium
theatrum. Lond. 1634. folio, lib. 2. cap. xxv.p.
269. &c.
JUILLET. 1749. 31
aura fait bouillir , jetté fur les endroits où
viennent les Punaifes , les détruit d'une
maniere ſurprenante , les faifant , dit- il ,
crever de replétion ; » c'eſt peut - être
» cette graiffe dont Cardan parle en ces
» termes : J'ai connu autrefois ( mais je ne
» m'en fouviens plus ) une espece de grail-
»fe , laquelle fi on en frottoit une affiette
» de bois , s'attiroit toutes les Punaiſes, de
maniere qu'on ne voyoit plus le bois.
Quant aux huiles , onguens , & c. dont
on a coûtume de fe fervir contre les Punaifes,
& dont il y a un très grand nombre,
il faut pour qu'ils produisent leur effet ,
abfolument en frotter & bien imbiber le
mur , le bois de lit , toutes les jointures ,
trous & crevaffes , ainsi que le chevet du
lit,& les endroits tout autour dans lesquels
les Punaifes fe nichent & font leurs couvées
; mais l'effet qui en réfulte , n'eft ni
confidérable ni aucunement durable ; il
res ,
faudroit pour cela que tout le tour du lit
jufqu'aux rideaux , plis , doublures , penrubans
, tout ce qu'il y a autour
des anneaux, en fuffent bien pénetrés , fans
quoi les Punaifes ne manquent pas de reparoître
peu de tems après qu'on s'en eſt
fervi ; outre que ces fortes d'applications ,
quelques efficaces qu'on les trouve , doivent
être fouvent renouvellées , & par-là
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
elles gâtent néceffairement le coucher &
le tour du lit.
Florentinus rapporte que les Punaiſes
font tuées par le parfum des Sangfuës , &
les Sangfuës par celui des Punaifes , ce que
Pline a dit avant lui.
Selon Hippocrate , la fiente de taureau ,
& fi l'on en croit Avicenne , celle de
l'homme chaffe les Infectes venimeux . &
les Punaifes , fi on en fait une fumigation .
Aldrovandus * affûre que la fumée du vitriol
& du verdet les tue , mais cela n'empêche
pas , ajoûte- t'il , qu'elles ne reviennent
bien-tôt . On vante aufli beaucoup
la fumée de la nielle , de la fcolopendre ,
de la cigue & une infinité d'autres.
Il y a effectivement de ces fumigations
qui chaffent les l'unaifes , mais ce n'eft
que pour fort peu de tems , & comme il
eft néceffaire de les réitérer fort fouvent ,
elles ne manquent point de ternir les tableaux
, gâter les dorures , livres & autres
ameublemens.
Lorfqu'on ufe de fumigations , il faut
avoir l'attention de bien enfermer la fumée
par le moyen des rideaux , draps , &c. ~
dont on couvrira bien le lit , afin de conferver
plus long- tems la vapeur.
Démocrite , au rapport de Pline , affir-
* De Infectis Bonan . folio 1638 , p. 138.
JUILLE T. 1749. 33.
me que malgré la faleté des endroits où
l'on couche, & ce qui tranfpire des murs,
les Punaifes ne fe reproduifent point, fi on
attache des pieds de lievres ou de cerfs
autour du pied du lit ; il nous dit encore ,
fi on fufpend du crin de cheval à l'entrée
de la chambre à coucher ,, que les Punaifes
n'y entreront pas ; mais il faut avouer que
tout cela fent bien la fiction. Quelquesuns
pendent un linge trempé dans de l'eau
froide , ce qui éloigne les Punaifes
par la
fraîcheur actuelle. Quand on eft,en voyafûre
fi on met fous le lit un vaiffeau plein
d'eau froide pendant qu'on dort , les Punaifes
n'approcheront point. Mouffet afque
le chanvre ou le fruit d'Alkekenge,
fufpendu dans le lit , éloigne les Punaifes
. Si on met du chanvre dans le lit , dit
Aldrovandis , elles s'enfuyent & ne reviendront
plus. Rhafis affirme que fi on
fe frotte le corps avec de l'huile dans laquelle
on aura fait bouillir de l'abfinthe ,
les Punaifes ne pourront approcher.
On dit encore que l'hyeble , étendu fous
le lit, chaffe les Punaifes , vrai-femblablement
à caufe de fon odeur forte. La mauvaife
odeur du cuir rouge que les Allemands
appellent Ruffifch- Leder , fi l'on
en enferme une certaine quantité dans
un endroit , les détruit d'une manie-
B v
34 MERCURE DE FRANCE.
re furprenante ,
Mouffet.
*
felon Aldrovandus &
Enfin tous les Auteurs conviennent
que
les drogues qui ont une odeur forte , font
très-contraires aux Punaifes , & on remarque
que chez les Apoticaires Droguistes &
Corroyeurs , on ne voit pas de cette vermine.
On fçait combien les Anciens fe font
efforcés de trouver quelque reméde qui
pût détruire toutes fortes de vermines , &
combien il y a eu de fuperftition dans ce
qu'on appelloit Talismans & amulettes ;
mais fans avoir recours à la magie , on
trouve chez les modernes de ces remédes
externes , dont l'effet eft réel , & peut s'expliquer
par la méchanique.
On nous a donné depuis peu un certain
Prophylactique contre les Punaifes , qui
eft fort en ufage , & qu'on appelle l'Amulette
de la Chine , où il paroît qu'on a
voulu raffembler .& concentrer certaines
odeurs ( qu'on aura trouvées être contraires
à cette vermine ) dans un perit eſpace ,
fous une forme falide & durable , capable
cependant d'une tranfpiration perpetuelle,
& par conféquent de pouvoir agir fur les
corps délicats de ces Infectes avec des efforts
redoublés par un concours d'exha-
* Aux endroits ci-devant cités.
JUILLET. 1749.
35
•
laifons odoriferentes & pénetrantes , que
cette Amulette leur envoye fans ceffe .
que
Je ne puis affûrer fi l'Amulette de la
Chine détruit réellement ou fait mourir
les Punaiſes , mais on peut dire en faveur
de ce reméde , que c'eft le plus commode
& un des plus efficaces qui ait encore paru
contre cette vermine, & qu'il les chaife &
éloigne de maniere à l'empêcher d'être
aucunement incommode , comme l'affûrent
encore beaucoup de perfonnes qui en
ont fait l'expérience. Il y a lieu d'efpérer
l'Auteur de ce reméde ne négligera
rien pour perfectionner de plus en plus
une découverte fi utile au Public. Il eft
extrêmement probable que la connoiſſance
de quelques antipathies qu'il y a dans la
nature , ou des impreffions fingulieres que
font certaines chofes fur d'autres animaux,
pourra enfin conduire par des expériences
analogiques , à la découverte du vrai ſpéci
fique contre une vermine fi incommode,
Un heureux hazard nous découvre même
fouvent des chofes d'une utilité infinie.
à
On affûre qu'on a trouvé depuis peu
Edimbourg , que de certaines odeurs ou
exhalaifons chaffent les rats . Dans un magafin
de marchandiſe de toutes efpeces , il
fe trouva une grande quantité de ces animaux
; après y avoir mis plufieurs cailles
B vi
36 MERCURE DE FRANCE.
1
nouvelles , on fut fort furpris de trouver
que les rats avoient entierement difparu
& on eut la curiofité d'en rechercher la
caufe ; on remua & l'on ôta de ce magafin
plufieurs drogues & marchandifes , &
l'on trouva enfin que cet effet étoit dû à
une caiffe de Sel de Succin , laquelle étant
ôtée , les rats reprirent leur ancienne demeure
, & difparurent encore lorfqu'on
eut remis la même caiffe de Sel , dont les
exhalaifons apparemment font infupportables
à ces animaux .
Dans l'Amérique Septentrionale les habitans
,, pour fe garantir du Serpent à fonnettes,
qui eft fort venimeux & dangereux,
portent attaché au bout d'un bâton un petit
morceau d'une racine de Virginie ,
qu'on appelle Viperina Radix. Quand ils
entendent par le bruit des fonnettes que le
Serpent approche , ils lui font fentir cette
racine , qui par fon odeur le met hors d'état
d'avancer.
On a obfervé que partout où croît le
Pouliot fanvage ou Dictame de Virginie ,
on ne voit point de Serpens à fonnettes .
Extrait du journal d'Angleterre , Journal
des Sçavans , Mars 1666 .
Quoiqu'il y ait des perfonnes qui croyent
que les Infectes ne connoiffent prefque
les objets que par la vûe & le fens du touJUILLET.
1749. 37
*
›
cher qu'ils ont excellent , il eft néanmoins
plus que probable que les Infectes ont
l'organe de l'odorat ; il y a même lieu
d'attribuer particulierement aux Punaifes
une extrême délicateffe ou fineffe
d'odorat , & par - là on explique pourquoi
de deux perfonnes couchées dans
un même lit qui fourmille de Punaifes
, l'une fe trouve mordue & Pautre
point : c'eft , fans doute , à cauſe
de leur odorat extrêmement fin ce qui
fait qu'elles font differemment affectées
par les corpufcules differens qui tranfpirent
des deux corps humains , &
qu'elles s'attachent à l'un , & paffent
l'autre fans y toucher , felon que le fang
de ces differens corps peur leur fournir
une bonne ou mauvaile nourriture , ou
qu'il peut favorifer la confervation ou déranger
l'oeconomie de ces petits animaux.
Quoiqu'il en foit,il n'eft pas facile d'expliquer
autrement ce fait , ni comment certai
nes drogues odorantes , telles que l'Amulette
de la Chine , éloignent les Punaiſes ,
à moins qu'on ne dife que cela s'opére par
quelque antipathie particuliere , ou par
quelque autre vertu cachée dont on ne peut
découvrir la raifon , d'autant plus que rou
tes chofes odoriferentes ne font pas le même
effet. Tout ce qu'on peut dire de plus
38 MERCURE DE FRANCE
la
probable pour expliquer la maniere dont
certaines drogues odorantes opérent fur
ces animaux , c'eft qu'il s'en exhale de
certaines particules extrêmement fines &
pénétrantes , lefquelles armées peut- être
de quelques fels particuliers, & venant à fe
répandre & à s'introduire par leurs pointes
dans le corps tendre & délicat des Punaifes
,, rompent ou menacent de rompre
liaifon de leurs parties , ce qui oblige ces
Infectes de s'éloigner , fans qu'on puiffe
leur refufer pour cela la faculté que la nature
a accordée à tous les animaux qu'elle
a formés , qui confifte à difcerner ce qui
convient à leur bien pour le fuivre , & au
contraire de diftinguer ce qui peut leur
être nuifible , pour le fuir , foit qu'on l'appelle
inftinct ou autrement .
Les Punaiſes nous fourniffent quantité
de faits & d'obſervations curieufes ; les
bornes que je me fais prefcrites ne me permettent
pas de décrire exactement la ftructure
de leurs petits organes , ou d'entrer
dans le détail de tout ce qui regarde la génération
, la multiplication , &c. de ces Infectes.
Il fera plus à propos de renvoyer
cela à une Differtation particuliere qu'on
médite à ce fujet. Je fuis , Monfieur , &c.
A Avignon , le 2 Avril 1749.
JUILLET. 1749. 39
EPITRE
A M ***
Dans un de ces bofquets où l'Art & la Nature
S'unirent pour répondre aux défirs d'un grand Roi,
Sous la voûte d'un If qui garde fa verdure ,
Quand l'Orme dépouillé cede aux rigueurs du
froid ,
Ami , j'invoquois Melpomene ,
Et lui difois , Mufe , ma Reine ,
"
Si vous vouliez m'admettre au rang de vos amis ,
On verroit fortir de ma veine
Un ouvrage nouveau qui plairoit fur la fcéne
Plus que Catilina , plus que Sémiramis.
J'unirois en moi feul la force de Corneille
Avec ce que Racine offre de fentimens ;
J'attacherois l'efprit , je charmerois l'oreille ,
Et les coeurs attendris par mes chants féduifans
Rendroient hommage à la merveille
Qui fçauroit réunir les cabales du tems.
La demande étoit téméraire ,
Et je ne fus point écouté .
Ami , je m'en étois douté.
Mais la Mufe , pour me diftraire
Du projet trop hardi , dont j'étois entêté
40 MERCURE DE FRANĈE.
Fit affeoir près de l'hermitage ,
Où j'avois droit de Citoyen ,
Deux perfonnes, dont l'entretien
Me parut fi touchant , fi fage ,
Que je me réfolus d'en faire un prompt ufage.
Il me plut ; fçais - tu bien pourquoi ?
C'eft que je vis deux cours s'exprimer fans partage
Sur ce qui charme dans le Roi .
Sans en être apperçû , je pouvois les entendre ;
Leurs difcours me firent comprendre
Qu'à titre different ils avoient de l'emploi ;
L'un étoit Commenfal , & l'autre Militaire ;
Leurs noms ne font rien à l'affaire ,
Tu t'en pafferas comme moi.
Je vais fimplement & fans gloſe ,
Te répeter en vers ce qu'ils dirent en profe.
L'Officier Commenfal .
La Paix te rend donc à mes voeux ,
Ami: tu viens fans doute à l'abri des allarmes
En goûter avec nous les charmes ,
Et t'affocier à nos jeux.
L'Officier Militaire.
Après avoir bravé les fureurs de la guerre
7
Sous le Héros vainqueur qui nous donne la loi ,
Je viens , cher ami ; comme toi ,
Admirer à mon tour avec toute la terre ,
Moins le Héros que le bon Roi.
2
JUILLET .
4*
1749.
Le Commenfal .
Si fes fiers ennemis l'ont trouvé redoutable ;
Quand la foudre à la main il les a combattus ;
Que pour eux il feroit aimable ,
S'ils étoient , comme nous, témoins de fes vertus
Dans ce Palais charmant où fon peuple fans ceffe
Se raffemble de toutes parts ,
De Courtifans zelés une foûle s'empreffe
A fixer un de ſes regards.
Le Soleil , en fortant de l'onde ,
Réveille & réjouit le monde ;
Ses rayons annoncent le jour.
Louis paroît : une allégreffe ,
Dont notre ame n'eſt pas maîtreffe ;
Précede & prouve notre amour.
Le Militaire.
C'eft ainfi qu'au milieu des feux que l'airain lance ,
Dans les coeurs des guerriers fon augufte préfence,
En répandant la joye , animoit la valeur .
Sous les yeux le François contre la réſiſtance
Arma toujours un bras vainqueur.
Eh ! de quoi n'eft- il pas capable ,
Quand guidé par un Roi brave , intrépide, aimable,
Il ne confulte que fon coeur ?
Le Commenfal.
Le voir eft un bonheur pour un fujet fidelle ,
L'approcher , le fervir , eft le comble des voeux ;
42. MERCURE DE FRANCE.
D'un regard il fait un heureux ;
Dans fa Royale bouche un mot eft l'étincelle
Qui porte dans un coeur le feu pris par les yeux.
Le Militaire.
Mais de l'éclat qui l'environne
L'efprit & les yeux éblouis
Donnent peut-être à la Couronne
Ce qui n'appartient qu'à Louis ?
Le Commenfal.
Non ; ce n'eft point en lui l'éclat du Diadême?
Qui le rend cher à fes Sujets ;
Le refpect fuit le rang fuprême ,
L'amour veut de plus doux objets.
Dans Louis fçais-tu ce qu'on aime ?
Ce n'eft pas fon rang , c'eſt lui- même :
C'eft ce front plein de Majefté
Où ſe peint la férénité
Qui regne roujours dans fon ame
Ce coeur qu'anime la bonté ,
Qu'envain perfonne ne réclame ,
S'il n'a contre foi l'équité .
Le Militaire.
Je l'ai vu dans ces champs où l'affreufe Bellonne
Répandoir le trouble & l'effioi¹ ;
J'ai vu la mort voler autour de fa perfonne ,
Quand il vainquit à Fontenoy.
Tranquille & l'oeil ferein dans ce péril extrême
JUILLET. 1749. 43
Où tout annonçoit le trépas ,
Il ne craignoit rien pour lui- même
Et craignoit tout pour fes foldats.
Quelles précautions ne l'a t'on pas va prendre
Pour mettre leurs jours à couvert !
Sa tendreffe pour eux lui fait tout entreprendre ;
Contre tous les dangers il cherche à les défendre ;
Le chagrin dans fes yeux fe peint quand il les perd.
Le Commenfal.
Ce n'eft- là , cher ami , qu'ébaucher ſa tendreſſe.
Jufques dans ces horribles lieux ,
Dont les objets bleffent les yeux ,
Et que fuit la délicateffe ,
Combien de fois moi-même ai- je fuivi fes pas
Pour ces victimes de la gloire ,
Dont le fang lui donnoit une pleine victoire ,
A quels foins paternels ne fe livroit-il pas è
Dans ces braves j'ai vû la vie ,
Qui leur alloit être ravie ,
Se ranimer entre les bras.
Ils ne craignoient plus le trépas ";
Eprouvant dans l'azile ouvert à la mifere ,
Les largeffes d'un Prince , & les bontés d'un pere;
Le Militaire.
J'en fus témoin , j'en fus charmé.
Le Commenfal.
Ab ! fice Prince eft grand , ami , qu'il eſt aimable,
44 MERCURE DE FRANCE .
Et qu'il mérite d'être aimé !
Oui , c'eft pour des Sujets un bien ineftimable ,
Qu'un Roi que les vertus pour le Trône ont formé.
Le Militaire..
L'Anglois , ce rival de la France ,
Défait , bleffé , captif, eut part à fes bienfaits.
Louis ne mit alors aucune difference
Entre fes ennemis , & fes braves Sujets ,
Et comme eux de fes foins ils furent les objets,
Le Commenfal.
Ses ennemis l'ont fait connoître ,
1ls ont développé les Royales vertus ;
Son coeur les renfermoit ; on les a vû paroître
? Au moment qu'il les a vaincus ;
Ils ne croyoient pas redoutable
Un Prince qu'ils fçavoient humain.
Lorfqu'Ypres , Furnes & Menin
Subirent à leurs yeux un joug inévitable ,
Alors pour eux , alors , il devint formidable .
Eh ! pouvoient- ils penfer que du fein de la paix ,
Des plaifirs qu'elle donne abandonnant les charmes
,
Louis uniquement connu par des bienfaits ,
Iroit fuivi de Mars tenter le fort des armes ?
Le Militaire.
Ignoroient- ils que les Bourbons
Sont vaillans autant qu'ils font bons ?
JUILLET . 1749. 45
Ils devoient preffentir l'orage.
Pourquoi de ce lion réveiller le courage ,
Et troubler par leurs cris fon paiſible ſommeil
Ah ! que de fang , que de carnage
Le vangerent de ce réveil !
Vingt Villes fous le joug , trois batailles rangées ;
Où toujours la victoire a fuivi nos Drapeaux ,
Tant de Provinces ravagées ,
Dans le Prince paifible ont montré le Hérog
Le Commenfal.
De ces rivaux de notre gloire
Les projets font évanouis ..
Ils fe promettoient la victoire.
Malgré leurs efforts réunis ,
Il trouvent leur bonheur , en cédant à Louis.
Le Militaire.
Enfin ils ont pû fe convaincre
Que d'injuftes foupçons les ont long-tems deçûs ¿
Ils ne paroiffoient pas laffés d'être vaincus ,
Et Louis l'étoit de les vaincre.
Il a fallu que ce Héros
Les forçât de goûter les douceurs du repos .
Il a parlé , bientôt on les a vûs fe rendre.
L'équité dans fa bouche aux coeurs s'est fait ens
tendre.
Ses armes les avoient défaits ;
Des traits de fa bonté pouvoient-ils fe défendre?
Nos plus fiers ennemis lui demandent la paix.
46 MERCURE DEFRANCE.
Le Commenfal.
Quelle gloire pour lui , pour nous quel avantage !
Dans les faftes des tems nous voyons
queurs
des vain
Semer de toutes parts la guerre & ſes horreurs ,
Porter en tous lieux le ravage ,
Réduire tout à l'eſclavage :
Louis , plus grand , fçait vaincre , & foumettre les
coeurs.
Le Militaire.
Eh ! qui n'aimeroit pas un Prince pacifique ,
Qui préfere l'olive à l'éclat du laurier !
Un Prince brave , né guerrier ,
Qui , malgré les fuccès , n'a d'autre politique
Que la félicité publique !
A fa voix , la tranquillité
Succéde dans les coeurs à l'amour de la
guerre ;
Tous veulent à l'envi la bannir de la terre ;
La paix devient l'objet de leur félicité .
Le Commenfal.
Un changement fi prompt avoit droit de furprendre
;
Cher ami , pouvoit- on s'attendre
A cet admirable concours ?
La paix va donc enfin defcendre ,
Et nous affûrer d'heureux jours.
Que j'aimerois d'entendre aux fons de la mufette ,
JUILLET.
47
1749.
La Nymphe que tu vois verſer ici ſes eaux ,
Chanter la paix , & le Héros
Qui fait taire aujourd'hui la guerriere trompette ;
Et fe fait un bonheur de la fin de nos maux !
Il n'avoit pas fini ces mots ,
Que les tendres accords d'une douce harmonie
Dans le même boſquet vinrent frapper mes fens :
Aux charmes de la ſymphonie
Se joignirent les plus beaux chants ;
De ces fons enchanteurs je ne puis rien te rendre;
Voici du moins les voeux qu'ils nous firent entendre.
Fille du Ciel , charmante Paix ,
Qui faites le bonheur de la troupe immortelle ;
Aimable objet de nos fouhaits ,
Deſcendez ; Louis vous appelle.
Envain Mars offre à ce Héros
Les lauriers que donne la gloire ;
Il préfere notre repos
A tout l'éclat de la victoire.
Ecoutez fes juftes defirs ;
Venez , rendez-vous à la terre ;
Faites fuccéder les plaifirs
Aux fureurs d'une longue guerre,
48 MERCURE DE FRANCE.
Sans vous les jeux n'ont point d'appas
Ils n'ofent paroître ;
Ce
Vous les faites naître ;
En eft- il où vous n'êtes pas ?
Venez tarir nos larmes ;
Defcendez , douce Paix ;
Oppofez vos bienfaits
Au bruit affreux des armes ;
Douce Paix ,
Ne nous quittez jamais.
Tu me demanderas peut- être
que font devenus mes interlocuteurs ?
Au premier coup d'archet je les vis difparoître.
Sans doute , ils vouloient reconnoître ,
Et voir de plus près les Acteurs
Qui formoient ce Concert champêtre.
Pour moi , charmé de leurs difcours ,
Marqués au coin du vrai , mais qui furent trop
courts 9
Je fentis en mon ame un nouveau feu renaître ,
Et vis avec plaifir & leurs coeurs & leurs voix
S'accorder en fecret pour faire de leur Maître ,
Le Héros le plus grand , & le meilleur des Rois.
Par un Officier de la Chambre du Roi.
PROPOSITION
JUILLET.
49
1749.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗淡淡淡說洗洗
PROPOSITION
En faveur du Commerce Maritime,
Mémoire fait pendant la guerre , & depuis
adapté aux circonftances de la Paix.
'Intérêt que j'ai dans la Compagnie
L'des Indes , & l'ufage où l'onellà pré
fent de confulter les Actionnaires,& de vifer
en tout à l'utilité commune , m'ont fait
penfer aux moyens d'établir de plus en
plus le crédit & le commerce de cette
Compagnie. J'en ai imaginé un des plus
efficaces , & que je crois praticable. Ce
feroit de ménager la liberté de la navigation
entre les Etats Belligerens , de façon
que les Commerçans pûffent naviger
parmi le trouble des armes , avec autant de
fecurité que dans les tems de paix.
Ce nouveau Concordat n'empêcheroit
point l'ufage des Flottes & des Efcadres
deftinées à des expéditions militaires , ni de
fermer , fi l'on veut , les Ports refpectifs
entre Nations ennemies , mais il empêcheroit
les particuliers de fe combattre , de fe
piller , de fe ruiner réciproquement , fous
prétexte que les Puiffances ont des démêlés
terminer par la guerre . Ces démêlés, après
C
so MERCURE DE FRANCE.
tout , n'ont prefque rien de commun avec
les affaires des Sujets , & les petites guerres
ufitées entre les Navigateurs ne fervent
qu'à l'affoibliffement des deux Parties , &
à l'interruption du Commerce , fans décider
la querelle des Potentats.
Il faut bien diftinguer la guerre qui fe
fait entre Nations , de celle qui fe fair fur
mer entre Particuliers. La premiere eft.
fouvent inévitable , l'autre eft proprement
d'inſtitution libre. Ainfi puifque malgré
la guerre entre les Princes , on facilite , au
moyen des paffeports , le Commerce & les
voyages de terre aux Sujets des Puiffances
ennemies ; qui empêche qu'on ne ménage
également une convention bien expreffe ,
pour leur affûter en tems de guerre la liberté
du Commerce maritime , telle qu'el
le eft à peu près dans les tems de paix ?
Chacun fent l'avantage immenfe qui en
réfulteroit pour les Peuples Belligerens ,
& l'on ne fçauroit oppofer qu'une malheureuſe
coûtume , qui ne s'accorde ni
avec la Religion , ni avec la politeffe de
nos moeurs. Rien en effet de plus contraire
au droit de gens , rien qui fente plus la
barbarie , que de voir de fimples Particuliers
infefter les mers par des pirateries
autorisées.
On fçait que fous Louis XIV . les FranJUILLET.
1749 .
SI
çois & les Hollandois , qui habitoient en
commun quelques- unes des Antilles , convinrent
de bonne foi d'une parfaite neutralité
, au fujet des guerres allumées pour
lors entre les deux Nations. Cet arrangement
fi fage fauva ces Colonies , fans nuire
aux affaires de l'Europe , & perfonne n'en
parut mécontent. On affûre qu'il s'eft fait
dans la derniere guerre , vers 1746 , une
convention de la même nature entre les
Efpagnols & les Anglois , fur quelque
branche de Commerce qui intéreffoit les
deux peuples . Voilà donc une partie de
ce que je propofe , déja réalifée par l'exécu
tion , & qui par conféquent ne doit plus
paroître chimérique.
Mais il y a quelque chofe de plus fort
dans le Traité de Commerce , publié dans
les Gazettes vers la mi-Janvier 1749 , &
conclu depuis peu entre le Roi de Dannemarck
& le Roi des Deux Siciles . Il
eft dit , entr'autres articles , qu'an cas de
guerre entre les Puiffances contractantes ,
Les Sujets auront deux ans pour arranger
leurs affaires , & retirer leurs effets de part
& d'autre , fans pouvoir être inquiétés ,
&c. Ce qui eft une convention inouie , &
'La Neutralité a été auſſi fidélement obſervée
dans la derniere guerre , entre le Pays de Luxem
bourg le Pays Meffin .
Cij
52 MERCURE DE FRANCE.
qui va bien au-delà de mes propofitions ,
puifque ces Princes , dans le cas d'une
guerre ouverte entr'eux , affûrent dès - lors
aux Négocians deux années ențieres d'une
correfpondance libre & facile dans leurs
Etats refpectifs , pour ménager les inté
rêts d'un Commerce réciproque entre
leurs Sujets , au lieu que je ne demande
ici que. de ne pas autorifer les particuliers
à faire les uns fur les autres le métier de
Corfaires. Ainfi plus nous avançons , plus
la raifon & l'humanité gagnent de terrein ,
& plus nous avons lieu d'efperer qu'un
jour le Commerce maritime ne fera plus interrompu
par la guerre. Je ne doute pas enfin
, que fi les deux Princes, qui ont fait un
Traité fi fage & fi favorable au Commerce,
avoient eu connoiffance de la propofition
énoncée dans ce Mémoire , ils ne l'euffent
admife en fon entier , & qu'ils n'en euffent
fait un des principaux articles de leur
Concordat.
Quoiqu'il en foit , ne vantons point ici
les grands fuccès de nos Armateurs ; ce
font tout au plus quelques fortunes particulieres
qui ne fçauroient compenfer la
perte & la défolation publique , & il n'eft
pas douteux que la navigation, rendue fûre
& facile, ne fût infiniment plus fructueule.
Le Commerce libre & pailible eft propre
JUILLET . 1749. 53
ment une pluie douce & continue qui
humecte , qui pénétre & qui fertilife les
terres ; au lieu que les pirateries & les
pillages de toute efpéce ne peuvent être
comparés qu'à des inondations ruineufes ,
qui loin d'améliorer un terroir , ne font le
plus fouvent que le dégraiffer & le ravager
; raifonnement dont les Etats Belligerens
doivent bien reconnoître aujourd'hui
la vérité . En effet , fi les Anglois nous ont
caufé du dommage fur mer , nous les avons
aufli défolés en cent occafions , & nous
avons fait fur eux une grande quantité de
prifes , de forte que ce qu'il y a de plus
exact & de plus vrai fur cela , c'eft qu'on
s'eft fait de part & d'autre beaucoup de mal
en pure perte.
Rien donc de plus utile aux Nations
commerçantes & à leurs Colonies , que de
procurer la fûreté des mers. Ce feroit-li
une convention de plus à joindre au dernier
Traité de Paix , & il me femble que
les Protecteurs de notre Commerce , &
les principaux Agens de notre Compagnie,
devroient s'employer de leur mieux pour
parvenir à ce grand but , & pour épargner
à la postérité les pertes inexprimables qui
s'enfuivent de tant de pirateries avouées
des Puiffances.
Au refte , c'eft dans un tems de calme ,
c iij
54 MERCURE DE FRANCE .
comme celui -ci , que l'on doit fonger å
de tels arrangemens , qui font d'ordinaire
impraticables dans le cas d'une guerre actuelle
ou prochaine . Les efprits , divifés
pour lors par de grands intérêts , ne fe
prêtent pas volontiers à la conciliation .
C'eft pourquoi il faut s'y prendre de bonne
heure , faifir habilement les conjonctures
les plus propres pour faire agréer de
telles propofitions , & pour cimenter d'avance
, autant qu'il eft poffible , un Concordat
fi favorable à tous les Etats commerçans
.
Au furplus , je ne cherche point ici l'avantage
d'une Nation feule , je parle comme
Citoyen de l'univers. Egalement François
, Efpagnol , Anglois ou Hollandois
tous les intérêts des hommes me font chers .
J'envifage le bien de tous les peuples , &
c'eft-là le vrai motif qui me détermine à
préfenter ce Mémoire , dans la pensée
qu'on n'y trouvera rien qui foir dangereux
ou chimérique.
Par M, Faiguet.
A Paris , le 12 Avril 1749.
JUILLET . 1749. 55
***
EPITRE
De M. Racine , fur l'abus que les Poëtes font
de la Poëfie , à M. de Valincourt , traduite
en Latin par M. Heerkens.
F Ruftrà me patrio vatem decorare co: hurno ,
Care VALINCERI , ſatagunt fine fine ſoda'es ;
Fruftrà hederas laurumque mihi gens improba
fpondet.
Te fequor , & vanis claudens monitoribus aurem ,
Corneliique parum rivalibus invida , vitat
Vanum Mufa decus , cujufque aliquando pigeret .
Nam pridem fcelere & quorumdan turpibus aufis
Infecta eft miferè cafta & generofa Poëfis ,
Ars ortu tam pura , Deûm quam laudibus olim
Addixti , pia Relligio , rebufque facratis .
Tu Dea , tu mater Phoebi , Phoebique fororum ,
Per te hominum mens acta , modos & carminis
artem
Plectrique & Cytharæ cognovit amabilis ufum.
Primùm Hebræus homo numeris includere vocem
Aufus erat , fuperifque fimul cantavit , & aris .
Duxerat Ifacides Ægypti immitibus arvis ,
Nube viris monftrante viam ; venientibus æquor
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
Ceffit, & infanas fecludere debuit undas ,
Tranfitus ut populo felix fauftufque daretur .
At fluctu revocato iterum , res mira , fequentes
Merfit Niliacos , fævique Pharaonis agnien.
Dux profugum Moyfes facro tum percitus oestro
Incinuit , gratefque piâ Dîs egit avenâ ,
Scilicet id fcribens quod adhuc legit & colit orbis .
Omnibus in terris modus idem patribus , idem
Gentibus incultis ferè conftitit ; Ethnicus aris
Suppliciter pendebat Epos , odamque , vel hym
num ,
Dîs ubi pro quodam deberet munere grates.
Horreaque auricoma fi meffe replêrat arator ,
Farra dabat fuperis , numerifque agreftia certis
Verba canebat ovans , fudorum atque immemor
æftus.
Ufque adeo purâ facra ars ab origine venit !
Quis verò , quis ab innocui caftique parentis
Ore habituque queat fobolem dignofcere ? Quam
non
Ah ! quam non aliena illa eft oblitaque ftirpis !
Quippe procax vulgoque nimis ftudiofa placere
Illicitis vaga matre procul fe credidit ulnis.
Protinus & male fuada , probâque à virgine lena
Evafit , tenerofque aufa eft corrumpere mores.
Mæonides primùm , fingendi callidus , orbi
Dum fatagit fuperos , fuperumque oftendere
vitam
,
JUILLET. 57
.
1749.
Impofuit facili cupidis mortalibus arte.
Heu pictor quam falfus , ab ægro & mentis onufta
Terrigenâ menfus cæleftes ! Mæchus , iniquus ,
Perfidus eft illi , cerebrofus & æger olympo
Jupiter omnipotens , metuendique arbiter ignis.
Ille etiam inceftus , Paphiæque libidinis artes
Arcanas cecinit , lenamque à numine fecit.
Denique fpirabat quos improba Lefbis amores
Illius ex fcriptis duxiffe videtur ,ut inde
Et laudes vini vinoſus Anacreon haufit .
Palladiæ nunquam , licet urbs popularis , Athenæ
Infringi videre fuis , carpive Theatris
Jura verecundi majeftatemque cothurni.
Duriciem propter dominarum atque afpera verba
Quis gemere heroes ibi vidit fyrmate longo ?
Quis ? Quis Melpomenem male frivola dicere
fecit ,
Languidulamque illic , & plenam oftendit amore?
Affectus , fævofque humani pectoris æftus
Infauftos Sophocles exponit , ut inde doceret.
Edipus , invitò fceleratus , criminis offert
Horrorem , lachrymafque ciet fpectantibus unà.
Oppreffofque chorus dum confolatur & offert ,
Juftus ovat , trepidantque rei , virtufque lucratur.
Ufa minus rectè locco fuit Attica , falfum
Juvit Ariftophanem ringente forore Thalia :
Ut labuit , quemcunque maligno ludere verfu
Suetus erat ; Socrateſque acris fiftidia mufæ
Cy
58 MERCURE DE FRANCE.
Sæpe tulit ; quin nulla Deos fatis ara tegebat
Illius à fannis ; ridebat & ufque theatro
Plebs populufque Jovem , cui publica templa
ftruebant .
Roma fuperba leves Græcorum difcere mores ,
Et victæ quafi jura fequi , præceptaque gentis
Non dubitavit ; iners & inermis ferva ferocem
Illecebris dominam , mufarumque arte revinxit.
Sic didicit molles tener ille Tibullus amores ,
Deliciafque fuas noctefque referre Catullus .
Sic Nafo fua furta , atque artem fcripfit amandi ,
Artem , jam nimis ; ah ! facilem difcentibus ante.
Quid Flaccus ? male qui mifcendo facra profanis
Præcipit & corrumpit , honeftus & improbus idem.
Nec melior Juvenalis , atro qui percitus cftro
Et nimius plerumque , nefanda procaciter edit.
Pejus & hoc multò refonabat Bilbilis illic
Extundat Veneri Petroni mufa pudorem ,
Denique lauricomis referebat Roma Poëtis ,
Cæfareis quidquid peccatum viderat aulis .
At Venus & Veneris tunc templa merebat
adulter ;
Mortales fcelus hoc divorum exempla docebant.
Excufanda ferè tunc vatum infania , crimen
Non magè crimen erat , cum defiit effe videri.
Nos verò docti meliora , quid obfecro larvæ
* Martialis
JUILLET
.
59
F749.
Stultitiæ fimili prætendimus ? Ufque patramus
Romuleis pejora , malis pejora Pelafgis.
Cur non egregium vates genus ardua famæ
Tradimus , aut vulgo prodeffe decenter amamus ?
Ah ! meritò res flenda ! probrum ! queis finxerat
æther
Corda luto meliore , placet turpiffimus error !
Noftra quidem infecit nondum hactenus ora
cothurnus
Turpibus exemplis , fed inerti invitus amori
Jam didicit fervire ; indutaque fyrmate longo
Gallica Melpomene , gemitus & amantia verba
Molliter & teneras vifa effutire querelas .
Fertur ad hæc fpectator , hiat , totoque movetur
Pectore , peftiferumque imis bibit offibus ignem
Infelix : tantum nugæ & vox mellea pollent !
Immunes animos fervemus , libera quovis
Colla jugo , culpâque alios oneraffe putemus ;
Aut pereant potius lyra , carmen , & omnia Phoebi.
Majeſtas , ſocii , majeſtas debita mufis
Reddatur ; Superis & Relligionis honori
Cantemus , plenâque Deo libemus acerrâ.
Rari equidem tali auſpicio placuêre poëtæ ,
Chrifticolæque movent faftidia fæpè Camoenæ,
At non materiæ vitium hoc : præfertilis illa :
Culpa eft fcriptorum non æqua fubinde canentum
Sunt qui ætate graves , & onufti tempora
canis
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Incipiunt primùm fua plectra impendere Divis ,
Cum foedè , donec viridis permiferat ætas ,
Per fordes coenumque volutavêre Camoenam .
Qui Phædram exponens furiofam in fyrmate
fletam ,
Elicuit patrio , poft ſcenâ ſanctiùs ufus
Pifulis ac infantis ope admirabilis aulæ
Extitit , & gravidus lauris fic defit , ante
Quam vires fenium quoque fregerat , atraque
mortis
Proximitas aviis impleflet corda Poëtæ.
Scilicet interdum tumuli vicinia pravi
Corrigit ingenium , lachefique propinqua fenectus
Flectat Aretinum . Luduntur imagine falsâ
Corda humana diu , fed fato inftante rece·lunt
Mendaces tenebræ , verumque falubre refulget.
Tum piget, & cytharam nollent tetigiffe ,lyramque,
Quodque ævi fupereft , fatagunt impendere coelo ,
Sifuperos placare queant , & vindicis orci
Effugerent tormenta , & feri hi fæpe dolores ,
Seri ! nec veniæ locus infelicibus : eheu !
Profpiciat fibi quifque , Beatus ! qui mala tanta
Prævenit , & feri faftidia prævidet ævi ,
Vitamque incipiat , velit ut fapientior actam.
Grata igitur mihi fcena licet , placeatque theatri
Sæpè fuperbus honor ; metuendum , ne levis olim
JUILLET. 61 1749.
Pæniteat coepti : damnaffe , quod ordiar , odi ,
Nec laurum aut hederas lachrymis aliquando
piandas
Ambitiofus emo ; facris mea dedico , facris ,
Nomaque carus erit nato pater : ô ubi dignè
Illius exemplis infiftere , feflus & ævo
Foffem aris mea plectra , tholoque affigere
Divům !
洗洗洗洗洗淡淡洗洗洗洗洗洗:洗浴
LET TRE
De M. l'Abbé Pican! t de la Rimbertiere ,
à M. de *** , fur la pétrification des coquillages
appellés la Telline ou le Flion ,
& de ceux àpeu près de la même efpéce.
A nature , Monfieur , eft un tableau
ment jetter les yeux : tout y eft grand &
admirable. Les chofes mêmes qui nous -
paroiffent les plus fimples en apparence ,
réfléchies & méditées avec une férieufe
attention , ſouvent donnent à l'efprit une
connoiffance plus parfaite & plus diftincte
, que ne produiroit peut-être la lecture
d'un grand nombre de Philofophes . C'eſt
l'obfervation particuliere que je fis , Monfieur
, il y a quelques jours , à l'occafion
62 MERCURE DE FRANCE .
d'un coquillage que le hazard me procura.
D'abord, il n'y avoit rien à l'extérieur, qui
femblât mériter l'occupation d'un curieux.
On n'y voyoit fimplement qu'une pierre
en forme de caillou , de huit à neuf lignes
d'épaiffeur , fur environ un pouce & demi
de largeur , & autant de longueur . Mais
lorfque par un coup violent on eut féparé
cette pierre par moitié , ce fut en
ce moment , qu'on apperçut ce coquillage
reffemblant affez à ceux qu'on nomme
communément la telline ou le fion. Il fe
trouvoit maftiqué d'un côté dans la pierre,
& dans l'autre partie on y découvroit
très diftinctement fon empreinte. Quoique
dans un terrein fort élevé & à plus
de cent lieues de la mer , je ne fus point
furpris de l'y trouver . Je fçais , avec le plus
grand nombre de ceux qui ont traité ces
matieres , & furtout avec le célébre Auteur
du Spectacle de la Nature , qu'on en
trouve abondamment de tous côtés jufques
fur le fommet des plus hautes montagnes
, & fouvent des poiffons entierement
pétrifiés ; le déluge univerfel , comme
nous n'en pouvons douter , en eft la
véritable caufe : Opertique funt , dit l'Ecriture
, omnes montes excelfi fub univerfo coelo.
Quindecim cubitis altior fuit aqua fuper montes
quos operuerat. Genef. 7. v. 19. & 20,
1
JUILLET . 1749. 64
Point de texte qui en démontre mieux la
vérité. Car , de bonne foi , ne feroit - ce
pas donner dans l'abfurdité la plus affreufe
, que de penfer avec un Auteur * , qui
tout nouvellement vient de paroître fur
la fcéne , que l'effet de cette merveille
provient de ce que tous les terreins dont
notre Globe eft compofé , & même les plus
hautes montagnes , ont été formés & pétris
dans le fein de la mer & que fes
eaux diminuant , comme elles diminuent
tous les jours , laiffent après elles ces veftiges
? J'aurois prefque autant aimé , pour
rendre raifon de ces efpéces de pétrifications
, admettre le déluge , dont Ovide fait
fi ingénieufement la defcription : j'y trouverois
quelque chofe de moins ridicule.
Jamque mare & tellus nullum difcrimen habebant,
Omnia pontus erant , deerant quoque littora ponte.
Lib. 1. Metam . c. 10 .
Mais pour revenir à ce dont il s'agit , &
furtout pour répondre à la queftion que
vous me fîtes , pourquoi l'on trouvoit
tant de pierres ou cailloux , fur lesquels.
on remarquoit une ou plufieurs empreintes
de coquillage , je vous dirai tout na>
turellement que je penfe que cela vient
* Talliamed.
64 MERCURE DE FRANCE.
de ce que les fucs lapidifiques pénétrent
plus difficilement le deffus que l'intérieur
des coquillages en général , & je trouve
deux raifons qui paroiffent appuyer mon
fentiment La premiere eft leur conca- ,
vité , qui formant par elle-même comme
un réfervoir , donne aux fucs lapidifiques
un moyen de s'y attacher plus aifément :
la feconde eft , que dans l'intérieur des
coquillages , il peut fe trouver de certaines
matieres glaireufes, qui jointes aux premieres
, fervent à leur donner cette apparence
de pétrification que j'ai remarquée
en plufieurs , & en celui dont il eft queftion
. Il n'en eft pas ainfi de ces fucs qui
couvrent le deffus . Ne trouvant pas un
femblable avantage , ils ne fe lient à cux
que foiblement , & ils s'en détachent peu à
peu ou tout à coup , foit par quelques rudes
froiffemens , foit même , ce qui eft le plus
ordinaire
, par la trop grande rigueur d'un
hyver. Vous ne devez donc pas être furpris
, Monfieur , d'en trouver fi fréquemment.
Il eft bon auffi que vous remarquicz
qu'il arrive quelquefois qu'il ne s'en détache
que quelque partie , ce qui fait
qu'on voit quantité de ces cailloux repréfentans
des empreintes imparfaites. Je ne
fçais trop fi vous ferez fatisfait de cette folution
; au moins , puis-je me flatter , que
JUILLET. 1749. 65
vous le ferez de mon zéle à vous faire
connoître combien je fuis , &c,
A Orleans , ce 28 Mai 1749.
CICICICI CAND OFCDCECENTRA
LE TRIOMPHE DE L'AMOUR
ET DE LA BEAUTE'.
CANTATE.
ALeandre &Palemon, bergers du même lieu ,
Se difoient tour à tour dans un doux tête à tête ,
Leurs penfers differens fur le compte du Dieu
Par qui l'on voit unir le Sceptre & la houlette .
L'Amour eft , felon l'un des deux ,
Maître abfolu de la victoire ;
Rien ne peut arrêter ſa gloire ;
Tout cede à l'ardeur de fes feux.
fierté ,
Raifon , devoir , & vous ,
Que vous avez de foibles armes
Pour nous garantir de ſes charmes ,
Et fauver notre liberté !
L'Amour eft , felon l'un des deux ,
Maître abfolu de la victoire ;
Rien ne peut arrêter la gloire ;
66 MERCURE DEFRANCE.
Tout céde à l'ardeur de fes feux.
C'étoit le fentiment d'Alcandre
Qui de Philis adoroit les appas ;
Palémon , encore peu tendre ,
Dédaignoit un vainqueur qu'il ne connoiffoit pas.
On ne peut dans l'indifference
Juger du pouvoir de l'Amour ,
Mais il eſt à craindre qu'un jour
On n'en faffe l'expérience.
'Amphitrite brûle dans l'onde ,
Pluton dans le fond des Enfers.
On ne doit point braver les fers
De qui fubjugue tout le monde.
On ne peut dans l'indifference
Juger du pouvoir de l'Amour ,
Mais il eft à craindre qu'un jour
On n'en faffe l'expérience.
L'indifcret Palemon du plus puiffant des Dieux
S'obftinoit à parler en jeune audacieux ,
Quand , d'un autre hameau , la plus grande merveille
,
Life , cette beauté qui n'a point de pareille ,
Pour la premiere fois fe préſente à les yeux.
JUILLE T. 1749. 67
Que devient le berger Il s'étonne , il admire,;
Interdit , confus , il foupire ;
Son coeur veut réſiſter , vain projet ! vains efforts !
Ce qu'il voit cauſe fa défaite ,
Et d'une paffion parfaite
Il fent au même inftant les plus ardens tranſports.
Triomphez , bergeres aimables ;
Brillez , regnez toujours fur nous ;
´En vain veut-on parer vos coups ,
Vous en portez d'inévitables.
Il n'eft point de coeur infenfible ,
Le plus froid peut être enflammé.
Diane & Bachus ont aimé ,
La beauté trouve tout poffible.
Triomphez , bergeres aimables ;
Brillez , regnez toujours fur nous
En vain veut - on parer vos coups ;
Vous en portez d'inévitables .
Par M. L... B ... C ... de Montpellier.
AIR.
E Pris d'une flame fincére ,
Je fens que des plaifirs l'amour eft le plus douz
68 MERCURE DE FRANCE .
Mais fi j'en fuis fi fort jaloux ,
Qu'à tout autre je le préfere ;
Belle Liris , c'eft que j'efpere ,
De le partager avec vous.
Par le même.
LETTRE
A M. Remond de Sainte Albine,
M
Onfieur , vous engagez par vos exhortations
les amateurs de la Littérature
à vous communiquer les piéces fugitives
dignes d'être confervées , j'efpere
que vous ne défaprouverez pas la liberté
que je prens de vous prier d'inférer dans
le Mercure la Lettre ci-jointe . Elle renferme
une Anecdote qui intéreſſe l'hiſtoire
Littéraire , & dont on n'a pas connoiffance
; elle mérite , je crois , d'ètre
publiée. Cette Lettre eft écrite par un
Sçavant de cette Province , très verfé dans
l'érudition ancienne & moderne , à un
de fes amis , qui étoit alors à Straſbourg,&
qui eft mort depuis un an ; je vous envoye
la Lettre en original , telle que je l'ai
trouvée avec plufieurs autres dans le porJUILLET.
1749. 69
te-feuille du défunt . J'ai l'honneur d'ê
fre , & c,
De S .... Docteur en Droit , & c
De Nancy , le 13 Mai 1749 .
E fuis très -Alatté , Monfieur , des marques
d'eftime & d'affection que vous
me renouvellez dans les circonftances où je
me trouve. Pouvois je être plus agréablement
furpris que de trouver à mon retour
de Paris une lettre de votre part ? Quelle
douce confolation pour moi d'être affûré
que je n'ai pas perdu un ami fi digne de
mon attachement !
Je voudrois pouvoir vous fatisfaire
préfent fur les differentes queftions que
vous me faites, mais comptez que je ne négligerai
rien pour vous donner les éclairciffemens
que vous fouhaitez .
Je fuis charmé que vous goûtiez mon
travail fur les Ecrivains Lorrains . Le titre
de Bibliothéque Lorraine me paroît lui convenir
le mieux . Les matériaux que j'ai déja
aflemblés , pourroient faire trois volumes
in-12 ; mon intention n'eft pas cependant
d'en rien publier fitôt . Verum atque de
cens curo & rogo , & omnis in hocfum.
L'ouvrage de François de Rafieres , fug
70
MERCURE DE FRANCE
lequel vous êtes fi curieux de fçavoir mon
fentiment , eft aujourd'hui fort rare. Il eſt
intitulé , STEMMATUM LOTHARINGIE
AC BARRI DUCUM TOMI
SEPTEM. Ab Antenore , Trojanarum reliquiarum
ad paludes moeotidas Rege , ad bec
ufque Illuftriffimi & Sereniffimi Caroli 111.
Ducis Lotharingia tempora. In quibus præterea
habes totius orbis nobiliorum familiarum ,
ac rerum ubique gentium præclarè geftarum à
fupremis Pontificibus , Imperatoribus Orientis
& Occidentis , Regibus , Ducibus , Comitibus
, etiam Turcis & Barbaris , perutile
compendium , mirabile Theatrum , & ad vivum
ex felectiffimis & graviſſimis quibufque
Chronographis hiftoriarum effe poffit . Autore
Francifco DE ROSIERES , Nobili & P.1-
tricio Barroducao , Archidiacono Tullenfi.
Parifiis , apud Guillelmum Chaudiere , viâ
Jacobea , fub figno temporis & hominis filveftris
, 1580 , cum Privilegio Regie Majef
tatis.
Ce titre n'eft-il pas une analyſe ?
L'anecdote que je vais vous communiquer
me difpenfera de vous en faire une
plus étendue. La voici telle que je l'ai copiée
fur l'exemplaire de M. Bayon , homme
de mérite , Avocat à la Cour Souveraine
de Lorraine. Elle eft écrite de la main
de Jerome Luillier , Maître des RéquêJUILLET.
1749 71
tes & Procureur Général à la Chambre des
Comptes de Paris , à qui cet exemplaire
appartenoit en 1606.
» Pour ce que cette Hiftoire ( dit ce Pro-
» cureur Général ) n'eft pas écrite au vrai
» & fans pailion , & qu'il y a beaucoup de
» chofes fauffes & au deshonneur & defa-
» vantage du Roi Henri III . & de la
» France , j'ai voulu en avertir le Lecteur ,
» enſemble de la confeffion & reconnoif-
» fance qu'en fit l'Auteur au Confeil du
n Roi en l'an 1583 , le xxvi Avril , dont
» a été dreffé Procès verbal par le fieur
» Brulart , lors Secretaire d'Etat de Sa Majeſté
, qui eft au Greffe du Parlement .
» Voici les paroles que l'Auteur dit au
» Confeil , en préfence du Roi , de la Rei
» ne, fa mere , & plufieurs Princes du Sang
» & autres , Cardinaux & Seigneurs dudit
» Confeil y dénommés .
SIRE , je fupplie très- humblement V o-
TRE MAJEST E' de me pardonner la faute
& offenfe que je reconnois avoir faite , qui
eft telle que fans votre bonté & clemence , je
ferois digne de grande punition pour avoir mal
calomnieufement écrit plufieurs chofes dans
Hiftoire qui a été par moi compofee & publiée
fous mon nom contre l'honneur & gran .
deur de VOTRE MAJESTE' & des Rois
vos prédéceffeurs, & de ce Royaume, & contre
72 MERCURE DE FRANCE.
la vérité de l'Hiftoire . Fen fuis très- marri &
très -déplaifant , & m'en repens , & fuis prêtd'en
recevoir telle condamnation qu'il plaira à
VOTRE MAJESTE' ordonner , & vous fupplie
très-humblement , en l'honneur de Dieu ,
ufer de votre bonté accoûtumée & mifericorde
envers moi,
Signé , DE ROSIERES.
Extrait des originaux,
» Etant de la qualité que je fuis , j'ai dû
» mettre au commencement de cette Hiftoire
cette confeffion & efpece d'amen-
>> de honorable & qui devroit être partout,
» & fans ce devroient être deffendus tels
>> Livres & Hiftoires.
Sed quotus quifque qui decus publicum
curet.
» Hierême Luillier , Confeiller du Roi ,
» Maître des Requêtes ordinaire de l'Hô-
» tel de Sa Majefté , & fon Procureur Général
à Chambre des Comptes 1606 .
Vous recevrez , le premier Ordinaire
un abregé historique de la vie de ce François
de Rofieres , avec la critique que j'ai
faite de fon ouvrage.
Je m'eftimerois heureux de pouvoir
vous témoigner la reconnoiffance , l'attachement
JUILLET. 737 1749.
chement & la confidération avec lesquels
vie. Votre , & c.
je ferai toute ma
L. G. D. E. T. C. C. D. C.
A Nancy , le 30 Août 1747 .
ODE SUR LA PAIX .
T
" >
Par M. Vaniere , neveu dufeu Pere Vaniere,
Féfuite , fi célebre dans la République des
Lettres parfor Poëme du Prædium Rufticum
, des travaux des amuſemens & des
plaifirs de la campagne , diviſé en xxvi
Livres , qui contiennent environ quinze
mille vers Latins , dignes du fiécle d' Augufte.
1749.
Cleux ouvrez - vous : les Dieux propices
Ont replongé dans les Enfers
La Difcorde avec tous les vices
Dont elle fouilloit l'Univers .
O Paix fi long tems defirée !
>
Enfin de la voûte azuiée ...
Mais , pourquoi ces noirs étendards a
Quoi ! la Déeffe de la guerre ,
Ole encore effrayer la terre
Du feu cruel de ſes regards !
2°
D
4
74 . MERCURE DE FRANCE.
Ne redoutons plus ſon empire ;
Tout fon éclat eft éclipfé.
Elle gémit , elle foupire
Loin de fon Trône renversé,
De ce long & cruel orage ,
Qu'a partout fait tonner fa rage ,
Tous les feux font évanouis .
Aux accens de fa voix plaintive 募
Prêtons une oreille attentive :
Elle les adreffe à Louis.
+34
C'eft donc en vain que de mon Trône , 7
Prince , je t'ai crû le foutien'!
Mais le triomphe de Bellone
N'étoit - il pas auffi le tien ?
Quoi ! tandis que nulle barriere
Dans la plus brillante carriere
N'arrête tes pas glorieux ,
Faut -il que d'injuftes limites
Par ta main même foient prefcrites
A des faits admirés des Dieux !
***
Lorſque le Giel vous donne au monde ,
Ce n'eft pas pour un calme vain
Héros fa fageffe profonde
N'éclate jamais fans deffein .
→
JUILLE T. 1749. 75
noms , que je ne puis redire ,
Sans retracer de mon Empire
Un trifte & cruel fouvenir !
Noms éternifés dans nos Temples ! ...
Quels faits encore & quels exemples
Alloient étonner l'avenir !
*3
Vois de ta valeur intrépide
Tes guerriers refpectant les droits ;
Souhaiter que ta foudre guide
Le cours de leurs nouveaux exploits .
Avec cet air & ce courage ,
Dont tu les vis braver l'orage
Que diffipa ton front ferein ,
Tu verras ces ames divines
Partout fur d'illuftres ruines
Montrer ton pouvoir fouverain ."
**
De cette triomphante élite ,
Qui veille au falut de fon Roi ,
Dans les coeurs que ta gloire irrite
Le feul afpect jette l'effroi .
Envain la jalouſe furie
D'une triple Paiflance unie
Ofe balancer tes deſtins ;
Ta troupe les rompt , les , difperfe ,
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Et bientôt avec eux renverſe
Leurs foudres dans leur fang éteints.
******
Tels que jadis ceux de Turenne ,
Sous leurs chefs tes vaillans foldats
Brûlent d'un feu qui les entraîne
Vers les affauts & les combats :
Tous les exploits leur font poffibles :
Les murs les plus inacceffibles
Sont pour eux de foibles remparts.
L'airain tonnant qui les menace ,
N'eft qu'un chemin à leur audace ,
Pour y porter tes étendards.
***
Quel fpectacle donnent au monde
Ces affaillans audacieux ,
Qui fi long- tems bravent dans l'onde.
Les foudres qui tonnent fur eux !
Pourvu que leur bras indomptable
D'un fer ou d'un plomb redoutable
Puiffe diriger les coups fûrs ,
Malgré fon orgueil indocile ,
Ils farceront bientôt l'azile
Du Germain tremblant fur fes murs,
+3x+
Crains - tu que l'horreur ou la haine ,
".
JUILLET.
177
1749.
Qui fuivent les pas des guerriers ,
Ne terniffent de leur haleine .
Le vif éclat de tes lauriers ?
A tous ceux qu'ont foumis tes armes
La victoire offre mille charmes
Dans ton coeur fur eux attendri .
Combats ; mille palmes font prêtes :.
Tu peux étendre tes conquêtes .
Toujours craint , encor plus chéri ,
Si raffafié de la gloire
Des triomphes & des combats ,
Ton coeur néglige la victoire ,
Laiffe ton fils entre fes bras.
Sous tes yeux , fon jeune
courage
A peine a fait l'apprentiſſage
Du noble métier des Héros :
Tout l'éclat , que de fon auror
Fontenoi furpris vit éclore ,"
Va s'éteindré dans le repos.
Je ne veux point rougir fes palmes
Du fang trop cher de tes fujets :
Ses jours triomphans feront calmes ,
Comme des plus beaux jours de paix .
Devant lui , devant tes armées ,
L
Dij
78 MERCURE DE FRANCE.
De ton feu , du en animées ,
Oui , la terreur triomphera :
Et ce qu'elle ne pourra faire
Contre une valeur téméraire ,
LOUIS , ton nom feul le fera.
Que vois- je ! quel bras invincible
Protege les jours des humains ?
Quoi ! Minerve , à leurs voeux fenfible ,
T'arrache la foudre des mains !
Ah ! fans doute cette immortelle
Veut former un parfait modelle
De fes pacifiques vertus ;
Mais fur les traces d'Alexandre ,
Sied -il aux Héros de prétendre
Aux foibles honneurs des Titus a
**
Peut-être en voyant ta fagefle
Triompher dans le coeur des Rois ,
Cette impérieufe Déeffe
Croit m'avoir foumife à fes loix ;
. Mais qu'elle fçache que Bellonne
De la Paix que fa main couronne
Peut renverser tous les Autels ,
Et qu'il me refte des reffources ,
Pour troubler , jufques dans fes fources ;
Lė repos de tous les mortels ,
JUILLET. 1749. 79
Toi , devant qui foible & tremblante
La Paix fuit loin de tous les coeurs ,
Viens de ta flâme dévorante ,
Chere Envie , aider mes fureurs .
Fais qu'une fuperbe rivale
Voye aux triomphes qu'elle étale ,
Succeder de triftes retours.
A tes yeux Bellonne outragée
Doit par toi feule être vengée ;
Ne differe pas tes fecours...
+ x+
Vole , de tous tes feux armée ,
Vers ces Princes trop fatisfaits ,
Dont l'ardeur , envain ranimée ,
S'endort dans les bras de la Paix.
Vas retracer dans leur mémoire
Toute la grandeur & la gloire
Dont brillent aujourd'hui les Lys :
Que leur coeur s'irrite & s'offenſe ,
En avouant la préférence
Que l'Univers donne à LOUIS.
i.
Que tous tes ferpens fur leurs têtes
Soufflent la fureur des combats :
Qu'ils excitent mille tempêtes
Dans les plus tranquilles Etats.
Changeons ces beaux jours pleins de charmes
Di
So MERCURE DE FRANCE.
En des jours d'horreur & d'alarmes :
Que la Paix tombe fous nos coups ,
Et qu'un déluge de victimes
Au fond des ténébreux abîmes
Aille éternifer mon courroux.
***
Aimable Paix , que fur la terre
Rappelle un Roi chéri des Cieux ,
De la Déeffe de la. guerre
Brave les cris féditieux .
Envain fa compagne éternelle ,
L'envie , encore plus cruelle ,
Ira frémir autour des Rois ;
Contre celui qui te protége ,
Que peut fa haine facrilege ?"
Que peut tout l'Enfer à la fois
"
Oui , fi fa gloire trop brillante .
Va des Rois irriter les coeurs
Sa bonté toujours bienfaifante
Y porte auffi fes traits vainqueurs.
Un Monarque , qui rend aimables
Les vertus les plus redoutables , 01 mont
Peut - il faire des ennemis.?
Heureux l'Univers qui l'admire ,
S'il jouiffoit fous fon empire
Des beaux jours qui nous font promis !
JUILLE T. 1749. SI
Mais je veux que l'envie enflamme
Le coeur des plus fiers Potentats ,
Iront -ils , LOUIS , dans ton ame
›
Rallamer la foif des combats ?
Non , non : fûrs du pouvoir fuprême
D'un Roi , qui maître de lui-même ,
Sçait triompher de fa valeur ,
Voudroient - ils éprouver encore
Ce que peut un Héros , qu'adore
Un peuple guerrier & vainqueur ?
炒肉
Eft -il d'affez illuftre titre
Qui puiffe , au gré de nos fouhaits ,
Te peindre , ô fouverain Arbitre
Et de la guerre & de la paix ?
A ta place quel autre Alcide
Eût fixé dans fon cours rapide
Un auffi glorieux deſtin ?
Et fous les plus heureux aufpices ,
Aimé mieux être les délices ,*:
Que la terreur du genre humain ?
Non , non : un choix fi magnanime
N'appartient qu'aux enfans des Dieux ,
Dont la gloire la plus füblime
Seule peut attirer les yeux.
Grand Roi , laiffe au Héros vulgaire ,
Du Dieu que la Thrace révére
D v
3282 MERCURE DE FRANCE
Encenfer les affreux Autels :
Sa fureur ne voit fur la terre
De lauriers , que ceux que la guerre
Arrofe du fang des mortels.
Mais , lorfqu'un noble facrifice
Des triomphes où tu volois ,
Te montre à nos yeux fi propice:
Aux voeux que t'adreffe la Paix.
Tu fçais combien cette victoire
T'éleve au - deffus de la gloire
Des Conquérans les plus fameux ,
Et que les plus brillantes marques:
De la grandeur des vrais Monarques
Sont des fujets toujours heureux.
*3 *+
O Mars loin tes préfens funeftes.
Paix , chere Paix , à pleines mains
Répans fur nous tes dons céleftes
Verfe -les fur tous les humains.
>+
Que des neuf Soeurs la voix s'empreffe ,..
Dans mille concerts d'allégreffe ,
De chanter tes divins attraits !
Quel Roi la trompette & la lyre:
Vont célébrer fous ton Empire !:
Qu'il vive autant que fes bienfaits!:
JUILLET. 1749. 83
ssssssssss 25252525252525
ASSEMBLE' E publique de l'Académiė
Royale des Belles Lettres de la Rochelle
du 23 Avril 1749.
E Pere Valois , Jefuite , Profeffeur
L'Hydrographie , en cette Ville , &
Directeur de l'Académie , ouvrit la féance
par un Difcours fur l'efprit géométrique ,
rélativement à ces paroles de M. de Fontenelle.
L'efprit géométrique n'eft pasfi attaché
à la Géométrie , qu'il n'en puiffe être tiré
& transporté à d'autres connoiffances. On
ouvrage"de morale , de politique , de critique ,
peut-être même d'éloquence , en fera plus
beau.
» Nous connoîtrions mal l'efprit géo-
» métrique , dit l'Auteur , fi nous le bor-
»nions à la jufteffe & à la proportions Ap
profondiffons d'abord ce qui le caracté
>> rife effentiellement , & nous reconnoî-
» trons enfuite, d'un côté, quels avantages
il offre aux Littérateurs , & de l'autre
quels abus fe gliffent quelquefois dans
» l'ufage qu'ils en font ... Il a , entr'autres,
trois caractéres qui font à lui , & qui ne
→font qu'à lui .
29.
» Caractére de clarté & d'étendue : tout
»autre efprit tâche d'embraffer les objets
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
» tout à la fois , & de trancher d'un feul
coup des questions compliquées . Qu'ar-
» rive-il ? La meilleure partie de ce qu'il
» cherche , échappe à fes réflexions , & ce
qu'il tient , il le tient mal ; d'un côté il
»faifit le vrai ; l'erreur fe gliffe par cent
autres ; elle le noye , elle le rend inu-
» tile , quelquefois même elle s'en fert pour
>> s'accréditer.
"L'efprit géométrique décompofe fon
» objet , il prend chaque fil , il le dé-
»brouille , il le fuit jufqu'au bout : fem-
» blable à cet habile Romain qui triompha
» des Curiaces , en les attaquant féparé-
» ment , il fait perdre aux difficultés toute
leur force, en les défuniffant , & c.
39
»
» Où conduit néanmoins la feule clarté
» des penfées ? Avec elle on voit , mais
auprès de foi & à une fi courte diſtance ,
étonnant
qu'il n'eft pas
que la lumière
» ne fe diffipe pas. L'efprit géométrique
» donne une efpéce d'immenfité , en ´accoûtumant
à porter par gradation une
» vûe préciſe fur chaque face d'un même.
» objet.
» Caractére d'attention & de pénétra-
» tion .
و و
L'efprit diftrait ne fait que gliffer fur
»les objets , il n'y entre pas . C'eſt l'attention
qui rend pénétrant , l'attention
JUILLET. 1749 85
"
à chaque branche d'un objet , ou à tous :
» les objets particuliers , renfermés dans
» un objet déja décompofé & fuffiſamment ;
» éclairé……….. Un efprit ouvert aux divers
» rayons que réflechit chaque partie , & .
qui s'eft tenu dans cette Gruation gênan-
» te , éprouve bientôt après le plaifir le
"plus touchant , celui de fentir que la ré-
» folution de chaque fubdivifion entraîne
» enfin la déciſion générale.
"
» Caractére de patience & d'ardeur.
» Avec la feule patience , l'efprit eft inca-
» pable de roidir fon attention ; il n'a pas
» aſſez de nerf , pour jetter un coup d'oeil
»sûr & rapide fur beaucoup d'objets , ou
»fur plufieurs parties du même objet , fans
qu'aucune échappe à fa préciſion & à fa
pénétration. Avec la feule ardeur , il fe
» rebuteroit dans la progreffion meſurée
» de les opérations , & il réuffiroit tout au
plus dans une faillie , dans un effort de
génie , produit par le hazard. L'heureuſe
» trempe pour l'efprit géométrique , c'eſt
»ce mêlange de conftance & de vivacité ,
» que rien ne laffe.
"
"
"
Après avoir développé ces trois caractéres
de l'efprit géométrique , le Pere.
Valois en fit l'application à ces Littérateurs
effentiels & utiles , qui nous rendent
fenfible ce que l'Hiftoire a de cer86
MERCURE DE FRANCE.
tain ; ce que les langues ont de varieté ,
» de délicateffe , d'énergie ; ce que la Religion
a de fublime & d'intéreffant
» dans fes oracles & dans fa morale ; ce
» que l'éloquence & la poëfie ont de for-
» ce , ou de charme ; & infiftant fur ces
deux dernieres parties des Belles Lettres ,
il mit dans tout leur jour les fecours muruels
que fe prêtent à l'envi l'efprit ,
géométrique , qui pofe les fondemens , &
Fefprit littérateur , qui décore l'édifice.
Confidérés féparément , ajouta- t'il ,
» le premier nous fortifieroit aux dépens
» de la Langue, & des graces qui affaifonnent
la raifon ; le fecond nous poliroir
aux dépens de la force & de la folidité .
» S'ils agiffent de concert , l'efprit geomé
trique confirmera dans l'Orateur les
» droits de la raiſon ; il réglera & étendra
» dans le Poëte ceux de l'imagination.
» Accoûtumé de bonne heure à réunir
» avec préciſion , & à appliquer avec proportion
tout ce qui appartient à un
fujet , l'Orateur faifira , fans embarras ,
» tout ce que fa matiere offre d'important,
»>& tout ce qu'elle a de propre dans les
»circonftances : faifant par-là un double
» ufage de la méthode géométrique , il ſe
rendra intéreffant , foit par l'abondance
>>des chofes , foit par le rapport qu'elles
JUILLET. 87 1749.
"
ont avec les perfonnes ; il ira au - delà de
l'éloquence des mots , & tout ce qu'il
» dira fera approprié au goût & aux befoins
de ceux aufquels il parlera .
"
>>>
Mais ce que j'ai avancé touchant le
» Poëte , continue le Pere Valois , ne
» paroîtra-il point tenir du paradoxe -
» Rien n'eft cependant plus vrai ; car s'il
» eft une imagination capricieufe & vaga-
» bonde , qui emporte le Poëte au- delà
» des limites , n'eft - il pas auffi une imagi-
» nation rétive qui l'empêche d'avancer
» Et n'est-ce pas elle qui fouvent borne
» de nos jours le génie du Poëte dramati-
» que , à ce qu'il y a de moins effentiel
» dans la conftitution de fon Poëme ? Son
» imagination fe renferme dans un cercle
trop étroit ; vous le voyez jetter tout
fon feu dans quelques fcénes , dans quelques
portraits ; il s'épuife à verfifier , à
»peindre , à mettre de l'efprit , à fenten-
» cier. Il ne lui refte plus de force pour
» l'ordonnance , pour toute la conduite
» de la piece , pour l'intrigue , parce que
l'efprit géométrique n'a pas forcé l'imagination
à embraffer fon fujet avec tous
» les rapports..
»
"
La derniere partie du difconrs a pour
objet les gens de Lettres qui abufent quelquefois
de l'efprit géométrique , furtout
SS MERCURE DE FRANCE .
>>
23
lorfqu'ils cultivent auffi les fciences.
L'Auteur fait voir , » que s'ils ne fe tien-
" nent pas fur leurs gardes , il les deffèche,
» il les roidit , il les appefantit dans la car-
» riere de l'éloquence , & encore plus dans
» celle de la Poëfie.... Il leur ôte cette
efpéce de foupleffe , ces dehors libres &
» aifés , fi néceffaires au commerce de la
viel, à la politeffe des moeurs , ces manie-
" res aimables , qui rendent tous les coeurs
» comme tributaires .... Il leur donne un
» de ces caractéres infléxibles , qui intro-
» duifent dans les cercles l'efprit de contention
, les chicanes , la maniere de
raifonner dure & algébrique , dont ils
font fi jaloux , parce que leur fageffe ne
» peut fe dégager des chaînes géométri
» ques , felon l'expreffion du lyrique Fran-
» çois ; ils veulent que les autres en parta.
"gent la péfanteur.
»
Le Pere Valois ne pouvoit mieux prouver
l'heureux accord de l'efprit géométrique
avec les Belles Lettres , qu'en jettant
dans fon difcours quelques traits , qui fixerent
les yeux avec complaifance fur deux
perfonnes de l'affemblée * ; il'finit par l'é-
* M. de Pleurre , Intendant , & M. Artus , Maréchal
des Camps & Armées du Roi , Directeur
Général des Fortifications de l'Aunis , & un des
Académiciens titulaires,
•
JUILLET. 1749. S
loge d'un célébre Ecrivain * , dont l'éru-
» dition , le goûr & les talens fupérieurs ,
» donnent depuis plufieurs années un nouvel
éclat à la pourpre Romaine.
39
»
» Verfé dans les Langues fçavantes &
» dans l'Hiftoire , plein de fagacité pour
l'intelligence des Auteurs , connu par
» des ouvrages que l'Europe entiere ne
» ceffe d'admirer , M. le Cardinal Querini
» fait de tems en tems fes délices de la
» Poëfie Françoife , dont il ſe plaît à affo-
» cier les graces à celles de la Poëfie Ita-
»lienne & Latine . Comme fi fon zéle eût
» été trop refferré dans la vaſte enceinte ,
» qui renferme les Livres du Vatican con-
» fiés à fes foins , il a ouvert dans fon Pa
» lais une riche Bibliothèque à tous les
>> amateurs des Lettres , dont il eft le pro-
» tecteur & l'ami .
» A ces titres , Meffieurs , ajoûte le P.
» V. vous ne pourrez manquer de fixer
»fes regards. Il a franchi l'intervalle .
» que fon rang a mis entre vous &
» lui , & il a fouhaité de fe voir affocié à
» vos travaux . Infiniment fenfibles à l'hon-,
" neur que vous fait une adoption auffit
>> glorieuſe , oublierez- vous jamais les exi›
* Son Eminence M. le Cardinal Querini , Eve
que de Breffe , Bibliotéquaire de l'Eglife Romaine,
Affocié honoraire de l'Académie. !!
90 MERCURE DE FRANCE.
"preffions modeftes & les termes de bonté,
» dont il s'eft fervi dans fa Lettre , pour
» vous témoigner fa reconnoiffance ?
» Déformais , Meffieurs , nos Mufes paf-
»feront les Alpes , & il leur fera permis de
» cueillir des fleurs , où notre augufte Pro-
» tecteur vient de cueillir tant de lauriers.
>> Commerce bien flatteur , & bien avanta-
» geux pour nous ! Par une heureufe circu-
» lation nous foumettrons nos effais au ju-
»gement de la Capitale du monde , & à fon
tour elle nous enrichira de fes trésors ; les
» cinq volumes que le fçavant Cardinal a
compofés, & que nous devons à fa liberalité
, en font déja d'heureufes prémices.
Enfuite M. Boutiron Avocat , Chancelier
, lut un Difcours fur la gloire lit
téraire.
Après avoir montré que le defir de la
gloire eft naturel à l'homme , qu'il naît
avec lui , qu'il eft le reffort univerfel qui
met en action fes talens & fes vertus , il
avoue que la véritable gloire , la gloire
brillante , eft le partage des Héros qui pro
diguent leur fang pour la défenfe de la
Patrie : mais il eft, dit-il , une autre forte
de gloire , non moins folide , quoique
moins éclatante , & c'eft celle qu'acquiert
tout Citoyen généreux , qui , à l'exemple de
l'Orateur Romain , confacre utilement fes
t
JUILLET. 1749. 9.1
44
que travaux aubien public ; c'eft auffi celle
mérite tout Artifte qui fe diftingue dans
fon Art. L'homme de Lettres , ajoute t'il ,
feroit-il le feul à qui il ne fût pas permis
de fe livrer à l'attrait de la gloire ? Il eft
vrai que la gloire littéraire eft miſe à un
fi haut prix , que l'éloignement du terme
eft capable d'infpirer du découragement ,
mais les difficultés ne doivent pas rebuter
un efprit qui fçait s'élever , & qui eft fufceptible
de ces fentimens de générosité ,
inféparable de l'amour des Lettres.
Il est donc honnête , même avantageux ,
de fe laiffer enflammer du defir de la gloire
littéraire , mais ce feroit manquer fon but
que de ne pas fe propofer d'autre objet.
L'Auteur entrant dans les preuves de la
premiere partie , commence par la réfutation
d'une Critique de Montaigne , qui
dit , que de toutes les rêveries du monde , la
plus reçue & la plus univerfelle , c'est le foin
de la réputation & de la gloire , que nous
époufons , jufqu'à quitter les richeffes , le repos,
la vie , lafanté , qui font biens affectuels &
fubftantiaux , pour suivre cette vaine image &
cette fimple voix , qui n'a ni corps ni prife.
» Quoi ! dit M. Boutiron , on appellera
»rêverie ce fentiment de l'ame qui eft en
» nous , même malgré nous ? Ce fentiment
a commun à tous les hommes , qui agit
2 MERCURE DE FRANCE.
(
» avec tant de véhemence , qu'il fait facri-
» fier jufqu'aux richeffes , au repos , à la
vie , à la fanté ? Ce font des biens fans
»
doute , mais la réputation & la gloire
»font les biens de l'ame , biens qui l'em-
» portent autant fur les autres par leur ex-
» cellence , qu'il eft vrai de dire que l'ame
eft notre plus noble ſubſtance .
L'Auteur établit enfuite , que fans fortir
des bornes d'une modeftie exacte , &
fans exciter une jufte jaloufie , on peut af--
pirer à la gloire littéraire , en prenant foin
de fe rendre. aimable par l'eftime fincére
qu'on fera des autres , & de leurs talens ...
Car , ajoute-t'il , la gloire littéraire ne
confifte pas dans la bonne opinion qu'on a
de foi-même,quelque fondée qu'elle puiffe
être ; encore moins dans des comparaifons
toujours odieufes en elles - mêmes
mais dans des fuccès avoués généralement...
Et alors il eft permis de fe prêter
à un fentiment également pur , délicat &
Aatteur pour l'amour-propre ; de goûter
cette douce fatisfaction d'avoir fait le bien ,
& de l'avoir fait affez efficacement pour
l'intérêt de la Société.
44
>
Quels efforts un tel efpoir n'eft- il pas
capable d'exciter ? C'eft ainfi que vainqueur
des obftacles , l'homme de Lettres
va fort fouvent beaucoup au- delà de ce
JUILLET.
93. 1749.
19
qu'il auroit pû fe promettre naturellement;
& delà , quels avantages pour le Public ,
pour lui- même ! ...
>> Un Auteur s'eft propofé de nous don
aner une Hiftoire ; il a dans cette vûe fait
toutes les recherches néceffaires pour.
approfondir la vérité des faits ; il les a
difcutés par la Critique la plus judicieufe
. Il a orné fon ftyle de tous les embelliffemens
dont fa matiere étoit fufcepti
» ble. Son Difcours eft nerveux , folide ,
éloquent de l'éloquence convenable au
fujets les fentimens qu'il infpire , font
les fentimens de la probité : il ne parle
des gens vertueux , que d'une maniere à
faire chérir la vertu , & il ne parle des
méchans que pour faire hair & déteſter
le mal : il peint avec tant de force.les.
caractéres & les moeurs , il fait des por-.
» traits fi vifs , fi animés , fi vraiș , qu'on
ne peut s'empêcher , quand on le lit , de
fe remettre au tems dont il nous parle ,
& que notre imagination féduite par les
preftiges de fon art nous repréfente les
objets , non pas comme des chofes dont
on nous fait le récit. , mais comme des
évenemeus qui fe paffent fous nos yeux ,
& avec des perfonnes avec qui nous vivons
& nous converfons,
D
» Le bien qu'a fait un tel Auteur à la
1
94 MERCURE DE FRANCE.
"
fociété , eft- un bien ineftimable ; fes re-
>>cherches remettent fous les yeux un beau
» tableau des faits les plus intéreffans , qui
»feroient demeurés épars , & hors de
» portée : fa Critique nous en garantit la
certitude , ou nous fait toucher , comme
au doigt , les raifons de douter de ceux
» qu'il ne nous a donnés que comme apocryphes
: fon ftyle nous plaît , par
› par les
beautés dont il a eu foin d'orner fon
difcours. Son Livre eft pour nous un
» amuſement gracieux , en même tems qu'il
»eft pour nnoottrree eeffpprriitt une nourriture fo-
» lide , qui l'enrichit des plus belles con-
وو
noiffances : il nous a portés à la vertu
» & nous'a détournés du mal , par les fen-
» timens qu'il a exprimés : ces fentimens
»font devenus les nôtres , & il nous fem-
» ble que dès- lors nous entrons en part
» avec lui du fruit de fes travaux.
«Un autre a mefuré les fiécles . Dans
»un difcours de quelques heures de lec-
»ture , il embraffe tous les âges du monde,
>>& il nous peint tous les évenemens avec
» un pinceau fi vif , fi fin & fi délicát ,
>> qu'il nous femble , en le lifant, que nous
»les voyons tous fans mêlange , fans con-
» fufion & fans aucun nuage. Sans perdre
» un moment le fil de fa narration , qui fe
fuit avec bien plus de rapidité que les
JUILLET. 1749. 95
inftans ne paffent , il ne nous permet
» pas en même tems de perdre de vûe la
main adorable de celui qui conduit tout
Ȉ fes fins , avec autant de douceur que de
» force. Il nous donne l'Hiftoire de l'Univers
, & il nous oblige de conclure
» avec lui, que tous les grands évenemens,
qui ont rempli la fcéne , n'ont eu d'autre
» but que de préparer les voies à celui
qui il a fait les fiécles .
"
""
"
»
par
Dans la feconde partie M. Boutiron fait
voir , combien s'abufent ceux qui dans la
carriere des Lettres ne cherchent qu'à
briller , à plaire , en un mot qu'à acquérir
une vaine réputation d'homme d'efprit.
» Celui , dit-il , qui ne veut que plaire ,
réuffit ordinairement très- mal ..... De
même ceux qui ne veulent que faire rire,
» ne manquent gueres de glacer les fens ,
» & d'exciter contre eux une fecrerte in-
» dignation ; ils prétendent qu'on paye
>> d'un mouvement de l'ame , qui n'eſt que
» l'effet d'une agréable furpriſe , les atten-
» tions qu'ils fe donnent , & qu'ils avertiffent
qu'ils fe donnent pour le caufer,
» Ilen eft de la gloire littéraire , par rap-
» port aux ouvrages d'efprit , à peu près
comme des alimens, par rapport au corps.
Les alimens nous font le plaifir le plus
»fenfible , mais c'eft un plaifir dont les
96 MERCURE DE FRANCE.
3
:
honnêtes gens ne s'apperçoivent pas en
quelque forte. Trop le goûter , c'eſt
» savilir , c'eft fe dégrader de même ſe
voir avec trop de complaifance dans des
ouvrages d'efprit , n'avoir d'autre objet
» que celui de fe faire un nom , c'est le
»montrer indigne de la gloire littéraire ;
c'eft en décheoir. Celui qui y afpire &
qui peut fe promettre un heureux fuccès
, c'eft celui qui avec des talens audeffus
du commun , & avec affez de
» conftance pour triompher des obftacles ,
fe propofe une fin plus noble & plus re-
» levée que cette gloire même.
C
3
n
99
» C'est celui , qui traitant un fujet de mo
rale avec toutes les graces dont il peut
être fufceptible , fe propofe pour but de
régler & de réformer les moeurs .......
» Ainfi les Bourdalouës , les Fenelons , les
» Fléchiers , font parvenus à fe faire dụ
» monde entier un peuple d'admirateurs ;
ils ne cherchoient pas la gloire , elle eſt
venue au-devant d'eux .
" C'est encore ce Phyficien.attentif, qui
» par fon étude , par fon application , par
fes recherches approfondies , par fa fagacité
, nous dévoile la nature , non en
» formant orgueilleufement quelques nou-
»veaux fyftêmes , dignes de trouver place
parmi ceux des Philofophes aveugles ,
mais
JUILLET. 1749. 97
» mais en confidérant avec fimplicité les
objets féparément , & en nous y faifant
» obferver des beautés qu'il fembloit que
» la nature eût voulu tenir toujours ca-
»> chées , & qu'elle n'a revelées qu'à lui
" feal.
Dans tous les genres enfin , l'Auteur
veut qu'on ait en vûe plutôt l'inftruction
& l'utilité publique , que l'envie de paroître
& de fe diftinguer ; à ce prix il promet
aux talens une portion de gloire qui ne
leur ferá pas ravie , pourvû que les Ecrivains
ne s'en prévalent pas , & qu'ils ne
faffent pas d'eux-mêmes , avec autrui , des
paralleles humilians , & c .
Après ces deux Difcours , M. Thilorier
lut une Ode, du Pere Lombart , Affocié de
l'Académie , fur le retour des Arts en Italie
après la prife de Conftantinople , &
une Requête en vers de M. de Bologne
aufli Affocié de l'Académie , à M. l'inten
dant de Limoges .
Voici quelques ftrophes de l'Ode.
Le Goût revoit ces lieux , autrefois fon Empire ;
E
Dans une nuit obfcure il découvre la lyre
Qui fous les doigts d'Horace annoblit tous fes
fons i
E
98 MERCURE DEFRANCE .
Et ce Dien la plaçant fur un throne de roſe ,
Soudainement écloſe ,
Elle parle , dit- il , écoutez mes leçons,
+X +
Il cherche ces objets , qu'à la vie enchantée
Offrirent le Cifeau , rival de Promethée ,
Les bronzes attendris , les marbres animés ;
Du fauvage Alaric il querelle les armes ,
Et baigne de fes larmes
La terre qui les tient dans fon flanc enfermés .
炒菜
Artiftes , puiffiez - vous , formés fur ces modéles,
Préferer leur éclat aux vaines étincelles ,
Et fixer parmi nous le fimple , ami du beau !
Un goût pervers fuccéde au Gépide , au Vandale ;
Et fa licence fatale .
Peut replonger les Arts dans la nuit du tombeau.
La Requête eft dans le ftyle qui convient
au fujet , & peut plaire par le tour que
l'Auteur y a donné.
ONcroit penfer avec raiſon ;
Que le terroir du nouveau monde
Faifant germer l'or à foifon ,
Partant j'ai dû dans ma maiſon
En rapporter bourfe fort ronde.
*
JUILLET
. 1749.
On m'a joué le tour malin
Sur une idée auffi folette
De me taxer comme un Dupin,
Sans égard au nom de Poëte ,
Et de Poëte du Dauphin .
Dans un district comme le vôtre ,
On ose me vexer contre toutes les loix ,
Moi , qu'on a vu d'un pôle à l'autre
Par des accords chéris des Rois ,
Porter la gloire & les exploits
D'un Conquérant , tel que le nôtre.
D'ailleurs , fi les Répartiteurs
Avoient eû quelque connoiffance
Des ûs du Pinde & de nos moeurs
Ils auroient fçû que les Rimeurs
Ne font gens à groffe chévance :
Ils auroient vû que de tout tems
( S'ils avoient un peu lû l'Hiftoire )
Belles , Monarques , Intendans ,
Se font toujours fair une gloire
D'accueillir les doctes enfans
De la Déelle de Mémoire, "
Ce mûrement confidéré ;
Miniftre équitable , éclairé ,
Il vous plaira de faire fête
A ma légitime Requête ,
E ij
TOO MERCURE DE FRANCE,
Et de régler modiquement
Le malhonnête compliment ,
Que d'un air doux & débonnaire
Les Receveurs me viennent faire,
De ces gens-là , fi j'ai raifon ,
Comme pouvez faire fans peine ,
Par de beaux vers de la façon
D'une mufette amériquaine ,
Vous verrez votre illuftre non
Balancer celui de Mécéne
Dans les archives d'Apollon.
La féance fut terminée par un Difcours
de M. Boutiron , fils , Avocat , Académi
cien nouvellement élû.
Le fujet de ce Difcours eft , que les connoiffances
de l'homme font proportionnées
à fes befoins .
1
"
L'Auteur commence par remarquer que
'efprit de l'homme eft tout à la fois , remli
de lumieres & de ténébres : » Intelligence
vafte , dit-il , il porte quelquefois
"fon yol fi haut , que dans l'éloignement
où il fe trouve placé , à peine peut- il être
apperçu , tandis que fur d'autres fujets
» refferré dans le cercle le plus étroit , il ne
comprend pas ce qui l'environne.
» C'eft de- là que certains Philofophes
ont pris prétexte de dire qu'il falloit
JUILLET. ΤΟΙ 1749%
» douter de tout ; & d'autres , de rabaiffer
» l'homme & d'infulter àfon 'Auteur : c'eft
» la réfutation de ce fentiment & de ces
» plaintes que ce Difcours a pour objet.
C
» N'y a-t'il de bon , dit M. B. que ce qui
eft parfait ? Ce ne font pås des biens im-
» menfes qui font le bonheur du fage :
» celui qui en a affez pour fournir à un
» honnête néceffaire , doit trouver le refte
» dans la modération de fes defirs . L'envie
»de fçavoir , femblable à l'avarice , ne diroit
peut-être jamais , c'eft affez ; mais
la fageffe n'en doit pas accepter avec
moins de gratitude le préfent de connoiffances
que la nature nous fait , fi
» tout borné qu'il eft , il fuffit à nos be-
≫ foins.
33
Pour prouver que nos connoiffances
font en effet fuffifantes, il préfente d'abord
une raifon générale , qui eft , que tout eft
exactement proportionné dans la nature ;
que de tous les animaux qui diverfifient fi
agréablement le fpectacle de l'univers , il
n'en eft aucun , qui n'ait reçû , felon ſa differente
espéce , tout ce qui eft néceſſaire
à fa deftination.
Ne feroit- ce donc , reprend- t'il , que
pour l'homme que la nature auroit été
avare ? Il fait enfuite une comparaifon détaillée
des connoiffances & des befoins de
E iij
1oz MERCURE DE FRANCE .
l'homme ,il le confidere fous trois , raps
ports , dans l'ordre de la Religion , dans
l'ordre de la nature , dans l'ordre de la
fociété , fi fous ces trois points de vûë-là ;
dit- il , il a tout ce qui lui eft néceffaite
que lui reste-t'il à defirer ? for
Comme la nature d'un difcours Acadé
mique ne permettoit pas à l'Auteur de s'étendre
fur l'article de la Religion , il s'eft
borné dans cette premiere partie à prouver
en peu de mots, que les connoiffances qué
nous avons far la Religion , font proportionnées
à l'état dans lequel il a plû à lá
Providence de nous placer.
•
» A la vérité , dit- il , la lumiere que
» nous donne la foi , n'eft point ce jour dé
» l'évidence qui force & qui entraîne l'ef-
» prit : mêlée , pour ainfi parler , d'éclairs
» & d'obfcurité , elle nous offre une face
lumineufe , & une autre impénétrable
» aux lumieres de notre intelligence ; mais
» la feule raifon fuffit pour découvrir le
motif de celui qui en eft l'Auteur,
» Comme créature libre , raiſonnable , in-
» telligente , la foi ne devoit point nous
commander en tyran impérieux ; mais
aufli en nous propofant des objets que
nous ne pouvons comprendre , elle éta
» blit fur les motifs les plus puiffans , les
» hommages qu'elle exige de nous. Ainfi
JUILLET. 1749 103
»notre foumiffion eft éclairée au même
» tems qu'elle a le mérite de l'obéiffance ...
La proportion de nos connoiffances
avec nos befoins naturels eft prouvée par .
une expofition abregée des differentes for
tes d'induſtrie que l'homme met en ufage
pour fe les procurer. » Si le boeuf, docile
joug, traîne à pas tranquilles la charue
»
39
» par
>> que l'homme a fçû conftruire pour foutlager
fes travaux ; également captivés
fon induftrie , l'air , l'eau & le feu ,
font mouvoir les ingénienfes machines
qu'il expofe à leur action . Dans les mains
» induſtrieufes , rien n'eft inutile ; tous les
» êtres lui offrent , les uns contre les au-
>> tres , un fecours réciproque.
»Pour fe mettre à l'abri des injures de
»l'air, un toit ruftique, entrelaffé de brang
»ches & de chaume , lui auroit fuffis la
» nature n'a donné aux oiſeaux que l'inf
»tinct de ramaffer quelques brins d'her
»bes épars , pour faire un azile à leurs petits
; mais le Maître des animaux ne de-
» voit pas être ainfi réduit au fimple néceffaire.
La terre renferme de toutes parts
» les matériaux convenables pour lui fai-
» re une demeure plus graciéufe ; bientôt
» l'homme apprit à s'en fervir. Le fer lui
» fournit le cizeau , qui devoit polir la
» pierre & le marbre ; les métaux prirent
و د
E iiij
304 MERCURE DE FRANCE.
» à fon gré la forme qu'il voulut leur don
» ner , & l'on vit les palais magnifiques ,
» deftinés à loger les Rois , contrafter avec
»l'humble cabane dont le pauvre fe con-
ور
33.
و د
tente.....
» Il n'a point fallu , pourfait l'Auteur ,
» des révolutions de fiécles pour lui ap-
» prendre ce que fes befoins exigeoient
» qu'il fçût . Les arts les plus utiles ont été
trouvés les premiers , & les premiers
perfectionnés ..... au lieu que cette philofophie
, qui cherche à nous inftruire
» de la nature des chofes ,. n'a fait que des
» découvertes lentes on apperçoit dans
» cette oppofition, le deffein de la nature
» dans la carriere détournée , où notre
» curiofité nous a conduits ; à peine fommes-
nous plus avancés qu'au premier pas,
» & dans les recherches où le befoin nous
a guidés , nos fuccès ont toujours été à
» la fuite de nos defirs... Non -feulement,
>> rien ne nous manque de ce qui eſt né-
»ceffaire à la vie , mais pour nous en procurer
l'utilité & l'agrément , nous n'a-
» vons été que trop induftrieux ; notre
» coeur , en s'ouvrant trop au plaifir que la
nature attache au contentement du be-
» foin , a forcé l'art à des rafinemens que
» la raifon défavoue ; & l'avare cupidité
des Artiftes , dont l'induſtrie étoit deſti
JUILLET. 1749. 105
»
»née à un plus fimple ufage , a amorcé par
d'agréables nouveautés la crédule yvrelle
» de l'amour- propre....
La troifiéme divifion , de l'homine confidéré
du côté de la fociété , eft celle fur laquelle
l'Auteur s'eft le plus étendu .
"
Si l'homme , dit-il , eût été deftiné à
» vivre feul , il lui auroit fuffi de fçavoir
rendre ce qu'il devoit à fon Auteur ;
» mais obligé de vivre avec fes femblables,
wil étoit néceffaire qu'il connûr cette équi-
» té diftributive qui lui fît rendre ce qu'il
devoit à chacun d'eux. Ce fentiment a
été gravé dans fon coeurs fa fenfibilité
» pour ce qui le regarde lui- même , lui a
» été donnée pour en être la régle....
25
»
Quand ce qui eft jufte , ne fe trouve
»point dépendant de quelque Loi arbi-
» traite , une fecrette fympathie y conduit
l'efprit humain fur la fimple expofition
»il eft naturellement équitable..
"
» Ces notions de ce qui eft jufte envers
les autres , ne font point à la vérité en
»nous l'impreffion d'une conviction rai-
»fonnée , qui puiffe fe réduire en derniere
analyfe à une même idée ; elles ne font
» pas fondées fur une démonſtration géométrique
; mais nous en éprouvons la
certitude par une impreffion intime que
nous ne pouvons méconnoître , & c'est
Ev
106 MERCURE DEFRANCE
•
» pour nous une évidence plus perfuafive .
»parce que c'eft l'évidence du coeur.... «
»A ces connoiffances des vertus & des
» vices , il falloit ajouter un reffort qui
» les rendît agiffances ; tout eft fimple dans
» les mains de la nature : ce reffort , c'eſt
l'amour de foi-même , appanage inalié-
» nable de tout être qui fe connoît. Quoi
» qu'il n'ait que nous-mêmes pour fin , il
fe répand néanmoins fur tous ...., Ces:
>> travaux mercénaires que la feule néceffité
arrache , ne tournent pas moins à l'avantage
de la fociété , que le dévoue-
>> ment généreux de ceux qui s'y confacrent.
» à deffein ....
" ."
>>
Cependant le defir du bonheur , qui
» met tout en mouvement , s'il fût reftéfans
frein , auroit pû tout renverfer : un
» zéphir rafraîchiffant donne à l'air une .
agitation utile , tandis que l'aquilon
fougueux enléve l'efpérance de nos:
» moiffons...... Mais nous fçavons que
39
nous ne pouvons trouver notre propre
»bonheur , qu'en contribuant à celui des
autres.... Modérés par cette confidéra-
»tion , le defir d'être heureux fe plie né--
» ceffairement
à l'obfervation
des de-
> voirs... La crainte de la réfiftance impole
l'heureufe
néceffité de chercher à gagner
par la douceur ce qu'on tenteroit inuJUILLET.
17491
1107
»tilement d'obtenir par la violence . Les
» hommes , déja inftruits à être équitables
» & juftes , apprennent encore par-là à
» parer leurs vertus de ces dehors aimables,
» qui font fur les cours de fisûres impref-
>> fions.
Les bornes qu'on eft obligé de donner
à un extrait , ne permettent pas de fuivre
l'Auteur dans le développement de fes
idées. Voici ce qu'il dit fur ce que la connoiffance
de l'effence des chofes , & de la
nature des êtres , nous a été refufée.
"
""
» Ces objets font placés hors du cercle
qui mefure l'étendue de nos connoiffan
» ces. Le point de vue fe perd dans l'efpace
immenfe qui les dérobe à nos regards
; ils échappent dès qu'on croit les
faifir. Que l'efprit humain fe contehte
» donc d'un coup d'oeil confus que
la
nature
lui permet
de jetter
fur cette
eſpé-
» ce de vuide
: il ne lui préfentera
à la vé
>> rité
aucune
idée
diftincte
, mais
auffi
il
» ne
le livrera
à aucune
illufioni
; tel que
> nous
ne voyons
jamais
mieux
le Ciel
,
» que
quand
,pur
& dégagé
de nuages
, nos
»yeux
qui
fe perdent
dans
l'athmofphere
,
» n'apperçoivent
que
cette
voûte
azurée
dont
leur
foibleffe
feule
leur
trace
le
contour.
» Mais pourquoi l'homme fe plaindroit-
E vj
108 MERCURE DE FRANCE.
" il de n'avoir pas des connoiffances qui
» ne lui font pas cffentielles , & qui peut-
>> être lui feroient préjudiciables ? Rai-
» fonneur oifif , uniquement occupé de
ces brillantes fpéculations , peut -être
» laifferoit- il languir fon induftrie dans
»une inaction funefte ? La terre n'est pour
´ » lui qu'un féjour paffager , il n'en a que
le domaine utile , il n'eft point chargé
» de la rendre féconde , d'organiſer fes
productions , de mettre en jeu les éle-
>> mens ;-a- t'il done befoin de connoître
l'intérieur des chofes ? C'eft affez qu'il
fçache jouir , puifque tout fe produifant
fans lui , il n'a autre chofe à faire qu'à
profiter de ce qu'il trouve fous fa main..
La nature eft fagement liberale ; ce
font nos defits qui font immodérés` ;
» qu'importe que je ne feache point par
quelle fecrette loi les parties de mon
» corps obéiffem fi exactement à ma vo-
»Fonté ? Envain Defcartes , Malebranche ,,
» Leibnitz ont-ils médité là - deffus , ils ne
n'ont rien appris ; mais quand je veux
» agir , mes bras fe meuvent, fans que j'aye
l'embarcas de leur commander ;j'ignore
quel jeu de mufcles les met en action ,
mais ils opérent , ils exécutent , que me
faut-il davantage ? ...
"
L'agréable concordance d'une multiJUILLET.
1749. 100
»tude de fons harmoniques qui frappent
tout à coup mon oreille , charme mon
ame , elle fe livre toute entiere au fenti-
» ment du plaifir qui la faifit ; fuis - je à
» plaindre alors de ce que je ne fçais pas
comment Lair peut me rendre fans confufion
& dans le même tems un nombre
de fons fi divers , ni comment l'ébranlement
infenfible des parties de l'oreille
peut produire en mon ame un fentiment
fi vif ? ...
»
အ
Pourquoi vouloir s'élever au fommet
de la nature , & fonder trop curieufe-
» ment les vérités fimples qui nous doivent
fervir de régle ? Vous allez , dit
' Auteur au Philofophe fpéculatif, placer
» votre demeure fur la cime de cette montagne
qui s'éleve au - deffus des nues ;
vous cherchez un point de vue d'où vous
puiffiez tout découvrir : mais trop éloi-
» gné des objets , vous ne les appercevez
» plus , ou du moins vous ne les diftinguez
pas. Cet air n'eft pas fair pour vous.
n
Trop fibril & trop froid , il vous glace,
»il vous fuffoque ; le Soleil eft là fans ac-
»tion , la nature y eft morte , & n'offre
aux yeux qu'une affreufe stérilité ; def-
» cendez dans la plaine , & venez jouir
» avec nous de la fécondité & des richeffes
dont elle fe pare : la perfpective y eſt
FIQ MERCURE DE FRANCE.
« bornée , mais elle n'en eft que plus agréa
"ble : tous les objets y feront à votre por
>> tée,vous les verrez plus diftinctement.
39
..
" Si le fentiment eft , comme on n'en
» peut douter , le dernier période de la
" conviction , & par là une des plus sûres
régles de nos jugemens , dès que ce fentiment
tombe fur des idées fimples , fur
» ces vérités primitives , dont tous les hom-
» mes reconnoiffent l'évidence , pourquoi
aller plus avant ? La fubtilité d'une vaine
99
23
dialectique nous donnera - t'elle quelque
» chofe de plus ? Que gagne- t'on à paffer
» ces bornes ? On veut analyfer le fenti-
» ment , le décompofer , le réduire à une
» forte de matiere premiere ; il fe perd , il
s'évapore : On cherche des preuves ulté-
»rieures , on n'en trouve point , on doute
>>alors , ou l'on croit être en droit de dou-
» ter ; on ne trouve plus rien de certain ,
» & l'on débite avec emphaſe toutes ces
abfurdités , dont nous fommes redeva-
» bles à tant de graves Philofophes ... Que
le curieux contemplateur de l'effence &
» des propriétés des êtres , exagere , tant
qu'il voudra , l'empire & l'illufion des
»fens , il eſt des vérités que nous ne de-
» vons qu'à eux. Ce que tout le monde
voit , ce que tout le monde entend , n'a
pas befoin de preuves . Tout ce difcours
JUILLET. 1749991
eft d'un détail intéreffant , d'un ftyle plein.
de feu , & extrêmement varié..
L'HEUREUX BERGER.
Cantate à voix feule & avec ſymphonie. Par
M. Join- de- Saufeüil . A Mlle du Pas.
S vr
Ur les bords enchantés d'une onde pure &
clairé ,
Occupé de fa belle & du foin de lui plaire ,
L'heureux Tircis goûtoit à l'ombre des ormeaux
Le plaifir innocent d'enfler fes chalumeaux ,
De chanter les beaux yeux de fa tendre bergere ,,
Et de faire redire aux échos d'alentour
Ces chants que lui dictoit l'Amour.
Vous, qui par vos plaintes fecrettes,.
Rempliſſant l'air de vos douleurs ,
Troublez ces paisibles retraites ,
Ceffez de chanter vos malheurs..
Lorfque dans l'amoureux Empire-
L'Amour même comble nos voeux ,
On ne doit y penfer qu'à rire ,
Et qu'y couler des jours heureux..
Vous , qui , & c..
712 MERCURE DE FRANCE:
C'est ainsi que Tircis célebroit chaque jour
Sur fort haut- bois, fur fa mufette ,
La douceur parfaite
Que produit dans les coeurs un vif& tendre amour,
Il aimoit la jeune Lifette ,
Que la plus belle ardeur confumoit à ſon tour
Leur mutuelle flâme embrafoit leur retraite ,
Et tout n'y refpiroit qu'amour
Quand à fa mufette
La tendre Lifette
Accordoit la voix ,
Les oifeaux des bois ,
Et ceux du rivage ,
Joignoient leur ramage
Aux fons éclatans
De leurs tendres accens,
Une onde docile
Rouloit plus tranquille
Ses paisibles eaux ,
Et les clairs ruiffeaux ,
Au tendre murmure 3°
Paroient la Nature
De ces lieux charmans
De leurs plus beaux préfens .
Les regrets , les langueurs , les foucis & les peines,,
JUILLET.
1749. 113
De ces climats heureux font bannis pour toujours
Les amoureux Zéphirs de leurs douces haleines
Les rafraîchiffent tous les jours,
Les charmes , les appas , les plaifirs & les graces ;
De nos heureux amans pour embellir les traces
Voltigent fur leurs pas , fuivis par les Amours.
Quand la conftance & la tendreffe
Réuniffent deux jeunes coeurs
Par les liens de la ſageſſe ,
Ils ne goûtent que des douceurs:
Tout charme un fi doux eſclavage g
Les ris , les jeux & les Amours ›
Qui leur font donnés en partage ,
Ne leur filent que d'heureux jours.
Quand la conftance , &c.
*3X+3X3 X++B +B X** X* X* X*
L'HY MEN.
Cantate à deux voix , & avec fymphonie
Par le même.
Tircis.
Enfin un doux hymen vient de combler mes
voeux ;
Vous vous êtes renduë à mon ardeur extrême
Je pourrai déformais vous avouer mes feux ,
714 MERCURE DE FRANCE
Et vous jurer fans ceffe , Iris , que je vous aime
Vous êtes faite pour charmer ;
De tous les coeurs vous méritez l'hommage ;
Mais le mien feul a l'avantage
De pouvoir affez vous aimer,
Qu'il eft doux de s'engager
Avec l'objet que l'on aime !
L'on repofe fans danger
Dans le fein du plaifir même.
Plaignons les coeurs que l'Amour
Fait gémir dans fon empire,
Si l'hymen ne vient un jour
Finir leur cruel martyre.
Qu'il eft doux , & c.
Iris.
Je chéris , il eft vrai , le noeud qui nous engage ;
Mon coeur à vous aimer trouve mille plaifirs ;
Mais ce coeur pouffe auffi quelquefois des foupirs,
Et dans le calme même il redoute l'orage.
Vous fûtes mon amant , vous êtes mon époux ,
Sans ce titre jamais vous n'auriez fçû me plaire :
Toutefois pardonnez un aveu trop fincére ,
C'est toujours mon amant que je veux voir en vous,
魔
Lorfque l'Amour nous follicite ,
JUILLET. 1749
Il nous promet mille douceurs ;
Mais que rarement il s'aquitte ,
Lorfqu'il eft maître de nos coeurs !
Heureux qui peut le fuir fans ceffe
Mais hélas ! comment l'éviter !
Il connoît trop notre foibleffe ;
Nous aimons trop à l'écouter.
Lorfque l'Amour , & c.
Tircis..
J
Vos foupçons , belle Iris , vos injuftes allarmes ,
Offenfent mon coeur & vos charmes ;
Goûtons les biens parfaits qui nous font deftinés ,
Au refte des mortels que notre exemple apprenne .
Que ceux qu'un doux hymen enchaîne
Sont les feuls amans fortunés.
Duo
Dieu des tendres fâmes
Regne dans nos coeurs
Que toujours nos ames
Sentent tes ardeurs.
Toutes les careffes.
D'un objet charmant ,
Si tu ne nous bleffes ,
Touchent foiblement.
Dieu des , & c.
,
116 MERCURE DE FRANCE
LETTRE
De M. Rameau à M. Remond de Sainte
J
Albine.
E ne puis me difpenfer , Monfieur ,
de relever un fait avancé dans le
Journal des Sçavans du mois dernier , fur
mon Opera de Platée.
Il y eft dit, à propos des Poemes Lyri- comiques
du feu fieur Hautreau ,
que des
cinq Poemes de ce genre de cet Auteur ,
il n'y a eu que Platée qui ait paru fur le
Théatre , & qu'il n'a pas réuffi , quoique
mis en mufique par , &c.
Je paffe fous filence l'éloge que ces
Meffieurs ont bien voulu faire néanmoins
de mes talens , & je leur en fuis toujours
bien obligé ; mais je vous avoue qu'un peu
plus d'exactitude m'auroit flatte davantage.
Je ne crois pas qu'il y ait eu au Théatre
de fuccès plus marqué que celui de
Platée..
Les fept premieres repréſentations don
nées dans l'efpace de dix jours , & que
L'on pourroit équitablement réduire à fix ,
vû qu'il fut joué le Jeudi , jour du Feu de
JUILLET . 1749. 117
PHôtel - de- Ville , & les trois derniers
jours gras confécutivement , ont produit
19672 liv . 10 fois.
Les fix repréfentations qui en ont été
données enfuite dans le Carême , uniquement
pour fatisfaire à l'emprellement du
Public , l'intention n'ayant été d'abord
que de le donner en carnaval , ont produit
11892 liv. ce qui fait près de 32000
liv. en treize reprélentations .
Cela joint à la comparaison des dernieres
repréfentations de ce Ballet , donné
les Mardis & les Jeudis , avec les premieres
d'un ouvrage d'un autre genre , que
l'on donnoit les Vendredis & les Dimanches
, font des preuves écrites que je ne
me ferois jamais crû dans la néceffité d'oppofer
, tant la chofe eft notoire ; auffi n'eftce
point pour rectifier cet Ecrivain auprès
des perfonnes qui habitent Paris , que je
Vous fupplie , Monfieur , d'inférer ma Lettre
dans le Mercure , mais bien pour les
Provinces , qui ne peuvent être inſtruites
de beaucoup de faits que par les
Journaux , & que l'on devroit par conféquent
avoir plus d'attention à ne pas induire
en erreur. D'ailleurs je fuis trop jaloux
des fuccès que le Public daigne accorder
à mes ouvrages , pour fouffrir qu'on cherche
à en diminuer le nombre.
116 MERCURE DE FRANCE .
Pénétré de la plus vive & de la plus fincére
reconnoiffance des nouvelles marques
qu'il vient de me donner encore de fa
bonté , à l'occafion de mon Opera de la
Paix , j'ofe vous affûfer que je ne me fens
que plus encouragé à mériter la continua
tion d'une faveur qui a été & fera toujours
l'objet de tous mes voeux , & que je
ne défiterois rien tant que d'être plus à portée
de lui procurer encore plus de plaifir
& de pouvoir à mon gré pouffer auffi loin
que j'en puis être capable , un art qui a
fait feul l'occupation de toute ma vie.
J'ai l'honneur d'être , & c.
Les mots des Enigmes & des Logogryphes
du fecond volume de Juin , font le
Mercure , le femblable , le miroir , l'inftant,
le col , fable , ail & chalumeau . Dans le
premier Logogryphe , qui exprime auffi la
ville & le Marquifat de Sablé , dans le
Maine , en mettant un trait fur l'é , on
trouve bal. , Albe , Bufle , fale , bas , baſe ,
la , Abel , Bela , Ela , Seba , bel , fel , bale
de fufil , bale d'Imprimeur , bale de paume.
On trouve dans le fecond alia , Ali,
Lia , la & la , fille d'Atlas. Le troifiéme
renferme tous les mots qui y font ex
primés.
JUILLE T. 1749. 119
ENIGME.
Avant de devenir ce que tu me vois être ;
Je change quatre fois & de nom & d'état .
Jouet infortuné du fort qui me fait naître ,
Jeune on m'arrache & rompt ; vieux on me noye
& bar.
Enfin c'eſt fous les coups & dans le fein de l'onde
Que l'art ingénieux me forme & reproduit.
Je deviens être utile à prefque tout le monde ,
Même au trifte mortel que fon bâton conduit.
Je ferois infini fi je donnois la lifte
De tout ce qui par moi ſe débite & fe fait ;
Trop d'ardeur me détruit , trop d'humide m'atrifte
.
Je me trahis moi-même & donne mon fecret.
Roy , l'aîné.
De Langres , le 15 Avril 1749.
LOGOGRYPHE.
L'Age d'or finiffoit , lorfque j'ai pris naiffancea
Dès que je fis voir ma puiffance ,
Auffi-tôt la vertu remonta dans les Cieux :
120 MERCURE
DE FRANCE.
Ce fut moi qui forçai les Dieux ,
Juftement irrités , à s'armer du tonnerre.
Depuis ce tems je regne & défole la terre.
J'eus toujours ans la France un ennemi puiffant ;
Qui puoitles efforts de mon bias infolent.
Si , L. &teur, à ces traits tu ne peux me connoître ,
Combine les cinq pieds qui compofent mon être..
Les trois premiers feront paroître
Les
L'effet fubit de la frayeur ;
quatre derniers font le tourment d'un rimeur ;
Qu'on détange le tout , c'eſt une Ile de France ;
Ce que cherchent les dents de tout vieillard trem¬
blant ;
Deux Notes de plein chant ;
Un terme familier à la reconnoiffance ;
Le haut d'une montagne ; un terrible Elément ;
Une paffion furieuſe ;
Le fruit utile & merveilleux
D'une mouche laborieuſe ;
J'en dis affez , Lecteur , devine , tu le peux,
Par A. N. S. D.
A Paris , à la Communauté de fainte
Barbe , le 28 Janvier 1749.
AUTRE
JUILLET.
1749.
AUTRE.
DEs que la
diligente
Aurore¸
Dans le plus brillant appareil ,
Annonce à l'Univers le retour du Soleil ,
Je célebre l'enfant qu'à Cithere on adore.
Des neufpieds qui forment mon corps ,
Si tu démembres la ſtructure ,
Six fupprimés , je fuis dans la Nature
Ce que jamais Sçavant , malgé tous fes efforts ;
N'a pu jufques ici précisément connoître ;
Enfuite , en cherchant dans l'effain
Des mots que renferme mon fein ;
Bientôt tu pourras voir paroître
Deux notes; un beau titre ; un précieux métal ;
Un grand fleuve d'Egypte ; un petit animal ,
Qui dort la moitié de l'année ;
Les délices d'un chien ; le tems de la journée ;
Où Tircis fatigué raffemble fon bétail
Pour le reconduire au bercail ;
La graiffe que produit un animal immonde ,
Dont fix, un, huit, cinq, fept , formeront le mufeau;
Certaine Déeffe de l'onde ;
Un homme déja vieux ; ce qu'avec fon fuſeau
Fabrique une jeune bergere ,
En gardant fes moutons fur la verte fougere
Un meuble de cuifine ; une fleur ; un oifeau ;
F
122 MERCURE DE FRANCE.
Le Roi des animaux ; une couleur obfcure ,
Qui de l'aftre du jour abſorbe les rayons ;
L'inftitut néceffaire à l'humaine Nature ;
Une espece de grain ; trois Villes .... Finiffons ;
C'eft affez te donner , Lecteur , la tablature.
Q
Brunet de Dijon.
A UTR E.
Uelquefois falutaire ,
Très-fouvent néceffaire ;
De huit pieds mon corps eft formé.
Un , deux , trois , quatre , un peuple renommé ;
Un, deux, trois, fix & huit , le pays qu'il habite ;
Un, fix , fept, huit , d'un fat je fais tout le mérite ;
Un ,fix & deux , ce que cherche un vieillard ;
Deux , fept , quatre avec huit , Héros dont les
hazards
D'un Poëte Latin éternifent la gloire ,
Et le rendent célebre au Temple de Mémoire ;
Trois & fix , un & deux , la portion de fruit
Dont le Seigneur jouit.
Un , deux , trois , huit & quatre , une femme fa
meufe
Par fa méchanceté.
Sept , fix , cinq , deux je ſuis une Cité ,
Dans ces derniers tens malheureufe
JUILLET . 1749. [23
Ajoutez huit , autre Ville , où l'erreur
Fut condamnée avec fon défenfeur .
Cinq ,fix & trois , Seigneur dont le courage ;
Malgré les traits d'une envieuſe rage ,
Au Théatre François paroît avec honneur ;
Mais c'eft affez , adieu , Lecteur ,
Scache pourtant qu'une parente
Sous cinq membres encore à tes yeux fe préfente.
Par M. Gir. de Mont.
AUTR E.
E ne fuis point encor ce qu'un jour je dois
JE
ême ,
Je differe pour mieux connoître
Ce qui doit bientôt m'éclairer .
Chez moi , Lecteur , tu peux trouver
Un Roi , Législateur d'une Ville naiffante
Qui devint depuis très- puiflante ;
Animal refpecté par le Mahometan ,
Un autre animal moins méchant ,
Dont plus d'un Auteur fait l'éloge ,
Et chez qui patience loge.
D'un très -beau jeu terme fatal.
Ton muſical.
Un fils du Patriarche
Qui fe fauva dans l'Arche.
D'habit & d'inſtrument certaine portion ;
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
Une exclamation ;
Autre encore ; une Danfe
Qu'on doit apprendre dès l'enfance ,
Et qu'il ne faut point négliger ;
Ce qu'on voit fouvent dégoûter ;
Un Etudiant en Grammaire ;
Un homme obligé de fe taire ;
Equipage d'un grand Seigneur ,
Qui fait bruit , profit & honneur
De l'homme enfin la plus noble partie.
A toi , Lecteur , ma carriere eft finie,
Par le même,
AUTRE.
CE n'eft qu'après la mort
De celui dont je fors ,
Que l'on me fait changer d'état & de figure ;
Je remplace dans la Nature ,
Et fur tout dans un certain tems ,
L'éclat d'un aftre renaiffant.
En combinant , je fuis excellent Aromate ;
Un animal prefque automate ;
De Normandie une belle Cité ;
'Arme offenfive & dont coup fut porté ,
Qui devroit chaque jour faire couler nos larmes,
Stérile lieu fans culture , fans charmes ;
Pour la plupart des jeunes gens.
Trés- agréable amufement ;
JUILLET.
1749. 125
Du tems une partie
Qui regle celui de la vie.
Autre choſe chez moi peut encor ſe trouver ,
Mais c'eſt aſſez , Lecteur , pour te faire rêver.
Par le même.
NOUVELLES LITTERAIRES ,
DES BEAUX - ARTS , &c.
SUITE DE L'EXTRAIT
Du Livre intitulé LE COMEDIEN.
pas
Ddreavec la multitude les perfonnes
E même qu'on ne doit confor
D
"
qui
ont du goût & du difcernement
, on
doit auffi diftinguer
deux claffes parmi les
Spectateurs
de cette feconde
efpece ; »> Chez
» les uns , dit M. Remond
de Sainte Albine ,
» l'efprit
juge fainement
de ce qu'on lui.
» préfente
, mais renfermé
dans certaines
» bornes , il n'examine
pas fi ce qu'il voit,
» eft tout ce qu'il avoit droit d'attendre
.
» Chez les autres , une imagination
vivé.
» & féconde
accompagne
une raifon droi-
» te & lumineufe
, & ceux-ci , ne fe contentant
pas que ce qui leur eft offert , ſoit
bon , fe plaignent
fi on ne leur donne.
F iij
126 MERCURE DE FRANCE.
» pas tout ce qu'ils efperoient . Quand un
» Acteur met à peu près dans fon action
» & dans fa récitation toute la vérité con-
» venable ; quand il ne laiffe appercevoir
» nulle part le travail ni l'effort , les Spectateurs
de la premiere claffe ne deman-
» dent pas davantage , parce qu'ils n'imaginent
rien au- delà . Il n'en eft pas de
» même de ceux de la feconde . A leur
» tribunal , il y a entre le jeu qui n'eft que
» naturel & vrai , & celui qui de plus eft
» ingénieux & fin , la même difference
qu'entre le livre d'un homme qui n'a
:» que du fçavoir & du bon fens , & le livre
d'un homme de génie . Ils veulent non-
>feulement que le Comédien foit copiſte
» fidéle , mais encore qu'il foit créateur.
C'est dans ce dernier point , que l'Auteur
fait confifter les finelles de l'art des
Comédiens.
»
"
Quelque application qu'un Poëte Dra-
» matique apporte à la perfection de fon
ouvrage , il ne penfe pas à tout , & il
» lui arrive quelquefois d'omettre diver-
» fes chofes , qui auroient fait grace dans
fa Piéce. De tems en tems auffi , la gêne
de la mefure & de la rime ne lui permet
" pas de dire tout ce qu'il fent , & , par la
» fuppreffion d'un mot qu'il ne peut pla-
» cer , une idée fine eft perdue pour
JUILLE T. 1749. 127
» un grand nombre de perfonnes , fi le
» Comédien ne les aide à la découvrir.
» Au lieu que les Acteurs médiocres ne
voyent que par les yeux du Poëte ; au
» lieu qu'ils ne foupçonnent point qu'il
ait pû rien ajoûter à ce qu'il dit , les re-
» marques qui lui ont échappé, font faifies
» par les Acteurs fupérieurs , & ce qui
»manque dans le dialogue,fe retrouve dans
» le jeu . Avec eux , on peut fans riſque
» omettre ou fous entendre . On eft toujours
für du fupplément & du commena
taire .
M. Remond de Sainte Albine , après avoir
examiné les fineffes de l'art du Comédien
par rapport à ce qui conftitue leur effence ,
les confidere par rapport à leur differente
deſtination , & il entre dans le détail de
celles qui appartiennent particulierement à
la Tragédie , & de celles qui ne conviennent
qu'au Comique. Nous rapporterons
feulement quelques fragmens du Chapitre
où il eft parlé de ces dernieres.
» Vous devez dans la Tragédie , ob-
» ferve l'Auteur , nous préfenter toujours
»votre perfonnage fous les faces qui lui
font le plus avantageufes. Dans la Co-
» médie , vous êtes fouvent obligé de nous
» le préfenter fous celles qui le lui font
moins. Elle fe plaît fingulierement à
Fiiij
128 MERCURE DE FRANCE.
•
و د
à nous peindre l'homme extravagant &
» foible ..... Par un air ridiculement précieux
, plutôt que par un fentiment réfléchi
, certaines perfonnes mettent une
grande diſtance entre le Comique noble
» & ce qu'elles appellent injurieufement le
» bas Comique ...... Il faut cependant
» pour le moins autant de génie , & aux
» Poëtes , & aux Comédiens , pour être
» fupérieurs dans un genre , que pour ex-
» celler dans l'autre. Le Comique noble
» ne nous montre la nature que polie par
» l'éducation ; le Comique du genre oppofé
nous la montre privée de cette
" ture. A cette difference près , non - feule-
» ment les deux genres ont le même objet,
» celui de nous corriger ou du moins de
» nous amufer , mais encore ils puifent
» leurs fineffes dans les mêmes fources
, dont le nombre fe réduit à deux .
»Les Acteurs Comiques excitent notre
» gayeté , ou par l'air rifible qu'ils prêtent
» à leurs perfonnages , ou par le talent
qu'ils ont de nous faire rire des autres
»perfonnages de la Piece .
"
و و
cul-
» Il eft une infinité de moyens de fatis-
»faire à la premiere obligation , & celui
auquel il faut principalement avoir re-
" cours , eft de profiter des circonstances
» qui peuvent fervir à faire fortir le ca
و ر
JUILLET. 1749. 129
"
ractére du perfonnage..... Vous nous
» peignez un faux libéral. 11 eft contraint
» de faire une largeffe , & le hazard veut
qu'il laiffe tomber quelque monnoye .
» Il doit la ramaffer & fe hâter de la re-
» mettre dans ſa bourſe .
"
>>
L'Auteur fait une longue énumération
des autres moyens , dont les Acteurs Comiques
peuvent ufer pour rendre rifible
le perfonnage qu'ils repréfentent. Ils y
réuffiffent , en développant avec foin tous.
les défauts qui entrent dans la compofition
du caractère de ce perfonnage ; en lui prê
tant les tics communs chez les perfonnes
de fa condition ; en ayant attention , fi par
hazard le Poëte ne l'a pas caractérisé par
quelque travers , de lui donner ceux qu'on
peut vrai femblablement lui fuppofer ; en
faifant lire dans fes moindres actions , furtout
dans celles qu'il eft cenfé commettreinvolontairement
, le jeu des paffions qui
l'agitent ; en employant certaines difparates
& divers contraftes que le Spectateuc
n'attendoit pas , mais qu'il eſt étonné , lorfqu'il
les apperçoit , de n'avoir pas prévûs.
Ce n'eft pas affez qu'un Acteur Comique
fonge à faire rire de fon perfonnage,
Il doit chercher , s'il fe propofe de jouer
finement , à nous réjouir aux dépens des
Fy
130
MERCURE DE FRANCE.
>>
autres parfonnages de la Comédie . M. Remond
de Sainte Albine remarque que les
Comédiens pour cela n'ont befoin fouvent
que des feuls fecours que la Piéce leur offre
. » Ces fecours font de deux efpéces.
»Par les uns , la leçon de l'Acteur lui eft
» toute dictée , & pour les mettre à profit ,
» il n'a qu'à rendre littéralement fon rôle.
Les autres ne lui font utiles qu'autant
» qu'il fçait en faire ufage . De ce nombre
font certaines ironies délicates , cer-
» taines allufions malignes , qui ne font
» pas diftinctement prononcées par le dia-
» logue ....
»Une des reffources les plus fûres que
les Comédiens puiffent trouver dans la
>> Piéce, pour atteindre au dernier des deux
»buts propofés , eft l'occafion que le Poëte
» leur donne de parodier quelques-uns des
»perfonnages avec lefquels ils font en fcé-
» ne. Ces imitations font fréquentes dans
» la Comédie . Elles font fuppofées être
» dictées , tantôt par le reffentiment , ainfi
» que dans la Scéne du Milantrope , où
>> Ĉelimene emprunte les tons de la prude
» & jalouſe Arfinoë ; tantôt par le fimple
>> enjouement , comme lorfque Damon
dans le Philofophe marié répete après
>> Celiante ,
JUILLET. 1749: 137
Ce portrait- là n'eft pas fort à votre avantage ,
Mais malgré vos défauts je vous aime à la rage .
» Et lorfque Pafquin dans l'Homme à
>> bonnes fortunes , ** affectant les grands
>> airs de fon maître , adreſſe à Marton les
» mêmes difcours tenus par Moncade à cet-
>> te Suivante.
Si les grands Acteurs , ajoûte M. R. de
S. A. ne peuvent tirer de la Piéce les fecours
dont ils ont befoin , ils les tirent de
leur propre génie. Guidés par ce maître ,
ils s'ouvrent plufieurs routes qui les conduifent
à la fin en queftion.
Le Chapitre des fineffes du Jeu comique
eft fuivi d'un expofé des regles générales
, qu'on doit obferver dans l'ufage
des fineffes. L'Auteur explique enfuite ce
qu'on doit entendre par Jeux de Théatre ,
& il donne fur cette partie de l'art des Comédiens
quelques préceptes importans.
4
Dans le dix- feptiéme Chapitre , il parle
de la néceffité dont il eft que les Acteurs
varient leur jeu . » La varieté , dit-il , eſt
» encore plus effentielle à l'Acteur Comi-
» que qu'à l'Acteur Tragique. La Comédie
» s'égaye indifferemment à tout peindre ,
& tout original eft bon pour elle , dès
* Acte 2. Scene 5.
** Acte 1. Scéne 12.
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
» qu'elle efpere de faire rire de la copie.
» Moins libre dans le choix des fujets de
»fes tableaux , la Tragédie a coûtume de
" n'offrir à nos regards que des perfonna-
2 ges illuftres. Son principal objet eft de
> nous toucher par des malheurs extraordinaires
, ou de nous étonner & de nous
inftruire par de grands exemples , & elle
»fe met peu en peine fi les Héros d'une
Piéce reffemblent à ceux d'une antre.
» Pourvû qu'elle nous conduife par l'incertitude
, par la crainte & par les lar-
» mes , juſqu'à la cataſtrophe , nous fom-
» mes contens ; & lorfque les Acteurs ,
» qu'elle introduit fur la fcéne , font pla-
»
cés dans une fituation intéreffante &
» neuve , lorfqu'ils agiffent & parlent con-
»venablement à leur fituation , nous n'exa-
>>minons point s'ils ont les mêmes caractéres
» que nous avons vûs déja plufieurs fois au
Théatre. Nous ne nous ennuyons pas mê:
» me d'y voir reparoître les mêmes Héros ,
" fi par de nouveaux moyens ils nous re-
» plongent dans de nouvelles allarmes.
Selon M. R. de S. A. quelque reffemblance
qui foit entre certains perfonnages,
ils different toujours par quelques nuances.
Il cite pour exemple le Beau-pere du Glorieux
& l'oncle du Philofophe marié , & il
montre que s'ils font tous les deux bruf
JUILLET . 137 1749.
ques , ils le font de diverfes manieres &
par des principes differens ;
" que la brufquerie
du premier n'a rien d'airogant ni
d'injurieux ; que celle du fecond eft hautaine
& défobligeante ; que l'une pent
» fubfifter fans fottife & fans vices , que
» l'autre fuppofe la groffiereté de l'efprit
» & la dureté du coeur , & qu'en s'appli
» quant à caractériſer ce qui diftingue ces
» deux Financiers , l'Acteur fera difparoî-
» tre leur prétendue reffemblance .
M. R. de S. A. veut que les Comédiens
varient leur jeu , non-feulement lorfqu'ils
jouent des rôles qui fe reffemblent , mais
encore lorfqu'ils jouent le même rôle. »Les
perfonnes de Théatre , remarque - t'il , ne
م د
» font
pour l'ordinaire fi uniformes , que
»parce qu'elles jouent plus de mémoire que
» de fentiment. Quand un Acteur , qui a
» du feu , eſt bien pénetré de fa fituation ;
» quand il a le don de fe transformer en fon
>> perfonnage, il n'a pas befoin d'étude pour
» varier. Quoiqu'obligé en jouant le mê-
»me rôle , de paroître le même homme ,
>> il trouve le moyen de paroître toujours
"
» nouveau .
En vain le jeu Théatral eft-il parfaitement
vrai. En vain eft- il naturel. En vain
eft -il fin & varié. Il manquera encore
quelque chofe à l'Acteur pour nous
134 MERCURE DE FRANCE.
plaire , s'il ne joint à ces avantages les gra
ces du débit & de l'action . L'Auteur ayant
annoncé ailleurs , que tout doit être majeftueux
dans la Tragédie , & par conféquent
ayant renfermé en un un feul mot
tout ce qu'on peut dire fur les graces propres
aux Acteurs qui chauffent le cothurne,
il ne lui reftoit à traiter que des graces néceffaires
aux Acteurs Comiques.
Celles qu'exige le Comique noble ,
ne font autre chofe , dit M. R. de S. A.
que l'art de rendre la nature élégante jufques
dans fes défauts. L'Auteur exhorte
quiconque n'eft pas capable de donner à
fon jeu cette élégance aimable, à renoncer
au haut Comique , ce qu'il conſeille
aux Acteurs , il le recommande encore plus
aux Actrices. » Ce vernis duifant , cet
élégant je ne fçais quoi , qui nous charme
» dans le jeu comique du genre noble , doit
» varier felon les tableaux , mais on veut
»toujours le reconnoître . Tantôt ce font
» les graces vives & légeres que diftinguent
» la jeuneffe Françoife , & qui feroient les
» plus défirables de toutes , fi elles n'étoient
» pas fi fouvent en divorce avec les qualités
folides & effentielles. Tantôt ce font
» des graces moins enjouées. La gayeté fri-
» vole du Petit- Maître ne fied point au Glorieux
ni même à l'Homme à bonnes forJUILLET..
1749
135
» tunes. Elle s'accorde mal avec le carac
» tére d'un Important toujours occupé du
>>foin d'imprimer le refpect ou de la crain-
>> te qu'on ne lui en manque , & avec le
»fyftême d'un Galant ſcélérat , qui fe fair
» une étude de tromper méthodiquement
» des Beautés crédules... •
Puifque nous demandons des graces ,
même quand on copie des défauts , à plus
forte raifon en demandons- nous , quand
on repréfente des perfonnages caractérisés
feulement par quelque foibleffe , furtout
fi ces perfonnages font deſtinés à exciter
l'intérêt . Dans certains rôles , les graces
naïves font les plus importantes. Dans
d'autres , ce font les graces nobles qui font
les plus néceffaires. » Et qu'on ne croye
» pas , ajoute l'Auteur , que le privilége
» de nous rejouir foit incompatible avec
» les graces nobles... Qu'on ne croye pas
» non plus , que nous n'exigions des gra-
» ces que chez les Acteurs qui jouent dans
» le haut Comique . Nous en exigeons
» même chez ceux dont les perſonnages
» font difpenfés d'en avoir.... Que votre
» perfonnage reffemble aux perfonnes de
»fa condition , mais qu'il leur reffemble
» en beau . Colette au Théatre , n'eft pas
» la même que dans fon village . Il doit y
»avoir entre fes manieres & celles de fes
"
156 MERCURE DE FRANCE .
» pareilles , la même difference , qui eſt
entre fes habits & ceux d'une payfanne.
» ordinaire.
Toute la Théorie , dont nous venons.
de rendre compte , eft éclaircie par des.
exemples deftinés à fixer les idées des Lecteurs
, & à répandre de l'agrément & de
la variété dans l'ouvrage. Ces exemples.
font empruntés de la maniere de jouer de
nos Acteurs les plus célébres , morts ou
vivans , que l'Auteur loue & critique , felon
qu'ils lui paroiffent mériter fes éloges
ou fa cenfure ; & autant qu'il eft poffible ,
les applications des préceptes font prifes
dans les plus belles Scénes des meilleures
Piéces du Théatre François.
Avant que ce Traité fût imprimé , certaines
perfonnes , foit par l'intérêt qu'elles
prenoient à M. Remond de Sainte Albine
, foit par d'autres motifs , firent leurs
efforts le détourner de traiter un
pour
fujet , qu'elles prétendoient ne devoir
fournir que des détails fecs & minutiels.
On peut juger, en lifant cet article , & ceux
inferés dans les Journaux des Sçavans &
de Trevoux , fi elles avoient raifon.
La même matiere , qu'elles avoient d'abord
regardée comme ftérile , leur a femblé
très-abondante , après que l'ouvrage a
vû le jour , & quelques-unes d'elles , qui
JUILLET. 1749. 137
avoient foutenu qu'elle ne pouvoit être
que l'objet d'une Lettre fort courte , ont
tenté d'infinuer qu'elle n'étoit qu'effleurée
dans un volume de trois cent cinquante
pages . C'eft auffi au Public à décider fur
ce point entre ces Juges & l'Auteur . M.
R. de S. A. n'a garde de croire avoir épuifé
fon fujet . Il eft perfuadé qu'on auroit
pû dire plus de chofes qu'il n'en a dit ,
& qu'il n'en a même apperçu . Mais il a
lieu de préfumer , que s'il en avoit oublié
d'effentielles , on auroit relevé fes omiffions.
En tout cas , il fouhaite qu'on les
lui faffe remarquer , & il profitera , avec
reconnoiffance , des avis par lefquels on
voudra bien fuppléer à fes lumieres .
·
Ses Cenfeurs condamnent particulierement
le parti qu'il a pris de ne parler que
de l'action théatrale. Ils auroient voulu
qu'il eût traité en même tems de l'action
du Bareau , & même de celle de la Chaire.
Comment n'ont- ils pas fait attention que
cet affemblage auroit formé un mêlange
bizarre , & qu'en embraffant des objets
d'efpéces fi differentes , il étoit impoffible
de garder cette unité de ton & cette har
monie de coloris , auffi néceffaires dans les
écrits que dans les tableaux ?
Des perfonnages refpectables ont fait un
autre reproche à l'Auteur. Ils convien
138 MERCURE DE FRANCE.
nent qu'il n'y a de matieres ingrates que
pour les Ecrivains fans génie. Ils avouent
même que celle choifie par M. Remond
de Sainte Albine pouvoit donner
prife à une Métaphyfique très -fine , &
étoit fufceptible de beaucoup d'ornemens ,
fi elle étoit maniée par une imagination
féconde & riante , mais ils témoignent quelque
regret de ce qu'il s'eft exercé fur un
fujet qui à leurs yeux eft frivole . Ils font
priés d'obferver que ce qui a pour eux une
apparence de frivolité , ne l'a pas pour un
grand nombre d'autres perfonnes. De tout
tems , on a compté les amuſemens parmi
nos befoins ; & de tous les plaifirs recherchés
par les Nations policées , il n'en eft
point pour qui elles ayent montré un goût
plus vif que pour les fictions theatrales.
Sans doute , on fera toujours plus louable,
en effayant de nous rendre meilleurs ,
qu'en travaillant à perfectionner les
moyens de nous amufer. Mais ce dernier
objet n'a jamais paffé pour indigne des recherches
d'un homme d'efprit.
De plus , c'eft une occupation trèsdigne
même d'un Philofophe , que de s'appliquer
à foumettre au raifonnement un art
qui fembloit n'être que du reffort du fentiment
; à porter le jour dans une matiere ,
fur laquelle on avoit peu de principes
JUILLET. 1749. 139
clairs & ſuffiſamment développés ; à combattre
des préjugés , auffi généralement
qu'anciennement établis , & à donner des
fignifications déterminées à une infinité
de mots , employés continuellement & jamais
définis.
Au refte , fi les Juges dont nous parlons,
blâment indiſtinctement tout ce qui ne
· porte pas le caractére férieux , on n'a rien
à leur répondre. Si au contraire ils croyent
que le fpectacle ne doive pas être profcrit,
s'ils ne traitent pas de pures bagatelles
toutes les Piéces de Théatre , & les ouvra
ges qu'Ariftote & d'autres Sçavans illuftres
ont écrits fur l'art de compofer les
Poëmes Dramatiques , on demande pourquoi
l'on donneroit le nom de frivole à
ún Livre fur l'art d'ajouter une nouvelle
perfection à ces Poëmes par la vérité de
la repréſentation .
à
Peut-être en finiffant cet article , conviendroit-
il d'examiner fi l'ouvrage de M.
R. de S. A. doit contribuer effectivement
procurer cet avantage . Il feroit du moins
facile de prouver la fauffeté des allégations
de quelques gens à talent , qui ayant intérêt
que nous n'ayons point de régles
fixes pour les juger , s'efforçent de nous
perfuader que dans les Arts de goût les
moyens de réuffir font arbitraires , &
140 MERCURE DE FRANCE.
qu'ainfi l'on ne peut établir à ce fujer une
théorie conftante. Cette difcuffion nous
meneroit trop loin , & elle pourra faire
dans la fuite le fujet d'une Differtation
particuliere.
TRAITE' des maladies des yeux. Par M.
Herman Boerhaave . On y a joint fon Introduction
à la Pratique Clinique ; fes
leçons fur la pierre ; quelques defcriptions .
de maladies , & diverfes confultations du
même Auteur. Le tout traduit du Latin ,
& orné de figures en taille douce. A Paris,
rue Saint Jacques , chez Briaſſon , à l'Ange
Gardien & à la Science , in - 12. page 371 .
Avec Approbation & Privilége.
Le nom de M. Boerhaave eft fi connu ,
qu'il eft inutile de faire l'éloge de ce fçavant
Médecin . Tous les ouvrages , dont
on nous donne ici la Traduction , avoient
été imprimés , mais avec plufieurs lacunes
& avec un grand nombre de fautes , qu'un
Copifte ignorant y avoit femées prefque à
chaque page. Le Traducteur annonce qu'il
a fait en forte de fuppléer aux unes , & de.
corriger les autres.
$
M. Boerhaave divife fon Traité des Ma-.
ladies des yeux en trois Parties . Dans la
premiere , il examine les affections des
parties externes de cet organe . Il décrit,
dans la feconde les accidens , qui furvienJUILLE
T. 1749. 141
nent aux parties internes . La troifiéme
partie contient diverfes obfervations fur
la vûe obtuſe , fur la vûe louche , fur la
vûe confufe , fur le ftrabifme * , fur l'ufage
des microſcopes , fur la vûe des vieillards ,
& fur la myopie , c'eſt-à - dire fur la vûe
courte .
Les Réflexions fur la Pierre jointes à ce
Traité , n'ont point été publiées d'après
un manufcrit de l'Auteur. Elles font don
nées telles qu'on a pû les recueillir de fes
leçons verbales. Il ne faut point y chercher
les agrémens du ftyle , mais on y trouvera
beaucoup de méthode & de clarté , plufieurs
vûes ingénieufes & fçavantes , & un
grand nombre d'expériences auffi curieufes
qu'utiles.
NOUVEAUX MEMOIRES d'Hiftoire , de
Critique de Littérature , par M. l'Abbé
d'Artigny. A Paris , chez de Bure , l'aîné ,
Quai des Auguftins , à l'Image Saint Paul ,
1749. Avec Approbation & Privilége
in- 1 2. pp. 502 , en y comprenant la Table
& l'Errata.
Ces Mémoires font écrits d'un ftyle facile
, & il y regne une très- grande variété.
Les principaux roulent fur l'étude de la
On nomme ainfi l'incommodité des perfonnes
, dont un oeil regarde en haut & l'autre en
hasa
142 MERCURE DE FRANCE.
Chronologie ; fur les Antiquités Egyptiennes
& Chaldéennes ; fur l'origine de la
Magie & des autres fuperftitions ; fur quelques
particularités romanefques de la vie
de Moyfe , inventées par les anciens Rabbins
; fur l'époque du Regne de Sefoftris ;
fur l'existence des Géans ; fur l'origine &
les Dieux des Philiftins ; fur les fectes des
Juifs fur les richeffes immenfes que David
laiffa à Salomon , pour la conftruction du
Temple de Jerufalem ; fur le caractére de
Bayle , fur fon Dictionnaire , & fur fes
amours avec la femme du Miniftre Jurieu .
Sur les prétendus fragmens de Petrone ,
publiés par
M. Nodot ; fur un endroit de
la Bibliothèque Françoiſe , de M. l'Abbé
Goujet ; fur une anecdote intéreffante , qui
concerne le Marquis de Langallerie ; fur
les leçons diverfes de Pierre Meffie ; fur
les Noëls Bourguignons , de M. de la
Monnoye ; fur quelques Fables débitées ,
par Jean Struys & par Tavernier ; fur plufieurs
Libelles publiés dans le tems de la
Ligue.
CHOIX de differens morceaux de Poëfie ,
traduits de l'Anglois , par M. Trochereau.
A Paris , chez la veuve Piffot , Quai de
Conti , à la defcente du Pont- neuf, à la
Croix d'or , & chez Piffot fils , Quai des
Auguftins , à la Sageffe , 1749 , in-12
Pp. 206.
JUILLET . 1749. 143
•
Les piéces contenues dans ce Recueil ,
font l'Effai du Duc de Buckingham , fur la
Poëfie ; l'Effai du Comte de Rofcomon , fur
la maniere de traduire les Poëtes ; le Temple
de la Renommée , par M. Poppe ; l'Ode de
M. Dryden , fur le pouvoir de la Mufique
& le petit ouvrage de M. Pomfret , fur le
choix d'un genre de vie. La Traduction de
chaque Poëme eft précedée d'une vie abregée
de l'Auteur qui l'a compofé , & à la
tête du Recueil eft unDifcours préliminaire
dont nous parlerons dans un autre Mercure
.
NOUVELLE TRADUCTION de Salufte ;
avec des notes critiques fur le texte , par
M . *** , de l'Oratoire . A Paris chez
Lottin & Butard , rue Saint Jacques , in-
12. de 304 pages .
›
EXTRAIT d'un Traité démonſtratif de
la quadrature du cercle , & de la duplication
du cube , contenant des principes.
nouveaux , par M. ** . A la Haye , 1748 ,
in-4° . de 26 pages , fans compter les planches.
HISTOIRE générale d'Allemagne , par
le Pere Barre , Chanoine Régulier de
Sainte Geneviève , & Chancelier de l'Univerfité
de Paris. Tome IX. qui com
prend les regnes depuis 1558 , jufqu'en
44 MERCURE DE FRANCE.
1658. A Paris , chez Delefpine & Herif
fant , de 896 pages.
LUDOVICO XV. victori Pacifico Panegyricus
dictus in Collegio Divio- Godranio Soc.
JESU , à Claudio Bichot , Societatis ejufdem
Prefbytero , xiy Kal . Décembris annò 1748,
in- 1 2. de 34 pages . A Dijon , chez Defaint
, 1749.
DISCOURS qui a remporté le prix d'Eloquence
, par le jugement de l'Académie
Françoife , en l'année 1748 , avec plu-
Geurs Piéces de Poëfie , dédiées à Madame
la Dauphine , par M. Soret , Licentié en
Droit. A Paris , chez Claude Hériffant ,
rue neuye Notre- Dame , in- 12 , de So pages.
BENEDICTI XIV. Pont. Opt. Max. olim
Profperi Card. de Lambertinis primùm Anconitana
Ecclefia Epifcopi, deinde Bononienfis
Archiepifcopi , de Synodo Diacefanâ Libri
VIII, nunc primùm editi ad ufum Academia
Liturgica Conimbricenfis , Rome , 1748 , in-
4° . 649 pages.
VENERABILIS Viri Jofephi- Marie Thomafii
S. R. E. Card. opera omnia. 3
in-4°. Roma.
vol.
DELLA Hiftoria Ecclefiaftica defcritta da
F. Giuseppe Agostino Orfi dell' Ordine de
Predicatori , Segretaria della Sacr. Congreg.
dell
JUILLET. 1749. 145
dell' Indice. Tomes 3. in 4° . Roma. On
trouve ces trois derniers ouvrages à Paris.
chez Cavelier , pere , Libraire , rue Saint
Jacques , au Lys d'or .
CAUSE & Méchanique de l'Electricité .
A Paris , chez Pierre Prault , Quai de
Gêvres.
- POETIQUE Françoife , à l'ufage des Dames
, avec des exemples. A Paris , chez
Ganeau , rue Saint Severin , à Saint Louis
& aux Armes de Dombes , 1749. Deux
volumes in-12 .
MARIE d'Angleterre , Reine- Ducheſſe :
Volume in- 12 . dédié à Madame la Marquife
de Pompadour , par Mlle . de Luffan.
A Amfterdam , chez Jacques Defbordes ,
près le Comptoir de Cologne , 1749.
SERMONS de M. Gafpard Terraffon , cidevant
Prêtre de l'Oratoire. Quatre volumes
in- 12. A Paris , chez Didot , Libraire
, Quai des Auguftins , à la Bible
d'or , 1749.
ABREGE' de l'Histoire générale du Languedoc
, par D. Vaiffette , Religieux Benedictin
de la Congrégation de Saint Maur.
A Paris , chez Jacques Vincent ,Imprimeur
des Etats de Languedoc , rue Saint Sevetin
, à l'Ange , 1749 , fix volumes in 12.
'HISTOIRE DE LOUIS XIV. depuis là
mort du Cardinal Mazarin en 1661 , juſ-
G
146 MERCURE DE FRANCE.
qu'à la Paix de Nimegue en 1678 , par
M. Peliffon , de l'Académie Françoife. A
Paris , chez Rollin , fils , Quai des Auguftins
à Saint Athanafe & au Palmier , 1749 ,
in-12. trois volumes.
OBSERVATIONS expérimentales fur les
éaux des rivieres de Seine , de Marne , fur
les eaux de puits , fur celles d'Arcueil , &
fur. les filtres & les vaiffeaux les plus propres
à purifier & à conferver l'eau. A Pas
ris , au Palais , chez Morel , le jeune , au
grand Cyrus , 1749 .
CODE VOITURIN , ou Recueil des Edits ,
Déclarations , Lettres Patentes , Arrêts &
Réglemens concernant les fonctions ,
droits , priviléges , immunités & exemptions
, tant des Meffagers Royaux que de
ceux de l'Univerfité de Paris , & autres
Voituriers publics , depuis 1200 jufqu'eh
1748. A Paris , chez Prault , Quai de
Gêvres , au Paradis , deux volumes in-4°.
COMMENTAIRES
fur la Coûtume du
Baillage & Comté d'Auxerre , ancien reffort
& enclaves , redigés en préfence &
du confentement
des trois Etats du Pays.
Par M. Jean- Baptifte Née de la Rochelle ,
Avocat du Parlement. A Paris , chez Bau
che , fils , Libraire , Quai des Auguftins , à
l'Image Sainte Genevieve , 1749 , in-4° .
LES TOMES 4,5 & 6 de la Bible
JUILLET. 1749. $ 47
en Latin & en François , avec les notes
littérales , critiques & hiftoriques
tirées du P. Calmet , in- 4° . A Paris , chez
Mariette , Guerin , Martin , Libraires , fue
Saint Jacques.
HISTOIRE des Hommes Illuftres de l'Ordre
de Saint Dominique, par le P. Touron ,
Religieux du même Ordre. A Paris , chez
Babuty , rue Saint Jacques , à Saint Chryfoftôme
, & Quillan , pere , rue Galande ,
à l'Annonciation , 1749 , in-4° . cinquième
volume.
€ INSTRUCTION Paftorale de M. l'Archevêque
de Tours, fur la Juſtice Chrétienne,
par rapport aux Sacremens de Pénitence &
d'Euchariftie. A Paris , de l'Imprimerie
de Guillaume Defprés , Imprimeur ordi
naire du Roi , & du Clergé de France
à Saint Profper & aux trois Vertus , 1749,
in-4° .
MEMOIRES pour fervir à commencer
'Hiftoire des Araignées aquatiques. A
Paris , chez Piffor , Quai des Auguftins , à
la Sageffe , 1749 , in‡ 1 2.⠀
CONFERENCES Eccléfiaftiques du Diocéfe
d'Angers , fur les cas réfervés , &c. Tome
III. A Angers , de l'Imprimerie de Pierre-
Louis Dubé , 1748 , & le trouve à Paris,
chez les freres Guerin , rue Saint Jacques ,
in-1 2. de 40
pages
Gij
148 MERCURE DE FRANCE.
LA VIE de Mahomet , traduite & compilée
de l'Alcoran , des traditions authentiques
de la Sonna , & des meilleurs Auteurs
Arabes , par M. Jean Gagnier , Profeffeur
en Langues Orientales à Oxfort.
Trois volumes in- 12 . A Amfterdam , chez
Weftein & Smith , 1748.
A
RECUEIL des Poëfies d'Adrien Reland :
par les foins d'Abraham Perrenot .
Utrecht , chez Henri Spruit.
QUESTION de Médecine , s'il faut bannir
tout vafe de cuivre de la préparation
des alimens ; propofée par M. François
Thierri de Thulle , Docteur de Pont-à-
Mouffon , fous la Préfidence de M. Falconet
, Docteur de Paris , &c. A Paris , chez
Quillau , 1749.
DISSERTATION fur la Chronologie des
Rois Mérovingiens , depuis la mort de
Dagobert I. jufqu'au Sacre de Pepin , &c.
par M. Gouye de Longuemare , Avocat au
Parlement , & Greffier au Baillage Royal
de Verſailles , in- 12. de 113 pages , en y
comprenant d'autres pièces détachées , de
207 pages. A Paris , chez Chaubert , Quai
des Auguftins.
DISCOURS prononcé à l'Académie d'Angers
, le Vendredi 24 Janvier 1749 , par
M. de la Blandiniere , Chanoine de Saint
Maarille , & Prieur de Saint Sulpice de
JUILLET . 1749. 149
Ballée , lors de fa réception à la place de
M. l'Abbé le Gouvello . A Angers , chez
Pierre- Louis Dubé , de 30 pages in- 4° .
ABREGE' de la Grammaire Françoife ,
ou principes généraux & régles principa
les de la Langue Françoife , pour ceux qui
n'ont point étudié . A Paris , chez Guillaume
Després , & Pierre- Guillaume Cavelier
, rue Saint Jacques , in - 12 . de 176
pages.
MAXIMES pour fe conduire chrétiennement
dans le monde , par M. l'Abbé Cles
ment , Aumônier
du Roi de Pologne Duc
de Lorraine , & Prédicateur
du Roi , A
Paris , chez Hippolite- Louis Guerin , rue
Saint Jacques , in- 12 . de 322 pages.
SUITE de la defcription des maladies
veneriennes. Ouvrage dans lequel on traite
des rétentions d'urine , & en général
des maladies de l'uréthre. Par M. Dibon,
Chirurgien ordinaire du Roi dans la Compagnie
des Cent Suiffes de la garde de Sa
Majefté. A Paris , chez de la Guette , Imprimeur
de l'Académie Royale de Chirurgie
, rue Saint Jacques .
LETTRE fur la Proceffion qui fe fait tous
les fept ans , par les Religieux de l'Abbaye
Royale de Saint Denis , à celle des Dames
de Montmartre , in-4° . A Paris , chez
Merigot , Libraire , Quai des Auguftins .
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
LES RUDIMENS de la Langue Latine ,
par M. Vallart , feptiéme édition , augmentée
des genres , des préterits & fupins,
& d'un petit Dictionnaire qui renferme
les régles particulieres. A Paris . chez Lot→
tin & Butard , Imprimeur-Libraires , rue
Saint Jacques , à la Vérité.
Six Concerto & douze ouvertures pour
les violons , par M. Handel. A Paris , chez
Vincent , cul- de-fac de l'Etoile , rue The
venot , & Madame Boivin , rue Saint Honoré
, à la Régle d'or.
AIRS & Duo , tendres & bachiques ,
par M. Felord , de l'Académie Royale de
Mufique. Premier Recueil , gravé par
Madame Brouet, Prix 3 liv. A Paris , chez
'Auteur , rue Saint Thomas du Louvre ,
& Madame Boivin .
SEI SONATE à due violini, flauti, corni da
caccia , baffon è baffo , a tré cinque è fei parti,
nuovamente compofte dall Signor Andrea
Adolphati , di Venezia. Opera prima , gravé
par Madame Brouet , prix 9 liv. A Paris ,
chez Madame Boivin ; M. le Clerc , rue du
Roule , & Mlle Caftagnery , rue des Prouvaires.
NOUVEAU SUPPLEMENT au Dictionnaire
de Moreri , in -folio . Deux volumes , faifant
les tomes IX. & X. de ce Dictionnaire,
1749. A Paris , chez Vincent , Coignard
JUILLET. 151 1749 .
"
& Boudet , le Mercier , Deffaint & Saillant ,
Heriffant & Prieur , Libraires.
VOYAGE PICTORESQUE de Paris , ou
indication de tout ce qu'il y a de plus curieux
dans cette grande Ville , en Peinture
, Sculpture & Architecture , par M.
D.... A Paris , chez Debure , l'aîné ,
Quai des Auguftins.
Quillau , pere & fils , Delormel & Leloup,
Libraires à Paris , donnent avis qu'ils im-
-priment actuellement le nouveau Voyage
autour du monde , fait dans les années
1740 , 41 , 42 , 43 & 44 , par George
Anfon , Commandant en Chef d'une
Efcadre de fa Majefté Britannique , laquelle
avoit été mife en commiffion pour
être employée à une expédition fecrette
dans la mer du Sud ; traduit de l'Anglois
: par M. l'Abbé du Gua de Malves , de l'Académie
Royale des Sciences , III . volumes
in- 12 . & un volume in - 4° . ornés de beaucoup
de planches en taille douce , & enrichis
de notes , foit pour ce qui regarde la
Phyfique , foit pour ce qui a rapport à la
Marine.
Quillau fils met en vente 1. un' Livre
intitulé , Methode naturelle de guérir les
maladies du corps , & les déréglemens de
l'efprit qui en dépendent , traduite de
l'Anglois de M. Cheine , Médecin & Ma-
Giiij
152 MERCURE DE FRANCE.
thématicien Ecoffois , & Membre de la
Société Royale de Londres , par M. de la
Chapelle , de la même Société , en deux
volumes in- 12 , fur la troifiéme édition du
texte Anglois .
Outre un grand nombre de réflexions
générales & philofophiques fur l'économie
de la nature , dans la vie animale , le
premier volume contient des obfervations
très approfondies fur la nature du mercure
& fur celle du lait , de quelque efpéce
qu'il foit , en tant que ces deux fluides
ont rapport au rétabliffement , ou à la
confervation de la fanté . L'Auteur de la
Traduction y a joint une préface très - curieufe
, qui contient , entr'autres , la Defcription
, l'Hiftoire , la Méthode , & les
effets de la fameufe transfufion du fang.
Le fecond volume traite de toutes les
maladies chroniques en particulier , c'eſtà-
dire , des maladies longues , lentes ou
habituelles , telles que la goutte , l'aftme ,
l'hydropifie , &c. On s'y étend beaucoup
fur les précautions que doivent prendre les
femmes enceintes pour éviter les fauffes
couches ; fur la maniere dont les perfonnes
de l'un & l'autre fexe doivent fe conduire
pour éviter la fterilité ; enfin fur le
régime que doivent obferver les valetudinaires
, pour fe délivrer de leurs infirmités
JUILLET. 1749. 153
fans le fecours des médicamens , ainfi que
les perfonnes âgées pour
verte vieilleffe.
Cet
ouvrage
fe
procurer une
eft écrit de maniere que
l'on peut en entendre la plus grande partie
, fans être verfé dans la Médecine ;
ainfi il convient aux perfonnes de tous
états & de toutes conditions , d'autant plus
qu'il renferme en général tout ce qui a
rapport à l'art de fe conferver la fanté.
2. Defcription du mal de gorge accompagné
d'ulcéres , qui a paru ces dernieres
années à Londres , ainfi qu'en differentes
contrées d'Angleterre ; maladie qui regne
actuellement en France , & principalement
à Paris traduite de l'Anglois de Jean
Sothergill , Docteur en Médecine , par M.
de la Chapelle , Membre de la Société
Royale de Londres. Brochure in- 12 . fur la
feconde édition du texte Anglois. 1
Il est d'autant plus néceffaire que l'on fe
mette bien au fait des fymptômes & du
traitement de cette maladie , qu'elle ne
reffemble guéres aux maux de gorge ordinaires
, & qu'elle eft prefque toujours
mortelle , quand on la traite fuivant la
méthode ufitée en pareil cas , ainsi qu'on
en a eu un très- grand nombre d'experiences
, & qu'on en a encore tous les jours 卤
Paris même , & en beaucoup d'autres en-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
droi´s du Royaume , où il paroît qu'on err
ignoré , & qu'on en ignore encore la
véritable nature , ce qui rend ce mal fort
redoutable. Il est donc du plus grand intérêt
du Public de s'inftruire promptement
fur la conduite que l'on doit tenir , quand
on en eft attaqué .
30. Aftronomia phyfice , juxtà Neutonis
principia , breviarium , methodo Scholafticâ ,
ad ufum ftudiofa juventutis , Authore Petri
Sigorgne , focio Sorbonico & Philofophia Profeffore
in Univerfitate Parienfi.
On trouve chez le même Libraire un
Livre beaucoup plus ample fur cette matiere
, intitulé : Inftitutions Neutoniennes , ou
Introduction à la Philofophie de Newton , par
le même Auteur. Deux volumes in- 8°. figures.
La Philofophie de Newton , étant devenue
celle des Sçavans , l'Auteur a voulu
la proportionner à la capacité des jeunes
gens , & aux forces de ceux qui ne voudroient
pas faire une étude longue & pénible
de la Géométrie , pour fe mettre en
état de lire l'ouvrage même de M. Newton.
Ces inftitutions comprennent toute
l'Aftronomie phyfique , le Aux & le reflux
de la mer , les principales découvertes de
Newton fur la lumière , & leur explication
; les principes de Chymie , & leur
SOMU I LILIE TJ
1749.55
application aux phenoménes les plus remarquables.
C'eft le Commentaire fur
Newton le plus complet , & le plus élementaire
, qui ait encore paru, H eft à la
• portée de ceux qui ont étudié les élemens
de Géométrie. L'abregé Latin que l'Auteur
en a fait , ne contient que l'Aftronomie,
& l'explication des marées. Il eſt
en forme fcholaftique pour la commodité
des claffes , & ne fuppofe prefque point
de Géométrie .
Il étoit tems de rendre familiere une
Philofophie fi sûre & fi profonde , & de
détruire des préjugés , d'autant plus nuifibles
aux progrès de la Phyfique , qu'ils
étoient plus fondés en apparence , & qu'il
étoit plus difficile de s'en défaire , foit par
la lecture de M. Newton , foit même par
celle de fes
Commentateurs .
ESTAMPES NOUVELLES.
L paroît depuis peu chez le St Tardieu,
Graveur du Roi , une Eftampe gravée
par lui , d'après un des plus beaux tableaux
de Teniers , du Cabinet de M. le Comte
de Vence ; ce tableau repréfente une troupe
de foldats qui pillent une Ferme. Au
milieu eft le maître de la maifon , lequel
leur demande la vie à genoux ,
tandis genoux tandis que
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
- fa femme effrayée leur apporte fon argent.
· Plufieurs foldats tiennent lié le Bourguemeftre
du lieu , pour le rendre témoin du
défaftre ; dans le refte du tableau font
d'autres foldats , dont l'un pourfuit le fils
de la maifon l'épée à la main , les autres
emmenent les beftiaux , & c.
Cette Eftampe, qui'a pour titre les Miféres
de la Guerre,fait pendant à celle des Oeuvres
de mifericorde , d'après le même Auteur ,
que le Sieur le Bas , Graveur du Roi , donna
au Public il y a deux ans.
que
Le Sieur Tardieu , Auteur de celle
nous annonçons , demeure rue S. Jacques,
près la rue des Noyers , à Paris.
Le Sieur Petit , Graveur , rue Saint Jacques
, près les Mathurins , continue de
graver
la fuite desHommes illuftres de feu
M. Defrochers , Graveur ordinaire du Roi,
& il vient de mettre au jour les portraits
fuivans.
NICOLAS LENGLET DU FRESNOY , né
à Paris les Octobre 1674. On lit ces
vers au bas , de M. le Chevalier de Neufville.
Le tems de qui Lenglet , malgré d'épaifles ombres,
Retrouve tous les pas , qu'il montre à nos efprits ,
Le tems fur fes doctes écrits
Ne laiffera jamais tomber fes voiles fombres.
JUILLET.
157
1749.
CLAUDE PAION , né à Romorentin en
1626 , Docteur & Profeffeur en Théologie
, Miniftre à Bione , près d'Orleans ,
mort en 1685 .
JEAN- BABTISTE SILVA , Ecuyer , Docteur
Régent de la Faculté de Médecine ,
en l'Univerfité de Paris , Médecin du Roi ,
& ordinaire du Prince de Condé ; peint
par feu M Rigaud.
Il charmoit les efprits par les traits éloquens ,
Et portoit dans fes mains les trésors de la vie.
Admiré du Public , & recherché des Grands ,
Il fe rendit célébre , & terraffa l'envie.
SIMON VOUET , Peintre du Roi , Maître
de l'Ecole Françoife , né à Paris en 1582 ,
mort en 1641 ,' enterré à Saint Jean - en-
Grêve.
}
Ce fut Ini parmi nous , qui fit fi bien connoître
L'art de rendre la toile animée à nos yeux
"
Son pinceau charma nos ayeux :
Mais ce grand Artiste peut- être
En France feroit moins fameux ,
Si de fon Raphaël il n'étoit pas le Maître.
PIERRE MIGNARD , Ecuyer , Premiér
-Peintre du Roi , Directeur & Chancelier
en fon Académie de Peinture & de Sculpzure
né à Troyes en Champagne , en ›
158 MERCURE DE FRANCE.
t
1610 , mort à Paris en 1695 ; peint par
feu M. Rigaud.
Par les graces de fon pinceau ,
Mignard a de la Grece égalé les ouvrages ;
Et ce fuperbe Dôme , où regne un goût nouveau
Qui mérite tous les fuffrages
Eft encor de Paris le plus bel ornement ,
Et d'un talent divin le plus beau monument.
Les vers qui font au bas de ces trois derniers
portraits , font de M. Daquin .
LET TRE
31
AM. de Boze, de l'Académie Françoise
Honoraire de l'Académie de Peinture
Sculpture , Garde des Médailles &
Pierreries du Cabinet du Roi , &c.
M
Onfieur , à qui devois - je à plus jufte
titre offrir mes découvertes dans
l'art de peindre en gravûre gravûre , qu'à vous ,
qui avez mérité d'être l'arbitre de ceux qui
cultivent les Arts & les Sciences ; qu'à vous,
à la protection finguliere de qui je me dois
tout entier , & fans laquelle je n'euffe jamais
échappé aux malheureux traits de
T'envie ? Souffrez donc , Monfieur , puifJUILLET
.
159 1749.
qu'on ofe encore aujourd'hui m'accufer
d'être éleve de le Blond , & que fous le
même titre de l'art de peindre en gravûre,
on veut confondre mon fyftême avec le
fien , que je mette ces deux fyftêmes en parallele
, que je détermine l'époque de leur
invention , que par leur difference marquée
je repouffe l'injure qu'on m'a voulu
faire , de me fuppofer capable de m'emparer
des découvertes d'autrui , fous prétexte
d'y avoir fait quelque changement .
Epoque de l'établiffement
de l'art d'imprimer
les Tableaux.
Laftman , Peintre Hollandois , qui vivoit
en 1626 ( duquel Rembrandt Van-
Rheyn étoit difciple ) imagina l'impref
fion des Eftampes en couleur ; mais n'ayant
pas
réuffi dans fes tentatives , les ouvriers
dont il s'étoit fervi , fe réduifirent à placer
fur un feul cuivre les differentes couleurs
dont ils vouloient fe fervir , & mirent fous
leur nom , ou fous celui de quelque particulier
des planches dans cette maniere , repréfentant
des oifeaux , des fleurs & des
plantes ; ces planches étoient gravées au
*
* On trouve de ces Eftampes à Londres dans les
Recueils de la Société Royale , & M. de Morti-
Secretaire de cette Académie , m'en a fait
voir plufieurs qu'il a lui-même dans ſon cabinet.
mer ,
160 MERCURE DE FRANCE.
burin & à l'eau forte . D'autres fe fervirent
des gravûres au berceau, imprimées en bleu,
fur lefquelles ils appliquerent d'autres couleurs.
Les nouveautés ne réuffiffent pas toujours,
mais elles ont leur utilité , & fi ces premiers
Maîtres dans l'art de peindre en gravûre
n'eurent pas tout le faccès qu'ils devoient
attendre de leur nouvelle invention
, ils ne doivent en accufer que la dureté
& le mauvais goût de leurs ouvrages.
En effet les dépenfes qu'on a faites dans la
fuite pour perfectionner cet art , font une
preuve de l'accueil favorable qu'on fe
difpofoit à lui faire fi-tôt qu'il auroit trouvé
l'art de plaire. Le Blond , Peintre , Allemand
de nation , difciple ( difoit il ) de
Carlo Maratti , vint en Hollande vers l'an
1704 , il effaya d'appliquer à la Peinture
la théorie du grand Newton fur les couleurs
, & voyant que les tentatives , affez
infructueufes , qu'on avoit faites pour
peindre en gravûre , loin d'en dégoûter le
Public , ne faifoient au contraire que piquer
fa curiofité , & garantir le fuccès de
ceux qui parviendroient à la perfectionner,
propofa à divers Graveurs Hollandois
de faire quelques effais fur les couleurs ,
conformément au Systême de Newton. Il
réuflic en Hollande . Il alla en Anne
put
JUILLET. 1749 . 161
gleterre , où il propofa d'abord à la Socié
té Royale le projet qu'il avoit formé de
graver des planches en couleur fur diffe-
Fens cuivres ; il lui fut facile. de faire entendre
qu'il réuffiroit en fuivant le Syftême
de Newton , & il forma une Société
affez nombreuſe , dont les avances confidérables
le mirent pendant long-tems en
état de fubfifter , & de faire tous les effais
néceffaires pour la réuffite de fon fyftême
pratique ; mais ayant par lui-même , ou
par d'autres voyes , découvert que toutes
les couleurs pouvoient fe réduire à trois
primitives , il s'imagina que le feul moyen
de réuffir étoit de graver trois cuivres , de
maniere à pouvoir former les differentes
nuances intermédiaires. Il ne voulut point
fe départir de ce fentiment. Il réuffit mal
& il s'en prit au peu d'habileté des Graveurs
& des Imprimeurs qu'il faifoit travailler.
Vingt années s'écoulerent fans que
les bénéfices du nouvel art euffent enrichi
fes Affociés ; il fe retira & vint s'établir
en France. Il arrive à Paris en 1735 ; il y
forme une Société ; il y fait annoncer fon
talent ; tous les amateurs du nouvel att de
peindre accourent fur les merveilles qu'il
promet , & l'efpoir d'une fortune immenfe
lui fit bien- tôt trouver des fonds , mais ne
le mit pas en état de réuffir , car il s'agiffoit
162 MERCURE DE FRANCE.
лу
moins d'un fecret , que de l'art de plaire.
Il débuta par une Vierge d'après fon cher
Maitre Carlo Marati , & choiſit M. Tardieu,
Graveur en taille- douce , pour exécu
ter ce morceau. Il avoit cependant appor
té d'Angleterre un tableau des enfans de
Van- dyck & une Vierge , qu'il avoit fait
graver à Londres . Ces deux morceaux ,
gravés felon fon fyftême , furent affez
goutés , mais ils étoient finis au pinceau
avec des couleurs en huile ; c'eſt - là ce
qu'il appelloit mignaturer l'Estampe. Le
tems qu'on employoit à mignaturer ainfi
l'Eftampe , faifoit perdre le fruit qu'on
auroit tiré , s'il avoit eu le talent de les
faire fortir de la preffe telles qu'elles devoient
être , fans ce fecours étranger ; c'eſt
Jà ce qui lui fit tenter d'exécuter la Vierge
de Carlo Maratti fur ce plan; mais M. Tardieu
, quoi qu'entrant parfaitement dans
les vûes de le Blond , ne put parvenir à
faire un morceau digne d'être préſenté au
Public , qui fe dégoûta bientôt de le
Blond.
J'arrivai dans ce tems - là à Paris avec un
projet tout femblable , enfanté à Marſeille
ma patrie , fur des principes differens &
éppofés à celui de l'Auteur dont nous venons
de parler. Agé de 20 ans, inftruit comme
on l'eft ordinairement dans la Provin
JUILLET. 1749.
1749. 163.
ce , j'ignorois , & on le croira fans peine
les grandes merveilles de Paris & de Londres.
La deftinée qui fembloit me fixer
dans Matfeille , me faifoit perdre de vûc
Les avantages de ces Capitales pour les
hommes à talens. J'aimois la Peinture ,
j'en faifois même ma principale occupation
. Les Manufactures d'Indiennes , fi
communes à Marseille qu'on y voit. partout
Les ouvriers travailler dans les rues , attirerent
mes regards , & c'eft là d'où me
vint l'idée de tenter d'imprimer les ta
bleaux dans le même goût. Les grands
projets ne peuvent s'exécuter que dans les
grandes Villes , & je m'imaginai ne le
pouvoir faire qu'à Paris. L'amour de la
gloire me fit renoncer aux engagemens les
plus doux . J'arrivai donc à Paris , je me
gardai bien de communiquer mes idées ,
je ne voulois cependant pas être ignoré ,
je cherchai les moyens de me faire connoître
, & je les trouvai .
Le Pere Caftel me propofa , avant que de
me faire connoître le Blond , un effai ſur le
nouvel art de peindre en gravure. Je choifis
un fujet fimple qu'on pouvoit faire à trois
planches , & le Pere Caftel lui-même me
fit donner une Coquille par M. Mortin
du Pont Notre-Dame ; je la gravai ainfi
parce que les quatre couleurs dont je me
164 MERCURE DEFRANCE .
fers, n'étoient pas néceffaires pour ce fujet.
Le Pere Caftel fut content de l'exécution ,
il m'en fit tirer plufieurs exemplaires ; il me
prôna aux perfonnes qui avoient foutenu
le Blond ; il fit renouer la partie ; les Intéreffés
dans l'entrepriſe de le Blond , crurent
qu'il étoit à propos avant tout d'obtenir
de la Cour un Privilege exclufif qui
leur fut accordé par Arrêt du Confeil le
12 Novembre 1737 , qui donnoit à le
Blond exclufivement à toute autre perfonne
le droit d'imprimer les tableaux avec trois
planches ; & par autre Arrêt du premier
Avril 1738 , Sa Majeſté confirma le précédent
Arrêt , & nomma des Adjoints en préfence
defquels le fieur le Blond feroit tenu de
travailler. Le 24. du même mois , c'eſt - àdire
24 jours après , je fus appellé pour
aider le Blond , fous l'efpoir d'une part
dans l'entreprife, & on m'accorda, en attendant,
6 livres par jour. Je ne fus pas longtems
à m'appercevoir que le Blond avoit
d'autres vûes , & je réfolus de le quitter.
Je mis donc à profit les vuides que me
laiffoient les occupations que j'avois avee
lui , je paffai même quelques nuits à exécuter
un morceau fuivant mon fyftême des
quatre couleurs d'après une tête de S. Pierre
, que M. Tardieu ( qui gravoit pour lors
chez le Blond les portraits de feu fon E. M.
JUILLET. 1749. 165
le Cardinal de Fleury & de Van- dyck) me
prêta. Je fis préfent des Eftampes que j'avois
tirées, aux perfonnes qui protegeoient
le Blond & au R. P. Caftel ; mais voyant
que je ne pouvois par là déterminer le
Blond à tenir fes engagemens , je le quit
tai le 8 Juin 1738 , c'eft- à - dire fix femai
nes après m'être lié avec lui. M. Tardieufinit
le portrait du Cardinal & la copie de
Van-dyck. Le Blond fit enfuite graver le
portrait du Roi par M. Robert , & commencer
par le même Grayeur une planche
d'Anatomie , repréfentant des inteftins.
Le Blond mourut , & fon dernier Eleve fi
nit après la mort cette derniere planche.
N'ayant encore découvert aucun Mécéne,
fous les aufpices duquel je pûffe mettre mes
ouvrages aujour , je ne perdis cependant pas
courage ; je travaillai & je gravai 22 morceaux
differens dans mon ſyſtême des quatre
couleurs , tant en Hiftoire , en Paysage,
qu'en portraits , fruits , fleurs , coquilles
& autres fujets d'Hiftoire naturelle ; & fur
la permiffion que j'obtins par un Arrêt du
Confeil , après la mort de le Blond , les
'Septembre 174 !, j'expofai mes ouvrages
en vente ai depuis exécuté de plus grands
fujets , qui peuvent aller de pair avec de
vrais tableaux , & j'aurois continué , fans
un Cours d'Anatomie en quarante- fix plane
ches , qui m'occupe préfentement,
.
166 MERCURE DE FRANCE.
Systême - pratique des trois couleurs
de le Blond.
Le Blond fit imprimer à Londres un
Traité intitulé , il coloritto , dans lequel
il donne la théorie des couleurs dans le
nouvel art d'imprimer . La Peinture , dit
il , peut repréſenter tous les objets viſibles
avec trois couleurs , fçavoir , le jaune , le
rouge & le bleu , car toutes les autres couleurs
fe peuvent compofer de ces trois , que je nomme
couleurs primitives : par exemple, le jaune &
le rouge font l'orange ; le rouge & le blen
font le violet ; le bleu le jaune font le vert ,
& le mêlange de ces trois couleurs primitives
enfemble produit le noir toutes les autres
couleurs , comme je l'ai fait voir dans la prae
tique de mon invention d'imprimer tous les objets
avec leurs couleurs naturelles. Je ne parle
que des couleurs matérielles , c'est - à - dire ,
des couleurs dont fe fervent les Peintress car
de mêlange de toutes les couleurs primitives
impalpables ne produit pas le noir , mais
précisément le contraire, c'est-à-dire, le blanc,
comme l'a démontré l'incomparable M. le
Chevalier & Newton dans fon Optique, 11
ajoûte enfuite , le blanc eft une concentration
ou un excès de lumiere ; le noir eft
une privation ou un défaut de lumière. L'un
l'autre fe produit par le mêlänge des couici
2
JUILLET . 1749.
167
leurs primitives , mais l'un réfulte du mêlan→
ge des couleurs impalpables , & l'autre des
couleurs matérielles . Il termine ce Traité
par la méthode de préparer les couleurs
fur la palette pour peindre , & il indique
aux Peintres la façon de faire les lumieres,
les ombres , les reflets , les fuyans , les teintes
générales & les meféteintes. [ Léonard
de Vinci nous a donné à peu près les mêmes
préceptes. Voyez dans la planche ci jointe
les trois couleurs de le Blond & leurs combinaiſons
repréfentées autour de la palette,
a, dénote le bleu ; b, le jaune ; c, le rouge ;
abe, indique les trois couleurs enſemble ,
que le Blond difoit produire le noir ; ac ,
les deux qui doivent produire le violet
ou le pourpre ; ab , les deux qui produifent
le vert ; ba , celle qui produit l'orangé.
Je ne fçais comment le Blond pouvoit
former les autres couleurs dont fe fervent
les Peintres , avec ces trois couleurs
primitives , puifque leurs differentes combinaifons
ne peuvent produire que celles
dont nous venons de parler , que leurs
differentes proportions dans leurs mêlanges
ne font que des teintes intermédiaires
de ces couleurs , & qu'aucune de ces teintes
ne peut fuppléer aux autres couleurs,
Il eft bien vrai que le Blond ajoûtoit quelquefois
aux trois planches qui portoient
168 MERCUREDE FRANCE.
Les trois couleurs primitives , une quatriéme
& même une cinquiéme planche ; mais
ces planches ne portoient que quelque
trait de burin pour réparer les touches de
blanc qu'il ne pouvoit conferver dans fes
trois planches primitives ; telle eft par
exemple , la quatriéme planche qu'il fit
graver au fieur Tardieu , laquelle portoit
quelques traits de burin pour former le
bord du colet & la chevelure du portrait
de S. E. M. le Cardinal de Fleury . Il fit
de même graver par le fieur Robert une
quatriéme planche au portrait du Roi ,
qui portoit une couleur pour glacer le
cordon bleu , parce que le bleu de fa premiere
planche. étoit trop fale. C'est donc
mal à propos qu'on a voulu faire entendre
que ces contre-planches avoient du rapport
à ma à ma quatrième planche ; je me fers
auffi quelquefois de ces contre- planches
pour former des dentelles fur des portraits,
mais je ne les trouve propres qu'à cet ufage
, elles n'ont rien de commun avec mes
quatre planches primitives far lefquelles
eft fondé mon fyftême , de -même qu'elles
n'avoient aucun rapport aux trois dont fe
fervoit ordinairement le Blond , & on ne
pourra jamais conclure de là que le Blond
ait pratiqué mon fyftême , ni que j'aye prariqué
le fien , quelque détour ſpécieux que
l'on
Gautier Sculp
ba
ac
Sisteme
AD
ACD
ABCD
A
bc
JUILLET . 1749. 189
on prenne pour le faire entendre au Pulic
. Pour le confirmer , voici quel eft
on fyftême.
yftême pratique des quatre couleurs primitives
du fieur Gautier.
Je me fers de quatre couleurs , pour imier
tous les tableaux peints en huile , fçavoir
, du noir , du bleu , du jaune & du
rouge ; ces quatre couleurs & le blanc du
papier forment toutes les autres couleurs
imaginables , comme je le vais prouver.
C'est pourquoi je grave quatre planches
, fur lefquelles j'applique ces quatre
couleurs , qui avec le blanc du papier, doivent
par leurs differentes nuances , former
le tableau. Ceux qui diront qu'on peut ajoûter
pour la perfection de l'art une quatriéme
& même cinquiéme couleur primitive ,
font dans l'erreur , & n'ont point de connoiffance
de la nature des couleurs pratiques.
Explication de la Palette imprimée ,
du fieur Gautier.
Les Peintres fçavent que les couleurs matérielles
, dont ils fe fervent pour peindre
en huile , & repréfenter tous les objets vifibles
, font ,
1. Le blanc de plomd ou de cerufe.
H
170
MERCURE DE FRANCE
2°. Le jaune de Naples.
3.L'ocre claire ou commune ,
4. L'ocre de Rome ou obfcure.
5°. Le cinabre .
6. Le brun rouge .
7°. L'ocre brûlé ou d'Angleterre.
8°. La terre d'ombre .
9. La terre de Cologne .
10°. Le noir d'yvoire , de vigne , d'Al
lemagne ou de fumée.
11°. L'outre-mer ou le bleu de Pruffe .
12 °. La terre de Verone .
13 °. Le ftil de grain .
14° . La laque de Venife ou le carmin,
Les Peintres fuppléent, par le moyen des
couleurs précédentes , à d'autres couleurs
qu'on trouve auffi toutes formées ; telles
font la cendre bleue , qu'on fait avec le
blanc & l'outre- mer , l'indigo avec le noir
& le bleu de Pruffe , la cendre verte avec
lejaune de Naple & le bleu , les machicots
dores & pâles avec le jaune de Naples , le
blanc & un peu de cinabre ; les orpins dorés
avec le jaune de Naple & le cinabre ,
la laque colombine avec la laque & le
bleu , la mine de plomb avec le cinabre
& le blanc. Il y a encore d'autres
couleurs defquelles on ne fe fert pas communément
, & qui font des compofés de
celles- ci.. Or toutes ces couleurs font réJUILLET.
1749.
172
prefentées fur ma Palette , imprimée fuivant
mon fyftême , dans laquelle ,
E répréfente le blanc de cérufe ou de
plomb , c'eſt le blanc du papier,
EC répréfente le jaune de Naple , compofé
du blanc & de la couleur C.
C , l'ocre claire ou commune , couleur
primitive.
AC , l'ocre de Rome ou obfcure , compofée
du noir & du jaune .
D , le cinabre , couleur primitive .
AD , le brun rouge , compofé de noir
& de rouge.
ACD , l'ocre brûlée, compofeé de noir,
de jaune & de rouge.
ABCD , la terre d'ombre , composée
des quatre couleurs .
BCD , la terre de Cologne , compofée
de trois.
A, le noir d'yvoire ou d'Allemagne ,
couleur primitive.
B , l'outremer ou le bleu de Pruffe , couleur
primitive.
ABC , la terre verte de Verone , compofée
de noir , de bleu & de jaune.
BD , la laque de Venife , composée de
rouge & de bleu ; je puis donner en place
la couleur de carmin. *
J'ai donné un exemple de cette couleur dans
mon tableau imprimé de l'Efpion au Confeil de
guerre.
Hij
172 MERCURE DE FRANCE!
EB , la cendrée bleue .
AB, l'indigo , compofé de noir & de bleu.
BC , la cendre verte , compofée de bleu.
& de jaune,
CD , l'orpin doré , composé de rouge &
de jaune ..
D, DB, ou pour mieux dire, B , DB , eft
la couleur de laque colombine , faite du
bleu B , & de la laque D B.
BDA , Une couleur innominée.
EA , teinte grife , compofée du noir &
du blanc.
Les quatre couleurs dont je me fers, peuvent
donc , comme je viens de le faire
voir , fuppléer à toutes les autres couleurs.
Quant au ftil de grain , comme c'eſt une
couleur qui n'a aucun corps,& qui ne fert
qu'à glacer , à faire des verds & à donner
certaines teintes aux autres , on peut le
comparer à la couleur ABCD , quand il eft
fur palette , & à la couleur E C , quand
il eft mêlé de blanc , ces deux couleurs
duifant le même effet.
-Je pourrois ajoûter ici quelques reflézions
, qui en étendant davantage mes
idées , jetteroient plus de jour fur mon fyftême
, mais ne feroit-ce pas abufer de votre
complaifance, Monfieur ? J'ai l'honneur
d'être avec un profond refpect , &c.
S. Gautier,
proJUILLET.
1749. 173
REPONSE de M. de Montdorge , anx
informations de M. Rémond de Sainte
Albine , au fujet de la conteftation entre
deux éléves de feu le Blond , dans l'art
d'imprimer les tableaux.
Left vrai , Monfieur , que vous ne pouviez
I mieux vous adreffer ,pour eure éclairci lavrla
conteftation qui s'eft élevée dans vos Journaux ,
au fujet des Estampes colorées . Le Blond qui en
eft l'Inventeur , auroit - il laiffé fon art imparfait ?
Le Sieur Gautier en eft il , comme il le dit , le
Reftaurateur ? Et le Sieur Robert a-t'il pû apprendre
quelque chofe , en méditant fur les cuivres
gravés du Sieur Gautier ? Voilà , je crois , les trois
points , de part ou d'autre , conteftés dans differens
Mercures.
Plufieurs Eftampes coloriées , que le Blond a
laiffées entre mes mains , font des garans inconteftables
, que l'art n'eft pas demeuré imparfait.
Tableaux d'Hiftoire , Portraits d'après le Titien,
d'après Vandyck , Morceaux d'Anatomie furtout ,
qui loin de paroître coloriés fous la preffe, paroîtront
aux yeux même des plus fins connoiffeurs le
chef-d'oeuvre d'un Peintre en miniature ; tous ces
ouvrages , dis -je , fi l'on veut les confulter , ne laifferont
jamais douter que le Blond n'ait pouffé fon
art à la perfection .
Mais , pourront dire les vrais Connoiffeurs , fi
le Blond étoit capable de conduire les ouvrages à
la perfection , pourquoi n'a- t'il donné en France
que des morceaux qui laiflent tant à défirer a
On devroit s'étonner , au contraire , que les
H iij
74 MERCURE DE FRANCE .
morceaux dont on parle ici , ayent laiffé entrevoit
fitôt des efperances de fuccès."
Quand le Blond travailloit en Angleterre ,
c'étoit au centre des bons Graveurs pour la maniere
noire , la maniere des Smiths. Cette mapiere
, qui eft le premier principe du nouvel art ,
étant abandonnée depuis long- tems de nos Graveurs
& de nos Imprimeurs François , on conviendra
qu'il falloit au moins quelques années d'eſſai
pour former des éleves : & la mort enleva le Maître
dans un âge fort avancé , au moment qu'il alloit
triompher des objections & des critiques
qu'on ne ceffoit de faire fur fes ouvrages.
Je déclare , en paffant au fecond article , que
mon intention n'eft affûrement pas de déprifer les
talens du Sieur Gautier ; il a de la pénétration &
de l'activité ; mais en admirant avec tout le monde
les progrès qu'il a faits dans l'art de le Bond
je fuis obligé de certifier que le fuccès eft entierement
dû à l'Inventeur . On fçait , dit cependant le
Sieur Gautier à la page 180 du Mercure de Décembre
1748. On fçait que le Blond ne travail-
»loit qu'en trois couleurs ; le Traité , imprimé à
» Londres , qu'il a donné au Public , les trois
Planches qu'il a faites à Paris , & le Privilége
qu'il a obtenu , le prouvent évidemment ; ainfi
le Sieur Robert , en gravant fur quatre Planches,
ne peut fe dire éleve de feu le Blond.
>>
Je réponds à cela , que c'eft préciſement pour
avoir travaillé avec quatre Planches , que le Sieur
Robert doit être confirmé dans la qualité d'éleve
de le Blond , puifque la réunion des quatre planches
étoit la méthode la plus fûre de fon Maître ;
on en peut juger par les propres termes d'un Mémoire
, que feu M. du Fay m'engagea à faire pour
l'Académie des Sciences, dans le tems que le Blond
follicitoit fon Privilége.
JUILLET.
1749. 175
C'eft avec trois planches , dit ce Mémoire ,
que furent conduits les premiers ouvrages admirés
en Angleterre. On pourroit abfolument
s'en tenir à cette façon d'opérer : mais l'Inventeur
travaille aujourd'hui avec plus de prompti-
» tude & plus de fûreté .
30
כ כ »Quatre planches font néceffaires dans la nou-
» velle façon d'opérer on grave d'abord fur la
premiere tous les noirs du tableau , felon la
» force que demande chaque partie ; & pour rom-
» pre l'uniformité qui tiendroit trop de l'art noir
» ordinaire , on ménage dans les trois planches
qui doivent fuivre , des endroits qui puiffent
" glacer fur le noir . Le papier étant chargé de
» tous les bruns , il eft aifé de comprendre que la
feconde planche qui imprime en bleu , puifqu'on
ne la forçoit que pour aider à faire ces
" ombres , doit être beaucoup moins chargée de
couleur qu'elle ne l'étoit , en travaillant felon
les premiers principes . De même la planche
jaune & la planche rouge , qui fervoient par
tout àformer les ombres , ne font plus chargées
33 que des parties qui veulent marquer en jaune &
"en rouge purs , & de quelques autres parties en
core qui glaceront pour fondre ces couleurs ,
"ou qui réunies en produiront d'autres , ainfi que
» le bleu & le jaune produifent enfemble le verd ,
" & que le jaune & le rouge produisent l'oran-
" gé , & c.
" On trouve , dit encore ce Mémoire dans un
» autre article , on trouve dans prefque tous les
tableaux des tranfparens à rendre , qui demandent
une opération particuliere ; des vîtres dans
l'architecture , des voiles dans les draperies , des
nuées dans les Ciels , & c. Le papier qui fait le
» clair de nos teintes , a été couvert de differentes
ג י
Hiiij
176 MERCURE DE FRANCE.
couleurs , & par conféquent ne peut plus fervir
"pour faire ces tranfparens , qui doivent être
» blancs ou blanchâtres , & paroitre fur les cou-
» leurs qu'on voit à travers. On fera donc obligé
" pour former ces tranfparens , d'avoir recours à
» une cinquiéme planche , ou plutôt à l'une des
" quatre qui ont déja fervi,
Le Mémoire explique ici , var le ſecours d'une
figure numerotée , de quelle façon on doit opérer
pour employer à l'impreffion le mélange de tou
tes les couleurs ; & ajoute : » Qu'on peut profiter
» des places vuides dans chaque planche , pour
» donner,fi l'on veut,de certaines touches qui aug.
" menteront la force , & avec d'autant plus de facilité
, que la même planche pourra imprimer ,
>>fous un feul coup de preffe , trois ou quatre
» couleurs à la fois , en mettant ou du bleu , ou
» differens blancs , ou du verd , ou d'autres couleurs
dans des parties affez éloignées les unes des
autres , pour qu'on puiffe les étendre & les
» effuyer fur la planche fans les confondre.
Le Sieur Gautier ne doit plus fe diffimuler , me
femble , que plufieurs planches , outre les vraies
primitives , n'ayent été employées avant lui , puifque
c'eft d'après differentes opérations faites en
Angleterre , que le Blond nous a démontré , les
épreuves à la main , qu'il étoit avantageux de s'en
fervir, mais il fe gardoit bien de faire parade de ce
fecours étranger à fon fyftême ; il n'admettoit les
planches au- delà des primitives , que pour exécuter
en quinze jours ce qui auroit coûté peut- être
deux mois de travail , en fe bornant à trois plan
ches . Toute fon ambition étoit de prouver , com_
me il l'a fait fi fouvent , que dès que les trois cou
leurs primitives pouvoient rendre par leur mê¬
lange autant de nuances qu'en fournit la nature
JUILLET . 1749 . 177.
trois cuivres combinés devoient rendre à l'impreffion
le tableau du plus habile coloriſte. C'eſt
pour la gloire de ce fyftême , que le Privilége n'a
fait mention que de trois couleurs , & à parler en
Phyficien , la premiere planche n'apportant que
du noir , rien n'empêche de nommer l'art de le
Blond , l'art d'imprimer les tableaux en trois cou
leurs.
A préfent que je crois avoir établi , que l'Inventeur
formoit fes éleves à travailler par l'affemblage
de quatre planches , je fuis obligé de convenir
, que dans le tems que le Sieur Gautier gra
voit fous lui , le Blond n'avoit point encore déclaré
que ,pour aller à la perfection par un chemin plus
court , on devoit employer le noir , avant d'employer
les trois couleurs primitives ; il attendoit ,'
pour ne rien cacher de fon art , que le Privilége fût
expédié.
Ainfi le Sieur Gautier peut avancer hardiment
que fon Maître ne lui a jamais dit , faites marcher
une planche noire avant les trois autres ; mais les
tableaux que ce Maître a imprimés à Londres , les
effais qu'il a imprimés à Paris , une quatriéme
planche blanche que le Sieur Gautier a gravée luimême
fous le Blond , en difent affez à un Artiſte
intelligent. D'ailleurs le Traité donné en Angle
terre , que le Sieur Gautier cite je ne fçais pour
quoi , dit clairement à la page 17. En prenant
plus ou moins de noir , vous pouvez faire differens
degrés de mézeteintes , felon que vous en
aurez befoin ; & joignez-y de votre couleur principale
( le rouge ) vous verrez fort facilement
combien de cette teinture il y faut mêler ; car
»fi vous n'en donnez pas affez , votre mézeteinte
» fera trop bleuâtre , ou en terme de Peintre , trop
froide , & fi vous en mêlez trop , votre mézeteinte
fera fale.
"
Hy
178 MERCURE DE FRANCE
Ce n'eft donc point fur les cuivres du Sieur
Gautier , comme il fe imagine , que le Sieur
Robert a perfectionné fon talent : mais l'un &
l'autre doivent tout ce qu'ils fçavent en ce genre ,
aux leçons , au Traité , & aux modèles de l'Inyenteur.
Le Sieur Robert n'eft pas le feul qui fe foit
formé fous le Blond : le Sieur Tardieu , Graveur
très-connu ; le Sieur Blackey , Peintre , & plufieurs
jeunes éleves , font en état de travailler à
trois , à quatre & à cinq planches. Le Chrift que
vient d'imprimer le Sieur Robert , prouve que
les
intentions du Roi ont été fuivies ; car en accordant
une penfion à l'Inventeur , qui même après.
fa mort a été payée à fes enfans , l'Arrêt qui accorde
le Privilége , ne l'accorde que fous condition
que l'art du Privilégié ne fera plus un art
fecret , & qu'en formant des éleves il le rendra
utile à la Botanique , à la Géographie , & furtout
à l'Anatomie.
On a vû , il y a quelques années , une Planche
anatomique , gravée fous la conduite de M. Hu
naut , de l'Académie des Sciences , par le Sieur
Robert , qui n'eft point inférieure à celles du Sieus
Gautier ; & fi vous me demandez , Monfieur
pourquoi je n'ai pas fuivi ce projet d'Anatomie ,
auquel je n'étois d'abord intéreffé , je vous avoueai
franchement que j'ai trouvé qu'il fe préfentoit
dans la vie, cent occupations plus féduifantes que
celle de tourner & retourner les entrailles ou le
eoeur d'un pendu. "
Cette Lettre eft déja de moitié plus longue que
je ne comptois la faire : infenfiblement le ton de
la Differtation alloit me gagner ; & c'eſt pour l'éviter
que je finis en vous difant , Monfieur , que
sous les faits que je viens de vous expofer , peuJUILLE
T.
179 1749.
vent être arteftés par M. Duhamel , de l'Académie
des Sciences , avec lequel j'eus l'honneur d'être
nommé Commiffaire par le Roi , conjointement
avec M. du Fay , pour être dépositaires du fecret
de le Blond.
Le R. Pere Caftel , fi intéreffé au triomphe da
Systême des trois couleurs primitives , me permettra
de le citer auffi , comme témoin oculaire
de la fuite progreffive des opérations de le Blond.
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , le 20Juin 1749 .
Montdorge.
Troifiéme Lettre de M. Cantwell , Docteur
Regent de la Faculté de Médecine de Paris,
Membre de la Societé Royale de Londres ,
à Monfieur M. J. P. D. V.
Omme j'ai à vous entretenir aujourd'hui ,
Monfieur , des maladies de l'uréthre, je vous
préviens , fuivant ce que je vous avois déja dit
dans ma premiere Lettre , que vous ne devez attendre
rien de précis de ma part , fur la compofition
des bougies . Elles font en ufage depuis près
de quatre cens ans * , & il y en a plus de treize
Gaddifen , Anglois , donna la Méthode de gué
ir les carnofités de l'uréthre , par le moyen des bougies
, en 1390. Charles IX. fur guéri d'un embarras
dans l'uréthre de cette maniere. Borelli , en 1686 ,
donna la compofition de la bougie d'un Chirurgien de
Hvj
So MERCURE DEFRANCE.
cens que le feul ingrédient utile , qu'on puiffe y
faire entrer fans rifque , eft connu des Médecins ;
cependant à mon égard M. Daran eft le premier
entre les mains de qui j'aye vû des bougies bien
faites . C'eft à l'infpection des fiennes , à l'obfervation
des effets qu'elles produifent , à lalecture
& à mes propres réflexions que j'en dois la décou-
Frontignan. Sennert l'avoit donnée long- tems avant
lui. Aquependens me paroît être l'Auteur de la
canulle des tentes , dont fe fervoit Alliés à Paris .
Parée Fabrice Hildanne donnent auffi leur compofition
& leur Méthode. Gabriel Fallope enfait
de même dans fon Traité des Tumeurs. Alphonfe
Ferreius fait entrer la poudre de Sabine dans fa
bougie. Pierre Foreftus , dans fes Obfervations ,
donne la recette d'un onguent qu'il met au bout de ſa
bougie ; il indique même la façon de l'y incorporer.
François Peccetius , Jean Prevoft Euftache
Rudius enfeignent chacun leur reméde. Outre ceuxci
, il ya nombre d'Auteurs qui ont traité la méme
matiere ; on les trouvera cités dans la Sylva Medica
de George Walter , imprimé en 1679. Mufitan admet
lapoffibilité de la carnofité , mais il la croit extrê
mement rare. Meffieurs Lapi , Marini Saviard.
la rejettent . Blegni , Mufitan & Marini , donnent la
compofition de leur bougie. Vercelloni , pour l'extirpation
de la carnofué , qu'il appelle une fubftance
fongueufe , propofe les remédes les méthodes de
Hartman , Fennert , Regius Brôen ; il parle de
la façon de faire la bougie , & du choix des cauftiques
. En voila bien affez pour prouver que la bougie
eft très-ancienne , & quiconque voudra fe donner la
peine de lire tous les Auteurs que je viens de nommer,
conviendra que M. Daran n'a pas le mérite de la
nouveauté.
JUILLET. 1749. 18rverte
,le dépit de ne pas comprendre ce que je
voyois , & la crainte d'être obligé d'avoir recours
à un autre , dans des cas qui ont une liaiſon ſi
étroite avec des maladies que je traite tous les
jours , m'ont foûtenu dans mes recherches , M.
Daran m'y a fervi de guide en quelque forte , fins.
le fçavoir , & j'aurois grand tort de lui nuire par
un trait de plume , qui montreroit plus de jalousie
que de générosité .
La bougie n'eft autre chofe qu'un morcean
de toile , imbibé dans une compofition , ou dans
une emplâtre fondue , & roulée fur elle même
en forme de petite chandelle ; on l'introduit
dans l'uréthre par la pointe, auffi loin qu'il eft
poffible , jufques au col de la vethe ; le gros bout
en eft attaché au gland par un fil de coton qui
fert de bandage : on laiffe la bougie dans l'uréthre
cinq , fix , fept , huit ou dix heures , felon les in-,
dications qui fe préfentent ; on y en introduit denx
par jour. Ceux des anciens , qui n'y en introdui
foient qu'une dans l'efpace des vingt - quatre heus
res, appréhendoient un effet trop violent de leur
bougie . On la retire quelquefois toute couverte
d'une matiere , que M Daran appelle du pus ,
& que M. Goutard affûre n'être qu'ane matiere
glaireufe , ou une espéce de lymphe exprimée des
glandes , qui fe trouvent fituées le long du canal .
Quelquefois la bougie fort tachée, plus ou moins,
en cinq ou fix endroits de cette matiere , d'autres
fois on n'y en voit point du tout : S'il n'y a point
de cauftique dans la bougie , dit M. Goulard , pourquoi
nommer cette matiére- là , du pus , qui ne fçauroit
fe former en fi peu de tems , ni paroître en cas de
caufique , fans que l'efcarre foit tombée ? On pourroit
lui répondre , avec M. Quefnay , que , le pus.
dont il s'agit , eft un pus d'hemorragie. L'obler182
MERCURE DE FRANCE.
vation même de M. Goulard pourra nous fervir de
preuve paifque felon lui , on voit ſouvent voltiger
des lames membraneufes , ou de petites pellicules
, dans les urines de ceux qui font ufage des
bougies. Mais d'où viennent ces pellicules ? Si
c'eft des parois de l'urétore , la bougie qu'on y introduit
, n'eft rien moins que douce . J'ai quelquefois
vû de ces pellicules à la fuite des violentes
dyuries , mais jamais dans l'urine de ceux que j'ai
traités pour quelque maladie de l'uréthre par le
moyen des bougies .
Parmi les Auteurs qui parlent de la bougie ,
vous en trouverez qui la font de lut , d'autres de
cuir , d'autres de cordes à boyaux , d'autres des
côtes de quelque feuille , d'autres de cire , d'autres
de baleine , d'autres de plomb , d'autres enfin
de differentes emplâtres . Les uns fe fervoient de
tentes armées , les autres introduifoient dans l'uréthre
un cauftique liquide ,par le moyen d'une ca.
nulle. J'ai vu pratiquer cette derniere méthode
à Paris , par un nommé Guillemandet. Il y en a
qui rejettent tout cauftique , tandis que d'autres
ne croyent pas la cure poffible , fans le fecours de
ces remédes .
Ne croyez pas au refte , Monfieur , qu'une feule
efpéce de bougie foit capable de détruire toutes
les affections de l'uréthre. Il en eft que toutes les
bougies du monde ne fçauroient guérir radicalement
, quoiqu'elles puillent faciliter dans ce caslà
l'excrétion de l'urine ; je mets de ce nombre
celles qui dépendent d'un virus caché ; elles ne
réfifteront pas moins à la bougie , qu'une playe
d'une perfonne attaquée de la même maladie réfifte
aux panfemens ordinaires : elles paroîtront
céder à la longue , mais elles renaîtront dans la
fuite , ou elles en produiront d'autres au voisinage,
JUILLET. 1749. 183
comme un chancre , qui céde à un topique , re
paroît fouvent , ou en produit d'autres auprès.
Les affections de l'uréthre , qui empêchent ou
dérangent ' évacuation de l'urine , peuvent fe réduire,
1. aux chancres & aux ulcéres , foit gue les
bords en foient calleux ou non ; 2° . au gonflement
dé que que glande , ou de la fubftance (pongieufe
ou de la cellulçufe , caufée par l'amas de quelque
humeur ; 3. au gonflement de quelque partie de
P'uréthre , caufé par l'érofion d'une portion des
parois de ce canal , ce font les gonflemens que M.
Goulard compare aux faux anévrifmes . 4 °. A quel
ques abfcès ou quelques tumeurs , cachés dans certaines
parties de Puréthre . 5. A l'endurciffement
de quelque glande ou du verumontanum * . 6º. A la
* C'est une petite éminence ovale , fituée au fond de
Puréthre , là où elle s'enfonce dans le corps des profta
tes ; elle eft longuette , groffe en arriere , allongée &
terminée en pointe en derant ; on l'appelle caroncule
grain d'orge , tête de poule , éminence ovale ou véru
montanum. On remarque dans fa groffe portion les orifices
des canaux excretoires des vesicules féminaires .A
côté de ces orifices font placés en croiffant les orifices des
canaux excretoires des proftates. L'endurciſſement de
cette partie , comme celui des proftates , eft ordinairerement
ce que les ignorans prennent pour une carnofité.
La pretefa carnofita , dit un fçavant Italien , non è
altro , chè infezione contratta nel roftro del grano
ordeaceo , o proftate , o pure nel medifime
grano con infiamento , ed induratione . On conçoit
facilement que cette fauffe idée de carnofité induit en
erreur , & que les cauftiques dont on fe fert pour la
d truire, détruifent les valvules ou les fphincters , s'il
yena , des orifices des canaux excretoires , placés dans
lafubfiance & autour du verumontanum ,
d'où Lux
184 MERCURE DE FRANCE.
contraction de l'aréthre , ordinairement caufée
par des injections trop aftringentes . 7 ° . A quelque
verrue , à quelque porreau , à quelque fubftance
fongleufe , à quelque carnofité ou excroiffance de
chair , ou à quelque polype. Ces cas font très rares
, mais on n'en fçauroit nier la poffibilité ; je ne
fuis pas le feul qui aye vû des polypes fortant de
l'orifice de l'uréthre ; & des perfonnes dignes de
foi m'ont affûré avoir vû couper des porreaux dans
P'uréthre d'un malade , que l'excès de la douleur
avoit déterminé à la laiffer ouvrir , pour fe
procurer
du foulagement . Je ne parle pas des cas où il
peut fe rencontrer des glaires ou des pierres engagées
dans l'uréthre .
Or toutes ces affections font des vices locaux, &
les bougies qu'on introduit dans l'uréthre pour les
guérir , font des topiques ; je demande donc aux
Médecins , qui doivent fçavoir la Chirurgie , &
à tous les Chirurgiens qui la pratiquent , fi les premiers
ordonneroient & fi les derniers employe
roient un même topique pour la guérifon de ces
differentes affections , fi elles étoient externes , &
qu'il ne leur fût pas permis de fe fervir du fer.
Je fens bien qu'en cas de virus , le mercure duement
préparé & marié avec d'autres remédes convenables
, fuffiroit , quant au lieu , pour la plus
grande partie ; mais il faudroit ouvrir l'abcès , brû
ler les verrucs , les porreaux , & c. humecter & ramollir
la partie contractée & retrecie , ronger celune
gonnorhée habituelle & incurable . Hæc caron-
' cula ab ignaris Chirurgis deprehenfa cum renifu ,
pro carnofitate habetur & caufticis erofa atque
confumpta , perpetuam parit gonnorrheam , nullis
medicamentis curandam. Drake dans fon Anthropologiefait
la même remarque.
JUILLE T. 1749. 185
e qui feroit endurcie , procurer l'évacuation de
P'humeur amaffée & la régénération des membra
nes rongées. Si les indications étoient differentes
dans ces divers cas externes, pourquoi ne feroientelles
pas differentes auffi dans les mêmes cas renfermés
dans l'uréthre , dont la fonction ne peut
pas ceffer long-tems fais un changement notable
de la fanté , fans des fouffrances horribles &
fans un danger éminent de la vie ? Une verrue ou un
porreau à la main ne m'empêche pas de m'en fervir
, ou même , abſolument parlant , je puis m'en paffer
à la rigueur, & attendre avec patience l'extirpa
tion de cette verrue ou de ce porreau , il en eft de
même d'une tumeur au bras , elle n'exige pas que
je la faffe ouvrir fur le champ ; mais dans l'uréthre
l'attente pourroit être de la derniere conféquence ;
ici il faut remplir & au plus vite les indications
qui fe préfentent , de peur que l'uréthre ne ſe bouche
tout-à- fait , & qu'il ne fe faffe une fuppreffion
totale de l'urine , fuppreffion qui pourroit être fatale
, ou qui rendroit la ponction du périnée abfolument
néceffaire.
On doit faire fuppurer les chancres , les ulcéres,
les déterger , les confolider ; on doit fondre les
bords calleux , & proportionner le fondant au degré
de dureté qui s'y trouve . Il eft aifé de concevoir
que le vrai point d'activité du fondant demande
beaucoup de connoiffances & de réflexions .
Pour produire l'hemorrhagie dans le gonflement
de la membrane celluleufe , doit- on fe fervir d'un
fimple fondant ou d'un cauftique ? Ne fent-on pas
l'infuffifance de l'un & le danger de l'autre , s'il ,
n'eft choifi par un homme parfaitement inftruit
de l'action des remedes , & guidé par la main d'une
perfonne qui connoiffe à fonds la ftructure & la fituation
des parties ? Combien de malades fans cela
ne font ils pas tombés dans une impuiflance in
186 MERCURE DE FRANCE.
curable ? Combien de gonnorhées incommodes ;
enfuite de ces remedes mal choifis , mal appliqués ?
Inflammations dans les parties , fièvres violentes
furvenues fubitement pendant le traitement , tous
accidens à craindre ? On n'a qu'à lire les Auteurs
qui ont traité cette matiere pour s'en convaincre ;
on y verra que la faute la moins lourde qu'on
puiffe faire , eft de prolonger le traitement pendant
dix , douze & quinze mois.
Mais pour revenir aux indications , les gonfle
mens aneviifmaux doivent être doucement comprimés
; les abcès ouverts , les endurciffemens fondus
, les excroiffances de chair détruites , les fibres
contractées & retrécies , humectées & ramollies ;
il n'eft pas poffible de produire tous ces differens
effets par des bougies de la même efpece ; on trouve
chez les Auteurs la compofition des bougies
fondantes , des bougies fuppuratives , des adouciffantes
& émollientes , des rongeantes , des comprimantes
, des defficatives & des anodynes , où entre
l'opium , pour appaifer les douleurs que caufoient
les irritans & les cauftiques , bien ou mal appliqués
; on y en trouve d'antivéroliques , dont quel
ques-uns faifoient mal-à-propos tant de cas , qu'ils
croyoient pouvoir tout guérir par leur ufage, comme
fi une maladie vénérienne confirmée devoit
céder à la petite quantité de mercure que fournit
une bougie introduite dans l'uréthre , idée auffi
fauffe que celle de croire que le virus puiffe refter
cantonné dans l'uréthre fans fe communiquer aux
autres parties du corps . On m'oppoferoit en vain
que la bougie produit la falivation ; je n'en doute
nullement , elle en feroit autant fur un homme qui
n'auroit jamais été entiché de ce mal ; celui - ci n'en
retireroit aucun avantage , & celui - là en retireroit
fi peu , que le même vice ne manqueroit pas de
reparoître dans la fuite , s'il négligeoit de le faire
JUILLET. 1749. 187
adminiftrer les frictions mercurielles en forme.
Ajoûtons à cela que la feule falivation qui fur
vient fi facilement par l'ufage des bougies , ne me
permet pas de douter du mêlange d'un cauftique
avec le mercure. Appliquez de l'onguent mercu→
riel fur une partie excoriée , la bouche fera bientôt
frappée , & la falivation ne tardera pas à fe
manifefter ; appliquez -le fur la même partie , couverte
de fa peau , la falivation ne paroftra peutêtre
point , ou ne fe fera fentir que très - tard. Voila
ce que l'expérience journaliere apprend à ceux
qui traitent le plus de ces maladies. Je ferai voir
dans ma Lettre du mois prochain , qu'on peut frotter
tout le corps d'onguent mercuriel * & guérir la
maladie vénérienne la plus invéterée,fans produire
le pryalyfme.
Enfin les véritables bougies falutaires font celles
que le malade peut fupporter fans douleur , celles
qu'on peut renouveller de huit en huit heures fans
incommodité ; celles qui n'empêchent pas d'uriner
, & qui fans aucun de ces inconvéniens guérif
fent dans l'efpace de deux , de trois ou de quatre
mois, tout au plus.
Qu'on en puiffe faire de pareilles , cela eft trèscertain
, la raifon le dicte & l'expérience me l'a
confirmé. Comme il paroît que vous lifez toutes
mes Théfes , je vous promets de traiter cette
matiere plus au long dans la premiere que je don
nerai fur la Chirurgie. Je dois cet hommage à là
Faculté dont j'ai l'honneur d'être ; c'eft fou apr
probation que j'ambitionne , & c'eft à fes jugemens
que je dois foumettre mes connoiffances & ma
pratique. J'ai l'honneur d'être , &c.
*Voyez ma Théfe, Antthyalyfmus frictionibus mereurialibus
provocatus perfecta luis venerea curationi
adverfetur z
188 MERCURE DE FRANCE.
1
Defcription d'un Surtout de Table , executé
en argent par le Sr Roettiers , Orfévre
du Roi , pour l'Electeur de Cologne .
C'Eft contribuer aux progrès des Arts , que d'exciter
l'émulation des Artiftes , en annonçant
leurs fuccès . Nous manquerions à P'un de nos principaux
devoirs , fi nous ne faifions pas mention
d'un Surtout de Table , que le Sieur Giroft , Commiffionnaire
de Son Alteffe Séréniffime Electorale
de Cologne , a fait éxécuter dans cette Ville , en
conféquence des ordres de ce Prince , par le Sieur
Roettiers , Orfévre ordinaire du Roi , & déja connu
par d'autres ouvrages .
>
I
Ce Surtout , compofé d'un milieu de deux
dormans de quatre girandolles , le tout d'une
perfection finguliere , repréfente un point de
vûe de forêts , & des fujets de chaffe , tels qu'ils
ont été donnés à l'Artifte par le Prince même ,
pour lequel il a été ordonné , & il ne mérite
pas moins d'éloges par l'exécution précife & finie,
que par la bardieffe & la poëfie de la compofition.
Telle eft en général l'idée du fujet & de l'ouvrage.
Voici la defcription détaillée de ce morceau fingulier
d'orfévrerie. >
La piece du milieu eft composée de quatre grou
pes de rochers qui forment une voûte naturelle ,
fur le fommet de laquelle eſt établie une maiſon
ruftique , couverte de chaume. Sur le comble de
cette chaumiere, on voit un cerf aux abois , qui s'y
eft fauvé , pourſuivi par des chiens.
Nous avons averti que cette pofition extraor
dinaire n'eft point de l'invention du Sieur Roettiers.
C'eft un fait arrivé à une chaffe de l'Electeur
de Cologne. Un cerf que ce Prince couroit , a été
pris effectivement dans une pareille circonstance ,
JUILLE T. 1749. 189
& Son Alteffe Electorale a voulu que le Sieur Roet
tiers repréfentât cet évenement. Au- deffous de la
voûte que forment les groupes de rochers , on
découvre un taillis , dans lequel eft un cerf couché
, mais qui par l'attention qu'il porte au bruit
d'un génie condeifant un limier prêt à le lancer ,
paroît le difpofer à partir. Le caractere de vérité
qui regne dans la compofition de tout cet ouvrage ,
eft encore en quelque façon animé par une infinité
de détails particuliers , qui repréfentent en action
differens petits infectes, tels que lézards , limaçons,
& autres , finis comme nature.
La terraffe, qui fert de baſe à tous ces differens
objets , forme un plateau d'un deffein très - élégant
, décoré de quatre têtes de lion , analogues
aux fupports des armes de Son Alteffe Electorale ,
qui font fur les faces , accompagnées d'ornemens
Convenables au fujer . Cette feule partie fuffiroit
pour faire connoître ce qu'on doit attendre du
Sicur Roettiers pour la perfection de fon art.
Aux deux bouts de ce plateau princ pal font.
deux dormans qui l'accompagnent , & qui forment
une continuation de forêts ; l'un repréſente
un fanglier arrêté fous un grand chêne par les
chiens dont l'un le coeffe & les autres dans
des attitudes differentes agiffent autour de lui.
Le fecond dormant repréfente un loup fe défendant
contre des chiens , & cherchant à fe fauver
à travers les taillis qui l'environnent. Les plateaux
de ces deux dormans , comme celui du milieu
font d'une forme gracieufe & nouvelle , & font,
un tout , dont les parties font admirablement liées
enfemble par quatre girandoles formées par autant
de grands chênes , qui femblent ne faire du
tout qu'une forêt. Au pied de ces arbres font des
groupes de génies donnans du cor , & qui pa
Foiffent par leur action prendre part à la prife d
190 MERCURE DE FRANCE.
cerf ,qui fait le principal objet de tout l'ouvrage.
Le Sieur Roettiers a ménagé & difpofé avec tant
d'art , dans les arbres de la piece du milieu & des
deux dormans , & dans les quatre girandolles ,
la place des lumieres , qu'en confidérant la compofition
du tout enfemble , même dans le fervice
de jour , on a de la peine à s'appercevoir de ces pla
ces deftinées pour vingt huit bougies diftribuées
dans les touffes de feuilles , & difpofées avecla plus
exacte fymmétrie .
Ce morceau qui a été vû ici avec admiration
par tous les connoiffeurs , & par un grand nombre
de perfonnes de diftinction de la Cour , & des
Cours étrangeres , prouve en même tems la magnificence
du Prince qui l'a ordonné , la perfection
que les arts acquierent tous les jours en
France , & en particulier celle à laquelle le Sieur
Roettiers porte tous les ouvrages qui fortent de fes
mains.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗:洗洗
L
SPECTACLES.
E 16 du mois dernier , les Comédiens François
donnerent la premiere repréfentation de
Nanine , Piéce du célebre M. de Voltaire. Cet ouvrage
Dramatique , écrit en vers de dix fillabes ,
eft en trois Actes, dont le premier eft fort brillant,
& le tro fiéme a fait répandre des larmes . L'action
étant abſolument la même que celle du Roman
de Pamela , nous croyons inutile de faire l'analyfe
de ce Poëme. Depuis la premieret
repréfentation , M. de Voltaire a fait , nonfeulement
dans le Dialogue , mais encore dans
la conduite de fa Fable , quelques changeJUILLE
T. 1749. 191
prou mens , qui en montrant la facilité à travailler,
vent fon empreffement à profiter des critiques judicieufes
,, & par conféquent la lupériorité. Il n'appartient
qu'aux génies du premier ordre , de
paffer facilement condamnation fur les endroits
foibles de leurs ouvrages .
Convaincus de la vérité de ce principe , nous
ne craignons point de déplaire à M. de Voltaire , en
remarquant qu'on fouhaiteroit, que lorfque la Baronne
fe difpofe à partir avec Nanine pour la me
her au Convent , le Comte allât lui- même s'oppoſer
au départ de cette jeune perfonne , & ne
chargeât pas un valet de cette commiffion. Peutêtre
feroit-il à propos auffi d'adoucir quelques
expreffions dans le rôle de la Baronne , & de rendre
en général le ftyle de la Piéce moins fententieux.
3
Les Comédiens Italiens repréfenterent le 11
une nouvelle Comédie à fcénes détachées , intitu
lée la Cométe , qui n'a point réuffi
Jufqu'à préfent , P'Académie Royale de
Mufique a continué les repréſentations de
P'Opéra de Nais , qui ont conftamment attiré la
même affluence de fpectateurs. On va reprendre
au Théatre Lyrique les Caractéres de l'Amour ,
Ballet héroique , donné avec fuccès en 1738. Ce
Ballet eft de la compofition de M. de Blamont ,
Sur Intendant de la Mufique du Roi,
L'Auteur donne en même- tems une nouvelle
Edition de cet ouvrage avec quelques augmenta
tions & changemens qu'il a faits à l'occafion de
cette repriſe.
Nous mettrons ici le Catalogue des Ouvrages
de M. de Blamont, qui ont été donnés au Public,
gravés ou imprimés.
Les Fêtes Grecques & Romaines , Ballet héroï
que, in-4 . imprimées,
192 MERCURE DE FRANCE .
3
Premier , deux & troifiéme Livres de Cantates ,
in-folio , gravés .
Le retour des Dieux , Divertiffement , in- 4°
imprimé
Le Caprice d'Erato ou les Caractéres de la Mufique
, en forme de Ballet , in -4° gravé .
Diane & Endimion , Paſtorale héroïque , in 4°.
imprimée.
Premier & deuxième Livres de Motets à une &
deux voix & à grand choeur .
Premier , deux & troifiéme Recueils d'Airs férieur
& à boire , in-4° gravés.
La Fête de Diane , quatriéme Entrée , ajoutée
aux Fêtes Grecques & Romaines , à l'avant- derniere
repriſe
Les Caractéres de l'Amour , Ballet héroïque ,
in-folio , gravé.
Autres Ouvrages manufcrits.
Les Préfens des Dieux , Concert.
Le Parnaffe Lyrique , Ballet compofé de fragmens.
La Fête du Labyrinte .
Les Hefperides , Concert.
Zéphire & Flore , Baller ,
L'Amour vengé , Concert.
Ces divers ouvrages ont été faits pour la Cour ,
ainfi que Jupiter vainqueur des Titans , Tragédie
repréſentée au Théatre de la grande Ecurie , &
qui n'eft point encore imprimée.
CONCERTS A LA COUR.
11
E Lundi 19 Mai , on chanta chez Madame la
Dauphine le Prologue & le premier Acte du
Ballet des Elémens . 7
Lo
JUILLET. 193 1749 .
Les Mercredis 21 & 28 , le deux & le troifiéme
Actes du même Ballet.
Le Samedi 31 , on exécuta le quatriéme Acte
chez la Reine.
Les Rôles ont été remplis par les Diles Lalande ,
Canavas , Chevalier , de Selle , Fel & Bezin , &
par les Srs Benoît , Joguet , Poirier , Lagarde &
Jeliotte .
La Dlle Bezin , nouvellement reçue à la Mufique
de la Chambre , a fait grand plaifir dans le
rôle de l'Amour , de l'Acte du Feu , ainfi que le Sr
Joguet dans ce même Acte où il a chanté le rôle
de Valere , &dans le rôle de Saturne au Prologue.
Le Lundi 2 Juin` , on donna en Concert chez la
Reine le quatre & le cinquiéme Actes de l'Opéra
de Roland, Les Diles Chevalier , Bezin & Mathieu
en ont chanté les rôles , ainfi que les Srs le Page ,
Poirier , Richer & Tavernier .
Le Samedi 14 , le Prologue & le premier Acte
de l'Opéra de Séanderberg, de Mrs Rebel & Fran
coeur , Sur Intendans de la Mufique de la Chambre
du Roi , furent chantés à Marly. Les Diles
Chevalier , de Selles , Mathieu , Canavas & Ro
mainville , ainfi que les Srs Jeliotte , Benoît , Lagarde
, Poirier & Godounefche , en ont rempli les'
rôles.
Le Lundi 16 , on exécuta à Marly le deux &
le troifiéme Actes du même Opéra .
Le Mercredi 18 , les deux derniers Actes de
Scanderberg. La Dile Bezin chanta un Monologue
de l'Europe Galante , & fut fort applaudie.
2
194 MERCURE DE FRANCE.
COUPLETS
A l'occafion de la Paix , fur l'Air : Va
Manon , ne pleure pû.
CACA , Cataud , j'ons donc la Paix ,
On ne peut pû s'en dédire .
Louis la donne à jamais ,
Oh ventre bleu qu'eu maître Sire !
Il eft affable à chacun ; :
Le voir & l'aimer c'eſt tout un,
Veux-tu fçavoir fon himeur ?
Tout partout c'eſt Henri Quatre ;
Bien loin de dire aux Seigneurs ,
Aguyeu , bon foir , allez vous battre ,
Il étoit à Fontenoy
Qui faifoit fon méquier de Roi .
***
Pour rompre le Bataillon ,
La befogne fut tenace ;
J'en rapportis tras gazons
Et deux balafres fur la face.
C'eft la Croix de Chevayer
Entre nous autres Grenadiers,
J'ons de la premiere main
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, LENOX
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ท
JUILLET. : 1749 195
Eu des Billets pour la Ville ,
Par la veuve d'un coufin
Qui demeuroit à Franconville
Cheux le neveu du Parain
Du biau-frere d'un Echevin.
Tu reffembles , cher objet ,
A la fufé qui s'élance ,
Car , tiens , la tige , le jet
Oui , de te voir c'eſt l'eſpérance ;
Ta préſence en eſt l'effet ,
Mais ton regard c'eft le Bouquet.
************************
VERS préfentés à M. D * . L* . G * .le_jour
de fa fete , par M. fon fils.
Si
jadis
I jadis un illuftre Auteur ,
Le favori d'Augufte , & l'honneur du Parnaffe
Le fenfé , le profond , le délicat Horace ,
Aux mortels éloignés des rives du bonheur
Fit la Bouffole en main connoître leur erreur ;
Trop féduit par mon guide , irai - je fur fa trace
Peindre leur inconftance en fevere Cenfeur ?
Je dois à leurs défauts donner quelque couleur ;
Ou même taire une difgrace
Que je déplore au fond du coeur.
Un pere à qui mon zéle éleveroit un Temple ;
Et dont l'inépuisable & la rare bonté
1ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Pourroit vaincre en vertus , en générosité ,
Celui que le Romain nous donne pour exemple ,
Sur mes fecrets penchans doit être confulté.
;
Tout détour captieux l'auiédit & le bleffe ;
Peignons lui les combats d'une trifte raiſon
Il pardonne aux erreurs de la jeune ſaiſon :
Lui feul plus vertueux fut exempt de foibleſſe.
Le deffein de la Fable , en plaçant chez les Dieux
Un modéle parfait , une auftére Déeſſe ,
Etoit de mettre un frein au goût contagieux ,
Prêté par les humains aux habitans des Cieux
Pour autorifer la molleffe.
Tout l'Olympe n'offroit qu'un exemple odieux ,
Et les mortels , nés vicieux ,
Traitoient de douce pente , & de délicateffe ,
Ce qui ceffoit d'être crime à leurs yeux.
Sur les Autels de l'aimable Sageſſe ,
Brilloit dans ce défordre un dépôt précieux ,
Que j'admire en un pere , objet de ma tendreffe .
Fais , Minerve , à ſon fiis un préſent auſſi doux
Dans ton Temple défert que l'encens fume encore
;
Qu'Epicure foumis embraffe tes genoux.
Et toi , vice enchanteur , triomphe loin de nous
Ton cuite anéantit l'infenfé qui t'adore.
Mais trop fouvent en proye aux folles paffions
JUILLET.
197 1749.
D'un Vaiffeau fur les flots l'homme foible eft
l'image ;
Environné d'écueils & battu de l'orage ,
Si le calme fuccéde à fes réflexions ,
La tempête renaît & le livre à fa rage.
Quoi ! faut- il que nous périffions ,
Sans oppofer avec courage
De conftantes vertus aux dangers du jeune âge ?
Non ; d'heureuſes impreffions
Me fauvent déja du naufrage.
Ah ! fi dès fon printems , un pere eut en partage
Un folide tréfor , un célefte appanage ,
Mon eſpoir , mes prétentions ,
Sur un fi noble & fi doux héritage ,
Me font braver Eole & fon affreux ravagė.
L'honneur , Nautonier sûr , conduit mes actions.
A Madame de B**. fur la naiſſance
de fon fecond fils.
L A postérité de Cythére
Fut toujours moins féconde en filles qu'en gar
çons ;
Trois graces feulement en font des rejettons.
Mais de combien d'Amours,Venus , es tu la mere ?
C'est l'exemple, Philis, qu'aujourd'hui vous prenez,
Voilà déja deux fils qui vous font nés
Et qui n'ont qu'une foeur unique.
Elle réunit les attraits
Į šij
198 MERCURE DE FRANCE.
De celles dont Cypris a formé tous les traits
Et peut fuffire feule à votre République.
Ainfi je prévois qu'un eflain
De ris , de jeux , d'Amours naîtra de votre fein.
Par M.T.
cacacacacaIA CANDEDCƏvato
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
LE
E Roi partit de Verſailles le 7 du mois dernier
pour aller au Château de Rambouillet , & Sa
Majefté en revint le 9 .
Le 12 , jour de l'Octave de la Fête du Saint Sacrement
, le Roi accompagné de Monfeigneur le
Dauphin & de Mefdames de France , alla à l'Eglife
de la Paroiffe du Château , où S. M. entendit la
grande Meffe , après avoir affifté à la Proceffion.
Pendant l'Octave du Saint Sacrement , le Roi ,
la Reine , Monfeigneur le Dauphin , Madame la
Dauphine & Mefdames de France , out affifté au
Salut dans differentes Eglifes .
La Reine communia le 12 par les mains de l'Evêque
de Chartres , fon Premier Aumônier.
Le Roi partit le même jour au foir pour fe rendre
à Marly.
Sa Majesté a nommé fon Ambaffadeur auprès de
1'Empereur & de l'Impératrice Reine de Hongrie
& de Bohême , le Marquis d'Hautefort , Maréchal
de fes Camps & Armées.
Le Roi a donné le Gouvernement du Canada à
M. de la Jonquiere , Chef d'Efcadre , & il doit
s'embarquer dans peu fur le Vaiffeau de guerre le
Leopold , commandé par M. d'Aubigny, pour le rene
dre à fon Gouvernement.
JUILLET. 1749. 199
Le 10 , le Chevalier Offorio , Gentilhomme de
la Chambre du Roi de Sardaigne , & fon Ambaffa.
deur Ordinaire auprès du Roi d'Eſpagne , qui doit
fe rendre inceffamment à Madrid , eut une audience
particuliere du Roi. Il fut conduit à cette
audience, ainfi qu'à celles de la Reine , de Monfei
gneur le Dauphin , de Madame la Dauphine , de
Madame l'Infante , & de Meſdames de France ,
par le Marquis de Verneuil, Introducteur des Ami
bafladeurs.
La Marquise de Boufflers Remiancourt a été
nommée Dame de Compagnie de Meldames de
France.
Le Roi a donné le Régiment de Condé au Chévalier
de la Guiche."
Le Comte d'Argenfon , Miniftre & Secrétaire
d'Etat , ayant le département de la Guerre & de
Paris , prit féance le 3 du mois dernier à l'Académie
Royale des Infcriptions & Belles Lettres , en
qualité d'Honotaite furnuméraire .
M. Bertin de Blagný & M. l'Abbé Ladvocat
ont été nommés par cette Académie , pour remplir
la place d'Affocié , vacante par la mort de M.
d'Egly. Le premier a été choifi par Sa Majefté.
Le Prince Louis deWirtemberg Stuttgard , Che.
valier de Malte , freré puîné du Duc regnant de
Wirtemberg , arriva à Paris le 6.
Le 11 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix - fept cens quarante- cinq livres , les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens
quatre-vingt fix ; & ceux de la feconde , à cinq
cens foixante.
du
Le Maréchal Comte de Saxe fe rendit le
mois dernier àVerfailles , il prit congé du Roi , &
le 9 il partit pour fe rendre à Drefde .
Le Prince de Conty fut inftallé le 10 au Temple
avec les cérémonies accoutumées , en qualité de
Grand Prieur de France.
Į iiij
200 MERCURE DE FRANCE,
Le 19 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-fept cens cinquante livres , les Billers
de la premiere Lotterie Royale, à cinq cens quatrevingt-
dix neuf, & ceux de la feconde , à cinq cens
foixante quinze.
Le 21 du mois dernier , Leurs Majeftés & toute
la Cour revinrent du Château de Marly à Verfailles .
Le Roi , Monfeigneur le Dauphin , Madame
Infante & Mefdames de France , allerent le 25 au
Château de Rambouillet.
Madame la Dauphine partit le même jour pour
aller prendre les eaux de Forges.
Le 26 , la Reine alla à Lucienne diner chez la
Comteffe de Touloufe.
Le Roi a accordé au Prince Louis deWirtemberg
le Brevet de Brigadier d'Infanterie , au fervice de
Sa Majefté.
Le 26 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix fept cens foixante livres ; les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens quatre-
vingt-dix neuf , & ceux de la feconde , à cinq
cens foixante dix-huit.
DUECAVACIOUNGÓ AU DU punustanu puDU nununuliɔnU JUDU
MORT S.
E 13 Mai 1749 , Alexandre Cofté , Marquis
L'de saint Suplix , Baron de Crépon , Seigneur
9
& Gouverneur de la Ville d'Harfleur , de Buglife ,
de Saint Barthelemy , d'Ecrepentot , de Vaux
de Grais , de Bavan , du Quefnay , de Cambres ,
de Sainte Croix fur Mer , & autres Lieux , mourut
à Paris , âgé de 58 ans & quelques mois
& fut inhumé fur la Paroi fe de Saint Etienne
du Mont le 14 fuivant . Il étoit fils d'Alexandre
Cofté, Marquis de S. Suplix , Confeiller au Parlement
de Normandie, & de Marguerite de Blais , Baronne
de Crêpon, Dame de Vaux, Grais , & autres
JUILLET. 1749. 2012
Lieux. Il avoit épousé én premieres nôces , le 15
Décembre 1717 , Marie - Guillemette de Moura
fille de Don Antoine de Moura , & d'Antoinette
de Camigna , dont font fortis Alexandre Antoine-
Sebaſtien Cofté , Marquis de Saint Suplix , cidevant
Officier dans le Régiment du Roi , Infanterie
, & Ayde de Camp de S. A. S. M. le
Comte de Clermont , Pierre - Jacques Alexandre
Cofté , Comte de Saint Suplix , ci- devant Officier
dans le même Régiment du Roi , puis Capitaine
dans celui de Bonac ; Dame Marguerite- Angélique
Cofté , époufe de M. Noel Florimond Huchet
, Comte de la Bedoye: e , & Anonyme Cofté
de Saint Suplix . Et en fecondes nôces , Catherine-
Françoife Thomas de Montroger , fille de feu M.
Nicolas Thomas de Montroger , Chevalier , Seigneur
du Bois Guillaume lès-Rouen . De ce ſecond
mariage , il n'eft point forti de postérité.
Cette famille eft originaire du Pays de Caux
en Normandie , où elle poflede des Terres & Fiefe
depuis Saint Louis : la preuve s'en tire des Lettres
d'Affranchiffement émanées de ce Prince , dattées
de Poiffy au mois de Juillet 1259 , données en faveur
de Roger Cofté , par lefquelles fon Fief de
Nideliu , fitué dans la Paroiffe de Senneville , eft
affranchi de certaines redevances , dont l'Original
nous a été communiqué par M. Pierre Cofté
Chevalier , Seigneur de Triqueville , chef de la
branche cadette de ce nom , propriétaire actuel
de ce même Fief , qui lui étoit échû lors des partages
à la féparation des branches , & qui a tou
jours été poffedé fans interruption depuis Saint
Louis dans cette famille , ainfi qu'il eft constaté
par tous les Regiftres de la Chambre des Compres
de Normandie , & par l'Epitaphe de Jean Cofté ,
Seigneur d'Harfeur , qui fubfifte encore dans la
même Paroiffe de Senneville , cu il a été inhumé
Han 15 38. Cette famille étoit connue même avana
退田
202 MERCURE DE FRANCE.
Saint Louis dans cette Province : il ne faut qu'ens
confulter Hiftoire , dans laquelle il eft fait mention
d'Hugues Cofté dans les liftes & dénombremens
des Seigneurs & Chevaliers qui firent le
voyage d'Outremer en 1191 , avec Richard , furnommé
Coeur de Lion , Duc de Normandie , &,
Roi d'Angleterre.
•
Jean Cofté dont nous venons de parler , étoit
feptiéme ayeul, d'Alexandre Cofté qui donne lieu
à cet article , fur lequel nous nous étendons ,
étant mieux inftruits de l'ancienneté de fa famille ,
que lorfque nous en fimes mention dans l'article
de notre Mercure du mois d'Octobre 1746 , en
annonçant le mariage de Madame la Comteffe
de la Bedoyere , fa fille . De même mieux informés
que nous ne l'étions alors de l'ancienneté de cellede
Huchet de la Bedoyere , c'est ici la place de
dire en peu de mots , que ceux de ce nom étoient
connus en Bretagne dès le commencement du
quatorziéme fiécle , pour anciens Gentilshommes.
& illuftrés les Charges & Dignités qu'ils poffedoient
dans ces tems reculés , ainfi que la Montrede
1420 , dans laquelle ils font défignés comme
anciens Gentilhommes de la Province , en font:
les preaves inconteftables. En 1407, Bertrand Hu
chet qui étoit Garde des Sceaux & Secretaire d'Etat
du Duc de Bretagne, pour lors régnant, fut nominé
Ambaffadeur de ce Prince à la Cour d'Angleterre
, ce fut lui , qui ayant époulé l'héritiere de
la Maiſon de la Bedoyere , à condition d'en porter
lenom & les armes , que fes defcendans portent:
encore aujourd'hui , quitta les anciennes armes .
de la fienne qui étoient d'azur à trois cors de
chaffe , appellés dans le langage du tems des Huthets.
Les alliances enfin que fés defcendans
ont fait,
ne fervent qu'à confirmer ce que nous venons de
dire de leur ancienneté. Nous pouvons nommer
an particulier celles qu'ils ont contractées avec
JUILLET. 1749. 243
les Maifons de Cahideux , du Gage , Treceffon
Barrin , Pelletier , Sesmaifons , Gouyon , Serview ,
du Puis , Murinais , Saint Brieux , Tanguy , du
Châtel , la Valliere , Beauvilliers , Maillé , Pleffis
Belliere , la Vauguyon , Lufignan , la Châtre ,
Treffan , Corfiny.
Les Terres de Saint Suplix , Buglife , & Saint
Barthelemy, font entrées dans la famille de Coſté,
du chefde Jeanne le Normant , fille deJean le Notmant
, Seigneur desdites Terres , qui époula Pierre
Cofté , Seigneur d'Harfleur, deVidelieu & de Nonneville,
qui mourut en 1577, Doyen de la Chambre:
des Comptes de Normandie , & Confeiller d'Etat,
Celle de Saint Suplix fat érigée en Châtellenie
en faveur de Pierre Cofté II. du nom , petit-fils:
précédent & de Jeanne le Normant mort Doyen
du Parlement de Normandie , Confeiller d'Etat &
Privé , & un des Commiffaires de la Cour pour la
réformation de la Coutume de cette Province.
Les Terres & Baronnies de Crêpon , de Vaux
& Grais , font entrées dans la famille de Saint
Suplix , du chef de Marguerite de Blais , mere du
défunt , iffue d'une très ancienne Maifon de Normandie
, qui les poffedoit de tems immémorial.
Elle étoit fille de Jean de Blais , filleul de Louis
XIII. Confeiller d'Etat , & d'Iſabelle le Sens . Le
célebre M. Huet , Evêque d'Avranches , avec qui
ce Magiftrat étoit en commerce littéraire , lui
avoit dédié une partie de fes Ouvrages ; il étoit
fils de N. de Blais , Confeiller d'Etat , & de ………..
Dubec de Vardes , qui époula en fecondes noces
François le Tellier , Seigneur de la Luthuniere
dont eft fortie une fille qui époufa Henri de Ma→
tignon , Comte de Thorigny. De ce mariage font
iffues deux filles uniques , dont Pune a époufé
le Comte de Matignon , & l'autre en premieres
nôces le Marquis de Seignelay , Miniftre d'Etat.
De ce premier mariage eft illu M. le Marquis
I vj,
204 MERCURE DE FRANCE.
de Seignelay , pere de feue Madame la Ducheffe
de Luxembourg . En fecondes nôces elle épouſa
M. le Comte de Marfan , pere de Mrs les Princes
de Pons & de Lixain . La trifayeule maternelle
du défunt , étoit Elizabeth Morel de Putange ,
du chefde laquelle il avoit hérité en partie, peu de
tems avant fon décès , d'Ifabelle, Claire , Eugenie
de Dreux , Marquife de Brezé, petite-fille de Charlotte
Morel de Putange.
Cette famille enfin eft alliée à toutes les meil
leures Maifons de Normandie , telles que celles
de Faux, de Garnetot , d'Hieville , d'Etampes , de la
Luzerne , Brevan , d'Oizy, de Civille , de Naffi , de
Bec de Lievre , de Mathan , Tierceville la
Rochaimon , Seppeville , Caftel de Crevecoeur
Gouffier d'Ailly.
· ·
>
Dame Magdeleine - Charlotte- Emilie le Févre
de Caumartin , veuve de Jacques de la Cour , Marquis
de la Cour , Seigneur de Balleroy , du Vernay
& du Tronquai , mourut au Château de Balleroy
près Bayeux , le 9 du même mois , dans
la foixante feizième année de fon âge. Elle étoit
fille de Louis le Févre de Caumartin , Confeiller
d'Etat , & de Catherine - Magdeleine de Verthamont.
Elle laiffe deux enfans vivans , Jacques-
Claude Auguftin de la Cour , Marquis de Balleroy,
Lieutenant Général des Armées du Roi , & Premier
Ecuyer de M. le Duc d'Orleans , & Louis - Jacques
de la Cour , Chevalier de Malte , Commandeur
d'Auxerre .
Le premier Juin , Michel - Guillaume Luthier
, Seigneur de Saint Martin , & Villy le Ma
réchal , Confeiller du Roi , Maître ordinaire en
fa Chambre des Comptes , où il fut reçu le 19
Juin 1706 , mourut d'ane attaque d'apoplexie
âgé de 81 ans , & fut inhumé le 3 à Saint Paul
ta Paroiffe , laiffant de fon mariage d'avec Catherine
Moriau , morte en couches, le 26 Février
፡
JUILLET. 1749. 208
ช
1718 , foeur de Nicolas Guillaume Moriau
Avocat & Procureur du Roi de la Ville de Paris ,
une fille unique Catherine Luthier de Saint Martin,
femme de Jean - Baptifte - François de Lamichodiere
, Seigneur d'Hauteville en Champagne ,
Maître des Requêtes ordinaire de l'Hôtel du Roi
reçû le 19 Août 1745 , dont le mariage eft
rapporté dans le Mercure du mois de Février
1745 , volume II . page 297.
La famille de Luthier de Saint Martin , origi-
Яaire de Mont Trichard en Touraine , eft fort an
cienne , & il en exifte encore une branche en Poitou
, du furnom de la Richerie , Seigneurs d'Abain
& d'Armançay.
• Le 4 Marie Charlotte de Montmorenci
veuve de Joachim Louis de Montagu , Vicomte de
Beaune , Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant
Général de fes Armées , & Gouverneur de
Brouage , mourut à Paris , âgée de 47 ans , étant
née le 8 Février 1702 , & fut inhumée à Saint Subpice.
Elle avoit été mariée le 4 Décembre 1716.
Elle étoit , fille puînée de Leon de Montmo
renci , Marquis de Foffeux , & de Marie - Magdeleine
Jeanne de Pouffemothe de l'Etoile . Leon
étoit le feptiéme defcendant de Louis de Montmorenci
, qui a fait la branche des Marquis de
Foffeux , & Louis étoit fils puîné de Jean I I. Seigneur
de Montmorenci , treiziéme defcendant de
Bouchard I. le plus ancien que l'on connoiffe de
cette illuftre Maifon.
•
Cette branche des Marquis de Foffeux eft devenue
l'aînée de la Maiſon de Montmorenci , par le
défaut de celle des Seigneurs de Nivelle en Elandres
, qui s'éteignit en 1570.
Le 8 , Marie - Françoife- Henriette Langlois ,
Epoufe de N. de Fourcy , Préfident au Parlement ,
mourut à Paris , & fut inhumée à Saint Gervais .
Le 9 ,François Hervé , Seigneur de Monberton ,
2
206 MERGURE DE FRANCE.
Montreuil aux Lions , & autres Lieux , Chevalier
de l'Ordre Militaire de Saint Lazare , mourut , &
fut inbumé à Saint Jacques du Haut- Pas .
Le même jour , Gabrielle-Marguerite Ferreau ,
yeuve d'Antoine de Romieu , ancien Officier des
Gardes Françoifes , mourut à Paris, & fut inhumée
à Saint Merry.
Le 13 , Nicole Bachelier , veuve de Jofeph- Jacques
de Peluys , Confeiller du Roi , Maître ordinaire
en fa Chambre des Comptes delParis
mourut à Paris , & fut inhumée à S. Louis en l'Ifle.
Le même jour , Michel Borthon , Chevalier de
POrdre Royal & Militaire de Saint Louis , ancien
Maréchal des Logis des Gendarmes de la Garde du
Roi , Mestre de Camp de Cavalerie ; mourut à Pa
ris , & fut inhumé à Saint Nicolas des Champs.
C
REPONSE
De M. Daviel , Confeiller Chirurgien ordinaire
, & Oculifte du Roi , à la Lettre
Critique de M. Rouffilles , Chirurgien-
Oculifte de la Ville de Chartres en Beauce ,
imprimée dans le fournal de Verdun , du
mois de Février 1749 : page 101 .
C
Onfieur Rouffilles demande-fi M.Daviel fait
des miracles en guériffant certaines maladies
des yeux que les plus habiles gens , de la
même profeffion que lui , regardent comme abfolument
incurables, ou s'il poffede en effet le ta
lent phyfique de les guérir , ou enfin s'il s'eft
trompé , lorsqu'il a crû en avoir guéri quelquesunes
. On va répondre à cette triple question , que
Fon regarde comme très-intéreffante , & qui fait
le fujet principal de la Lettre de M. Roufilles ,
" dont on va faire connoître la fauffeté..
JUILLET. 1749 207
༡
- Rien ne m'a paru plus défagréable que d'être
obligé de répondre à une critique auffi déplacée
& d'entrer dans des difcuffions aufli mal fondées
* que celles de M. Rouffi les , mais ce ne fera pas
d'une maniere aufli peu décente ; je n'employerai
point les termes de groffier & de lourd, dont il
s'eft fervi , il eft des moyens plus doux & plus
honnêtes pour dévoiler les fautes qu'on veut critiquer
, fans fe fervir de ces paroles dures & impo ,
lies , qui ne conviennent qu'aux gens fans éduca
tion : on ne fe compromnet jamais , lorfqu'on fçait
Fart de corriger les autres avec adreffe ; une
critique polie fait aisément convenir de la vérité
Phomme du monde le plus rempli d'amour- propre ,
au lieu que les invectives & les railleries fades
sévoltent les perfonnes les plus tranquilles .
› Seroit - il fi extraordinaire après tout , de le
tromper , puifque les plus grands hommes peuvent
fe tromper tous les jours ? Je l'avouerois , méme
ingénuement , fi cela éfoit car j'ai toujours
crû qu'il valoit beaucoup mieux fe dédire , que
de paroître entêté ; mais je ne puis fouffrir , fans
me plaindre , que M. Rouffilles ait entrepris de me
cenfurer , tandis qu'il ne connoît pas lui même ce
qu'il veut critiquer. Comme fouvent la fimple appréhenfion
donne lieu à un jugement faux, Jene
fuis pas furpris que M. Rouffies ait , fi mal jugé ,
puifqu'il a fi mal réflechi ; je vais tâcher , en me
difculpant envers le Public , de lui faire connoître
que c'eft à tort , que cet Oculifte a voulu me faire
paffer pour un homme fans foi , en m'accufant
mal -à - propos de m'être vanté d'avoir guéri 19.
cataractes adhérentes , dont il a été fi étonné , qu'il
n'a pu s'empêcher de crier au miracle . Cependant
l'adhérence des cataractes n'eft pas nouvelle , M.
Rouffilles n'a feulement qu'à ouvrir le Traité des
maladies de l'oeil, fait par M.Antoine, Maître Jean ,
p . 202. de la feconde Edition ; il y verra que ce
208 MERCURE DE FRANCE.
Chirurgien a traité avec fuccès en 1694. deux
cataractes adhérentes , à la nommée Madame Germain
de Villenoxe ; ces cataractes étoient fort
adhérentes à la prunelle. M. Rouffilles peut en- *
core lire , s'il veut , le Certificat rapporté à la fin
de cette Lettre ; il y verra auffi que j'ai guéri une
cataracte très adhérente par une piqûre d'épine ,
depuis 7 ans , au fils de M. Carquet , Maître Apo
tiquaire de Montpellier ; ce qui eft attefté par
plufieurs des plus habile , tant en Médecine
qu'en Chirurgie, de la même Ville. En voilà affez ,
ce me femble , pour lui prouver la poffibilité des
cataractes adhérentes , & celle de les traiter avec
fuccès. S'il étoit néceffaire d'en donner d'autres
preuves , on le feroit , puifque plufieurs Auteurs
dignes de foi le rapportent. J'ai même fait plus
de 50 fois cette opération avec fuccès. Entr'autres
une à M. Miran , Receveur du Canal de Carcaſ
fonne en Languedoc , en 1736. Meffieurs Fabre &
Bougnol , Médecins très- habiles , étoient préfens
à cette opération . Ce malade , qui avoit
pour lors 75 ans , avoit perdu l'oeil depuis 15
ans , droit par une cataracte laquelle étoit adhé
rante à l'iris , & à la prunelle par une piqûre d'é
pine de rofeau; & quoique je fuffe refté près d'une
demi -heure dans l'opération , & qu'une petite portion
de la partie poftérieure de l'iris fût déchirée, le
malade n'eut pas le moindre accident , & voyoit à
lire avec une lunette à cataracte . 2°. M. de Gaillard-
Bois , Officier de Marine à Toulon , avoit une
cataracte à l'oeil droit , occafionnée par un coup de
baguette fur cet oeil depuis 36 ans , dont je lui ai
fait l'opération le 14 Avril 1741 , avec fuccès , quoique
cette cataracte fût adhérente à toute la cir-
Conférence interne de la prunelle à la fuite du coup
& par confufion. M. Boucault , célébre Chirur
gien , & Chirurgien Major de la Marine de Toulon
, étoit préfent à cette opération , & a vû le
JUILLE T. 1749. 209
malade bien guéri. Je ne crois pas que M. Rouf
filles veuille révoquer en doute le témoignage
d'auffi grands Chirurgiens que Maîtrejean ,
de Meffieurs Fabre , Baugniol & Boucault , &
encore moins des faits : donc la premiere
queftion de M. Rouffilles tombe d'elle - même ,
puilque beaucoup de témoignages , non - fufpects ,
prouvent qu'il eft des cataractes adhérentes , &
qu'un homme habile peut les guérir .
M. Rouffilles n'accufe fort mal à propos de
plagiat , en difant que l'aiguille que j'ai citée dans
ma Lettre , fe trouve dans la Chirurgie d'Hefter ,
partition feconde, Section 2. Chap. 55. & Planche
17, tandis que rien n'eft plus faux , puifqu'il n'y
en a pas une dans la Planche 17 de M. Heifter
qui reffemble à la mienne , comme tous ceux qui
m'ont vû opérer avec cette aiguille pourroient le
juftifier ; & en dernier lieu Meffieurs Chicoyneau
, Helvetius , Bouillac & Marcot , premiers
Médecins du Roi , de la Reine , de Monseigneur
le Dauphin , & de Mefdames de France . Meffieurs
de la Martiniere , la Foffe , Hevin & Louftonneau
, premiers Chirurgiens du Roi , de la Reine ,
de Madame la Dauphine & de Mefdames de
France , de même que Meffieurs Morand & Fager,'
deux célébres Chirurgiens , dont on peut voir
les Certificats à la fin de ma Lettre
› que M.
Rouffilles a jugé à propos de critiquer . Ceux qui
ne l'ont pas vue , la trouveront dans le Mercure
de Septembre 1748 , pag. 198. Nombre d'autres
célébres Médecins & Chirurgiens , qui ont vû mon
aiguille tant à Paris qu'ailleurs me rendront
affez de juftice , j'ofe m'en flatter , pour dire que
cette aiguille n'eft pas dans Heifter : donc la feconde
imputation de la Lettre de M Rouffilles
fe trouve détruite ; & pour peu qu'il doute fur
cette aiguille , il peut s'en affurer lui-même . Malgré
la légèreté de fes accufations , & les termes
21 MERCURE DE FRANCE.
peu ménagés dont il fe fert , je me prêterai volon
tiers à le guérir de fes doutes , s'ils ne font pas volontaires
, & s'il veut de bonne - foi qu'on l'en
guériffe.
Il me fera encore moins difficile de répondre à la
troifiéme queftion de M.Rouffilles, qui nie la poffi-'
bilité de l'opération que j'ai faite à M. Garion , le
malade cité dans ma Lettre , p. 9 & 11. C'eft être
bien hardi d'ofer nier un fait , furtout lorsqu'il eft
auffi conftaté que l'eft cette opération ; rien n'eft
plus facile à M. Rouffilles , que de s'en convaincre
lui-même en examinant l'oeil de ce malade , & en
interrogeant ceux qui ont affifté à l'opération .
&
Je crois avoir fuffifamment répondu aux trois
queftions de M. Rouffilles , aux injures près , dont
il lui a plû accompagner une critique amere ,
qu'il eût dû faire dans des termes plus convenables.
Son exemple ne m'engagera point à m'écar
ter des régles de la modération que je me fuis
preferite , & je me contente de lui repérer que
s'il veut encore avoir des doutes , il lui fera facile.
de s'adrefler à moi pour y mettre ordre , & je lui
prouverai que ce n'eft pas ma faute , fi dans plufeurs
années de féjour àDreux , le long & affidu
travail qu'il a fait fur les maladies des yeux , il n'a
pas vú des cataractes adhérentes ; je lui prouverai
auffi que c'eft la faute d'avoir vû mon aiguille dans
M. Heifter ; je lui produirai des Témoins auffi
refpectables , qu'irréprochables , de l'opération
que j'ai faite à M. Gation , & il ne tiendra qu'à
lui d'apprendre qu'un homme fage ne doit pas
être moins circonfpect à nier des faits , qu'à en
avancer.. M. Rouffilles croit- il que les Médecins
& les Chirurgiens de Paris ne fçachent pas voir
comme ceux de Chartres & de Dreux , qu'ils
n'ayent pas les Ouvrages d'Heifter entre leurs
mains, & peut- il efpérer que les négations & les
1
JUILLET. 1749.. 211
affirmations hardies auront plus de poids , que les
témoignages des plus habiles hommes de la Capitale,
de Montpellier & de Marſeille , & autres endroits
, & que celui d'Antoine Maîtrejean , Auteur ,
dout M. Rouffilles doit refpecter les déciſions , &
ne pas improuver des faits , parce qu'il ne les a
'jamais vús ?
Une cataracte ne peut fe rendre adhérente à la
partie poftérieure de l'iris , felon cer Oculiſte , que
dans deux cas. Le premier , par le defléchement
de l'humeur de morgagni ; & le deuxième à l'ocfion
des contufions , & des ophtalmies internes de
l'oeil. Mais comme il y a toute apparence que cet
Oculifte ignore le troifiéme cas , qui rend les cataractes
adhérentes , puiſqu'il n'en dit rien dans ſa
Lettre , je fuis perfuadé qu'il ne trouvera pas mauvais
que je le lui apprenne.
Le troifiéme cas qui rend les cataractes adhérentes
, & qui eft un des plus fréquens , font les
piqûres d'épine , d'épingles , de cifeaux , d'aleines,
& autres inftrumens tranchants & piquans , lef
quels occafionnent prefque toujours des adhé
rences de l'iris à la cornée ; furtout lorfque ces
inftrumens ont percé cette membrane , l'iris & le
cristalin c'eft à la fuite de ces fortes de playes
qu'il fe forme prefque toujours une union fi intime
de la membrane du criftalin à la partie poftérieure
de l'iris , qu'il eft fouvent très - difficile d'abattre
ces fortes de cataractes , & de rompre l'ad
hérence contractée . Cependant comme j'ai fait
plufieurs de ces opérations avec faccès , je ne les ai
jamais regardées comme impoffibles , ni. comme
incurables. Ces cataractes font extrêmement difficiles
à abattre , je l'avoue ; car il faut fçavoir le
pofléder , & manier adroitement une aiguille pour
faire cette opération : de plus , bien connoître la
véritable. ftructure de l'oeil . Je conviens même
avec M. Rouffilles , qu'il n'appartient pas à tous
212 MERCURE DE FRANCE.
les Oculistes de la faire ; mais comme je l'ai faite
fouvent avec fuccés , je foutiens que tout habile
Chirurgien Oculifte peut la faire comme moi &
fans aucun rifque que celui de caufer un fimple larmoyement
qui n'eft pas dangéreux , ni de longue
durée .
Je foutiens encore , que la cataracte ne fe rend
jamais adhérente par fon ancienneté. M. Rouffilles
en convient lui - même , & feu M. Petit , le
pere , célébre Médecin Oculifte , la nie même abſolument.
En effet , c'eſt fi peu l'ancienneté des cataractes,
qui les rend adhérentes à la partie poftérieure
de l'itis , que cette adhérence fe contracte
prefque toujours dès le commencement , & beaucoup
plus lorfque les cataractes font molles , que
quand elles font dures & fort folides. La raifon de
cela eft , que le criftalin dans cet état de mollefie,
étant preffé par l'humeur vitrée , fe porte en avant
& vers la partie antérieure de l'oeil , dont l'action
des quatre muſcles accélere encore l'allongement;
& pour lors la membrane qui envelope le criftalin
venant à s'allonger , donne lieu à ce corps de s'appliquer
fortement à la partie poftérieure de l'iris
& de la prunelle , dans laquelle il s'engage quelquefois
, & forme ce qu'on peut fort bien appeller
une hernie du criftalin dans la prunelle , & principalement
lorfque la membrane a été bleffée par
un inftrument tranchant ; c'eft cet engagement
& ce collement , qui fait la grande difficulté de
l'opération de la cataracte , comme je l'ai expérimenté
plufieurs fois : j'ai même vû ce cas , il y a
environ quatre mois , fur l'oeil gauche d'une jeune
Demoiſelle de Bernay en haute-Normandie , qui
me fut adreffée par M. de la Flêche , très- habile
Chirurgien de la même Ville , & Lieutenant de
M. le premier Chirurgien du Roi , auquel M.
Rouffilles peut écrire , & voir lui-même la malade
pour peu qu'il en doute.
JUILLET. 1749. 213
Les cataractes qui furviennent à la fuite des
ophtalmies internes , ou de la chorroïde , ne fe
rendent jamais , ou très - rarement adhérentes , à la
partie poftérieure de l'iris , quelque forte que foir
l'ophtalmie qui a précedé , à moins qu'il ne fe foit
formé des abces confidérables , & des épanchemens
de pus, dans la chambre poftérieure de l'oeil , entre.
le cristalin & l'iris. Il n'y a tout au plus qu'un
fimple collement du cristalin à cette partie , de
même qu'à la prunelle qu'il eft très facile de
féparer fans rien déchirer , en paffant une aiguille
telle que la mienne entre le cristalin & l'iris. J'ai
fait cette expérience nombre de fois fur des yeux
de cadavre cataractés à l'occafion des ophtalmies
internes , & jai remarqué qu'on pouvoit aisément
féparer le cristalin fans le rompre en aucune
maniere , de même que la lame poftérieure de
l'itis ; & quand bien même cette lame fe trouveroit
déchirée dans l'opération , il n'y a rien à crain
dre , comme je l'ai vu arriver quelquefois auffi en
opérant la cataracte fur des fajets vivans ; ainfi
cette prétendue adhérence eft abfolument fauffe
quoiqu'en dife M. Rouffilles. Les adhérences du
cristalin à l'iris ne fe contractent prefque jamais
que dans l'état de molleffe des cataractes , ou à la
fuite des piques d'inftrumens tranchans , & des
coups portés fur les yeux Je vois bien que cet
Oculifte ignore l'endroit où les cataractes le rendent
adhérentes , & de quelle maniere ; c'eſt ce que
je vais lui dire .
Jamais une cataracte ne peut fe rendre adherente
à la partie postérieure de l'iris , que dans les
deux cas fuivans. Le premier* lorfque es catarac
tes font fort molles ; le fecond , à l'occafion des
piqûres & des coups , comme nous venons de le
prouver , mais on doit obferver que ce n'eft pas- là
* Maladie deyeux de M.Boerhaave de 1749. p . 158.
214 MERCURE DE FRANCE.
ce qui forme la grande adhérence dont j'entends
parler. Le voici : Tous ceux qui ont bien examiné
I'oeil , fçavent que la membrane du crifta in eft unie
aux procès ciliaires , & beaucoup plus dans les
inflamations de la chorroïde , que dans l'état naturel
; c'eft directement dans cet endroit , qui fait leslimites
de la chambre poftérieure de cet organe
que le criftalin, dont la membrane pour lors eft fort
épaiffe , fe rend fi adhérent aux procès ciliaires ,
qu'il est toujours tres-difficile de l'en pouvoir féparer
, de même que dans l'état de mollèfle des
cataractes C'est donc dans cet endroit que l'Ocu- -
lifte éclairé a befoin de tout fon jugement , pourconduire
avec adreffe fon aiguille jufqu'à cette
digue , afin de la détruire & de renverser le cristalin
avecla membrane , Mais il eft bon que l'on fçache
que je n'ai jamais entendu comprendre dans le
nombre des cataractes adhérentes curables , celles .
qui viennent à la fuite des ophtalmies internes &
des abcès dans ces parties ; car l'oeil le trouve -
quelquefois dans un trop grand défordre par la
fonte de l'humeur vitrée ; de plus , et organe
devient plus petit & s'affoiblit , de forte que Popération
deviendroit prefque toujours inutile en ce
cas , puifque le malade ne verroit pas lorfqu'elle
feroit faite , quand même le criftalin feroit bien
abattu.
ל כ
» Pour guérir toute eſpèce de cataracte , dit M.
Rouffilles , il faut chaffer le criftalin de fa capfu..
le , & le loger dans le vitré. C'est l'unique
» moyen d'en lever l'obſtacle , qui dans cette maladie
empêche les rayons de lumiere de fraper
l'organe immédiat de la vûe. Pour guérir donc
une cataracte adhérente à l'uvée , il faudroit la ·
» détacher , la féparer de cette partie à laquelle
» elle eft collée : or on ne peut tenter cette fépa-' .
ration dans l'oeil , fins déchirer l'uvée , fans
Tompre un grand nombre de fes fibres , & faus
"
JUILLET.
ZES
1749.
»la détruire en tout , ou en partie . M. Rouffilles
ole même affûrer , que la moindre bleffure de
P'iris occafionne des accidens terribles , qui fou
vent ne font fuivis de rien moins que de la perte
entiere de l'oeil , que je ne l'ignore pas , & que
c'eft l'expérience de ces fâcheux accidens , qui m'a
engagé de me fervir d'une aiguille moufle. Mais
cet Oculifte va voir dans le moment , que je fuis
bien éloigné de ſa façon de penſer.
Pour guérir toute efpéce de cataractes , felon
moi , & la guérir radicalement , il faut abattre le
criftalin avec fà capfule , & le loger dans l'humeur
vitrée ; fans quoi il eft moralement impoffible de
rendre l'oeil net , & que la vue le faffle parfaitement
, furtout lorsqu'on eft obligé d'abattre des
cataractes molles , ou trop folides ; dans ces dernieres
, le criftalin eft quelquefois fi adhérent à fa
capfule , qu'il n'eft pas poffible de l'en faire fortit
fans la rompre , & occafionner de grandes inflainmations.
Je vais prouver dans le moment l'un &
l'autre cas .
Le cristalin eft un corps gelatineux , plus ou
moins folide dans certains fujets . Que la cataracte
foit ancienne ou récenté , recouverte d'une membrane
auffi plus ou moins épaiffe dans certains
fujets : le cristalin , ou fe trouve folide , ou non .
S'il eft trop folide & deffeché , ou les couches antérieures
,comme le dit M.Rouffitles dans fa Lettre,
page 6. lig. 19. il fe rend adhérent à fa membrane :
>> Souvent dans ce cas les couches antérieures font
» même très-intimement unies à la portion antérieure
de la capfule cristaline , alors il n'eft pas
poffible de détacher l'un fans déchirer l'autre : en
ce cas , la membrane devient inutile , & je fou
tiens même qu'elle forme à peu près le même
obftacle que le criftalin obfcurci ; ce qu'il eft fort
facile d'obferver fur les yeux des malades , auf
quels on a abattu la cataracte, Par cette méthode ,
210 MERCURE DEFRANCE
on voit paroître dans l'inftant même de l'opération
, ou quelque tems après , la membrane du
cristalin , comme un voile déchiré & partagé en
plufieurs morceaux , qui fottent dans l'humeur
vitrée , qui empêche toujours les malades de
voir les objets avec précifion ; ce qui n'arrive pas
lorfqu'on a abattu le criftalin avec toute la capfule
, furtout lorfqu'on abat des cataractes molles ,
comme je vais le prouver ci -après.
Lorfqu'on abat une cataracte molle , on a beau
ouvrir la membrane & preffer fur le corps du
criſtalin : il ne fort tout au plus qu'en partie , qui
fe mêle avec l'humeur vitrée qu'il trouble. La plus
grande partie du cristalin refte colée aux parois
intérieurs de la membrane qui l'envelope , où elle
forme le même obftacle qu'avant l'opération :
donc il faut abattre le criſtalin avec la membrane
dans ce fecond cas , fans quoi on fe trouve avoir
fait une opération inutile , dont les malades no
tirent d'autre fruit , que de voir les objets avec une
grande confufion , ces malades ne pouvant jamais.
parvenir à lire avec des lunettes à cataracte ,
ine les mieux faites.
mê-
UnArtifte enOptique de Paris, * m'a communiqué
depuis peu quelques unes de les réflexions fur l'opé
ration de la cataracte , dans un Traité d'Optique
méchanique , actuellement fous preffe , & qu'il
compte inceffamment donner au Public : il
prétend qu'on ne peut donner des lunettes aux per .
fonnes opérées , que trois mois après l'opération .
Je lui ai prouvé par un malade que j'avois alors
chez moi , ( M. P'Abbé Bouvel de Langres , ) que
quand une opération étoit bien faite , on poue
voit procurer le fecours des lunettes plus promp
*M. Thomin , Marchand Miroitier-Lunetier , rue
Saint Jacques , près le Collège du Pleſſfis , qui excelle
Sansfon are
Lement
JUILLET. 1749. 217
tement. Effectivement il vint lui- même chez moi ,
& fit voir au malade en queftion , le feizième jour
après l'opération , à pouvoir lire & écrire avec des
verres, à la vérité très réguliers, & tout ce que l'art
pouvoit donner de plus parfait. Je lui prouvai encore
fur une feconde réflexion qu'il fait dans fon
Traité , Qu'on ne peut donner aux personnes opérées ,
dufecours qu'avec des verres de foyer, depuis 18 lignes
juſqu'à 20, & par progreſſion jusqu'à 4 pouces inclufis
vement. Ce dernier , felon lui , eft le plus long
foyer qu'il ait jamais pu donner à ceux que
d'autres que moi ont opérés. Je lui prouvai , disje
, que certains fujets , ayant fouffert par
plufieurs opérations douloureuſes & leurs fuites
après la cataracte , j'avois fi bien rétabli le
méchaniſme de l'oeil , par ma nouvelle méthode
d'opérer la cataracte que fix mois ou un an
après , ils étoient en état de lire & écrire avec
un verre de fix pouces de foyer. Je lui ai fait
voir entr'autres une Dame , pour lors à Paris ( Madame
de Vandeüil citée dans ma Lettre ) page 18.
à laquelle il a donné lui même des lunettes du
foyer dont je parle . Il fut très étonné de la longueur
de la vue de la perfonne en queſtion , qui ne
voyoit rien du tout avec ce qu'on appelle lunette
à cataractes ordinaires , & m'avoua qu'il n'en
avoit encore jamais vû à qui la vûe fût ralongée
de cette force-là. Voilà deux faits dont il est témoin
oculaire , & que j'ofe me flatter qu'il atteftera
à tous ceux qui pourroient le lui demander. M.
Thomin fait encore une réflexion , qu'il a trouvé
bien des perfonnes opérées aufquelles il n'a pu être d'au.
cun fecours. Je ne vois pas que de tous ceux que j'ai
traités , il puiffe m'en prouver un à qui il n'ait
réuffi rélativement à l'ufage des lunettes ; & à
Pégard de bien d'autres qui fe mêlent de la même
opération à tort & à travers , fans aucunes précautions
antérieures ni poſtérieures , en vrais charla
K
pas
218 MERCURE
DE FRANCE .
୮
tans, Mettez-vous- là , je vais vous guérir dans la
minutte.
Je lui prouverai , s'il n'eft pas difpofé à me rendre
justice lui-même là- deffus , fur 100 perfonnes ,
plus de 90 auxquelles il n'a pa, réuffi à leur commumiquer
la route exacte des rayons de la lumiere ,
par les moyens que la dioptrique nous fournit.
elle
>
Pour ce qui concerne la bleffure de l'iris ,
n'eft pas à beaucoup près auffi dangéreufe que fo
le perfuade M. Rouffilles . Si cela étoit , un grand
nombre de malades courroient rifque de perdre
la vûe à tout moment dans plufieurs opérations
qu'on eft obligé de faire fur les yeux , principalement
dans la catara &te , furtout de celles qui ont
contracté des adhérences fi intimes avec l'iris ,
qu'il eft très- difficile de venir à bout de les en
féparer fans déchirer cette partie. Cependant , il
n'en réſulte
pas le plus petit accident , comme je
m'en fuis convaincu dans plufieurs opérations de
cataractes adhérentes par des coups , ou des piqûres
d'inftrumens tranchans & piquans , & dans
une infinité d'autres opérations , que j'ai été obligé
de faire dans la chambre antérieure de l'oeil ,
fur l'iris , dont j'ai quelquefois emporté des portions
, comme il arrive auffi affez fouvent dans l'opération
du ftophiloma.
&
La bleffure de l'iris eft de fi peu de conféquence ,
qu'on peut l'ouvrir même de toute fa longueur
fans rien craindre. La preuve en eft évidente , furtout
lorfqu'on eft obligé de faire une prunelle
artificielle comme l'a fait heureufement M.
Chefelden , célébre Chirurgien à Londres , ainsi que
le rapporte M.Heifter dans faChymie , Partition 2.
Section 2. Chap . 55. page 616. & Planche 17. du
même Livre ; & comme on peut le voir encore
dans le Traité d'Opérations de M. Scharp , trèshabile
Chirurgien de la même Ville , que j'ai vu il
y a un mois & demi chez M. Daran Chirurgien ,
JUILLET. 1749 219
ordinaire du Roi , qui enfeigne , comme M. Chefelden
, la maniere de faire cette opération. M.
Rouffilles a donc fort mal interprété mon fentiment
à ce fujet. Pour ce qui regarde les accidens
qui ont coûtume d'accompagner l'opération de la
cataracte , dont l'inflammation & le larmoyement
font les plus confidérables de tous , l'inflammation
eft toujours le plus à craindre , furtout lorsqu'elle
perfifte long tems : cet accident entraîne prefque
toujours après lui une fuppuration totale du globe
de l'oeil , fouvent fans remede. Cette fuppuration
eft quelquefois fi prompte, qu'elle arrive en moins
de 24 heures , quoique la cataracte ait été abattue
dans une minute ; & voici comme cela fe fait.
Lorsqu'on porte l'aiguille dans l'oeil , & qu'on
la dirige fur le corps de la cataracte pour l'abaiffer,
foit antérieurement , on poftérieurement ; car il
n'y a que ces deux méthodes d'abaiffer la catarac
te, je compte même d'être le premier qui ai porté
mon aiguille tout droit vers la partie antérieure
du criftalin ) il faut toujours que la capfule cristalloïde
foit déchirée dans l'union de fes deux lames
qui l'attachent aux procès ciliaires , & que ce déchirement
foit fait à la partie fupérieure moyenne ,
ou inférieure de cette capfule antérieurement ou
poftérieurement ; & comme cette capſule eft
fortement unie aux procès ciliaires , ainfi que
nous l'avons déja dit , & qu'elle s'enclave même
dans toute la circonférence de la retine en forme
de langue de gueule ; il eft moralement impoffible
qu'en preffant avec l'aiguille fur le corps du criftalin
antérieurement ou poftérieurement , pour le
faire fortir de fa membrane, ou de fon chaton , que
les procès ciliaires ( qui font partie de la chorroïde )
ne foient tiraillés de même que la retine : par
conféquent tout le fond de l'oeil en fouffrira de
violentes fecouffes & commotions ; tous les vaiffeaux
fanguins , limphatiques , & furtout les petits
7
Kij
220 MERCURE DE FRANCE.
filets nerveux qui répondent à ces parties , fe trouveront
déchirés & criſpés dans leur principe , & fe
retireront à peu près comme une corde à boyau ,
qui fe caffe lorfqu'elle eft bien tendue ; de-là , il
arrive de violentes douleurs à la tête , aux oreilles,
aux dents , dans toute la circonférence de l'oeil &
de l'orbite , fuivies de vomiflemens & d'une infinité
d'autres accidens , & enfin quelquefois de la
fuppuration totale de cet organe , fans que l'iris
ait été ni touché , ni bleflé en aucune maniere ;
donc ce n'eft pas à l'iris bleffé , ni déchiré , qu'on
doit rapporter tous les accidens & les défordres
qui ont coûtume de fuivre l'opération de la cataracte,
même la mieux faite.
Il eſt auffi abfolument faux que l'adhérence de
la cataracte rende la prunelle immobile. Quelque
forte que foit la preffion du criftalin contre la
partie poftérieure de la prunelle ; même dans prefque
toutes les cataractes occafionnées par des ophtalmies
internes , la prunelle conferve fouvent le
quart de fon mouvement. Mais j'ai déja dit , que
je n'ai pas prétendu mettre ces fortes de cataractes
au rang des autres ; M. Rouflilles a donc pris le
change dans cette occafion . Il eft vrai que le peu
de mouvement de la prunelle peut en impofer à
des Oculistes ordinaires , & les empêcher d'entreprendre
des opérations heureufes . La cataracte du
feptiéme malade, dont j'ai parlé dans ma premiere
Lettre , p . 4. auroit fans doute paffé pour incurable
aux yeux de M. Rouffilles , pui qu'elle étoit de cette
nature . La prunelle n'avoit prefque aucun mouvement
,& à moins que d'y
faire une grande attention
, à peine pouvoit on l'appercevoir. Cependant
cette cataracte a parfaitement réuffi , & quoiqu'elle
parût fort adhérente , je ne la jugeai pas
telle. Le malade n'a eu aucun accident , & voit à
lire de cet oeil , au moyen d'une lunette à cataracte
.
JUILLE T. 1749. 221
M. Rouffilles n'a rien dit de nouveau , lorsqu'il
a affûré que toutes les cataractes ne ſe reffemblent
pas ; il y a fort long-tems qu'on le fçait ; & fans
entrer dans un détail ici trop déplacé , cet Oculifte
auroit fimplement dû prouver , s'il lui avoit
été poffible , qu'il n'y avoit point de cataractes.
adhérentes , fans entrer dans un long verbiage ,
qui ne peut tout au plus qu'ennuyer un lecteur ,
fans l'inftruire .
5
Je le repéte encore , les accidens qui ont fuivi
quelques-unes de mes opérations , ne m'ont jamais
fait croire que les cataractes étoient adhé
rentes , tandis qu'elles ne l'étoient pas , & s'il faut
que je cite à mon tour le nombre d'années de mes
travaux , j'af aflez étudié l'oeil & les maladies
pendant près de vingt- cinq ans dans des Hopitaux
, plus nombreux fans doute , que ceux de
Dreux & de Chartres , furtout dans celui des Galéres
de Marſeille , où j'ai fait plus de fept mille
expériences fur des yeux de cadavres , & nombre
d'autres opérations de toute efpéce fur des fujets
vivans , comme je fuis en état de le prouver , pour
m'être laiffé féduire par des fauffes apparences. Je.
fuis perfuadé même , que fi M. Rouilles veut
faire un peu d'attention à ce que je viens de dire
, il conviendra par les preuves que je lui en
donne , qu'il y a des cataractes adhérentes , & .
que la plupart font curables ; que mon aiguille
n'eft ni dans la Chirurgie d'Heifter , ni ailleurs ,
que l'opération que j'ai faite à M. Garion , étoit
bien indiquée , & qu'elle étoit poffible , puifqu'il
n'eft pas nouveau d'ouvrir la chambre antérieure
de l'oeil , & que de-là on peut paffer un inſtrument
dans la chambre poftérieure pour en extraire un
corps . Il eft vrai que cette opération m'eft parti .
culiere , & M. Rouffilles n'a pas tort de dire
voilà du neuf affûrement, puifqu'il ne trouvera pas.
une pareille obfervation dans aucun Auteur. Ilne
Kiij
222 MERCURE DEFRANCE .
s'agit donc plus à préfent que de prouver que les
cataractes peuvent être tout à la fois fort molles &
très-adhérentes , très - molles & pierreufes , & que
j'ai réellement guéri les 61 cataractes dont j'ai
parlé dans ma Lettre.
Les cataractes peuvent être tout à la fois ,fort molles
& très -adhérentes. J'ai déja dit que l'adhérence
de la cataracte fe formoit toujours plutôt dans fon
état de molleffe que lorfqu'elle étoit folide , la cataracte
peut donc fe rencontrer fort molle , & trèsadhérente
tout à la fois ; une cataracte peut encore
être fort molle dans toute la circonférence ,
& fe trouver pierreufe dans fon centre ; c'eft ce
que j'ai vu auffi plufieurs fois. J'ai même commu
niqué le 2 Avril 1742 , une obſervation à l'Académie
Royale des Sciences au fujer de la pétrification
du cristalin , & l'offification des membranes
de oil : la cataracte étoit cependant fort molle
dans toute fa circonference . Voici les propres
termes de M. Morand ,qui m'écrit de la part de l'Académie,
& à qui j'ai envoyé les pieces offeufes .
J'ai préfenté , Monfieur , à l'Académie Royale
» des Sciences , celle de vos trois obfervations qui
roule fur la pétrification du cristalin , & l'offi-
» fication des membranes. Cette obſervation a été
très-bien reçûe , & elle fera inferée dans l'Hiftoire
de cette année.
ככ
J'ai auffi obfervé plufieurs fois que le milieu
de la cataracte étoit pierreux , & très -fouvent offeux
fur des cataractes que j'ai abattues à des malades.
J'ai trouvé ces cataractes fort molles dans
la circonference , comme je viens de le dire , qui
n'ont pas laiffé de bien réuffir. 1ne me reste donc
plus qu'à citer les malades que j'ai operés , pour
accomplir les foixante-une cataractes que j'ai réellement
guéries. Des 75 que j'ai opérées dans l'efpace
de près de deux ans à Paris , comme je l'ai
avancé dans ma Lettre , que M. Rouffilles fe perJUILLET
, 1749. 223
fuåde une fois pour toutes , que je n'ai pas prétendu
en impofer au Public , & fi je n'ai pas nommé
tous les malades dont je parle , c'eft que bien des
perfonnes ne me l'avoient pas confeillé ; mais la
défiance de cet Oculifte m'oblige à lui communiquer
charitablement la lifte de ces malades : je
l'avois épargnée au Public pour ne pas le fatiguer.
Je finis , en priant M. Rouffilles de fe fouvenir,
que deux confreres doivent traiter vis- à- vis l'un
de l'autre avec modération les queftions , où ils fe
trouvent d'un fentiment contraire , & qu'ils le
doivent par refpect pour le Public , autant que
par refpect pour eux- mêmes. Les injures & les
termes durs , ou peu meſurés , ne pafferont jamais
pour des argumens aux yeux des gens éclairés. Au
furplus je prends la liberté de l'avertir encore , qu'il
peut déformais écrire contre moi , autant qu'il
lui plaira , fans que je lui réponde . J'aime mieux
employer mon tems à tacher de m'inftruire , autant
qu'il me fera poffible , dans un art dont l'éten
due eft immenfe . Une feule découverte , quelque
médiocre qu'elle foit , me dédommagera abondamment
de la patience , avec laquelle je prends le
parti de laiffer en repos ceux qui tenteront inutilement
de troubler le mien par de faufles accufations;
ou par des injures que je tacherai par ma droiture ,
mon application , & par la vérité dont je fais profeffion
, de ne pas mériter qu'on m'accufe , & je
fais voeu de préferer le parti du filence , à la trifte
fatisfaction de rendre des injures pour des injures.
Signé , DAVIEL. A Paris , le premier Juillet 1749.
Supplément des foixante cataractes dont j'ai
parlé dans ma premiere Lettre.
Madame Morel , 60 ans , place du vieux Louvie
, deux cataractes depuis 7 ans .
Le Sr Soquet , 40 ans , cataracte depuis 2 ans
224 MERCURE DE FRANCE .
rue du Bouloir , chez feu M. de Herfan , près um
Bourrelier.
M. du Vochel, 65 ans , une cataracte depuis fix
ans , à Abbeville en Picardie.
Charles Malo , 66 ans , deux cataractes depuis
fax ans , à Bicêtre .
Marie Mabil , 25 ans , cataracte depuis 18 , avec
ophtalmie & ulcéres de la cornée tranfparente , à
Trefnel , fauxbourg faint Antoine.
Catherine Perrin , Servante , 30 ans , deux cataractes
, depuis deux ans de l'oeil droit , gau
che huit , avec ophtalmie & ulcéres de la cornée
transparente.
Jean Ché , des Nos en Champagne , deux cataractes
depuis dix ans , avec ophtalmie confidérable
fur les deux yeux.
Marie Septier , femme de Jean Chauvin , Me-
Buifier , 65 ans , rue S. Antoine , près les Enfans
Trouvés , cataracte depuis deux ans.
Madame Abert , 60 ans , une cataracte depuis
deux ans , à Nevers.
Madame Cardon , so ans , cataracte depuis cinq
ans , chez Mad . du Trulot ,citée dans ma ire. Lettre .
Louis Bourgeot , 72 ans , deux cataractes depuis
trois ans , de Coulommiers en Brie.
Jean-François Boufquet , ancien Soldat de Navarre
, de Villefranche en Rouergue , 36 ans , cataracte
depuis deux ans.
N. Milon , Cabaretier de Rofoy en Brie , âgé
de 66 ans , cataracte depuis quatre ans.
Mad. de Brie , 47 ans, cataracte depuis deux ans,
avec ophtalmie & ulcéres de la cornée tranſparente
, place des Victoires , chez Mlle Migniere .
Me Genêt , Hôte de Nemours , auquel M. Rouffilles
avoit abattu une cataracte à l'oeil gauche
depuis le dix -feptiéme Mai 17461 dont ce
malade n'a rien vû après l'opération , & a fouf ,
fert de violentes douleurs , quoique cette catarac
JUILLE T. 1749. 225
te fût de la meilleure efpece, felon le rapport dudir
malade & de ceux qui l'avoient vû avant l'opération
; l'oeil de ce malade eft totalement perdu fans
aucune reffource ; il eft fâcheux pour M. Rouffilles
que je fois forcé par lui - même de me juſtifier à ſes
dépens , je ne prétends cependant pas le taxer d'ignorance
pour avoir manqué une cataracte, ce qui
peut arriver au plus habile Oculifte.
J'ai operé une cataracte à l'oeil droit du Sr Genêt
, qui n'en voyoit pas depuis cinq ans : cette
opération m'a parfaitement réuffi , & fans qu'il me
foit furvenu le moindre accident .
Je compte préfentement que la furpriſe de M.
Rouffilles doit ceffer, lorſqu'il verra le fupplément
des 61 cataractes que j'ai guéries , comme je l'ai
avancé dans ma premiere Lettre ; & fi c'étoit une
perte pour le Public de n'en avoir cité que 40 de 61,
comme l'a malicieufement dit cet Oculifte , je viens
de réparer cette perte en nommant les 21 catarac
tes qui me reftoient encore ; mais je fuis fâché , com
me je l'ai déja dir, que M.Rouffilles m'ait mis dans
la dure néceffité de nommer ce dernier malade ,
dont je n'auroic iamais dit un mot , fi M. Rouſſilles
ne m'avoit pas attaque.
Copie d'un Certificat de plufieurs Médecins
Chirurgiens de Montpellier , qui prouvent
l'adhérence de la Cataracte occafionpar
une piqûre d'épine. née
,
Confeiller Medecin Nous Antoine Fizés
du Roi , en l'Univerfité de Medecine de Montpellier
, de la Société Royale des Sciences ,
Certifions que le Sieur Jacques Daviel , Maîtreès
-Arts , Chirurgien Juré de Marfeille , entretenu
fur les Galeres du Roi , de la Société des Sciences
de Touloufe , Affocié , Correfpondant de l'Académie
Royale de Chirurgie de Paris , Membre
126 MERCURE DE FRANCE.
de celle des Sciences de l'Inftitut de Bologne
Proteffeur & Démonftrateur Royal de Chirurgie
& d'Anatomie de ladite Ville de Marfeille , a fait
avec beaucoup de dextérité , & entier fuccès , en
notre préfence , l'opération de la cataracte a l'oeil
droit du Sieur Jacques Carquet , fils du Sieur Autoine
Carquet , Maître Apoticaire de Montpellier,
laquelle cataracte avoit été occafionnée par une
piqûre d'épine depuis fept ans , ce qui l'avoir
rendue adhérente du côté du petit angle , & faifoit
la grande difficulté de l'operation , qui n'a été
fuivie d'aucun accident. En foi de quoi nous avons
figné le préfent Certificat . A Montpellier le 19 Fé
rier 1743. Signé , Fizés.
Filz Gerald , Profeffeur en Medecine , & Botanique
de la même Univerfité de Montpellier, & de
Ja Société Royale des Sciences , certifie la même
chofe comme M. Fizés .
Gouraigne , de la Société Royale des Sciences ,
premier Medecin de la Charité. Soulliers , Serres ,
Henry & Mejan, Maîtres Chirurgiens , qui atteſtent
la même chofe.
Nous Maire , & Lieutenant
1
, Confuls
de Montpellier
, certifions
à tous ceux qu'il appartiendra
que Meffieurs
Fizés
,
Filz Gerald
, qui ont figné
le Certificat
ci-deſſus
,
font Profeffeurs
Royaux
en l'Univerfité
de Medecine
de Montpellier
, comme
auffi que M. Gou- raigne
, qui a pareillement
figné
le préfent
Certificat
, eft premier
Medecin
de la Charité
de ladite
Ville
, & que les Sieurs Soulliers
, Serres Henri
& Mejan
font Maîtres Chirurgiens
de ladite
Ville
, aux feings defquels
foi doit être ajou- tée , tant en jugement
que hors. En foi de quoi
nous avons figné le préfent
, & fait contre
- figner
par notre Greffier
, & à icelui fait poſer le fceau
& armes
de ladite Ville
. Fait à Montpellier
le 27 Fé- xier 1743. Signé
, Nadal
, Lieutenant
de Maire
>
JUILLET. 1749. 227
V. P. Baftide , Conful, Berger , Conful. Par lefdits
Sieurs , Caftagne , pour le Greffier.
AV I S.
Comme il eft revenu depuis quelque tems à M.
Daviel , qu'on avoit débité dans le Public qu'il
étoit parti pour s'en retourner à Marſeille , il a été
bien aife de donner avis du contraire , & d'avertir
ceux qui auroient pû le croire , qu'il a fixé pour
toujours fa réfidence à Paris , où il a fait venir toute
la famille depuis le 8 du mois de Mai dernier ,
le Roi l'ayant honoré de la Charge de fon Chirurgien
Oculifte le premier Janvier dernier . Il demeure
toujours fur le quai Malaquais , près l'Hôtel
de Bouillon , dans la Maiſon de M. Mandat ,
Maître des Requêtes , où il continue de faire des
Cours particuliers pour les maladies des yeux , de
prendre des penfionnaires chez lui pour ces fortes
de maladies . On le trouve tous les matins depuis fept
heures jufqu'à dix , & l'après midi , depuis trois
jufqu'à cinq à fa mailon . On prie ceux qui voudront
lui écrire dorénavant de quelqu'endroit que
ce foit , d'affranchir leurs lettres , fans quoi il ne
fera aucune réponſe.
APPROBATION.
'Ai la par ordre 'de Monfeigneur le Chance
lier leMercure de France du mois de Juillet 1949.
A Paris le premier Juillet 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY
TABLE .
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe:
fépulture de Philippe de France , premier Duc
d'Orleans ,
3.
Vers fur une maladie ,
Autres fur une convalescence ,
10
Autres fur un mal d'yeux , & fur une navette, 11
Lettre à M. Remond de Sainte Albine
Les deux Buches , Fable à M. Oudry ,
Refléxions ,
Vers de M. Baſton à une Dlle ,
•
Lettre fur l'hiftoire naturelle des Punaifes ,
Epitre à M. ***
121
19
21
25
26
39
15
Propofition en faveur du Commerce maritime , 49
Epitre de M. Racine à M. de Valincourt ,
Lettre fur la pétrification des coquillages ,
61
Le triomp de l'Amour & de la Beauté, Cantate, 65
Air ,
Lettre à M. Remond de Sainte Albine ,
Ode fur la Paix ,
66
68
73
Affemblée publique de l'Académie Royale des
Belles Lettres de la Rochelle ,
L'heureux Berger , Cantate ,
L'Hymen , autre Cantate ,
Lettre de M. Rameau à M. R. de S. A.
83
III
113
116
Mots des Enigmes & Logogryphes du fecond
Nouvelles Litteraires , des Beaux-Arts , &c .
volume de Juin ,
118
Enigmes & Logogryphes ,
119
125
Eftampes nouvelles ,
155
Lettre à M. de Boze , 158
Lettre de M. de Mondorge à M. R. de S. A. 173
Troihéme Lettre de M. Cantwel , 179
Defcription d'un Surtout de Table , 188
Spectacles ,
190
Chanfon notée , 124
Vers à M. D L. G. Autres à Mad. de B. 195
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 198
Morts 201
Réponse de M. Daviel à M. Rouffilles ,
La Planche gravée doit regarderla page
La Chanjon notée lapage
207
171
3194
MERCURE
DE FRANCE ,
DEDIE AU
ROI.
AV
A O
UST. 1749 .
TUT SPARGAR
LIGIT
|UT
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Sain
Jacques , à S André.
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defce te du Pont - Neuf
auPalais. JEAN DE NULLY,
JACQUES BARROIS , Qual
des Auguſtins , à la ville de Nevers.
M. DCC. XLIX.
Avec Approbation & Privilege du Roi,
A VIS.
LA
'ADRESSE générale du Mercure.eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon. Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adreſſeront
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voir paroître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces ou des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , &plus promp
tement, n'auront qu'à écrire à l'adreffe ci-deffus
in tiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions.
Ainfi ilfaudra mettre fur les adreffes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , ruë des Mauvais Garçons , powe
remettre à M. Remond de Sainte Albine,
PRIX XXX . SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
1
DÉDIÉ AU ROI.
AOUST. 1749.
PIECES FUGITIVES ,
en Vers & en Profe.
Ecrite de
M
LETTRE *
fur la Comédie du Méchant.
Adame , vous me demandez un
examen de la Comédie que vous
avez eu la bonté de m'envoyer ,
& mon premier foin eft de joindre
à mes remerciemens la preuve de ma
* Cette Lettre a déja eté imprimée au commencement
de l'année derniere. Plufieurs des refléxions
qu'on ylit au fujet de la Comédie du Méchant , fe retrouvant
dans le nouvel ouvrage périodique , intitulé,
A ij
4 MERCURE DE FRANCE.
déférence pour vos ordres. Amie des talens
, mais zélée pour la perfection des
Arts , vous voulez qu'on rende juftice à
toutes les beautés d'un ouvrage , mais vous
ne croyez pas qu'on doive s'aveugler fur
fes défauts. Je me conformerai à votre
goût , & je ne m'interdirai ni les éloges
ni les critiques que mérite la Piéce fur laquelle
vous défirez de fçavoir mon ſentiment.
>
Quelques- uns de vos beaux efprits , à ce
que vous m'apprenez , Madame , prétendent
qu'il n'eft pas permis de prendre pour
le fujet d'une Comédie un caractére haïffable.
Je penfe differemment. Le vice ,
ainfi que le ridicule , eft admis au Théatre,
pourvû qu'en nous infpirant de la hainę
pour ce qui eft blâmable , on ait le fecret
de nous faire rire , & j'en ai pour garant
le fuccès avec lequel Moliere a mis fur la
fcéne l'impieté & l'hypocrifie.
Cléon étant encore moins odieux que
Don Juan & que le Tartuffe , je ne ferai
donc point le procès à M. Greffer , de neus
avoir peint un fourbe digne de notre aver
fion. Je lui reprocherai feulement d'avoir ,
LETTRES SUR QUELQUES ECRITS DE
CE TEMS , nous croyons faire pla fir aux Lecteurs
en les meitant en état de comparer les obfervations.
des deux Critiques,
A OUST. 1749.
embraffé dans fon Poëme un fujet trop
vaſte . Si un Auteur intituloit une Comédie
LE VICIEUX , nous lui dirions avec
raifon : Le caractére que vous nous annonce ,
eft trop compofe. Pour remplir voire titre, vous
êtes obligé de nous montrer dans un même homme
tous les vices , ou du moins les plus remarquables
. Ce monftrueux affemblage partagera
notre attention entre plufieurs objets , & nous
voulons qu'un feul nous occupe au Théatre. Le
nom de Méchant étant générique , & ne
comprenant pas moins d'efpeces d'hommes
differens que le nom de Vicieux , on peut
faire à M. Greffet une pareille objection .
Autant défaprouvé- je le trop d'extenfion
donné par cet Auteur au caractére de fon
perfonnage dominant , autant j'applaudis
au choix de fes Acteurs fubalternes. Ils font
tous ingénieufement adoptés ,, ou pour
contrafter avec le Méchant , ou pour lui
donner occafion d'exercer fon malheureux
penchant à nuire . Je ne m'arrêterai point
au rôle d'Arifte , pour prouver le difcernement
de l'Auteur dans ce choix . Le Poëte
le plus médiocre auroit fenti la néceffité
d'opposer à Cléon un homme véritablement
vertueux. Ce dont je tiens compte à
M. Greffet , c'est d'avoir fuppofé dans la
mere & dans l'amant de Chloë la diſpoſition
qu'ont la plupart des femmes & des
A iij
6 MERCURE DE FRANCE.
jeunes gens de notre nation à fe laiffer féduire
par l'extérieur , & à méconnoître
le ridicule & même le vice , dès qu'ils fe
déguifent fous des dehors brillans .
M. Greffet n'a pas été auffi heureux dans
l'invention de la fable de fa Comédie, que
dans le choix de ces deux perfonnages . Je
ne me plains point comme vous , Madame,
de ce qu'il ny a pas dans fon Poëme ce
qu'on appelle communément intérêt . Selon
moi , une Piéce comique eft faite pour
amufer l'efprit , & non pour remuer le
coeur. Quand du fujet il naît naturellement
une fituation attendriffante , je n'ai garde
d'exiger qu'on la rejette ; mais quoiqu'à
préfent les perfonnes de votre ſexe defirent
de trouver de pareilles fituations dans la
Comédie , je crois non -feulement qu'elles
n'y font pas néceffaires, mais encore qu'elles
font étrangeres au genre , & que Moliere
& Regnard fe feroient mocqués de quelqu'un
, qui leur auroit demandé fi cette
efpece d'intérêt fe rencontroit dans une
Piéce nouvelle de leur compofition.
Le feul intérêt qu'ils penfoient à faire
entrer dans leurs ouvrages dramatiques, eft
celui que les connoiffeurs nomment inté
rêt de curiofité . Il confifte à exciter dans
le Spectateur un défir inquiet de fçavoir
ce qui doit fuivre chaque incident . M.
A O UST. 1749. 7
Greffet avoit deux moyens de produire
cet intérêt. L'un étoit de faire en forte
que le Méchant fût expofé continuellement
au péril prochain de fe voir démafqué
, & que fon habileté lui fournît , jufqu'au
dénouement , des reffources pour fe
tirer de ce péril. L'autre étoit de jetter fans
ceffe dans l'embarras , par les intrigues du
Méchant , les Acteurs aufquels nous nous
ferions intéreffés , & de ménager , à chaque
inftant où Cléon avoit fujet de croire
qn'il étoit prêt de triompher d'eux , un
hazard favorable qui s'opposât à fon fuccès.
Par-là , M. Greffet auroit mis de l'action
dans fa Piéce , & j'accorde à fes Cenfeurs ,
qu'il a trop négligé cet article . Sa Comédie
n'a de vraies fcénes théâtrales , que
celle dans laquelle Valére ( a ) s'efforce de
dégoûter Geronte de lui ; celle dans laquelle
Cléon , ignorant qu'il eft entendu
de Florife , en fait à Lifette (b) un portrait
fi défavantageux ; celle ( c ) de la rupture
de Floriſe avec le Méchant , & fi l'on veut,
celle imaginée (d) pour procurer à Lifette
de l'écriture de Frontin. Nous verrons
( a) A&t . III . Scen . 7
(b ) A&t . IV . Scen. 9 .
( c ) A&t. V. Scen. 7 .
( d ) A& , V. Scen. 1 .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
le
dans la fuite , que la premiere eft défec
tueufe. La feconde a été employée plufieurs
fois. Pour la quatrième , elle eft
neuve & jolie , mais elle ne mérite pas
nom de fituation. Ce nom n'eft légitimement
dû qu'à la premiere & à la troifiéme.
Je me doute que cette derniere a été fort
applaudie , & l'intrépide malignité , avec
laquelle Cléon , après être tombé aux genoux
de Florife , fe releve & la badine ,
me paroît un de ces coups de Théâtre ,
propres à faire une vive impreffion ſur
tous les Spectateurs.
Vous me mandez , Madame , qu'on a
regardé comme un art dans M. Greffet ,
de n'avoir fait le Méchant ni intéreſſé ni
amoureux , & de ne lui avoir prêté , pour
mettre obftacle au mariage de Valére &
de Chloë , d'autre motif que celui de porter
le trouble dans deux maifons . Je n'adopte
pas le principe fur lequel cette opinion
eft fondée. Il eft vrai que par là
Cléon en eft plus méchant , mais par- là
l'Auteur le rend auffi plus odieux , & cela
fans en retirer aucun avantage. En effet ,
que M. Greffet gagne t'il à prendre ce parti
? Premierement , l'objet de la Comédie
eft l'imitation des défauts communs ; & en
nous peignant un homme qui fait le mal
précisément pour le mal , l'Auteur nous
A O US T. 1749.
9
offre un être fi fingulier , qu'à peine il exifte
à la fois cinq ou fix de fes femblables chez
toute une Nation . Secondement , nous
exigeons dans les Poëmes dramatiques une
vraisemblance beaucoup plus rigoureufe
que dans d'autres ouvrages. Ce qui peut
nous paroître vrai dans un Roman , ce qui
l'eft même dans l'Hiftoire , quelquefois ne
nous le paroît pas au Théâtre , parce que
nous n'y trouvons vraisemblable que ce
que nous voyons arriver le plus ordinairement.
Nous fommes accoûtumés à ne voir
les hommes les plus pervers le déterminer
au crime , que parce qu'ils ont , ou s'imaginent
avoir quelque intérêt à le commettre.
Dans les régles de la vérité théâtrale ,
Cléon devoit relfembler aux méchans que
nous connoiffons.
Il auroit diverfes autres remarques
y
à faire fur la fable de la Comédie du Méchant.
Pour ne pas vous ennuyer , Madame
, par de trop longs détails , je paffe à
l'examen de la conduite de ce Poëme.
On ne peut fans injuftice refufer des
louanges à M. Greffet , fur l'adreffe avec
laquelle il nous épargne les récits longs &
fatiguans , dont quelquefois les expofitions
font furchargées. Tout ce que nous
avons befoin de fçavoir pour l'intelligence
de l'action de fa Comédie , il le dit fans
A v
10 MERCURE DE FRANCE:
lailler entrevoir le deffein de nous inftruire.
C'est dommage qu'il n'établiſſe pas
avec affez de précifion le caractére de fon
principal perfonnage. Suivant la peinture
que nous fait Lifette , Cléon eft ,
(4 ) Un homme faux , deshonoré , perdu ,
Qui nuit à tout le monde , & croit tout légitime!
De pareilles qualifications ne conviennent
qu'au plus horrible fcélerat. Cependant
, prefque dans toute la Piéce , Cléon
n'eft qu'un tracaffier & un médifant. J'a
voue que le confeil qu'il donne à Florife
(b ) , de faire interdire Geronte , manifefte
de la noirceur , & je fens que l'Auteur
a effayé par -là de juftifier fon titre.
Il auroit dû s'appercevoir , qu'en voulant
pallier une faute , il en commettoit une
plus confidérable , que je vous ferai bientôt
obferver.
Je fuis beaucoup moins content du
noeud de la Piéce que de l'expofition . Il
me femble qu'un fimple caprice de Floriſe
eft un trop leger obftacle au mariage de
Valére , & qu'il n'eſt pas naturel que Geronte
, qui a un intérêt preffant de voir
conclure cette affaire , ne prenne pas avec
fa foeur , dans une occafion fi effentielle ,
( a ) A&t. I. Scen. 1 .
(b ) A&t . II . Scen . 3.
A OUS T. 1749. 11
an ton plus abfolu . La Piéce auroit été
mieux nouée , fi M. Greffet , au lieu de
fuppofer Chloë niéce de Geronte , le lui
eût donné pour pere ; fi les richeffes qu'elle
peut efpérer , ne devoient lui venir que
du côté de Florife , & fi l'Auteur , à la
place de l'amour qu'il prête à la foeur de
Geronte pour Cléon , n'eût donné à cette
folle qu'un goût vif d'eftime , qui lui eût
fait fouhaiter que le Méchant épousât fa
niéce . Alors les raifons de Floriſe , pour
s'oppofer à l'union de Valére & de Chloë,
feroient plus fortes que celles qu'elle al
légue , & les complaifances de Geronte
pour fa foeur auroient un fondement plus
légitime.
Ce qui peut être défectueux dans le
noeud de la Comédie de M. Greffet , n'eft
pas de nature à être remarqué par le commun
des Spectateurs. Tous au contraire
ont été certainement frappés du vice du
dénouement. Tous ont dû s'écrier que le
Méchant étoit trop foiblement puni , &
que la perte de l'eftime de gens qu'il
méprife , n'étoit pas pour lui une difgrace
fort affligeante. Il auroit été plus fenfible
au malheur d'être privé d'une maîtreffe
qu'il auroit aimée , ou de l'efpérance d'une
fortune qui auroit été l'objet de fon ambi
tion ; & cette réflexion auroit dû fuffire
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
à M. Greffet , pour rendre Cléon intéreffé
ou amoureux .
Voilà , Madame , les défauts généraux
qui me bleffent dans la conduite de la Piéce.
Je vais vous en détailler quelques- uns
de particuliers.
L'Auteur , & c'eft ici la faute que je
vous ai promis , il y a un moment , de
vous faire obferver ; l'Auteur , dis je , n'a
pas pris garde qu'il n'eft nullement vraifemblable
que le Méchant , qui eft reconnu
pour avoir de l'efprit , & qui en a effectivement
beaucoup , hazarde la propofition
de faire interdire Geronte . Quelle
apparence qu'un homme , tel que Cléon ,
dévoile fi groffierement fa méchanceté
vis-à-vis d'une femme dont il veut fe
ménager la confiance ? Eft- il d'ailleurs.
poffible qu'il ignore que de fages Magiftrats
, malgré tous les efforts de la chicane
la plus fubtile , ne prononcent pas
légerement l'interdiction d'une perfonne ,
qui ne donne fur elle aucune prife à la
cenfure ?
G
Ce n'eft pas la feule occafion , dans la
quelle l'Auteur n'obferve pas l'uniformité
de chaque caractére. Sa Florife du cinquiéme
Acte n'eft point celle du premier.
Dans le premier , c'eft une petite maîtreffe,
prefque un petit- maître. Dans le cinquié
A OUS T. 1749 .
13
me , c'eft la femme la plus raisonnables
prefque une femme philofophe . Avec
Arifte , homme extrêmement eſtimable , '
les
qui n'a fans doute eu pour elle que
manieres les plus polies , elle n'a pu cacher
fa mauvaiſe humeur. Avec Cléon
qu'elle vient d'entendre la déchirer cruellement
, elle a la force de difimuler un
courroux , que les Prudes , les plus exercées
à compofer leur ton & leur maintien ,
auroient de la peine à ne pas faire éclater
.
En vain M. Greffet , pour fa juftifica
tion , rappellera t'il ce difcours de la Suivante
:
*
J'ai déja vû Madame avoir quelques amans.
Elle en a toujours pris l'humeur , les fentimens ,
Le different efprit . Tour à tour je l'ai vue ,
Ou folle , ou de bon fens , & c .
Ces métamorphofes ne font pas abfolument
fans exemple ; mais elles ne fe fuccédent
pas fi rapidement. Pour l'ordinaire,
dans un feul jour , l'étourderie ne fe change
pas en fageffe. De plus , quand on accorderoit
à l'Auteur la poffibilité de ce chan
gement , on lui objecteroit que Cléon n'a
point de fucceffeur dans le coeur de Flarife,
que puifque de l'aveu de Lifette , &
* A&t . I. Scen. 2.
14 MERCURE DE FRANCE.
* Elle n'a d'ame ... que par celui qu'elle aime ,
elle ne doit naturellement fe guérir de fes
travers , que lorfqu'elle aura le bonheur
de faire un amant capable de l'en corriger.
Nous avons vû que le Méchant , contre
l'idée que nous devons avoir de lui ,
montre peu d'efprit & de connoiffance du
monde , dans l'endroit que j'ai cité de fa
premiere Scéne avec Florife. Valére , dans
la Scéne feptiéme du troifiéme Acte , joue
le rôle d'un extravagant. On ne devine
pas , comment M. Greffet n'a pas fenti
que , quelque envie que Valére ait de dégoûter
Geronte de lui , il ne peut vouloir
paffer dans l'efprit de ce vieillard , pour
un homme qui a le tranfport au cerveau.
On devine encore moins , comment un
Auteur , qui a autant de goût que M. Greffet
, s'eft perfuadé que les propos fans ſuite,
tenus par le jeune ami de Cléon au fujet
de la maison de campagne de Geronte ,
dûffent produire un effet agréable .
En général , M. Greffet refpecte peu la
vraisemblance . Je puis , Madame , vous
en convaincre par d'autres preuves que
celles rapportées ci-deffus , & fon dénouement
m'en fournit une nouvelle . Je de-
. Ibida
A O UST. 1749.-
mande à cet Auteur , fur quelle efpérance
Cléon , après que Florife a rejetté la propofition
qu'il lui a faite , écrit à fon Procureur
pour le confulter fur l'interdiction
de Geronte. Il n'eft pas douteux qu'il ne
fût néceffaire de deffiller les yeux de l'oncle
de Chloë fur le compte du Méchant.
Mais il n'eft douteux non plus , que
pas
moyen , dont l'Auteur fe fert pour y parvenir
, ne foit abfolument dépourvû de
tout air de vérité.
le
Que M. Greffer me permette auffi de
remarquer , que toute fa Piéce fur
porte
une fuppofition extrêmement forcée . Il
paroît fort extraordinaire que Floriſe ,
dans le voyage qu'elle a fait avec Lifette ,
nait rien appris des détails fcandaleux ,
dont cette Suivante eft fi bien inftruite. I
n'eft pas moins furprenant que Valére
étant répandu dans le grand monde , ne
fcache point que Cléon eft en horreur à
tous les honnêtes gens , & que ce jeunehomme
craigne de fe donner un ridicule
en rompant avec un tel ami .
"
Après vous avoir communiqué mes réflexions
, Madame , fur les caractéres , fur
la fable & fur la conduite de la Comédie
du Méchant , il me reste à vousparler du
Dialogue de cette Piéce , & de la maniere
dont elle eft écrite . Je diftingue ces deux
*
16 MERCURE DE FRANCE.
chofes , parce qu'un ouvrage dramatique
peut être bien écrit , fans être bien dialo
gué,
*
Celui de M. Greffet eft dans ce cas , du
moins pour ce qui regarde quelques Scénes
, particulierement celle dans laquelle,
Valére entreprend l'apologie de Cléon .
Vous m'avouez , Madame , que malgré les
applaudiffemens donnés à cette Scéne par
le Public , vous ne pouvez fupporter qu'Arifte
n'y reprenne jamais la parole , qu'en
relevant le dernier mot de Valére , & que
celui- ci femble ne jouer vis - à- vis de ce
Difcoureur fententieux , que le fade rôle
deftiné dans un exercice fcholaftique aux
complaifans , qui fe chargent de faire briller
la mémoire du Héros de la Fête . Vous
m'avouerez auffi que ce dernier défaut fe
rencontre dans plus d'une autre Scéne , &
que l'Auteur n'y fait fouvent , comme dans
celle - ci , parler un Acteur , que pour don-.
ner occafion à un autre , de débiter des
portraits ou dés maximes . Vous ne difconviendrez
pas non plus , que fouvent un
perfonnage ne répond pas à ce qui lui a été
dit , & que même quelquefois il paffe d'une
matière à une autre toute differente ,
fans la tranfition foit ménagée par aucune
nuance intermédiaire.
que
* A&t. IV. Scen. 4 .
A O US T. 1749. 17
Je me hâte , Madame , de venir à la
partie , qui fait le plus d'honneur à M.
Greffet dans fon ouvrage. Les détails ,
qu'on y a le plus applaudis , ne font pas ce
que j'y louerai le plus. Soit dans le portrait
que Cléon fait de Paris * , foit dans
les difcours par lesquels Arifte combat les
faux principes du Méchant , ou la folle
prévention de Valére pour cet efprit dangereux
, l'Auteur foutient dignement la
réputation qu'il s'eft fi juftement acquife
par le Vert- vert & par la Chartrenfe . Autant
que perfonne , je fens le prix de plufieurs
traits heureux , par lefquels il nous
prouve la fupériorité de fon talent , & l'excellence
de fon coeur. Mais ils n'annonçent
que l'homme d'efprit , qui écrit & qui
penfe bien , & l'on peut réunir ces deux
avantages, fans être propre à compofer des
Comédies.
Si M. Greffet ne fçavoit que coudre enfemble
des converfations ingénieufes , &
mettre en vers élegans fes réflexions morales
, je lui confeillerois de ne pas fe croire
né pour le genre comique. Il polléde
dans un degré éminent le don de faire parler
les vicieux & les ridicules , de maniere
que leurs caractéres fe peignent dans leurs
* A&t . I. Scen. 2 .
18 MERCURE DE FRANCE.
difcours , & c'est par-là que je le juge
digne de marcher fur les traces de l'admirable
Moliere.
En faveur de ce don , & de celui d'écrire
en général avec un agrément fingulier
, je fais grace à M. Greffet fur certai
nes négligences de ftyle. Cependant il
n'est pas inutile d'avertir les Auteurs novices
, que quelques-unes de fes expreffions
ne doivent pas être imitées.
L'exactitude grammaticale n'admet point
ce tour ,
(4) Et pour qui votre goût m'eſt incompréhenfible.
Ces deux vers ,
(6) Que la plate amitié , dont on fait tant de cas ;
Ne vaut pas les plaifirs des gens qu'on n'aime pas.
ne portent point à l'efprit une idée difftincte.
On ne dit point ,
(e) Votre eftime ...... n'a pas fait plus de frais
pour les femmes.
En eftun mot fuperflu dans ce vers ,
(d) Ce n'eft pas fur leurs moeurs que je veux qu'on
en caufe.
fa) Acte I. Scéne 2 .
(b) Acte II . Scéne 1 .
(c) A &te I I. Scéne
d) Acte II. Scéne 3.
3.
AOUST. 1749. 19
La tranſpoſition ,
(a) A vous en eſt toute la gloire ,
eft
trop
violente. Dans cette frafe ,
(6 Ma mere m'a man lé que c'eft un homme fage;
Que c étoit fon ami , & c.
l'imparfait figure mal après le préfent .
A ce difcours de Valere ,
(c) C'eft juger par des bruits de Pédans , de Comeres
,
la
Arifte , au lieu de dire , non , par la voix
·publique , doit répondre , non , mais par
voix publique. Géronte ne parle pas correctement,
en difant (d) , que in ferois bienfait,
noblement , & il faut qu'il repéte le mot
fait avec ce fecond adverbe. La fraſe ,
(e) A-t'on vû quelque part un fonds d'impertia
nences ,
eft vicieuſe , le régime impertinence devant
être au fingulier. De plus , fond s'écrit ſans
s. On dit bien , l'Orateur des Foyers ,
(a) Acte II . Scéne 7.
(b) Ibid.
(c) A&te III. Scéne 6 .
(d Acte III. Scéne 9.
(e) Acte III . Scéne 10.
20 MERCURE DE FRANCE.
mais on n'a jamais écrit , ( a) l'Orateur des
mauvais propos. Le mot Parodie n'eft pas
le terme propre en cet endroit - ci , qui
d'ailleurs eft fort beau.
(b) Quels titres font les fiens ? L'infolence &
des mots ;
Les applaudiffemens , le refpect idolâtre
D'un effain d'étourdis , chenilles du Théatre ,
Et qui venant toûjours groffir le Tribunal
Du Bavard impofant qui dit le plus de mal ,
Vont femer d'après lui l'ignoble Parodie
Sur les fruits des talens & les dons du génie.
Même,avec un peu de mauvaife humeur,
on pourroit critiquer l'expreflion , groſſir
le Tribunal. Il y a de l'obfcurité dans cette
autre frafe ,
(c) Stérilité de l'ame , & de ce naturel
Agréable , amusant , fans baffefle & fans fiel .
On peut faire le même reproche à celle- ci ,
(d) où vous êtes vous- même , fans lendemain.
Celle , ils ont d'avance ( e) un air que je trouve
à ton Maître , ne fignifie pas la même .
chofe que , je trouve d'avance leur air à ton
Maitre. Sans courir rifque de paffer pour
(a) Acte IV. Scéne
( b ) Ibid.
(c ) Acte IV. Scéne
4. ( d ) Ibid.
4.
t
( e ) Acte V. Scéne 1 .
' A O UST. 21 1749.
top févére , je пор condamne auffi ce vers ,
(a ) A moi , dont vous fçavez l'eftime & la tendreffe
.
On connoît l'eftime & la tendreffe d'un
amant , & l'on ne les fçait point.
Sans doute, les amis de M. Greffet fouhai
eroient que ces taches ne fe trouvallent
point dans fon ouvrage , mais elles ne
doivent rien diminuer de notre eftime pour
les beautés de détail dont ce Poëmme eft
rempli. J'apprens qu'on deftine à cet Auteur
la premiere place, qui vaquera (6) dans
l'Académie Françoife. Cette Compagnie
ne peut affûrément faire un meilleur choix,
& les fuffrages font prévenus par ceux du
Public.
Dans le moment , Madame , que je finis
ma Lettre , je reçois la critique , que vous
me marquez avoir fuivi de près l'impreffion
de la Comédie du Méchant. Vous
trouverez mes obfervations fort differentes
de celles du Cenfeur anonyme. Peatêtre
n'approuvérez - vous ni les unes ni les
autres , mais vous devez du moins approu
wer mon exactitude à vous obéir..
Je fuis avec respect , &c .
( a ) A&te V. Scéne 7 .
( b ) M. Greffet n'a été hommé Académicien qur
quelque tems après la publication de ceste Letired
22 MERCURE DE FRANCE.
PHEBUS ET L'AMOUR.
ODE ANACREONTIQUE.
Par M. Sénant du Chaftelier.
C'Eft de
' Eft de toi , Dieu de la lumiere ,
C'eft de tes fecondes chaleurs ,
Que la nature toute entiere
Reçoit la vie &les couleurs.
+3x+
Nos prés , nos bois en ton abfence
Languiffent privés d'ornement ,
Les oifeaux gardent le filence ,
Et les eaux font lans mouvement.
Mais lorsque la faifon de Flore
Vient nous annoncer ton retour
Et que les Zéphirs font éclore
Les fleurs , doux fruits de leur amour ;
+++
Les tuiffeaux libres de leurs chaînes
Les hôtes aîlés de nos bois,
A O UST.
1749. 2 ;
Célébrent la fin de leurs peines ,
Par leurs murmures & leurs voix.
Phébus , les gazons & l'ombrage ,
Nous les devons à tes chaleurs ,
Mais qui nous en apprit l'uſage
C'est l'Amour , le foleil des coeurs,
Par un arrêt des deſtinées
Tu partages avec la nuit
L'empire éternel des années
Nuit & jour fon flambeau nous luit.
Pendant l'hyver , tes feux ftériles
Eclairent à peine nos champs ;
Dans nos coeurs les Bammes fertiles
Font toujours regner le printems,
Plus doux que celui du Zéphire ,
Son fouffle échauffant les defirs ,
Anime tout ce qui reſpire ;
On ne vit que par fes plaiſirs,
*3*+
Si l'aveugle enfant ne feconde
Tes traits fur la terre femés ,
24 MERCURE DE FRANCE.
Tu n'éclaires , flambeau du monde ,
Que des êtres inanimés.
Sur fon front les destins injuftes .
Cnt mis un voile injurieux ,
Mais fes coups n'en font pas moins juftes ,
Ma Cloris lui prête les yeux.
+xxx+
Pour elle en ce brillant parterre
Phébus fait éclore les fleurs ;
Sur fon teint le Dieu de Cythere
Les fait naître par les ardeurs.
Tant que tu voudras par
ta flamme
'Animer mes tendres chanfons ,
Son ardeur échauffant mon ame
Produira d'agréables ſons.
Allez mes vers , ofez paroître
Avec les fleurs en ce printems ;
L'aimable Dieu , qui vous fit naître ,
Vous fera durer plus long- tems.
AUTRE
AOUS T. 1749. 25
*********X*X3X+ 3X+
AUTRE.
L'ABEILLE , EMBLESME DE L'AMOUR.
Tout en l'anivers
fommeille ;
Moi feul , de fi grand matin ,
Et la diligente abeille ,
Nous parcourons ce jardin .
De l'amour elle eſt l'emblême :
Avant la pointe du jour
Elle fe leve : l'Amour
S'éveille toujours de même
Ils font tous les deux petits:
Si de la moindre fleurette ,
Et fi des moindres réduits
L'abeille fait la retraite :
Dans l'oeil d'un objet charmant ,
Dans le coin de la paupiere ,
Le petit Dieu de Cythere
Se loge facilement.
Si l'abeille chérit Flore ,
L'Amour aime les zéphirs ;
Le doux Printems fait éclore
B
25 MERCURE DE FRANCE.
Et les fleurs & les défirs .
Ils font tous deux munis d'aîles ,
Et d'aiguillons affaffins.
Tous les deux font des larcins ,
L'une aux fleurs , & l'autre aux belles.
炒茶
Mais leurs vols font innocens ;
C'est en femant qu'ils moiffonnent,
Leurs larcins font des préfens ,
Puifqu'en dérobant ils donnent .
De ce butin précieux ,
Pris fur le lys & la roſe ,
Leur adreffe nous compofe
Un nectar délicieux .
Leurs bleffures font cruelles ;
Si leurs dons ont des attraits !
Mais combien font plus mortelles ;
Amour , celles de tes traits ?
L'on doit craindre ta vengeance ,
Nul ne le fçait mieux que moi .
Mais pourquoi , cruel , pourquoi ,
Punis tu , fans qu'on t'offenſe
Par le même,
1
AOUS T. 1749. 27
AUTRE.
LA GENTILLESSE
ET LA BEAUTE RÉUNIES.
A Mademoiſelle Gauffin.
Cupidon , Upidon , cet enfant gâté ,
Eut ces jours paffés à Cythére
Une difpute avec ſa mere :
Venus difoit que la beauté ,
Pour faire naître la tendreffe ;
Avoit les plus puiffans attraits ,
Et l'amour , que la gentilleſſe
Lui fourniffoit bien plus de traits",
****
Elle eft femme , fon fils rébelle
Aucun d'eux ne voulant céder ,
Un combat devoit décider
Pour terminer cette quérelle .
De la plus belle de fa Cour ,
La Souveraine d'Idalie
Devoit faire choix , & l'Amour
En élire la plus jolic.
*XX
Ce mortel , qui par les écrits ,
Bij
28 MERCURE DE FRANCE.
Dit Venus , nous prouve fon zéle ,
De nos fujets le plus fidéle
Sera ton Juge , & mon París.
Elle crut par ce ftratagême
Corrompre mon intégrité ,
Mais je fuis plus que d'elle - même
Partifan de la vérité.
Le petit Dicu , par qui tout aime ,
Nomma la charmante Gauffin .
Ah ! dit Cypris , j'avois deſſein ,
Pour moi de l'élire elle-même.
Raffemblez donc tous vos appas ,
Et difputez-lui la victoire ,
Dit l'Amour : Venus n'ofa pas
Rifquer le combat & fa gloire.
***
Gauffin , cet aimable fouris ,
yeux à qui tout rend les armes ,
Auroient rendu vains tous les charmnes
Ces
De la ceinture de Cypris.
Vous auriez remporté la pomme ;
J'étois votre Juge en ce jour ,
Et je vous voyois. ... Mais quel homme
Ne vous voit des yeux de l'amour ?
Par le même;
AQUS T. 1749. 19
薪洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗灘
LETTRE
De M. D. D. à M. Rémond
de Sainte Albine.
E confidére , Monfieur , le Mercure ,
comme des archives où chacun a la liberté
de dépofer ſes fentimens , fur ce
qui a rapport aux Sciences & aux Beaux
Arts , pour y être jugé par le Public .
Voici deux obfervations , aufquelles
je vous ſupplie de vouloir bien donner
place.
Je voudrois 1. qu'on pût obtenir de
nos Phyficiens , qu'ils ne regardaffent
jamais leurs découvertes , comme une nouveauté
que leur génie a créée ; & qu'ils fe
perfuadaffent , qu'il n'y a rien qui n'ait étẻ
connu des anciens fous d'autres dénominations
, que celle que les modernes leur donnent
: l'électricité , l'attraction , par exemple,
font de ce nombre : cela n'empêche pas
que retrouvant des chofes perdues , ils ne
puiffent fe faire honneur de les reveler
d'y ajouter leurs remarques , & d'en augmenter
l'utilité & le prix.
2 °. Qu'ils ne s'en tinffent pas à l'apparence
trompeufe des nouveaux fyftêmes ,
Bij
30 MERCURE DE FRANCE.
qu'un autre qui fuccéde immédiatement détruit
; & qu'ils méditaffent & analyfaffent
profondément, avant d'expofer leurs idées,
afin de mériter à bon titre l'immortalité à
laquelle ils afpirent .
J'ai vu dans le fecond volume du Mercure
de ce mois ( Juin 1749 ) deux erreurs
de fait , que je ne puis m'empêcher de relever
: l'une , page 8 , ligne 18 ; l'autre ,
page 128 , ligne 15.
+
Par la premiere , l'Auteur dit , qu'il ne
connoit point de procédé chymique , par lequel
on puif tirer du fel de l'eau.
"
S'il eût mis de l'eau en putréfaction
ou s'il avoit fait de longues diftillations, &
digeftions au bain marie ; que ce bain fùt
d'eau de pluye , ou de riviere , ou de puits ,
n'importe ; qu'il n'eût point changé cette
eau , mais qu'il l'eût feulement remplacée
par de nouvelle , à mefure de l'évaporation
, il auroit trouvé beaucoup de fel ; &
de ce fel , il en auroit tiré du foufre ou de
l'huile . Il auroit encore pû , en calcinant ce
fel plufieurs fois, trouver un attrament qui
lui auroit procuré des principes homogénes
aëriens. C'eft par de femblables procédés
que les Philofophes , élaborant le fel
de nature innominé , & non déterminé , obtiennent
le diffolvant univerfel , l'unique
clef de la fageffe.
A OUS T. 1749. 31
L'autre erreur ( page 128 ) eft renfermée
dans cet expofé. La prétendue invention de
tranfmuer les métaux , n'a point fait fortune
dans les efprits : la deftruction de la matiere ,
eft au même point : les élemens font toujours indeftructibles
, ou immuables ; ce n'eſt pas cependant
faute d'efforts de la part des Chy
miftes , pour faire croire la poffibilité de ces
changemens & anéantiſſemens.
De quoi s'eft avifé l'Auteur de ces pro
pos, d'attaquer, pour faire valoir la méchanique
du Bureau Typographique , la Chymie
qui n'étoit point de fa fphére ? Qui
lui a dit que les métaux ne peuvent être
tranfmués ? L'a- t'il lû dans Lemery ? A- t'il
été la dupe de quelques foufleurs efcrocs ,
ignorans , illitterés , & qui ne fçavent
que tromper par leurs fophiftications ?
Tout le monde fçait à préfent , que l'on
peur défoufrer de l'or , & remétalifer fon
foufre , en y joignant du mercure commun.
Cette opération , qui n'eft pas philofophique
, & qui ne rend qu'à peine poids
pour poids , fert néanmoins de preuve àla
vérité de la tranfmutation : on doit conclure
, qu'il eft ridicule de nier qu'il ne
s'en puifle faire de plus confidérables .
Que veut dire le Typographe ? Les
élemens font indeftructibles & invariables ,
& c.
Bij
32 MERCURE DE FRANCE.
De qui a t'il appris que les Chymiftes
ayent tenté de détruire les élemens ? Ils ne
connoiffent qu'un feul principe , & deux
matieres élementées (la terre & l'eau). Ces.
matieres procédent de ce premier principe
elles fe convertiffent & fe changent
perpétuellement l'une en l'autre : car , l'eau
devient chair terre , bois , pierre
>
OS ,
>
marbre , diamant , métal , &c. & toutes.
ees chofes redeviennent cau.
Le principe feul eft invariable : fon unité
fous la forme de fel , contient le feu &
l'efprit ; voilà la fource féconde de tous.
les êtres , & de toutes les formes déterminées
au premierjour..
avec une
Ceci n'eft pas un fyftême imaginé , mais
une vérité tirée de la nature même par
ceux qui fe donnent la peine de la confulter
, aidés de la doctrine des anciens
Philofophes & de plufieurs modernes , qui
s'occupent dans leur folitude fans.diftraction
, à faire des décompofitions & des.
analyſes ; qui fuivent pas à pas ,
extrême attention , le développement des:
differens mixtes , fortis de la même &
unique fource. Que les Antichymiftes jettent
les yeux fur tout ce qu'a produit cette-
Science pour la néceffité , la commodité ,
la fanté , la sûreté , la perfection des Arts,
en un mot le bien être en général ; ils ſe
X
A OUS T. 1749.
33
perfuaderont bientôt , que ce n'eft point
une fcience vaine & fyftématique , qui ne
met en avant que des pures idées , des mots
& des difputes d'école ; & que la faine
Chymie eft une Anatomie univerfelle , une
Phyfique démontrée , qui ne préſente que
des vérités cachées au vulgaire, mais effentielles
à la fociété en général .
J'ai l'honneur d'être , &c.
**************
REFLEXIONS
Sur la transfufion du fang , à l'occafion de
laquelle M. Cantwell , Docteur in Médecine
, a écrit une Lettre inferée dans le
Mercure de Juin 1749 , page 161.
M
Onfieur Cantwell a dit tout ce
qu'un Médecin peut dire de plus
probable , pour prouver que la transfusion"
ne peut être pratiquée avec fuccès. Il fe
fonde avec raifon , fur la differente ftructure
des corps , la nature dufang , & la conftitu--
tion des tempéramens de chaque individu ::
Il'obferve judicieufement , que le fang n'eſt
pas un fimple produit , ou l'élixir des ali
mens ,& qu'il y entre une grande quantité de
recremens depuis la maftication , jusqu'à ſon
entrée dans la fonfclaviere..
By
34 MERCURE DE FRANCE.
Mais
pour prouver encore avec plus de
force , que la transfufion n'eft pas propofable
, il faut entrer dans un examen pro- .
fond de la nature par l'analyfe , & démontrer
que quoique tous les êtres fortent
de la même fource , le principe.qui
en découle eft differemment déterminé , &
qu'il ne peut enfuite de cette détermination
fe rétablir dans fon état primitif ,
qu'après de longues élaborations , qui divifent
& féparent les matieres paffives ,
jointes poftérieurement à la détermination
fpécifique ; en premier lieu , au genre
animal , végétal & minéral ; en fecond
lieu , au caractére particulier de chaque
individu , tous differens , quoique de la
même efpéce.
Pour établir évidemment cette vérité ,
je commencerai par expliquer ce qu'on
doit entendre par la détermination de ce
principe dans le genre végétal , & j'en
prouverai enfuite l'analogie avec l'animal.
Dans un jardin d'un arpent , plus ou
moins , n'importe , je peux femer un trèsgrand
nombre de végétaux ; ils y croîtront
& produiront chacun felon fon eſpéce ,
par le fecours de la chaleur humide du
globe terreftre , de, l'air , des pluyes , de la
rofée , & des rayons vivifians du Soleil.
A O UST. 1749. 35
Cette chaleur humide de la terre opére
le dévelopement du fétus renfermé dans
chaque femence comme l'animal l'eft
dans l'oeuf , elle putréfie la matiere paffive
élementée : voilà le premier degré de la
régénération de tous les êtres .
,
La putréfaction , divifant cette matiere ,
met en liberté le principe générateur : çe
principe contient dans fon unité une portion
de foufre , qui eft le feu ; une portion
de mercure , qui eft l'air ou efprit ; & une
portion de fel , qui eft le corps , particu
lierement configuré & déterminé à l'efpéce
dont la femence procéde *.
Le premier rudiment de la tige commence
à s'élever, à mesure
du côté opque
pofé les racines s'étendent & attirent la
matiere élementée , que la putréfaction a
liquefiée ; cette matiere , comme le fang
de la mere de l'animal , eft la premiere
nourriture de l'embrion . Ces racines naiffantes
, qui ne font encore que de petits
filamens , prefque imperceptibles , néan-
* Ce foufre , ce mercure & ce fel , ne font pas
les communs .
Les Phyficiens n'ignorent pas que le fel de chaque
genre a fa configuration particuliere : le fel
philofophique renferme dans fa ficcité l'efprit &
P'humide radical , inféparablement unis , & c'eft
cette unité , qui eft le principe univerfel .
B vj
36 MERCURE DE FRANCE
moins caractérisés dans leur contexture ;,
felon l'espéce , attirent ( car chaque espéce :
a fon attrament propre ) attirent , dis - je ,
& n'admettent , en s'étendant enfuite dans
la terre , que la matiere élementée de fon
genre ; de même que les filets de coton ,
dont on fe fert pour féparer de l'huile mêlée
d'eau , n'admettent que l'une des deux .
liqueurs dont on les a d'abord impreignés
*.. C'eft ainfi que la féve , qui de la
terre pénétre par les racines fortifiées par
le tems , eft portée jufqu'au fommet du végétal
qu'elle édifie ; mais fi par cas fortuit ,,
il fe mêle à cette féve des héterogénités.
qui dérangent la circulation , l'efpéce lan
guit & meurt..
Ce n'èft pas tout ce qui eft à confidérer
dans la régénération des végétaux ; il faut
remarquer la configuration fpécifique dess
couloirs ,,& les métamorphofes furprenan .
tes qui en réfaltent , puifqu'il fe produit :
d'an végétal, fauvage un autre, végétale
Quoique le chyle foit un compofe de diverfes :
parties diffemblables , les filtres par où il paffe , &:
lorfqu'il eft converti en fang , n'admettent que less
particules d'un fluide , dont ils ont été primitive--
ment.abreuvés; & encore que ces filtres foient pref
que confondus les uns avec les autres , ils ne permettent
pas fans violence l'entrée de ce qui leur
eft hétérogénes tel eft l'admirable méchaniſme des
divifions & des fecrétions dans tous les genres..
A O UST. 1749.
parfait. Le fruit du premier eft défagréa
ble au goûr , celui du . fecond le flatte &
excite.nos defirs ..
La greffe des arbres fe fait. avec auffi
peu de réflexion de la part du Jardinier
qui l'opére , que du Phyficien ſcholaſtiquequi
en voit le progrès.
Elle ne confifte , .1 ° ..qu'à appliquer furun
fauvageon , dont on veut perfection--
ner la production , ou la changer entiere
ment de forme , un oeil , ou bouton à fruit,
enlevé d'un arbre de la plus belle & de la
plus excellente espéce . 2 ° . De retrancher
du fauvageon toutes les branches qui ne
font point greffées , enforte que la féveabondante
foit forcée de ne pénétrer quepar
les couloirs , ou les pores de la greffe.
Cette féve qui étoit propre à ne produire
par exemple , que de mauvaifes prunes .
acres , ne trouvant plus les paffages libres
pour les particules paffives , trop chargées
de fel & de foufre groffiers , hétérogéness
aux nouveaux filtres , ne paffe pas outre
dans fa totalité , parce que la greffe queję
fuppofe avoir été tirée d'un pêcher ,.
eft configurée differemment , & ne peut
admettre qu'une féve homogéne à ſon efpéce
. Après que la tige a acquis la confif
tance ligneufe , que les filtres & les noeuds .
qui comme les glandes des animaux , font:
A
3S MERCURE DE FRANCE
les inftrumens féparateurs & excrétoires
ont été perfectionnés , le mouvement de
circulation & de cohobation de la féve ,
digerée , vivifiée par les rayons pénétrans
du Soleil qui diffipent le phlegme , rend
cette même féve balfamique : elle fe
manifefte , en premier lieu , en fleurs , enfaite
en fruits , au centre defquels fe réunit
la plus pure fubftance élementée , qui fous
la forme d'amande , renferme le principe
générateur.
Cette amande , comme celle dont elle
procéde originairement , contient donc
l'intégrité des principes générateurs , déterminés
à produire par l'addition des matieres
paffives ( la terre & l'eau ) , une longue
fuite de postérité toujours effentiellement
de même nature : ce principe ainfi
déterminé , eft un aiman , qui comme le
ferrugineux que le vulgaire connoît , n'attire
que les particules élementées qui lui
font homogénes. C'eft par cette vertu ,
dont la parfaite connoiffance eft réſervée
à la majefté du Créateur , que les races des
differens êtres fe perpétuent : le filtre , ou
moule , fixe la mefure ; l'attraction en détermine
la qualité ; c'est l'un & l'autre qui
difpenfent à l'embrion les premieres notions
des formes folides , molles , fluides
& fpiritueufes ; les couleurs , la faveur
AOUS T. 1749.
30
, l'odeur &c . dans une jufte proportion
fymmétrique & caractéristique de chaque
efpéce.
Que l'on fuppofe un vieux chêne ,
dont le fommet foit couronné , ou dont le
tronc & les branches foient languiffantes :
qu'on recueille de la féve d'un autre
chêne jeune & vigoureux , ou par incifion
, ou en coupant l'extrêmité d'une de
fes groffes racines ; enfin qu'on en arrofe
tant qu'on voudra le vieux chêne : on ne'
pourra ni le rajeunir , ni le fauver , fi cette
féve n'a été élaborée par un fçavant Artifte
, qui fçache en tirer la quinteffence
falutaire aux animaux , comme aux végétaux
, parce qu'il n'y a que les principes
actifs , purgés de phlegmes & de matieres
impures , qui puiffent ranimer la vie de
l'animal & du végétal ; mais cette revivification
a néceffairement fon terme ,felon la
conftitution du fujet , & l'attention qu'on
a eûe pour le conferver par un régime réglé
, à l'égard des hommes , & une culture
foignée , à l'égard des végétaux.
Il faut à préfent appliquer ce que je
viens d'établir , au genre animal ; rechercher
quelles font l'origine & la qualité du
fang , qui comme la feve conftitue les folides
, les fluides & les efprits. Et d'autant
que la génération de toutes les efpéces eft
40 MERCURE DE FRANCE.
uniforme , je ferai le parallele du dévéloppement
d'un poulet , avec celui de
l'homme..
Que la poule couve extérieurement
l'oeuf qui contient l'embrion , dans un nid
qu'elle arrange elle même , ou qu'on lui a
préparé , & que la femme couve dans l'u--
terus celui qui a été déposé en elle ; cela
revient au même. Lorfque le coq introduit
l'embrion dans la poule , elle lui
fournit auffi -tôt de fa propre fubftance
ce qui eft néceffaire à la nourriture & à
fon accroiffement , jufqu'à ce qu'il forte
de la coquille : & la femme nourrit inté
rieurement , pendant les neuf mois de fa
groffeffe , le férus dont l'homme lui a fait
le dépôt : c'eft en cela feul que la tranf--
miffion de la fubfiftance , & la couvaiſon:
du poulet , different des autres animaux
développés dans le fein de leur mere ; &
quoiqu'en difent quelques Anatomiftes ,
la femme n'a pas plus de part que la poule:
à la formation de fon fruit , & le concours
des trompes de falope , leur méchanifmeforcé
, l'ovaire , les enfs , & les vermif
feaux , hommes imaginés par les Harvey &
les Dodart , font de pures idées démenties
par la nature , que le préjugé & la réputation
de ces Syftématiques ont perpétuées
par la négligence des gens de l'art à dés
AOUS T 1749. 41
velopper la vérité. J'ai plus amplement
traité ceci dans une Differtation particuliere
, fur la caufe phyfique des fignes &
des configurations monftrueufes , que les
enfans reçoivent dans le fein de leur mere ;
j'en ai prouvé l'origine ; j'ai fait connoître
le filtre , ou le moule qui détermine la matiere
féminale , & de quelle maniere l'embrion
fe développe dans l'uterus.
Il faut maintenant examiner la compofition
du fang , & fi fa fubftance , paffant
immédiatement d'un corps fain dans un
cacochime , ou décrépit , foit qu'il procéde
d'un animal de même efpéce que celui auquel
on le fubftitue , foit qu'on introduife
dans les veines d'un homme celui d'une
bête ; fi , dis- je , ce fang étranger peut
procurer la guérifon d'un malade , ou la
réparation de la décrépitude .
Le fang, fuivant M. Cantwel , eft la quinteffence
des alimens , dont l'animal ſe nourrit.
Je dis de plus que ce fang , de même que
la féve , contient les principes actifs & la
matiere élementée , & que dans la plus.
grande partie des hommes & des femmes ,
ce fang eft mêlé de beaucoup d'hétérogénités
, qui procédent de la diverfité des viandes
dont ils ufent fans modération . Violentant
ainfi la nature , ils n'attendent pas.
que leur eftomach les avertiffe de fes be
42 MERCURE DE FRANCE.
foins , ils l'excitent & l'empliffent avec
excès ; & quoiqu'il foit déja chargé de
mauvais levains , ils le comblent encore
par differens mets éguifés d'effences &
d'épiceries qui forment un agréable poifon
, auquel ils joignent beaucoup de vin ,
de liqueurs , & des actions violentes de
toutes efpéces de voluptés : enforte que
le chyle , qui réfulte de ce mêlange , eft
une eau forte , laquelle au lieu de conferver
& augmenter les globules balfamiques
du fang, les divife & les détruit ; elle
corrode les filtres , change la nature des
parties folides , molles & fluides ; enan les
efprits ne font que des particules de feu
violent , qui portant l'incendie dans le
genre nerveux , dérangent ou détruiſent
⚫ les molécules du cerveau , & troublent la
raifon ; voilà la fource féconde de toutes
les maladies graves & aigues , qu'on reproche
aux fuppôts d'Efculape de ne pouvoir
guérir , malgré la phlebotomie exceffivement
réitérée , & les rafraîchiffans fans
vertu voilà d'où procédent les régénérations
cacochimes de ces hommes de foible
complexion , très -communs aujourd'hui
, fujets à toutes les infirmités de tempérament,
débiles , & fans vigueur : voilà ce
qui fait dire aux fots , aux imbéciles , que
la nature dépérit , que les hommes ne font
AOUS T. 1749% 43
plus ce qu'ils étoient autrefois ; que les
alimens n'ont plus la faveur qu'ils avoient
du tems de nos peres , & même lors de leur
adolefcence.
Quoique le fang foit la quinteffence
des alimens des animaux en général , il
faut diftinguer celui des bêtes , de celui
des hommes.
Le premier doit fe fubdivifer en deux
claffes. Celui des bêtes qui ne vivent que
de foin , de grain & d'herbes qu'elles
broutent , eft fimple , & la chair qui en.
provient , eft fans contredit , pour l'homme
, la nourriture la plus homogéne , après
le lait & le fruit.
Mais le fang des bêtes voraces , qui ne
fe repaiffent que d'autres animaux , ou de
la corruption des immondices , eft trop
chargé de foufre & de fel impurs ; la chais
qui en procéde ne peut être pour l'homme
qu'un mauvais aliment .
9
Les bêtes de la premiere claffe transforment
en leur propre fubftance le grain
le foin & l'herbe , par la trituration & la
digeftion , & l'homme qui fe nourrit de
cette fubftance homogéne déja bien préparée
, qui la triture & la digere une ſeconde
fois dans fon eftomach , gouverné
par la fobriété & la continence , fe procure
un chyle très-parfait.
44 MERCURE DE FRANCE.
La forme du fang , proprement dit , eft
globulenfe ; il circule dans les veines avec
une férofité qu'on appelle lymphe : lorfque
la proportion de nature eft bien compaffée
entr'eux , que la tranfpiration eſt
en équilibre avec la nutrition , & que cette
nutrition ne fait que remplacer le volume
& le poids des fécretions , fi la volupté
effrenée ne la corrompoit pas , l'homme
jouiroit d'une bonne & conftante fanté ,
qui le conduiroit paisiblement à cette vénérable
décrépitude des anciens , exempt
des horreurs de fa deftruction au milieu de
fa carriere : fon ame , après un fiécle , s'envoleroit
fans qu'il s'en apperçût.
J'ai divifé le fang des bêtes en deux
claffes feulement , mais celui de l'homme
eft fufceptible d'une bien plus nombreuſe
diftinction , non relativement aux principes
, qui font femblables & inaltérables
mais à caufe des matieres élementées qui
les enveloppent , les divifent & circulent
dans toutes les parties de l'individu . Ces
marieres font plus ou moins hétérogénes ,
raifon des foufres , des fels impurs & des
terreftréités qui tirent leur origine des differens
alimens & boiffons dont les hommes
ufent , ou fobrement , ou avec excès
à quoi il faut ajouter la varieté de leurs
moeurs , de leur conduite réguliere ou dé
AOUS T. 1749. 45
réglée ; de leur état tranquile , ou tumultueux;
de leurs exercices violens ou modérés
, foit du corps, foit fans actions corporelles
; car toutes ces chofes qui influent
fur la compofition des liqueurs , confervent
, ou alterent la conftitution primirive
du fang.
Si l'on met du fang en putréfaction , il
s'enfuit une puanteur infupportable , mais
fi par des diftillations & cohobations réitérées
on dégage fa vraie fubftance de
toutes impuretés , il s'en exhale une odeur
plus fuave & plus parfaite , que celle des
plus précieux parfums de l'Orient.
Enfin fil'on en tire le fel par des calcinations
, & qu'on réduiſe ce fel en huile
philofophique , il produit un reméde fi
fouverain ,, que deux grains pris dans un
véhicule convenable rétabliffent la maffe
fanguine la plus appauvrie ; fon feu homogéne
ranime & dégage celui que l'impureté
a atténué ; il abſorbe à ſon tour cette impureté.
Ce fpécifique eft plus für que la transfufion
, d'autant que le fang de l'animal
le plus fain , le plus vigoureux , eft trèsabondant
en férofité & en terreftreité , &
qu'il ne contient qu'une très- petite portion
de ce feu de nature où réfide la vie.
Que fi les alimens les plus fimples après
46 MERCURE DE FRANCE.
T
avoir été broyés dans la bouche , digerés
dans l'eftomach , mêlés dans le duodenum
avec la bile & le fuc páncréatique , réduits
en chyle dans le méfantere ; que dans tous
ces différens paffages , ce compofé ait reçû
des diffolvans qui coopérent à fa divifion
parfaite , & qu'à l'entrée du méfantere , la
féparation des impuretés les plus groffieretés
fe foit faite , enforte que le réfidu
arrivant au réſervoir de Pecquet , foit un
fluide reffemblant à du lait , que ce fluide
pénétrant par la veine foufclaviere pour delà
paffer dans le coeur & circuler enfuite
dans toutes les parties du
corps , traverfant
une grande quantité de filtres féparateurs ;
enfin fi ce n'eft qu'après tout l'appareil que
je viens d'expliquer très- fuperficiellement,
que les alimens peuvent être convertis en
notre propre fubftance , comment pouvoir
raifonnablement s'imaginer qu'un fang
étranger , tranfmis d'un côté à mesure
qu'on retire de l'autre celui auquel on
le fubftitue , puiffe opérer le fuccès qu'on
fe propofe de la transfufion ? Quel rapport
, quelle homogénité y a-t'il entre ce
nouveau fang & les filtres & les couloirs
où on le fait entrer ? Quelle vertu médécinale
contient- il pour anéantir les levains
dont celui qu'il remplace a impreigné les
inftrumens féparateurs , les arteres
, les
A OUS T. 1749. 47.
veines , le genre nerveux & les parties.
folides ? De quelle maniere peut-il abforber
les dépôts & les empêchemens dans
les vifceres , rendre le reffort aux fibres
obftrués d'un paralitique , ramollir les cartilages
offifiés des vieillards ? Comment
peut-il réparer les ravages que les efprits
ardens d'un furieux ont faits dans la fubtance
molle & délicate du fiége de l'ame ?
Loin de pouvoir produire la réparation
de la décrépitude , le rétabliffement de la
cacochimie , il eft démontré que le fang
étranger ne pourroit qu'occafionner la
corruption de l'individu où on le tranf
mettroit , & bien- tôt la mort.
Mais quand l'uſage de la transfufion feroit
autant avantageux qu'il eft mal imaginé &
pervers , il feroit imprudent de l'autorifer,
parce que les perfonnes opulentes qui pourroient
en hazarder l'effai , ne fe feroient pas
fèrupule de facrifier la vie de jeunes gens
les plus fains & les plus vigoureux ; confidération
qui exige l'attention des Magiftrats
, pour s'oppofer à ce cruel , inutile &
extravagant reméde ; j'ai prouvé qu'il n'avoit
pas plus d'efficacité pour les végétaux.
Que les Miniftres des maladies s'appliquent
à conferver le fang plutôt qu'à
l'extraire & à le remplacer ; qu'ils le purifient
, qu'ils fe procurent d'un nombre
48 MERCURE DE FRANCE
d'hommes fains , forts & robuftes , par des
faignées qu'ils appellent de précaution ,
le fel ou la quinteffence du fang humain
, ou plutôt qu'ils cherchent ce fel
précieux dans celui de nature , qui eſt ſi
commun & fi univerfel , ils feront des miracles
; qu'ils confultent pour cette recherche
les anciens Philofophes , les Nourriffons
d'Hermès , & non Gallien , ils trouveront
ce divin reméde. Mais auffi que les
hommes concourent differemment qu'ils
ne font à conferver leur fanté, qu'ils foient
fobres , qu'ils n'ufent que d'alimens & de
boiffons fimples , qu'ils ayent de la modération
dans leurs paffions & de la retenue
dans la volupté.
D. D.
A
LE
A OUS T. 1749. 49
ဦး မင်းမင်းမင်း ဦး ဦး ဦး ဦး
LE RETOUR DU PRINTEMS .
DIVERTISSEMENT PASTORAL .
Premier couplet chanté par une bergere.
Qu
U'il eft trifte d'être févére !
Que l'amour a de doux momens !
Et que cette retraite éft chere
Aux coeurs fenfibles & conftans !
fa
Chaque berger pour la bergere
Brûle du feu le plus fincére.
Accourez , trop heureux amans ;
Chantons le retour du printems.
Un berger répond.
Chantez , on vous doit cet hommage ;
Chantez , vous êtes en tout tems
Entre les belles du Village ,
Par vos fons flatteurs & touchans ,
Et par votre fimple langage ,
Ce que fous un épais feuillage ,
Entre tant d'oiseaux differens ,
Le roffignol eft au printems.
Ce Divertiffement étoit joint à une Comédie ;
definéepour l'amusement d'une fociété particuliere.
C
50 MERCURE DE FRANCE.
La bergere chante tous les couplets
qui fuivent.
Chantons la paix , ce don fuprême
Du plus tendre des Conquerans ;
Nous fommes , comme il dit lui-même ;
Moins fes fujets que fes enfans.
Chantons ce digne fils qu'il aime :
Déja fa valeur eft extrême ;
Qu'il fera d'exploits éclatans !
N'en jugeons que par fon printems.
Tous ceux qui fçavent ſe connoître
Au front des Rois les plus clémens ,
Nous difent qu'on y voit paroître
Des nuages affez fréquens ;
Celui de notre augufte Maitre
Eft toujours calme , on n'y voit naître
Aucuns jours moins beaux , moins rians ;
On n'y trouve que le printems.
Sous fes loix l'Amour nous appelle ,
Connoiffons les foins bienfaiſans ,
Chantons fa puiffance immortelle ,
Et parons nous de ſes préſens * .
Chaque jour dans un coeur fidéle
* A ce vers elle diſtribue des fleurs à tous lesbergers
&bergeres.
AOUS T.
ST 1749:
Il prend une force nouvelle ,
Mais dans les coeurs indifferens
Il veut naître avec le printems,
De la Louptiere.
EX TRAIT
D'un difcours Latin fur la paix , prononcé
an College des Jefuites de Caen , par le
Pere du Rivet , de la Compagnie de Jefus.
I la paix que Louis XV . vient de pro-
Sture Europe , fait le bonheur de
la France , elle ne fait pas moins celui des
Nations étrangeres . Auffi l'Orateur , dont
nous analyfons ici le Difcours, fe propoſet'il
d'examiner quels doivent être à l'égard
du Roi leurs fentimens & les nôtres . Il
détermine leurs obligations à un tribut de
reconnoiffance , grati animi tributum ; &
les nôtres , aux fentimens d'un amour fans
bornes , amoris fummi ftipendium . Dès
l'Exorde , l'Orateur préfente en racourci un
tableau de la derniere guerre. Il prie les
Nations étrangeres de ne point s'offenfer
des traits qui pourroient lui échapper ,
moins avantageux peut -être qu'il ne le
fouhaiteroit pour lear gloires mais que
cij
52
MERCURE DE FRANCE.
'Hiftoire lui fournit pour preuves . Ici
dit l'Orateur , l'Hiftoire doit me fervir de
guide. Si je n'avois à parler que de vous,
( Nations étrangeres , ) je confulterois un
oracle plus favorables mais je parle de Louis ,
& c'eft dans l'Hiftoire feule de ce Monarque
qu'il faut chercher fon éloge . Cet Exorde
promet du beau & du vrai , Nous aurons
lieu de faire remarquer dans toute la fuite
du Difcours , que cette promeffe eſt aç
quittée ,
PREMIERE PARTI E.
Le tribut de reconnoiffance que dojvent
au Roi les Nations étrangeres , eft
fondé fur deux raifons principales ; l'une ,
c'eſt que Louis leur a procuré la paix , dans
un tems où elle leur étoit devenue nécef-:
faire l'autre , c'eft qu'il leur a libre- ;
ment abandonné prefque tout le fruit de
cette paix qui leur étoit devenue fi néceſſaire.
C'eft à ce double point de vûe que s'at
tache l'Orateur dans cette premiere Partie
de fon Difcours. L'épuifement univerfel
des Nations étrangeres, au tems de la conclufion
de la paix , rend tout-à - fait fenfible
le premier de ces deux points de vûe ,
En effet l'Autriche ne fe foutenoit alors
que par le fecours de fes Alliés , & fes Al-:
liés étoient las de la foûtenir. La Reine
A O US T. 1749.
*
53
de Hongrie s'étoit vûe dans l'obligation
de céder à la Pruffe victorieufe , la Siléfie
; à la Savoye , beaucoup de fes Pays
héréditaires .
Il eft à propos de remarquer , que quoique
l'Orateur ait femblé annoncer dans
fon Exorde aux peuples étrangers , des
traits fâcheux , ce ne font pas ceux de la
déclamation & de l'aigreur . Il rend juftice
à leurs vertus & à leur mérite , il refpecte
même jufqu'à leurs malheurs. On verra
dans la fuite du difcours , qu'il eſt bien
éloigné d'employer cette façon de louer
révoltante , qui ne fçait élever la gloire
du Vainqueur , que fur la honte perfonnelle
des vaincus , & qui femble ne lui
donner à combattre & à vaincre que des vices
, non des hommes , ou des hommes déja
vaincus leurs vices & leur foibleffe .
par
Quels rivaux , què des ennemis de cette
efpéce ? Honorent- ils beaucoup un triomphe
: La route que l'Orateur fuit ici , eft
plus sûre : la politeffe y jouit de fes droits ,
& la vérité n'a point à réclamer les fiens ;
l'éloge ne rifque pas d'être confondu avec
l'adulation , parce qu'on ne confond pas
la vérité avec l'aigreur ; la caufe du Héros
n'en eft pas moins bonne , & la condition
de l'Orateur n'en devient que meilleure.
C'est d'après des vûes fi fages , & qui de-
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
vroient être une régle dans l'art du Panégyrique
, que le P. D. R. trace le portrait
de l'Impératrice Reine.
ود
»
»
"
>> La France , dit - il , avoit craint long-
» tems , & avoit pû craindre fans honte
»une fille des Céfars ..... Redevable de
» deux couronnes à fa naiffance , & d'une
» troifiéme à fon mérite... Affez folide
pour écouter de fages confeils & pour,
les fuivre , affez judicieufe pour les ap-
» précier avec intelligence , affez ferme
»pour s'attacher invariablement à fes
projets , affez pénétrante pour démêler
» les talens propres à la fervir , affez fé-
» conde en reffources , pour pouvoir être
quelquefois malheureufe impunément ,
» &c. le refte du portrait eft également
heureux & fidéle . Si ce n'étoit ici un fimple
extrait , nous aurions à nous reprocher
de priver les gens de goût de certains morceaux
qu'il faudroit expofer dans leur total
pour les montrer dans tout leur beau.
Nous nous engageons cependant de leur
en préfenter affez pour les flatter. Il n'y
aura que le choix de difficile. Le caractére
que l'Auteur trace du Roi de Pruffe , nous
fournit de quoi remplir notre engagement.
Voici comme il peint ce Héros.
39
ود
Rappellez vous , Meffieurs , les célé
>> bres victoires du Monarque Pruffien....
AOUS T. 1749. 55
» Héros , dont la vigilance égale la viva-
» cité , prompt à prévenir les deffeins de
» fes ennemis , heureux à les déconcerter ,
» habile à cacher les fiens , jufqu'à ce qu'ils
» puiffent éclater avec avantage , remplif
"
» fant tour à tour avec autant de valeur
» que d'activité tous les devoirs d'un
" parfait Général , imitant dans la rapidité
» de fes opérations celle de la foudre ,
>>dont les coups inattendus préviennent
» le moment de la fuite , ou la rendent
>> inutile ; digne par cette rapidité même
» d'unir fes armes à celles de Louis ; fe dé-
>> clarant pour la paix , fitôt qu'il a manqué
» de raifons plaufibles pour nous feconder
» dans la guerre , c'est- à-dire , tenant en-
»core à Louis par la conformité des vûes ,
>> lors même qu'il ceffoit d'être joint à
» nous par les armes.
Revocate in memoriam infignes illas , quibus
Europa perfonuit, Friderici Pruffiorum Regis
victorias , cum Bohemiam , Silefiam victor
peragraret ; heros vigil , in pravertendis hoftium
confilis acer , in evertendis felix , in
fuis , donec erumpere tuiò poffent , diffimulandis
folers , ad omnes Ducis partes ftrenuus
impiger , hoftem ferire folitus more fulminis
quod improvifos occupat , fugam meditantes
affligit , converfos in fugam affequitur ; dignus
vincendi celeritate , quem belli focium Ludo-
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE.
vicus haberet ; ubi ftudendi palam defecerunt
honefte rationes , tum verò promovende pacis
cupidus , ideft , cum Ludovico , fi non armorum
, faltem focietate conjunctus animorum.
Toniours dans fon fujet , l'Orateur décrit
enfuite l'épuifement où étoient l'Angleterre
& la Hollande , les murmures &
les clameurs dont retentiffoient Londres
& la Haye , au fujet des fubfides & des
impôts qu'il falloit payer ; il rappelle cet
acte public qui parut à l'ouverture de la
Campagne de 1748 , où les Provinces-
Unies annonçoient leurs frayeurs à toute
l'Europe . L'effroi de la Hollande à la vûe
de l'abbaiffement dont elle eft menacée ,
tandis que Génes fe releve avec éclat
donne lieu à un parallele contrafté entre
ces deux Républiques ; nous nous contentons
de le donner en François. Ce même
parallele amene naturellement l'éloge du
Duc de Boufflers & du Maréchal Duc de
Richelieu . Nous traduirons ce morceau
auffi littéralement qu'il nous fera poffible ,
& nous y joindrons le Latin , pour qu'on
puiffe juger en même tems , & du ſtyle de
l'Orateur & de notre fidélité.
"
» Infortunée Hollande , je ne veux ni
» examiner de trop près , ni malignement
interprêter ici le fyftême de votre politique
. Je confens même qu'on vous faffe
כ כ
AOUS T. 1749. 57
39
»un mérite d'avoir fermé les yeux fur vos
"propres périls , pour ne penfer qu'à ceux
» de votre augufte Alliée ; mais que la
République de Génes , en remettant en-
" tre les mains de Louis les intérêts de fes
>> Citoyens & de fon Sénat , a été bien plus
fage que vous, & que par cette judicieufe
» précaution , elle a joué fur le Théâtre de
l'Europe un rôle bien fupérieur au vôtre !
D'abord éloignée du péril , vous n'en-
" tendiez que de loin les foudres de la
guerre : tranquille au fein de vos marais,
» vous contempliez dans un calme pro-
» fond les Villes de vos voisins fumantes
» & renverfées. Cependant vos Ambaſſa-
» deurs parcouroient avec confiance les
Cours de l'Europe , portant partout la
» balance de la paix : Génes au contraire
» victime déplorable du plus affreux deftin
, malheureufe de furvivre à la perte
" de fa liberté , expirante fous le jong
» d'une domination étrangere , réduite à
» éprouver les rigueurs d'un humiliant efclavage
, ofoit à peine , du fein de l'op
".
n
33
preffion , élever de timides regards &
» demander un vengeur ! Quelle étonnan-
» te révolution a changé tout à coup vos
» deſtinées & les fiennes ; Génes déſolée ,
» tremblante de frayeur , abimée dans le
»deuil , fort de deffous fes ruines , fes lar
Cy
58 MERCURE DEFRANCE.
» mes font féchées , fes efpérances renaif-
»fent , l'affûrance prend fur fon front la
">
ן כ
place de la crainte ; libre de fes fers , elle
» rend inutiles les efforts de fes ennemis ;
» elle écarte les dangers loin de ſes murail
» les , elle brave les menaces de l'Autri-
» che , elle échappe aux entreprifes de la
Savoye , elle regarde fans effroi les flot-
»tes de l'Angleterre : & vous fiers Bata-
» ves , vous pâliffez à votre tour , vous
déplorez vos pertes , vous vous plaignez
des caprices du fort qui vous porte des
» coups mortels . Comment donc la ter
>> reur a-t'elle paffé des murs de Génes
>> dans vos Provinces ? C'eft que les Génois
» ont eû Louis pour défenfeur , & que
» vous n'avez pas craint de l'avoir pour
"
»
>> ennemi .
» O Boufflers , ô foutien d'une Répu-
» blique ébranlée , ô digne inftrument des
» deffeins de Louis ! Génes fubſiſte , elle
>>doit fon repos à vos foins , fon falut à
» votre bravoure ; pourquoi faut-il qu'un
» fort cruel vous frappe dans le cours des
plus glorieux fuccès ? Le tombeau s'ou-
»vre pour vous recevoir , Génes voit luire
»fur elle les premiers rayons de fa liberté
» naiffante , & les horreurs du trépas vous
» environnent : vous êtes privé du fruit
» de vos travaux,comme fi là mort, en vous
"
A OUS T. 1749 .
59
»
»prenant pour victime , avoit voulu remplacer
celles que vous aviez défendues
»contre fes coups. Cependant , ô Héros
» infortuné , cher & tendre objet de nos
>> regrets , confolez - vous ; Richelieu fou-
» tiendra la gloire de vos nobles travaux ;
» il achevera votre ouvrage : Guerrier &
» Courtifan , tout enſemble ; fçavant dans
» l'art de la paix , habile dans celui des
>> combats , uniffant aux dons du genie
» aux charmes de la politeffe , au brillant
» des graces , le feu de la valeur & le
phlegme de la prudence , c'eft-à-dire ,
»capable tout à la fois d'embellir les plus
>> belles Cours , & de fauver les Etats chan-
>> celans , il fera retrouver en lui ce que
» Génes vient de perdre en vous . On ad-
» mirera notre bonheur d'avoir dans
fa perfonne un Héros qui vous ref-
»femble : la préſence de ce Guerrier bannira
la terreur , & écartera les ravages
» d'une ville qui pofféde vos cendres , &
» comme votre tombeau fera dans la fuite
des âges l'autel de la liberté publique ,
» la ftatue de Richelieu deviendra pour
» Génes , ce qu'étoit celle de Pallas pour
» l'Empire Troyen , l'immortelle fauve-
» garde de fes autels & de fes murs.
{"
O Buffleri & Civitatis afflicta columen ! ô
Ludovici confiliorum adminifter animofe ?
C vj
60 MERCURE DE FRANCE.
Genua ftat tuis fecura vigiliis , tuis protecta
laboribus , tuis recreata periculis , & ( ộ vim
fati duriffimam ) jaces , tu , immaturo cafu
prareptus , tumuli detrufus ad tenebras , cum
illa , per te fofpes , fuaviffimâ rediviva libertatis
aurora incipit ferenari , nec ad te vel
leviffimus laborum tuorum fructus pertinuit ,
quafi mors defenfam à tuis ictibus Genuenfium
falutem tuo capite ulcifci voluiffet. Solare tamen
fortis iniquas vices , heros defideratiffime
; quos enim fociis in integrum reftituendis
labores tam alacriter impendifti , eorum laudem
tuebitur Richelius ; abfolvet quod inceperas
, vir pacis idem & Martis artibus potens
, bellator ac aulicus , fic argutias ingenii ,
lautitias urbanitatis , elegantia delicias , cum
fedulitate , cum prudentiâ , cum fortitudine
confocians , ut alteris dotibus aulam omnium
fplendidiffimam ornare poffit , alteris verò
imperium aut rempublicam turbulentiffimis
belli fluctibus agitatam à naufragio vindicare.
Qua propter , ô Buffleri , reprafentabit in fe
Richelius , & repræfentabit quantum est quod
amiffum in te lugent : orbi teftatum relinquet
Galliam non unum civem habere fimilem tui ;
cuftodem cinerum tuorum Civitatem ab hoftili
feritate praftabit illafam ; erit tuus ille tumulus
, ara quadam libertatis ; erit autem Richelii
in marmore fimulacrum velut illa Pal-
Ladis effigies Troja quondam fofpitatrix, ab arâ
>
A O UST.
61
1749.
violationem hofticam , à muris Genuenfibus
vaftitatem propulſabit.
L'Orateur avoit d'abord expofé l'épui
fement des Puiffances ennemies , & le befoin
qu'elles avoient de la paix . Il fe préfentoit
naturellement une objection : la
France n'étoit- t'elle pas dans le même état
d'épuifement ? Objection fpécieufe ; mais
dont il montre le frivole , en appréciant
les pertes & les avantages , les dépenfes
& les reffources des differentes Nations ;
il examine , il peſe tout . Un détail brillant
forme à ce fujet des preuves qui vont jufqu'à
la conviction .
L'Orateur paffe enfuite au défintéreffement
du Roi dans les conclufions de la
paix , fecond motif de reconnoiffance pour
les Nations étrangeres : » Ce défintéreffe-
» ment ,dit- il , n'a pas befoin d'être prou-
» vé , puifqu'il n'a eu que trop de cen-
»feurs. Les uns n'ont pû voir fans cha-
» grin , qu'un Roi , digne de gouverner
» l'univers , refusât de s'aggrandir ; les au-
» tres , dupes aveugles des préjugés popu-
>> laires , ont confondu la grandeur du
» Souverain avec la grandeur du Royau-
» me; ils ont crû que le mérite du Mo-
» narque confiftoit à commander à plus
» de peuples : idée fauffe , puifque le mérite
des Princes eft indépendant de l'é-
1
62 MERCURE DE FRANCE.
» tendue de leur empire , & que leurs ver-
» tus ne doivent pas fe compter par le
» nombre de leurs Provinces.
On releve enfuite ce défintéreflement fi
généreux , en montrant combien il a été
libre & volontaire. En effet , armées nom
breuſes , troupes aguerries , habiles Géné
raux , artillerie formidable , munitions
abondantes , rien ne nous manquoit , &
jamais l'avenir ne nous avoit offert une
perspective plus flatteufe.
Mais Louis , dit l'Orateur , dès le
» commencement de la guerre , avoit ré-
»folu de vaincre pour fes Alliés , & non
»pour lui -même ; que dis- je réfolu , il s'y
» étoit engagé , &c. Qu'on nous permette
ici d'envier le droit de faire une Traduction
, plutôt qu'un Extrait ; il y auroit
pour le Traducteur une gloire à laquelle
nous ne pouvons prétendre n'ayant que le
mérite du choix.
SECONDE PARTIE.
L'Orateur prétend , comme
on a 'dit
plus haut , qu'en nous procurant la paix
Louis a mérité de notre part des fentimens
d'un amour fans bornes. Pourquoi ? Parce
que pour nous procurer la paix , il a fait un
des plus grands facrifices dont les Héros
foient capables , eft illa pax grandi redempAOUS
T.. 1749. 63
ta pretio ; premiere raiſon . Parce qu'en ſecond
lieu cette paix qu'il nous procure , ne
peut manquer d'être durable , eft ad diuturnitatem
compofita. En faveur des nations
étrangeres , Louis avoit refufé d'agrandir
fes Etats ; en faveur de la France , il refuſe
de multiplier fes victoires. Maître de Bergopzoom,
nous étions devant Maftricht, &
Maftricht , étoit fur le point de fe rendre ,
ainfi l'entrée de la Hollande nous étoit ouverte.
Le nom de Bergopzoom rappelloit
naturellement celui du Maréchal de Lowendal
; voici comment en parle l'Orateur
.
))
Quelle difficulté étoit capable d'arrê-
» ter un Héros , qui pour effayer fon bras
» dans le métier de la guerre, avoit domp-
» té les Tartares ? Qui d'un théatre moins
» illuftre appellé fur celui de la France , y
>>paroiffoit avec tant de dignité , en aug-
" mentoit l'éclat par fes vertus militaires ,
» en égaloit la grandeur par celle de fes
exploits ; guerrier , qui tantôt par ſa
promptitude trompe la fortune , pour
» ainfi dire , prévient fes caprices & ne lui
» donne pas le tems de balancer ; tantôt
par la patience triomphe des obftacles &
»rachete la lenteur des opérations par le
» merveilleux du fuccès : toujours fage
jamais heureux par hazard , lors même
n
»
25
"
64 MERCURE DEFRANCE.
99
qu'il l'eft le plus promptement ; auffi digne
du fuffrage de Louis , lorfqu'il em-
» porte Oftende en trois jours , que : lorfqu'il
lutte contre les réfiftances de Ber-
" gopzoom , qu'il l'attaque par trois en-
» droits, & l'oblige de reconnoître pour la
»première fois un vainqueur.
Ce caractére eft fuivi d'une courte def
cription de Maftricht ; dont le péril détermine
enfin les ennemis à folliciter la paix ..
Que fera le Roi , demande l'Orateur ? Habile
à faifir tout ce qui peut entrer en
preuve de fon fujer , l'Orateur tire avantage
de la difficulté que les Héros ont.naturellement
à fe vaincre fur un point
auffi délicat que le font les occafions qui
s'offrent d'ajoûter à leur gloire ; c'est une
carriere brillante qui s'ouvre devant.
eus. Quelle grandeur d'ame ne faut- il pas
pour fçavoir s'y arrêter , lorfqu'on peut la
parcourir avec fuccès ? C'eft cette réflexion
, embellie par le brillant du ſtyle &
la vivacité des images, qui termine la premiere
preuve fur laquelle l'Orateur a fondé
le tribut d'amour que nous devons au
Roi.
Il tire fa feconde raifon , de la conduite.
que le Roi a tenue dans la conclufion de las
paix, & qui nous en affûre la durée . Pour
s'appuyer fur des titres que la malignité &
AOUST, 1749 .
63
l'envie ne puiffent rejetter , il remonte à
la fource de prefque toutes les guerres qui
ont agité la France depuis un fiècle . Il en
attribue la caufe à la jaloufie de l'Europe
& aux vâes d'ambition qu'elle nous fuppofoit
. Tels furent en effet les refforts que
mit en oeuvre le fameux Prince d'Orange
Guillaume III . Or le défintéreffement du
Roi dans la conclufion de la paix permetil
encore à la jaloufie de s'irriter de notre
grandeur , & à la malignité de nous fuppofer
des projets d'ambition ? Que nous
envieront les nations étrangeres , elles à
qui nous cédons tout jufqu'à nos conquêtes
, finon le pouvoir de les rendre heu
reufes? Quelles vûes nous prêteront- elles,
finon celles de nous les attacher par les
liens du bienfait & de la confiance. C'eft
fur ces principes que l'Orateur appuye fes
conjectures fur la durée de la paix . Cependant
comme fi ces raifons ne fuffifoient
`pas , il a recours à l'expérience que nos ennemis
ont faite durant le cours de la guerre
, des reffources inépuifables qu'avoit la
France pour fe rendre le fort des armes favorable
; reffources dans les vertus du Roi,
reffources dans les qualités auguftes de
Monfeigneur le Dauphin , reffources dans
la préfence même du Roi commandant ca
perfonne fes armées , reffources dans la va66
MERCURE DE FRANCE.
leur des Princes du Sang , reffources dans
la capacité des Généraux , reffources dans
la multitude de nos troupes , reſources
dans la bravoure du foldat , enfin reffources
dans le zéle de tous les Citoyens & de
tous les Corps du Royaume.
Le détail de ces differentes reffources
eft un morceau trop étendu pour trouver
place ici , on pourra juger du refte par ce
que nous en allons rapporter.
"3
Reffources, dit l'Orateur , dans les ver-
» tus du Roi. En eft - il dont il n'ait donné
» des exemples éclatans ? Exemple de pru-
» dence , de bravoure , de hardieffe , de conf-
»tance , de modeftie, d'humanité, de bonté
»pour les foldats , de générofité à l'égard
>> même de fes ennemis . Les champs de Fontenoy
font principalement le théatre où
l'Orateur fait remarquer l'affemblage de
ces vertus héroïques. Lejour fous lequel il
les fait paroître , en affûrant au Roi le tribut
d'amour que nous lui devons , promet
à l'Orateur cet hommage d'eftime qu'on
ne peut refufer à ceux qui fçavent peindre
les Héros tels qu'ils font , & la vertu
telle qu'elle doit être pour emporter tous
les fuffrages.
» Reffources dans la capacité des Géné-
» néraux & des premiers Officiers . Ici ,
» Meffieurs , quelle foule de noms illuftres
AOUST. 1749. 67
>>
»
"
» fe préfente à moi ? Les Clermont , les
Broglie , les Coigni , les Maillebois , les
>> Birons , les Segurs , les d'Eftrées , les
» Contades , les d'Armantieres & tant d'au-
» tres qu'il fuffit de nommer pour avoir
» fait leur éloge ? Que ne puis- je du moins
» vous peindre en traits affez majeftueux
» ce brave & intrépide Saxon , né pour
l'avantage de cet Empire , quoiqu'il foit
" né hors de fon fein , comme fi le Ciel
» eût voulu que le même homme fit par fa
naiffance la gloire de l'Allemagne , & par
»fes exploits celle de la France ? Que de
talens que de qualités s'offriroient à
» votre admiration ! S'il affûre dans la
Flandre le fruit de nos victoires contre
» les entrepriſes d'une armée formidable
» commandée par les chefs les plus habiles ;
» c'eſt Turenne , qui à la tête de quel-
»ques troupes , défend une feconde fois
» nos Provinces contre toutes les forces de
» l'Empire. S'il livre une batail'e , s'il at-
>> taque en perfonne ; c'eft un Condé qui
>> triomphe encore à Lens, à Nortelingue,
» à Rocroi : s'il marche pour aller inveftir
» Maftricht , & prenant fa route au tra
>> vers des ennemis , il échappe à toute
» leur vigilance ; c'eft Luxembourg qui re-
>> nouvelle le prodige de la marche de Vi-
» gnamont , & qui l'efface par un prodige
33
68 MERCURE DE FRANCE
$
3
encore plus grand : s'il régle toutes les
» opérations d'une Campagne ; c'eft Catinat
qui joint aux grandes vûes l'efprit
» de détail , qui change de vertus felon les
» conjonctures ; dans les favorables ofe
tout avec hardieffe , dans les difficiles
» n'agit qu'avec précaution , dans la né-
» ceffité ne ménage rien . On diroit que
» Maurice tient à tous les fiécles ; aux paf-
» fés , dont il fait revivre en lui les Héros ,
» au préfent qu'il honore par fes exploits ,
» aux futurs dont il fera le modéle .
و د
» Que j'aimerois encore à vous peindre
» cet autre Général , qui joint une noble &
» heureufe audace à l'activité de l'efprit , à
» la fupériorité des lumieres & de l'intelligence
; dont le courage a défendu Pra-
»gue , les foins , fortifié & embelli Metz.
» Négociateur profond , qui démêle avec
» adreffe le noeud des affaires les plus dif-
» ficiles , & qui à la tête des armées le tran-
» che , s'il le faut , avec le fer ; guerrier
» toujours redoutable à nos ennemis , foit
» qu'il les attaque fur leurs terres , foit
» qu'il les chaffe de deffus les nôtres ; auffi
maître des efprits qu'il domine par l'é-
» tendue du fien , que de la victoire qu'il
>> enchaîne par fa valeur ; Citoyen diftin-
» gué par l'éclat de fes fervices , ne profiA
O UST. 1749. 69
» tant de l'élevation de fa fortune que
pour faire du bien. Que dirai -je de plus ?
Objet de la jaloufie , parce que le deftin
» du mérite fut toujours d'avoir des ja-
>>toux .
33
Adjumenta in bellicis ducum præfectorumque
virtutibus. Hic autem , auditores , quot
fplendida occurrunt nomina , Claromontii ,
Broglii , Cognai , Mallebofii , Segurtii , Bironii
, Eftrai , Contadii , Armentarii , & alia
tam multa que præconio non indigent , quoniam
ipfum nomen inſtar ampliffima laudis eft?
Quin faltem licet animofum illum Saxonem
adumbrare vobis , ut par eft ; Gallia natum
quamvis natus fit extra Galliam, ut idem Germanis
apud illos nafcendo , idem Gallis apud
mos militando , claritatem afferret ? Quot in
uno collecta dotes , congeftaque decora veftrum
omnium animos admiratione defixos fufpenderent
! Ille,fi cum pauciffimis numere copiis victariarum
noftrarumfructus contra celeberrimos
hoftium duses , numerofiffimumque exercitum
tutatur in Belgio , crederes adeffe Turennium
noftras provincias adversùs imperii vires non
nifi cum lectiffimâ militum manu iterum de
fendentem. Si confligit inftructâ acie & hoftes
impetit, confilio rem gerens ac manu, crederes
adeffe Condaum ad rupem regiam , ad Nerolingam
, ad Ļentiam , triumphantem. Si
70 MERCURE DE FRANCE.
Trajectum ad Mofam circumceffurus , iter
inftituit cum exercitu , & intento per mediam
federatorum ducum aciem itinere , experrectam
illorum vigilantiam ludificatur , crederes
adeffe Luxemburgium Vinea-Montani itineris
renovantemprodigia & majoribus fuperantem.
Si belli rationem omnem componit tacitus , crederes
adeff: Catinatum pro difficultate temporis.
cautè , pro commoditate rerum audacter , pro
neceffitate fortiter , fingulis rebus & univerfis
providentem. Adeò Mauricius ad omnes atates
quafi pertinet , ad præteritas quarum heroes
ab inferis excitat , ad prafentem quam
bellicis decoribus illuftrat , ad pofteras quarum
exemplar futurus eft.
Quidni etiam vacat aliter quàm brevioribus
lineamentis Ducem illum defignare confilio
non feracem minus & promptum quàmfeliciter
audacem , Pragisftrenuè defenfis clarum ,
Metis adfplendorem fimul & fecuritatem amplificatis
confpicuum , non modo rebus adhibita
ingenii dexteritate folerter expediendis ,
fed etiam, ubi opus eft , ferro fecandis habilem ;
qui quàm laudabiliter fe geffit in hoftium folo ,
tam fficaciter impedivit ne latrocinarentur
in noftro ; cujus eft & mentibus & victoriæ dominari
, quoniam alterum amplitudinem mentis
, alterum animi fortitu inem poftulat , &
utroquefimul eminet, Civis meritorum clariA
O UST. 1749 . 71.
tate spectandus , in fortune faftigio plures beneficiis
demereri cupidus , cui nec illud etiam
deeft quod fumma virtuti numquam defuit ,:
habere invidos.
On regrette d'être obligé de mettre des
bornes à cet Extrait , nous y avons fait remarquer
bien des beautés , mais nous ne
les avons pas épuifées. L'Orateur partout
femblable à lui -même s'eft foutenu dans
les endroits même qui paroiffent les moins
du reffort du génie . Son difcours eft terminé
par une peroraifon digne du reſte de
l'ouvrage . Il rapproche fes preuves , &
en forme une image , où l'on reconnoît la
grandeur du Héros & les titres fur lef
quels font fondés les fentimens de reconnoiffance
que ne peuvent lui refuter les.
Nations étrangeres , & le tribut d'amour
que la France lui doit pour le bienfait de
la paix.
72 MERCUREDE FRANCE .
PARALLELE DE LOUIS XV.
A
AVEC LOUIS XIV ,
Te louer , grand Roi , dans l'ardeur quí
m'engage ,
Je ne fçais qui je dois admirer davantage ,
Ou Louis qui tranſmit ſes vertus dans ton coeur ,
Ou toi, dont l'héroïſme en foutient la ſplendeur.
Combien de fois vit - on , d'un floriffant Empire
Tout l'éclat s'éclipfer , quand le Monarque expires
Souvent le fils s'endort , & perd dans le repos
La gloire que le pere acquit par fes travaux .
L'infatigable Roi que le François adore ,
Fait douter fi Louis ne regne pas encore :
Partout il fuit fes pas , ' & la foudre à la main ,
Comme lui de la gloire il s'ouvre le chemin ,
Mais quel aftre , jaloux du bonheur de la France ,
Fait fentir à Louis fa maligne influence ?
La fiévre au front livide & la pâle langueur
Dans fa courſe brillante arrêtent ce vainqueur,
La gloire eft confternée & la France éperdue :
Tout n'offre que trifteffe & que pleurs à ma vûe .
Tendres François , voici votre jour le plus beau ,
Jour heureux , où Louis triomphe du tombeau.
L'amour qu'il eut pour vous lui raviffoit la vie :
A peine il la reprend , qu'il vous la facrifie.
Comme
A O UST. 73 1749 .
Comme Louis le Grand , fe plaignant autrefois
Qu'un fleuve impétueux retarde ſes exploits ,
Avec les Légions le traverfe à la nage ,
Et le rend malgré lui témoin de ſon courage
'Ainfi fon fils , touché qu'au jour de fes fuccès
Un accident fatal ſuſpende ſes progrès ,
Ranime fes efprits , combat la douleur vive ,
Qui retient dans fon fein fa grande ame captive :
Il furmonte fes maux , vole au - delà du Rhin :
J'admire dans Fribourg le vainqueur de Menin.
Vous voyez ce Héros dans la plaine Belgique
Enchaîner d'une main la valeur Britannique ,
De l'autre foudroyer des remparts & des tours.
Torrent impétueux , rien n'arrête fon cours.
Naffau que retenoit une lente prudence ,
De Louis devant Mons admira la vaillance.
Plus bouillant, plus hardi, le jeune Cumberland ,
Se prépare à combattre un Héros qui l'attend.
Allons, dit -il , marchons qu'à travers le carnage
Mes bataillons ferrés fe faffent un paffage .
·
C'eſt Tournai qui m'appelle , il faut le fecourir ,
Fondre , frapper , percer , triompher ou périr.
Sa colonne terrible & ſa voix menaçante
A d'autres qu'aux François eût donné l'épouvante.
Louis d'un feul regard anime fes foldats ,
Et force la victoire à marcher fur fes pas.
Va ,vole , dis par tout , bruyante Renommée ,
D
MERCURE
DEFRANCE
.
74
Qu'à force de courage , enfonçant d'une armée
La colonne effrayante , un intrépide Roi
A renversé l'Anglois aux champs de Fontenoy :
Que touché de leurs cris , il reçoit dans ſes tentes
Et ſoulage de Mars les victimes langlantes .
Et toi , brillante gloire , éleve des Aatels
Au plus vaillant des Rois, au plus doux des mortels;
Vous , Héros , dont le fang a cimenté le Trône ,
Recevez les lauriers dont la main vous couronne,
Quede nouveaux exploits , quels lieux , quelle
failon ,
Qui ne ferve , Louis , à fignaler ton nom !
Dans l'horreur de l'hyver , ici Bruxelles priſe
Allarme le Danube & la fiere Tamiſe :
Là vainement la mer s'arme , combat pour vous ,
Oftende , & vous , Anvers , vous tombez fous nos
coups
Apeine par Conty Mons eft réduit en poudre ,
Que Namur par Clermont eft frappé de la foudre
Ce fils du grand Condé , plein d'ardeur pour fon
Roi ,
Nous rappelle à Raucoux le beau jour de Rocroy
Peins, Mufe , dignement le François magnanime ,
Ne craignant que la nuit dans l'ardeur qui l'ani
me :
Peins -nous , comme un Turenne , au milieu des
guerriers ,
Maurice , pour Louis moiffonnant des lauriers.
A O UST.
75
1749.
Charles , de ce vainqueur iedoutant la pourſuite ,
Cherche , tout grand qu'il eft , fon falut dans la
fuite .
Sufpens , Aftre du jour , ton cours précipité :
Quelques moinens encor prête- nous ta clarté,
Sur la France Raucoux répandra plus de gloire ,
Que ne fit de Steinkerque autrefois la victoire.
Nous oublions ces lieux où les Héros François
Firent de leur valeur de fi nobles effais.
Sur tes plus hautes tours Belle- Ifle me tranſporte,
Prague , fameufe Prague , auffi foible que forte :
Foible, quand les François l'attaquent en Célars ;
Forte , lorfque leurs corps lui fervent de remparts.
Ales yeux toujours grands par leur valeur extrême,
Ils le font encor plus par leur retraite même ;
Ils bravent les frimats fous des cieux inconnus
Et s'ouvrent un chemin à force de verrus .
Du courfier d'Apollon je vole fur les aîles ,
Vers ces monts où des Rois s'aigriffent les qued
relles.
En proye aux ennemis , & déja dans les fers ,
Gênes , ta délivrance étonne l'Univers .
J'apperçois le poignard , je vois la main levée ,
Intrépide elle frappe , & la Ville eft ſauvée.
Ah ! pour te recouvrer , aimable liberté ,
Que n'ofe point un coeur de fes fers irrité !
Louis prête fon bras , & partage la gloire
Dij
76 MERCURE DE FRANCE.
Du noble & nouveau trait dont brillera l'hiſtoiret
Richelieu , dont le nom eft fi cher & fi grand ,
Acheve les exploits de Boufflers expirant.
Du haut des monts , euflé d'une vaine eſpé
rance ,
Browne comme un torrent inonde la Provence :
D'Amédée imitant le dangereux effort ,
Ofe-t'il fe flatter d'avoir un autre fort ?
Audacieux projet , entreprife inutile !
L'un fuit devant Teffé , l'autre devant Belle- Ifle,
Nervinde reparoît , Lawfeld la reproduit ,
'Avec non moins de fang , mais avec plus de fruit
Nous touchons aux marais de la riche Zélande ,
Et déja nous femons l'effroi dans la Hollande,
Louis ,fur Bergopzom ton bras s'appéfantit :
Des traits de Lowendal rien ne le garantit ;
Par un heureux deftin devenant notre proye ;
De la Paix defirée il prépare la voye.
Nos champs n'offrent encor que d'horribles glaa
çons ,
.
QuandMaftricht de lauriers nous offre des moiffons
A travers les éclairs , la foudre & le tonnerre ,
Dont Bellone en fureur épouvante la terre ,
Au milieu des foupirs, dans le centre des maux
Qu'enfante chaque jour le plus grand des fleaux
Quelle divinité , douce , tranquille , aimable ,
Jette fur les mortels un regard favorable
A O UST.
77 1749 .
D'une puiffante vox , l'olivier à la main ,
Elle impofe filence à cent bouches d'airain.
Tel un calme profond ſuccédant à l'orage ,
Qui n'a produit par tout que grêle & que savage,
Raffûre les mortels , diffipe la terreur ,
Dont les vents irrités avoient frappé leur coeur ;
Telle la paix fuccéde au monftre redoutable ,
Qui fe nourrit du fang des peuples qu'il accable ,
Regle les intérêts qui nous défuniffoient ,
Et fait quitter aux Rois les foudres qu'ils lançoient.
La victoire s'arrête & fe tait devant elle :
L'heureux jour de Nimegue enfin fe renouvelle .
Comme fon Bilayeul oubliant fes exploits ,
De fes armes Louis abandonne les droits.
A foulager fon peuple il trouve plus de gloire ,
Qu'à conferver les fruits qu'il tient de la victoire .
Eh quoi ! pour retenir tant de pays conquis ,
Faut-il qu'un nouveau fang en devienne le prix ?
Plus un Empire eft grand , plus fa chûte eft prochaine.
De cent Princes jaloux il fomente la haine.
Loin d'ici le vainqueur , dont les heureux fuccès ,
Et l'ardeur d'envahir éloigneroient la paix.
J'adore un Conquérant que guide la juftice ,
Et qui des dons de Mars fçait faire un ſacrifice.
De cent Etats en feù le Pacificateur
D iij
78 MERCURE DE FRANCE .
Eft plus grand à mes yeux , que le plus grand vain
queur.
Achevons des deux Rois le brillant parallele :
Que d'amour dans leur coeur pour leur peuple
fidéle !
L'éclat que leur Empire emprunte des Beaux Arts,
Le difpute à l'éclat qu'il reçoit du Dieu Mars.
Nos Héros exercés , & la France aguerrie ,
A l'abri des revers mettent leur Monarchie.
Que de traits reffemblans ! L'on diroit que par tous
Leur gloire fe confond , & ne forme qu'un tout
REFLEXIONS.
Sur la nouvelle Carte que M. de Thuri
vient de donner au Public.
DE
E toutes les entreprifes qui ont été
faites en France pour la perfection de
la Géographie & de la Navigation , il n'en
eft point qui faffe plus d'honneur à la Nation
que celle qui regarde la defcription
géométrique de la France. Que la Terre
, felon la remarque de M. de Fontenelle
* , foit un fphéroïde allongé ou applatti
vers les poles , la difference fera toujours fi
petite ,, que cette queſtion peut paroître
* M. 1740 , page 74.
AOUST. 1749. 79
l'on
plus curieufe qu'importante ; mais que
donne plus ou moins d'étendue aux parties
qui compofent l'étendue de la France ,
c'eft une queftion dont l'importance eft
plus fenfible & l'utilité plus marquée.
D'ailleurs les autresNations partagent avec
la France * la gloire d'avoir concouru à la
connoiffance de la grandeur des degrés
terreftres , tandis qu'aucune n'avoit peutêtre
encore penfé à fe procurer des Cartes
exactes de fon pays .
Il fembloit pourtant que l'intérêt du Roi
& celui de fes Sujets , fe trouvoient réunis
dans l'exécution de cette entrepriſe. Que
l'on propoſe à un Miniftre de faire conftruire
de nouveaux chemins , de régler la
marche des troupes dans l'intérieur du
Royaume , il faut toujours avoir recours
à la Carte , pour la diriger par la voie la
plus courte , ( la diligence eft auffi néceffaire
pour le bien du commerce que pour
le fuccès des armes ) il n'eft point de particulier
qui ne fente la neceffité d'avoir
un plan exact , ou le papier terrier de ſa
terre , & nous fentons tous combien il
nous eft avantageux qne le Roi ait le plan
exact de tout fon Royaume.
Il ne faut pas croire que la préciſion
géométrique foit abfolument inutile , &
* Grandeur & figure de la Terre , p. 17.
D
1111
80 MERCURE DE FRANCE .
que la Géographie de la France , dans l'é--
tat où elle fe trouvoit auparavant , fût
d'une exactitude plus que fuffifante il
fuffit de jetter les yeux fur la Carte de M.
de Thuri , pour voir combien la France
a , pour ainfi dire , changé de face depuis
fa nouvelle réforme ; & pour reconnoître
toutes les erreurs où nos meilleurs Géographes
font tombés , on trouve des differences
de 4 à 5000 toifes entre la diftance
d'une Ville à l'autre , déterminée par
les triangles, & celle que donnent lesCartes
des Sieurs Delifle & Jaillot . Il feroit trop
long de donner ici le détail de toutes les remarques
que j'ai faites fur le rapport de ces
Cartes, je me contenterai d'en rapporter ici
quelques - unes .
Les diftances fuivantes font marquées
en minutes d'un grand cercle , qui répondent
à 951 toifes, parce que c'eft une mefure
commune à toutes les Cartes.
Thuri. Delifle. Jaillot.
De Tarbe à Auch ,
33 3838 40
D'Auch à Toulouſe ,
37
De S. Bertrand à Lombés ,
30
41-40-
35 33
De Langres à Châlons , 77 71--IN
De Troyes à Sens ,
32 28
De Châlons à Rheims , 21
25
De Langres à Dole ,
48
40
De Dole à Châlons , 32 35
A OUS T. 1749.
81
D'Auxerre à Saulieu ,
Thuri. Delifle, Jaillot.
3741-2
De Philifbourg à Strasbourg , 49 44-
De Strafbourg à Neuf Brifac , 35-33½
De Colmar à Befort ,
De Fréjus à Nice ,
33 29
29 26
Du S. Esprit à Arles , 352 39
Du Quefnoi à Rocroi , 39 32-/-/
De Sancerre à Montargis , 41 37
De Montargis à Sens ,
26 23-1/2
De Saintes a la Rochelle ,
32 33 31
D'Angoulême ,
33 342 30/
De Perigueux à Limoges , 45 53
De Lion à Grenoble ,
SI ·42-
De Mende à S. Flour , 35/1/20
32
De Bordeaux à Agen ,
63
60
De Nevers à Moulins ,
26
23-/-/35
De Moulins à Autun ,
De Bourges à Limoges ,
De Bourges à Moulins ,
De Nantes à Luçon ,
De Verdun à Longwy ,
De Clermont à Verdun ,
90
47
4 83-32
10
35
49'
44
28
30
11- 13-
De Langres à Chaumont , IS
19/-/2
De Mets à Thionville . 15 184
De Troyes à Langres , 57 53
Après avoir comparé les diſtances des
principales Villes , fituées dans l'intérieur
& vers les confins du Royaume , j'ai examiné
de la même maniere toutes celles qui
Dv
82 MERCURE DE FRANCE.
font placées fur les côtes de l'Océan , &
aux environs on fçait que nous n'avons
rien de plus exact que les Cartes inſerées
dans le Neptune François , on y remarque
cependant des differences de 2 à 3000
toifes dans la diftance d'une Ville à l'autre
; il eft vrai qu'il s'en trouve plufieurs
abfolument conformes à la Carte de M.
de Thuri. Je ne rapporterai ici que celles
où j'ai remarqué les differences les plus
confidérables.
Les diftances fuivantes font marquées
en toifes.
Selon M. de Selon le Nep-
Thuri. tune François
De Douvres à Calais ,
De S. Vallery à Dieppe ,
De Dieppe à Fécamp ,
De Granville à S. Malo ,
21700 22200
26000 24000
27500 26000
20000 18500
De Frehel à S. Brieu , 19500 14800
De S. Brieu à Treguier , 23500 20000
De S Pol de Leon à Gouluen , 13000
11000
De Breft à Craufen , 8000 7000
De Pontcroix à Quimper , 15000 13500
De Quimperlai au M de Groix , 14000
12060
De l'Orient à Auray , 16000 14000
D'Auray à Vannes , 9000 8000
De Vannes à Guerande 23000 2.1000
Des Sables d'Olonne à la Ro- 32000 28500
chelle ,
De Soulac à la Tête Dubuc , so500 475,00
Dans la Carte du Diocéfe de Coutance
, levée par le Sieur de la Pagerie >
A OUST. 1749. S3
& unades plus exactes de toutes celles qui
ont paru jufqu'à préfent , on remarque
une difference de près de 1 500 toifes dans
la diſtance de l'Ifle Saint Marcou à Valogne
, que M. de la Pagerie établit plus
grande qu'on ne la trouve dans la Carte
de M. de Thuri.
Si les differences que l'on remarque
entre la Carte de M. de Thuri & celles des
autres Géographes , paroiffent exorbitantes
, eu égard à la quantité de Cartes qui
ont paru fucceffivement , & à l'habileté
de ceux qui les ont miſes au jour , il faut
auffi convenir que les moyens , qui ont
été mis en ufage pour les dreffer , paroiffoient
peu propres à donner l'exactitude
que l'on pouvoit defirer. En effet quel art
ne falloit- il pas fuppofer dans un Géographe
, pour fçavoir difcerner parmi le
grand nombre de Mémoires qui lui étoient
communiqués , ceux qui avoient été faits
.par les perfonnes les plus intelligentes ?
Quel tems immenfe , & quelle longue
fuite de combinaiſons , pour débrouiller an
chaos d'obſervations qui fe contredifent
les unes les autres ; & ne pourroit- t'on pas
dire que nos meilleurs Géographes font
ceux qui ont fçû le mieux deviner ?
J'attends avec impatience que M. de
Thuri nous donne le détail de tontes fes
D vj
84 MERCURE DE FRANCE.
opérations , pour pouvoir calculer la diftance
de toutes les Villes principales les
unes par rapport aux autres , car l'échelle
de fa Carte eft trop petite pour que l'on
puiffe eftimer les diftances à 2 ou 300
près .
A Lyon , le 26 Mai.
MADRIGAL.
C'Eft envain que vous m'exhortez ,
Ingénieufe Iris , à peindre vos beautés ;
Je me garderai bien de cette audace infigne.
Avant que de vos yeux j'euffe fenti les coups ,
Mon coeur ne trouvoit rien qui de mes vers fût
digne ,
Et je ne trouve pas mes vers dignes de vous.
Par le Chevalier D……. R..↑
ASAS
A OUS T. 1749: 85
CD ?
DIDIDIDEDEDEDEDEDEDED
NAIS.
CANTATILLE ,
Mife en Mufique par M. N**.
Depuis qu'un Etranger aimable
Embellit ce rivage heureux ,
Les roffignols femblent plus amoureux.
L'Empire de Neptune eft toujours favorable ,
Et le murmure des ruiffeaux
Se mêle aux chants de mille oifeaux.
Roffignols , votre doux ramage ,
Paffe jufqu'au fond de mon coeur :
L'amour , dont j'ignorois l'uſage ,
Eft enfin mon charmant vainqueur.
Pour l'Etranger que l'on admire ,
Je fens des tranſports trop connus :
C'est pour lui feul que je foupire
que fes foins font affidus !
Ah !
Je ne l'apperçois point encore ,
Et déjà le Soleil éclaire ce féjour !
Il devoit devancer l'Aurore
Pour venir me faire fa cour.. :
86 MERCURE DE FRANCE.
Mais , Dieux ! j'entends fa voix enchantereffe !
Ses yeux , remplis des plus beaux feux ,
Vont m'affûrer de fa tendreffe...
Je le vois , il approche , il va combler mes voeux,
Belle Nymphe , un Dieu pour vous plaire
S'eft caché jufques à ce jour :
Ici , vous allez voir Cythere ,
C'est le triomphe de l'Amour .
En moi reconnoiffez Neptune ,
Enchanté de vos yeux charmans :
Pour lui la plus belle fortune ,
C'eft d'effacer tous vos amans.
Venez , Divinité nouvelle ,
Venez, regnez fur mes fujets :
Mon Trône eſt fait pour la plus belle ,
En vous je vois briller fes traits ,
Laffichard.
Cette Cantatille , qui fe vend feulement
chez M. le Clerc , rue du Roule , à la Croix
d'or , eft mife en Mufique par un Auteur ,
qui , fans copier M. Rameau , a fçû raffembler
dans fon ouvrage une partie partie des graces
de ce célébre Muficien . Prix 30 f
L'illuftre Alliance , Cantatille de M.
Noblet , fe vend 1 liv. 16 f, aux adreſſes
1
A OUS T. 1749. 87
ordinaires , de même que le retour de Philinte
, Cantatille , mife en Mufique par une
jeune Demoiſelle , ſe vend 1 liv. 4 f.
洗洗洗洗洗洗洗洗澡洗洗洗洗洗洗洗選
LETTRE
Touchant le vrai nom d'un Poëte François ,
qui a été célébre au XIV.fiècle .
►
Jdonner l'Auteur de la Bibliothéque
E ne puis , Monfieur , m'empêcher de
Françoife toutes les louanges qu'il mérite
, pour avoir furmonté les dégoûts qui
fe préfentent à la lecture de nos anciens
Poëtes , dont il a rendu compte dans fon
ouvrage. Il faut pour ce travail un genre
de conftance , dont tous les Ecrivains ne
font pas fufceptibles . M. l'Abbé Goujet
a fait voir que rien ne l'avoit rébuté dans
fon entreprife. Comme je crois que c'eft
lui faire plaifir que de lui propofer les
doutes qui peuvent naître dans l'efprit de
fes lecteurs , je lui en propofe , Monfieur ,
par votre canal , un qui m'eft venu , en lifant
fon neuviéme tome .
En parlant d'un Religieux de l'A'bbaye
de Chaalis , proche Senlis , qui a écrit
dans le quatorziéme fiécle , fous le regne
de Philippe de Valois , differens fonges
$8 MERCURE DEFRANCE.
en vers François , fous le titre de Pelerinages
, il affecte de l'appeller toujours
Guillaume de Deguilleville. Ce ne peut pas
être une faute d'impreffion , puifque de
Deguilleville y eft répeté plus de foixante
fois. C'eft donc de propos déliberé que
M. L. G. donne à ce Poëte le nom de
Deguilleville .
Cependant il femble que jufqu'à lui ,
on ne l'avoit point connu autrement que
fous le nom de Guillaume de Guilleville ,
Guillelmus de Guillevilla. On peut voir
differens catalogues de manufcrits , que je
n'ai pas actuellement fous la main : M.
Goujer fournit lui - même des preuves que
le de redoublé , eft une altération du nom
de cet Auteur : car à la page 92 l'Abbréviateur
de fa Poëfie l'appelle fimplement
Guilleville... Il eft vrai qu'à la page 75 ,
dans les vers de Pierre Virgin , qui a retouché
notre Poëte après qu'il fut décedé ,
on lit ces vers :
ם כ
Cy enfuit le noble Romant
» Du Pelerin , bon & utile ,
» Compofé bien élegamment
» Par Guillaume de Deguilleville ,
» De Chalis de Pontigny , fille ,
» Moine de l'Ordre de Cifteaux ,
A OUS T. $9. 1749.
» Diſtingué par voye
très-fubtile
En trois livres fpéciaux.
Mais j'ai tout lieu de foupçonner qu'il
y a eu de l'inattention de la part du Copifte
dans le quatriéme vers , parce qu'il
renferme une fyllabe de trop. Donnezvous
la peine de fcander , & vous fentirez
qu'il faut lire , par Guillaume de Guilleville.
Outre cela le nom de Degnilleville me
paroît tout à- fait bizarre . Sa terminaiſon
en ville marque qu'il a été formé de celui
de quelque lieu ; or , je ne vois aucun
exemple qui prouve que jamais aucun poffeffeur
de terre , ou Fondateur de Village
, fe foit appellé Deguille , mais feulement
Guille , qui étoit l'abregé de Guillaume.
Aufli avons- nous en France une
Paroiffe appellé Guilleville : elle eft fituée
au Diocéfe d'Orleans , fur la route de
cette Ville à Chartres , & nous n'en avons
aucune du nom de Deguilleville.
Je m'étends peut- être un peu trop
fur
cette minutie ; mais je compte que M. L.
G. ne trouvera pas mauvais
que je lui aye
demandé la preuve qu'il peut avoir euë ,
pour allonger d'une fyllabe le nom de
notre Poëte ; toujours difpofé à me conformer
à la maniere dont il l'écrit , s'il me
90 MERCURE DE FRANCE.
fait voir par votre Journal , ou par un autre
, que l'affemblage des lettres initiales
de chaque couplet , des lamentations
de ce Poëte dont il parle , page 82 , forme
Guillermus de Deguillevilla.
DDDD: DIY : DID RED DED གུ : : ❁ གུ
Α ΜΡΗΙΟΝ.
CANTATILLE.
AMour , Dieu puiffant que j'implore ;
Viens offrir à mes yeux la beauté que j'adore.
Soit que le blond Phébus quitte le fein des mers ,
Ou qu'à l'obſcure nuit il céde l'univers ,
Quand le Dieu du fommeil partage fon empire,
Et lorique tout ce qui refpire
Se foumet à fa douce loi :
L'écho répete au loin les accens de ma voix.
Fattire les forêts , & j'applanis les monts ,
J'amollis les rochers par le fons de ma lyre.
Cruelle , ton coeur feul me refufe un empire ,
Que tout céde à mes chanfons .
Amphion au comble du malheur ,
Perdant tout espoir de plaire ,
Exprimoit ainfi la douleur ,
Quand l'aimable Dieu de Cythere
;
AOUS T. 91 1749
De Niobé toucha le coeur ,
Et vainquit fa rigueur.
Aveugle , elle fuit feul le penchant qui l'entraîne ;
L'Amour en fouriant l'enchaîne ,
Et lui fait adorer les fers
Dont il accable l'univers.
De ce Dieu redoutez les armes ,
Belles , fuyez , fuyez fes charmes :
Que de larmes , que d'aigreur
Suivent un inftant de douceur !
Amphion par fes chants mélodieux
Obtient le bonheur de lui plaire ,
L'Hymen & le Dieu de Cythére ,
Les joignent par les plus doux noeuds.
'A l'Amour durant le bel âge
On s'engage facilement ,
On aime les chants d'un amant
On en écoute le langage ,
Et l'on en prend les fentimens,
De ce Dieu , & c.
D'A...
92 MERCURE DE FRANCE.
CONSEILS d'un ami à une Demoiselle de
Beauvais , par un Auteur anonyme.
J'Ai 'Ai des confeils à vous donner ,
Ce n'eft pas le moyen de plaire ,
Iris , on ne divertit guere ,
Quand on ne fait que raifonner,
Auffi j'aurois gardé fagement le filence ,
Ou vous n'auriez de moi que de vaines chanfons ;
Si je n'avois connu qu'une heureuſe naiſſance
Avoit dans votre coeur prévenu mes leçons .
Souffrez donc que ces vers aident à vous conduire
En cet âge charmant dont vous allez jouir ;
Affez d'autres fans moi voudront vous réjouir ,
Mais peu fe chargeront du foin de vous inftruire.
Commencez aujourd'hui le cours
D'une longue ſuite d'années .
Efperez , en croiffant , d'heureuſes deſtinées ,
Et qu'une belle humeur anime vos beaux jours .
Il fied mal à vingt ans d'être triſte & rêveuſe ,
Mais n'accordez à vos defirs ,
Ο
AOUS T. 1749. 93
Si vous avez deffein d'être long- tems heureuſe ,
Que ce que la nature a d'innocens plaifirs.
Vous n'avez pas befoin , Iris , que je m'arrête
A vous montrer quelle eft cette févere loi ,
Qui vous commande d'être honnête.
Le fang dont vous fortez le fera mieux que moi.
Çer ordrefouverain n'admet point de difpenfes ,
Et l'honneur en eft fi jaloux ,
Que fur les moindres apparences
Ce Juge rigoureux prononce contre vous.
Fuyez dans vos diſcours l'enflure & la baſſeffe ;
Qu'ainfi qu'en vos habits rien n'y foit affecté ,
Qu'une noble fimplicité
En faffe l'ornement , la grace & la richeſſe.
Celles dont la témérité
De termes trop fçavans pare leur éloquence ,
Au lieu de montrer leur fcience ,
Ne montre que leur vanité.
Evitez la plaifanterie ,
Dont les traits médifans percent jufques au coeur
Et pour rejouir l'auditeur ,
Ne faites point de raillerie
Qui puiffe bleffer fon honneur.
Si vos paroles prononcées
94 MERCURE DE FRANCE.
Sont l'image de vos pensées ,
Voici , fans vous flater d'un traitement trop doux,
que des têtes bien fenfées Ce
Sur de pareils difcours doivent juger de vous.
Qu'une févere contenance
Ne condamne jamais la modefte licence
Des propos que vous entendrez.
Aux bons mots que l'on dit , joignez plutôt les
vôtres ,
Mais faites , quand vous en direz ,
Que les gens que vous raillerez
Puiflent rire comme les autres.
Qui fouffre l'affiduité
De l'amant qu'a fait la beauté ,
Envain auprès de lui veut paffer pour cruelle ,
Unhomme qui fe voit d'une femme écouté ,
Semble devoir efperer d'elle.
Séduit
N'accoûtumez point votre coeur
par la vertu de l'objet qui le tente ,
A s'attendrir par la douceur ,
Même d'une amitié qui peut être innocente.
L'honneur dans le commerce eft fort mal affûré ,
Ne vous y laiffez point furprendre ;
Un ami & fage & fi tendre
Et bien plus dangereux qu'un amant déclaré.
AOUS T. 1749. $
Je ne défends pas à la prude
De prendre un peu de foin de ce qu'elle a d'attraits
,
Ce feroit une ingratitude
De négliger les dons que le Ciel nous a faits.
Mais fi vous prétendez qu'on vous estime fage ;
Apprenez que le trop grand foin
De conferver cet avantage ,
Eft un infaillible témoin ,
Qui prouve qu'on en fait quelque galant uſage.
Celui qui fans difcernement
Adreffe à tous enans les louanges qu'il donne ,
Fall grand tort à fon jugement ,
Et ne fait honneur à perfonne.
Mais auffi d'un coeur inhumain ,
N'allez point infulter aux foibleffes des autres )
Et que les défauts du prochain.
Vous donnent feulement du dégoût pour les vôtres.
Ne difputez jamais avec trop de chaleur ,
Mais jugeant de fang - froid & du pour & du con
tre ,
1
Si vous vous trompez par malheur ,
Loin de foutenir votre erreur ,
Laiſlez-vous vaincre en ce rencontre ,
Et par un beau retour , plein de fincérité ,
96 MERCURE DE FRANCE.
Revenez à la vérité ,
Qui que ce foit qui vous la montre.
Il ne faut point chercher à voir
Les intérêts cachés d'une intrigue fecrette.
Quand on eft curieufe , & qu'on veut tout fçavoir
On eft fûrement indifcrette.
Si le fecret vous eft malgré vous revelé ,
Cachez- le avec un tel filence ,
Même à celui , dont l'imprudenco
Vous en a fait la confidence ,
Qu'il doute quelquefois s'il vous en a parlé,
Celle qui fouffre en fa préſence ,
Qu'on vante en elle des appas ,
Ou des vertus qu'elle n'a pas ,
N'eft qu'une idole qu'on encenſe :
Une jufte louange a de quoi nous charmer ;
Mais un efprit bien fait doit prendre
Bien moins de plaifir à l'entendre , ¡
Que de peine à la mériter.
La mode eft un tyran dont rien ne nous délivre ,
Afon bizarre goût il faut s'accommoder ,
Mais fous les folles loix étant forcé de vivre ,
Le fage n'eft jamais le premier à la fuivre ,
Ni le dernier à la garder,
AOUS T. 1749. 97
JA
A Paris , le 24 Juin
1749 .
Ai lû , Monfieur , avec bien du plaifir
dans le Mercure du mois d'Avril dernier
, à la page 40 , la réflexion faite , &
les deux folutions données fur un Problême
d'Arithmétique , trouvé dans les ouvrages
de M. Barême , & expofé par M.
Faiguet , à la page 72 du Mercure de
Janvier.
J'ai auffi obfervé , que Meffieurs Darême
& Faiguet ne démontrent pas leurs
opérations ; il n'y a certainement aucune
proportion , ni dans l'une , ni dans l'autre ,
& chacun d'eux s'eft mépris.
Cette réflexion a fon lieu , mais des
deux folutions , la derniere eft la feule qui
puiffe y convenir , & qui donne connoiffance
de la jufte divifion , qui doit être
faite entre la mere & les enfans, de la fomme
de 100000 liv. fuivant l'intention du
Teftateur ; mais comme elle n'eſt aucunement
démo : ftrative , je prens , Monfieur ,
la liberté de vous préfenter ci - deffous cel
le que j'y ai doniée , dont les opérations
étant appuyées aux régles de proportion ,
pourront fervir de preuve & de régle
générale ,
, pour réfoudre tous Problèmes
E
98 MERCURE DE FRANCE.
femblables , ainfi qu'on peut le voir pat
celle que j'ai auffi donnée dans le mois de
Mai dernier , à une propofition de même
nature qui m'étoit parvenue , & que j'ai
l'honneur de vous faire paffer ci -jointe ,
ainfi que trois réfolutions algébriques de
trois Problêmes , qui m'ont été adreffés
d'Italie.
Vous vous appercevrez fans doute
du mauvais langage dans lequel je fuis
obligé de m'exprimer ; mais vous voudrez
bien , Monfieur , excufer un Italien , né
& Citoyen de Milan , depuis peu dans
cette Capitale , & très- peu verfé dans la
Langue Françoiſe. Ce n'eft pas que je
n'eulle une bonne envie de faire un certain
progrès , d'autant plus que cette Langue
, & toutes perfonnes en général de
la Nation Françoife , me font infiniment
agréables. Au refte , fi vous étiez dans
le deffein de faire ufage de mes folutions ,
je me perfuade que vous voudrez bien
prendre la peine de les rendre dans la Langue
convenable.
Je fuis bien flatté de ce que la lecture
du Mercure de France me procure le plaifir
& l'honneur de vous afsûrer de la confidération
infinie , avec laquelle j'ai l'honneur
d'être , Monfieur , & c.
Rufca.
AOUS T. 1749.
99
DS
"
PROBLESME DE M. BARESME.
Un homme mourant laiffe fa femme enceinte
, & cent mille francs de fon chef.
Il ordonne par fon teftament , que fi elle
accouche d'un garçon , l'enfant aura les
trois cinquièmes de la fomme , & la mere
les deux cinquièmes , & que fi elle accouche
d'une fille , l'enfant aura les trois feptiémes
, & la mere les quatre feptiémes.
1
Il arrive que cette veuve accouche à la
fois d'une fille & d'un garçon : fçavoir ,
combien chacun doit avoir de ladite fomme
, en confervant toujours la proportion de
la mere aux enfans.
RESOLUTION,
Pour réfoudre ledit Problême on doit :
1. trouver un nombre le plus petit , qui
contienne les parties qui y font requifes ,
ce qu'on aura , en réduifant à un commun
dénominateur , les fractions ci-deſſus données
, au moyen de quoi on appercevra ,
que le nombre qui peut y fatisfaire , eft
35.
2. Par la précifié de la propofition , la
mere , accouchant d'un garçon , doit avoir
les de la fomme de 100000 liv. &
l'enfant , les , & accouchant d'une
fille les , & l'enfaur , les =
E ij
100 MERCURE DE FRANCE.
Or ayant accouché à la fois d'un garçon
& d'une fille , elle doit avoir en conféquence
les deux cinquièmes dans la part
du garçon , & les quatre feptiémes dans
celle de la fille , fçavoir , pour fa portion
, le garçon , & la fille ; mais
comme lefdites trois parties enfemble furpaffent
le tout d'un entier , & que la
mere avec fa feule part abforberoit prefque
toute la fomme ( ce qui feroit injufte
) ainfi l'on doit avoir recours à la
proportion , compofée fuivant les régles
de fociété aufquelles cette propofition fe
rapporte , & prendre du nombre 35 , les
parties convenables à chacun d'eux , ce
quoi faifant , l'on aura 14 + 20 = 34,
pour les + , dûs à la mere , 21 pour
les trois cinquiémes dûs au garçon , & 15
pour les trois feptiémes dûs à la fille. Enfuite
dreffant la proportion
, dont le
mier terme fera 70 , fomme defdites parties
, le fecond 100000 liv. quantité à
divifer , & le troifiéme chacune pour chacune
de ces mêmes parties , fçavoir , 34 ,
21 & 15. 8
pre-
3º . On fera les opérations fuivant les
régles , pour avoir le quatriéme terme ,
& on trouvera 48571 liv . trois feptiémes,
pour la portion de la mere ; 30000 liv.
A O UST . 1749. 101
pour celle du garçon , & 21428 , quatre
Leptiémes pour celle de la fille , dont la
fomme eft iooooo liv. C. Q. F. J.
Sx7 = 35 .
Pour la mere ;
S = 14)
2420205
Pour le garçon,
Pour la fille ,
347
70
21
34.48571 /
70. 100000 . 21. 30000-
15.21728 /
PROBLE' M E.
Un gros Commerçant de Normandie
laiffe , en mourant , fon épouſe avec huit
garçons & une fille ; il fait par fon teftament
fon fils ainé légataire univerfel de
tous fes biens , felon la loi du pays , qui fe
montent à 900000 livres , à la charge
que fon fils aîné prendra , fuivant ladite
loi , moitié ; que les autres garçons fes freres
auront chacun un huitiéme , & la mere
un quart. Qu'à l'égard de la fille , ils feront
lefdits freres tenus de lui faire chacun une
penfion au prorata de ce qu'ils auront retiré.
On veut fçavoir ce qu'ils auront cha-
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
eun pour leur part ,& ce qu'ils feront obligés
de donner de penfion chacun à leur foeur .
SOLUTION.
Comme de la maniere que la fufdite
propofition vient d'être expofée , il paroît
impoffible de fatisfaire à la volonté du Teftateur
, car la moitié que doit prendre le
fils aîné , plus les fept huitièmes qui font
dûs aux autres fept freres , furpaffent le
tout en trois huitièmes ; en forte que trois
defdits fept freres , ainfi que la mere , ne
pourroient pas avoir ce qui leur vient , ce
qui feroit contraire à la difpofition du reftament
& des Loix. Ainfi dans toutes ces
pareilles circonstances il faut fe prendre
à l'équité de la proportion compofée , &
trouver un nombre le plus petit , qui contienne
les parties requifes , dont la fomme
d'icelles fera le premier terme de la pro
portion ; le fecond fera le nombre donné à
divifer , & le troifiéme fera chacun pour
chacune defdites parties. Or le plus petit
nombre qui contient les parties requifes
de ladite propofition eft 16 , dont la moitié
eft 8 , le huitiéme 2 , & le quart 4 , &
leur fomme eft 26. On aura pourtant la
proportion ci - deffous , dont on trouve en
faifant les opérations , que le fils aîné doit
avoir 276923 livres un treizième , chacun
A OUST .
.
1749. 103
des autres fept freres 69230 livres , dix
treizièmes , & la mere 138471 livres, fept
treizièmes , enforte leur fomme fait
900000 livres , comme on peut voir par
ce calcul. C. Q. F. J.
que
8
2
2
2
26.
900000.
2
2
2
4
8 276923
2 69230
69230
ལ་
2 69230
26.
500000. 2 69230
2 69230
2 69230
2 69230
4 138471
A l'égard de la penfion que chacun des
freres eft obligé de faire au prorata à leur
four , comme dans ledit Problême il n'eft
E iiij
104 MERCURE DEFRANCE.
pas dit fur quel pied elle doit être , il faut
fçavoir fi par la Loi du pays elle eft fixée ,
fans quoi lefdits freres pourroient lui affigner
une penfion à leur goût au prorata de
ce qu'ils auroient retiré.
Il eft bien vr. i que filad.fille devoit avoir
le fond capital qui lui reviendroit en divifion
avec les frères , comme la proportion
quipaffe entre le fils aîné & fes freres , eft de
S , 2 ; à l'égard de la fille elle feroit de 4 , 1 :
ainfi en trouvant le plus petit nombre qui
ait les parties requifes , tel qu'eft le nombre
16 & faifant la fomine defdites parties,
qui eft 23 , fi l'on divife 761538 livres .
forme de ce qui appartient aufdits freres,
par 23 , on aura 331 1o livres pour le
fond qui devroit être donné à ladite
fille , en divifion & qui devroit être
payée par les freres , au prorata de la fomme
touchée
par chacun d'eux , fçavoir ,
12040 livres
12
299
40
ג
110
299
29, par fon frere aîné , &
3010 livres par chacun des autres.
Et comme par cette opération eft conftatée
la portion du fond de raifon de
ladite fille , & la quote que feroient
obligés lefdits freres de lui payer , fi les
intérêts font fixés par la loi às pour cent,
la penfion fera de 1655 livres , c'eſt -àdire
, 602 livres pour celle que devra
299
1 105
A O UST . 1749 .
150
299 pour
payer le fils aîné , & 150 livres
celle qui devra être payée par chacun des
autres fept freres. C. Q. F. J.
REMARQUES.
On doit regarder cette propofition &
fes femblables comme une regle de fociété ;
en voici la démonftration par le fuivant
Problême. Un Négociant ayant fait banqueroute
, laiffe pour tout fon bien la
fomme de 27000 livres ; un de fes créanciers
doit avoir 36000 livres , un autre
9000 livres , & un autre 18000 livres
enforte que les dettes dudit Négociant fe
montent à la fomme de 63000 livres. On
voit pourtant qu'avec le fond de 27000
livres il n'y en a pas affez pour fatisfaire
à tous lefdits créanciers , ainfi il faut que
chacun d'eux en fupporte la perte au prorata
de leur créance ; c'eſt pourquoi en
dreffant une regle de fociété on trouvera
15428 livres quatre feptiémes pour le
premier , 3857 livres un feptiéme pour le
fecond , & 7714 livres deux feptiémes
pour le troifiéme , dont la fomme eft de
27000 livres. C. Q F. D.
.
A Paris le 25 Mai 1749.
E v
106 MERCURE DE FRANCE.
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗
SEANCE PUBLIQUE
De l'Académie Françoife.
Onfieur le Maréchal Duc de Belle-
Mifle ayant été élu pour remplir la
place qui vaquoit dans l'Académie par la
mort de M. Amelot , y prit féance le 30
Juin , & prononça fon Difcours.de remerciment.
» Meffieurs , dit- il , l'honneur que je
» reçois aujourd'hui ne me fait point illu-
»fion fur les principales qualités que doi
» vent avoir ceux que vous admettez aus
» nombre de vos Confreres. Je fçais que
toutes les richeffes du génie & de la littérature
furent le partage des Hommes
» illuftres , qui depuis l'origine de l'Aca-
» démie ont rempli les places, que vous
occupez: ...
Jufqu'à préfent une vie fans ceffe agi-
»tée ne m'auroit point permis de profiter
» de la faveur que vous venez de m'accor-
» der je la reçois au moment que je puis
» en jouir. Ces jours tranquilles que ra-
» mene la Paix , vous avez voulu me les
» rendre agréables , & vous me ménagez
AOUS T. 1749. 107
» encore pour un âge plus avancé tout ce
» qui peut en faire les délices .
Après avoir payé le tribut de louanges
que l'Académie exige des nouveaux Académiciens
pour le Cardinal de Richelieu
& pour le Chancelier Séguier , & avoir
parlé de l'honneur que Louis XIV. a fait
à l'Académie de fe déclarer fon Protecteur,
M. le Maréchal de Belle - Ifle ajoûta , » Ce
» Prince , dont le Regne ne fut qu'un tiffu
» de merveilles , & qui voulut , pour la
>grandeur de cette Couronne , en tranfmettre
le modéle à fes defcendans , fen-
» tit , Meffieurs , combien vous lui deve-
> niez néceffaires : c'étoit par vous qu'il
>> devoit inftruire la postérité. Vous avez
≫rempli fes eſpérances , & par un jufte re-
→t our vos éloges ont rendu à Louis XIV.
» la gloire que vous en avez reçûe.
Le portrait du Roi eft le morceau qui a
le plus frappé dans le difcours dont nous
donnons l'extrait . » Il étoit réſervé à Louis
» XV , dit M. le Maréchal de Belle- Ifle ,
d'apprendre à l'Univers qu'un Roi peut
» combattre & vaincre fans ambition. Ne
» faifons point un crime à l'Europe de fes
craintes inquiettes. Aucun fiécle n'avoit
» vû le Maître d'un vafte Empire n'avoir
» des Princes guerriers que l'activité &
» l'intrépidité ; ne fe mettre en mouve-
"
E vj
IOS
MERCURE DE FRANCE.
» ment que pour l'intérêt de fes Alliés , &
» s'arrêter dès qu'il ne refte que l'intérêt
" perfonnel ; ne chercher la victoire que
» pour arriver à la paix , ne fignaler fa
»puiffance par les conquêtes , qu'afin de
" couper la racine des défiances & des ja--
loufies, en raffurant les efprits par le plus
grand exemple de modération. La poli-
» tique , toujours timide , n'oſoit ſe livrer
» à des efpérances , que l'hiftoire de tous .
» les peuples ne lui permettoit pas de for-
» mer. L'Europe ne voyoit que les conquêtes
de Louis XV, elle ne voyoit point
>> fon coeur.
4
Ce difcours , écrit avec la noble fimpli
cité qui convient à un Général & à un
homme d'Etat , occupé d'objets plus impor
rans que celui de compofer une Piéce d'Eloquence
, fut généralement applaudi.
M. l'Abbé du Refnel , Directeur de l'A-.
cadémie , répondit à M. le Maréchal de
Belle -Ifle. Il commença par rappeller le
fouvenir de plufieurs grands hommes , qui
revêtus , comme ce Général ; de la plus
haute dignité , à laquelle la vertu militaire
puiffe élever , & célébres par une fuite d'actions
également honorables pour eux &
pour la Nation , fe font fait une gloire
d'entrelacer les lauriers , qu'ils avoient
moiffonnés dans les champs de Mars, avec
A O UST.
Tag 1749%
"
ceux qu'Apollon difpenfe à fes favoris.
» Nous fommes très flattés , Monfieur ,
» pourſuivit-il, mais nous ne fommes point
furpris que vous ayez défiré d'être admis
» dans le Sanctuaire des-Mufes. Il touche
» de près au Temple de Mémoire , où déja
» vous vous étiez affûré une place , & à ſi
juste titre.
99.
» La Nature vous a formé pour être fe
» lon les diverfes circonftances des tems ,
» tout ce que demandoient les emplois
» qui vous ont été confiés.
» Par la facilité que vous avez à defcen-
» dre des plus grandes affaires jufqu'aux
" plus petits détails , il n'eft rien de fi
» étendu que votre efprit n'embraffe . Fé-
" cond en refources dans les occaſions où
» il ſembloit que la prudence humaine
» n'en pouvoit plus imaginer , tout ce qui
"vous a paru néceffaire , yous.a paru poffible
, & l'eft devenu .
» Nos braves- François font- ils inveftis.
» dans une Ville immenfe & ruinée , où
>> leur valeur ne peut fe défendre, & dont il
و د
paroît encore plus impoffible qu'ils puif.
» fent fe dérober ? Vous forcez tous les
"obftacles que la rigueur de la faifon , la
» longueur & la difficulté des marches
» les efforts d'une armée nombreuſe , op
» polent à leur retraite.......
110 MERCURE DE FRANCE.
que fi
» L'irruption d'une armée formidable
» dans une de nos Provinces, y répand - elle
une allarme générale ? Par de fçavantes
manoeuvres qu'il n'appartient qu'aux
» Maîtres de l'art , d'expliquer , vous la
» chaffez de nos frontieres. Elle fe retire
avec une perte auffi confidérable ,
» elle eût été défaite en bataille rangée.
» Ce n'eft pas affez pour vous d'en avoir
» délivré la France . Par des moyens dont
»le fuccès feul a prouvé la poffibilité , vous
»fourniffez à de généreux Alliés des fecours
continuels d'hommes & de vivres;
vous fecondez fi habilement la valeur de
cet illuftre François * , l'objet de leurs
» regrets & des nôtres , que les efforts des
Puiffances conjurées deviennent inutiles.
Ce Siége à jamais célebre , & par leur
» opiniâtreté , & par la vigoureufe réfif
» tance qu'elles ont éprouvées , eft levé :
Génes ne craint plus pour la liberté , &
» fi l'ennemi ne peut encore fe réfoudre à
laiffer échapper une fi belle proye , cé
" digne Héritier du nom & des qualités
»fupérieures du grand Armand , leur ôte
tout efpoir de la ravir. Quelle gloire
pour nous de compter parmi nos Con
» freres les deux Libérateurs d'une Répu
* M. le Duc de Boufflers.
A O UST. 1749.
" blique , dont la ruine auroit entraîné
» celle de l'Italie ! ......
A l'éloge de M. le Maréchal de Belle-
Ifle , M. l'Abbé du Refnel fit fuccéder celui
de M. Amelot , & il le peignit ainfi.
» Eloigné de toute efpece d'oftentation,
>> fes manieres étoient fi fimples & fi dou-
»ces , il paroiffoit fr peu occupé du défir
d'attirer fur lui les regards des autres ,
" que lc commun des hommes n'auroit
» peut-être pas rendu toute la justice qui
»étoit due à fes talens , fi de degrés en degrés
ils ne l'euffent élevé jufqu'au Mi-
"
» niftere .
» Dans un pofte fi flatteur , & peut- être
encore plus redoutable , il ſe prêta à la
»fortune , mais feulement affez pour lui
laiffer le pouvoir d'augmenter fon bonheur
; jamais affez pour qu'il dépendît
d'elle de le lui faire perdre...
» Tous les momens dont l'intérêt de
» l'Etat lui permettoient de difpofer , il
» les donnoit à fa famille. & à fes anciens :
» amis ; il s'y livroit alors tout entier , &
»avec cette gayeté qu'ïnfpire la confiance
» de n'avoir aucun reproche à craindre de
» foi-même ni des autres. Il portoit dans
la Société un efprit Gaimable , qu'il n'y
» donna jamais lieu à perfonne de fouhai-
» ter qu'il en eût moins.
"
112 MERCURE DE FRANCE.
>>> Convaincu par une longue expérience
» que rien dans la vie n'offre des plaifirs
»-mieux affortis à toutes efpeces de for-
» tunes & de fituations , que l'étude des
" Lettres & des Arts , M. Amelot en
» faifoit fes plus cheres délices dans les
» tems mêmes qu'il ne pouvoit en faire
fon occupation .
Refferrés dans des bornes trop étroites ,
nous ne pouvons copier tous les morceaux
remarquables de laRéponfe de M. l'Abbé
du Refnel.
Lorfqu'il eut ceffé de parler , M. de
Foncemagne lut des Refléxions de M. de
Fontenelle fur la Poëfie. Il fut fouvent
interrompu par des battemens de mains ,
qui annonçoient également, & la juſte admiration
des Auditeurs pour M. de Fontenelle
, & l'intérêt que prend le Public
à la perfonne & à la gloire de cet illuftre
Doyen de l'Académie.
AOUST. 1749.
On a dû expliquer l'Enigme & les Logogryphes
da Mercure de Juillet par le pa
pier , crime , Roffignol , Medecine , Ché
cuméne & chandelle. On trouve dans le
premier Logogryphe cri , rime , Rié, mie , re
mi , merci , cîme , mer , ire & cire . On trouve
dans le fecond- Mede , Medie , mine
mie , Enée dime , Melée , Nice , Nicée ,
Cid & niece. On trouve dans le troifiéme
Numa , chat, âne , mât , ut, Cham , manche,
ba , bé , menuet , Thême , muet , meute &ame….
On trouve dans le quatrième Canelle , âne
Caen , lance , lande , dance & an.
,
: ❁༧❁
LOGOG RTP HE.
JEE fuis décharné , maigre , étique ;
Et courbé fous le faix des ans ;
Mais malgré ma figure antique ,
Je compte encor des partifans .
Quoiqu'amateur des dons de Cerès , de Pomone,
Je ne parois jamais dans l'été , dans l'automne,
J'affronte l'hyver redouté ,
Et quand par fes chants Philomele
Annonce la faifon nouvelle ,
Je parsfans être regretté..
Da
114 MERCURE DE FRANCE.
Six pieds compofent ma ftructure ,
Quarante autres font ma mefure ,
Avec quatre on me voit dans les plaines de Mars
Fixer le fort & la victoire ,
Et les efclaves de la gloire
Ne doivent point fans moi s'expofer aux hazards.
Mais tel eft du fort le caprice :
A peine ces pieds font changés ,
Qu'à Marſeille ils font le fupplice
Des hommes pour crime engagés
Dans une honteufe milice .
Lecteur , j'offre encor à tes yeux
Un nom qui flatte & qui décore
L'Iris , dont l'Hymenée a couronné les feux ;
Mais ce même nom déshonore •
Quand l'amour de l'Hymen n'a point ferré les
noeuds.
J'enferme un élement qui m'eft très néceffaire.
Il fournit à mes partisans
Des mets variés & frians ,
Dont ils font toujours maigre chere .
Je fuis encor l'enfant gâté
Qui fut maudit dans la colére
Du Patriarche reſpecté ,
Sans qui nous boirions de l'eau claire.
Je fais avec cinq pieds le Difciple facté
D'un Citoyen des Cieux qu'on n'a point enterré.
AOUS T.
1749. TIS
J'offre encor un ragoût dont fait un grand uſage
Le laboureur dans fes repas ,
Et quoique commun au Village ,
Les Grands ne le dédaignent pas.
Mais à propos , Lecteur , les beaux jours vont re
naître ,
Je dois ſonger à difparoître.
Le Normand.
Souvent
AUTR E.
Ouvent les curieux de l'Art , de la Nature ,
Par moi font mis à là torture ;
Mais ,pour à leurs fins parvenir ,
Ils fçavent quelquefois par le feu m'en punir.
Toujours fur neuf pieds je chemine.
Qui fuis-je donc ? Lecteur , lis & devine.
Par cinq , forte femelle eft tenue en prifon.:
Je fuis des jardins la parure ;
Enigme , ou Difcours fans raiſon ;
Inquiétude , ou fleur ; bois propre à ligature ;
Ce que toujours le Magifter défend ;
Hors la ville une promenade ;
Vieux mot marquant d'où la race defcend ,
Et ce dont on reçoit dangereufe
gourmade.
Par quatre , je montre un Paſteur ;
L'Auteur fréquent de bonne ou mauvaiſe fortune ;
Rerraite ordinaire au voleur ,
116 MERCURE DE FRANCE.
Un lieu rempli d'humains , fous une loi commune ;
Ce qui le Prince par tout fuit ,
Le nom d'un fajet de la Porte ,
Mót , qui dit édifice , engin ; rufe & circuit ;
Un échange ; un vaiffeau pour le vin qu'on
transporte.
Pa trois , je marque où l'Archer viſe ;
Pierre dure , outil de labeur ;
Un homme noté de bêtiſe ;
Etat d'une biche en chaleur.
Vent d'eftomach ; jus d'herbe ; une marque de
joie ;
Une groffe piéce d'argent';
Inftrument qu'un Veneur employe ;
Et l'afige , qu'on fuit chez la myftique Gent
Mais j'ai déja d'ici fubi l'exil ,
Ou tu n'as pas l'efprit fubtil.
AUTR E.
JEE change par goût ; la Nature
Me fait auffi changer de forme & de figure.
Mes membres combinés font un arbre fameux ;
Animalfier & courageux ;
De France en même tems une Ville brillante ;
Autre animal craintif , à chair appétiffante ,
Dont l'homme le plus délicat
Pour l'ordinaire fait grand cas.
Simple foldat dans une armée ,,
9
AOUS T.
1749.
Qui n'eft jamais fans tête couronnée.
Habitant d'un pays fis au Septentrion
Ce qu'eftP'homme formé par l'éducation. "
Fleuve d'Afrique , un autre d'Italie ;
Chofe néceffaire à la vie ;
Saint reveré par le Normand ,
Autre à qui dans le premier tems
L'Eglife ,
Comme à Saint Pierre , fut foumife ;
Sous même nom , plante dont le produit
Peut nous fervir & le jour & la nuit ;
Femme de Patriarche ; enfin plante commune ,
Dont l'odeur fouvent importune.
Par M.G. de Mont.
NOUVELLES LITTERAIRES ,
I
DES BEAUX- ARTS , &c.
L paroît une troifiéme édition de
l'ABREGE' CHRONOLOGIQUE de M. le
P. H. in-8°. & in-4° . L'in- octavo est en
deux volumes , fans vignettes , & l'in,
quario eft orné de tout ce qui peut rendre
une édition précieufe. Cette édition fe
vend chez Prault , pere & fils , & chez
Defaint & Saillant.
118 MERCURE DE FRANCE.
L'ouvrage eft augmenté d'environ un
cinquième , & l'on y a joint une Table
très- étendue , dont l'utilité fe fera fentirchaque
fois qu'on la confultera . Nous
tranfcrirons feulement une des additions
faites par l'Auteur. Elle regarde l'année
1650.
que
"Mort de Descartes le 11 Février à
» Stockholm. On a dit de Defcartes , qu'il
» avoit donné le ton à fon fiécle . On роц-
»voit dire fon fiécle avoit un autre
» ton qu'il lui a fait perdre : c'eft celui
» d'une érudition , dénuée des lumieres de
» la Philofophie ; en forte que d'un fiécle
qui n'étoit que fçavant , il en a fait un
fiécle vraiment éclairé. C'eft le juge-
» ment que Bayle porte du feiziéme & du
dix-feptiéme fiécle . Je crois , dit- il , que
» le feizième fiècle a produit un plus grand
nombre de fçavans hommes le dix-fep-
» tiéme , néanmoins il s'en faut beaucoup
nque le premier de ces deuxfiécles ait eu autant
de lumieres que l'autre..... Les gens
»font aujourd'hui moins favans & plus babiles.
Hobbes enchérit bien far Bayle.
» Ce Philofophe Anglois , qui avoit beaucoup
plus medité qu'il n'avoit lû , ne
faifoit nul cas de la fcience , & difoit
» affez plaifamment , que s'il avoit donné
» à la lecture autant de temsque les autres
"
que
AOUST. 1749. 119
20
»
hommes de Lettres , il auroit été auffi
ignorant qu'ils le font. On fent com-
»bien cela eft outré , mais c'eft un Philofophe
qui reproche à la Science le mau-
» vais ufage qu'en faifoient alors les Sça-
» vans , & qui s'éleve contre des hommes
qui ne fçavoient raifonner que par cita-
»tions & par autorités. A ces deux fiécles
" en a fuccedé un troifiéme , où loin d'adopter
les opinions des autres , on a
»peut être un peu trop affecté de ne puifer
» que dans fon propre fond , & où l'am-
» bition de ce que l'on appelle le bel efprit
, a fait que l'on a abulé quelquefois
du véritable. Prenons garde que le dix-
»huitiéme fiécle ne décrie l'efprit , com-
»me le feiziéme avoit décrié l'érudition.
"
39
29
La plupart des autres additions font du
même mérite que celle- ci , & c'eſt avec
regret que nous n'ornons pas notre Recueil
des articles qui concernent les Régences
,
les Ennobliffemens , les Fiefs ,
les Communes , l'Univerfité , le Concordat
, l'état de la Cour à l'avenement de
Louis XIV , &c. Nous fommes furtout
fâchés de ne pouvoir donner place ici aux
réflexions de l'Auteur , fur les progrès que
les Loix avoient faits , depuis le commencement
de la Monarchie , jufqu'au milieu
du feiziéme fiècle. -
120 MERCURE DEFRANCE.
Il nous feroit difficile d'encherir fur les
éloges , que le feu Abbé Desfontaines a
donnés à l'Abregé Chronologique . Ce
Critique , fi peu accoûtumé à louer fes contemporains
, l'a comparé au Bouclier d'Achille
, & à celui d'Enée , où le Dieu du
feu avoit fçû tracer d'une main fçavante
toute l'Hiftoire des Romains. Clypei non
enarrabile textum , &c.
OBSERVATIONS SUR LES GRECS . Par
M. l'Abbé de Mably. A Geneve , Par la Compagnie
des Libraires , 1749 , in- 12. pp.
-273 .
L'Erudit ne cherche dans la lecture de
J'Hiftoire que la connoiffance des faits &
des dattes. Le Politique y cherche la connoiffance
des caufes qui ont produit les
évenemens , & des refforts qui ont fait
échouer ou réuffic les grandes entrepriſes.
Le Philofophe y étudie principalement
-les opinions , les moeurs , les ufages , les
loix , le gouvernement des peuples , & les
caractéres des perfonnages célébres qui pa-
Coiffent fur la fcène.
Par ce que nous avons dir ci- deſſus de
l'Abregé Chronologique , on a vû que l'Auteur
a également travaillé pour ces trois
claffes de Lecteurs . Mais dans fon ouvrage
les remarques politiques & philofophiques
ne font que l'accelloire. M. le P. H.
les
AOUS T. 1749. 121
1
> les donne de furabondance ; & il fuit ,
en les joignant à fes notes hiftoriques ,
l'exemple de ces bienfaicteurs généreux ,
qui non contens d'accorder ce qu'on leur
demande , fe diftinguent par des largeffes
qu'on n'avoit point droit d'efperer.
Il n'en eft pas de même de l'Auteur des
Obfervations que nous annonçons. M
l'Abbé de Mably s'oblige par le titre de
fon ouvrage , à n'être Hiftorien qu'accidentellement
, & à ne rapporter les évenemens
, que pour avoir occafion de juger
les Acteurs qui y ont eu la principale
part.
ཉ
La maniere , dont il remplit fes engagemens
, lui fait autant d'honneur , qu'elle
fera de plaifir à fes lecteurs . Fineffe dans
les réflexions , profondeur dans les raifonnemens,
élegance dans le ſtyle , tout ce
qui peut rendre un Livre utile & agréable,
fe trouve dans celui de M. l'Abbé de
Mably. Notre Auteur excelle particulierement
dans l'art de peindre les hommes.
On pourra juger de la délicatee & de la
vérité de fon pinceau par ce portrait qu'il
nous fait d'Alcibiade.
» Ce n'étoit pas un ambitieux , mais
» un homme vain , qui vouloit faire du
» bruit & occuper les Athéniens . Sa valeur
, fon éloquence , tout dans lui étoit
F
122 MERCURE DEFRANCE.
"3 embelli des
par
"
graces .
Abandonné aux
» voluptés de la table & de l'amour
» jaloux des agrémens & d'une certaine
élégance de moeurs , qui en annonce
>> prefque toujours la ruine , il fembloit
» ne fe mêler des affaires de la Républi
» que , que pour le délaffer des plaifirs . Il
» avoit l'efprit d'un grand homme , mais
» fon ame , dont les refforts amollis
» étoient devenus incapables d'une appli-
» cation conſtante , ne pouvoit s'élever au
grand que par boutade * . J'ai bien de la
peine à croire , qu'un homme affez fou-
» ple pour être à Sparte , auffi dur & auffi
»fevere qu'un Spartiate; dans l'Ionie, auffi
recherché dans fes plaifirs qu'un Ionien ;
» qui donnoit en Thrace des exemples
de rufticité , & qui dans l'Afie faifoit
» envier fon luxe par les Satrapes du Roi
» de Perfe , fût propre à faire un grand
» homme .
»
"
EUVRES de M. Remond de Saint Mard.
Nouvelle édition. A Amfterdam , chez
Pierre Mortier , 1749 , 5 vol. in- 1 2 .
Tous les amateurs des ouvrages de goût
ont lû les Dialogues des Dieux , les Lettres
galantes & philofophiques , & les
Nous defirerions que l'Auteur eût employé un
autre mot , celui de BOUTADE n'étant pas affez
Luoble.
A O
UST .
1749. 123
réflexions de M. Remond de Saint Mard
fur la Poëfie. Le Public a accordé à chacune
de ces productions l'eftime qu'elle
méritoit , & les Dialogues des Dieux ont
été comptés avec juſtice au nombre des
écrits les plus ingénieux de ce fiécle.
Cette édition , non-feulement par le
mérite de plufieurs piéces qui n'avoient
pas été imprimées , mais encore par l'élégance
des ornemens & par la correction
, eft extrêmement digne d'être recherchée
. Voici un avertiffement
Libraire a mis à la tête .
que
le
» Les differens ouvrages qu'on a tou-
» jours donnés à M. Remond de Saint
» Mard , n'ont paru long- tems que dans
» des volumes feparés . Des Libraires en
» 1742 les raffemblerent , & les mirent en
" trois volumes ; mais l'édition , faite ap-
» paremment fans foin & avec promptitu
» de , eft tellement chargée de fautes ,
» même de celles qu'un Lecteur intelli-
» gent a peine à fuppléer , que nous comp-
» tons faire un préfent au Public , .en lui en
>>donnant une correcte . Le hazard nous
» a mis en état d'y parvenir ; une copie
» des ouvrages de l'Auteur nous eft toin-
» bée depuis peu dans les mains , & com-
» me elle nous a paru parfaitement exacte ,
nous nous flatons que le Public fera
Fij
124 MERCURE DE FRANCE.
« content de l'édition que nous lui don-
" nons. Avec plufieurs morceaux qui ont
» été augmentés ou retouchés ; avec une
grande quantité de notes , qui , quoique
»très-propres à embellir le texte, ont paru
» à l'Auteur avoir meilleure grace à être
mifes à part , on y trouvera quantité de
» chofes qu'on n'a pas vûës , par exemple ,
» quelques piéces de vers , dix Dialogues
» nouveaux , plufieurs nouvelles Lettres ,
» & un morceau de Littérature en forme de
» Lettre , adreffé à M. Crevier.
CHOIX de differens morceaux de Poëfie ,
traduits de l'Anglois , par M. Trochereau .
A Paris , chez la veuve Piffot , Quai de
Conti , à la Croix d'or , & Piffot , fils ,
Quai des Auguſtins , à la Sageſſe , 1749.
Nous avions promis de nous étendre
fur le Difcours Préliminaire , que M. Trochereau
a joint à fes Traductions. L'abondance
des matieres ne nous permet pas de
tenir notre promeffe , & nous nous contenterons
de remarquer , que l'Auteur fe
propofe , 1 ° . de combattre l'opinion des
perfonnes qui prétendent que les Poëtes
ne peuvent être bien traduits qu'en vers ;
2º. de relever les faux jugemens que plufieurs
Ecrivains Anglois ont portés de nos
meilleurs Auteurs . Ce Difcours eft compofé
avec fageffe. M. Trochereau y montre
A O UST .
1749: 125
autant de modeſtie que d'érudition . Peutêtre
lui reprochera- t'on fes citations trop
fréquentes , mais il n'a point à craindre
qu'on l'accufe d'avoir cultivé fa mémoire
au dépens de fon diſcernement.
Selon les apparences , dans une feconde
édition il nous donnera des détails plus
circonftanciés fur les vies des Poëtes qu'il
traduit , & il corrigera la faute qu'il a faite
, d'attribuer à un feul Duc de Buckingham
les ouvrages de deux differens Seigneurs
de ce nom .
LE TEMPLE DE LA RENOMME'E . Poëme
de M. Poppe , traduit en vers François.
A Londres , 1749. Brochure in- 12. pp .
33.
Cette Traduction a paru quelques jours
avant celle que M. Trochereau a donnée
du même Poëme , & qui fait partie du
Recueil dont nous venons de parler . Elle
étoit compofée depuis dix ans , & la Muſe
anonyme , à qui nous la devons , ne fon .
geoit point à la rendre publique ; mais
ayant appris qu'on en imprimoit une en
profe , elle a voulu conftater le droit d'aî
neffe de la fienne .
HISTOIRE DU CHEVALIER DU SOLEIL.
Tirée de l'Eſpagnol. A Londres , 1749 , 4
vol. in- 12. Vol. 1 , pp. 138 , vol . 2 , pp.
130 ; vol . 3 , pp. 152 ; vol . 4 , pp. 156.
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE.
On a une Traduction Françoife de
ce Roman , & elle a reçu dans fon tems
un accueil favorable , mais à préfent
on foûtiendroit difficilement la lecture
de huit volumes énormes , remplis d'épifodes
inutiles , de converfations languiffantes
, & d'ennuyeufes répétitions.
C'eft rendre fervice au Public , que de lui
fournir , en retranchant ces défauts d'un
ouvrage dont le fond par lui- même eſt
excellent , le moyen de le lire fans ennui .
Il nous paroît que l'Abbreviateur du Roman
en queftion a fait plus , & qu'il l'a
mis en état d'être lû avec plaifir.
VOYAGE de la Baye de Hudſon , fait en
1746 & 1747 , pour la découverte du
paffage de Nord- Oueft , contenant une
Deſcription exacte des Côtés , & l'Hiftoire
haturelle du Pays , avec une Relation hiftorique
de toutes les expéditions , faites
jufqu'ici pour la découverte d'un paffage
plus court aux Indes Orientales , & des
preuves évidentes de la réalité de ce paffage.
Traduit de l'Anglois de M. Henri
Ellis , Agent des Propriétaires pour cette
expédition. A Paris , chez Sebaſtien Forry,
Imprimeur-Libraire , rue de Hurepoix ,
aux Cigógnes , 1749. Avec Approbation
& Privilége. 2 vol. in- 12 . Premier volume
, pp. 182 , fans y comprendre la PréA
O UST 1749 127
face & la Table qui en rempliffent 56.
Second volume , pp. 319.
Un
ouvrage , auffi intéreffant que celuici
pour le Commerce & pour la Géographie
, mérite d'être annoncé autrement
que par fon titre. Nous en parlerons plus
au long dans un des prochains Mercures.
COURS DE CHYMIE , 1749 , in- 12 . pp.
191 .
Les Lecteurs font redevables de cet ouvrage
à M. Gontard , Médecin à Villefranche
en Beaujolois . Il avertit dans une
courte Préface ,.qu'il ne donne ici rien de
lui , & qu'il a recueilli feulement les leçons
d'un des Médecins de Montpellier les plus
célébres , fur les opérations & fur les remédes
chymiques .
TRAITE' fur les Maladies Veneriennes ,
dans lequel on explique l'origine & la
communication de cette maladie en général
, & de toutes fes efpéces en particulier
, avec les remédes fpécifiques pour
leur guérifon ; deux Traités , l'un des
écrouelles & de tous les ulcéres , l'autre
des quinteffences tirées des trois Regnes ;
& plufieurs Differtations fur les matieres
qui compofent les remédes , & far leurs
préparations. Avec un Difcours Prélimi
naire. Par M. Jourdan de Pellerin , Médecin
Chymyfte. AParis , chez Michel Jombert,
Fiiij
128 MERCURE DEFRANCE.
Porte Saint Michel , à l'entrée de la rue
Hyacinte , & Prault , pere , Quai de Gevres
, 1749. Avec Approbation & Privilége.
LE COMEDIEN , Ouvrage divifé en deux
Parties. Par M. Remond de Sainte Albine.
Nouvelle édition , corrigée & augmentée.
A Paris , chez Vincent , fils rue Saint
Severin.
DICTIONNAIRE UNIVERSEL de Mathé .
matique & de Phyfique , contenant l'explication
des termes de ces deux Sciences ,
& des Arts qui en dépendent , tirés des
Dictionnaires de Mathématique d'Ozanam
, de Wolf, de Stone , & d'un grand
nombre d'autres ouvrages ; avec leur origine
, leurs progrès , leurs révolutions ,
leurs principes , & les fentimens des plus
célébres Auteurs fur chaque matiere . Par
M. Saverion , Ingénieur de la Marine . En
deux volumes in-4°. enrichis de cent planches.
A Paris , chez Rollin , fils , Quai des
Auguftins , à Saint Athanafe , & au Palmier
; Charles-Antoine Fombert , Libraire
du Roi , pour l'Artillerie & le Génie , au
coin de la rue Gille-Coeur à l'Image
Notre-Dame , 1749. Avec Approbation
& Privilége du Roi .
>
Nous ferons imprimer dans le prochain
Mercure quelques uns des articles de ce
AO U 129 爨S T. 1749.
Dictionnaire , afin de donner aux lecteurs
une idée de la maniere dont il eft exécuté.
Charles -Antoine Jombert publiera in
ceffamment un ouvrage intitulé : L'Art de
mefurer fur mer le fillage du Vaiffeau ; avec
l'idée de l'état d'armement des Vaiffeaux
de France . Par le même Auteur. Volume
in-8°. avec figures , fous preffe.
TABLE des Mémoires en faveur de la
Nobleffe de France . Motifs de cet ouvrage
, avec differens autres objets intéreffans
, pour le Roi & fes Sujets , énoncés
dans l'Avertiffement. Mérite de la Nobleffe
Françoiſe , portrait d'un vrai Gentilhomme
, utilité de la Nobleffe dans un
Etat , caufes de fa décadence dans ce
Royaume. La Nobleffe de France , éclipfée
par les gens
de nouvelle fortune , dont
une très - grande partie eft infiniment plus
nuifible à l'Etat , qu'elle ne peut lui être
de quelque utilité. Quelles font les fortunes
légitimes , avantageufes à la Patrie.
La pauvreté de la Nobleffe caufe le déperiffement
dans tous les Etats & Empires
du monde Chrétien . Juvenal fur la pauvreté.
Defcription de la pauvreté , & les
mauvais effets qu'elle produit parmi la
Nobleffe . Le bien du fervice du Roi , &
la puiffance de l'Etat , demandent que la
Nobleffe foit aifée. Anciens exemples qui
Fv
130 MERCURE DEFRANCE.
prouvent cette vérité . Exemples moder
nes qui la confirment. Secours à accorder
a la Nobleffe dans fes quatre âges , de
jeuneffe , d'adoleſcence , de virilité , & de
caducité , dans les deux fexes , fans qu'il en
coûte rien au Roi ni à l'Etat. Pour les vrais
Gentilshommes dans leur adolefcence.
Propofition d'établir à cet effet dixhuit
Colléges Royaux , pour 4320 No
bles , dans les vûes du Roi François I.
Montant de la dépenfe pour de fi beaux
établiſſemens , avec les économies fondamentales
néceffaires . Emplacement à de
beaucoup moindres frais , d'un de ces Col-
Iéges Royaux , dans la Ville de Touloufe.
Facilités à accorder à la Nobleffe
dans les Univerfités , pour le foulagement
des Gentilshommes pauvres. Juftice , &
préferences que le Roi peut accorder à la
Nobleffe dans le parti de l'Eglife . Dans
le Clergé Séculier. Dans l'Ordre Monaſtique.
Aux Demoifelles dans le même Ordre
, au grand foulagement des familles
nobles. Secours propofés pour l'éducation
des Demoiselles dans leur jeuneffe. Prédi
lections qui feroient rechercher en maria—
ge les vraies Demoifelles , malgré leur peu
de facultés. Montagne fur les méfalliances
. Eloge de l'Epée Françoife. Débouché
néceffaire pour la jeune Nobleffe , peu acA
O UST. 131 1749.
commodée des biens de la fortune , par la
création de fix Compagnies de Cadets ,
fur l'établiffement de Louis le Grand . De
la Juftice diftributive . Expédient établi en
Efpagne pour fupprimer les follicitations ,
diminuer confidérablement les frais des
Procès , & en accélerer les Jugemens.
Dureté de la Loi des Fiefs dans le Reffort
du Parlement de Touloufe. Exemple &
conféquences de la Jurifprudence de cette
Cour Priviléges que le Roi peut accorder
à la Nobleffe dans la Robe , dans l'état
préfent de la Judicature. Moyens pour
abréger les Procès , & en modérer beaucoup
les frais , en faveur de la vraie Nobleffe
, fans déranger l'ordre actuel de la
Jurifprudence . Portrait de la Chicane ,
par Mezerai . Eloge du Parlement de
Toulouſe. Permettre à la Nobleffe quelque
efpéce de commerce , fans indécence ,
pour améliorer fon état. Du Commerce
Maritime , & de l'utilité générale & commune
à toutes les Nations de l'Europe
d'en laiffer la Navigation libre en paix &
en guerre , avec les précautions de convenance.
Des Banqueroutes . Expédient pour
conferver les biens dans les familles nobles
, & en prévenir les diffipations , fans
intéreffer la foi publique. Mariages des
Sauvages de l'Amérique , ménagemens &
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
efpéce de politeffe dont ils ufent lors de
leurs féparations , qui devroient être établis
parmi la Nobleffe pour fauver l'honneur
des familles, & pour prévenir les combats
& les meurtres qui arrivent quelquefois
parmi les gens de condition , à quoi il
feroit important & facile au Roi de pourvoir
par les expédiens propofés. Juftice
d'épargner à la Nobleffe les frais inutiles ,
dont le Roi ne profite pas , lors des hommages
& dénombremens. Utilité pour le
Domaine du Roi , de la vente des petits .
Domaines , & de la revente de ceux aliénés
, fous des Albergues au profit du Roi ,
en faveur de la Nobleffe poffédant Fiefs.
Repréſentations fur le fait de la Chaffe ,
à l'égard de la Nobleſſe . Défordres caufés
par l'exceffive licence du port des armes à
feu , prouvés par de nouveaux & funeftes
accidens. Expédient affure pour
faire obferver les Ordonnances renduesfur
un fujet auffi important. Moyen certain
pour faire exécuter les falutaires Déclarations
, qui restent fans effet au fujer
de l'exceffive licence du port de l'Epée ,
& de fes conféquences. Propofition de
rétablir en France l'ancien Ordre de Chevalerie
Militaire par l'inftitution d'un
nouvel Ordre , fur le modéle de ceux de
Saint Jacques, & d'Alcantara en Eſpagne ;
›
A OUS T. 1749. T33
pe
alis
Roi,
par
de Chrift & de Calatrava , en Portugal ;
de Saint Etienne , en Tofcane ; de Saint
Lazare , en France & autres Pays , pour
fecourir la vraie Nobleffe . Origine , Création
& Priviléges accordés à ces fix Ordres.
Juftice de diftinguer dans les Priviléges
les Nobles de pere & de mere ,
d'avec les nouveaux annoblis , & de
ceux qui fe feront méfalliés , ou qui ne
feront pas profeffion de la Religion Romaine.
Compofer un Corps équestre de
Gentilshommes pour le Service du Roi ,
en tems de guerre , au grand foulagement
de l'Etat , dont l'utilité eft prouvée
les fervices importans que de pareils
Corps rendent dans differens Royaumes.
De la néceflité de ramener les domestiques
à leur devoir par des établiffemens
nouveaux , pour les progrès de l'Agriculture
, celui du Commerce , & au
grand avantage du fervice des Maifons
de la Ville & de la Campagne . Etabliſſement
de Maifons de retraite pour la Nobleffe
, dans fon âge de caducité. Une pareille
Maiſon pour nombre de veuves des
Gentilshommes , à établir dans la Ville
de Toulouſe , fans aucun débourfé . Indication
des fonds fuffifans pour tous les établiffemens
propofés , avec quelque fecours.
aux Hôpitaux Généraux , pour leur aider
aules
nes!"
DOX
dus
1cer
sDe
in ce
IX09
* 34 MERCURE DE FRANCE.
au renfermement de partie des coureurs
des faineans , des vagabonds , & des man- ›
dians volontaires , qui augmentent tous
les jours à un excès infupportable. Projet .
de la répartition des fonds indiqués. Conclufion
de ces Mémoires .
Permis l'impreffion ce premier Avril 1745;
Signé , de Morthon , Juge Mage. A Touloufe
, de l'Imprimerie de N. Caranove ,
& Caranove , fils , à la Bible d'or.
Nous fommes priés d'inférer ici l'avertiffement
fuivant.
Charles - Antoine Jombert , vient d'imprimer
une Explication du Flux & Rein
flux , auffi neuve que fon expofition
dans fes véritables circonftances , qui
avoient été déguifées ou diffimulées . En
un volume in- 4° .
On y prouve , 1° . que le Flux , bien
loin de s'étendre de l'Equateur aux Pôles ,
& le Reflux des Pôles à l'Equateur , arrivent
au même tems dans des Ports peu ou
fort éloignés , qui ont pleine & baffe mer
à la même heure , dans des divifions de
mer qui leur font adjacentes , auffi limitées
& entremêlées que celles qu'on fait connoître
par une Table fort curieufe.
2º Qu'il réfulte de cette Table , tirée
du Neptune François & de la Connoiffance
des Tems , & de l'application des
A O UST. 1749. * 39
régles pour prévoir l'heure de la marée ,
que la ftation de pleine mer après le Flux ,
& de baffe mer après le Reflux , n'exiſte
dans les Ports & divifions de l'Océan ,,
que dans des tems differens & inégaux ,
ou femblables , bien loin d'exifter fous
toutes les zones à la fois , ou fucceffive
ment.
3 °. Que la marée , bien loin d'y retarder
chaque jour , comme le retour de la
Lune au Méridien , avance des Quartiers
aux Sizigies dans tout Port d'Europe de
§ heures , 12 à 14 minutes , & en retarde
feulement des Sizigies aux Quartiers , de
quelque inégalité que foit l'intervalle de
ces phafes , & la durée des jours lunaires
qu'il comprend.
4°. Que l'heure de pleine mer cft toujours
femblable en conféquence , dans un
même Port au jour des Sizigies , & toujours
differente de cet efpace de tems au
jour des Quadratures , & d'une partie
proportionnelle aux jours d'intervalle ,
avec une équation déterminée , parce que
felon le nombre de jours & d'heures d'intervalle
d'une phafe à l'autre , elle avance
ou retarde journellement , d'une partie
proportionnelle de 3.12 à 314 minutes.
5°. Que cette heure eft tellement attachée
à la phaſe de la Lune , & à fon âge
136 MERCURE DE FRANCE.
qu'elle a fervi deux fois à M. Caffini ,
pour reconnoître une erreur qui s'étoit
gliffée dans le calcul de la phafe lunaire ,
de même que cette phaſe eſt un Cadran
conftant de l'heure de pleine mer en tous
ces Ports , avec une équation dont les régles
font connues.
6°. Que cependant cette heure eft differente
depuis une heure du jour Aftronomique
qui commence à midi jufqu'à i2 &
demi dans des Ports, auffi voifins que ceux
des Ifles de Zélande , de Fleffingue & de
l'Eclufe , & femblable dans d'autres auffi
éloignés que ceux de Bayonne & Dublin ,
ou de Belle- Ifle & Bergue.
7°. Que l'accroiffement des marées des
Quadratures aux Sizigies , & leur décroiffement
des Sizigies aux Quadratures , eft
peu près périodique comme leur heure ,
avec cette difference que la plus haute marée
n'arrive qu'un ou deux ou trois jours
felon les differens Ports , avant ou après
la nouvelle ou pleine Lune , & la plus foible
avant ou après les Quartiers , & que
partout la marée eft plus forte à une Sizigie
des Equinoxes que des Solftices , &
plus foible à une Quadrature des Solſtice,
que des Equinoxes.
8°. Qu'en toutes conjonctures & cir
conftances Aftronomiques elle a plus d
AOUS T. 1749. 137
S
S
force fous le milieu des zônes tempérées
que fous la zône Torride , à laquelle la
Lune peut feulement être verticale , de
même que le Soleil .
9°. Que la diverfité de leur diftance &
de leur déclinaifon contribue , comme la
proximité d'un Solſtice ou d'un Equinoxe ,
à faire varier la hauteur de la marée , mais
jamais autant que leur configuration actuelle,
qui feule influe fur la variation de l'heure
de pleine & de baffe mer , leur paffage
par leur Méridien ayant plus d'influence
fur la force de la marée , que fur la déter
mination de cette heure.
10°. Que ce Phénoméne n'a pas moins
été déguisé en plufieurs autres circonftances
effentielles , afin de l'accommoder au
Syftême Cofmographique de Copernic &
au Systême Phylique de Defcartes on de
Newton , & qu'afin de ne pas découvrir
combien il leur eft contraire , on n'a pas
moins continué ce déguifement , malgré
les Mémoires lûs à l'Académie des Sciences
de Paris , qui établiffent les articles.
précédens fur des Journaux d'obfervations,
faites à fa follicitation par ordre du Roi
pendant huit ans dans les Ports principaux
de France.
Le même Libraire débite les Lettres fur
la Coſmographie, avec l'Analyſe raiſonnée
138 MERCURE DE FRANCE.
du Systême moderne de Cofmographie & de
Phyfique générale , dont l'un eft un état apparent
du Ciel , fyftématiſé , après avoir
été dreffé & publié en quatre Planches par
M. Caffini , dans les Mémoires de l'Académie
pour 1709; & l'autre un réfultat fyftématique
des expériences les plus ufuelles
fur l'électricité. Prix broché trois livres .
LETTRE
De M. Racine , de l'Académie Royale des
Belles-Lettres , à M. Remond de Sainte
Albine , au fujet de l'Edition qu'on vient
de donner des Lettres de Rouſſeau .
II vous ma Melfiren
E vous porte ma plainte , Monfieur
que vous ayez la bonté de la rendre
publique , du titre d'Editeur des Lettres
de Rouffeau , qu'on a voulu me donner.
Si j'avois été le maître de ce recueil ,
je ne l'aurois préfenté à l'impreffion que réduit
à un petit volume , parce que n'y laif
fant que ce qui peut intéreffer la Littérature
, j'en aurois retranché tous les détails
inutiles , plufieurs critiques d'ouvrages
modernes , & les éloges des miens. J'ai
T'honneur d'être , & c. .
Le 12. Juillet 1749.
Racine.
A O UST. 1749. 139
PLANCHES ANATOMIQUES .
E Sr Gautier vient de préfenter au
Roi lafuirede fes Planches Anatomiques
; il a eu l'honneur de dédier à Sa Majefté
la Céphalatomie ou l'Anatomie complette
de la tête. Le Roi a reçû favorablement
la Dédicace de cet Ouvrage & le
nouveau Livre . L'Auteur à eu l'honneur
d'être préfenté à Sa Majefté par M. le Ma
réchal Duc de Richelieu , Premier Gentil
homme de la Chambre .
Epitre Dédicatoire du Sr. Gautier.
SIRE ,
Avicéne , célebre dans la Médecine
étoit Prince de Cordoue . Mithridate , amateur
de cette fcience , étoit Roi de Pont.
Plus d'un Souverain & plus d'un Potentat
ont cultivé l'art de guérir , & par conféquent
l'Anatomie , qui en eft la baze , j'cferai
donc dédier à Votre Majefté mes tablea
imprimés de l'Anatomie de la tête.
Vous y admirerez , SIRE , la ftructure
de cette partie du corps humain , qui ,
plus que toute autre , diftingue l'homme
des animaux foumis à fon empire. C'eſt
te Temple de la fageffe , le Sanctuaire de
la vertu ; c'eft le moule divin , où ſe forme
140 MERCURE DE FRANCE.
la modération des Conquérans pacifiques
& l'amabilité des Rois chéris de leurs peuples.
Votre Majefté ne dédaignera pas de jetter
les yeux fur des merveilles qui la touchent
de fi près. Je les lui préfente fidellement
exprimées d'après nature . Mon
burin lui fauvera l'horreur que lui inſpireroit
la Nature elle -même , violée par un
fer , peut-être barbare. Ce n'eft que dans
les champs de Mars , que de pareils objets
ne fçauroient ébranler votre intrépidité ,
par tout ailleurs il font capables de faifir
un Roi fenfible , digne du furnom qu'il
tient de l'amour de fes Sujets.
SIRE ,
De Votre Majefté , le très-obéïſſant &
fidéle ferviteur & fujet ,
Jacques Gautier.
L'Auteur diftribue la Myologie complette
de M. Duverney, en vingt Planches,
de couleur & grandeur naturelle , & la
Céphalatomie ou Anatomie de la tête
qu'il vient de préfenter au Roi , en huic
Planches. Il a propofé dans le premier
volume du Mercure de Juin dernier fon
projet de foufcription pour ce qui refte à
donner dans l'Anatomie complette.
A O UST. 1749. 141
MEMOIRE
Que M.7. R. Pereire a lù dans la Séance de
Académie Royale des Sciences le 11 Juin
1749 , & dans lequel, en préſentant à cette
Compagnie unjeune fourd & muet de naiffance
, il expofe avec quel fuccès il lui a
appris à parler. On y a ajoûté plufieurs
obfervations qui n'ont point été lûes à l'Affemblée,
& qui font néceffaires pour un
plus grand éclairciffement. Ce font celles
qu'on trouve en forme de notes au bas des
pages,
M Effieurs , après les gracieux applaudiffemens
que la fçavante Académic
des Belles-Lettres de Caen & nombre de
perfonnes éclairées m'ont fi généreuſement
prodigués fur ma méthode pour ap
prendre à parler & à raifonner aux fourds
& muets , rien n'a pû détourner mon efprit
d'afpirer au bonheur de mériter l'approbation
d'une Compagnie , qui par l'augufte
protection du plus grand des Monarques
& par les incomparables lumieres des
Membres qui la compofent , fait fi dignement
l'admiration & l'ornement le plus
folide de la France , de l'Europe , de l'U.
niyers.
142 MERCURE DE FRANCE.
C'est dans une vûe auffi Aatteuſe , que je
viens vous fupplier , Meffieurs , d'examiner
les effets que mes foins ont jufqu'ici
produit fur M. d'Azy d'Etavigny , fourd
& muet de naiffance , que j'ai l'honneur
de vous préfenter.
Ses progrès actuels fourniront à votre
pénétration admirable affez de matiere ,
pour porter un jugement décifif fur tous
les avantages que les fourds & muets devront
attendre de mon art. J'ai formé ſur
ce fujer un Mémoire qui contient en outre
quelques remarques qui lui font relatives ;
daignez , Meffieurs , je vous prie , en entendre
la lecture.
MEMOIRE .
Ce jeune Sourd & muet prononce diftinctement
, quoique très lentement enco-
-re , les lettres , les fyllabes , les mots , foit
qu'on les lui écrive , foit qu'on les lui indique
par fignes. Il répond de fon chef
verbalement ou par écrit aux queftions familieres
qu'on lui fait ; il en forme lui-
-même très-fouvent , il agit en conféquence
de ce qu'on lui propofe de faire , foit
qu'on lui parle par écrit ou par l'alphabet
manuel dont fon Maître fe fert envers lui ,
fans qu'il foit befoin d'y ajoûter aucun
autre figne qui indique ce qu'on veut qu'il
AOUS T. 1749. 143
faffe . Il demande , par le moyen de fa langue
, les chofes dont il a befoin journellement.
Il récite par coeur le Décalogue , le
Pater & quelques autres prieres, & répond
avec intelligence à plufieurs queftions du
Catéchisme. En Grammaire , il donne l'article
convenable à chaque nom ( rarement
il s'y trompe ) il en connoît un peu la valeur
des cas ; il a une médiocre connoif
fance , principalement dans la pratique
des pronoms dont on fe fert le plus communément.
A l'égard des verbes , non-feulement
il les fçait conjuguer, dès qu'ils font
réguliers , mais il en dit encore la perſonne
qu'on lui demande féparément , de quelque
nombre , tems & mode qu'elle foir
(fon plus fort cependant eft fur l'indicatif.)
Sur les autres parties du difcours , ainfi
que fur la Syntaxe , il connoît , à quelque
chofe près , ce qu'il y en a de plus
néceffaire dans les expreffions les plus
communes & familieres ; il ne donne pas ,
par exemple , un adjectif féminin à un
fubftantif mafculin , ni un pluriel à un fingulier
; il ne fe trompe que rarement fur
les tems , les nombres & les perfonnes des
verbes qu'il fait entrer dans fes expreffions,
fut tout fi c'est au mode indicatif qu'il doit
les employer ; il évite déja bien des répetitions
par le moyen des pronoms & par-
1
144 MERCURE DE FRANCE
ticules relatifs , qu'il employe le plus fou
vent fort à propos. Il obferve finalement
quelques regles d'orthographe paffablement
bien. Il eft de plus à remarquer , 1º.
que fifur tout cela on lui fait des fautes en
lui écrivant , il s'en apperçoit pour l'ordimaire
, & même les corrige , dès qu'on lui
permet de le faire . 2° . Il change fa prononciation
en differentes façons , il parle haut
ou bas , fuivant qu'on l'exige de lui ; il
imite par le ton de fa voix , mais ce n'eft
pas encore bien exactement , les differences
qu'on y fait fentir, lorfqu'on interroge,
qu'on récite , qu'on prie , qu'on commande
, &c. 3 °. Quoique les lettres , & principalement
les voyelles , foient dans le
François fufceptibles de differentes prononciations
, n'y en ayant aucune qui n'en
admette plufieurs , & qui ne devienne
muette dans quelques rencontres , néanmoins
M. d'Azy d'Etavigny ne manque
point à leur donner la valeur convenable ;
s'il s'y trompe quelque fois , ce n'eft que
dans des mots qui lui font inconnus. Il
fçait en Arithmétique , quoique fans fractions
, les quatre Regles , les deux premieres,
même par livres , fols & deniers ; & il
nombre verbalement toutes les fommes
qu'on lui propofe en chiffres. En Géographie
, il diftingue fur la Carte les quatre
parties
A OUS T. 1749. 145
parties du Monde , les principaux Royaumes
de l'Europe , dont il nomme les Capitales
; il étend fon fçavoit fur la France aux
Provinces & aux Villes les plus remarquables.
Il a encore quelques autres connoiffances
qu'on pourroit rapporter à la Chronologie
, comme la divifion qu'il fait de
l'année , du mois , de la femaine à l'Hif- ;
toire , comme la création du monde , qu'il
récite , & même à des fciences plus abftrai
tes , mais il feroit difficile d'en donner
écrit une jufte idée .
par
M. d'Azy d'Etavigny eft âgé de 19 ans.
Pereire commença à l'inftruire dans le
Collège de M. le Duc d'Orléans , à Beaumont-
en- Auge , en Normandie , le 13 Juillet
1746. Dans peu de jours il parvint à
lui apprendre à prononcer quelques mots
intelligiblement ; il eut l'honneur quatre
mois après,de le préfenter à l'Académie des
Belles - Lettres de Caën , où préfidoit , comme
Protecteur , M. l'Evêque de Bayeux
pour y être examiné fur fes progrès , lefquels
étoient déja affez confidérables du
côté de la prononciation , pour le peu de
tems qu'il y avoit que Pereire l'inftruifoit.
Il fut obligé de quitter fon Eleve au commencement
du mois de Mai 1747 , lorf
que celui- ci avoit l'intelligence d'environ
treize cens mots , & lifoit & prononçoit
G
>
146 MERCURE DE FRANCE.
C
tout diftinctement * . Pereire n'a pû repren
dre fon inftruction qu'au 15 Février 1748;
il trouva fa prononciation , faute d'un affez
long ufage fous fa direction , extrê
mement vicieuſe & très peu intelligible ,
enforte qu'on pourroit affûrer, fans crainte
de s'y tromper beaucoup , eu égard aq
tems qu'il a fallu pour la corriger , que tout
ce que M. d'Azy fçait à prefent, a été l'ouvrage
du tems écoulé depuis cette dernie
re époque , c'eft-à- dire , d'environ ſeize
mois.
On obferve , outre la lenteur , une certaine
rudeffe dans la prononciation de
ce jeune homme ; elle provient en partie
des vices contractés pendant les dix
mois d'interruption qu'il a euë , mais prin
cipalement de la roideur de fes organes ,
lefquels avoient beaucoup perdu de leur
flexibilité , lorfque Pereire à commencé à
les faire agir , fon Eleve ayant déja dans
ce tems- là feize ans ** . On juge bien , au
1 . Tout cela fe trouve circonftancié & vérifié
dans les Piéces fuivantes de 1747 , Journal des
Sçavans de Juillet , Mercure de France d'Août ,
Journal de Verdun de Novembre , &c.
** On fent bien que plus les muets feront jeunes
, plus les organes de la parole auront d'aptitude
chez eux pour une prononciation aiſée. Il eſt
certain que pour concevoir , fur tout lorsqu'il s'agit
de ce qui eft abftrait , les plus âgés ont plu
A O UST.
1749. 147
refte , que ces défauts diminueront confi.
dérablement chez lui à proportion qu'il
continuera , fous les foins de fon Maître ,
à faire ufage de la parole , car il n'eft point
douteux que les parties qui la forment, n'acquierent
par ce moyen plus de foupleffe &
d'agilité, & ne lui rendent par conféquent
l'articulation plus facile & plus réguliere .
On voit par lecontenu de ce Mémoire,
que les vûes de Pereire fur l'inftruction
des fourds & muets s'étendent à leur apprendre
non feulement à prononcer tous
les mots de la Langue Françoiſe , ( ou de
feurs avantages fur ceux qui le font moins ; mais
auffi n'eft il pas moins vrai que les enfans , dès l'â–
ge de fix ans & avant même , commencent àcomprendre
un grand nombre de petites chofes , qui
fuffisent à M. Pereire à l'égard de les Eleves , pour
donner l'exercice convenable à leur langue , &
pour les mener infenfiblement à des connoif
fances plus confidérables , & cela avec d'autant
plus de facilité que leur ayant rendu comme natuel
l'ufage de la parole, ils s'expliqueront avec une
aifance que les grands Les grands ne fçauroient acquérir que
par une pratique beaucoup plus longue. Il eft à
propos d'avertir ici que la méthode de M. Pereire,
( qu'il exerce par lui-même & par fon frere feulement
) quoiqu'extrêmement pénible pour lui , n'a
cependant rien de violent ni de défagréable pour
fes Eleves , & n'eft pour eux qu'une espece d'amufement.
M. Pereire pourroit encore le faire aider
par Mlle fa foeur , s'il étoit queftion d'inftruire
quelque Demoiselle.
Gij
14S MERCURE DE FRANCE.
toute autre Langue , pourvû qu'il l'ait apprife
lui-même auparavant , ) mais encore ,
ce qui en eft l'effentiel , à comprendre le
fens de ces mots , & à produire d'eux-mêmes
, tant verbalement que par écrit , toutes
leurs penfées comme les autres hommes
, ce qui par conféquent les rendra
*
* Il y a une très -grande difference ( laquelle eft
beaucoup plus confidérable chez les muets que
dans les autres hommes ,) entre fçavoir prononcer
, & comprendre ce qu'on fçait prononcer ;
cela échappe ordinairement aux perfonnes qui
n'y font point d'attention , ou qui n'ont appris
d'autre Langue que celle de leur pays. Qu'on ſe
donne la peine d'y refléchir , on verra qu'à l'exception
des dictions qui fignifient des chofes vif
bles , prefque tous les mots d'un Dictonnaire font
très difficiles à expliquer aux muets , & que pour
l'ordinaire , fur les chofes purement intellectuelles
, on ne leur fait comprendre que des idées im,
parfaites.
( On a jugé que les remarques fuivantes ne ſeront
pas ici tout-à fait déplacées . )
M. Pereire divife le total de fon inftruction en
deux parties principales : la prononciation & l'intelligence
; il apprend aux fourds & muets , par la
premiere, à lire & prononcer le François ( ou tout
autre langage , s'il en étoit queftion , ) mais fans
Leur faire comprendre que les noms des chofes
vifibles & d'un ufage journalier , telles que les
alimens , & les habillemens ordinaires , les parties,
meubles & immeubles d'une maison , &c. Dans la
Leconde partie, il leur apprend tout le refte de l'inf
truction , c'est- à- dire à comprendre la valeur des
A OUS T. 1749. 149
capables d'apprendre & de pratiquer comme
eux quelque art ou quelque fcience
que ce foit, fi l'on en excepte feulement , à
mots contenus dans toutes les parties du difcours
& à s'en fervir à propos , foit en parlant , foit en
écrivant , conformément aux regles grammatica
les , & au génie particulier de la Langue .
Dès le quinziéme jour d'inftruction , les Eleves
de M. Pereire commencent pour l'ordinaire à prononcer
quelques mots intelligiblement ; pour les
inftruire fur la premiere partie de fon art , il lui
fuffit de douze à quinze mois , fur tout s'ils font
d'un âge encore tendre , mais pour la parfaite
inftruction fur la feconde partie , il lui faut un tems
plus confidérable.
M. Pereire n'exige rien d'avance ; on pourra
convenir avec lui, pour la premiere partie,d'unprix
payable en trois payemens ; le premier ne lui devra
être délivré qu'après que fon Eleve articulera
diftinctement quarante à cinquante mots ; on ne
donnera le fecond que lorfqu'il en fçaura prononcer
quatre à cinq cens , ni le troifiéme , que
quand M. Pereire fe fera acquitté de cette premiere
partie de fon inftruction ; le prix de la feconde
fe réglera fur celui de la premiere , & on
aura égard au tems qu'il lui aura fallu y employer.
Afin d'informer d'une maniere entierement fa
tisfaifante les parens, qui ne réfideront pas à Paris ,
des progrès des Eleves , M. Pereire foumettra au
jugment de Meffieurs de l'Académie Royale des
Sciences , ou à celui de quelques perfonnes éclairées
, dont on conviendra avec lui , la décifion de
ces progrès , pour être en droit d'exiger les récompenfes
qui lui en feront dues.
Avertiffement pour les Etrangers. Si au lieu du
G iij
150 MERCURE DE FRANCE.
l'égard de la pratique , les chofes pour
lefquelles l'ouie eft indifpenfablement néceffaire.
Pereire leur apprend lui- même
l'Arithmétique , & peut leur donner quelques
connoiffances fur le commerce , les
Mathématiques , & c .
On penfe bien que pour parler aux
Eleves de Pereire , il faudra fe fervir
ou de l'écriture ou des fignes ordinaires.
Quoique ce dernier moyen ait
toujours quelque chofe de confus & d'ambigu
, il eft clair néanmoins que les interrogations
verbales , que les fourds & muets
feront obligés de faire pour s'affûrer de ce
qu'on voudra leur dire , fuppléeront à ce
défaut d'une maniere fuffifante.
Outre ces deux moyens de leur parler ,
Pereire en employe un troifiéme qui a les
François , il falloit apprendre à quelque perfonné
muette l'Espagnol ou le Portugais , M. Pereire le
feroit d'autant plus volontiers , que l'orthographe
en eft bien plus ailée ,& qu'il poffede ces deux Lan
gues . Pour inftruire un muet fur un langage dif
ferent des trois mentionnés , il faudroit à M.
Pereire , comme il l'a dit dans le Mémoire , l'ap
prendre lui même auparavant. La Langue Italienne
, dont il a quelque connoiffance , lui feroit
pour cer effet la moins difficile.
M. Pereire demeure à l'Hôtel de Bourgogne ,
fue de Savoye, près des Grands Auguftins à Paris .
Les perfonnes qui voudront lui écrire fone priés
d'affranchir le port des lettres.
A O UST. 1749. 151
avantages d'être auffi expreffif que le premier
, plus bien féant que le fecond , &
plus ailé que tous les deux . C'eft un alphabet
manuel qu'il a appris en Espagne,
mais qu'il lui a fallu augmenter & perfec
tionner confidérablement pour le rendre
propre à parler exactement en François ;
il s'en fert avec une brieveté qui approche
plus de la promptitude de la langue que
la lenteur de la plume. Cet alphabet eft
contenu dans les doigts d'une feule main ,
laquelle fuffit encore à Pereire pour exprimer
en chiffres toutes fortes de fommes, &
pour enfeigner à fes Eleves,bien plus facilement
& plus fûrement que par les métho
des ordinaires , les quatre regles d'Arithmétique.
de
Ce ne font pas là les feules reffources
qui pourront adoucir le malheur de la
furdité dans les éleves de Pereire : ils auront
encore la facilité d'entendre aux mouvemens
naturels des lévres , des yeux , de
la tête , des mains , &c . des perfonnes qui
les fréquenteront , ce qu'on voudra leur
dire. Cette façon de concevoir demande
cependant une étude d'un tems confidérable
, & fera toujours néanmoins fujette à
quelques équivoques , fur tout fi ceux qui
parleront aux muets , ne leur font pas bien
connus , & fi les difcours qu'on leur tien-
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
dra, s'éloignent des converfations familieres
; cependant elle leur fera toujours de
quelque utilité, & pourra être perfectionnée
à la longue par leur propre pénétration
& par la pratique.
Conclufion.
Ce feroit trop abufer de votre complaifance
, Meffieurs , que d'ofer m'arrêter à
vous expofer ici nombre d'obfervations
que je pourrois faire fur le contenu de ce
Mémoire ; j'efpere cependant qu'elles auront
encore lieu, & qu'il me fera même plus
convenable de vous en parler, fi vous me le
permettez , à mesure que vous examinerez
les progrès de mon Eleve , & que vous daignerez
me continuer l'honneur de votre
attention fur chacun en particulier.
Lû par M. Pereire à l'Académie le 11
Juin 1749.
Paraphé par M. de Fouchi , Secretaire
perpétuel de l'Académie Royale des Sciences.
Extrait des Regiftres de l'Académie Royale
des Sciences du 9 Juillet 1749.
୨
Nous avons vû par ordre de l'Académie
nn Mémoire que M. Pereire a lê dans l'Affemblée
du 11 du mois dernier , fur les effets
de fon art pour apprendre à parler aux
fourds & muets de naiffance, & nous avons
A O UST. 1749.
193
•
en conféquence examiné en particulier ce
qu'il y rapporte de M. d'Azy d'Etavigny,
fon éleve , fourd & muet de naiffance.
Ce n'eft point d'aujourd'hui qu'on voit
confirmer par l'expérience la poffibilité d'un
art fi curieux & fi utile ; M. Wallis en Angleterre
& M. Amman en Hollande l'ont
pratiqué avec fuccès dans le fiécle dernier ;
les ouvrages de ces deux Sçavans font connus
de tout le monde ; il paroît par leur témoignage
qu'un certain Religieux s'y étoit
exercé bien avant eux . Emanuel Ramires
de Cortonne & Pierre de Caftro , Eſpagnols
, avoient auffi traité cette matiere
long- tems auparavant , & nous ne doutons:
point que d'autres Auteurs n'ayent encore
écrit & donné au Public des méthodes fur
cet art , ( mais ) l'exemple de M. d'Azy
d'Etavigny eft le premier & le feul dont
nous ayons connoiffance.
On voit par le Mémoire & par les Certificats
que rapporte M. Pereire , qu'il
avoit déja fait d'autres effais de cette natu
re avec fuccès ; qu'il entreprit en Normandie
le 13 Juillet 1746 l'inftruction de ce
jeune fourd & muet , âgé pour lors de 16
ans ; que dans peu de jours il lui appric à
articuler quelques mots , comme papa ,
maman , château , Madame , chapeau : qu'au
mois de Novembre fuivant il le préſenta à
Gy
154 MERCURE DE FRANCE.
l'Académie des Belles- Lettres de Caën , laquelle
trouva qu'il prononçoit déja diftinctement
& avec intelligence , un grand
nombre de mots ; que M. Pereire fut obligé
de le quitter au commencement du mois
de Mai 1747 , dans le tems qu'il avoit conhoiffance
d'environ treize cens mots , &
qu'il commençoit à lire & à articuler paffa
blement ; qu'il reprit fon éleve le 15 Février
1748 , & qu'il a été obligé , par rap
port aux défauts qui s'étoient gliffés pendant
ce tems là dans fa prononciation , encore
peu affermie , de commencer de nou、
veau , pour ainfi dire , fon inftruction , ce
qui fait que M. Pereire penfe avec raifon
qu'on doit réputer le fçavoir de ce jeune
homme comme l'ouvrage de feize mois.
A l'égard des progrès actuels de M.d'Azy
d'Etavigny , quoique ce que nous en avons
vû dans l'Académie nous paroiffe fuffifant
pour en juger, notre devoir néanmoins nous
engage à entrer là-deffus dans un détail un
peu circonftancié.
M. Péreire rapporte dans fon Mémoire ,
& nous avons verifié par l'expérience , que
te jeune fourd & mutet lit & prononce
diftinctement routes fortes d'expreffions
Françoifes ; qu'il donne des réponſes trèsfenfées,
tant verbalement que par écrit , aux
queftions familieres qu'on lui fait par écrit
A O UST. 1749. 255
on par fignes ; qu'il comprend & qu'il exécute
promptement ce qu'on lui propofe de
faire par le moyen de l'écriture ou par l'alphabet
manuel dont fon Maître le fert;
qu'il récite plufieurs prieres par coeur ; qu'il
donne aux noms le genre , le cas & le nombre
qui leur conviennent . Il connoît & employe
à propos les pronoms qui font le plus
d'ufage, & il conjugue les verbes , foit qu'on
lui propofe de le faire d'une façon fuivie ,
foit qu'on lui renverſe l'ordre des modes ,
des tems
,
des perfonnes & des nombres :
il en faut excepter cependant les conjugaifons
irrégulieres & peu communes. Il a
une connoiffance proportionnée au reſte
de fon fçavoir fur les participes , les adverbes
, les prépofitions & les conjonctions,
& il obferve dans la conftruction de la
phrafe & dans l'orthographe plufieurs régles
avec affez d'exactitude . On voit même avec
furprife , que fouventil corrige les fautes
que l'on fait en écrivant, contre l'orthogra
phe ou contre la Syntaxe ; que malgré les
differentes prononciations qu'on donne à
chaque lettre & à chaque fyllabe , il les articule
néanmoins de la maniere qu'on doit
le faire ; qu'il parle à fon gré haut ou bas ,
& qu'il fait fentir quelque difference dans
les tons entre la queftion & la réponſe ,
la priere & le commandement , &c .
G vi
156 MERCURE DE FRANCE!
On obferve que la prononciation de M.
d'Etavigny eft lente , grave , comme tirée
du fond de la poitrine , & qu'il ne lie pas
affez les fyllabes ; M. Pereire en donne pour
raifon principale l'inaction dans laquelle
fes organes avoient demeuré pendant feize
ans, & le trop peu de tems qu'ils ont eu juf
qu'ici pour acquerir par l'ufage la flexibili
té néceffaire à une articulation aifée. Il
n'eft pas douteux que ces irrégularités.
n'ayeut été bien plus confidérables dans le
commencement de l'éducation , & il eft
naturel de penfer qu'elles diminueront de
plus en plus , à mesure que M. Pereire con
tinuera à lui donner fes inftructions.
M. d'Azy fçait les quatre régles d'Arithmétique,
& connoît fur la Carte les parties:
du monde , les Royaumes & les Capitales.
de l'Europe , les Provinces & les Villes
principales de la France .
M. Pereire fe fert fort à propos d'un afphabet
manuel pour s'exprimer avec fon
Eleve , & it le fait par ce moyen bien plus.
commodément & plus brièvement que par
l'écriture , ce qui lui évite l'incommodité:
d'avoir continuellement la main àlà plume.
M. Pereire efpere porter encore fon art
à un bien plus haut degré de perfection , il
vife à inftruire les fourds & muets au point
de comprendre ce qu'on voudra- leur dire
AOUST. 1749. 1'57
aux mouvemens ordinaires des lévres & dur
vifage de ceux qui leur parleront : il reftraint
cependant cela aux perfonnes avec
lefquelles fes Eleves auront de l'habitude ;
leur intelligence avec les autres , dit M
Pereire , fera bien plus bornée ; il faudra ,
pour le faire entendre aux muets , avoir
fouvent recours à l'écriture ou aux fignes
ordinaires :
On voit par l'exemple de M. d'Azy,que
lès vûes de M. Pereire , en inftruifant les.
fourds & muets , font de leur apprendre à
lire , à écrire & à parler la Eangue qu'il
leur aura enfeignée à en comprendre le
fens , à produire d'eux-mêmes leurs pen
fées , foit par l'écriture , foit par la parole,
& à acquérir , comme les autres hommes
toutes les connoiffances , excepté les idées
pour lesquelles la fenfation de l'ouie eft
abfolument néceffaire..
Nous trouvons que les progrès que M
d'Azy d'Etavigny a faits en fi peu de tems,
prouvent très- fuffifamment la bonté de la
méthode que M. Péreire fuit dans fon inf
truction , & démontrent la fingularité de
fon talent pour la pratiquer ; qu'il y a tour
lieu d'efperer que par ce moyen les fourds
& muets de naiſfance pourront non-feulement
prononcer & lire toutes fortes de
mots,& comprendre la valeur de ceux qui
158 MERCURE DE FRANCE :
défignent des chofes vifibles , mais encore
acquérir les notions abftraites & générales
qui leur manquent , & devenir fociables ,
capables de raifonner & d'agir de la même
maniere que font les perfonnes qui ont
perdu par accident l'ouie après avoir
atteint l'âge de raifon. Comme on a
vû de certe efpece de fourds qui com→
prenoient au mouvement des lévres ce
qu'on vouloit leur dire , nous ne faifons
pas difficulté de croire que M. Pereire
pourroit parvenir à donner à fes Eleves
une ſemblable facilité , en y joignant les
reftrictions qu'il marque dans fon Mémoire.
s'il
Nous penfons auffi que l'alphabet manuel
de M. Pereire , pour lequel il n'employe
qu'une feule main , deviendra ,
le rend public , d'autant plus commode
pour les Eleves & pour ceux qui voudront
commercer avec eux , qu'il paroît extrêmement
fimple & expéditif , par conféquent
aifé à apprendre & à pratiquer.
Nous jugeons donc que l'art d'apprendre
à lire & à parler aux muets , tel que M. Pereire
le pratique , eft extrêmement ingénieux
; que fon ufage intéreffe beaucoup le
bien public , & qu'on ne fçauroit trop encourager
M. Pereire à le cultiver & à le
perfectionner.
A OUST. 1749. 359
Au refte il nous paroît qu'il n'a rien exageré
dans fon Mémoire. Fait à Paris ce 9
Juillet 1749. Signé , d'Ortous de Mairan ,
Buffon , & Ferrein.
Je certifie l'Extrait ci-deflus & des autres
parts , conforme à ſon original & au jugement
de l'Académie . Signé Grandjean de
Fouchy , Secretaire perpétuel de l'Académie
Royale des Sciences.
'Académie des Jeux Floraux fera la
diftribution de fes prix le troifiéme
Mai 1750.
Ces prix font une Amaranthe d'or de
la valeur de quatre cens livres , qui eft
deftinée à une Ode.
Une Eglantine d'or , de la valeur de
quatre cens cinquante livres , destinée à
une Piéce d'éloquence d'an quart d'heure ,
ou d'une petite demi- heure de lecture ,
dont le fujet fera pour la même année
1750 :
NOTRE BONHEUR EST EN NOUS - MESMES,
fuivant le fens de ces paroles : Nemo laditur
nifi à fe ipfo.
Une Violette d'argent de la valeur de
deux cens cinquante livres , deftinée à un
Poëme de foixante vers au moins , ou de
cent vers au plus , qui doivent être Ale160
MERCURE DE FRANCE .
xandrins , & dont le fujet doit être héroïque
ou dans le genre noble..
Un Souci d'argent , de la valeur de deux
cens livres , qui eft deftinée à une Elégie ,
à une Idyle ou à une Eglogue , ces trois
genres d'ouvrages concourant pour le même
prix. Les vers en doivent être aufli
Alexandrins , fans mêlange de vers d'autre
meſure.
Un Lys d'argent , de la valeur de foixante
livres , deftiné à un Sonnet à l'honneur
de la Sainte Vierge.
Les fujets des differens genres d'ouvrages
aufquels l'Amaranthe , la Violette & le
Souci , font deſtinés , eft au choix des Autears
, qui font avertis de ne pas fe négliger
fur les rimes & fur toutes les régles de
la verfification , auffi - bien que les Auteurs
du Sonner.
Les ouvrages qui ne font que des Traductions
ou des imitations , ceux qui traitent
dès fujets donnés par d'autres Académies
, ceux qui ont quelque chofe de burlefque
, de fatyrique , ou d'indécent , font
exclus des prix .
Les ouvrages qui auront paru dans le
public , & ceux dont les Autenrs fe feront
fait connoître avant le jugement , ou pour
lefquels ils auront follicité ou fait ſolliciter
les Juges , en font auffi exclus.
A O US T. 1749. 161
Les Auteurs qui traitent des matieres
Théologiques , doivent faire mettre aut
bas de leurs ouvrages l'Approbation de
deux Docteurs en Théologie , ce qui fera
obfervé même à l'égard du Sonnet , fans
quoi ces ouvrages ne feront pas mis au
concours.
pies
On doit faire remettre, dans tout le mois
de Janvier de l'année 1750 , par des perfonnes
domiciliées à Touloufe , trois Co
pies bien lifibles de chaque ouvrage à M.
le Chevalier d'Aliez , Sécretaire Perpé-
Fuel de l'Académie , logé rue des Coûteliers.
Son Registre devant être barré dès
le premier jour de Février , on ne fera plus
à tems à lui remettre des ouvrages , dès
que le mois de Janvier fera expiré.
Les ouvrages feront défignés , non -feulément
par leur titre , mais encore par une
dévife ou fentence , que M. le Sécretaire
écrira dans fon Regiftre , auffi- bien que
le nom , la qualité ou la profeffion , & la
demeure des perfonnes qui les lui auront
remis , lefquelles figneront la réception
que M. le Sécretaire en aura écrite dans
fon Regiſtre , après quoi il leur en expédiera
le récépiffé :
M. le Secretaire ne recevra point les
páquets qui lui feront adreffés par la Pofte
en droiture ,s'ils ne font affranchis de porty
162 MERCURE DE FRANCE:
.
& il ne répondra point aux Lettres qu'on
lui écrira fans avoir cette attention . Les
Auteurs font avertis que l'Académie ex-.
clud même du concours tous les
ouvrages
qui n'ont pas été remis à M. le Secretaire
par une perfonne domiciliée à Toulouſe ,
la voie de la Pofte en droiture étant fujette
à trop d'inconveniens .
M. le Secretaire avertira les perfonnes
qui auront remis les ouvrages que l'Académie
aura couronnés , afin que les Auteurs
viennent eux- mêmes recevoir les
prix , l'après- midi du troifiéme Mai , à
l'affemblée que l'Académie tient dans le
Grand Confiftoire de l'Hôtel - de- Ville où
ils font diftribués. Si les Auteurs font hors
de portée de venir les recevoir eux-mêmes,
ils doivent envoyer à une perfonne domiciliée
à Touloufe , une Procuration en
bonne forme , où ils fe déclarent affirmativement
les Auteurs de l'ouvrage couronné,
& cette perfonne retirera le prix des mains
de M. le Secretaire , fur la Procuration de
l'Auteur , & fur le récépiffé de l'ouvrage.
On ne peut remporter que trois fois
chacun des prix que l'Académie diftribue a
les Auteurs des ouvrages qu'elle décou
vrira avoir enfreint cette loi , en feront
exclus , auffi-bien que les ouvrages qu'on
pourra juftement préfumer être préfentés
fous des noms d'Auteurs fuppofés .
AOUS T. 1749. 163
Après que les Auteurs fe feront fait con
noître , M. le Secretaire leur donnera des
atteftations , portant qu'un tel , une telle
année , pour tel ouvrage par lui compofé ,
a remporté un tel prix , & l'ouvrage en
original fera attaché à ces atteſtations , fous .
le Contre -Scel des Jeux .
Ceux qui auront remporté trois Prix ,
( celui du Sonnet excepté ) & l'un defquels
foit celui de l'Ode , pourront obtenir felon
l'ancien ufage , des Lettres de Maîtres des
Jeux Floraux , qui leur donneront le droit
d'opiner comme Juges & comme étant
du Corps des Jeux , dans les affemblées
générales & particulieres des Jeux Floraux,
& d'affifter aux Séances publiques.
Par les dernieres Lettres Patentes du
Roi , qui autorifent l'augmentation du
prix du difcours , les Auteurs qui auront
remporté trois fois ce prix depuis cerre
augmentation , pourront auffi obtenir des
Lettres de Maîtres des Jeux Floraux , fans
qu'il foit néceffaire qu'ils ayent remporté
des prix de Poëfie.
L'Ode qui a pour titre LA CHASSE , &
pour Sentence Manet fub Jove frigido Venator
tenera conjugis immemor , a remporté
le prix de ce genre d'ouvrage .
Le difcours qui a pour Sentence , Aurum
eft periculum poffidentium ,enervatio virtutum,
164 MERCURE DEFRANCE.
a remporté le prix d'Eloquence de cette
année.
Le Poëme qui a pour titre LE TRIOM
PHE DE LA VERITE' , & pour Sentence ,
Confundentur ab Idolis quibusfacrificaverunt,
a remporté le prix.
Le prix du genre Bucolique a été adjugé
à l'Idyle , intitulée LE LABOUREUR , qui
a pour Sentence : Omne tulit punctum , qui
mifcuit utile dulci.
Le Sonner qui a pour Sentence : Et ſta
tuit aquas quafi in utre , a remporté le Prix
de ce genre.
L'Académie a réſervé un prix de Dif
cours , un prix de Poëme , & deux prix de
Sonnet , qui l'avoient déja été les années
précédentes.
L'Académie Royale d'Angersavoitpriet
pofé 1747 , un prix le fujet
eft le progrès des Sciences & des Beaux Arts.
fous le Regne de Louis XV . avec la liberté
de le traiter en profe ou en vers , & un
prix de Phyfique fur cette question.
Les animaux les métaux ne deviennentils
électriques que par communication ? Pour
quoi ne le deviennent-ils pas par les moyens
que l'on employe pour rendre les autres corps
électriques ?
AOUST. $749. 169
Ces prix devoient être délivrés en
1748 , mais l'Académie s'eft trouvée obligée
de les remettre , & dans une affemblée
publique, tenue le 3 du mois de Juin dernier
, elle a adjugé celui dont le fujet eſt
le progrès des Sciences & des Beaux Arts ,
a une Ode qui eft de M. la Combe , &
qui a pour dévife , Sunt gloria Principis
Artes.
Nous n'en donnons ici que quelques
ftrophes , qui pourront préfenter une idée
de la Piéce , & faire connoître les talens
de fon jeune Auteur pour la Poëfic.
Strophe IV. *
CEffez , vains Héros de la Fable ,
Ceffez de vanter vos travaux ' ;
Une gloire plus véritable
Immortalife vos rivaux
Voyez fur quelle affreufe plage ,
Malgré l'horreur d'un Ciel ſauvage ,
L'amour du vrai conduit leurs pas :
Enfin de la terre étonnée
La figure eft déterminée ,
Les Dieux ont guidé leurs compas.
* Progrès de l'Aftronomie & de la Géographie ;
voyage de Meffieurs de l'Académie des Sciences paur
fixer lafigure de la terre.
166 MERCURE DE FRANCE.
1
Strophe VI. *
Comme, dans fon effor rapide ,
Le fier oifeau de Jupiter
Domine le peuple timide
Qui ſous lui voltige dans l'air :
Ainfi l'amant de Therpficore
Par un vol plus rapide encore
S'éleve entre tous les rivaux ,
Et fur les aîles du génie ,
Jufqu'au Temple de l'Harmonie
Se trace des fentiers nouveaux.
Strophe V11. **
Eft-ce Appollon qui de fa Lyre
Exprime ces accords , ces fons ,
Et parle à l'efprit qu'il inſpire
Le langage des paſſions è
J'éprouve à fon gré la trifteffe ,
Et les tranfports de l'allegreffe ,
Et les accès de la fureur :
C'eſt écho qui ſoupite encore
Zéphyre qui careffe Flore ,
L'Amour qui charme un jeune coeur.
La feconde Ode fur le même fujet , eft
du Pere Chabaud , de l'Oratoire , Profef-
* Progrès de laMusique Lyrique , que M. Ramsan
a étendue de perfectionnée .
** Progrès de la Mufique inftrumentale.
A O UST. 1749. 167
feur de Rhéthorique à Boulogne , &
-Membre des Académies de Villefranche
& de Pau . Elle eft fous cette dévife : Veteres
revolavit artes , Horace,
Nous en donnons également ici quelques
ftrophes.
Strophe X.
L'oubli pour toi n'aura point d'ombres
La Peyronie ! envain la mort t'enleve à nous :
Ton nom , quand tu deſcends dans les royaumes
fombres ,
Eft indépendant de ſes coups,
*
Par tes dons génereux le criminel infame
De nos jours fortunés a prolongé la trame.
Son fupplice eft un double gain :
Par la mort même il nous fait vivre ;
Mutilé , fon corps eſt un Livre ,
Utile à tout le genre humain.
Strophe XII.
Trop long-tems votre petiteffe * ,
Infectes , vous valut nos injuftes mépris.
Sur vous l'obfervateur , qui connut votre adreffe,
A fixé nos regards furpris ;
* Leprogrès de l'Anatomie , par les fondations qu'a
fait M. de la Peyronie à Saint Côme ¿ à la Faculté
de Médecine de Montpellier.
* Progrès de l'Hiftoire naturelle.
168 MERCURE DE FRANCE.
Le docte Réaumur découvre un nouveau monde ;
Que d'animaux vivoient fur la terre & dans l'onde,
Qui n'exiftoient point à nos yeux !
Les Cieux me peignent ta puiſſance ,
Grand Dieu ! mais ton intelligence ,
Dans un Ciron , je la vois mieux .
L'Académie a adjugé le prix de Phyfique
, dont le fujet eft , Les animaux &
les métaux ne deviennent-ils électriques , &c.
à une Differtation qui eft du Pere Beraut ,
Jefaite , Profeffeur de Mathématiques -à
Lyon.
ESTAMPES NOUVELLES.
E. Sieur Moyreau , Graveur du Roi , vient de
mettre au jour une nouvelle Eftanpe , intitulée
, l'Abreuvoir Hollandois , n ° . 62. dè fa fuite.
Cette Eftampe eft gravée d'après un Tableau de
Wouvermens , qui eft dans le Cabinet de M. de la
Haye , Fermier Général .
On trouve chez le Sieur Odieuvre , Marchand
d'Estampes , rue des Mathurins , une Eftampe nouvelle
du portrait du Prince Charles Edouard
Stuard , peint par le Sieur Toqué , & gravé par le
Sieur Bafan. Le même Marchand débite une autre
Eftampe , qui a pour titre , Vue & Perspective
de Londres du côté de la Tamife . Cette Eftampe
eft gravée par le Sieur Tardieu , d'après le Tableau
du Sieur Charles- Léopold de Grevenbroeck.
Le fuccès brillant de l'Abregé Chronologique
de
THE
NEW
YORK
PUBLIC
LIBRARY
.
ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
THE
NEW
YORK UBLIC
LIBRARY
. ASTOR
, LENOX
AND
TILDEN
FOUNDATIONS
.
A O UST. 1749. 169
de l'Hiftoire de France , par M. le Préfident Hemault
, ayant encouragé le Sieur Odieuvre , à former
une fuite complette des portraits des François
Illuftres , il avertit le Public , qu'il a employé
tous les foins pour la rendre auffi parfaite qu'il eft
poffible . Dans le cours de ce mois , il expotera en
vente tous les portraits gravés qu'il a préparés pour
cet ouvrage.
L
E Sieur le Rouge , Ingénieur Géographe du
Roi , vient de publier un nouveau plan de
Paris , dans lequel on a eu foin, de marquer les
fauxbourgs & les marais , tels qu'ils font aujourd'hui
, ce qui le rend entierement different des
anciens.
Q
CHANSON .
Ui la voit un jour feulement ;
Voudroit ne plus voir qu'elle :
Sans peine on dévine comment .
Ce charme-là s'appelle.
**
D'autres auront de plus beaux traits
Et vous plairont moins qu'elle ;
Amour m'a dit par quels fecrets ,
C'eft qu'elle eft mieux que belle.
MICH
H
170 MERCURE DE FRANCE.
Dans les yeux eft un afcendant ,
Dont voici le myſtère ;
Son efprit s'y peint chaque inſtant ;
Jugez s'ils doivent plaire .
****************
SPECTACLES.
E Mardi 1 Juillet , l'Académie Royale de
L as Leycierde
Mufique au remis fur fon Théatre les Caractéres
de Amour , Ballet héroïque , repréſenté
pour la premiere fois le 15 Avril 1739. On peut
s'inftruire dans l'Avertiffement , du mérite des differentes
Mufes à qui le Public doit les vers de ce
Ballet , & de fa premiere deftinée ; cette feconde
édition eft précédée d'une Epitre Dédicatoire à
Monfeigneur le Dauphin , où l'Eloge fincere &
mérité de fon illuftre Epoufe , & celui de notre
augufte Moñárque , ne font pas oubliés.
Dans le Prologue , le Théatre repréſente l'e
de Cythere dans une belle nuit : Venus paroît au
milieu de fa Cour , qui célébre avec la Déelle les
avantages de la nuit . L'Amour defcend des
Cieux , il évoque les ombres des Poëtes renommés
, les invite à publier fa puiflance & la gloire
, & fait le partage des trois Actes du Ballet des
Caractéres de l'Amour dans ces vers .
51 705
Rendez- lui le tribut qu'il exige de vous ,
Il eft conftant , il eft jaloux ,
Et quelquefois il eft volage ,
Mais il eft , quel qu'il fait , digne de votre hommage.
II
A O UST. 1749. 171
>
Un Ballet figuré , ingénieufement compofé , &
bien exécuté par Miles Mimi & Lani & les
Sieurs du Moulin , Aubri & de Vifle , exprime
agréablement ces trois caractéres .
Dans la premiere entrée , deſtinée à l'Amour
conftant , le Théatre repréfente la Fontaine de
Vauclufe , fi renommée par les promenades de
Laure , & tant chantée par l'amoureux Petrarque ;
ce Poëte fameux y revient après une longue abfence
& des périls effuyés , il y rencontre fon ami
Octave , ordonnateur d'une Fête qu'Alphonfe
Prince fouverain d'Avignon , prépare pour Laure
qu'il prétend époufer . Petrarque , par Pindulgence
d'Octave, affifte à la fête, déguifé fous la figure du
Dieu du Rhône ; fa jaloufie éclate ; il eft reconnu
& plaint par Laure , menacé par Alphonfe , qui
vaincu par fa générofité , lui pardonne & unit ces
deux amans fi dignes d'être heureux , d
La deuxième entrée eft remplie par Elmire ,
Princefle Afriquaine ; Arfane , Prince Africain , fon
amant, & Almanfor , fon rival , Prince Sarrazin &
Magicien. La jaloufie y paroît perfonifiée, & évoquée
par le Magicien , elle triomphe & immole
les trois amans à fa fureur.
La troifiéme entrée , confacrée à l'Amour vo
lage , fe paffe dans un agréable féjour champêtre,
où l'inconftance regne fur des coeurs ordinairement
fidéles , & amufe le fpectateur par des fcénes
vives & legeres , & par un divertiffement qui termine,
au gré du Parterre , ce Ballet, dont la Mufi.
que gracieufe eft de la compofition de M. Collin
de Blamont , Sur - Intendant de la Mufique de la
Chambre du Roi, M Lani , Compofiteur des danfes
de l'Académie Royale de Mufique , a fait briller
fon génie & fon goût.
Les Comédiens Italiens ont donné une Piece
Hij
172 MERCURE DE FRANCE.
再
dans le goût ultramontain , intitulée , Arlequin ,
Roi par hazard , qui a plû par ſo ſpectacle & fes
lazi. Le petit Vincent y a danfé avec l'aimable Camille
, & ils ont été foit applaudis.
Les mêmes Comédiens ont remis au Théatre la
Comédie de la Surpriſe de l'Amour , de M. de Marivaux.
Mlle Sylvia , felon fa coûtuine , a charmé
les Spectateurs par fon jeu égaleshent naturel &
fin, & le Sieur Riccoboni s'eft ſurpaſſé dans le rôle
de l'amant.
CONCERTS A LA COUR.
LeSamedi,ar le 23,& leMela
E Samedi 21 Juin , le Lundi 23 , & le Mer-
Reine , le Prologue & les cinq Actes de l'Opéra
d'Atis . Les rôles ont été chantés par les Demoifelles
Chevalier , Fel , de Selle , d'Aigremont ; &
par les Sieurs de Chaflé , la Garde , Jeliotte , Poirier
, Dubourg , Richer & Godonnefche.
Le Samedi 18 , on chanta le Prologue & le
fecond Acte de l'Opera de Tarfis Zelie , de
Mrs Rebel & Francoeur, Sur Intendans de la Mufique
de la Chambre du Roi Les Demoitelles
de Selle & Mathieu en remplirent les rôles , ainfi
que e Sr Benoît .
Le Samedi 12 Juillet , le Lundi 14 , & le Samedi
19 , on executa à Compiègne chez la Reine
POpera d'Iphigenie . Les Demoifelles Laiande ,
Mathieu , de Selle , Canavas , Godonnefche & Bezin
, en ont chanté les rôles , ainfi que les Sieurs
Benoît , Poirier & Dubourg.
A O UST . 1749. 173
AVERTISSEMENT
Sur les Nouvelles Etrangeres & fur le
Journal de la Cour , &c.
L les
Es Auteurs du Mercure ont toujours
négligé d'avertir que , foit pour
Nouvelles de Politique & de Guerre , foit
pour le Journal de la Cour & de Paris ,
ils ont , de tems immémorial , copié mot à
mot la Gazette de France . Tant que M.
Remond de Sainte Albine a compofé ces
deux Ouvrages périodiques , cette omiffion
étoit plus excufable chez lui que chez
un autre. A préfent qu'il n'eft plus chargé
de la Gazette , il fe feroit un fcrupule de
garder là - deffus plus long- tems le filence.
Il annonce donc qu'il continuera de fuivre
l'ufage établi , mais que ne devant à l'avenir
avoir d'autre part aux articles mentionnés
ci- deffus , que le foin de les faire
tranfcrire ou tout au plus abreger , il ne
prétend point fe faire honneur d'aucun
de ces articles.
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
說洗洗洗潔淡淡淡淡淡淡渐渐淡淡
NOUVELLES ETRANGERES .
DE CONSTANTINOPLE , le 10 Mai.
Na arrêté depuis quelques jours plufieurs
particuliers qui tenoient des difcours féditicux.
Le Grand Seigneur , qui avoit été indifpofé
dans le commencement de ce mois , fe poite
beaucoup mieux , L'arrivée d'un courier des frontieres
de la Perfe , a donné lieu à la tenue d'un
grand Divan , après lequel il a été dépêché plufieurs
couriers.
Le Capitan Bacha , commandant la Flotte def
tinée pour aller faire le recouvrement des fommes
dues au Grand Seigneur dans les mes de
l'Archipel , fous le nom de tribut , a mis à la voile
hier :on dit qu'il eft chargé d'ordres fecrets pour
examiner dans fa tournée la conduite de plufieurs
Officiers publics , contre lefquels il y a des plaintes
, & de les punir , s'ils fe trouvent coupables ,
ou par la privation de leurs Charges , ou par la
mort.
•
Il est arrivé hier un courier de Babylone ; depuis
qu'il a remis fes dépêches au Grand Vifir
le bruit court que le nouveau Bacha , envoyé par
le Grand Seigneur dans cette Ville , après y avoir
fait fon entrée en triomphe , avoit fait arrêter une
quarantaine de perfonnes du parti contraire , auf
quelles il avoit fait couper le tête , afin que cet
exemple en imposât aux féditieux , dont le nombre
augmente tous les jours .
Les , trois Députés de la Régence d'Alger furent
admis à l'audience du Grand Vifir ; on dit
A O USTA 175 1749
que l'objet de leur venue eft d'obtenir du Grand
Seigneur quelques Vaiffeaux de guerre pour
être en étar d'en impofer aux Puiffances Chrétiennes
, lefquelles , à ce qu'ils ont affûré , méditent
de concert de les attaquer. Le bruit court que ces
Députés n'ont pas été bien reçûs ; que le Grand
Vifir leur a reproché les excès aufquels ils fe portent
tous les jours par leurs pirateries , fans égard
même à lafoi des Traités , leur notifiant , que s'ils
ne changeoient de conduite , le Grand Seigneur
leur retireroit fa puiflante protection.
S
D'ALGER , le 25 Mai.
+
Ur le bruit qui s'eft répandu , il y a quelques
jours , que le Port d'Oran fe remplifloit de
Vaiffeaux , qu'on y faifoit de grands préparatifs
de guerre, & que les Espagnols avoient pour objet
mre entreprife contre cette Ville , afin de punir la
Régence d'avoir fouffert que les Corfaires donnaflentla
chaffe à leurs Bâtimens, le Gouvernement
a ordonné à tous les Bayts , Caitz , & autres Chefs
de Milice , de raffembler leurs troupes , & qu'el
les fuflent en état de marcher au premier commandement.
La crainte d'un bombardement a
fait prendre auffi differentes mefares pour mettre
cette Ville à l'abri de la bombe. Tous les poftes voifis où l'on pourroit craindre une defcentel, -font déja renforcés
; les fentinelles
de nuit pour crier Palette , ſont doublées , & l'on travaille fans relâche à mettre les Châteaux
& les ouvrages en état de faire une bonne défenfe , en cas que les Efpagino s parviennent
à en faire le fiége dans les
formes .
W
tlfe tint le 17 de ce mois un Divan , dans lequel
il a été déliberé ſur toutes les autres mefures qu'il
Hiiij
176 MERCURE DEFRANCE.
falloit prendre pour le garantir de l'attaque dont
PEtat eft menacé. Il a été décidé que toutes les
troupes fe porteroient fur le rivage , & qu'elles
feroient les derniers efforts pour empêcher que les
Espagnols ne fiffent une defcente.
Le Contre Amiral Frenfel , commandant les
Vaiffeaux de guerre , fervant d'eſcorte à quatre
Flutes Hollandoifes , que les Etats Généraux des
Provinces-Unies envoyent chargées de préfens
pour la Régence , arriva le s du mois paffe dans
cette Ville , & eut une audience du Dey le 7 ;
M. Frenfel étoit accompagné de M. Paravicini ,
Conful de la Nat on , du Comte de Byland &
de M. Heemkerke , Capitaines , en préfentant la
Lettre , dont il étoit chargé de la part de leurs
Hautes Puiffences , il fit un compliment ſur l'objet
de fon arrivée : il expliqua en quoi confil.
toient les préfens que la République envoyoit. Le
Dey marqua dans les termes les plus obligeans la
fatisfaction qu'il reffentoit de l'attention de leurs
Hautes Puiffances à l'égard des Algériens ; mais
M Frenfel , ayant fait apporter les préfens qu'il
avoit ordre de lui remettre en particulier , le Dey
àcette vue ne put contenir fa joie & les tranfports
, il s'écria , que les Etats Généraux étoient
de vrais amis de grands m's , & qu'il étoit aifé
d'en juger par la quantité & la richeffe de leurs
préfens
Le 3 de ce mois , il entra dans ce Port un Bâtiment
Vénitien , venant de Marſeille , chargé de
ſucre & de cire , dont les Corſaires de cette Ville
s'étoient emparés à la hauteur de Civita Vecchia ;
l'équipage a eu le bonheur d'échapper à l'efciaen
gagnant le rivage , à la faveur de la
Chaloupe . Le 10 , un petir Vaiffeau de Ragufe ,
que les Corfaires avoient amené le 7 , fut relâché ,.
1444
vage •
AOUS T. 1749. 177
Fe Capitaine ayant produit un fauve- conduit du
Grand Seigneur , par lequel fa Hauteffe accorde
fa protection aux Bâtimens de la République de
Ragufe , qui commercent , en confidération du
tribut qu'elle lui paye , & qui menace de fon indignation
les Vaiffeaux Turcs , & fpécialement
ceux de Tunis , de Tripoli & d'Alger , qui oferont
troubler les Ragufains dans leur navigation.
DE MOSCOU , le 23 Juin.
Il arriva le 22 du mois dernier , un courier extraordinaire
dépêché par le Gouverneur de Cazan,
avec la trifte nouvelle que le feu avoit réduit en
cendres cette grande Ville , Capitale d'une des
plus fertiles Provinces de Ruffie , fans qu'il eût été
poffible d'arrêter les progrès de l'incendie : elle fur
fentiere , qu'il n'eſt pas resté une feule maifon
fur pied. Ce fâcheux évenement a fait une fi gran
de impreffion fur l'efprit de l'impératrice , qu'elle
a ordonné que les précautions fuffent redoublées
ici , pour prévenir de pareils accidens Le contr'ordre
a été auffi envoyé dans la même crainte
au Directeur des Bâtimens , pour qu'il fit ceffer le
Palais de bors , auquel on travailloit pour loger
l'Impératrice , fon intention étant qu'il foit bâti
de pierre , pour ne pas être expofée aux rifques du
feu
Le Landgrave de Heffe- Hombourg a envoyé
ces jours paffés aux Bureaux des Affaires Etran
geres les titres qui l'autoritent à le mettre fur les
rangs comme Candidat , lorfqu'on procédera às
Election d'un Duc de Courlande. Ce Prince recommande
en même tems fes intérêts pour l'héré .
dité du feu Landgrave de Heffe- Hombourg .
L'Impératrice qui a été fort indifpofée , eft par
H. W
178,MERCURE DE FRANCE.
·
faitement rétablie ; fa Majefté Impériale s'eft rendue
le 3 de ce mois à la Maifon de campagne de
Perrowa ,où elle eft actuellement , tous les Miniftres
Etrangers font venus fui faire leur cour , & la féliciter
fur fa convalescence .
"
La Cour envoya la ſemaine paffée des ordres
dans les Villes Limitrophes de l'Ukraine , pour
qu'on tirât des magazins qui les approvifionnent ,
le bled dont elles pourront fe paffer , pour le verfer
dans cette Province , fa Majefté Impériale
ayant été émûte de compaffion , en apprenant par
les Députés , qui lui ont été envoyés à ce fujer ,
que les fauterelles avoient fait un fi grand ravage
dans ce Pays l'année derniere , qu'il n'y avoit
point eu de récolte , que les peuples y languif
foient , & qu'ils étoient à la veille de périr , à
quoins qu'ils ne fuffent promptement fecourus ,
On affûre qu'après la tenue d'un Confeil , où
PImpératrice a prefidé , il a été dépêché de nouveaux
couriers à Pétersbourg & en Finlande ; on
dit qu'ils portent un contr'ordre pour que la Flotte
qui devoit mettre en mer inceffamment , reftât dans
le Port , & pour fufpendre la marche des troupes
& leur embarquement.
L'Impératrice , le Grand Duc & la Grande Du
cheffe , font revenus le 20 en cette Ville , & dois
vent en partir de main pour le rendre au Monaftére
de Traitza , dans l'intention d'y paffer quelques.
jours. Sa Majesté Impériale , informée que le
Prince Jean , fils du Duc Antoine Ulrich de Brunf
wich , devenoit d'un âge à recevoir une éducation
conforme à fon rang , a fait choix elle-même
des fujets qu'elle a jugés dignes de ce foin : indépendemment
de tous les Maitres qu'elle a nommés
pourl'inftruire de tout ce que doit fçavoir un
Prince de fon rang , elle a ensore envoyé ordre.
A O UST . 1749 179
qu'on lui en donnât pour apprendre les Langues
Ruffienne , Allemande & Latine.
Tous les détails qu'on a reçûs de l'incendie
arrivé à Cafan , confirment la ruine de
grande Ville : rien n'a échappé aux flammes , &
jufqu'aux Archives du Royaume ont été confumées
par le feu ; il vient d'arriver un malheur
égal à Kalogua , Ville diftante de cette Capitale de
cent quatre- vingt werftes ; le dommage y a été
d'autant plus confidérable que tous les magafins
ont été brûlés entierement. Le 4 , le feu prit auffi
à un Village voifin de Perrowa , ou étoit alors
P'Impératrice & fa Cour , ce qui a été caufe que la
Majefté Impériale en eft partie le lendemain pour
fe rendre ici.
Le Comte de Beftuchef, Grand Chancelier , Le
rendit les auprès de l'Impératrice , pour recevoir
fes ordres , à l'occafion de plufieurs dépêches apportées
par differens couriers. Le lendemain , le
Général Bernes , Ambaffadeur de l'Empereur &
de l'impératrice des Romains , confera avec le
Grand Chancelier , & le 7 il dépêcha un couriera
fa Cour.
L'impératrice a envoyé ordre à Pétersbourg ,
pour qu'on habillat de neuf toute la Garde à pied ,
& qu'on lui diftribuât dix Etendarts , dont le premier
fera de fatin banc , relevé par une broderie
d'or aux deux côtés , avec les Armes de l'Empire
au milieu , les bords garnis de franges d'or, Les
neuf autres Etendarts feront de fatin rouge , auffi
relevés d'une broderie d'or.
DE STOCKHOLM , le 30 Juin..
Le Roi continue fon féjour à Carlberg , o fa
Majefté prend alternativement le plaifir de la
Hvj
180 MERCURE DE FRANCE.
chaffe & de la promenade. On apprend de Carelfcroom
, Port fur la mer Baltique , qu'il s'y trouveactuellement
dix huit Vaiffeaux de guerre , & dix
Fregates , prêts à mettre à la voile , quand le befoin
l'exigera.
D'autres avis de Calmar , dans la Province de
Smaland , portent que l'on y avoit lancé à l'eau
ane Galére nouvellement conftruite , & que dans
deux autres Ports , à Westerwich & Norkoping,,,
il en avoit été mifes en mer deux autres , fous les
noms de Jankoping & de l'Ofirogotie.
Le Baron de Scheffer , Colonel au fervice de
France , vient d'obtenir une Compagnie dans le
Régiment des Gardes , & le Roi a accordé à M.
Morath , Capitaine du Régiment du Prince Guftave
, le titre de Major , & lui a permis de donner
fa démiffion pour fa Compagnie.
Le Marquis d'Avrincourt , Ambaffadeur de
France en cette Cour , a de fréquentes conféren
ces avec le Comte de Teffin , & les autres Minif
tres du Roi. Il reçut ces jours paffés un courier de
Norwege , dépêché par l'Abbé le Maire , Miniftre
de France auprès du Roi de Dannemarck ,
On ne doute pas que fa Majefté ne nomme in
ceffamment, un Miniftre pour aller réfider en An
gleterre , le Baron d'Hamilton qui avoit été choifi
pour s'y rendre , ayant fupplié le Roi de l'en difpenfer,
Le Sénéchal Jean. Guillaume Liliemberg.
vient d'obtenir le Gouvernement d'Abo , Ville
Maritime de la Province de Finlande..
>>
A O UST. 1749.3
ALLEMAGNE.
DE VIENNE , le 4 Juillet.
L'Impératrice Reine a approuvé le Réglement
dreflé par le Comte de Choteck , Intendant
Général du Commerce des Provinces Héréditai
res , pour améliorer les Manufactures , & pour
procurer le débit des denrées de ces Provinces.
D
Le 8 du mois dernier , on s'apperçut ici d'un
tremblement de terre . Il dura une minute : le jour
fuivant , on fut effrayé par une feconde fecouffe
mais elle n'occafionna aucun fâcheux accident.
Le 12 , on fentit une troifiéme fecouffe.de trem
blement de terre , il ne caufa aucun dommage dans
cette Capitale , mais il n'en a pas été de même à
la campagne , où il y a eu plufieurs maiſons entr'ouvertes.
On apprend de Neuftadt , que les
Moines d'un Convent fitué dans les Montagnes
avoient été fi effrayés de l'ébranlement de leur
maifon , qu'ils s'étoient fauvés , & qu'un inftant
après elle avoit été convertie én maſure..
Deux Edits viennent d'être publiés : le premier
régle le tems de la durée des Foires , & les droits
percevoir fur les marchandifes & dentées qui s'y
débiteront. Le fecond Edit arrête les droits d'entrée:
& de fortie du tabac , tant du crâ du Pays .
que pour celui qu'en apporté des Pays . Etran
gers,
La groffeffe de l'Impératrice : Reine a été dé
clarée le 14 du mois dernier.
la
Dans l'Edit publié ces jours paffés , qui commue:
P ine de mort , dont étoit , puni ci- devant le
Grime de défention on promet à tous ceux qui
rêteront des déferreurs , loin cavaliers ou toli.
dass , uue: récompenfe, de vingt florins par tête,
182 MERCURE DE FRANCE.
condition qu'ils feront remis entre les mains de la
Justice . Il est défendu par le même Réglement ,
fous peine d'une amende confidérable de leur
donner aucun azile , foit dans les Convents , ou
dans les maifons de féculiers.
Depuis que la Comteffe de Fuchs , Grande Maî.
Troffe de la Maifon de l'Impératrice , prend les
bains a Mannerfdorf , fa Majefté Impériale y fait
de tems en tems des voyages.
On apprend par les dernieres Lettres de Prague
, que le Corps d'artillerie qui eft en quartier à
Budweis & dans les environs , a commencé à faire
fes exercices , depuis Parrivée du Prince de Lichtenftein
qui en eftale Grand Maître.no , ri
Lestroupes quifont en garniſon en Boheme ,
Prague , à Pillen , à Egra , &c. ont ordre de fe te
nir prêtes à marcher pour les camps qu'on doit
former inceffamment. On travaille actuellement
pour qu'elles forent habillées de neuf.
da
L'impératrice Douairiere eft partie le 21
mois dernier pour le rendre à Hertzdorff , où ſa
Majefté Impériale doit paffer cé Elle ya
donné
audience le 24 à M. Blondel, Miniftre de Sa Ma-.:
jotte Très-Chrétienne.
T
f
La levée des recrues pourla Cavalerie eſt.com
pletve , mais on preffe avec chaleur celles de l'In
fanterie , & à mesure qu'il en arrive , on les fait
partir pour leur destination . Les Régimens de
Cavalerie- qui étoient répartis en Hongrie , font:
déja fortis de leurs quartiers , pour aller former less
Camps que l'Imperatrice Reine a ordonnés.
DE BRESLAU , le 6 Juillet.
La nuit du 21 au 22 du mois dernier , il y eu
ici un orage épouventable , dont les faites ont été
AOUS T. 1749. 183
:
les plus funeftes à trois heures après minuit , le
tonneire tomba fur un magafin rempli de cinq
cens milliers de poudre , & y mit le fu : le bruit
épouventable que cet horrible accident occafionna
, ébranla toutes les maifons de la Ville . Le dégât
à la campagne & aux environs occafionné par
la tempête , & par l'éclat de la poudre , a été fost
grand , & il y a péri un grand nombre de Btftiaux.
Le Gouverneur de cette Ville a fair percer dės
mailons , pour fervir de magazins aux effets des
particuliers dont les maiſons font ouvertes , & y
a fait porter des habitans bleffés , afin qu'ils y
trouvent de prompts fecours. Il a dépêché un
courier à Berlin pour rendre compte au Roi des
malheurs arrives en cette Ville.
DE DRESDE, le 7 Juillet.
t
On apprend de Warlovie que le Tribunal Af
fefforial travaille avec beaucoup d'affiduité aux
affaires du Royaume , & que le Grand Chancelier
Malachouski fe trouve régulierement aux féances.
Les mêmes avis ajoutent qu'il paroîtra dans peu
un nouveau Réglement pour augmenter les Fi
nances , qui améliorera le revenu de cette Cou
ronne , fans être à charge aux peuples , & qu'oneft
auffi occupé dans les Conférences , de trouver
les moyens de rendre le Commerce floriffant
& d'y donner plus d'étendue qu'il n'en a eu juf
qu'ici.
Par les dernieres Lettres de Cracovie , on eft
informé que le Prévôt de cette Ville eft mort
à Przifbyllawice , d'une petite vérole qui eft rentrée.
Les troupes de l'Impératrice de Ruffie , revenues
184 MERCURE DE FRANCE.
de Boheme en dernier lieu , ont été mises en garnifon
en Courlande & en Livonie . On écrit de
cette derniere Province , auffi-bien que de l'Eftonie
,qu'ils'en trouvoit un fi grand nombre dans ces
quartiers-là , que l'on avoit été dans l'obligation
d'en faire cantonner une partie dans les Villages
Voifins.
Le Maréchal Comte de Saxe arriva iei de Paris
le 22 leurs Majeftés l'ont reçû avec les témoignages
de la bienveillance la plus fincére . Toute
la Cour s'eft empreffée de fon côté de le féliciter
fur fon heureufe arrivée , & il n'y a perfonne qui
n'ait tâché de lui marquer le vrai plaifir qu'on en
reffenti..
ESPAGNE.
DE MADRID , le 8 Juillet.
E30 du mois dernier , le Roi , la Reine &
l'Infante, qui jouiffent d'une parfaite fanté,
partirent du Château d'Aranjuez pour se rendre
au Palais du Buen - Retiro Le 24 , Fête de S. Jean-
Baptifte , dontle Roi de Portugal porte le nom ,
la Cour fut fort nombreufe , & leurs Majeftés recurent
à cette occafion les complimens des Miniftres
étrangers & de tous les Grands de cette Court
Don Jofeph Cantelmo Estuard, Duc de Popoli,
Prince de Peterano , Grand d'Eſpagne de la premiere
Clatie , Chevalier del'Ordre de Saint Jan»
vier , Commandeur de POrdre d'Alcantara , Gentilhomme
de la Chambre du Roi en exercice pour
Cette année , & Lieutenant Général des armées
de sa Majefté , mourut en cette Ville le 17 du mois
paffé , âgé de cinquan e fix ans Il n'étoit pas
moins recommandable par les fervices importans
A O UST. 1749 185
2
1
C
qu'il a rendus , que par fa naiffance diftinguée.
M. Keene , Miniftre Plénipotentiaire du Roi de
la Grande Bretagne , vient de dépêcher un courier
à Londres , par lequel il envove un ordre de fa
Majefté Catholique , pour la reftitution de tous les
Bâtimens Anglois enlevés pa les Eipagnols depuis
l'expiration du terme indiqué dans les pré iminaires
de Paix, fignés à Aix la Chapelle . Conféquem
ment aux Conférences tenues à cette occafion
entre les Miniftres des deux Puffances , il a é é reglé
que fa Majefté Britannique ordonneroit la
même reftitution en faveur des Négocians de cette
Couronne, qui fero dans le même cas . Avant
que Don Ferdinand Pignatelli partit pour fon
Ambaffade auprès du Roi Très Chrétien , leurs
Majeftés lui ont fait remettre de magnifiques pré-
Lens , pour les rendre de leur part à ſon arrivée en
France à l'Infante Ducheffe de Parme.
On affûre que le Comte de Sade qui eft parti
pour le rendre à Turin , en qualité d'Ambaffadeur
de fa Majeflé auprès du Roi de Sardaigne , a ordre
de remett e au Duc de Savoye le portrait de
Irfante Marie Antoinette.
Le Roi a nommé l'Abbé de Grimaldi , fon Miniftre
auprès du Roi de Suede. Cet Abbé a réfidé
ici , il y a quelques années , en la même qualité ,
de la part de la République de Céves .
Le Comte de Flemming , Miniftre de Suéde ,
arriva ici la ſemaine derniere .
Le Roi travaille avec beaucoup d'affiduité aux
affaires de l'Etat , & à mettre un fi bon ordre dans
les Finances , que les dettes occafionnées par la
derniere guerre , puiffent être libérées fans être à
charge à fes peuples. Sa Majefié a déja obtenu du
Pape un Bref, par lequel Sa Sainteté permet au
Roi de lever un indult de trois pour cent , fur tous
186 MERCURE DE FRANCE.
les revenus Eccléfiaftiques , tant à la nouvelle Efpagne
qu'au Pérou . Ce moyen fouinira des
fommes confidérables , & il eft d'autant plus à
fa place , que le Clergé en Amérique qui y
poflede des biens immenfes , n'a preſque point
contribué , ou du moins fort peu , aux charges
publiques & aux frais de la derniere guerre.
ITALIE.
DE CIVITA VECCHIA , le 29 Juin.
4
A permiffion accordée ces jours paffés au
Smirne , de mettre à terre plufieurs paflagers qui
étoient fur fon bord , & differentes marchandiles
dont il vouloit faire le tranfport , a penſé occafionner
ici un foulevement général . La populace s'eft
attroupée , a couru en foule chez le Commandant
de la Place , & a demandé à grands cris que cette
permiffion fût révoquée . Sur les enquêtes qu'on
fit auffi-tôt pour être informé des raifons qui
avoient occafionné cette rumeur , on apprit que
le peuple fe perfuadoit que fi le débarquement
dont il étoit question fe faifoit , il en résulteroit la
communication du mal contagieux contre lequel
on eft actuellement en garde dans tous les Ports .
*En vain a - r'on voulu faire comprendre à cette pcpulace
allarmée , que fa terreur étoit frivole , rien
n'a été capable de la calmer ; pour la raffûrer & la
faire rentrer dans le devoir , il a fallu révoquer la
permiffion accordée , & envoyer ordre au Vaiffeau
Suédois de remettre à la voile , & de fortir fur
le champ de ce Port.
AOUST. 1749 187 .
1
$
1
DE GENES , le 9 Juillet.
Le Patron d'un Navire venant de Cadix , richement
chargé , qui eft arrivé , il y a quelques jours,
dans cette Rade , a rapporté qu'il avoit rencontré
à la hauteur du Cap de Palo , un Vaiffeau de guerre
de Malte , deux d'fpagne & deux Chebecqs ,
qui croifoient dans les Mers de Catalogne , & qui
donnoient la chaffe aux Corſaires de Barbarie . On
eft informé par la même voye , que l'on attend
avec d'autant plus d'impatience à Cadix le retour
de la Flotte de la Vera Crux & de la Havanne ,
que l'on eft perfuadé dans ce Port , que le projet
d'attaquer les Barbarefques , fuppofé que l'Elpagne
Pait réellement formé , n'aura lieu que lorf
que cette Flotte fera arrivée .
Le crédit de la Banque de Saint Georges com
mence à fe rétablir ; les Billets de cette Banqué
font augmentés depuis quelques jours de quatre
pour cent. La commiffion établie pour cet effet
travaille affiduement aux moyens de lui rendre
#fon ancien crédit .
On apprend de Livourne , par un Vaiffeau Anglois
, arrivé en cinq jours de Navigation , que
les Algériens font dans la confternation , à cauſe
des nouvelles qu'ils ont reçûes des armemens que
differentes Puiffances Chrétiennes vont mettre en
mer pour les punir de leurs Pirateries , & que
Régence de cette Ville a envoyé des ordres pour
que les Corfaires qui fe préparoient à fortir du
Port , dans le deffein d'aller en courſe , ne miffent
point à la voile.
la
188 MERCURE DE FRANCE
GRANDE BRETAGNE.
DE LONDRES Le
, Juillet.
17
L
E 7 de ce mois , le Roi partir du Palais de
Kenfington pour aller à Clermont , Terre appartenante
au Duc de Newcaſtle, & fit l'honneur à
ce Seigneur de dîner avec lui . Plufieurs perfonnes
de confidération y furent invitées. Sa Majesté retourna
le foir à Kensington .
La Compagnie des Indes Orientales s'aflembla
extraordinairement le 2 de ce mois ; l'affaire concernant
les obligations données par le Gouverneur
de Madras , & le Confeil de cet établiffement
, au mois de Septembre 1746 , fut appellée
devant les Proprietaires & examinée par des Jurif
confultes. Conféquemment à leur décifion , il fut
réfolu unanimement que ces obligations , felon les
loix , devoient être acquittées à la réſerve d'une
feule de cent trente mille Pagodes , au profit de
Gouverneur Mourſe , dont il falloit fufpendre le
payement attendu que le Gouverneur & le Confeil
de Madras ont manqué au devoir de leur charge
, & par leur conduite font trouvés coupables
de fraude , & que dans le cas que la Compagnie
put prouver que les poffeffeurs de ces obligations
fuffent complices du monopole , elle feroit en
droit de fe pourvoir contre eux en Juftice ; en
conféquence de cette décifion , la propofition fur
faite d'acquitter les dettes obligatoires , à condi
tion que ceux qui s'en trouvent les poffeffeurs, autoriferoient
la Compagnie par un écrit qu'ils figueroient
, à uftifier la fraude , & à fe pourvoir en
Juftice contre ceux qui s'en trouveroient coupables
, foit que ce fuffent les poffeffeurs des obliga
tions ,ou le Gouverneur , où le Confeil de Madras
AOUS T. 1749. 189
Après de vifs débats , cette propofition paffa à la
negative , & l'affaire demeura fufpendue fine die.
La principale ratfon qui a porté la Compagnie
à
prendre ce parti , c'eft l'espérance qu'elle a conçûe
de recouvrer dans peu les Regiſtres & les pa-
Epiers que les François ont enlevés, orfqu'ils fe font
emparés de Madras & du Fort de Saint Georges ,
mn'étant pas douteux qu'ils ne foient rendus avec
cette Place , ce qui mettant alors la Compagnie à
pportée de vérer le fait , elle le trouvera en état de
juger faisement & équitablement la conteftation .
Le Brigantin Anglois le Thomas Marie , appartenant
à Scarbouroug , Ville de la Province
Yorck, pris, il y a quelques mois , par le Turpin ,
Armateur de Dunkerque , doit être reftitué dans
peu aux proprietaires , parce qu'il a été prouvé
que ce Vaiffeau avoit été enlevé depuis l'expiration
du terme porté par le Traité de Paix . Le Roi
Très Chrétien a ordonné qu'il fût rendu , & que
le Corfa re payât les frais & dommages convenables
pour ce fujet.
On publie affirmativement que le Roi de Pruffe
a envoyé ici une fomme d'argent pour acquitter
Pemprunt qu'il a fait , il y a quelques années , &
qu'il a hypotequé fur la Silefie L'intérêt des neuf
années de cet emprunt , eft fur le pied de fept pour
cent par an,
190 MERCURE DE FRANCE
**********
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 29 Juin , le Roi alla à Choify , & Sa Majeſté
L'en revint le 2 Juillet.
Le 3 de ce même mois , le Roi alla au Château
de la Meutte , & Sa Majeſté fit dans le Bois de
Boulogne la revue des deux Compagnies des
Moufquetaires de fa Garde.
Madame la Dauphine coucha le 25 du mois de
Juin à Gizors ; le lendemain elle arriva à Forges ,
& le 27,
elle commença à prendre les eaux .
Le Roi a difpofé de la Charge de Prevôt & Mai
tre des Cérémonies de l'Ordre du Saint Efprit ,
qu'avoit feu M, Amelot , en faveur du Marquis de
Brezé , Lieutenant Général de ſes Armées.
Sa Majesté a donné la Charge de Maître d'Hôtel
Ordinaire de la Reine, vacante par la mort de
M. Fournier , au fils de M. Helvetius.
Le Maréchal Duc de Belle- Ifle fut reçu le 30
Juin à l'Académie Françoife , & il fit fon difcours
de remerciment , auquel l'Abbé du Refnel, Directeur
, répondit au nom de l'Académie...
Le 3 du mois dernier , les Actions de la Compa
gnie des Indes étoient à dix fept cens trente livres,
les Billets de la premiere Lotterie Royale , à cinq
cens quatre- vingt- dix huit , & ceux de la feconde à
cinq cens foixante-feize .
Le Roi partit le 4 Juillet du Château de la Meutte
, accompagné de Monfeigneur le Dauphin &
de Madame Infante , d'où Sa Majeſtė arriva à
Compiegne le même jour.
A O UST. 1749. 191
La Reine & Meldames de France ne s'y rendi
rent que le 7.
Le , l'Infante Ifabelle eyy arriva dans les caroffes
du Roi.
Madame la Dauphine continue avec fuccès à
prendre les eaux à Forges . Depuis que le tems s'eft
remis , au beau , la Princeffe va les prendre à la
Fontaine. L'empreffement de lui faire la cour y
attire tous les jours la Nobleſſe de la Province , &
une grande affluence de perfonnes de differentes
Villes des environs.
Le 10 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- fept cens quarante- cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale , à cinq cens
quatre-vingt- dix neuf, & ceuxde la feconde àcinq
cens foixante - dix- huit.
Le 13 , la Reine accompagnée de Monſeigneur
le Dauphin & de Mefdames de France , fe rendità
1'Eglife de la Paroiffe du Château , &. Sá Majeſté
y affifta à la grande Melle.
L'après midi , la Reine alla entendre les Vêpres
dans l'Eglife du Monaftere des Religieufes de la
Congrégation de Notre- Dame.
Le foir , le Roi & la Reine , accompagnés de
Monfeigneur le Dauphin , de Madame Intante &
de Meſdames de France , aſſiſterent au Salut du
Saint Sacrement dans l'Eglife Royale & Collégialeide
Saint Clément.
Le 16 , la Reine fe rendit au Convent des Reli
gieufes Carmélites , qui célébroient la Fête de Notre
-Dame du Mont-Carmel. Sa Majefté y entendit
la Grande Meffe , & communia par les mains
de l'Archevêque de Rouen , fon Grand Aumônier,
L'après midi , elle aſſiſta aux Vêpres & au Sermon
du Pere Bouchot , Gardien du Convent des
Cordeliers de Noyon , & le foir elle entendit le
Salut!
192 MERCURE DE FRANCE.
Le 17 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix-huit cens quinze livres les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à fix cens , &
ceux de la feconde à cinq cens quatre vingt.
BENEFICES DONNE'S.
E Roi a accordé l'Abbaye de Saint Martin de
Rouen , à l'Abbé de Gouyon , Aumônier de la
Reine
Celle de Morigny , même Ordre , Diocèle de
Sens , à l'Abbé Drouas , Vicaire Général de l'Archevêché
de Sens..
Celle de Ferrieres , même Ordre , même Diocê .
fe , à l'Abbé Onic , Aumônier du Duc d'Orléans.
Celle de Fontaine- le Comte , Ordre de Saint Auguſtin
, Diocèſe de Poitiers , à l'Abbé de Ribeyreys.
Celle de Marvilles Ordre de Saint Benoît ,
Diocèle de Cambray , à Dom Doffegnies , Religieux
du même Ordre .
#
Celle de la Piéte- Dieu , Ordre de Cîteaux ,
Diocèle de Troyes , à Dom Morice , Religieux du
même Ordre
Celle d'Arrouaife , Ordre de Saint Auguftin ,
Diocèle d'Arras , à Dom Saladin , Religieux du
même Ordra
L'Abbaye de Saint Jean le Grand , Ordre de
Saint Benoît , Diocèfe & Ville d'Autun , à la Dame
le Beck.
Celle de Saint Remy , près Villers- Cotterêts ,
Ordre de Saint Benoît , Diocèle de Soiffons , à la
Daine de Chanut.
Le Prieuré de Moutons , Ordre de S. Benoît ,
Diocèle d'Avranches , à la Dame de Vargemont.
NAIS
A O UST. i749 . 195
諾洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗:洗落
NAISSANCE, MARIAGES
Morts.
E 12 Juillet , eft né & a été baptifé Cefar- Louis-
Marie François- Ange , fils de Claude Conf
tance-Cefar de Houdetot , Comte de Houdetot , Seigneur
de la Paroiffe de Saint Germain de Noards
en Normandie , Chevalier de l'Ordre Militaire
de Saint Louis , & Capitaine -Lieutenant des Gen
darmes de Berry , & d'Elizabeth Sophie- Françoife
de la Live. Il a été tenu fur les Fonts de Baptême
par Louis -Denis de la Live de Bellegarde , fon
ayeul maternel , Seigneur d'Epinay, la Chevrette ,
la Briche , &c. repréſenté par Ange Laurent de la
Live de Jully, fon fils , & par Marie- Louiſe - Françoife
Fillion de Villemur , veuve de Louis Pierre ,
Comte de Houdetot , & époufe d'Alphonfe- Marie-
Louis , Comte de Saint Severin d'Arragon ,
Chevalier des Ordres du Roi , & Miniftre d'Etat ,
Lante paternelle.
Le Comte de Houdetot, pere de celui qui donne
lieu à cet article , étoit fecond fils de feu Charles
de Houdetot , Marquis de Houdetot , Lieutenant
Général des Armées du Roi , Lieutenant Général
de la Province de l'Ile de France , & Commandant
pour le Roi dans la Comté de Bourgogne
, mort le 5 Juin 1748 ; & de feue Catherine-
Magdeleine - Thérefe Carrel , morte le 4 Janvier
1749 .
Le Comte de Houdetot eft de la feconde branche
de fa Maifon , une des plus anciennes de Normandie
, où elle eft connue par les Titres & les
Hiftoires depuis l'an 1934 ; les armes, de toute an
I
194 MERCURE DE FRANCE.
cienneté , font d'argent à une bande d'azur diaprée
d'or de trois pieces , celle du milieu chargée
d'un lion , & les deux autres d'un aigle à deux têtes,
le tout d'or. Voyez cette Généalogie bien détaillée
dans l'Hiftoire des Grands Officiers de la Couronne.
Tom . 8. fol. 16. ¿e.
Le 17 Février
, Louis -Thomas
, Comte
de Humes
de Cherify
, Seigneur
de Ville- Dieu , Deminats
, & autres
Lieux
, Capitaine
de Cavalerie
,
époufa
dans la Chapelle
du Château
de Flogny
,
entre Tonnerre
& Saint Florentin
, Marie-Elizabeth
de Braque
, fille de feu Paul-Emile
de Braque
,
Marquis
de Braque
, Comte
de Loches
, Seigneur
du Luat , Pifcop
, & autres
Lieux
, & de Marie
Genevieve
Amiot
.
Louis-Thomas eft fils de Louis- Benigne , Comte
de Humes de Cherify , Capitaine de Cavalerie au
Régiment de Turenne , & d'Armande -Jeanne-
Blanche Hue de Miromenil.
La Maifon de Humes , originaire d'Ecoffe , eft
une des plus anciennes & des plus grandes de ce
Royaume. Ceux de ce nom en étoient les premiers
Barons. Voyez, Sainte Marthe , Etatgénéral
del Europe , publié en 1680.
Georges de Humes paffa en France fous le regne
de François I. avec Robert Stuart depuis
Maréchal de France fous le nom d'Aubigny ,' Prince
-de la Maifon Royale d'Ecofle , & obtint des Let-
-tres de Naturalité au mois de Juin 1534.
Antoine de Humes , Seigneur de Cherify & de
-Sancy , Gouverneur de Montbelliard & de Flavigny
, prit alliance dans la Maifon de Stuart par
-fon mariage du premier Septembre 1571 , avec
Martine Stuart, Dame de Quicerot, Jours , Samboc
& Vermanton , niéce du Maréchal d'Aubigny , en
-préfence de Robert Stuart ; Seigneur de Vefigues
fon frere.
A O UST. 1749. 195
,
Jean de Humes , Lieutenant des Gardes du
Corps , obtint en récompenfe de ſes ſervices rendus
au fiége d'Amiens le 9 Juin 1611 une perfion
de 2400 livres , & le 30 Juillet 1615 , il fut nommé
Gouverneur du Marquis de Verneuil , frere naturel
de Louis XIII. 1
Charles Antoine de Humes fut nommé Colol-
Lieutenant du Régiment de Condé , par Brever
du 25 Juillet 1648 , & Maréchal de Camp le IS
Août 1652 Louis- Thomas , qui donne lieu à cet
article , eft fon arriere petit- fils.
La Mailon de Braque eft ancienne & illuftre:
Elle a contracté des alliances avec les Maiſons de
Savoye & de Stuart , & elle a fondé le Couvent des
Peres de la Mercy, à Paris , près la rue de Braque ,
où eft encore un ancien Hôtel de même nom.
Le 9 Juin , Claude - Alexandre Touftain , Seigneur
de Crefimes- les Murs , & autres Lieux, Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de S. Louis ,
& fous-Lieutenant des Grenadiers à Cheval de la
Garde du Roi , époufa dans l'Eglife Paroiffiale de
Saint Gervais , Françoile Magdeleine Midy fille de
feu Claude Midy, Conſeiller du Roi , Auditeur en
fa Chambre des Comptes de Paris , & de Marie-
Jeanne le Marchand.
Claude- Alexandre eft fils de François Touftain ,
& de Marie de Mailly.
Le 14, Marguerite Baron , épouse de Pierre Montholon
, ancien Officier desVaiffeaux du Roi, mou-
_rut âgée de 44 ans , & fut inhumée à Saint Paul .
Le 21 , Marie - Charlotte d'Estampes , fille de
Philippe Claude d'Eftampes , Marquis de la Ferté
Imbaut , Colonel du Régiment de même nom ,
mourut âgée de 13 ans , & fut inhumée à Saint
Roch.
Le même jour , Charles Coffin , ancien Recteur
I ij
196 MERCURE DEFRANCE:
"
de l'Univerfité de Paris , & Principal du Collége
de Beauvais , mourut d'une fluxion de poitrine ,
dans la foixante- treizième année de fon âge , étant
né le 4 Octobre 1675 à Zufage , Bourg du Diocefe
de Rheims. Il vint à Paris en 1693 achever fes
études. Les progrès qu'il y fit , & les talens pour
- enfeigner , n'échapperent point aux yeux de M.
Rollin , alors Principal du Collége de Beauvais ,
qui en 1701 le nomma Régent de Seconde dans
ce Collége. Il fe diftingua dans cette place par un
grand nombre de pieces en profe & en vers , qui
furent imprimées chacune dans leur tems , & que
l'on trouve recueillies avec beaucoup d'autres
qu'il a faites depuis , dans un volume imprimé en
1727 chez Quillau , fous ce titre : Selecta carmina
Orationefque clariffimorum quorumdam in Univer-
-fitate Parifienfi Profefforum . Trois Harangues qu'il
prononça ; l'une en 1709 , fur les dangers & les
avantages des Belles Lettres , la feconde en 1710 ,
fur l'utilité de l'Hiftoire prophane , & la troifiéme
en 1712 , fur la mort du Duc de Bourgogne , lui fi
rent auffi beaucoup d'honneur.
2
•
En 1712 , M. Rollin s'étant retiré du Collège
de Beauvais , feu M. de Mefines , Premier Préfident
du Parlement de Paris , chargea M. Coffin de
l'adminiſtration de ce College , qui eft fous la direction
immédiate du Parlement , & au mois de
Juin 1713 , il fut établi Principal en titre .
Il fut élû Recteur en 1 ~ 18 , & continué l'année
fuivante . Son Rectorat fut illuftré par l'établiflement
de l'inftruction gratuite , projet formé par
le Cardinal de Richelieu , & que la faveur & la
protection de M. le Duc d'Orleans , Régeut du
Royaume , réalifa par les foins de seu M. d'Atgenfon
, Garde des Sceaux & Vice- Chancelier. Les
complimeus & les remerciemens que M. Coffin fit
A O UST . 1749. 197
au Roi & au Prince Régent , ont été imprimés,
ainfi que la harangue qu'il prononça au nom de
P'Univerfi é , fur l'heureuſe naiffance de Monfeigneur
le Dauphin.
Connu par fon talent pour la Poëfie facrée, plufeurs
Eglifes lui demanderent des Hymnes à leur
ufage , & le nouveau Bréviaire de Paris en contient
un grand nombre.
Il a été inhumé le 22 dans la Chapelle du Collége
de Beauvais , fur la Paroiffe de Saint Etienne
du Mont.
Le 23 , Jofeph Sevin , Comte de Quincy, Lieutenant
de Roi de la Province d'Orleanois , & Chevalier
de l'Ordre Royal & Militaire de Saint Louis
mourut âgé de 7 ans , fur la Paroiffe de Saint
Roch , & fut tranfporté aux Feuillans .
>
Il avoit époufé en premieres noces Magdeleine
de Seve reuve d'Anne Poitiers , Seigneur du
Parc , morte le 20 Octobre 1729 , âgée de 1
& en fecondes nôces Marie- Magdeleine
Eugenie de Tournai d'Affigny d'Oify, morte le 11
Mai 1738.
ans ;
Il étoit fils d'Auguftin Sevin , Seigneur de la
Carbonniere , près de Brie- Comte Robert , & de
Françoile Clupion de la Boiffiere , petit - fils de
Charles Sevin , Seigneur de Quincy , Maître des
Requêtes , & de Marie le Maître , fille d'Auguftin
le Maître , Confeiller au Parlement.
ร
Cette famille eft ancienne dans la Robe . François
Sevin , ayeul de Chailes , étoit Préfident à la
Cour des Aydes. Il époufa Antoinette le Rebours ,
Dame de Quincy. Jean Sevin , Seigneur de Vitré ,
bifayeul de Charles , demeuroit à Orleans , & fon .
fils Macé vint s'établir à Paris .
Le mêmejour , Gabriel -Jean de Pleurre , Maître
des Requêtes , & Intendant de la Généralité de la
I iij
198 MERCURE DE FRANCE :
Rochelle , mourut dans fon Intendance, âgé d'environ
36 ans. Il avoit été reçû Confeiller au Parlement
en la feconde Chambre des Enquêtes le 26
Mars 1733 , & Maître des Requêtes au mois de Février
1741. Le 1s Janvier 1-42 , il avoit épousé
Adelaide- Sophic l'Epinau , fille unique de Nicolas
l'Epinau , & d'Anne Morel .
Il étoit fils de Jean - Nicolas de Pleurre , Seigneur
de Romilly , Confeiller au Parlement de Paris
le 20 Avril 1701 , & de Marie- Françoife de la
Porte , morte le 15 Avril 1713 , âgée de 32 ans.
Leas , Michel - Jofeph Serrion , Seigneur d'A
gleghen , mourut âgé de 5 ans , & fut inhumé à
Saint Germain l'Auxerrois.
Le 29 , Jean Bodinier , de la Paroiffe de Urriz ,
Dioceſe de Nantes , mourut fans fouffrir aucun
mal , âgé de 102 ans Il avoit toujours joui d'une
pleine fanté , & trois jours avant la mort , il avoit
été à la Meffe à une leue de diftance de fa demeure.
Le premier Juillet , Charles Coffin , Seigneur de
la Quaquetiere , & autres Lieux , Lieutenant Général
d'Artillerie de France, mourut , & fut inhumé
à Saint Jean en Greve.
Les , Magdeleine Andreas du Mefnil , époufe de
N. de Souligné, Confeiller, Secretaire du Roi , Maifon
& Couronne de France & de fes Finances
mourut , & fut inhumée à Saint Roch.
Le 6 , Angélique de Hautefort , veuve de Cefar-
Phebus , Marquis de Bonneval , mourut à Paris
dans la quatre vingt- onzième année de fon âge.
"
Le 7 , Marthe Vergez mourut à Vienne , près
de Nerac , dans la cent dixième année de fon âge.
Elle étoit veuve du nommé Louis Landis , mort depuis
environ deux ans , âgé de 104 ans.
AOUS Τ. 1749. 199
ARTICLE
Sur feu M. le Cardinal de Roban.
E 19 Juillet , Armand Gaſton - Maximilien de
Lohan ,Cardinal Prêtre de la Sainte Eglife Romaine,
du Titre de la Trinité in monte Pancio , tvêque
& Prince de Strafbourg , Landgrave d'Alface ,
Prince du S. Empire , Grand Aumônier de France,
Commandeur de l'Ordre du Saint Efprit, Proviseur
de Sorbonne , Abbé des Abbayes Royales de Saint
Waaft d'Arras , de la Chaife- Dieu , & de Foigny,
l'un des Quarante de l'Académie Françoiſe , &
Honoraire de celle des Infcriptions & Belles Lettres
, mourut à Paris en fon appartement du Louvre
, dans la foixante- feizième année de ton âge.
Son corps a été tranfporté le 21 en l'Eglife Paroiffiale
de Saint Germain l'Auxerrois , & de-là au
Convent des Religieux de la Mercy , lieu de ſa ſépulture.
Il avoit été élû Chanoine de Strasbourg le
Septembre 1690 ; reçû Capitulaire le 6 Septembre
1692, nommé Coadjuteur du Cardinal de Furftemberg
, Evêque de Strasbourg , le 28 Février 1701 ;
facré Evêque de Tiberiade le 26 Juin fuivant , dans
P'Eglife Abbatiale de Saint Germain des Prés , par
le même Cardinal de Furftemberg , qui en étoit
Abbé. Devenu Titulaire de l'Evéché de Strasbourg
en 1704 , il prêta ferment de fidélité au Roi le 15
Juin de la même année . Au mois de Juin 1706 ,
Sa Majesté lui donna fa nomination au Cardinalat
, & le Pape Clement X I. le créa Cardinal le
18 Mai 1712. Il reçut la Barrette des mains de Sa
Majefté le 21 Juillet fuivant . Après la mort du Car,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
•
dinal de Janfon , il fut nommé Grand Aumônier
de France , & en cette qualité Commandeur de
l'Ordre du Saint Eſprit , & il prêta ferment le 10
Juin 1713.
M. le Cardinal de Rohan étoit le quatriéme
fils de François , Prince de Rohan , qui a com
mencé la branche des Princes de Soubife , Ducs
de Rohan - Rohan , Pairs de France , & d'Anne
de Chabot , fille aînée de Henri de Chabot , Duc de
Rohan , Pair de France , & de Marguerite , Ducheffe
de Rohan.
François étoit fils de Hercules , Prince de Rohan
, Duc de Montbazon , Pair de France , & de
Marguerite de Bretagne , fa feconde femme.
Hercules , qui a fait la branche des Ducs de
Montbazon, Pairs de France , étoit fils de Louis VL
du nom , Prince de Guemené , & d'Eléonore de
Rohan , fa parente.
Louis étoit le fixiéme deſcendant de Charles de
Rohan Charles a fait la branche des Princes de
Guemené , il étoit fils aîné de Jean I. du nom ,
Vicomte de Rohan , & de Jeanne de Navarre ,
fille de Philippe , Comte d'Evreux , Roi de Na
varre , & de Jeanne de France. Par cette alliance ,
Jean 1. fut petit fils de Louis Hutin , Roi de France,
& beau-fiere de Philippe de Valois , Roide France ;
de Pierre , Roi d'Arragon ; de Gaſton , Comte de
Foix , & de Charles II . Roi de Navarre.
Le même Jean I. Vicomte de Rohan , étoit le
huitiéme defcendant d'Alain I. du nom , Vicomte
de Roban , mort l'an 1128 .
Alain I. étoit le troifiéme fils d'Eudon I. Comte
de Porhoer , Vicomte de Rennes , & d'Anne de
Leon.
Eudon I. étoit petit fils de Guemené , Comte de
Porhoet ,Vicomte de Rennes , vivant l'an 1008 .
AOUS T. 1749. 201
Tous les anciens monumens , qui concernent
cette Maiſon , prouvent qu'elle eft iffue de celle de
Bretagne , & tous les Hiftoriens , qui en parlent , -
rendent le même témoignage.
M. le Cardinal de Rohan foutenoit une origine .
fi illuftre par tout ce qui peut en relever l'éclat.
Avec l'extérieur qu'il avoit reçû de la nature , il
n'avoit prefque pas befoin des marques de fes dignités
, pour annoncer fa haute naiffance . La no-
Bleffe de fon ame répondoit à l'air de grandeur
qui brilloit dans fa perfonne ; & quelque confidérables
que fuffent fes revenus , à peine paroiffoientils
proportionnés à fon humeur magnifique & bienfaifante.
N'ayant ufé de ſes richeſſes & de fon crédir
,que pour faire le bien; ayant joint toujours, aux
qualités les plus propres à imprimer le refpect , celles
pár lefquelles on réuffit le plus à fe faire aimer, il eft
auffi juftement regretté aprés fa mort , qu'il a été
loué généralement pendant fa vie.
Le Sieur Hericé , Architecte de feu M. le Prince
de Carignan, vient d'achever au mois d'Avril 1749,
deux nouvelles Machines des plus fimples pour
récurer les ports de mer, rivieres, canaux , marais "
étangs , & c. L'une de ces machines eft à double
pelle grillée , qui opere des deux côtés . Elle eft
compofée de quatre treuils feulement , & peut
enlever ( à vingt pieds de profondeur ) tre te pieds
tubes en moins d'un demi quart d'heunre , avec
dix hommes.
ton
ces Ma-
La feconde pour le même fujet eft avec un moupour
faire entrer une pelle dans les forts tufs
que l'on peut rencontrer ; on évitera
chines les balancemens des pelles que
des eaux peuvent occafionner par
par
les courans
la maniere dont
I Y
202 MERCURE DE FRANCE.
les cordages des treuils retiennent ces pelles , lotfqu'elles
font defcendues & montées .
Ceux qui fe trouveront dans le cas d'en avoir
befoin , pourront voir la manoeuvre des modeles
chez M. Chapelet , joignant les Prêtres de l'Ora
toire .
ILy a près de trente ans que M. & Madame
Harrington , compofent , avec leurs enfans , differens
remedes pour le foulagement des malades.
L'intérêt qu'ils prennent à Putilité publique ,
les porte , quant à préfent , à donner avis d'une
pommade où remede extérieur dont ils ufent depuis
bien des années avec un fuccès toujours égal ,
& qui fans altérer l'économie animale , guérit en
peu de tems par la tranſpiration , les paralifies
goutte fciatique , & thumatifimes , amollit & rend
la liaifon & la force aux nerfs , en les allongeant
lorfqu'ils font raccourcis , & rappelle aux malades
leur premiere vigueur. Plus de cinq cens perfonnes
en ont reffenti les bons effets l'année derniere :
les uns extrêmement âgés, qui depuis quinze , vingt
& vingt- trois ans , avoient tenté les remedes ordinaires
, les eaux, &c . fans avoir reçu de foulagement ;
les autres qu'on ne pouvoit depuis bien des années
remuer qu'avec le drap de lit , par les cruelles douleurs
dont ils étoient tourmentés , ont éte guéris par
ce remede , & fe portent au mieux . M. Harrington
eft en état de faire voir quantité de Lettres de remerciemens
, Certificats , Actes paffés devant des
Notaires Royaux , Atteftations de beaucoup de
Meffieurs les Recteurs, Curés , Prêtres & Gentilshommes
, Gardiens ou Prêtres d'Hôpitaux , de Religieufes
Hofpitalieres , & autres de plufieurs perfonnes
de confidération qui affirment ces guéris
J
A OUST 1749. 203
fous , auxquels on peut d'ai leurs écrire , fi l'on
veut être inftruit de l'état actuel des malades gué
ris. Quoiqu'il y ait peu de jours que M. Har
rington foit à Paris , il indiquera des perfonnes
diftinguées qui y reffentent les bons effets de fon
remede , qui rétablit auffi les enfans noués ,
raffermit en vingt- quatre heures les nerfs des membres
démis : ce remede ne peut jamais faire aucun
mal , mais toujours beaucoup de bien.
&
M. Harrington fait fa réfidence en la Province
de Bretagne , fon adreffe eft à M. Harrington de la
Corderie , Chevalier de Saint Lazare , à fon Château
de la Brouffe, par Lamballe , à Matignon.
Ceux qui lui écriront auront agréable d'affranchir
le port.
Quelques affaires l'ont appellé à Paris , où il
pourra refter jufqu'au mois de Septembre , fi pendant
le féjour qu'il y fera , quelqu'un a befoin
de fon fecours , il fe fera un plaifir de le lui donner.
Il occupe le premier appartement au Caffé
Beaulieu , place Maubert,
2
NOUVELLES preuves des effets extraordinaires
des Gouttes du Général de la.
Mothe , qui font voir qu'elles font d'une
grande reffource dans les cas les plus critiques.
L
E troifiéme Juin 1749 , la Dame l'OEillot ;
demeurant à Paris , vieille rue du Temple , au
bout de la rue Paradis , a eu une perte de fang
des plus confidérables pendant deux fois vingtquatre
heures , après un accouchement fort la
borieux pour l'arrêter on la faigna deux fois ,
I vj
204 MERCURE DE FRANCE.
ce qui la réduifit dans une foibleffe extrême , ac
compagnée d'un violent mal de tête jufqu'a
12 du même mois , où ce mal eft devenu à furieux
, qu'elle tomboit fouvent dans des espéces
de convulfions. Elle réfifta pendant deux jours ,
fans vouloir confentir à une faignée du pied qu'on
propofoit ; mais le mal de tête , les convulfions &
les faignemens de nés , devinrent fi exceffifs
qu'elle y confentit ; elle ne pouvoit pas même
prendre aucune nourriture fans vomir . Auffi - tôt
qu'il fut forti environ ` uune poëlette & demie de
Lang,la malade tomba dans une foibleffe convulfive
qui arrêta le fang , & qui dura vingt minutes.
Elle fut jugée fi mal enfuite , que l'Accoucheur affura
qu'à moins d'un miracle , elle n'avoit pas
encore une heure à vivre. Une feconde convul.
fion la reprit encore , ce qui fit juger au Pere Filiftin
, Carme Déchauffé , fon Confeffeur , qui
étoit préfent , que c'étoit fa derniere heure , d'autant
qu'on ne trouvoit plus de pouls.
Madame de Mars , tante de la malade , arriva
dans ce moment . Ayant déja vû des miracles
faits par les gouttes de M. le Général de la Mothe
pour des faites de couches ; elle prit fur elle de
lui en donner vingt gouttes , ce qui la ranima fi
bien qu'elle fut en état de recevoir les Sacremens.
Auffi -tôt apres elle lui en fitreprendre trente gouttes
, enfuite defquelles la vue prefque éteinte ,
auffi- bien que la parole , lui revinrent enfin
quelques heures après on lui en donna encore.
vingt gouttes , ce qui commença à donner au lait
un cours par les urines , avec des fueurs confidérables
, fur tout à la tête : le pouls revint dans fon
état naturel , les maux de tête diminuerent confidérablement
, & enfin à la faveur encore de quelquès
prifes , tous les maux ont difpărù , & le 29
A OUS T. 205 1749 .
du même mois de Juin , la malade a été entierement
en parfaite ſanté.
LETTRE aux Auteurs du Mercure.
C
Omme l'objet principal de vos travaux , Mef
•
j'ai crû que vous voudriez bien lui faire part d'une
découverte fort avantageule pour ceux qui font
dans le cas de faire ufage de remedes pargatifs :
les Medecins font toujours convenus qu'il feroit à
fouhaiter qu'on pût trouver quelques moyens pour
les rendre moins défagréables , non- feulement
pour éviter le dégoût qu'ils caufent en les avalant ,
mais encore pour empêcher que l'effomach ne les
rejette , & que l'on ne perde par ce moyen le fecours
que l'on en efpéroit , en caufant au malade .
une double occafion de dégoût ; plufieurs Artiftes
ont tenté jufqu'à ce jour d'enlever la fadeur de la
caffe , de la manne , du fené , & l'amertume de
la rhubarbe agaric leurs peines ont été inutiles ;
mais le Sieur de la Planche, Maître Apoticaire, rue
da Roulle , y a réuffi : il a communiqué fes décou
vertes à fes Eleves dans le cours de Chymie..
L
E Sieur Flechy , de Paris , ancien Chirurgien-
Major aux Armées & Hôpitaux du Roi , cidevant
Médecin & Chirurgien - Major en chef
desis troupes de Son Alteffe Electorale Palatine ,
Infpecteur Général des Hôpitaux , Chirurgien-
Major Civil des Duchés de Bergue & de Juliers ,
Profeffeur d'Anatomie à Duffeldorff , & Accoucheur
de la Cour , a cru devoir informer le Public
206 MERCURE DEFRANCE.
qu'il traite chez lui toutes les maladies Chirurgi
cales , & particulierement les Maladies Venerieanes
, & les humeurs froides , avec d'autant plus
de fuccès , qu'une longue expérience lui a acquis
une méthode fûre & parfaite , pour le traitement
& la guérifon de celles- ci , quelque invétérées
qu'elles foient. La réputation qu'il s'eft acquife ,
tant dans les Cours Etrangères qu'aux Armées ,
eft un préjugé légitime du fuccès qu'il fe promet
d'avoir à Paris. Il donnera gratis les avis aux pauvres
, depuis midi jufqu'à deux heures. Il demeure
rue Saint Denis , au Café , vis - à - vis la rue de la
Heaumerie , près la Porte- Paris .
L
E Sieur Rofa partira à la fin de Septembre
pour Lyon , pour recueillir les biens confidérables
qui lui ont été adjugés par plufieurs Arrêts.
Il donne avis au Public qu'il y diftribuera fes Bandages
pour les hernies , comme il faifoit à Paris ,
où il a guéri plus de huit cens perfonnes ; il guérit
hommes , femmes & enfans , fans aucune incifion
ni opération , fans prendre aucun reméde par la
bouche , & fans garder la chambre ; il poffède le
fecret de faire plufieurs fortes de bandages fans
fer , qui n'incommodent jamais , quelques exer.
cices que l'on faffe ; il avertit auffi les Dames qui
ont le nombril gâté , & qui cachent leur maladie
aux Médecins ou Chirurgiens , qu'il a le fecret de
guérir radicalement cette maladie , dont plus de
quatre cens perfonnes font mortes depuis le mois
de Janvier dernier , faute d'avoir déclaré leur maladie
, ou du moins l'ayant déclarée trop tard ,
la gangrêne s'y étant mife , & n'y ayant plus pour
lors de reméde .
Geux qui fe trouveront incommodés des fufdiAOUST.
1749. 207
tes maladies , n'ont qu'à lui envoyer la meſure
au jufte , prife fur la chair où le mal fe trouve , &
affranchir les ports de Lettres .
Sa demeure à Paris , eft chez le Sieur Flavigny
Traiteur , rue de la Calandre , près le Palais . Et à
Lyon , Place des Carmes , pres les Terraux.
AVIS AU PUBLIC.
LAveuve du Sieur Bunon, Dentiſte des Enfans de
France, donne avis qu'elle débite journellement
chez elle , rue Sainte Avoye , au coin de la rue de Braque
, chez M. Georget, fon frere , Chirurgien , les
remedes de feu fon mari , dont elle a feule la
compofition , & qu'elle a toujours préparés ellemême.
Sçavoir: 1°. Un Elixir anti -fcorbutique qui raffer
mit les dents , diffippe le gonflement & l'inflam
mation des gencives , les fortifie , les fait recroître,
diffippe & prévient toutes les afflictions fcorbutiques
, & appaife la douleur de dents.
2º. Une Eau appellée Souveraine , qui affermit
auffi les dents , rétablit les gencives , en diffippe
toutes tumeurs , chancres & boutons qui viennent
auffi à la langue , à l'intérieur des lèvres & des
joues , en fe rinçant la bouche de quelques gouttesdans
de l'eau tous les jours , elle la rend fraîche
& fans odeur, & en éloigne les coruptions , elle
calme la douleur des dents .
3. Un piat pour affermir & blanchir les dents ,
diffiper le fang épais & groffier des gencives, qui
les rend tendres & mo laffes, & caufe de l'odeur à
la bouche,
4° Une Poudre de Coral pou blanchir les
dents & les entreteni , elle em, eh. que le limon
208 MERCURE DE FRANCE.
ne ſe forme en tartre , & qu'il ne corrompe les
gencives , & elle les conferve fermes & bonnes ;
de forte qu'elle peut fuffire pour les perfonnes qui
ont foin de leurs dents , fans qu'il foit néceffaire de
les faire nettoyer. Les plus petites bouteilles , font
d'une livre dix fols .
Les plus petites bouteilles d'Eau Souveraine ,
font d'une livre quatre fols ; mais plus grandes que
celles de l'Elixir.
Les pots d'Opiat , les plus petits font d'une livre
dix fols.
Les boëtes de Poudre de Corail, font d'une livre
quatre fols.
Maniere defe fervir des remedes ci deffus ,
& leurs ufages.
Avant de fe fervir de l'Elixir , fi les dents font
chargées de tartre ou autres malpropretés , il faut
les faire nettoyer, & dégorger les gencives , enfuite
fe gargarifer trois ou quatre fois la bouche ,
plus ou moins par jour , de quatre à cinq gouttes
d'Elixir dans un demi verre d'eau tiede ou froide ,
felon qu'il y a de fenfibilité , même d'une demie
cuillerée d'Elixir pur, fi la corruption des gencives
eft plus forte , & frotter avec le doigt , en gargarifant
, & baffiner les endroits de la bouche qui
fe trouveront plus irrités , avec cet Elixir pur ,
s'il eft néceflaire. Pour la douleur des dents , on en
met dans la carrie avec du coton imbibé , & ón le
renouvelle.
On tire un grand avantage de l'Eau Souveraine
, lorfqu'on a la bouche échauffée & de mauvaife
odeur , les gencives tendres & les dents foibles
& branlantes , de même que lorsqu'il y a
quelques petits chancres ou boutons , foit à la
Jangue , aux lévres & à l'intérieur des joues. Pour
A O US. T. 1749.
2༠༡
les premieres circonftances , on fe rince la bouche
cinq à fix fois le jour , d'une demie cuillerée
de cette Eau , dans le quart d'un verre d'eau ,
comme pour l'Elixir , jufqu'à ce que l'échauffement
foit diffippé & les dents raffermies ; il fuffic
après , d'une ou deux fois par jour , le matin & le
foir. Pour les boutons ou chancres , on en met
une demie cuillerée , dans deux ou trois cuillerées
d'eau , qu'on roule dans la bouche , on renouvelle
de momens à autres pendant quelques demies heures
, ce qui fuffit pour diffiper cette incommodité,
L'Opiat blanchit & raffermit les dents , rétablit
le mauvais état des gencives ; il en diffippe
le fang groffier , qui les rend tendres & mollaffes
ce qui caufe de la mauvaiſe odeur pour plus d'effi
cacité , il faut faire ôter le tartre . On prend de cet
Opiat au bout d'une racine , d'une éponge ou
d'un linge , & on frotte les dents & les bords des
gencives autant qu'il eft néceffaire pour les rétablir
après quoi , une fois ou deux par femaine
fuffit.
Pour ceux à qui le goût fait préférer la Poudre
de Corail , ils s'en fervent de même que de l'Opiat
, avec une racine ou une éponge ; le cas où
on la doit préférer à l'Opiat , eft lorfque les gencives
font fermes & faines : elle empêche que l'une
& l'autre ne décheoient de cette perfection ,
elle
conferve la bonne qualité de l'émail & fa blancheur
, & le blanchit , quand cette perfection lur
manque.
On trouve auffi chez elle des Racines préparées &
des Eponges fines.
La veuve Bunon ofe affurer que le Public fera
auffi fatisfait de la bonté deſdits remedes , dont les
Dames de France ont uſé , qu'il l'étoit du vivant de
fon mari.
1
210 MERCURE DE FRANCE;
Ce qu'on doit obferver pour entretenir la
bouche propre conferver les dents .
ur Il est très important d'empêcher que le limon
ne féjourne fur les dents & les gencives ; p
y parvenir , il faut avoir l'attention de le rincer
la bouche tous les matins avant que de manger ;
pour cela , ilfaut fe fervir d'un cure dent de plume,
une petite éponge ou une racine , de quelque
bonne poudre ou opiat , avec de l'eau un peu
tiéde , un peu d'eau- de-vie , de vulnéraire , d'eau
fouveraine ou de lavande , diftilée à la commodité
on volonté des perfonnes : on prend de l'eau dans
la bouche , gargatifant & frottant avec le doigt ,
en comprimant les gencives du haut en bas à la
fupérieure , & du fens oppofé pour l'autre , on
prend le cure-dent enfuite pour dégager le limon
d'entre les dents , doucement , fans effort , & en
prendre de plus minces , s'il eft néceffaire ; après
quoi , on paffe un peu d'eau dans fa bouche , &
puis on prend l'éponge ou la racine , & on frotte
du fens droit les dents , & non de travers , & on
prend garde qu'il ne refte point de limon fur les
rebords des gencives ; & cela , pour éviter qu'il
ne fe forme un tartre ou chancre , & lorfque le
cure-dent , l'éponge ou la racine, ne peuvent ôter
le limon déja un peu attaché fur les dents , alors
il faut fe fervir d'un peu de poudre ou d'opiat ,
en frottant avec la même éponge ou racine , lé
gerement & n'en point mettre trop fouvent , ne
s'en fervant que lorfque les dents ne peuvent être
bien nettoyées fans ce fecours , & lorfque le tartre
eft trop attaché , & qu'il mange les gencives ,
il faut faire nettoyer les dents plus tôt que plus
tard ,, pour éviter le danger. Il faut habituer de
bonne heure les enfans à fe laver la bouche , &
AOUST. 1749. ΣΤΗ
avoir recours à l'oeil & à la main du Dentiſte au
befoin. Les jeunes femmes après leurs groffeffes
doivent faire examiner leur bouche , pour prévenir
la perte des dents , & les accidens qui s'enfuiil
faut auffi fe rincer la bouche après le
vent ;
repas.
50Z 302 522 506 JOE 50% 502 502 502 : 502 386 502 502 5
ARRESTS NOTABLES.
ARREST du Confeil d'Etat du Roi,
du 30
`Décembre 1738 , portant reglement pour .
l'adminiſtration des deniers communs du Corps &
Communauté des Marchands de Vin , & pour la
reddition des Comptes des Maîtres & Gardes du
dit Corps & Communauté.
AUTRE du 26 Avril 1746 , portant regie.
ment pour l'adminiſtration des deniers communs
du Corps & Communauté des Marchands de win ,
& pour la reddition des comptes des Maîtres &
Gardes dudit Corps & Communauté.
EDIT du Roi , donné à Versailles au mois
Avril 1749 , portant fuppreffion des Jurifdictions
des Prévôtés , Châtellenies , Prévôtés -foraines ,
Vicomtés , Vigueries , & toutes autres Jurifdictions
Royales établies dans les Villes où il y a des
Siéges de Bailliage ou Sénéchauffée ; & réunion
aux Bailliages ou Sénéchauffées desdites Villes.
ARREST du 29 , portant que les Négocians
acquitteront les quatre fols pour livre des droits des
Marchandifes qu'ils ont fait & feront venir de l'é
212 MERCURE DE FRANCE.
tranger , ainfi que le montant des foumiffions par
eux fournies pour raifon des mêmes quatre fols
pour livre fur les Marchandifes qu'ils ont tirées de
l'étranger depuis le mois de Mars 1746.
AUTRE du même jour , qui ordonne que le
heur Sanfon , Receveur des Confignations à Paris ,
remettra dans le jour de la fignification d'icelui ,
à l'Adjudicataire des Fermes Générales unies , une
fomme de quatre mille huit cens quarante - fept
livres quinze fols trois deniers , provenans de la
vente des biens immeubles faifis réellement fur
Jean Chaudun , Receveur des Gabelles à Brou ,
reliquataire , & ce , fans aucune diminution ni retenue
du droit de Confignation prétendu par ledit
feur Sanfon.
2
ORDONNANCE du 8 Mai , concernant
les Compagnies de bas Officiers de l'Hôtel Royal
des Invalides.
ARREST du 10 , qui ordonne l'exemption du
Dixiéme pour les Rentes créées par Edit du pré
fent mois.
'
AUTRE du 31 , qui permet aux Prieur &
Religieux de Saint Martin des Champs , de continuer
de tenir un Bac fur la riviere de Marne au
lieu d'Annet , & de percevoir , pour le fervice du.
paffage , les droits qui y font énoncés.
AUTRE du 10 Juin , portant reglement fur
la preftation de ferment & l'enregistrement des
Provifions des Officiers des Greniers à fel dans les
Bureaux des Finances.
A O UST. 1749. 213
AUTRE du même jour portant nomination
des perfonnes qui figneront les Coupons des Reconnoiffances
qui doivent être fournies par le
Tréforier de la Caiffe générale des Amortiffemens
aux acquéreurs des Rentes créées par Edit du mois
de Mai deraier,
AUTRE du même jour , qui fait défenfes à
toutes perfonnes , de quelque qualité & condition
qu'elles foient , de faire fortir des Provinces de
Flandre , du Haynault , de Picardie , d'Artois &
du Soiffonnois , pour l'Etranger , aucuns Lins ou
Filets gris ou écrus , ni aucuns Fils retors , qui ne
foient teints ou blanchis.
AUTRE du même jour , qui ordonne que
les Poffeffeurs des maifons & héritages , fitués
dans la Ville de Caen , & tenus de Sa Majefté en
fief , rôture , franc- bourgage ou franche bourgeoifie
, feront tenus de repréfenter leurs titres de
proprieté aux Receveurs & Contrôleurs Généraux
des Domaines de la Généralité de Caen , pour être
enregistrés & contrôlés,
ORDONNANCE du Roi du 6 Juillet ,
qui détend à fes Sujets , réfidens dans les Echelles
de Levant & de Barbarie , d'y acquerir des biens
fonds.
A VIS.
O
Des Auteurs du Mercure.
N prie ceux qui doivent des Mercures
, de les
payer dans le courant
de ce mois.
J
APPROBATION.
Ai lû par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le Mercure de France du mois d'Août
#749. A Paris , le premier Août 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY.
TABLE.
IECES FUGITIVES en Vers & en Profe.
Places FUGITIVES en vers &
"
Phébus & l'Amour , Ode Anacréontique ,
L'Abeille , Emblême de l'Amour ,
La gentilleffe & la beauté , réunies
3
22
25
27
Lettre de M. D. D. à M. Remond de Sainte Albine
,
Refléxions fur la transfufion du fang ,
29
33
Le Retour du Printems . Divertiſſement Paſto-
49
ral ,
Extrait
d'un
Difcours
Latin
fur la Paix
, prononcé
par le Pere
du Rivet
, Jefuite
, au College
des
des
Jéfuites
de Caën
,
S &
1
Parallele de Louis XV ayec Louis XIV , 72
Reflexions fur la nouvelle Carte de M. de
Thury ,
Madrigal ,
Naïs , Cantatille ,
78
84
85
87
90
Lettre touchant le vrai nom d'un Poëte François
du quinziéme fiécle ,
Amphion , Cantatille ,
Confeils d'un ami à une Dlle par un Auteur añonyme,
92
Lettre fur le Problême d'Arithmétique propofé
par M. Faiguet ,
Séance publique de l'Académie Françoiſe ,
97
106
Mots de l'Enigme & des Logogryphes du Mercure
de Juillet ,
Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , des Beaux-Arts , &c .
113
ibid.
117
Lettre de M. Racine à M. Remond de Sainte Albine
, au fujet de l'Edition des Lettres de Rouffeau
,
138
139 Planches Anatomiques du Sr Gautier ,
Mémoire lû par M. Pereire dans la Séance de l'Académie
Royale des Sciences au fujet d'un fourd
& muet , auquel il a appris à parler ,
Programme de l'Académie des jeux Floraux , 159
Celui de l'Académie Royale d'Angers ,
141
Eftampes nouvelles & Plan de Paris ,
Chanfon notée ,
Concerts à la Cour ,
Spectacles ,
164
168
169
170
172
Avertiffement fur les Nouvelles Etrangeres & fur
le Journal de la Cour , & c.
Nouvelles Etrangeres ,
173
174
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c . 190
Bénéfices donnés ,
Naiflance , Mariages &Morts ,
194
193
Article fur feu M. le Cardinal de Rohan ,
Son Eloge ,
& c.
1.99
201
202
Machines pour récuter les Ports de Mer , & c. 201
Pomade les Paralifies , pour
Guérifon extraordinaire , opérée par les Goutes
de feu M. le Général la Mothe , 203
Secret pour rendre les médecines moins déa
gréables ,
Avis du Sr Flechy ,
Du Sr Rofa ,
De la veuve Bunon ,
Arrêts notables ,
-La Chanfon notée doit regarder la page
201
ibid.
206
2.97
211
169
i .
De l'Imprimerie de J. BULLOT.
23
MERCURE
DE FRANCE,
1 1
DÉDIÉ AV ROI.
SEPTEMBRE . 1749 .
IGIT
||
UT
"
SPARGGAT
Chez
A PARIS ,
ANDRE' CAILLEAU , rue Saint
Jacques , à S André .
La Veuve PISSOT, Quai de Conty ,
à la defcente du Pont- Neuf.
JEAN DE NULLY , au Palais .
JACQUES BARROIS , Quai
des Auguftins , à la ville de Nevers.
M. DCC . XLIX .
Avec Approbation & Privilege du Roi.
A VIS.
La
ADRESSE générale duMercure eft
à M. DE CLEVES D'ARNICOURT ,
ruë des Mauvais Garçons , fauxbourg Saint
Germain , à l'Hôtel de Mâcon . Nous prions
très - inftamment ceux qui nous adrefferont
des Paquets par la Pofte , d'en affranchir le
Port , pour nous épargner le déplaifir de les
rebuter, & à eux, celui de ne pas voirparoître
leurs Ouvrages.
Les Libraires des Provinces on des Pays
Etrangers , qui fouhaiteront avoir le Mercure
de France de la premiere main , plus promptement,
n'auront qu'à écrire à l'adreſſe ci-deſſus
indiquée ; on fe conformera très-exactement à
leurs intentions,
Ainfi il faudra mettre fur les adreſſes à M.
de Cleves d'Arnicourt , Commis au Mercure
de France , rue des Mauvais Garçons , pour
remettre à M. Remond de Sainte Albine.
PAIX XXX. SOLS .
MERCURE
DE FRANCE ,
DÉDIÉ AU ROI.
SEPTEMBRE
. 1749.
PIECES FUGITIVES,
en Vers & en Profe.
LE PRINCE DE NOISY.
S
Ballet héroïque.
Ans doute les Habitans des Provinces
nous fçauront gré , de
leur faire lire un ouvrage ingénieux
, qui n'eft connu que de
la Cour , & d'un certain nombre de perfonnes
de cette Capitale. Ce Ballet a été
repréſenté devant le Roi , fur le Théatre
des petits Appartemens. Le Poëme eft de
M. de la Bruere , qui dans fon Ballet des
A ij
4 MERCURE DE FRANCE
Voyages de l'Amour , & dans l'Opéra de
Dardanus , avoit donné des preuves brillantes
de fon talent pour la Poëfie Lyri
que. Meffieurs Rebel & Francoeur , Sur
Intendans de la Mufique de Sa Majesté ,
out compofé la Mufique du nouveau Ballet
, & elle n'a pas été moins applaudie
que les paroles.
PERSONAGES,
Le Druide , Enchanteur , pere d'Alic.
Choeur de Gnomes.
Alie , fille du Druide .
Le Prince de Noify , connu fous le nom
de Poinçon , & amant d'Alie.
Un Druide , Grand Prêtre , & Ordonna
nateur des Jeux .
Druides , & Peuples des Gaules.
Un Suivant du Druide.
Moulineau , Géant & Magicien , amou̟-
reux d'Alie .
Suite du Druide , déguiſée en Saltimbanques.
Génies & Fées
SEPTEMBRE . 1749 .
CICACACSCava cacacaca
ACTE PREMIER .
Le Théatre repréfente l'endroit le plus
épais d'une Forêt , orné de Monumens
antiques , entre lefquels eft le Bufte de
Cléopatre on voit le Chêne facré où
l'on doit couper le Guy ; au pied eft un
Autel ruftique.
QUAUQUQUQYAHÝNY DUPERCEL DU KON
SCENE PREMIERE.
E
LE DRUIDE.
Sprits qui commandez aux ombres ;
Et qui tremblez fous mes loix ,
Sortez de vos antres fombres ,
Venez , accourez à ma voix.
Les Gnomes fortent du fein de la terre
à la voix du Druide.
Choeur des Gnomes.
Sortons , accourons à la voix.
Le Druide.
L'avenir , dont mon art fçait percer les ténébres ,
Ne m'annonce en ce jour que des objets funébres.
Le Ciel feroit - il le foutien
Du perfide ennemi qui me livre la guerre
A iij
6 MERCURE DE FRANCE!
Ce monftre , le mépris & l'horreur de la terre ,
Verroit-il fon deftin l'emporter fur le mien
Choeur des Gnomes.
D'un Oracle irrévocable
Obferve les décrets ;
Crains un danger redoutable ,
Si tu méprifes fes Arrêts.
Le Druide.
J'ai fuivi vos confeils , j'ai fait dès fon enfance
Conduire dans ces lieux le Prince de Noify :
Enfermé dans ce Bufte , il y garde en filence
Ce Glaive précieux , ma plus chere eſperance.
Je lui cache avec foin que mon coeur l'a choifi
Pour lui donner ma fille & ma puiffance.
Le fecret de fa naiffance
Doit refter enseveli
Jufqu'au jour de ma vengeance.
On danfe .
Le Choeur.
Contre l'Amour & fes traits
Défens leur foible jeuneffe :
S'ils connoiffent fes fecrets ,
A l'inftant ton pouvoir ceffe.
On danſe .
Le Druide.
Le Deftin a prefcrit qu'une heure chaque jour
Ils puiffent fe voir & s'entendre,
SEPTEMBRE. 1749.
Par leur fimplicité je cherche à les défendre.
Hélas ! c'eft un foible détour
Un regard éclaire un coeur tendre
Sur tous les fecrets de l'Amour.
Les Gnomes fe retirent.
SCENE I I.
LE DRUIDE , ALIE.
Seigneur
Alie.
Eigneur , déja l'heure s'envole ,
Poinçon devroit être en ces lieux.
Quoi ne verra- t'il point les Jeux ?
Le Druide.
Quel foin ! quelle crainte frivole !
Poinçon va paroître à vos yeux ..
Ma fille , occupez - vous du danger qui nous preffe
Contre l'Amour gardez bien votre coeur ,
Songez qu'un éternel malheur
Suivroit un inſtant de foibleffe .
Alie.
Je fçais combien je dois redouter fa fureur.
Vous me l'avez trop dit ..... Mais que Poinçon
paroiffe.
Le Druide touche avec fa baguette le
piédeftal du Bufte de Cléopatre. Poinçon
en fort ; il vole vers Alie , qui va au-devant
de lui avec le même empreffement .
A iiij
8 MERCURE DE FRANCE.
Le Druide.
Pendant les Jeux facrés
L'Enchanteur cherche à me furprendre :
Préfidez tous les deux à ces Jeux réverés ,
Tandis que je vais vous défendre .
M
SCENE III.
POINÇON , ALIE .
Poinçon .
On coeur peut donc s'ouvrir au plaifir le plus
doux ;
Je foupirois déja de ne point voir Alie.
Ah ! je voudrois retrancher de ma vie
Tous les momens que je paffe fans vous.
Vous ne partagez point ma vive impatience ;
Le doux plaifir regne en ces lieux charmans ;
Il abrege pour vous les heures de l'abſence ,
Et j'en compte tous les momens.
1
Alie.
Cette retraite eft embellie
Par l'effort de l'art enchanteur ;
Mais aucun des plaifirs dont je la vois remplie ,
Aucun n'a ce charme flatteur
Que vous portez dans mon ame ravie .
Au fein de ces plaifirs , vous manquez
coeur ;
Quandje vous vois , je les oublie
à mon
SEPTEMBRE . 1749 . 9
Poinçon.
Que cet aveu m'eſt doux ! que mon fort eſt heureux
!
Alie.
Notre bonheur dépend de notre obéiffance .
Si le fatal Amour diſpoſoit de nos voeux ,
Nous fommes menacés des maux les plus affreux .
Poinçon.
Aidons - nous l'un & l'autre à braver fa puiffance.
Alie.
Quoi ! les piéges qu'il tend font ils fi dangereux ?
Poinçon.
On dit que fous fon esclavage ,
Par l'efpoir le plus doux il fçait nous attirer ;
Mais quel bien peut defirer
Un coeur que remplit votre image ?
A peine le mien tout entier
Suffit à l'amitié dont le noeud nous engage :
Loin de chercher aucun partage ,
Il voudroit fe multiplier ,
Pour vous aimer davantage.
Eh ! quel bien peut défirer
Un coeur que remplit votre image ?
Alie.
Vous peignez tous mes fentimens :
Les grandeurs , les tréfors , les plaifirs , les délices
>
A v
10 MERCURE DEFRANCE
Je les donnerois tous pour un de nos momens
Et je ne croirois pas faire de facrifices .
Enfemble .
Porte ailleurs tes enchantemnens ;
Fuis , Amour , tyran redoutable .
Alie.
Vous plaire , vous aimer , eft le bien véritable,
Enfemble .
Porte ailleurs tes enchantemens ;
Fuis , Amour , tyran redoutable.
Poinçon.
Je trouve dans vos yeux charmans
Un tréfor inépuisable
De plaifirs , de raviffemens.
Enfemble .
Fuis , Amour , tyran redoutable ,
Porte ailleurs tes enchantemens.
SCENE I V.
POINÇON , ALIE , LE
GRAND
PRESTRE , Ordonnateur des Jeux ;
Druides & Peuples qui viennent célébrer
la Fête du Guy facré.
Poinçon.
Vous , Divinité puiffante ;
Que nous cache l'horreur de ces Bois ténébreux,
SEPTEMBRE . 1749. LI
Recevez l'encens & les voeux
Qu'un peuple foumis vous préfente.
Le Choeur.
O vous , Divinité puiſſante , &c.
Poinçon.
De nos chants harmonieux
Que ce Bocage retentiffe ;
Que tout l'Univers applaudiffe
A la gloire de nos Dieux.
Le Choeur.
De nos chants harmonieux , &c.
On danfe.
Le Grand-Prêtre.
L'heure approche , il eft tems : venez , Miniſtręs
faints +
Du fer facré venez ariner mes mains.
Sur une Symphonie myftérieufe , on apporte
la Faucille d'or , & les Urnes dans
lefquelles on doit brûler l'encens.
Le Grand- Prêtre.
Prophanes , détournez vos regards téméraires,
Peuple fidéle , fuivez- moi
Aux Autels des Dieux de nos Peres.
Frémiffons tous d'un faint effroi ,
En célébrant ces auguftes Myftéres
Le Choeur
Frémillons tous , &c.
A vj
12 MERCURE DE FRANCE.
Poinçon.
Rameau divin , gage mystérieux ,
Quittez votre tige adorée .
Brûlez , encens , brûlez dans cette Urne ſacrée ,
Montez jufqu'au trône des Dieux .
Le Grand- Prêtre coupe le Guy facré ;
les Druides vont l'adorer : enfuite les Peuples
célébrent la Fête par
des danfes .
Poinçon , alternativement avec le Choeur.
Les ris & les jeux
Regnent dans ces lieux :
Sans chaînes ,
Sans peines ,
Tout flatte nos voeux.
D'un Dieu dangereux
Evitons les feux :
L'Amour de nos jours
Troubleroit le cours :
Les craintes ,
Les plaintes ,
Le fuivent toujours.
On danfe.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs.
H.
SEPTEMBRE 1749.
13
Le Grand-Prêtre.
S'il a d'abord quelques douceurs
Bientôt il fait fentir fa rage.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage , & c.
Le Grand-Prêtre.
7
S'il a d'abord quelques douceurs ,
Bientôt il fait fentir la rage.
Le Choeur.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs.
Le Grand-Prêtre , avec le Choeur.
C'eftun Soleil brûlant qui confume & ravage
Les champs où fon aurore a fait naître des fleurs.
Banniffons de ce Bocage
L'Amour , ce tyran des coeurs,
Poinçon au Grand-Prêtre,
Daignez m'apprendre à le connoître
Pour m'aider à l'éviter mieux.
Le Grand-Prêtre.
Quand on aime , on ſe donne un Maître.
L'esclave le plus malheureux
Eft plus libre cent fois que le coeur qui foupire ;
C'est pour l'objet aimé qu'il vit & qu'il refpire ;
Tous les fentimens , tous fes voeux
Dépendent de ce qu'il aime.
Un coeur vraiment amoureux
14 MERCURE DE FRANCE.
Devient étranger à lui-même ,
Pour être tout entier à l'objet de les voeux.
Poinçon courant vers Alie.
Dieux ! Quel trait de lumiere a paffé dans mon
ame !
C'étoit l'Amour , Alie....
Alie , avec effroi.
Ah ! Je lis dans mon coeur..
Quoi ! Le fatal Amour....
Poinçon.
Ne craignez point fa flamme :
Un fentiment fi doux peut- il être une erreur ?
On entend le bruit du tonnerre ; le Ciel
s'obfcurcit ; la terre tremble ; tous les Monumens
fe brifent. On voit , fur le piédeftal
du Bufte qui renfermoit Poinçon , le
Glaive d'or , qui jette une vive lumiere au
milieu de l'obſcurité.
SCENE V.
Les Acteurs de la Scéne précédente , un
Suivant du Druide.
Le Suivant du Druide.
LEE Ciel contre nous fe déclare.
Le Druide eft vaincu ; fon ennemi barbare
A mes yeux l'a chargé de fers.
SEPTEMBRE. 1749 19
Poinçon.
Hélas ! Mon imprudence a caufé ce revers.
Ce Glaive précieux du moins nous refte encore..
Il prend le Glaive magique.
Glaive cher & facré , daignez armer mon bras.
Alie.
Contre un Tyran cruel que pourriez-vous , hélas ?
Tout l'Enfer le feconde.
Poinçon.
Er moi je vous adore.
L'Amour qui vient de m'égarer ,
L'Amour m'encourage & m'éclaire ;
C'est lui qui va réparer
La faute qu'il m'a fait faire.
L'Ordonnateur.
J'approuve ces nobles tranſports.
Mais il faut du Tyran tromper la vigilance.
Venez , fuivez mes pas , vous fçaurez quels ref
forts
Peuvent fervir votre vaillance.
Venez, fuivez mes pas , courez à la vengeance.
Poinçon & le Chaur.
Courons, courons à la vengeance.
16 MERCURE DE FRANCE.
ACTE II.
Le Théatre représente les Jardins de Monlineau.
SCENE I.
MOULINEAU.
IL gémit dans les fers , ce Druide orgueilleux
Qui m'ofa refufer Alie :
La main qu'il dédaigna , l'accable & l'humilie ;
Malgré lui , je vais être heureux.
Efprits , qui fervez ma puiffance ,
Hâtez vous , conduifez Alie en ce ſéjour :
Que le triomphe de l'Amour
Suive celui de la vengeance.
Les Génies s'envolent pour aller chercher
Alie. On entend une fymphonic
gaye.
Quels fons !... Quels doux concerts !
SEPTEMBRE. 1749. 17
SCENE II.
MOULINEAU, POINÇON conduiduifant
les Suivans du Druide travestis en
Saltimbanques , qui arrivent en danfant.
Qu
Moulineau.
Uel fpectacle nouveau !
Poinçon à Moulineau.
Ces jeux vous font offerts,
Notre art eft de féduire ,
Notre gloire eft de le dire ;
Le plaifir nous inſpire ;
Offrez-lui , pour être heureux ,
Vos voeux.
Nos jeux
Scauront vous inftruire
Des loix qu'il veut preſcrire :
Cedez tous
A fon empire.
Quel deftin peut être plus doux
Pour vous ?
Qui le cherche , le voit paroître ;
Qui s'y livre le fent renaître :
Tout vous invite à dire avec nous ,
C'eft notre Maître.
Moulineau à Poinçon.
Quel eft ton fort
18 MERCURE DE FRANCE.
Poinçon.
Tout cede à mes charmes puiffans :
Je diffipe à mon gré la trifteffe fauvage ;
L'Amour vole à mes accens
Et le plaifir eft mon ouvrage.
Moulineau.
Pourſuivez vos jeux , j'y confens.
On danſe .
Poinçon , alternativement avec le Chanr.
L'éclat de la grandeur
N'eft fouvent qu'une erreur.
Cherchez-vous le bonheur !
Ecoutez votre coeur.
Un moment vient s'offrir ,
Vous devez le faifit :
On ajoute au plaifir ,
Lorfqu'on fçait en jouir,
Un coeur tendre
Doit attendre
De beauxjours
Filés toujours
Par la main des Amours:
Le Choeur.
Aimons , aimons fans ceffe ;
Redoublons nos feux ;
Le penchant qui nous preffe
Nous égale aux Dieux.
SEPTEMBRE. 19 1749.
Poinçonfeul.
La troupe légere
Des ris & des jeux ,
Du Dieu de Cythere
Vient former les noeuds.
Petit Choeur de femmes.
La raifon fe fait entendre ,
Elle vient pour nous défendre.
Poinçon feul.
Mais le coeur inquiet
Redit en fecret :
Aimons , &c.
On danfe .
Poinçon.
'A nos concerts l'Amour préfide ¿
Peut-on trop chanter ſes attraits
Du vrai bonheur feul il décide ;
A l'envi prévenons fes traits :
Si quelques maux fuivent fes chaînes ,
Doit-on craindre un doux lien ?
Un jour finit les peines ;
Le paffé n'eft rien.
On danfe.
Moulineau.
J'aimé , & de la beauté dont mon coeur eft épris,
Bien- tôt je me verrai le maître.
zo MERCURE DE FRANCE.
Que dites-vous ?
Poinçon.
Moulineau.
Alie à tes yeux va paroître ;
De ma victoire elle fera le prix.
Poinçon à part.
Je préviendrai ce moment redoutable.
Moulineau,
Apprens-moi le fecret de lui paroître aimable.
Poinçon .
Pour plairé, l'art ne peut prêter
Qu'une foible impoſture ;
C'eft le fecret de la Nature ,
Qu'en vain il voudroit imiter.
D'une ardeur fincere
Laiffez vous enflammer :
S'il eft un art pour plaire ,
C'eft de bien aimer.
Moulineau.
J'entens peu ce fubtil langage :
Je te charge du foin de lui vanter ma foi
Et moi je punirai le rival qui m'outrage ,
Poinçon.
Vous avez un rival ?
SEPTEMBRE, 21 1749.
Moulineau.
Rien n'eft caché pour moi :
Je poffede en ces lieux un Oracle infaillible ,
Il m'a dit qu'Alie eft fenfible.
Poinçon.
A-t'il nommé l'objet de fes defirs fecrets
Moulineau.
Un Prince de Noify que je ne vis jamais,
Poinçon.
Vous croyez que fon coeur.....
· Moulineau ,
La preuve en eft certaine ;
Jamais mon art ne m'a trahi .
Je vais de mon ennemi
Appéfantir encor la chaîne.
Attens ici mon retour ,
Et pendant que ce foin m'appelle ;
Prépare une fête nouvelle
Pour l'objet de mon amour,
Il fort.
SCENE III.
POINÇON &fafuite..
ALie en aime un autre ! Alie étoit parjure I
Quel trait empoisonné vient de frapper mon coeurà
Mais fi c'étoit une impofture ...
22 MERCURE DE FRANCE.
?
Que dis je , hélas ! & quelle eft mon erreur !
Qui peut à me tromper engager l'enchanteur
Toi , qui femblois fi bien m'entendre ,
Tu répondois à d'autres voeux !
L'amour qui brilloit dans tes yeux ,
Cet amour que j'ai crû li tendre,
N'avoit donc pour objet que mon rival heureux ?
Je fuccombe , je cede à mes maux rigoureux.
Le Choeur.
Trahirez vous notre eſpérance !
Poinçon.
La mort est tout ce que je veux.
Le Choeur.
L'Amour eft outragé , vivez pour la vengeance)
Le Druide enchaîné …… ..
Poinçon.
Quel reproche !
Le Choeur.
Poinçon.
Armez vous.
I languit dans les fers... & par mon imprudence.
Périſe l'enchanteur , qu'il tombe fous mes coups! ..
Le Choeur.
Périſſe l'enchanteur, qu'il tombe ſous vos coups.
SEPTEMBRE.
1749. 23
Poinçon.
N'efperons point de vaincre en ces lieux fa puiffance
;
Un fecours plus certain doit fervir mon courroux.
Au milieu de nos chants, préparez vos guirlandes ,
Déposez à les pieds nos magiques offrandes ,
Et bientôt le fommeil viendra fermer les yeux.
Il faut chanter l'Amour , fes plaifirs & ſa flamme,
Lorſque le déſeſpoir trouble & remplit mon ame.
Le tyran reparoît , recommencez vos jeux.
La fuite de Poinçon danfe autour de
Moulineau , & l'enchaîne avec les guirlandes
enchantées. Poinçon lui offre une
Couronne de fleurs.
Poinçon , alternativement avec le Chaur
Laiffez-vous couronner
De ces fleurs qui parent nos têtes,
L'Amour va vous enchaîner ,
Tout puiflant que vous êtes ;
Mais les fers qu'il veut vous donneṛ
Valent toutes vos conquêtes.
On danſe .
Moulineau,
Interrompez vos chants ; Morphée & fespavots
Me font reffentir leur puiſſance,
Attendez en filence
24 MERCURE DE FRANCE.
Mes ordres pour des jeux nouveaux.
Moulineau s'endort,
Poinçon.
Le charme eft accompli , frappons notre victime,
Ilfrappe Moulineau du glaivefacré.
De ce Monftre cruel j'ai purgé l'Univers,
A fa fuite,
Partez , & du Druide allez brifer les fers.
J
SCENE : IV.
Poinçon feul.
E ne puis réfifter au défir qui m'anime.
Je veux dans ce Palais refter quelques inftans ,
Interroger cet Oracle moi - même.
Une réponſe affreufe eft tout ce que j'attens ,
Mais pour condamner ce qu'on aime ,
Peut-on vouloirtrop de garants !
Ah dans le trouble que je fens ,
C'eft un bonheur extrême
Que de pouvoir encor douter quelques momens
ACTE
SEPTEMBRE. 1749. 25
ACTE III.
Le Théatre repréfente un Veſtibule du
Palais de Moulineau. On voit au milieu
un grand Portique , fur lequel eft
écrit , Temple de l'érité , & dans le fond
la ſtatue enchantée qui rend des oracles.
SCENE I.
POINÇON Seul.
LE voilà cet Oracle affreux.
Il me femble déja qu'il prononce & m'accable ;
Je marche, en frémiffant, vers ce lieu redoutable ,
J'ofe à peine lever les yeux.
En lifant l'infcription qui eft fur le portique.
Temple de Verité..... La vérité terrible
Habite donc fur cet Autel ?
Toi , qui vas d'un coeur trop
Combler le défeſpoir mortel ,
Adoucis ta lumiere horrible ,
fenfible
Ou permets -moi , s'il eſt poſſible ,
De détourner mes yeux de ton flambeau cruel.
Les Génies que Moulineau avoit envoyés
pour enlever Alie , l'amenent fur
un nuage qu'ils conduifent.
B
26 MERCURE DE FRANCE.
Choeur des Génies.
Triomphez , belle Alie , & regnez à jamais.
Poinçon.
Quels chants... Dieux , je la vois paroître $
Aux Génies.
Efclaves du Tyran , qui ferviez les forfaits ,
Il n'eft plus , j'ai puni ce traître.
Sous mes loix tremblez déſormais ,
Ou redoutez le fort de votre maître .
SCENE II.
ALIE , POINÇON.
Alie.
QUoi c'estvous ! Mon amant eft mon libérateur
?
Ah ! que c'eft un plaifir flateur
De tout devoir à ce qu'on aime !
Mon bonheur m'en paroît plus doux ,
Et les biens que je tiens de vous
Ont le charme de l'Amour même.
Poinçon à part.
Elle ofe feindre encor la plus fincere ardeur.
à part. à Alie.
L'ingrate .
.... Alie .... O Dieux :
Alie.
Quel trouble vous dévore !
SEPTEMBRE . 1749. 27
D'où naît cette fombre fureur ?
Quoi! ne m'aimez vous plus ?
Poinçon avec fureur.
Hélas ! je vous adore ...
Mais vous , n'efperez pas de me tromper encore ;
Je le connois trop bien , ce coeur qui m'a trahi.
Qu'entens -je ?
Alie.
Poinçon.
Vous aimez le Prince de Noify.
Mes yeux fe font ouverts fur ce myftere horrible.
Alie.
Dieux cruels ! quel affreux foupçon !
Pour la premiere fois j'entens nommer ce nom,
Poinçon.
L'enchanteur me l'a dit , fon art eſt infaillible.
Alie.
Et vous croyez plutôt un ennemi jaloux ,
Qu'une amante fimple & fenfible ,
Qui ne refpire que pour vous.
Hélas ! que mon coeur eft plus tendre !
Quand l'Univers entier
Contre vous le feroit entendre ,
Un regard fuffiroit pour vous juftifier.
Poinçon.
Eh bien, ſur cet aniour que votre coeur m'annonce
1
1
Bij
28 MERCURE DEFRANCE,
Que l'Oracle prononce.
Vous le voyez ... Je vais l'interroger.
Alie.
Non ,par ce doute affreux ceffez de m'outrager
Poinçon.
Eh quoi ! craignez-vous la réponſe
Alie.
Je voulois que votre amour
Vous répondît de ma flâme :
Mais fi l'Oracle feul peut r'affûrer votre ame,
Je vais l'interroger fans crainte & fans détour.
A l'Oracle,
Si la vérité t'infpire ,
Je ne crains point tes Arrêts ;
Dévoile de mon coeur tous les replis fecrets ,
Nomme l'objet pour qui ce coeur foupire.
Après une fymphonie mystérieuse , l'Oracle
prononce .
L'amant qu'Alie a choifi ,
Eft le Prince de Noify.
Les portes du Temple fe ferment ,
Poinçon défefperé,
Q Dieux !
Alie.
Non , c'est toi feul que j'aime.
4
SEPTEMBRE . 1749. 22
Garde-toi d'écouter un preſtige impofteur.
Quand le Ciel parleroit lui-même ,
Le Ciel feroit démenti par mon coeur .
Tu détournes de moi tes yeux remplis de larmes
Rougis.tu de t'attendrir
"
Par l'excès de mes allarmes ?
Poinçon.
Cruelle , laiffez - moi vous fuir .
Alie.
Non , non , je te fuivrai fans ceffe.
Tout espoir eft perdu pour moi :
Je me vone à jamais aux pleurs , à la triſteſſe ;
Mais je fouffrirai près de toi ;
Bientôt j'en mourrai peut - être.
Heureufe ,fi du moins le dernier de mes jours
Te prouve que mon coeur n'eut jamais d'autremaître
,
Et que ce fut mon fort de t'adorer toujours.
Poinçon.
Eh bien , tu le veux donc , ta victoire eft certaine,
Périffe cet Oracle affreux.
De tes douleurs le charme impérieux ,
Malgré moi , m'attire & m'entraîne.
Ah !fi je fuis trompé , fais que ce charme heureux
Toujours te fuive & m'environne ;
N'écarte jamais de mes yeux
Le bandeau que l'Amour me donne.
B iij
30 MERCURE DE FRANCE.
Alie.
A quels foupçons encor ton ame s'abandonne !
SCENE III .
Les Acteurs de la Scéne précédente ,
J
LE DRUIDE.
Le Druide à Poinçon.
Eune Héros , reprenez votre nom ,
Je puis enfin vous en inftruire :
Le Prince de Noify reſpire ,
Caché fous l'habit de Poinçon.
Alie & le Prince de Noify.
O Dieux par ce feul mot que vous calmez de
peines !
Le Druide.
L'Hymen va vous unir de fes plus douces chaînes,
Le Prince de Noify à Alie.
Oui , j'en fais le ferment ,
Des foupçons l'atteinte cruelle
Ne troublera plus votre amant.
Le Prince de Noify & Alie,
Oui , j'en fais le ferment ;
Oui , j'aimerai fi tendrement ,
Que vous ne pourrez pas devenir infidelle.
SEPTEMBRE. 1749. 31
Le Druide.
D'un jour fi beau rendons la mémoire éternelle .
Qu'un fuperbe Palais s'éleve dans ces lieux.
3 Et vous , Efprits , à mes ordres fidelles ,
Accourez à ma voix , Subftances immortelles.
Le Théatre change , & repréfente un Palais
éclatant ; les Génies & les Fées viennent
s'y rendre de toutes parts. On y voit
un Trône préparé pour le Prince de Noify
& pour Alie.
Le Druide aux Génies.
Que vos fons volent jufqu'aux Cieux ;
Chantez de ces amans le bonheur & la gloire ;
L'amour doit à leurs feux
Sa plus éclatante victoire.
Chaur des Génies,
Que nos chants volent juſqu'aux Cieux ,
Chantons , & c.
On danfe .
Le Prince de Noify .
Vole , Amour , regne fur nos ames ;
Tu triomphes , tu nous enflâmes :
Par l'attente de tes plaifirs
Ranime encore nos défirs:
Vole , Amour , regne fur nos ames ,
Tu triomphes , tu nous enflâmes.
B iiij
32 MERCURE DE FRANCE.
Pour annoncer à quel degré les danfes de
ce Ballet ont réuffi , il fuffit de dire qu'elles
font de la compofition du fieur de Heffe , Compofiteur
Ordinaire des Ballets des petits Appartemens
, & l'un des Comédiens Italiens de
Sa Majesté.
LETTRE
D'un Sçavant Genevois , à M. Remond
de Sainte Albine , fur les Evêques de
Geneve.
M connoître les RR . PP . Benedictins
Onfieur , n'ayant pas l'avantage de
qui travaillent à une nouvelle Gaule Chré
tienne , vous me permettrez de m'adreffer
à vous , pour leur faire parvenir ce que je
pourrois avoir à leur communiquer de relatif
à leur ouvrage. J'ai remarqué que
d'autres dans cette même vûe , ont eu recours
à votre Journal *. Il eft devenu entre
vos mains un Recueil de Piéces dont
la plupart font inftructives , & il n'y a
prefque aucun genre de Littérature , qui
n'y puiffe entrer aujourd'hui.
Le feul article que je toucherai ici ,
Mercure de France , Octobre 1748 , p . 72.
SEPTEMBRE. 1749 . 33
c'est celui des Evêques de Geneve. Quelque
habileté qu'ayent les nouveaux Edi- ·
teurs,quelque fagacité qu'ils ayent montrée
jufqu'ici à puifer dans les véritables fources
de l'Hiftoire Eccléfiaftique , il me femble ,
que quand il s'agit de donner la fuite des
Evêques d'un Diocéfe, ceux qui font actuellement
fur les lieux , peuvent connoître certains
faits , dont des Sçavans , qui travaillent
dans un autre pays, ne feroient jamais
informés , fi on négligeoit de les leur com
muniquer. Je me flatte que la difference
de Religion ne rendra point mes Mémoires
fufpects , mais ce que j'ai lieu de craindre
, c'eft qu'on n'y trouve bien des chofes
inutiles & fuperflues , parce qu'elles
étoient deja connues à Meffieurs de Saint
Germain-des-Prez. Après tout , le mal ne
fera pas grand j'aurai montré par là ma
bonne volonté à concourir à la perfection
d'un ouvrage auffi intéreffant , & il y aura
an moins un certain nombre de ceux qui
lifent votre Journal , & qui ont du goût
pour ces fortes de recherches , qui y ver
ront des particularités qui feront nouvelles
pour eux .
Nous avons plufieurs Catalogues , plus
ou moins anciens , de nos Evêques de Geneve.
Celui dont on fait le plus de cas ,
fe voyoit autrefois à la fin d'une Bible
R v
34 MERCURE DE FRANCE.
Latine du dixiéme fiécle , que l'on conferve
dans notre Bibliotéque publique . Il
ne s'y trouve plus ; mais Bonnivard , qui
étoit Prieur d'un Convent de l'Ordre de
Cluni , lors du changement de Religion ,
nous l'a confervé dans une Chronique
manufcrite que l'on a de lui. Ce Catalogue
paroît être originairement du dixiéme
fiécle , comme la Bible où il étoit inferé.
Il eft vrai qu'on y voyoit plufieurs Evêques
des fiécles fuivans , mais qui y avoient été
ajoutés d'une feconde main , avec le titre
de Subfequentes , pour les diftinguer de
ceux du Catalogue primitif. Guichenon
en eut une copie , qu'il communiqua aux
Freres de Sainte Marthe , qui s'en font
beaucoup fervis dans leur Gallia Chrifziana.
Nous avons encore une lifte des Evêques
de Geneve , dreffée par François- Auguftin
della Chiefa , qui vivoit au milieu du
fiécle paffé ( 4 ). Il étoit Evêque de Saluces.
Ughelli , dans fon Italie Sacrée , en
parle fort avantageufement. Il nous apprend
qu'il étoit Hiftoriographe du Duc
de Savoye , & que c'eft de lui qu'il tient
le Catalogue des Evêques de Saluces , que
l'on voit dans l'Italià Sacra ( b ). Il faut
( a ) Hift. Pedemont . Ch. XLVI . p . 345 .
(6 ) Tom. I. p. 1233. Edit . de Venfe.
SEPTEMBRE . 1749. 35
fuppofer qu'il y a mieux réuffi que fur les
Evêques de Geneve. On ne peut rien de
plus mal digeré , que ce qu'il dit des huit
ou dix premiers. Ce font des anachronifmes
continuels. Je pourrai en relever quelques-
uns dans la fuite , quand l'occaſion
s'en préfentera .
Le dernier Catalogue que je connoiffe ,
eft inferé dans le Miffel ou Rituel du Diocéfe
de Geneve , réimprimé à Annecy en
1747 , fur une édition précédente faite à
Rumilli , petite Ville de Savoye. Il eſt fort
ample & fort étendu . Il commence par
un Evêque de Geneve , qu'on nous donne
pour avoir été Difciple de Saint Pierre ,
& il finit par le Prélat qui fiége aujourd'hui
à Annecy.Ceux qui ont dreffé ce Catalogue,
ont profité de tous les précédens.
Ils nous avertiffent dans une petite Préface
, qu'ils ont auffi puifé dans la Chronique
de Saint Antonin , dans le Marty.
rologe Gallican de Sudauffai , & dans
d'autres bons Auteurs. On verra par-là ,
difent-ils , une fucceffion d'Evêques , non- interrompue
depuis les Apôtres , & prouvée
d'une maniere plus claire que la lumiere du
Soleil. Il me femble qu'ils promettent un
peu trop, Les véritables Sçavans , tels
les nouveaux Editeurs de Saint Germaindes-
Prez , ne font pas fi décififs. Ils recon-
B vj
36 MERCURE DE FRANCE.
"
noiffent de bonne foi , que le Soleil qui
les éclaire dans ces fortes de recherches ,
eft fouvent couvert de nuages , & qu'il les
laiffe dans l'obfcurité . Ils fe trouvent fré-
-quemment arrêtés faute de lumiere. Ils
n'ont que de fombres lueurs , qui les obligent
de tâtonner pour pouvoir faire chemin.
On eft réduit à faire cet aveu , pour
peu qu'on fe pique de fincérité.
L'Hiftoire d'un Diocéfe doit commencer
par fixer le tems que le Chriftianifme
y a été établi , & c'eft ordinairement ce
qu'il y a de plus difficile. Dans les fiécles
paffés , chaque Eglife prétendoit avoir été
fondée , ou du tems des Apôtres , ou fort
peu après. Alors tous les peuples voufoient
tirer leur origine des Héros de
Troye , & toutes les Eglifes , ou des Apôtres
mêmes , ou de leurs Succeffeurs inmédiats.
Geneve a eu cette ambition comme
les autres. On a débité affez long- tems
que Nazaire , Difciple de Saint Pierre ,
étoit venu dans notre Ville ; qu'il y avoit
converti , entr'autres , Celfe , qui l'avoit
beaucoup aidé dans la fuite à y établir
l'Evangile. Cette tradition a été adoptée
dans le Gallia Chriftiana * . On la
trouve de même dans le Rituel d'Annecy .
T. II. P. $ 94.
SEPTEMBRE . 1749 37
A la tête de la Lifte des Evêques , on lit
ces mots : S. Nazarius B. Petri Apoſtoli™
Difcipulus qui S. Celfum , Civem Geneven
fem Evangelio peperit . On trouve quelque
chofe de femblable dans la Legende Dorée ,
& c'eft- là fa véritable place , car rien ne fent
plus la Légende . Nazaire ni Celfe n'ont
jamais été à Geneve. Un Hiftorien de
Génes a dit , que les Habitans de cette
Ville s'étoient éclairés à la prédication de
Nazaire & de Celfe , & il y avoit une
Eglife qui portoit leur nom. La reffemblance
du nom de Geneve & de celui de
Génes aura caufé l'équivoque . Il y a même
beaucoup d'apparence que chez eux ,
comme chez nous , Celfe eft un Prédica
reur imaginaire , & qui n'a aucune réalité
*.
Après avoir fait répandre à Nazaire les
premiers rayons du Chriftianifme dans
Geneve , on prétend que cette Eglife naiffante
prit des accroiflemens confidérables
L'Eglife de Milan pourroit auffi les révendiquer.
On lit dans l'Hiftoire Eccléfiaftique , que
Pan 394 , Saint Ambroise fit déterrer les corps des
Saints Nazaire & Celle qui étoient enterrés dans
un jardin hors de la Ville , & qu'il les fit tranfporter
à Milan dans l'Eglife des Apôtres , qu'on nom
moit La Romaine.
38 MERCURE DE FRANCE.
par
les foins de Paracodus , ou Paracodés ,
comme quelques autres le nomment. On
veut qu'il ait été un des foixante- dix Difciples
, & on le fait venir dans les Gaules
avec Denis l' Areopagite. Les Freres de Sainte
Marthe placent Denis & Paracodés dans
le fecond fiécle , & cela , pour s'être fiés
trop légèrement à certaines Lettres des
Papes , qui font reconnues aujourd'hui
pour fuppofées . La Chiefa met de même
Paracodés à l'an 195 , fur la foi d'une prétendue
Lettre du Pape Victor à cet Evêque.
Paracodés fut Evêque de Vienne , &
non pas de Geneve , quoique peut- être il
y ait fait annoncer l'Evangile en y envoyant
des Prédicateurs . La queftion eft
de fçavoir quand il a vêcu. Les Evêques
de Vienne font dans cet ordre . Verus ,
qui foufcrivit au Concile d'Arles en 314.
Juftus , Denis , Paracodés , & Florent qui
foufcrivit au Concile de Valence en 374 .
Paracodes vivoit donc vers le milieu du
quatriéme fiécle , & il y a beaucoup d'apparence
que c'eft -là la véritable époque
du Chriftianifme dans notre Ville . On ne
doit l'y chercher , que lorfqu'il eut déja
fait d'affez grands progrès dans les Gaules.
C'est ce que l'on a affez bien éclairci dans
SEPTEMBRE. 1749. 39
la derniere édition de l'Hiftoire de Geneve
*.
Le Catalogue des Evêques de Geneve ,
auquel j'ai donné la préference , & qui a
été tiré d'une ancienne Bible de notre Bibliothèque
, avertit dans une Préface , que
l'Eglife de Geneve a été fondée par Paracodus
, Difciple des Apôtres , & Evêque de
Vienne. Il faut remarquer que cette qualité
de Difciple des Apôtres ne doit pas être
prife à la rigueur , comme fi cet Evêque
avoit été leur contemporain. On peut
prendre ces termes dans le même fens ,
que Pallade appelle Saint Hippolyte Dif
ciple des Apôtres , pour dire leur Succeffeur
, quoique fort éloigné. C'eft en ce
fens que Gregoire de Tours dit de Saint
Saturnin , venu felon lui - même fous Déce,
qu'il avoit été ordonné par les Difciples des
Apôtres. On a donné le même titre à plufieurs
Fondateurs des Eglifes de la Gaule.
Une preuve que celui qui a dreffé ce
Catalogue, a pris ce terme dans cette étendue
, c'eft que le premier Évêque de Geneve
qu'il nomme, n'eft que du quatrième
fiécle. C'eft Diogenus , que d'autres nomment
Diogenés. Il affifta au Concile d'Aquilée
qui fe tint l'an 381. Voilà donc
*
Hift . de Geneve , 1730. Edit. in-4°. p. 17, dans
La note.
40 MERCURE DE FRANCE.
apune
date fûre , & il eft fatisfaifant de pouvoir
fe reconnoître dans ces tems ténébreux
. Mais ce qui altère un peu cette fatisfaction
, c'eft la prétention de l'Eglife
de Génes , qui dit que cet Evêque lui
partient. Voici fa fignature au Concile
d'Aquilée , Diogenus Epifcopus Genuenfis.
Cela peut marquer également Génes &
Geneve. Ughelli l'a placé parmi les Evêques
de Génes. Mais il reconnoît en même
tems que rien n'eft plus obfcur que
l'Histoire des Evêques de ce tems là , &
qu'il n'y a aucuns monumens pour l'éclaircir.
Il va plus loin ; il avoue de bonne
foi , que ceux qui avoient travaillé
avant lui à cette Lifte , y trouvant de trop
grands vuides , les avoient remplis du nom
de quelques Evêques qui nous appartiennent
inconteftablement , tels qu'un Maxime
& un Optandus. Pour donner auffi de
notre côté des preuves d'impartialité , je
crois que nous pouvons abandonner aux
Génois ce Diogenés , comme leur apparte-
- nant plus légitimement qu'à nous. Je fuis
d'avis au moins de nous en rapporter à la
décifion des nouveaux Editeurs , qui ne
manqueront pas de prononcer fur ce petit
differend .
Ce n'est pas feulement dans l'Hiftoire
Eccléfiaftique ,
, que la reffemblance des
SEPTEMBRE. 1749. 41
vrage
noms de Génes & de Geneve a mis de la
confufion ; on s'en apperçoit auffi dans
l'Hiftoire Civile. Il parut en 1713 un ouoù
l'on donne le Catalogue des Auteurs
qui ont écrit fur chaque Pays . Il eſt
d'un Théatin Italien , nommé Savonarola ,
mais qui a déguiſé fon nom ( a ) . On y voit
une Lifte de ceux qui ont travaillé fur
l'Hiftoire de Geneve , & l'on y en trouve
deux ou trois qui font évidemment des
Hiftoriens de Génes. Le pas eft fi gliffant ,
que le Pere le Long , avec toute fon exactitude,
s'y eft auffi mépris . On trouve , dans fa
Bibliothéque des Hiftoriens de France , le titre
d'une Hiftoire de Geneve , qui regarde uniquement
la Ville de Génes. L'Auteur eft
un Italien qui s'appelloit Bizaro (b ) .
Le Pere le Cointe veut auffi que l'on ait
confondu quelques Evêques de Geneve
avec ceux de Mende , dans les Cevennes
( c ) . Il trouve notre Catalogue fort
confus après Pappole , qui affiſta avec Pro
tais de Sion au Concile de Châlons ,
l'an 644. 11 prétend qu'on a mêlé nos Evê-
( a ) Alphonfi Lafor à Varca Univerfus Terrarum
orbis , c. Patavii 1713.
(b ) Genevenfis Senatus Populique rerumgeftarum
Annales , in-fol . Antuerpia 1579. n° . 15417.
( c ) Annal. Franc. Tom. IIl. ad ann. 644. nº。
36, & 37.
42 MERCURE DE FRANCE .
ques avec ceux de Mende . Le mot de Gebenne
, qui défigne quelquefois Geneve &
quelquefois les Cevennes , aura pû donner
lieu à l'équivoque. On connoît ce vers
de Lucain .
Gens habitat cand pendentes rupe Gebennas
Quelques Auteurs l'ont entendu de Geneve
, quoique le Poëte ait voulu parler
des montagnes des Cevennes. J'avoue que
fi l'on trouvoit dans un ancien Auteur le
titre d'Epifcopi G bennenfes , fans que rien
déterminât s'il s'agit des Evêques des Cevennes
ou de ceux de Geneve , on pourroit
d'abord fe trouver un peu embarraffé :
mais s'il s'agiffoit de ceux de Mende en
particulier , il n'y a plus moyen de les
confondre. Un Evêque de Mende fignoit
Epifcopus Gabalitanus , nom totalement different
de celui de Gebennenfis.
Il y a plus . J'ai oui dire à un homme de
Lettres , qui a fort étudié les antiquités de
notre Ville , que le mot de Gebenna , pour
défigner Geneve , n'eft pas fort ancien , &
n'étoit pas ufité dans le fiécle dont parle
le Pere le Cointe . Dans les tems reculés ,
le nom de Geneve étoit Geneva , comme
il paroît par les Commentaires de Céfar .
Dans la Table Théodofienne ou de Peutinger
, on lit Gennava . Dans Grégoire de
SEPTEMBRE. 1749. 43
Tours fenuba , & Jenuva * . Dans la vie
de Pepin , Janua. Ce ne fut que dans le
onzième ou douzième fiécle , que prefque
tous les Auteurs s'accorderent à appeller
Geneve , Gebenna. Voici la raifon qu'en
donne notre Sçavant. Il y a apparence ,
dit- il , que quelque Notaire de ce tems là ,
ou quelque demi- fçavant , voulant faire
l'habile , crut que Lucain avoit défigné
Geneve dans le vers que j'ai cité . Ce Notaire
, pour fe donner des airs d'érudition ,
commença dans fes Acts à appeller Geneve
, Gebenna , & il ne tarda pas à être
fuivi des autres. Il eft vrai qu'on objecte
à notre Sçavant un Pafinge d'Eginard où
on lit Gebenna , ce qui rendroit ce nom auffi
ancien que Charlemagne . Il répond qu'il
y a beaucoup d'apparence que les Copiſtes
ont alteré le texte original , & il allégue
pour
foutenir fon fentiment une note marginale
de Duchefne , où il avertit que
quelques manufcrits on lit Geneva.
dans
Le Pere le Cointe ajoute que dans un
certain efpace de tems notre Lifte paroît
avoir trop d'Evêques. Depuis Pappulus ,
qui eft le douziéme dans le Gallia Chrif
tiana , jufqu'au trente- cinquième , qui eft
Walternus ce Critique trouve l'eſpace
›
Liv. IV. chap 31.
44 MERCURE DE FRANCE.
trop petit pour en fournir un fi grand nom
bre. Le Catalogue des Evêques de Mende
au contraire eft fi peu chargé , que depuis
l'an 540 jufqu'à 630 , il ne fournit que
trois Evêques . Il eft difficile de répondre
à la difficulté du Pere le Cointe , tirée de la
trop grande abondance de notre Catalogue
, oppofée à la difette & à la ſtérilité
de celui de Mende , mais il ne fuit point
du tout de- là , que notre Lifte ait été dreffée
aux dépens de celle de cette Eglife ,
& que leurs Evêques ayent verfé chez
nous.
Par furabondance de droit , je vais ha
zarder quelques conjectures fur la difficulté
qu'on nous fait , fur ce que nous
avons eu trop d'Evêques dans un aſſez
petit intervalle. Je ne les donne que pour
ce qu'elles font , c'eft- à dire pour très- legeres,
n'en pouvant guéres avoir que de ce
genre fur des Evêques , dont nous n'avons
prefque que les noms , fans aucune circonftance
de leur vie.
Peut-être que quand on voit des noms
differens dans ces Liftes , ils ne défignent
pas toujours des perfonnes differentes . Je
trouve dans le Gallia Chriftiana , que le
dix huitiéme Evêque eft Andreas , qui eft
fuivi immédiatement par Gracus. Quelque
Copiſte aura féparé ces deux mots qui
SEPTEMBRE. 1749. 45
devoient être joints , & ne faire qu'un
feul Evêque , Grec d'origine, On a des
exemples d'attributs , ou de titres ainfi
perfonifiés , & cela dans des fiécles beaucoup
plus connus , & où l'on avoit plus
de fecours pour ne s'y pas méprendre,
Les Freres de Sainte Marthe nous donnent
pour quatre- vingt onzième Evêque Louis
de Rie , qu'ils font précéder par un Auberius
, perfonnage tout - à- fait inconnu. Ce
Prélat étoit Abbé d'Auberive , & cette
Abbaye a produit cet Evêque imaginaire,
Le Rituel d'Annecy l'a retranché fort fagement
de fa Lifte. Ils ne pouvoient pas s'y
méprendre. Louis de Rie leur étoit parfaitement
connu, Il vivoit en 1548 , c'eſtà
- dire , depuis le changement de Reli
gion arrivé à Geneve , & il avoit fiégé à
Annecy .
Un Evêque peut avoir eu deux noms
differens , qui rapportés l'un & l'autre
dans le Catalogue , auront fait deux Evêques
au lieu d'un, On a auffi des exemples
de femblables méprifes fur des Evêques
qui n'ont pas vêcu dans des fiécles fort reculés.
Le foixante- quatorziéme de nos Evêques
eft Jean de la Roche- Taillée , en Latin
de Petra fciffa . J'ai vu un Catalogue où
l'on en fait deux Prélats differens , l'un
Jean de Roche-Taillée , & l'autre Jean de
46 MERCURE DE FRANCE.
de con-
Pierre-cife. C'est dans un ouvrage
troverfe que fit imprimer un Curé de Savoye
, il y a plus de trente ans *. On ne
doit pas douter que dans les fiécles précédens
on n'ait fait quelquefois de femblables
méprifes. Quand on a ainfi coupé un
Evêque en deux , comme a fait notre bon
Curé , chaque moitié a la propriété du
Polype d'eau douce , & devient avec le
tems un Evêque complet . Il y a lieu de
foupçonner que ce font de ces bévûes qui
ont contribué à groffir nos Liftes & à multiplier
nos Evêques . A
On trouve dans quelques-unes de nos
Liftes des efpéces de Pafje volans , fi j'oſe
me fervir de ce terme , qui ne font connus
de perfonne. Tel eſt un Amianus , que la
Chiefa & le Rituel d'Annecy mettent dans
le rang des Evêques de Genéve , & qu'ils
font paffer en revûe. Nous ne fçavons ni
d'où eft cet Amianus , ni qui il eft . Il faut
cependant faire quelque tentative pour
deviner de quel pays il peut nous être venu,&
par quelle aventure il fe trouve dans
ces deux Catalogues feuls.
Genabum , qui étoit l'ancien nom d'Orleans
, a auffi fignifié quelquefois la Ville
de Genève.
Motifs de la converfion du Chevalier Minųtoli
, 1714.
SEPTEMBRE . 1749. 47
L'Itinéraire d'Antonin l'a pris dans l'un &
l'autre de ces fens . Cela a caufé quelquefois
de l'équivoque, Divers Auteurs ont dit , par
exemple , que l'Empereur Aurélien avoit
rebâti Genéve après un incendie qui
l'avoit entierement confumée. Philippe
de Bergame l'afflure * . Plufieurs autres
l'ont dit après lui . On voit clairement
qu'ils ont pris Genève pour Orleans . Cette
méprife dans l'Hiftoire Civile en a caufé
une autre dans l'Hiftoire Eccléfiaftique.
Ces mêmes Auteurs ont dit que plufieurs
hommes célébres ont illuftré notre Ville ,
& dans ceux qu'ils nomment, on reconnoît
vifiblement des Evêques d'Orleans . Geben
na , dit Philippe de Bergame , in quâ plurimi
claruêre viri , quorum numero Anianus
urbis Epifcopus **. Peut- on méconnoître
S. Agnan , qui lorfqu'Attila fit le fiége
d'Orleans , l'an 451 , en étoit actuellement
Evêque ? Voici donc ma conjecture . S.
Amianus eft une faute de copiſte pour S.
Anianus.L'Evêque de Saluces ayant trouvé
ce dernier dans Philippe de Bergame , comme
ayant fiégé à Genève, n'a pas hésité à lui
donner rang dans fa Lifte ; mais comme la
Chronique n'a point marqué le tems où
* Voyez Supplementum Chronicarum Philippi
Bergomatis. Venet . 1490. p. 126.
** Ibid.
48 MERCURE DE FRANCE.
vivoit S. Agnan , la Chieſa y a été embarraffé
; il l'a placé au hazard dans le feptiéme
ou huitiéme fiécle , fans aucune date
précife , quoiqu'il ait pris foin de mar
quer celle des autres Evêques. Le Rituel
d'Annecy a copié la Chiefa. Voila le fond
qu'on peut faire fur leur S. Amianus , Evêque
de Genéve.
L'article le plus difficile fur nos Evêques
, c'eft de trouver ceux qui ont fiégé
depuis l'établiſſement du Chriftianifme
jufqu'à Maxime , qui affifta au Concile
d'Epaone. Il s'agit d'environ un demi fiécle.
Voici ceux que nous fournit notre
ancien Catalogue , que je crois le plus fidéle
de tous. Après avoir rendu aux Génois
leur Diogenés , le premier qui fuit, eft
Domnus , le fecond Salvianus , le troifiéme
Elhenthere , le quatriéme Théoplafte , déja
Evêque en 475 ; le cinquiéme Fraternus ,
le fixiéme Palafcus , le feptiéme Maxime ,
élu en 513 , & qui figna au Concile d'Epaone
en 17. Ici nous commençons à
avoir un point fixe , propre à redreffer la
Chronologie.
Je n'ai point mis dans cette petite Lifte
Florentin , quoiqu'il ait été élu Evêque de
Genéve immédiatement avant Maxime ;
en voici la raifon , c'eft qu'il abdiqua auffi-
tôt après avoir été facré. Il étoit du
nombre
SEPTEMBRE, 1749. 49
+
nombre des Sénateurs , & il avoit été élu
d'une voix unanime ; mais de retour au
logis pour l'apprendre à ſa femme Artémie
, elle l'obligea à renoncer inceffamment
à fon élection , ce qui arriva l'an
513 , peu de mois avant la naiffance de
S. Nizies leur fils , depuis Evêque de Lyon.
Grégoire de Tours , fon petit neveu & fon
difciple , rapporte le fait de cette maniere .
C'est la raifon pour laquelle notre ancien
Catalogue ne fait aucune mention de Florentin.
Il est un peu plus difficile de donner
la raifon de ce qu'on n'y voit point paroître
non plus un Ifaac , & un Salo
nius , qui doivent avoir gouverné l'Eglife
de Geneve avant Maxime. L'article de Sa-
Lonius demande une difcuffion un peu étendue
, qui pourra venir dans la fuite. Pour
Ifaac , le feul endroit où il en eft parlé ,
c'eft dans une Lettre adreffée à Salvius , où
l'on trouve l'histoire des MartyrsThebéens ,
& que l'on attribue à Eucher , Evêque de
Lyon . On fçait que des Critiques , un peu
féveres , ont douté de l'authenticité de ces
Actes duMartyre de la Légion Thébéenne * .
Ils ont remarqué que cet Iſaac ne ſe trouve
nulle part ailleurs , & que ce pourroit
* Biblioz . Raiſonnée , T. xxxvI. p. 427.
50 MERCURE DE FRANCE,
bien être un perfonnage imaginaire *..
Quoiqu'il en foit , il a été au moins inconnu
à ceux qui ont dreffé notre ancien
Catalogue dans le IX . fiécle. Cependant
je ne veux point contefter là - deffus, Il
ne s'agit que de lui affigner fon rang parmi
nos anciens Evêques. Il eft dit dans cette
Lettre d'Eucher , qu'Ifaac avoit appris,
l'hiftoire des Martyrs Thébéens , du Bienheu
reuxThéodore , Evêque de Sion. Eucher étoit
déja vieux , quand il fut au Concile d'Orange
en 441. Théodore , Evêque de Sion ,
s'étoit trouvé au Concile d'Aquilée en 381 .
On peut donc placer Ifaac vers la fin du
IV . fiécle ** .
Gregorio Leti , dans fon Hiftoire de Genéve
, nomme encore cinq ou fix Evêques
, qu'il prétend avoir vêcu avant le
Concile d'Epaone , Donnellus , Hyginus ,
Quand même les Actes du Martyre de la Lé
gion Thébéenne feroient une Légende fabuleuſe ,
comme le croyent plufieurs Auteurs , cela n'empêcheroit
pas que cet Ifaac , Evêque de Genéve ,
qui y eft cité, n'ait effectivement fiégé dans ce Diocèfe.
Il y eft nommé avec Théodore, Evêque d'Oc
todurum , qui eft un perfonnage très- réel .
** On trouve dans le Catalogue de la Chieſa ,
immédiatement après Paracodés , Ifaac , nommé
par S. Eucher , l'an 250. Il eft furprenant que le
bon Evêque de Saluces , qui cite Eucher , foit
tombé dans un ſemblable anachroniſme .
SEPTEMBRE. 1749. St
Fronze , Thelefphore , Tiburne , noms inconnus
à tout autre qu'à cet Hiſtorien.
Il cite pourfon garant un manufcrit, conte
nant une Defcription de Genève , dédiée à
la Reine Clémence , femme de Louis X. Roi
de France. L'Auteur étoit un Religieux
de l'Ordre de Saint Benoît , nommé Frere
Jean de Anfelmo . On nous dit que cette
rare piece fut trouvée dans une armoire
murée du Château de Prangin , à quatre
lieues de Genève , fur la fin du fiécle paffé.
Le Général Balthafar , Seigneur du lieu
faifant quelques réparations à fon Châ
teau , découvrit heureufement ce manufcrit.
Il le communiqua à Leti , qui le fit
déchiffrer à Genéve par deux Experts, dont
on nous dit les noms. Cet Hiftorien en
a tiré je ne fçais combien de particularités
qui ne fe trouvent point ailleurs . On voit
continuellement dans la marge de fon Livre
, MS. Balthafaro.
Mais une armoire de la Bibliotheque
de Genève , qui n'avoit point été fouillée
depuis long-tems , vient de donner un dé.
menti formel à l'armoire du Château de
Prangin , que l'on dit avoir enfanté ce manufcrit.
Il s'y eft trouvé un Certificat du
Miniftre du lieu , qui déclare que tout ce
*
Hiftoria Genevrina , Tom. 1. p . 46.
C ij
52 MERCURE DEFRANCE.
que Leti a dit de cette belle trouvaille , eft
une pure fable. Il nous affure qu'ayant lû
l'Hiftoire de Geneve de Lett , il voulut
s'éclaircir , auprès du Général Balthafar
de la découverte de ce manufcrit Gaulois ,
& que ce Seigneur lui déclara que tout
ce qu'en avoit dit Leti , étoit une pure
fiction , & qu'il ne s'étoit trouvé aucun manufcrit
dans fon Château . Il paroît de - là ,
que ces anciens Evêques que l'on trouve de
plus dans l'Hiftoria Genevrina, que
dans les
autres Catalogues , n'ont jamais fiégé que
dans le cerveau creux de Leti,
Le Curé de Savoye dont j'ai déja parlé,
avoit faifi avidement dans fon Livre de
Controverfe ces cinq ou fix Evêques de
la façon de l'Auteur Italien. Il groffiffoit
par- là fa Lifte. Mais il en a été raillé fort
vivement dans un Journal , fans que l'on
fût encore informé du Certificat qui met
ces Evêques dans les efpaces imaginaires.*
On l'a attaqué fur l'abfurdité de quelques
particularités de leur vie, qu'il a rapportées
d'après Leti. Depuis peu de tems , on a inféré
le Certificat du Miniftre de Prangin
dans un Journal qui s'imprime à Neucha
tel en Suiffe.Il paroît clairement que l'hif
toire de la découverte de ce prétendu manufcrit
n'eft que fuppofition & que faits
* Journ. Helvetig. Mars 1746. p. 220,
SEPTEMBRE.
S3 1749.
>
controuvés . On y donne les raifons de ce
qu'on a attendu fi tard à publier cette déclaration
. Puffendorff appelloit Varillas
l'Archimenteur. Leti peut bien partager
avec lui cette honorable épithete . Quoique
les nouveaux Editeurs ne foient pas
gens à s'en laiffer impofer par un Auteur
tel que le Signor Gregorio , on a crû devoir
les informer de ce fait , pour leur
épargner la peine de quelque difcuffion
fur ces Evêques chimériques.
Je fuis , & c .
洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗洗澡
T
A MLLE DE CR .....
Qui m'avoit demandéfon Portrait.
Ravaillant l'autre jour au portrait d'Uranie ;
Dans ma chambre enfermé j'excitois mon génie.
Pour tout meuble en mon attelier ,
J'avois de l'encre & du papier..
C'en eft affez pour un Poëte ;
Tout le refte eft pris dans fa tête ;
Mais fi pour prix de fon tableau ,
Il attend un accueil honnête ,
Il doit produire du nouveau .
Déja fous mes doigts , mille rofes
Ciij
54 MERCURE DE FRANCE.
D'un trait de plume étoient écloſes.
Je comptois ajouter des lys
Au Pinde récemment cueillis ,
Et ne négligeant rien pour fa riche parure ,
J'aurois fait de la belle une telle peinture ,
Que contre juſtice & raiſon ,
Vénus n'eût été rien , mife en comparaison.
Apollon , qui par fois préfide à mon ouvrage ,
Vint me dire à l'oreille , efface cette page ;
Tu vas débiter des fadeurs ,
Comme font tant d'autres rimeurs ,
Qui tous les jours me donnent des vapeurs.
Faut- il , pour foumettre les coeurs ,
Etre de la beauté le plus parfait modéle ?
Je connois Uranie, & fçais bien qu'elle eſt belle ,
Mais belle de mille agrémens ,
La plus part fort indépendans
De ces traits que ſouvent , fans aimer, on admire.
Près d'elle il faut penfer , rarement on foupire.
Celui qui vit fous fon empire ,
Ignore ces fentimens ,
Ou tendres , ou languiffans ,
Qui donnent un air malade
A l'amant langoureux & fade.
De ce charmant objet les yeux , fans être grands,
Sont pleins de feu , vifs & brillans ;
Pénetrent jufqu'au fond de l'ame ,
SEPTEMBRE. 1749. SS
Et vont porter partout la flâme.
Ces yeux noirs , ces perfides yeux ,
Ne peuvent cacher leur malice .
De tous les maux qu'ils font vous les voyez joyeux,
Sans que plus on les en haïffe .
L'éclat des lys n'eſt point éteint
Par le coloris de fon teint ;
Convenons- en ; mais en revanche
S'il eft quelque beauté plus blanche ,
Quel air plus grand , plus noble , & quel port plus
romain !
D'une fiere Amazone elle a le coeur hautain ;
Le trait qui vous furprend , n'amollit ni n'énerve ;
Non,ce n'eft point Vénus , c'eft Pallas ou Minerve .
Un mortel prétend-il lui plaire & l'engager ?
Qu'ilfe montre un Héros , & non pás un berger.
L'amour qu'on fent pour elle , éleve le courage ;
Le lage qui la voit , n'en devient que plus fage ;
L'amant rougit , l'étourdi ſe contient ,
Et le petit maître devient ,
Tant auprès d'elle il faut fe contrefaire ,
Un homme prefque ordinaire.
On craint les traits de ſon eſprit.
Tout mot équivoque eft profcrit ,
Si le bon goûr & la fineffe
Ne font unis à la délicateffe .
Sur ce que plus haut j'ai cité ,
On la croiroit un peu méchante ;
C iiij
56 MERCURE DE FRANCE:
Je doute auffi que la bonté
Soit fa qualité dominante .
Mais qui la voit , conviendra bien ,
Pour peu qu'il foit jufte & fincere ,
Que fa malice n'ôte rien
A fon aimable caractére.
Je ne dis plus qu'un mot de ſes talens divers
J'ai retenu quelques bons vers,
Qu'elle cache par modeftie.
A la toilette d'Uranie
On trouve un compas , un écrin ,
Un tome de M. Rollin ,
Un Livre nouveau de muſique ,
Avec un Traité de Phyſique .
Là ce font ponpons & rubans ,
Qu'elle agence dans fa cornette ;
Plus loin des mouches & des gants ;
Puis les regles de la Comete.
Mêler au férieux un aimable enjouement ;
Faire marcher de pair le fçavoir , l'agrément ;
S'amuſer du badin , fans négliger l'utile ;
Rien pour elle n'eft difficile .
S'il fe peut , Uranie , ofez défavouer
L'éloge que le Dieu , qui feul à jufte titre
Peut fe mêler de vous louer ,
M'a dicté ſur votre chapitre.
SEPTEMBRE. 1749 .
57
PENSEES.
Traduites de l'Anglois.
Cfes,ni dans le refus des honneurs ,
E n'eft pas dans le mépris des richefque
réfide la vraye Philofophie , mais dans
le bon ufage qu'on en fait.
La fortune favorife Damis ; la faveur)
du Prince l'honore des premieres places ;
il est décoré de tous les honneurs ; il eft:
grand , il eft noble ; une maiſon vafte ,
ornée & fuperbe ; une table bien fervie ,
un nombreux domestique , des équipages
leftes & brillans ; tout cela n'ôte rien à fa
générofité. Il l'exerce partout ; le vice même
en reffentiroit les effets , fi ce n'étoit
point le rendre criminel que de partager
ſes biens avec ceux qu'il infecte. Damis
fe plaît à élever le mérite ; il ne fe fouvient
jamais de fes poftes , de fes honneurs,
que pour fe reffouvenir qu'il ne doit
s'employer qu'à faire des heureux ; il n'eft
attaché à fa fortune , que par cequ'elle lui
procure le doux plaifir de foulager ceux
que l'injuftice perfécute. On ne le voit jamais
dans fon particulier , fans être touché
du bonheur de ceux qui l'environnent ; il
Cv
5S MERCURE DE FRANCE.
}
eft homme , & veut vivre avec des hommes
; ce ne font point des efclaves qui le
fervent ; fes domeftiques font fes amis , ils
font tous heureux , & quelque médiocre
que foit leur état , ils l'oublient , quand ils
penfent à celui qui les nourrit , qui les habille
, qui les paye & qui leur commande.
Tel eft Damis , voilà le fage , voilà le Philofophe.
Recevoir un confeil , c'eft acquérir le
droit d'en donner.
Tout eft au-deffus de l'homme vicieux ,
tout eft au- deffous de l'homme vertueux .
Un homme que les paffions honteufes
poffedent , lorfqu'il eft connu , n'eft plus
à craindre , c'eſt un être indifferent pour
la fociété.
Les défauts , les imperfections & les vices
de l'homme corrompu , font autant de
boucliers qui repouffent les traits que la
noirceur de fon coeur lui fait lancer contre
le mérite & la vertu .
و
Avoir recours à un homme vicieux
c'eft être fur le point d'abandonner la
vertu .
Ne pas oublier les fervices qu'on a rendus
, c'eft fe rendre indigne d'en rendre.
Exiger de la reconnoiffance
, c'eft en
exempter.
La médifance eſt une petiteffe dans l'efSEPTEMBRE.
1749. 59
prit , ou une noirceur dans le coeur ; elle
doit toujours fa naiſſance à la jalouſie , à
l'envie , à l'avarice , ou à quelqu'autre paſfion
; elle est la preuve de l'ignorance ou
de la malice ; médire fans deffein , c'eſt bêtife
; médire avec refléxion , c'eſt noirceur.
Que le médifant choififfe, qu'il opte,
il eft infenfé ou méchant .
Le peuple juge du coeur des hommes
par leur façon d'agir , le fage n'en juge
que par leur façon de penfer.
La pratique d'une vertu ne fait pas
l'homme de bien . En faifant le bien , on
ne fait fouvent qu'une action très- ordinaire
. Damon tient parole à un Grand ,
c'eſt la crainte , l'ambition ou l'avarice ,
peut-être toutes les trois qui le font agir.
Je ne l'en foupçonne pas, quand il tient fa
promeffe à fes enfans , à fes domeftiques
à fes vaffaux ; mais je fuis prêt de dire que
c'eft par amour propre . Sans être vertueux,
on fait fouvent de grandes actions ; mais
que Damon ne fe démente point , qu'il
faffe toujours le bien , & qu'il le fafle fans
motif d'intérêt , de crainte ou de vanité ,
alors je dirai que Damon aime la vertu.
A Orleans , ce 21 Juillet.
Cvj
06M ERCURE DE FRANCE.
Myny: By:DODDAY
ཀྱི v : : !
LE PRINTEMS ,
A Mile C......
Dans cette riante faiſon ,
Où fur un renaiffant gazon
Brille une agréable verdure ,
Tout fe ranime en la Nature.
La terre , Iris , nous offre des préfens
Qu'étouffoit en fon fein l'importune froidure .
Ces fleurs , qui quelquefois vous fervent d'ornemens
,
Font même la moindre parure.
Autour des humides rofeaux ,
Le doux Zéphir forme un léger murmure ,
Et fe joue en foufflant fur la face des eaux.
Dès l'aurore , fa fraîche haleine
Nous invite à courir dans la plaine .
Là, vous voyez mille amoureux oiſeaux ;
Par leurs chants à l'envi , célébrer tous enſemble
Cet heureux jour qui les raffemble.
Quel fpectacle plus enchanteur ?
Ici , Tircis à ſon Amynthe
Déclare fes feux , & l'ardeur >
Dont fon ame eft pour elle atteinte,
Elle qui fe fent contrainte
SEPTEMBRE. 1749. 61
Par une auftére pudeur ,
Lui laifle adroitement lire
Dans les yeux languiffans ce que penſe fon coeur.
Si par hazard , dans un tendre délire ,
A la faveur d'un bois , quittant fa fiere humeur ;
Elle accorde à regret quelqu'honnête faveur ,
Ce Berger prend fa flute , & chante fon bonheur
Que les échos voifins ont le foin de redire ,
Ce qui le lui rend plus fateur.
Vous le voyez , belle Iris ; tout foupire ;
Livrons- nous aux plaifirs que le printems inſpire ;
On n'entend prononcer que le nom de l'Amour,
Votre coeur feul feroit- il infenfible ?
Ce Dieu , quand on l'aigrit , devient un Dieu ters
rible ;
Contre fon pouvoir invincible
Ne vous révoltez pas ; profitons du beau jour
Et parlons- en tous deux à notre tour.
7. F. Guichard,
?
JAL
62 MERCURE DEFRANCE.
************************
LES DEUX BOUQUETIERES ,
FABLE.
LA faifon trifte & rigoureuſe
Venoit de terminer la carriere ennuyeuſe ;
Aux Aquilons fuccedoient les Zéphirs ,
Et du peuple de l'air la voix mélodieuſe ,
De l'Amour vantant les plaifirs ,
Rempliffoit chaque bocage
De la douceur de fon ramage.
La terre reprenoit fes premieres beautés ,
Et l'on voyoit de tous côtés
Les animaux joyeux fortir de leurs tannieres ,
Lorfque deux Bouquetieres ,
Allant cueillir les précieux préfens
Que leur offroit le retour du printems
Virent de loin une prairie
Spacioufe & bien fleurie.
La diverfité des couleurs
Les porte auffi tôt à s'y rendre ;
Et la beauté des fleurs ,
Et leurs douces odeurs ,
Les y firent bien -tôt defcendre,
L'une , fans fortir de fa place ,
Prend toutes ces fleurs à la fois ,
Et fans choix ;
SEPTEMBRE. 1749. 63
Elle en fait un bouquet fans agrémens, fans grace.
Ce n'est qu'un mêlange confus ,
Qui des paffans attire & mépris & refus.
Sa compagne , bien loin d'imiter ſa pareſſe ,
Va , court , & revient & s'empreffe
Sçait ménager les ornemens
Rejette ce qui pourroit nuire ,
Le remet dans un autre tems :
Ici c'eft du jafmin , & là c'eft un oeillet ,
En un mot , pour le dire ,
Elle fait de ce tout un fuperbe bouquet.
On le voit , on accourt , on l'admire , on l'achette,
D'un côté je peins un Poëte ,
Qui traitant des ſujets qui ſont déja traités ,
Leur donne cependant de nouvelles beautés :
Et de l'autre , un for plagiaire ,
Qui prend tout, & n'en fait rien faire,
Par le même,
Du 24 Mai 1749.
¿
64 MERCURE DE FRANCE :
EXTRAIT d'une Lettre écritepar M.
Short , de la Societé Royale de Londres ,
à M. Folkes , Président de cette Académie,
far les Télescopes à réflexion . Cette Lettre
a été lue dans une des affemblées de la Société
Royale de Londres.
Na à lapage 17 Lettre de M.
Na vû , à la page 172 du Mercure
>
Koenig , Profeffeur de Mathématiques à
la Haye ; dans laquelle il annonce les progrès
confidérables qu'a fait M. Mégard ,
du Canton de Berne , dans l'art de perfectionner
les Télescopes à réflexion. Ce
Profeffeur ne s'eft pas contenté de parler
avantageufement de fon ami ; il n'a pas
fait difficulté de dire qu'il foupçonnoit
les Anglois d'avoir profité de ſes vûes , par
la communication d'une de fes Lettres ,
dont il avoit envoyé des copies à Londres.
Il ajoute que ce qui le confirme dans cette
idée , c'eft qu'il ne lui parut pas , fix mois
auparavant , lorsqu'il étoit en Angleterre,
qu'on y pensât le moins du monde à perfectionner
ces fortes d'inftrumens , en diminuant
leur longueur.
M. Short , habile Artifte Anglois , qui
a conftruit le fameux Télefcope de douze
SEPTEMBRE . 1749. 65
"
pieds , placé dans l'Hôtel de Marlboroug ,
a crûque ces reproches intéreffoient , nonfeulement
fon honneur , mais auffi celui
de toute fa Nation . Il n'a pû fouffrir
qu'on l'accusât d'avoir voulu s'approprier
des remarques qui ne lui appartenoient
pas : il a écrit pour fa juftification , le 11
Mai dernier , une affez longue Lettre à
M. Folkes , Préſident de la Société Royale
de Londres , afin qu'il la communiquât à
cette fçavante Compagnie ; & il a produit
en même tems une copie de la Lettre ,
dont on prétendoit qu'il avoit tiré des fecours.
On nous a communiqué l'une &
l'autre piéce , & il nous a paru que la juftice
que nos Journaux doivent à tout le
monde , exigeoit de nous que nous inferaffions
ici un extrait qu'on nous a envoyé
de la Lettre de M. Short. Ce morceau fuffira
, pour mettre au fait de la conteftation
les Lecteurs qui s'intéreffent
aux progrès
des Arts , & dont la curiofité
fera fans
doute excitée par les avantages
que la Marine
& l'Aftronomie
recevront
vraifemblablement
un jour de l'ufage des nouveaux
Télescopes
.
L'Artifte de Londres prétend , que les
Copies de la Lettre de M. Mégard n'auroient
pû lui apprendre que ce qu'on étoit
déja en poffeffion de fçavoir en Angle66
MERCURE DE FRANCE.
terre. M. Smith ayant propofé à la Société
Royale de Londres dès le mois de Janvier
1740 , de fubftituer aux miroirs de métal,
dans les Télescopes , des miroirs de verre ,
inégalement épais vers le bord & vers le
centre , ou dont les deux furfaces ne fuffent
pas paralelles ; fa propofition , qui eft
appuyée de toutes les recherches néceffaires
de Théorie , a été imprimée dans les
Tranfactions philofophiques Nº. 456 , &
il
Y eft prouvé qu'on peut proportionner
tellement les deux courbures , qu'on évi
tera , par les refractions que fouffriront
les rayons de lumiere en traverfant deux
fois la furface concave , prefque toute la
féparation nuifible des rayons de differentes
couleurs. Il eft parlé de ce même expédient
dans le Systême d'Optique de M.
Smith , & dans la Relation des expériences
qu'on en a faites en préſence de plufieurs
perfonnes. Les images des objets
paroiffoient très- diftinctes , mais elles
étoient environnées d'une feconde lumiere
, qui étoit vraisemblablement réflechie
par la furface concave. M. Short affûre
qu'il avoit remarqué la même choſe , en
fe fervant d'un miroir de verre , conſtruit
de la maniere indiquée par M. Newton
dans fon Optique , & qu'il obferva que ces
amiroirs étoient encore fujets à un autre
SEPTEMBRE. 1749. 67
-
défaut très-confidérable . Ils affoibliffent
la lumiere , & ils la diminuent fouvent de
plus de moitié , fi on les compare à des
miroirs de métal. Toutes ces obfervations
répetées avec foin avoient détermi
né M. Short , long- tems avant qu'il entendit
parler de M. Mégard , à renoncer
I aux miroirs de verre , pour ne s'occuper
que de la perfection de ceux de métal ,
dont il s'occupe encore actuellement , &
aufquels il travaille depuis 1733-
Il fuit de - là , fi l'on s'en rapporte , comme
il nous paroît qu'on le doit faire , aux
piéces qu'on nous a communiquées , que
les procédés des deux inventeurs font
tout-à-fait differens , & qu'il n'y a pas le
moindre lieu de regarder l'un comme
plagiaire des vûes ou des découvertes de
l'autre , ce qui fait tomber abſolument les
foupçons de M. Koenig . On fe propofe
d'un côté de conftruire des Télescopes
avec des miroirs de verre , dont les deux
furfaces feront de differentes courbures
pendant qu'on travaille de l'autre côté à
former des Télefcopes avec des miroirs de
métal , qu'on tache de rendre plus par
faits. M. Short ajoute qu'il fe conformoit
d'abord à la Table publiée par M. Newton
, dans les Tranfactions philoſophiques,
mais qu'il s'apperçut dès 1740 , qu'on
›
68 MERCURE DE FRANCE.
pouvoit donner une plus grande ouver
ture à ces inftrumens , ou , ce qui revient
au même , qu'on pouvoit gagner fur leur
longueur , en la diminuant confidérablement.
C'est ce qu'il juftifie , non-feulement
par l'exemple du grand Télefcope
de douze pieds , achevé en 1747 , & placé
dans le jardin de l'Hôtel de Marlboroug,
mais par plufieurs autres , dont il fait
mention dans fa Lettre à M. Folkes , &
à l'égard defquels il paroît qu'il a changé
d'une façon avantageufe le rapport entre
leurs principales dimenfions. Celui de
douze pieds , dont le miroir a dix huit
pouces de diamètre , eft réduit de plus de
moitié , puifqu'il eût été long de vingtneuf
pieds , fi l'on fe fût conformé aux
régles de M. Newton . Ainfi , felon M.
Short , ce n'eft que parce que M. Koenig
n'avoit examiné la chofe qu'avec précipitation
, qu'il a pû dire , que lorfqu'il étoit en
Angleterre , on n'avoit aucune notion de
la vraie maniere de perfectionner les Téleſcopes
en les accourciffant .
M. Short fe propofe de conftruire un de
ces inftrumens , qui n'aura que dix - huic
pouces de longueur , quoiqu'il en ait fix
d'ouverture. Čela rendra encore plus néceffaire
l'attention qu'il a toujours cue de
donner une figure parabolique au grand
SEPTEMBRE. 1749. 69
miroir , & une ellyptique au petit , toutes
les fois qu'il a percé le grand miroir , felon
la méthode de Grégori.
Nous pourrons fçavoir bientôt ce qu'il
faut penfer de ce qu'avance M. Koenig ,
au fujet d'un ouvrier de Franquer , qui
conftruit , à ce qu'il affûre , des Télefcopes
incomparablement meilleurs que ceux
qu'on fait en Angleterre , & qui les don-
Ae à un tiers meilleur marché. M. Short
s'eft adreffé à M. le Comte de Bentinck ,
Ambafladeur des Etats Généraux des Provinces-
Unies auprès de Sa Majeſté Britannique
, pour le prier de vouloir bien
lui procurer un de ces inftrumens , en obfervant
toutes les formalités néceffaires ,
pour que le Public puiffe ajouter foi à l'examen
& à la comparaifon qu'on en fera
à Londres , en préfence de Juges inté
gres & éclairés,
70 MERCURE DE FRANCE
RAPALAPATntsła PDes ?AEAA
POEM E ,
Ou Effai , fur le progrès des Sciences & des
Beaux Arts , fous le Regne de LoUIS
le Bien- Aimé , dédié à Meffieurs de l'Académie
des Belles- Lettres de Montauban ,
par M. de la Soriniere , de l'Académie
Royale des Belles-Lettres d'Angers,
1749.
● vous ,dont les brillans effais
S'annonçent par des coups de maître ,
Dans la lice où j'ofe paroître
Affûrez-moi d'heureux fuccès :
Si dans l'art des beaux vers j'ai fait quelques pro
grès ,
C'est vous qui les avez fait naître.
Quels progrès éclatans paroiffent à mes yeux !
Les Sciences , les Arts , riches préfens des Cieur ,
Par les foins de Louis s'accroiffant dans leur
courſe ,
Deviennent chaque jour plus dignes de leur fource !
Semblables à ces eaux dont l'humide criſtal ,
Au fortir d'un rocher fe creuſant un canal ,
* L'Académie de Montauban eft nouvellement étaª
blie.
SEPTEMBRE. 1749 . 71
Forme un fleuve écumeux , dont les ondes altieres
Roulent en bouillonnant les eaux de cent rivieres.
Le Paftel.
Un Art ne fait qu'éclore : il eſt déja complet ;
Le Paſtel en naiffant m'offre un tableau parfait,
L'Opéra.
Sur ces bords où la Seine , en miracles féconde ;
Raffemble tous les Arts qui décorent le monde ,
Il eſt un Sanctuaire aux graces confacré ,
Séjour des Amadis , & des Dieux révéré.
C'est un Temple lyrique , où l'enfant de Cythere
Vient entendre des airs infpirés par fa mere ,
Et verfer à long traits ce dangereux poiſon,
Qui dévore le coeur , & trouble la raiſon,
Le Dieu s'en applaudit , & doublement perfide
Bleffe le ſpectateur du même trait qu'Armide ;
Il rit de voir Ifméne , en proye à ſes douleurs ,
Aux foupirs qu'elle exhale entre- mêler des pleurs,
Et pour de faux Rolands réalifant fes peines ,
Se forger dans fon coeur de véritables chaînes.
Dans ces lieux enchantés , tout prend une ame
un corps ;
Tout s'y perfonnifie , & reffent des tranſports ,
La force du pinceau du Dieu de la peinture
Y trace mille objets plus beaux que la nature
J'y vois dans des lointains avec art ménagés
* Décorations.
72 MERCURE DE FRANCE.
De fuperbes Palais dans l'inſtant erigés :
Neptune en courroux , commandant aux orages
,
Sur les flots entr'ouverts produire des naufrages,
Le calme reparoît , & foudain des danfeurs
Foulent d'un pied léger la verdure & les fleurs =
Et des Amours badins une troupe enfantine
Répéte de Rameau la Mufique divine .
Ce Monarque des Sons , par Euterpe enfanté ,
Donne à tout ce qu'il touche un ton de vérité ,
Qui , de l'art enchanteur augmentant le preftige ,
Frappe , étonne , conduit de prodige en prodige.
Quel charme me tranfporte ! Et quelle illufion
Sur mes fens éperdus fait tant d'impreffion !
Les Chênes de Dodone en ces heureux fpectacles
Parlent , fe font entendre , & rendent des oracles!
Tout s'anime , fe meut , & des quatre élemens
Agités , confondus , dans des chocs éclatans ,
Naiffent des feux foudains , dont les bruyantes
flammes
Excitent la terreur & le trouble en nos ames
N'eft- ce point Jupiter , qui du Dieu de Lemnos
Lance fur les Titans la foudre & les carreaux ?
Ou qui , pour conſumer un autre Salmonée ,
Arme ce bras vengeur qui punit Capanée ?
Le Tonnerre de l'Opéra
LA
SEPTEMBRE. 11774499.: 73
La Guerre.
Jamais aux champs de Mars l'Art des Déme
trius (a)
N'avoit tant illuftré les Siéges , les Blocus.
L'Europe en eſt témoin ; cent Villes affiégées
Se font fous nos drapeaux & fous nos loix rangées :
Et dans moins de quatre ans le Belge plein d'effroi ,
A reconnu mon Prince & LOUIS pour fon Roi.
Marches & campemens , fourages , ſubſiſtance ;
Contre marches, fecours, magnifique ordonnance ,
Ont vu des plans nouveaux que l'Art feul dirigeoit
,
Et que , fuivant les lieux , la raifon corrigeoit.
Non , jamais la Tactique aux champs de Man
tinée (b) ,
Nacquit autant d'honneur que dans cette jour◄
née (c) ,
Où par un coup de l'art l'Anglois fi redouté
Vit fon hardi projet compris , déconcerté :
Et le fier bataillon , la terrible colomne ,
Que menoit Cumberland fur les pas de Bellone ,
(a) Demetrius Poliorcétes , ou le preneur de Villes...
Fils d'Antigone , &c.
(b) L'affaire de Mantinée , felon les connoiſſeurs ;
nous offre le plus bel ordre de bataille qu'art fourni
l'antiquité l'Epaminondas de notre fiécle sçaurois
bien en juger.
(c) Fontenoy,
D
74 MERCURE
DE FRANCE
.
1
Mife en poudre auffi tôt par ce Prince guerrier
Qu'attendoit dans ces champs le plus digne laurier .
Louis fçut d'un coup d'oeil y fixer la victoire :
Et Mars en l'admirant , foufcrivit à fa gloire.
Retenez bien ces traits , illuftres Orateurs (4) :
Et pour les confacrer , gravez-les dans vos coeurs.
Et vous , fille du Ciel , divine Poëfie (b) ,
Qui joignez les tons forts à la tendre harmonie ,
Dans une autre Henriade accordez vos concerts.
Voltaire , c'eſt à lui que tu dois tes beaux vers (c) #
Avant lui , tu le fçais , la fublime Epopée ,
Dans l'enfance des tems encore enveloppée ,
Aux François étonnés ne s'étoit point fait voir,
Après les Childebrand ( d) on n'eût oſé prévoir ;
Que la France eût fon Taffe , ainfi que l'Italie
Il falloit que Louis échauffat tan génie .
Perfection du Microscope, & du Télescope
à réflexion.
Apprens- moi , Réaumur , quel eft cet inftru
ment
Qui voit dans un Ciron chaleur & battement
La nature eft à nud , lorſque ton Microſcope
Dans les mains de Mairan s'unit au Téleſcope.
(a) L'Eloquence. (b) La Poësie. (c) La Henriade:
(d) Childebrand , Poëme prétendu Epique de
M. de Sainte Garde . Il est au-deffous de l'Alaric de
M. de Scuderi ; & peut-être plus ennuyeux que
Pucelle de Chapelain.
La
SEPTEMBRE. 1749. 75
Electricité , Phyfique expérimentale ( a) .
Et vous , docte Nollet , dont l'Electricité ,
Par des fentiers fecrets , mene à la vérité ,
Vous ne vous vantez point de ces hardis ſyſtêmes
Qui n'offrent à nos yeux que de brillans problêmes
:
Vous regnez fur nos fens , que vous fubordonnez
Aux loix de l'évidence : & quand vous raifonnez ,
L'expérience enfin qu'on ne peut contredire
Sur le plus incrédule exerce fon empire .
Le célébre Fluteur , & les autres machines
Surprenantes de M. de Vaucanfon , un des
plus grands Mechaniciens qui ayent jamais
paru.
>
O nouvel Archimède , illuftre Vaucanfon;
Qui , mettant la Nature & l'Art à l'uniffon ,
Sçavez donner la vie à de froids Automates
Dans l'affemblage heureux de matieres ingrates ,
J'entens les doux concerts d'un célébre Flûteur ,
Qui , furprenant l'efprit , charme & ravit le coeur .
•
Opérations de Meffieurs Bouguer & de la
Condamine , pour déterminer la figure de la
Terre (b) .
(a) M'Abbé Nollet a donné un ouvrage fur
l'Electricité , & déja 4 vol . de fa Physique expéri
mentale...
(b) Onfuppofe au commun des Lecteurs , du moins
Dij
76 MERCURE DE FRANCE :
Qui pefez dans vos mains ce que fon globe enferre;
calcul nouveau Vous avez eftimé par un
Les ofcillations de Paris à Quito :
Et fur des plans certains , qu'on avoit crû frivoles .
Elevé l'Equateur , en rapprochant les Pôles .
Argonautes François , quels immenfes travaux ;
Aux yeux de l'Univers , étonnent vos rivaux !
A Meffieurs de l'Académie,
Beaux Cygnes affemblés dans ce docte Licée ;
Célébrez de mon Roi l'augufte Caducée (a) ;
Chantez les hauts exploits , fa douceur , ſa bonté ;
Ses vertus ,
ce beau nom juftement mérité .
Que votre amour pour lui foit conftamment fidéle,
Des tendres fentiniens lui même eft le modéle.
Traduction du fameux Dyftique de Virgile
Note pluit totâ ; redeunt fpectacula manè ;
Divifum imperium cùm Jove Cefar habet.
Il plut toute la nuit , le beau revient le jour : '
Jupiter & César gouvernent tour à tour.
une légere connoiffance des Relations & du Livre de
ces Meffieurs , & quelque médiocre teinture de la
matiere dont il s'agit . Tandis que Meffieurs Bou
guer de la Condamine parcouroient les Plages
brilantes du Pérou , d'autres fçavans Académiciens
affrontoient& franchiffoient courageusement les glaces
du Nord , pour le même objet..... Toutes ces Rela
sions font imprimées....
(a) Le Roi a fait & donné la Paix à toute l'Eu-;
горе.
SEPTEMBRE. 1749. 77
VERS, fur le Parnaffe François de M.
Titon du Tillet , exécuté en Bronze ,
la gloire des Auteurs illuftres.
Heureux Auteurs , dont la lyre m'enchante ,
Ah ! que j'envierois votre fort !
Vainqueurs du tems & de la mort
Heureux Auteurs , Titon vous chante !
Dans les faftes brillans de l'immortalité ,
Son burin conduit par la gloire ,
Tranſmet vos noms à la poſtérité ;
Et vous vivrez enſemble au Temple de Mémoire .
AVERTISSEMENT
Sur la Lettre fuivante .
N n'a point voulu nous dire le vrai nom
O de la jeune beauté , quife cache sous celui
de Philarete , mais pour peu qu'on connoiffe
Turin , on la devinera facilement , & l'on
trouvera que les éloges contenus dans la Lettre
qu'on va lire , ne font point exagerés .
Diij
78 MERCURE DE FRANCE.
LETTRE
De M. de S. R. à M. Rémond
de Sainte Albine.
Ous avez expofé , Monfieur , dans
& d'Avril de cette année , quelques folutions
d'un Problême affez difficile . Mifes
fous les yeux d'une Nymphe charmante
des bords du Pô , elles n'ont pas pû lui paroître
fatisfaifantes , mais elles ont excite
fes talens. J'ai l'honneur de vous adreffer
la copie du travail de cette belle perfonne
fur le Problême en queftion , elle est écrite
de fa main.
Philarete eft fon nom , elle est née &
demeure à Turin . Décorée de la plus haute
naiffance , formée par les graces , infpirée
par la fageffe , elle joint à tous les
dons de la nature , aux charmes d'une jeuneffe
brillante , l'efprit le plus délicat , la
converfation la plus ornée , & des talens
peu communs dans les perfonnes de fon
fexe .
N'est- ce pas vous donner , Monfieur ,
une preuve de mes fentimens pour vous ,
que
de vous mettre en état de rendre juſtice
au mérite de la belle Philarete , en faiSEPTEMBRE
. 1749. 79
fant paroître fon travail dans le Mercure
du mois prochain ? Je puis même avoir
l'honneur de vous dire , que cette attention
de votre part ne peut que confirmer
la haute opinion que l'on.a de vos talens
& de vos lumieres au-delà des Alpes . Elle
vous attirera auffi dans ce pays- ci des remercimens
que vous ferez très-aife de
vous procurer.
J'ai l'honneur d'être , & c
AParis , ce 11 Juillet 1749 .
D. S. R.
KMMMMMMMMMMMMMMM
PROBLEME ,
Refolu par l'illustre Philarete.
UN
N homme à l'article de la mort ,
laiſlant fa femme enceinte , ordonne
par fon teftament que fi elle accouche d'un
fils , ce fils aura les trois cinquièmes de fon
bien , & la mere les autres deux cinquiémes
, & que fi au contraire elle accouche
d'une fille , les quatre feptiémes feront
pour la mere , & la fille aura les autres
trois feptiémes . Or il arrive qu'elle met
au monde un fils & une fille , & l'on demande
ce que la mere , le fils & la fille
D iiij
80 MERCURE DE FRANCE.
doivent avoir fur l'héritage qui fe trouve
de 100000 livres , en confervant toujours
la méme proportion de la mere aux enfans.
Confidérons premierement que felon
l'intention du pere , le fils doit avoir
un cinquième plus que la mere , & la mere
doit avoir un feptiéme plus que fa fille.
Ainfi , fi nous prenons 3 pour le fils , la
mere aura 28 & la fille 24 , & ces trois
nombres ajoûtés enfemble font $ 7 . Donc
il n'y plus qu'à faire trois regles de proportion
, en difant , fi fur 87, le fils prend
35 , combien prendra- t'il fur 100000 , &
ainfi de même pour la mere & pour la
fille .
87 , 35 , 100000 , 40229 , 17,8
87,28,100000,32183 , 18 , 1
87,24 , 100000 , 27 ; 86 4 , I "
100000 O
36
87 pour le fils.
81
87 pour la mere .
37 pour la fille.
57
Et ces trois fommes font enſemble
100000 livres , qui eft juſtement le fond
de l'héritage.
On trouveroit la même chofe en fuppofant
la portion du filsx , & alors la
portion de la mere feroit , & celle de la
fille , & faifant tout l'héritage 100000
a , on auroit l'équation x ++
25a
35
35
a. En la réduifant on trouvera x =
, c'est-à dire v40229 , 17 , 8 pour
SEPTEMBRE. 1749. 81
40
5
21
37 pour la
32183 , 18 , 1
27586 , 4 , 1 pour la
le fils ;
mere ; x
=
35
fille .
Autrement.
La volonté du pere fut de laiffer à fon
fils un cinquiéme de tout l'héritage de
plus qu'à la mere , à laquelle il vouloit
laiffer un feptiéme de plus qu'à fa fille ,
de tout l'héritage auffi . Donc fi l'on fuppofe
tout l'héritage a , & la part du fils
x , celle de la mere fera = x 2/, &
celle de la fille = x-
5
a
7
a
5
a
3x-- , fomme de ces trois
portions étanta , nous aurons l'équation
fuivante 3 x
19a
-
35
a, & en transpo .
fant
3 x = a +
19a 54a
35 35
= , & en divifant
8a
35
par 3 ; x = ; & comme on fuppofe
a = 100000 livres , nous aurons
X
x
x51428
pour le fils.
= 31428 pour la mere.
17142 pour la fille,
6
7
100000 liv.
DY
82 MERCURE DE FRANCE.
VERS
Envoyés à une Dame , qui avoit fait préfent
d'un cabaret de porcelaine à l'Auteur.
LAMaîtreffe du cabaret
Mérite bien qu'on la dépeigne.
Qui vit l'amour , vit fon portrait :
Celui d'Hebé lui fert d'enfeigne.
Bacchus , affis fur fon tonneau ,
La prend pour la fille de l'onde .
Même en ne verſant que de l'eau ;
Elle fçait ennyvrer fon monde.
VERS de M. de Voltaire , à Mde de B. R.
Os yeux font beaux ,mais votre ame eft plus
belle ,
Vous êtes fimple & naturelle ,
Et fans prétendre à rien , vous triomphez de tout.
Si vous euffiez vêcu da tems de Gabrielle ,
Je ne fçais pas ce qu'on eût dit de vous ,
Mais l'on n'auroit point parlé d'elle.
SEPTEMBRE . 1749. 83
**********X *X*X* X
VERS du même , à Madame la Comteffe de
la Neuville , en lui envoyant l'Epitre fur
la Calomnie.
Parcourez donc de vos yeux pleins d'attraits
Ces vers contre la calomnie.
Ce monftre dangereux ne vous bleffa jamais ;
Vous êtes cependant fa plus grande ennemie
Votre efprit fage & mefuré ,
Non moins indulgent qu'éclairé ,
Excufe , quand il peut médire ;
Et des vices de l'univers ,
Votre vertu mieux que mes vers,
Fait à tout moment la fatyre.
MADRIGAL.
P Hilis , te fouviens - tu de ce jour agréable
Où te livrant aux jeux , aux chanſons , aux plaifirs
Tu folâtrois avec un air aimable
Et plus vive que les Zéphirs
>
Tu voltigeois en habit de bergere ,
Entre les fleurs & là fougere.
Pour moi je m'en fouviens . Que ce jour fut chat
mant !
Je te vis , tu me plús , je devins con amant ;
Dvj
84 MERCURE DE FRANCE.
Ce jour-là même étoit ma fête .
Pouvois- je avoir un deftin plus heureux
Que d'être ta conquête ,
Et t'offrir pour toujours mon encens & mes voeux
Si du Soleil j'obſerve la vîteſſe ,
Depui cinq ans tu connois mon amour ,
Mais fi j'en crois mes feux & ma tendrefle ,
Je t'aime de ce jour.
'w. W.
VERS , envoyés de Paris à un ami , qui avoit
engagé l'Auteur à revenir en Province.
V. Ainement par ta voix l'amitié me rappelle .
Dans des lieux où l'Amour fe plaît à m'outrager ,
Pour oublier mon infidelle ,
Des cha mes de Paris j'ofe tout efperer ;
Hélas ! en me rapprochant d'elle
J'animerois des feux que je veux étouffer.
Par le même.
VERS à Madame de F. . .. . niéce de
M. de Voltaire , jouant le rôle de Céliante
dans le Philofophe marié,
Q
Uand l'aimable raiſon ſe déguiſe en caprice ;
Elle s'efforce envain de faire illufion ,
SEPTEMBRE.
1749. S
Le Spectateur charmé qui fent tout l'artifice ,
Pour Céliante a les yeux de Damon .
Par le même.
B
4
DISCOURS
Qui a été fait pour être prononcé à l'ouverture
d'une Ecole Royale de Mathématiques à
Nancy, * parM.Gautier, Chanoine Régulier,
Profeffeur de Mathématiques & d'Hiftoire
des Gentilshommes Cadets du Roi de
Pologne. ( Ce Difcours contient en général
des vues utiles fur la meilleure maniere
d'éindier & d'enfeigner toutes les fciences
qui font da reffort de l'efprit.)
M
Effieurs , il eft tant d'Arts & de
Sciences qui dépofent en faveur des
Mathématiques , qu'on eft difpenfé d'en
* Le Roi de Pologne , Duc de Lorraine & de
Bar , a été fur le point de fonder à Nancy des
Ecoles de Mathématiques & de Deffeing . On au
roit fuivi un plan à peu près femblable à celui que
Meffieurs de l'Académie Royale des Sciences ont
approuvé pour les Ecoles de Rheims . ( Voyez le
Mercure du mois de Sept. 1748. On auroit conferé
à ces Sçavans le droit de nommer les Profeffeurs.
On devoit démontrer toutes les parties des Mathématiques,
& faire des Cours de Phyfique Expé
86 MERCURE DE FRANCE.
faire l'éloge. Elles guident le Phyficien
l'Aftronome , le Navigateur ; la Peinture
lui doit fes chefs- d'oeuvre de perſpective;
la Géographie , la perfection ; la Mufique ,
la théorie de fes rapports. Elles forment
des Arithméticiens & des Algébriftes. Les
Géometres , les Méchaniciens , les Architectes
, les Ingénieurs , en empruntent
leurs connoiffances . Quels fervices ne rendent
- elles pas à l'Arpentage , & à tant
d'autres Sciences , qui en font les parties ,
ou qui y tiennent par quelque endroit
Leurs influences fe répandent jufques fur
les Arts qui en paroiffent les plus éloignés
; frappés de l'ordre , de la préciſion
de la jufteffe qu'elles s'affocient toujours
ils tâchent de les faire paffer dans leurs productions.
A ne les confidérer même qu'en
tant qu'elles fervent à former l'efprit
quelle idée avantageuſe ne doit -on pas en
avoir Elles lui donnent de la pénétration
, en l'habituant à prêter une attention
foutenue en le pliant à des réflexions
>
"
s
mentale fuivant la méthode de M. l'Abbé Nollet.
L'Auteur de ce Difcours étoit deſtiné par Sa
Majefté à remplir ces deux derniers emplois.
On peut encore efpérer que ces établiſſemens
auront lieu à Nancy , puifque depuis le tems où ils
ont été projettés , S. M. Polonoile a fondé une
Chaire de Profeffeur de Mathématiques chez les
RR.PP. Jéfuites de Pont-à- Mouflon,
SEPTEMBRE. 1749 87
:
profondes qui le font percer au travers
des voiles les plus épais ; de la juftefſe , en
Lui procurant le goût du vrai , & les moyens
de diftinguer les nuances du faux de la
préciſion , en préſentant les objets dégagés
des inutilités acceffoires , dépouillés des
ornemens propres à féduire l'imagination ;
de la netteté , par la nature des objets qu'el
les offrent , objets propres à être conçus
diftinctement ; de l'étendue , par la diverfité
des rapports & des idées qu'elles obligent
d'embraffer d'un coup d'oeil ; de la
profondeur, en le fixant fucceffivement fur
toutes les faces d'un objet qu'elles occupent
, qu'elles analyſent pour en pénétrer
l'intérieur .
Plus cette fcience eft utile , plus il eſt
important de bien connoître la maniere de
l'apprendre foi- même , & de l'apprendre
aux autres. Les plus grands fuccès font fouvent
dûs à d'heureux commencemens , &
ces derniers à la route qu'on a choiſie.
PREMIERE PARTIE .
Quoique les Mathématiques foient d'une
vafte étendue , l'expérience a montré qu'on
pouvoit en poffeder toutes les parties . Ne
croyons pas que l'efprit doive fe refferrer
dans un feul genre de connoiffances.
88 MERCURE DE FRANCE.
Laiffons à l'ignorance le foin d'accréditer
ce préjugé. Que des hommes laborieux ſe
ignalent dans differentes carrieres , lear
fupériorité fera conteftée par de petits génies.
Ils ne concevront pas comment on
peut faifir tant de rapports , lier tant d'idées
, les placer fans confufion. Il n'eft
donné qu'à des perfonnes de beaucoup d'efprit
, de connoître jufqu'où va celui des autres
; les vrais éloges ne partent guéres que
de ceux qui les méritent.
Pour s'en rendre digne , il eft important
, lorsqu'on étudie feul , de fe former
un plan & de ménager fes forces. Les autres
Sciences l'exigent : à plus forte-raifon
les Mathématiques , dont les vérités font
enchaînées plus intimement , les difficultés
plus nombreuſes , les démonftrations
plus compliquées. Faute d'une bonne méthode
, on multiplie fes travaux inutilement
. Combien ignorent leurs talens pour
les avoir mal tâtés , ou n'en font plus
aucun ufage ; parce qu'ils en ont brufqué
les effais , & font tombés dans un découragement
, dont les fuites font plus fâcheufes
que celles de la préfomption ! On
double fon efprit par la maniere de l'employer
. A l'aide d'une machine , on éleve
un gros fardeau avec une force médiocre.
L'art des recherches a fes procedés , fes faSEPTEMBRE
. & 1749 .
çons . Qui fçait les apprécier , en eft prefque
le créateur.
J'avoue qu'on peut fe repofer du plan
fur des Auteurs qui ont afforti les vérités
Mathématiques avec toute la clarté poffble
, avec l'ordre le plus convenable. Mais
la maniere de fuivre ce plan doit être décidé
par le plus ou le moins d'intelligence
dont on eft doué . Il en eft qui voulant
franchir les limites que la Nature, leur a
tracées , tâchent de marcher à grands pas ;
its effleurent les rapports , & ils les manquent.
Leurs idées n'ont pas le tems de
prendre affez de corps : d'autres idées , au
lieu de s'arranger de front , fe placent devant
celles - ci ; bientôt elles attirent toute
la foible attention d'un efprit qui fe précipite
; les premieres ne font apperçues
que par des teintes extrêmement affoiblies,
& ne femblent exifter que pour faire appercevoir
les dernieres. Ainfi dans la Peinture
, la dégradation des lointains fait fortir
les objets qui font fur le devant du tableau.
De- là la confufion , la néceffité de
retourner fur fes pas, une marche craintive,
le dégoût toujours voifin des efforts ftériles.
Avance - t- on avec une lente activité ;
les idées fe preffent , s'emboitent , fe fortifient
en s'étayant, elles forment des points
go MERCURE DE FRANCE.
d'appui inébranlables ; on apperçoir leurs
connexions , leurs differences , leurs divers
dégrés d'utilité.
On peut tomber dans un inconvénient
qui n'eft pas moins à craindre que la précipitation
; c'eft de regarder toutes les vérités
Géométriques , comme également im
portantes : l'attention fe répandant de la
même maniere fur les conféquences & fur
les principes fondamentaux , l'efprit ſe
bande trop , fes forces diminuent , parce
qu'elles font trop partagées. Il faut des
points dominans , où l'attention fe replie
plus que fur les autres. La connoiffance des
vérités capitales emporte celle des fubalternes.
Maître du tronc , on l'eft des branches.
Il y a une infinité de propofitions renfermées
dans d'autres , leur développement
fatigue ceux qui débutent. Quand on connoît
bien les maffes principales de l'édi
fice , on entre avec bien plus de facilité
dans le détail des petites diftributions : il
faut tendre à l'enfemble . L'efprit qui ne
voit que des parties ifolées , eft toujours
médiocre . On énerve fes forces dans les
conféquences minucieuſes.
Mais quelque foin qu'on prenne de les
ménager , il arrive quelquefois qu'on eft
arrêté , foit par des vérités profondes, dont
on ne peut approcher que par des circuits ,
SEPTEMBRE. 1749.99
foit
par un grand nombre de propofitions
qu'il faut le rappeller & fuivre comme une
chaîne qui aboutit au noeud de la difficulté ;
foit par des démonftrations qu'un Auteur
a mal articulées , qu'obfcurciffent des fousententes
, des ambiguités . Il y a tant de manieres
de défigurer le vrai
Ne le diflimulons pas , il eft des raifonnemens
dont le fil ne peut être fuivi que
par des efprits peu communs . Que ceux
qui ont de la peine à concevoir , ne fe découragent
point. Le tems fupplée fouvent
à la fagacité. A force de remanier les mê→
mes idées , on découvre les endroits par
où elles peuvent s'affembler ; c'eft en luttant
contre les obſtacles , que l'efprit de
vient robufte ; d'ailleurs ce qui a coûté ne
s'oublie point .
Les efforts font ils inutiles ? On doit
recouri à d'autres Auteurs qui ont traité
la même matiere. Par - là , on a l'avantage
des perfonnes qui font enfeignées de vive
voix , c'eft de paffer en revûe les mêmes vérités
offertes de differentes manieres.
Un von Maître , il faut l'avouer , vous
épargnera beaucoup de tems & de peines
, en retournant chaque objet , fuivant
Fafpect qui donne le plus de prife à votre
intelligence ; mais cela ne doit pas vous
difpenfer de travailler en votre particu
92 MERCUREDE FRANCE .
lier : faute de donner de l'exercice à l'ef
prit, il devient incapable de marcher feul ;
il contracte une forte de molleffe qui le
fait gliffer fur tout ce qui paroît épineux.
Craindre le travail , c'eft renoncer à plafeurs
vérités . Sous les yeux. même du Maître
, l'Eleve doit tendre fon efprit , afin de
le devancer , pour ainfi dire , dans fes démonftrations
; il doit rapprocher ce qui a
été dit , de ce qu'il prévoit qu'on va dire.
L'efprit de comparaifon remplace les autres
genres d'esprit , il ne peut jamais être
remplacé.
Prête -t-on une attention affez foible
pour fe laiffer emporter à des idées étran
geres ? On ne peut fe flatter d'aller bien
loin dans les Sciences : la vérité eft jaloufe ,
elle veut qu'on foit tout à elle .
Une des fuites de l'inattention , eft d'ignorer
pourquoi on ne conçoit pas un raifonnement
que d'autres trouvent très-clair.
Il eft cependant effentiel pour faire des
progrès folides,de pouvoir affigner le point
précis où commence l'obſcurité . En dévoi
ler les caufes , c'eft la diffiper.
Effet plus nuifible de l'inattention , ori
croit entendre des propofitions qu'on n'entend
point. On fe contente d'entrevoir
quelques rapports , fans examiner s'ils s'adaptent
à la matiere dont il s'agit : on on
SEPTEMBRE.
1749. 95
les refferre , ou on les étend trop . Un faux
rapport en amene un femblable , & d'erreur
en erreur on parvient à une prétendue
évidence , qui ne permet ni de faifir le vrai,
ni de s'en écarter entierement.
Le remede à ces inconvéniens feroit
fans doute de fecouer le joug d'une honte
déplacée , qui nous empêche d'avouer que
nous concevons difficilement . Il femble
qu'on aime mieux ne pas pénétrer, que de
paffer pour manquer de pénétration . Il ar
rive de là , qu'on fe voit privé, dans la fuite,
d'une réputation qu'on auroit acquife , fi
on n'avoit pas cru la mériter. Pourquoi
ne pas demander des éclairciffemens ? Eft il
honteux de chercher à faire des progrès
L'amour propre eft bien mal fervi par la
vanité.
Je fçais , Meffieurs , qu'en apprenant
les autres Sciences , on doit éviter la plû
part des défauts que nous indiquons. Nous
tâchons d'infinuer des vérités générales
qu'on ne sçauroit trop inculquer , & qui
font furtout importantes dans les Mathé
matiques , où la liaiſon & la févérité des
matieres ne permet point de voltiger , de
fe borner à des notions vagues & indéter
minées.
Heureux les Maîtres , fi leurs Difciples
ont les difpofitions que nous demandons
94 MERCURE DE FRANCE :
plus heureux les Difciples , fi leurs Maîtres
Les enfeignent de la maniere que nous allons
développer.
SECONDE PARTIE.
Figurons- nous un Mathématicien doué
des talens néceffaires pour former de bons
Eleves ; un efprit clair , net , jufte , précis
, à qui l'étude des vérités abftraites n'ait
ni noirci l'humeur , ni deffeché l'imagination
; également propre à enfeigner, foit
en particulier , foit en public. Dans le premier
cas , il s'appliquera à difcerner les divers
génies , & y pfiera fa méthode.
S'il rencontre des efprits lourds , il ne
laiffera pas tranfpirer le jugement qu'il en
porte ; il ne leur ôtera point la fatisfaction
qui refte à ceux qui font dépourvus d'intelligence
, la perfuafion d'en avoir ; il
leur applanira toutes les difficultés , les
dédommagera par fes égards de ce que la
Nature leur a refufé , convaincu que les
Difciples qui méritent le moins d'atten
tion , font ceux qui en ont le plus de
befoin ; que des efprits pefans peuvent
devenir très-utiles àla fociété, en acquérant,
par une étude opiniâtre , des connoiffances
d'autant plus sûres , qu'ils font forcés
de s'y renfermer .
Pour les efprits dont les idées font vola
SEPTEMBRE . 1749. 95
tiles , il liera commerce avec leur imagina
tion , tantôt par des comparaifons , par
des expreffions figurées , tantôt par des
applications aux opérations des Arts , par
une pratique qui fait tableau. Il y auroit
trop d'inconvéniens à vouloir les affervir
à une application auftere , dont leur lége
reté eft incapable ; on gagne peu à fe roidir
contre des défauts qui tiennent à l'organiſation
. Le moyen de ne pas déroger à
la méthode ordinaire avec des Eleves qui
n'ont rien de fixe que le défir de changer
d'objets ?
Avec des efprits timides , dont les talens
font enveloppés dans un germe qu'il ne
s'agit que de faire éclore , il defcendra
à une douce familiarité , il applaudira à
tous leurs fuccès ; bientôt une louange occafionnera
le fujet d'une autre ; il parvien
dra à leur infpirer une noble confiance qui
eft toujours la fource des progrès , quand
elle eft le fruir du travail. Les Eleves timides
font fenfibles , il faut mefurer fes
expreffions avec eux ; il fe les attachera par
des prévenances polies , par des foins obligeans
, qu'il fera prendre pour une mar◄
que de fa propre fatisfaction .
Les esprits préfomptueux qui croyent
poffeder une fcience , lorfqu'ils en ont à
peine une teinture , il les ramenera peu
96 MERCURE DE FRANCE.
à
peu à l'idée qu'ils doivent avoir de leur
capacité ; il les mettra fouvent à même de
fe convaincre qu'il faut fe défier de fes
forces , en leur faifant des objections qu'ils
ne pourront pas réfoudre , & dont il tirera
la folution des propofitions mêmes
qu'ils fe flattoient de concevoir . On fe
connoît mieux par les chofes qu'on ne peut
pas faire , que par celles que l'on fait.
A des efprits vifs , dont la pénétration
dévore les difficultés , il les leur préfen
tera fous un feul point de vûe ; il ne fera
que dégroffir les matieres , indiquer l'ordre
qu'il faut fuivre , donner la main dans
les mauvais pas. Il les engagera à déduire
eux - mêmes plufieurs conféquences , découvertes
, qui animeront leur émulation ,
& leur feront naître le défir d'en faire de
plus importantes. Les grandes font dûes
aux petites.
Si ce Maître trouve de ces efprits lents ,
qui ne laiffent pas d'avoir de la jufteffe
& de l'intelligence ; il offre fon fujet par
le côté le plus lumineux ; il en ferre les
parties , afin que l'une faffe appercevoir
l'autre il recharge fes teintes quoique fon
cées , il ne quitte le pinceau , que quand
il voit l'objet bien figuré dans leur efprit :
ce qu'il reconnoît ailément à une certaine
kberté qui fe répand fur leur phyfionomie.
Les
SEPTEMBRE. 1749 .
97
Les yeux furtout dénotent fi l'on conçoit ;
ils ceflent d'être fixes , & fe tournent avec
agilité. Quand on porte l'attention jufqu'à
ce point , on épargne fouvent à des Difciples
la confufion de n'avoir pas entendu
une propofition qu'on leur fait répeter ; &
on fçait qu'ils eftiment les Sciences à proportion
qu'elles leur donnent plus d'occa
fions de s'eftimer eux - mêmes.
Avec des efprits étendus , il épuife toutes
les parties d'un genre ; profonds , il
les fait remonter à l'origine des chofes
& en démêler les dépendances les plus
cachées.
On me dira qu'il eft difficile qu'un Profeffeur
nivelle ainfi la portée de fes Eleves.
Il eft vrai que cela demande de l'attention
; mais le défir de remplir fa profeffion
avec honneur, rend tout facile, fournit
des moyens qui échappent à l'homme
mercenaire.
Celui qui n'enſeigne qu'en public , a
une moindre tâche à remplir ; il n'eft point
dans l'obligation de creufer les divers génies.
Il doit pourtant partir d'une portée
commune , & y ajuſter fa méthode. Il fuppofera
que fes Difciples ont un efprit trèsmédiocre
, de-là la néceffité de n'employer
que des expreffions claires , & pour ainfi
dire transparentes , nulles phrafes entor
E
8 MERCURE DE FRANCE.
tillées , nuls détours ennuyeux , aucun placage
.
›
Il évitera de fubftituer de nouvelles fa
cons de parler , à celles qui font reçûes. Le
langage des Mathématiques eft une espece
de Langue facrée , qui ne permet point d'innovations
moins encore d'enluminures,
Un Phyficien fort eftimé a voulu répandre
quelques agrémens fur des élémens
de Géométrie , il a rendu obfcures des démonſtrations
énoncées clairement dans des
ouvrages médiocres. Il eft des vérités que
la parure offufque. Le vrai Mathématique
eft au- deffus des jeux & du fafte de l'imagination,
il vent être peint avec des couleurs
mattes , un coloris gai le rendroit ridicule,
Le langage fût- il clair & modefte ; la
plupart des raifonnemens feroient difficiles
à pénétrer , fi on ne les alignoit fuivant
l'analogiela plus fimple, & fi on laiffoit
des vuides entre les idées . Il faut pour le
grand nombre des Difciples , que les rapports
fe touchent ou s'embraffent les uns
autres. de les autres. C'eft le beau de l'Art , de les
réunir à une feule tige , d'où ils fortent
comme des rameaux . Alors il eft aifé de
les fuivre , furtout fi l'on efquiffe un petit
plan de la démonftration qu'on va donner
. Un pareil raccourci fauve à l'efprit une
incertitude qui le tiraille . Sans cette préSEPTEMBRE.
1749. 99
caution , il eft fufpendu par
differentes propofitions
dont il
n'apperçoit pas le terme ;
au lieu qu'en lui marquant la route qu'on
va choifit , les allées qui fe croiferont , les
circuits qu'on fera obligé de faire pour
atteindre le .but , il porte
tranquillement
fon attention fur chaque branche de la diffi
culté , il fuit
facilement un chemin qu'il
peut déja tracer lui - même.
Il prend un effor plus libre encore
lorfqu'on lui abrége le nombre des idées
moyennes , de ces idées qui s'appellent
mutuellement. La
fuppreffion de quelques
anneaux , en raccourciffant la chaîne des
preuves , en augmente la force, & les met à
portée d'un plus grand nombre d'efprits.
હૈ
En prenant les mesures que nous indiquons,
& celles qu'elles fuppofent, on mene
clairement fes Eleves aux conclufions , à
moins qu'on ne leur ait pas laiffé le tems
de fe
familiariſer avec les idées fimples ,
de bien appercevoir leur liaiſon , & qu'on
ait paffé trop légerement fur les définitions,
fur les premieres notions qu'on doit leur
donner . Tout dépend des couches préliminaires.
Nous tâcherons, Meffieurs , de les appliquer
de telle forte , que nous n'ayons rien
à nous reprocher. Puiffions- nous nous élever
au degré de perfection qu'exigent les
É ij
too MERCURE
DE FRANCE
.
:
grandes
vûes du Roi , être occupés
des
progrès de nos Eleves , comme il l'eft du
l'avoir probonheur
public ! Il ne croit pas
curé ,
, tant qu'il apperçoit
des moyens de
l'augmenter
, & il en voit toujours
, parce
qu'il défire toujours
d'en voir ,
Quatrième
Lettre de M. Cantwell
, Docteur
Régent de la Faculté
de Paris , Profeffeur
de Chirurgie
aux Ecoles de Médecine
, Membre
de la Société Royale de Londres
.
J
E vous ai entretenu
, Monfieur
, dans
ma derniere
Lettre , des affections
du
conduit
urinaire
, & des bougies
qu'on èm. ploye pour les guérir : je vous entretien- drai dans celle- ci de l'action
du Mercure
.
L'objet de votre difficulté eft , que regardant
la falivation
, comme contraire à
la cure des maladies vénériennes
, je fuis
d'avis qu'on employe pour chaque traitement-
le double , ou plus que le double de
la quantité de mercure qu'on y employe
ordinairement
, & vous demandez
comment
avec cette double quantité de mercure
, je puis prévenir le Puyaliſme.
Pour mettre plus d'exactitude
dans ma réponſe
, je diviſerai
cette Lettre en trois
articles. Dans le premier
, je dirai quelque
SEPTEMBRE. 1749. 101
par chofe du virus , & j'expoferai les voies
lefquelles il s'infinue dans la maffe des humeurs
; dans le fecond , je regarderai la
falivation comme un effet accidentel du
mercure , j'en expliquerai les caufes , &
j'indiquerai les moyens de l'éviter ; dans le
troifiéme , je l'envifagerai comme un effet
qui dépend de quelque qualité inhérente
de ce minéral , & j'examinerai l'on peut
le dépouiller de cette vertu.
Premier Article.
Le virus eft un poifon , dont la moindre
particule , mêlée avec nos humeurs , en
change la difpofition naturelle , & lui
communique la fienne. Toutes nos humeurs
font dans une circulation continuelle
, & fe remêlent néceffairement les
unes avec les autres , excepté les excrémens
qui font expulfés du corps comme
inutiles & nuifibles. Toute l'habitude du
corps humain , toutes les membranes qui
en tapiffent les cavités , font parfemées de
vaiffeaux abſorbans . Ces vaiffeaux , ou ces
pores , fi vous voulez les appeller de ce
nom , pompent les particules les plus fubtiles
des corps qui leur font appliqués , &
les charrient dans les veines lymphatiques.
Les emplâtres véficatoires , celui de vigo ,
Ponguent mercuriel , & les bains domeſti
E iij
102 MERCURE DE FRANCE.
ques,nous fourniffent des preuves de cette
vérité. Voilà des voies ouvertes au virus.
Il y a des malades qui n'accufent qu'un
bonnet , des gands , ou d'autres vêtemens
qui avoient fervi à des gens infectés de
cette maladie . D'autres affûrent que la
feule cauſe qui peut leur avoir occafionné
ce mal , c'est d'avoir couché dans les draps
de quelques perfonnes qui en étoient travaillées.
Ces cas me paroiffent poffibles ,
mais fort fufpects . Que le virus s'infinue
par les pores de l'uréthre , ou des parties
voifines , ou attenantes de la matrice , c'eſt
un fait qui ne fouffre point de difficultés.
Quelquefois il fe niche dans un coin , &
y caufe une inflammation , qui fe termine
par un abſcès ou un ulcére, d'où les particu
les du pus fe tranfmettent dans la maffe
des humeurs. Quelquefois il rencontre une
glande , une lacune , ou une playe , par
laquelle il s'infinue avec facilité. Il y a apparence
que dans trois de ces derniers cas ,
il s'introduit immédiatement dans les veines
lymphatiques ou dans les fanguines.
C'est dans celles-ci , ou dans le réſervoir
commun , que les veines lymphatiques le
conduifent , d'où il eft porté à la veine
foufclaviere , à la veine cave , au coeur ,
& de-là à toutes les parties de la machine.
Le virus peut rouler long-tems dans le
1
SEPTEMBRE . 1749. 16f
fang , fans caufer des fymptômes apparens.
Mais quand il ſe manifefte dans un
endroit , n'a- t'on pas lieu de craindre qu'il
n'ait laiffé ailleurs la difpofition de paroître
également ? Peut -on croire qu'il n'aura
pas changé la modification naturelle de
la lymphe , & communiqué à nos humeurs
une altération qui pourra éclore tôt ou
tard ? La lymphe & le fang , qui reviennènt,
des parties couvertes de porreaux ,
de verues , ou d'autres excroiffances femblables
, en font vraisemblablement entichés.
Le pus , qui fe forme dans les abſcès
ou dans les ulcéres, en eft infecté indubitablement.
En pareil cas , ne doit- on pas
craindre le progrès du mal , & une infection
générale Peut-on être fûr que la
lymphe de quelque partie que ce foit
n'en aura pas reçu l'impreffion ? L'expérience
eft d'accord avec la raiſon , & ne
permet pas de révoquer en doute une vérité
fi conftante ,
Ce principe une fois établi , fi le mercure
eft le vrai fpécifique du mal , il
faut le faire paffer & repaffer plufieurs fois
dans toutes les parties du corps. Pour qu'il
produife plus fûrement fon effet , il doit
être tellement diſtribué , qu'il puiffe rencontrer
fouvent toutes les particules des
tumeurs , pour y détruire l'altération que
E iiij
-104 MERCURE DE FRANCE.
dix
le virus y aura pû caufer . Tout divisible
que foit le mercure , je ne crois pas que
ou douze gros de ce minéral , mis en mouvement
par les feules puiffances vitales ,
puiffent être reduits en particules fi petites
, que le nombre en égale celui des vaiffeaux
qui compofent le corps humain . A
plus forte raifon ne fourniroient-ils pas
affez de particules pour rencontrer toutes
celles de nos humeurs. On ne les adminiftre
pas tous à la fois , & il s'en échappe
à chaque inftant par toutes les fecrétions
de forte qu'il ne refte jamais ni le tiers , ni
même le quart de cette quantité , à la fois
dans le corps. Si les excretions font augmentées
, les pértes augmenteront à proportion
, & la quantité du mercure reftant
fera toujours moindre. C'eft fur ce fondement
que je penfe , qu'on doit employer
pour le moins deux onces , ou deux onces
& demie de mercure , fans compter l'axonge
ou le beurre de cacao.
Second Article.
>
Le mercure , tranfmis dans le fang par
les vaiffeaux abforbans , arrive à la fin au
ventricule gauche du coeur , qui le rejette
dans l'aorte , d'où il eft porté dans toutes
les artéres fanguines , féreufes , lymphatiques
, & nevro-lymphatiques , & diftribué
SEPTEMBRE. 1749 . 105
>
dans toutes les parties de la machine. Les
veines qui répondent à ces artéres , reçoivent
la plus grande portion de ce mercure
qu'elles conduifent au ventricule
droit. Celui- ci l'envoye aux poulmons
par l'artère pulmonaire , dont la veine
congenere le rapporte au ventricule gauche.
Je dis que les veines reçoivent la plus
grande partie du mercure que le ventricule
gauche a jetté dans l'aorte , parce qu'il
s'en échappe par les vaiffeaux perfpiratoires
; ce qui fe prouve par la blancheur marquée
que l'on apperçoit fur les bagues des
perfonnes à qui on fait les frictions , fur
les cannes à pommes d'or qu'elles manient
,fur l'or & les montres qu'elles peuvent
porter dans le gouffet. Il s'en perd
encore par les autres fecrétions , puifqu'on
en trouve dans l'urine de ceux qui ont les
voies urinaires fort ouvertes , & dans la
falive de ceux à qui l'on a provoqué le
Pryalifme. Celui qui tombe dans les cavités
qui n'ont point d'iffue , eft repompé
par les vaiffeaux abforbans , & rapporté
dans les voies de la circulation. C'eſt dans
cette circulation continuelle où eft le mer
cure avec le fang & la lymphe , qu'il doit
rencontrer tous les globules de nos hu
meurs , les brifer , les divifer , & détruire
toute la modification contre nature , qu'ils
Ev
106 MERCURE DE FRANCE
peuvent avoir reçue de la maladie . S'il en
refte un feul de vicié , qui ait échappé à
l'action du mercure , le malade eſt manqué,
& de nouveaux fymptômes paroiffent
dans la fuite.
"
Voyons maintenant.comment cela
peut
arriver à ceux à qui l'on procure la ſalivation.
Le commencement de l'aorte eft
une espéce de courbe , & par conféquent
le fegment de quelque cercle. Le fang eft
de lui-même un liquide héterogene , & le
mêlange du mercure augmente en lui cette
qualité. Tout corps , mû circulairement ,
tache de s'échapper par les tangentes du
cercle qu'il décrit. Donc les particules
qui compofent ce liquide hétérogéne
tachent auffi dans la portion circulaire de
l'aorte , de fortir par les tangentes. Plus le
corps mû circulairement eft agité avec
force , plus grand auffi eft l'effort qu'il fait
pour s'échapper. Les particules du mercure
, étant plus denfes que celles du ſang,
reçoivent plus de mouvement qu'elles.
Leur effort à paffer par les tangentes eft
donc plus fort que celui des particules du
fang ; elles s'approcheront donc plus de la
farface fupérieure de cette courbe que dé
crit le commencement de l'aorte , que n'en
approcheront les particules du fang. C'eſt
de cette furface fupérieure que naiffent en
SEPTEMBRE 1749 107
gortangentes
, ou approchant de tangentes
des vaiffeaux qui peuvent les laiffer échap
per. Ces vaiffeaux font deux foufclavie
res , & la carotide , dont les diamètres font
confidérables. Donc la ftructure du com
mencement de l'aorte , & la naiſſance des
fouclavieres & de la carotide , font paffer
plus de mercure à proportion vers les parzies
fupérieures que vers les inferieures.
Les artéres carotides fe divifent à une cer
taine hauteur en internes & en externes.
Celles -là font , pour ainfi dire , perpendi
culaires ; celles - ci forment des plans inclinés.
Les externes vont au col , à la
ge , à la bouche , aux glandes qui s'y trou
vent , & à toutes les parties extérieures de
la tête. Un corps s'élevé plus facilement
par un plan incliné que par une ligne perpendiculaire.
Donc les particules de mereure
, qui paffent par les carotides externes
, confervent plus de leur mouvement ,
qu'elles n'en auroient confervé , fi elles
ávoient paffé par les carotides internes.
Il y a même lieu de croire que cette origine
des carotides externes facilite l'entrée
du mercare qui y paffe , & multiplie
le nombre de fes particules. Il n'eft done
pas furprenant , qu'après trois ou quatre
frictions faites coup fur coup , ou à un
petit intervalle l'une de l'autre , les vaifĘ
vj
108 MERCURE DE FRANCE .
feaux falivaires fe rempliffent , les glandes
deviennent engorgées , la bouche s'échauffe
, s'enflamme , des vaiffeaux s'y rompent
; il s'y forme des chancres & des ulcéres
, les malades fouffrent de grandes
douleurs , le Pryalifme furvient , & le
mercure s'évacue avec le fang , le pus , la
falive & les crachats.
Dans le tems de la falivation , le mer
cure trouve moins d'obſtacles dans la bouche
, qu'il n'y en trouvoit auparavant. Il
coule avec plus de facilité , & s'y porte
en plus grande quantité , comme fait la
férofité dans les inteftins , lorfqu'on a pris
médecine , ou dans la veffie , lorfqu'on a
avalé un diurétique qui a ouvert les
tuyaux des reins. Avant le Ptyalifme , la
plus grande portion du mercure , qui venoit
à la bouche , retournoir au coeur par les
ve ines , & continuoit à rouler avec le fangs.
mais dès qu'on a provoqué le Pryalifme ,
elle paffe par les vaiffeaux dilatés , déchirés
ou ulcerés. Chaque contraction du
coeur y en envoye une nouvelle quantité :
fi le coeur . fe contracte quatre mille fois.
par heure , la déperdition du mercure fera
répetée quatre- vingt feize mille fois par
jour, & toujours à raifon de la quantité
de la falivation , du nombre des ulcéres &
des déchirures. Ce n'eft pas- là la feule
SEPTEMBRE. 1749 109
voie par laquelle le mercure s'échappe dans
le tems de la falivation : la fueur de la tête
& des parties voisines augmente ordinairement
pour lors , & en entraine avec elle
une partie. La facilité que le mercure
trouve à paffer par la bouche , diminue la
quantité qui devroit fe porter aux autres
parties , qui en peu de tems n'en reçoivent
plus du tout. Le ravage qu'il a caufé dans
la bouche & à la gorge , empêche qu'on
ne faffe de nouvelles frictions , & le malade
conferve encore chez lui quelques
parties de virus. On croiroit que du moins
La bouche & la gorge en devroient être abfolument
dégagées , & que le retour du
mal ne devroit point commencer à s'y mafefter.
L'expérience journaliere prouve
cependant le contraire , & la raifon en eft
bien claire. C'est que tous les vaiffeaux
de la bouche & de la gorge ne font pas
également gonflés dans le Ptyalifme : les
plus dilatés en compriment d'autres , que
le mercure ne peut enfiler ,, parce que le
cours des humeurs y eft gêné , de forte que
le virus qui s'y trouve, ne peut être détruit,
our y eft fi foiblement combattu , qu'il
peut reparoître dans quelque tems avec
toute fa force & fon énergie. Et fi cela arrive
dans la bouche , qui dans le tems de
la falivation reçoit à proportion plus de
110 MERCURE DE FRANCE.
mercure que les autres parties du corps ,
ne doit- on pas craindre pour
celles-ci qui
fe trouvent alors privées de leur contingent
de ce minéral ?
Je n'ajouterai point à ces réflexions
l'expérience & le calcul que j'ai inferés
dans ma Théfe * , & qui fourniffent des
preuves de ce que j'avance. Vous pouvez
la confulter , Monfieur , puifque vous l'avez
entre les mains.
Il s'enfuit de tout ce que je viens de
dire , que la caufe du Ptyaliſme eft la trop
grande quantité de mercure qui vient à la
bouche , ou l'impétuofité avec laquelle il
sy porte. Pour prévenir cet effet , il faut
1. adminiftrer le mercure , de forte qu'il
n'arrive qu'en petite quantité à la fois au
ventricule gauche du coeur , & par ce
moyen iln'y en entrera que peu à chaque
contraction de ce vifcére dans la croffe de
Paorte. Ce peu fera diftribué à tous les
vaiffeaux , & quoique les carotides & les
fouclavieres en reçoivent plus à proportion
que les autres ,la quantité en fera toujours
petite par rapport à la bouche.
•
2. Pour prévenir l'impétuofité du mercure
, il faut faire enforte qu'il ne s'excite
Voyez ma Thefe de l'an 1741. An Ptalifmus
frictionibus mercurialibus provocatus , perfecta
Luis venerea fanationi adverfetur ?
SEPTEMBRE . 1749 . FIY
dans le
corps , ni fiévre , ni mouvement
déréglé ou impétueux . Tout Médecin de it
être en état de prendre ces précautions ,
puifque ces mouvemens ne font occafionnés
que par des accidens dépendans des
chofes non-naturelles .
L'onguent fait au tiers me paroît plus
propre à ce deffein , que celui qui eft fait
de parties égales de mercure & de graiffe ,
& il eft plus à propos de faire les frictions
fur une grande étendue de l'habitude du
corps , que fur une petite. La raifon de
Fun & de l'autre eft facile à comprendre.
Quant au nombre des frictions , à la dofe
de l'onguent qu'on doit employer pour
chacune, & à l'intervalle qu'on doit garder
entre elles , il n'y a qu'une connoiffance
parfaite des régles que je viens de pofer ;
un examen journalier de la bouche & de
la gorge ; une attention infinie à l'état du
poulx , un foin extrême de découvrir le
plus ou le moins d'élasticité , & de tenfion
des fibres , & la vifcofité ou la fluidité
du fang , avec beaucoup d'expérience ,
qui puiffent Fenfeigner. Vous concevez
bien qu'il ne faut pas traiter tous les malades
de la même maniere ; que la diffe
rence du tempérament , la force ou la
foibleffe du malade , les maladies qui peu
vent le trouver compliquées avec celle
112 MERCURE DE FRANCE.
que l'on traite , les fymptômes qui l'accompagnent
, le plus ou le moins de difpofition
naturelle qu'on a de moucher ou
de cracher , la facilité plus ou moins grande
que les amigdales ont à s'engorger , doivent
beaucoup varier le traitement. C'eft
au Médecin d'appliquer ces régles aux difpofitions
de chaque malade en particulier,
& de veiller par lui même à la conduite
du traitement , fans fuivre l'exemple de
quelques- uns des grands Maîtres , qui l'abandonnent
à quelque Ministre fubalterne
, qui n'eft guére plus éclairé ni mieux
inftruit que le malade qu'il a à traiter ;
fource inévitable de beaucoup d'accidens
qui aigriffent le mal , & en font manquer
la cure. Il eft étonnant de voir combien
de gens font profeffion de traiter cette
maladie , quoiqu'ils n'ayent pas la moindre
teinture des premiers principes de
F'Art. Vieilles femmes , petits fraters ,
charlatans étrangers , tous s'en mêlent , au
grand malheur des Citoyens , qui ne ſont
que trop fouvent la dupe de leur fotte
crédulité. Il.me paroît à moi , qu'on ne
fçauroit être trop éclairé , trop expérimenté
, ni trop attentif , pour réuffir dans le
traitement de cette maladie.
SEPTEMBRE . 1749. 113
Troifiéme Article.
Je viens de regarder le mercure , comme
un fluide très - pefant , toujours divifi- !
ble dans des particules homogénes au tout,
& fans autres préparations que quelques-
unes de celles qu'aucun Médecin ne
devroit ignorer. C'eft dans cette derniere
hypothéle ,› que j'ai expliqué la cauſe du
Ptyalifme , & propofé des régles pour l'éviter.
La crainte des inconvéniens de la
falivation ayant fait naître à d'autres Praticiens
le deffein de la prévenir , voici de
quelle façon ils s'y font pris . Les uns ont
penſé qu'il falloit donner le mercure en
très-petite dofe , & laiffer des intervalles
confidérables entre les frictions , de forte
que fuivant leur méthode il faut quatre
ou cinq mois au moins pour achever la
cure. D'autres vouloient qu'on fit de plus
amples frictions , & qu'on purgeât le malade
le lendemain de chacune , pour détourner
le reméde de la bouche , & le précipiter
en bas. Enfin d'autres ont crû qu'il
falloit corriger le mercure , & le dépouiller
de fa vertu falivante .
La premiere de ces méthodes pourroit
être efficace , fi l'on n'avoit pas à craindre
l'impatience du malade ou du Médecin.
Quelque inattention accidentelle de la
114 MERCURE DE FRANCE.
part de celui-ci , eft d'une dangereufe conféquence
, & il arrive fouvent des fymptômes
urgens , qui ne fouffrent point une
femblable lenteur , qui s'augmentent de
plus en plus , & font un ravage extrême
même dans la méthode ordinaire , avant
que le mercure foit parvenu à les combattre.
Ajoutez à cela qu'il y a bien des malades
, à qui les affaires , & les circonftances
particulieres où ils fe trouvent , ne 'permettent
pas de donner un tems fi confidérable
au rétabliffement de leur fanté .
La feconde méthode n'eft pas plus fûre
que celle de la falivation . Le mercure
que l'on tranfmet dans le fang par les
frictions, en eft bientôt expulsé par les purgatifs.
Les inteftins , & les autres vifcéres
du bas ventre , en font accablés , & les
accidens qui arrivent en conféquence , ne
permettent pas de l'adopter ; comme dévoyemens
, dyffenterie , hémorrhoides , &
quantité d'autres auffi douloureux & embarraffans.
La troifiéme méthode a réuffi à pen de
perfonnes . Je dis à peu de perfonnes , car
il y en a effectivement qui l'ont employée
avec fuccès , & qui fçavent donner le
mercure en une dofe confidérable , fans
craindre qu'il fe porte à la bouche. Je
n'hésite pas de l'avancer , & j'ai pour ga
3
SEPTEMBRE . 1749.f
115
rant un Médecin de Paris , qui n'eft pas
moins digne de foi , que célébre par fes
lumieres & fon expérience , & qui m'a affûré
qu'il fçavoit dépouiller le mercure de
fa vertu falivante , fans lui ôter rien de
fa vertu fpécifique. Son nom feul , fi j'ofois
m'en appuyer , ne laifferoit là - deffus
aucun doute dans l'efprit le plus incrédule.
Mais le profond refpect que j'ai
pour les talens & pour fon mérite , m'impofe
le filence, jufqu'à ce qu'il m'ait permis
de le rompre
.
CONCLUSION.
Les frictions mercurielles adminiftrées
de la maniere ordinaire , foir à un malade
, foit à une perfonne faine , excitent
ła falivation. On guérit cependant nombre
de malades par le moyen des frictions ,
fans les faire faliver. M. Chicoineau l'a
affûré dans fa Théfe. M. de la Peyronie
me l'a fouvent dit , & s'attribuoit le mérite
de l'invention de cette méthode.
M. Aftruc même ne le nie pas dans fon
excellent ouvrage de Morbis Venereis . Et
il n'y a guéres de Médecins , à qui il ne foit
arrivé de guérir fans Pryalifme. La falivation
n'eft donc pas abfolument néceffaire
pour détruire le virus. Il me femble
que j'ai prouvé qu'elle peut apporter un
11G MERCURE DE FRANCE.
obftacle à la cure : elle eft donc non feu
lement inutile , mais même contraire au
deffein que l'on fe propofe. Tout le
monde convient qu'elle eft fâcheufe , incommode
, dangereufe , & quelquefois
mortelle. Pourquoi donc en rifquer l'évenement
? Et y a - t'il fujet de s'étonner
qu'on l'évite , quand on a des régles pour
fe conduire , & qu'on peut dépouiller le
mercure des qualités qui produifent cet
effet ? Voilà , Monfieur , ce que j'avois à
répondre aux principales queftions de
votre Lettre ; mes affaires m'empêchent
de vous donner fur les autres des réponfes
particulieres ; mais vous pourrez affifter
aux leçons publiques que je dois bientôt
faire , & qui rouleront pour la plupart
fur ces matieres.
J'ai l'honneur d'être , &c.
SEPTEMBRE . 1749. 117
RELATION
Du Service folemnel qui a été fait dans l'Eglife
des Peres Barnabites du Collège de
Montargis le 20 Mars 1749 , pour le repos
de l'ame de trés- haute , très-puiffante
très-excellente , Princeffe Marie Fran,
coife de Bourbon , Douairiere de S. A. R.
Philippe Duc d'Orléans , Régent din
Royaume,
du
E deffein de la pompe funebre , préce
d'après le deffein du rétable de l'Eglife des
Peres Barnabites ; rétable que les Connoiffeurs
eſtiment , & qui étant compofé
de quatre colomnes , avec nombre de pilaftres
de marbre noir, & de pierre de lierre
parfaitement belles , traçoit naturellement
le deffein qu'on devoit fuivre pour la décoration
de l'Eglife . Trente-quatre pilaftres ,
qui partagent ce vaiffeau , étoient revêtus
d'un marbre fimulé , parfaitement reffemblant
aux pilaftres , & aux colomnes de
marbre qui font dans le Sanctuaire . Differentes
litres d'une belle largeur , reparties
dans toute l'étendue de l'Eglife , la
tageoient en autant de parties & de figures
par118
MERCURE DE FRANCE.
diverfes qu'il en falloit pour rendre fidelement
le deffein du rétable . Les deux Autels
plus petits , qui forment comme une
dépendance du grand , n'étant qu'en fimple
boiferie d'une belle fculpture , on les
avoit revêtus en blanc ; les colomnes avoient
été mises en marbre noir : & pat cette difpofition
, elles ne formoient avec le grand
Autel qu'un tout parfaitement reffemblant.
Sur le haut de ces trois Autels , on avoit
placé de grands écuffons accolés extrêmement
riches. On en avoit également orné
toutes les litres , mais en les variant. Les uns
étoient en palmes , tantôt en or , tantôt en
argent; les autres avec des manteaux d'hermine
, femés de Fleurs de Lys d'or fur le
revers ; les autres avec des cordelieres de
toute efpece.
Les intervalles, entre les pilaftres placés
dans la Nef, étoient remplis par des emblêmes
, qui caractérifoient les differens
traits de la vie & de la morr de l'augufte
Princeffe qui faifoit l'objet de cette trifte
cérémonie , & à tous ces emblèmes répondoient
autant de luftres qui éclairoient
cette hiftoire fymbolique ; au-deffus &
au-deffous de ces emblèmes , on avoit
orné les litres du chiffre de cette illuftre
Princeffe, qui étoit en or.Tous les pilaftres
fembloient s'unir par des guirlandes en
SEPTEMBRE . 1749. 119
noir & en blanc , qui regnoient dans toute
l'Eglife. La corniche de ces pilaftres étoit
remplie de flambeaux d'argent avec des
bougies. Telle étoit la difpofition générale
de l'Eglife .
Le Sanctuaire étoit orné fimplement, mais
avec goût. Les tableaux des trois Autels
étoient couverts de draps mortuaires , des
plus beaux. Tout le blanc, qui en forme la
Croix , étoit femé de Fleurs de Lys , de
palmes , de chiffres , de couronnes en or ;
tout le noir étoit enrichi de larmes , de
têtes de mort , de chiffres , & autres ornemens
en argent . Les Armoiries de la Princeffe
formoient les quatre coins de ces draps
mortuaires , & étoient auffi riches que tout
le refte. Tout l'efpace qui fe trouve depuis
le rétable du grand Autel jufqu'aux petits
, étoit rempli par des pieces d'étoffe ,
difpofées en colomnes , mi- parties de
blanc & de noir , fur lefquelles on avoit
mis le même deffein que fur les draps mortuaires
des Autels, Toutes les colomnes
blanches étoient enrichies de divers ornemens
en or ; toutes les colomnes noires l'éroient
en argent.
Sur une baze quarrée de douze pieds
en longueur , de onze en largeur , & de
fix en hauteur, placée dans le milieu de la
Croix de l'Eglife , s'élevoiënt fix dégrés
120 MERCURE DE FRANCE.
l'un fur l'autre , qui réunis avec la baſe ,
formoient une figure pyramidale de la hauteur
de plus de onze pieds . Le dernier
dégré de cette pyramide foutenoit un tombeau
à la Romaine , de marbre noir. Cette
urne , qui étoit de cinq pieds de haut ,
étoit ornée , dans toutes les faces , des armoiries
de la Princeffe , de fon chiffre ,
de têtes de mort, & d'autres ornemens placés
avec fymmétrie . Sur le haur de l'urne,
étoit placée une couronne d'or qui repofoit
fur un carreau de deuil : on l'avoit
couverte d'un voile tranfparent , qui en
laiffoit, entrevoir l'éclat. Ce catafalque
étoit orné auffi richement que le Sanctuaire
, & dans le même goût. On avoit pris
des plus belles étoffes neuves en noir & en
blanc , qui rempliffoient tous les gradins
d'une maniere uniforme. L'or & l'argent
répandus fur les écuffons , les Fleurs de Lys,
les chiffres , les palmes , têtes de mort ,
larmes , &c. qui ornoient ces pieces d'étoffe
, réfléchiffoient avec beaucoup d'éclat
la lumiere que jettoit un nombre
prefque infini de bougies placées avec fymmétrie
fur les fix dégrés , dans des chandeliers
ou des flambeaux d'argent , & fembloient
la reproduire. Quatre Vertus appuyées
fur le premier gradin d'en bas
dans les quatre coins du catafalque , préfentoient
SEPTEMBRE . 1749. 127
Tentoient tous les fymboles , tous les
effets de la douleur ; elles fembloient
pleurer une Princeffe fi digne des regrets
de la Religion , & devenoient par - là trèspropres
à exprimer les regrets d'unCollége,
fi fpécialement dévoué à l'Augufte Mailon
d'Orleans .
Au - deffus du catafalque , s'élevoit un
dôme de dix-fept pieds de haut , qui prenant
fa naiſſance dans la voûte de l'Eglife ,
defcendoit en proportion , & formóit , en
s'élargiffant toujours , un grand rond qui
renfermoit toute l'étendue du catafalque.
De ce cul de lampe renverfé , qui en dedans
& en dehors étoit orné de larmes , de
têtes de mort , avec de grands galons d'argent
, & qui étoit terminé par de beaux
feftons , pendoient quatre rideaux d'une
étendue immenfe , mi-partis de blanc &
de noir, garnis d'hermine fur le blanc , de
larmes & de têtes de mort fur le noir . Les
rideaux après avoir formé un grand feſton,
en defcendant à volonté , étoient attachés
aux quatre maîtres piliers de la Croix , d'où
ils defcendoient en feftons jufqu'à terre.
Entre ces rideaux & les bords du dôme
pendoient quatre lampes d'argent. Du centre
pendoit un grand luftre de cristal , dont
les bougies conduifoient avec les lampes
la lumiere par dégrés , depuis le catafalque
F
122 MERCURE DE FRANCE.
jufqu'au grand cercle du dôme , qui fem
bloit ne former lui - même qu'un grand cer
cle de lumiere , par la multitude de bougies
dont il étoit garni , à très - peu de diſtance
l'une de l'autre, Plufieurs autres luftres
qu'on avoit placés dans le Sanctuaire , dans
les côtés du catafalque & dans la Nefde
l'Eglife , avec un grand nombre de flambeaux
d'argent , qu'on avoit répandus par
tout où les luftres ne pouvoient être pla
cés, remplaçoient abondamment, par la lu
miere des bougies dont ils étoient char
gés, la lumiere du jour qu'on avoit dérobée,
en fermant exactement toutes les fenêtres
& toutes les portes.
Dès la veille de la cérémonie , tous les
exercices du Collége avoient été entierement
fufpendus en figne de deuil. Les clo
ches du Collège l'annonçoient d'heure en
heure. M. le Prieur de Montargis voulur
donner dans cette occafion une nouvelle
preuve de fon zele pour la Maifon d'Or
leans , en faifant fonner également toutes
les cloches de l'Eglife Paroiffiale, Vers les
neuf heures & demie , M. le Prieur de
Montargis avec tout le Clergé de la Paroiffe
, les Peres Bénédictins de Ferrieres ,
les Peres Récollers , le Préfidial , le Corps
de Ville , les Eaux & Forêts , l'Election
& tous les autres Corps qu'on avoit in
S
1749. 125 SEPTEMBRE.
vités en cérémonie; s'étant rendus dans l'Eglife
des Peres Barnabites , avec une exactitude
digne du zele qui anime les Chefs &
les Membres de ces differentes Compagnies
pour l'augufte Maiſon d'Orleans , le
Service commença. La Meffe fut célebrée
par le Supérieur du Collége , & chantée
à plufieurs choeurs d'une Mufique propre
à la cérémonie lugubre qui en faifoit le
fajet. L'Oraifon funebre , qui fut pronon
cée par le Profeffeur de Rhétorique après
l'Evangile , étant achevée , on continua
la grande Meffe , après laquelle on fit les
abfoutes , afperfions , & les encenſemens
ordinaires. La cérémonie finit par un De
profundis chanté par la Mufique.
L'Oraifon funebre prononcée par le Pro
sfeffeur de Rhétorique exprimoit trop fide
fement les fentimens qu'on avoit éprouvés ,
& qu'on éprouvoit encore à Montargis ,
pour ne pas être goûtée. L'Orateur prit fon
texte de cet endroit duChapitre 16 duLivre
d'Efther : Luxit eam omnis populus. Après
avoir rappellé, de la maniere la plus énergi
que , cette trifteffe générale répandue dans
tous les coeurs , lorfqu'on apprit dans cette
Ville la mort de cette illuftre Princeffe ,
il trouva dans les motifs de cette douleur
le plan & la divifion de fon difcours. Elle
fnt pleurée de tout le monde , dit - il ,
F ij
124 MERCURE DEFRANCE.
Pourquoi parce qu'elle faifoit le bonheur
& l'admiration des hommes , par les
rares qualités de fon coeur ; parce qu'elle
faifoit la gloire & l'ornement de la Religion
,, par l'éminence de fes vertus.
La modeftie de l'Orateur ne lui ayant
pas permis de remettre fa piece pour en
faire ou une copie , ou du moins des extraits
en régle , on fe contente d'en tracer
ici quelques traits échappés , qui pour être
plus frappans , fe font gravés plus profondément
dans la mémoire. En parlant de
l'innocence de cette grande Princeffe pendant
fon féjour à la Cour , voici à peu près
comment l'Orateur commençoit ..
» Mais où la fit - elle éclatter , cette in.
»nocence ! Et fur quel Théatre viens - je
Q ici vous préfenter cette religieufe Princeffe
Sageffe adorable de mon Dieu, par
» quelles routes conduisez- vous vos Elus ?
» Ah ! Mrs , ne perdez rien d'une cir-
» conftance auffi intéreffante : c'eft dans le
fein de la Cour la plus brillante de l'Univers
que je viens la produire. Quel Théatre
pour la vertu ! Et l'avoir nommé
» n'eft- ce pas d'avance vous avoir donné.
» l'idée de la grandeur du danger ? Pourquoi
la Cour des Princes de la terre ,
» qui nous offre l'image la plus fenfible de
₪ la grandeur , de la puiffance du fouveSEPTEMBRE
. 1749. 125
rain Maître , n'en exprime - t - elle pas
auffi la fainteté ? Pourquoi ces Sanctuai-
Dres fi refpectables , fi dignes de tous nos
» hommages , font - ils en même tems le
» trop jufte objet de nos larmes & de notre
» zéle ?
Ici l'Orateur faifoit le portrait de la
Cour , & le frappoit avec les couleurs les
plus vives , il le finiffoit à peu près en ces
termes.
» ...... La Cour , où pour
l'ordinaire
' on n'adore que la fortune , & le puiffant
» Monarque
qui la tient dans fes mains 3
où la vérité ne fit prefque jamais en-
» tendre fa voix fans contradiction
& fans
» danger ; où mille fyftêmes , enfans du
» libertinage & de l'orgueil , portent tous
D
les jours de nouvelles atteintes à un refte
» de Religion qu'on cherche à étouffer ;
» la Cour , en un mot : tel eft le Théatre
» où la Providence veut faire briller l'in-
" nocence & la piété de notre illuftre Prin
» ceffe..
» Ici , Meffieurs , repréfentez - vous To-
» bie , qui encore jeune , dans le tems que
" tout le monde alloit adorer les Veaux
d'or qu'avoit élevés Jeroboam , confus
» de l'encens idolâtre qu'il voyoit offrir,
» couroit aux pieds des faints Autels pour
"y a dorer le vrai Dieu ; image fenfible
Fiij
126 MERCURE DE FRANCE:
» de l'innocence de cette grande Princeffe
» Auriez - vous pû la méconnoître à des
» traits fi reffemblans ! Voilà fa conduite :
» voilà ce qu'elle faifoit pour fon Dieu
dans un âge , où pour l'ordinaire , la rai-
» fon & la Religion ont fi peu d'empire
» fur le coeur humain , dans un lieu où tout
eft écueil pour l'innocence. Hac & hisfimiliafecundum
Legem Dei .... obfervabat,
»Vivre dans la retraite & le recueille-
»ment , lorfque la décence de fon état lui
» permet de s'y renfermer ; & n'en fortir
» que pour répandre au dehors la bonne
» odeur de Jefus- Chrift . Etre continuellement
en garde contre les furprifes de la
»féduction , & en repouffer les atteintes
avec une force qui femble tenir da mi-
» racle ; entretenir la paix & l'union avec
» tout le monde , & cependant ne rien
perdre , ne rien laiffer altérer de fon in-
» nocence par la contagion du mauvais
exemple ; condamner les vices , cenfurer
les paffions dominantes
» pendant rendre cette cenfure aimable ;
faire honorer la vertu , l'accréditer par
>> fon exemple ; voilà l'occupation , je di-
" rois prefque , voilà les miracles de cette
» augufte Princeffe dans ce lieu tout à la
fois , & le plus refpecté , & le plus redouté
par les vrais partifans de la Reli-
"
ور
»
& ceSEPTEMBRE.
1749. 127.
gion. L'y vit-on jamais , vile efclave d'une
» prudence mondaine, encenfer des idoles
» qu'elle y vit adorer ? L'y vit- on ,vile adu-
» latrice des Dieux de la terre , y appuyer
» de fon fuffrage des excès qu'elle devoit
» condamner ? L'y entendit- on , féduite par
» une préfomption téméraire , répandre ,
» comme tant d'autres ,mille doutes fur des
»vérités faintes qu'elle devoit croire & ref-
» pecter ? Non , non , fa politique fut tou-
» jours celle de la Religion même. Jamais
elle n'en connut , elle n'en fuivit d'au-
» tre. Ce qu'elle autorifoit , ce qu'elle con-
» damnoit , ce qu'elle propofoit ; voilà ce
qui fit toujours la régle invariable de fes
penfées , de fes paroles , de fes démarches.
Ainfi dans le féjour du menfonge
& de la diffimulation , dans le centre
de la licence du coeur & de l'efprit ,
fçut- elle conferver la candeur de la vé
rité , l'innocence des moeurs , toute la
pureté de fa foi . Hac & his fimiliafecun
dum Legem Dei ..... obfervabat.
L'Orateur parlant enfuite de fa retraite
de la Cour, s'exprimoit en ces termes.
»Trop long - tems elle a gémi , comme
»Efther , fur une cruelle néceffité de fafte
» & de diffipation , impofée par fa condi-
» tion : elle veut fecouer un joug qui l'em-
» pêche de s'occuper uniquement de fon
F iiij
128 MERCURE DE FRANCE .
"falut. Que les honneurs , que les charmes.
" de la Cour enchantent les enfans du fié-
" cle ; notre religieufe Princeffe ne peut
و ر
29
ود
en foutenir le poids. Elle s'éloigne donc
"d'un lieu où fa piété eft affujettie à des
" bornes trop
étroites , & en s'éloignant
ainfi du centre des honneurs , elle donne
cette importante leçon , que comme dans
le Chriftianifme on peut vivre au milieu
"des honneurs par état ou par obéiffance ,
on doit cependant les fuir par goût &
>> par Religion. Jufqu'ici elle a juſtifié par
fon exemple qu'on peut , & comment
on peut allier l'innocence & la fainteté
"avec les honneurs ; il eft une feconde
"inftruction également précieuſe , &
peut -être plus difficile dans la pratique,
que cette religieufe Princeffe réſervoit
» aux Grands du monde ; c'étoit de leur ap-
»prendre à s'en détacher , & c .
"
»
>>
»
>
L'humilité Chrétienne de cette grande
Princeffe avoit été mife dans tout fon jour.
Voici comme l'Orateur rendoit fes dernieres
volontés fa
pour pompe
funebre.
>> Tel eft l'excès de l'aveuglement & de
»l'orgueil des Grands . Ils naiffent dans la
»pourpre , ils vivent dans le fein des hon-
" neurs ; ils veulent que la magnificence
» les fuive même après leur mort. Etrange
» fafcination ! oui , Meffieurs , ce fuperbe
SEPTEMBRE. 1749 . 129
- "
appareil qui embellit Leurs Palais , ils exi-
» gent qu'il foit comme reproduit fur leur
» tombeau. Ici l'ordre eft renverfé . Comme
و د
la gloire qui environne les Princes , ne
"" fut jamais pour notre illuftre Princeffe
» qu'un objet de mépris , cette pompe qui
و د
les fait après leur trépas , devient éga-
» lement l'objet de fon dédain . Un cercueil
ordinaire , un convoi fimple & fans
» art , fuffiſent à cette grande Princeffe. Et
» fi elle pouvoit interrompre le filence du
-" tombeau où elle eft defcendue , ne devrions-
nous pas craindre qu'elle ne nous
» adrefsât ces paroles fi conformes à cette
» grandeur d'ame qui formoit fon vrai ca-
» ractere ? Miniftres du Seigneur , où vous
» emporte un zele ardent ? Et pour qui
> offrez- vous un encens qui brule avec tant
» de profufion ? Mais pardonnez , grande
» Princeffe , pardonnez ce foible témoi-
» gnage de notre refpect & de notre recon-
» noillance; ainfi cherchons-nous à tromper
» notre douleur : fi dans un Sanctuaire , mo-
» nument précieux de la munificence de vos
glorieux ancêtres , nous nous bornions à
לכ
"
une expreffion ordinaire , les pierres mê-
» mes de ceTemple augufte , élevé par leur
» générosité, ne dépoferoient- elles pas con-
» tre nous ?
--- La charité que cette grande Princeffe a
Fy
130 MERCURE DE FRANCE
fait éclatter dans tous les rems pour les pauvres
, n'avoit pas échappé à l'Orateur.Voici
peu près comme il s'exprimoit. à
»
"
» On l'avoit vûe cette grande Princeffe ,
» au milieu de la Cour la plus brillante
» qui ſoit dans l'Univers , ufer de ſes grands
» biens, comme n'en ufant pas. On l'avoit
»vûe, fur ce Théatre où l'on ne voit qu'é-
» mulation de luxe & de vanité , donner
» à la charité ce que la décence la plus religieufe
n'exigeoit pas indifpenfablement
pour fon ufage. Sa retraite l'a heurea-
»fement affranchie des bienséances de fon
» état il n'eft plus de lien qui l'attache
»aux biens de la terre. Deformais la Re-
» ligion & la charité en régleront feules
l'ufage & la deftination . Nourrir avec
une fainte profufion les membres d'un
»Dieu fouffrant ; brifer les chaînes des
» malheureux qui gémiffent dans les prifons;
fournir à l'entretien ,à la décoration
de ces lieux refpectables, établis contre le
défeſpoir de l'indigence ; confacrer à la
pompe des Temples ce que la terre a de
»plus précieux ornemens; tel eft l'ufage que
cette religieufe Princeffe fait des grands
»biens que la Providence lui a confiés.
»Prodigue de fes tréfors pour s'en faire
des amis pour le Ciel , ou pour ériger des
trophées à la Religion , elle ne connoît
SEPTEMBRE. 1749. 131
ל כ
n
» d'économie que lorfqu'il eft queſtion
» d'elle-même. Inépuisable dans fes reffour-
» ces pour les autres , fa charité ne s'ex-
» prime que par des miracles : pas de befoin
qui échappe à fa générofité , Infenfible
pour elle- même , elle ne connoît
» elle n'écoute que la voix du retranche-
» ment & du facrifice . Merveilleux con-
» trafte produit par la charité ! Un coeur
» qui en eft rempli fuffit à tout le monde
» fes intérêts propres font les feuls qu'il
» oublie , les feuls dont il ne fçauroit s'oc-
» cuper. Faut- il , Meffieurs , des preuves de
» la vérité que j'avance ? Je n'en veux d'an
tre que les larmes ameres que tant de
» pauvres , que tant de malheureux ont répandues
fur fon tombeau . Vous le fçavez,
» Meffieurs; on les a vus, dans ces jours de
» trifteffe & de deuil , venir en foule au-
" tour de fon Palais , & publier par leurs
cris lamentables tant de charités que no
» tre illuftre Princeffe avoit cherché à dérober
à la connoiffance des hommes. O
>> mon Dieu , ferez -vous infenfible aux gémiffemens
de tant de veuves éplorées ,
»de tant de pauvres inconfolables , qui
vous demandent le falut de l'illuftre
Princeffe , & c.
L'Orateur avoit une occafion trop na
turelle de parler de S. A. S. M. le Due
F vj
132 MERCURE DE FRANCE.
d'Orléans , Protecteur du Collège des Peres
Barnabites , pour ne pas la faifir ; il
continuoit à peu près en ces termes.
"
"
» C'en eft donc fait , familles défolées ,
» vous avez perdu votre confolation . Pupilles
, abandonnés à toute la rigueur du
»fort , vous avez perdu une mere tendre
» & compatiffante. Pauvres , accablés Lous
» le poids de votre mifere , vous avez per-
»du une reffource inépuifable dans vos
» maux. Mais qu'ai - je dit ? Non , non ,
» confolez -vous ; celui qui du haut du
» Ciel jette les yeux fur l'affligé & fur l'indigent
, a pourvû à vos befoins ; il per-
» pétue dans l'augufte fils les charitables
»profufions de Pilluftre mere Pouvoit- il
» vous confoler plus tendrement de la per-
» te de l'une , qu'en vous ménageant de
puiffans fecours dans la charité de l'au-
» tre ? Quel heureux préfage n'en trouvez-
» vous pas dans la conduite de ce grand
Prince , l'objet de notre admiration , de
notre refpect & de notre amour ? Juf
» qu'ici quelle efpece de befoin a pu
échapper à fa miféricordieufe vigilance ?
» Avec quel foin le voyons nous tous les
»jours bannir l'indigence , écarter par fes
largeffes les mauvais confeils d'une pau-
»vreté honteuſe ? Miniftre fidéle du Dieu
» des miféricordes ; coopérateur de fes
و ر
"
"
SEPTEMBRE. 1749. 137
bontés , image la plus reffemblante des
tendres attentions de la Providence ,
» comme il eft l'expreffion la plus fidelle
de la fainteté d'un Dieu par fes vertus ,
que ne peut- on pas fe promettre d'un
» Prince , qui n'aime à compter fes jours,
» fes momens , que par les bienfaits ?
L'Orateur finiffoit fon difcours par
une Priere conçue à peu près en ces
termes.
• »
"
Mais , Seigneur , fi malgré toute l'ef-
» pérance que nous donnent tant de graces
» reçûes , tant de vertus pratiquées , il ref
» te encore dans cette grande ame quelque
légere faute à expier ; fi les larmes & les
»prieres de tout un peuple attentif à im
plorer pour elle vos divines miféricor-
» des , n'ont pas encore fatisfait à toute
» l'étendue de votre Juftice :ne rejettez pas ,
» ô mon Dieu, les voeux de toute une Ville
profternée aux pieds de votre Trône ,
prêtez l'oreille à la voix de tant de Mi
» niftres de vos Autels , qui peu contens
de vous avoir offert déja plufieurs fors
» pour fon repos le Sacrifice d'expiation ,
»fe réuniffent encore aujourd'hui pour
23.
vous l'offrir tous enfemble. Exaucez les
> voeux de ces illuftres Compagnies , qui
» peu contentes d'avoir déja fait éclatter
leur zéle pour cette illuftre Princeffe ,
134 MERCURE DE FRANCE.
viennent aujourd'hui répandre de nouvelles
larmes fur fon tombeau . Exaucez
les voeux ardens que vous offre pour el-
» le tout un Collége, que la reconnoiſſance
» pour l'augufte Maiſon d'Orléans a déja
i fouvent conduit aux pieds de ces
Autels. Exaucez le Sacrificateur par le
»mérite du Sacrifice , faites entrer dans
>votre faint repos cette illuftre Princeffe ,
» qui fit toujours de votre Loi fainte
l'unique régle de fa conduite . Que
votre Juſtice , ô mon Dieu , foit fatisfaite
par une victime fi précieufe , & qui
>> coûte tant de regrets à notre coeur . Con-
>fervez - nous le grand Prince qui nous retrace
fi parfaitement cette religieufe
Princeffe que nous pleurons. Son fort
fait celui de ces Provinces , j'ofe dire ,
celui de la Religion . Confervez- nous
fon augufte fils ; dès l'aurore de fes jours
il a fait notre gloire , pourroit- il ne pas
faire notre bonheur ? Oui , confervez-
> nous ces deux têtes fiprécieufes ; que votre
miféricorde fe répande fur les dignes
objets de leur tendreffe : dès lors nos défirs
font remplis , nous leur abandon-
> nons avec confiance tous les foins de notre
félicité.
J
SEPTEMBRE. 1749. 135
Emblemes placés dans la Nef de l'Eglife
pour caractériser les traits de la vie & de la
mort de S. A. R. Madame , Ducheffe
d'Orléans.
Le premier caractériſoit fa tendre pietés
c'étoit l'Héliotrope , tourné vers le Soleil
, avec cette infcription : Te quocumque
fequar.
Cette fleur à l'Aftre du jour
Rend hommage de fa naiffance ;
Mille foins affidus lui prouvent fon retour ,
Et fa pure reconnoiffance ;
Elle imite fon cours, & le fuit en tous lieux.
Telle chaque jour à nos yeux
On vous vit rendre , adorable Princeffe ,
Au fouverain Maître des Cieux
Un hommage conftant d'amour & de tendreffe
Le fecond marquoit fa dévotion envers
le Saint Sacrement , figurée par l'Aigle fixant
fes regards fur le Soleil , avec cette
infcription : Non aciem radius ladit.
Cet Aigle fixe fes regards
Sur l'Aftre qui du jour difpenfe la lumiere ,
Et qui du haut de ſa carriere
Répand fes feux de toutes parts.
Princeffe , la piété qui regnoit dans votre ame,"
Quand la mort de vos jours éteignit le flambeau
136 MERCURE DE FRANCE.
窿
Fit brûler votre coeur d'une céleſte flâme
Pour un Dieu , dont la voix réclame
Un hommage toujours nouveau.
Le troifiéme exprimoit ſa fidélité pour
Dieu au milieu des dangers du monde ,
qu'on avoit figurée par une bouffole que
les mouvemens & les agitations n'empêchent
pas de fourner vers l'étoile polaire ,
& qui fuit toujours le mouvement qui l'y
porte , avec cette infcription : Et regit &
regitur.
Miférable jouet d'un aveugle caprice ,
Qui de ton coeur confacre & nourrit les déſirs ,
Mortel,qui fais pour quelques faux plaifirs
De C ton repos le facrifice ;
En vain loin de l'objet qui peut te rendre heureux,
Cherches- tu le bonheur folide.
Ah ! fi tu l'aimes , fuis mille écueils dangereux ;
Lâche, je veux t'apprendre à tourner tous tes voeux
Vers celui qui des coeurs eft le fidéle guide.
Le quatrième caractériſoit fon amour
pour Dieu , figuré par une balance , qui
d'un côté porte un globe, & de l'autre un
triangle , fur lequel eft un coeur enflammé,
qui la fait pancher , avec cette infcription
: Orbi praponderat amor.
En vain le monde avec tous fes attraits
SEPTEMBRE . 137 1749.
Vouloit-il à ce coeur faire rendre les armes ;
Ses honneurs, fes plaiſirs , fes biens les plus parfaits,
Ne purent l'éblouir jamais ;
Un plus aimable objet le foumit à fes charmes ,
Et fixa fut lui fes fouhaits.
Le cinquiéme marquoit fon refpect
dans les Temples , figuré par la vapeur de
l'encens , avec cette infcription : Numen
veneratur odore.
L'agréable odeur que j'exhale ,
Me confacre à l'Autel du Souverain des jours.
Brûler d'un feu facré , mais y brûler toujours ,
C'est ma fonction principale .
Sage Princeffe , hélas ! lorſqu'une vive ardeur
Vous dévoroit dans nos faints temples ,
De votre pieté mille rares exemples
Répandoient parmi nous une céleste odeur.
Le fixiéme exprimoit fa retraite & fon
recueillement , figurés par un ver à foye
dans fa coque , avec cette infcription :
Melior fortuna fequetur.
Renfermé dans cette retraite ,
Pour quelque tems j'y perds ma liberté ;
Mais durant ma captivité ,
Pour un fort plus heureux j'agis , je m'inquiéte¿
Pour un deftin plus glorieux ,
138 MERCURE DE FRANCE.
Mortel , ru dois agir fans ceffe ;
Travaille conftamment , travaille fans foibleffe ;
Mon exemple t'apprend à mériter les Cieux ;
pour Le feptiéme caractériſoit fa charité
les pauvres , figurée par une fontaine
abondante , avec cette infcription : Affluit
omnibus unda .
Si tant de malheureux qu'une affreufe mifere
Sacrifioit à fa rigueur ,
Ont mille fois , dans votre coeur ,
Trouvé les fentimens de la plus tendre mere ,
Princeffe , dont la mort cauſe notre douleur ,
Lorfque par vos bienfaits vous terminiez leur
peine ,
#
N'étiez - vous pas cette claire fontaine ,
D'où couloient à la fois leur gloire & leur bond
heur ?
Le huitiéme exprimoit fa douceur & fa
complaifance dans le commerce de la vie ,
figurées par la glace d'un miroir,avec cette
infcription : Omnibus omnia .
Si je prends de chacun le propre caractére ,
J'imite de l'ami fincére
La complaifance & la candeur.
Princeffe , l'aimable douceur
Que le Ciel avec vous fit naître
SEPTEMBRE . 1749. 130
Cette douceur , qu'en vous on vit toujours pa
roître ,
Fut l'image de votre coeur.
Le neuviéme marquoit la patience édifiante
avec laquelle cette illuftre Princeffe
a foutenu fa maladie . On l'avoit figurée
par une torche qui brille encore , quoique
prête à finir , avec cette infcription :
Pereundo corufcat.
En répandant une vive lumiere ,
Comme l'Aftre du jour qui brille dans les Cieux ;
J'ai rempli conftamment mon deftin glorieux ;
Prête à terminer ma carriere ,
Je brille comme lui d'un éclat radieux.
Le dixième caractérifoit la mort de la
Princeffe , figurée par l'Eclipfe de la Lune,
avec cette infcription : Rediviva micabo.
Și je ne répands plus dans ce vafte hémiſphere
Le bel éclat que milie objets
Recevoient par mon miniftere ,
C'eft que la terre , oubliant mes bienfaits
Arrête les regards de l'Aftre qui m'éclaire ;
Mais quand pourfuivant fa carriere ,
L'ingrate aura paffé dans quelqu'autre climat,
Brillante alors d'une vive lumiere ,
Je paroîtrai dans mon prémier éclat,
140 MERCURE DE FRANCE.
- Le onzième caractérifoit la famille aut
gufte de l'illuftre Princeffe , en particulier
S. A. S. M. le Duc d'Orléans , qui la fait
furvivre à elle- même . On l'avoit figurée
par un grand nombre d'étoiles , précédées
d'une plus grande & plus brillante , qui
fortent d'une fufée qui éclatte dans l'air ,
avec cette infcription Succedit Incida
proles.
Ce beau feu, qui brilloit dans l'air
Déja commence à difparoître ,
Le même inftant qui l'a vu naître ,
Le voit finir comme un éclair.
Mais cette lumiere féconde ,
Qui de la nuit perçoit les voiles ténebreux ;
Attentive au bonheur du monde ,
Fait fortir de fon ſein mille Aftres radieux.
& Le douzième exprimoit les regrets qu'a
caufés la mort de la Princeffe, fpécialement
au Collège de Montargis , qui a l'honneur
d'être fous la protection de la Mai
fon d'Orléans. Ils étoient figurés par une
Fleur de Lys deffechée & flétrie , dont la
tige tient encore à fa racine , qui a la forme
d'un coeur , avec cette infcription : In
corde fuperftes.
Telle eft la fin de la grandeur ;
On a vú cette belle feurSEPTEMBRE.
1749. 141
Naître avec la brillante aurore ;
Mais victime du tems , elle perd fa couleur ;
Elle a péri ; nous la pleurons encore,
Ce que vous eûtes de mortel ,
Hélas ! adorable Princeffe ,
Devoit un jour être offert à l'Autel ;
Mais la vertu , mais la fageffe ,
Qui vous ont confacré nos pleurs ,
Vous feront à jamais revivre dans nos coeurs,
光送送送送洗洗洗洗洗洗洗洗求送券
LETTRE
A M. Remond de Sainte Albine , fur une
Monnoye finguliere,
MA
LIARD
DE
FRANC C
Rouvez bon , Monfieur , que je me
ferve de la voye du Mercure pour
demander l'explication d'une Piéce que je
poffede dès le tems que j'étois écolier ,
c'eft-à-dire il y a bien 35 à 36 ans ; c'eft
par
elle que j'ai commencé mon petit Médailler,
Cette Médaille , s'il eft permis de
142 MERCURE DE FRANCE.
la nommer ainfi , n'eft ni Egyptienne ni
Hébraïque; fi elle étoit telle, je n'y connoîtrois
rien , fi elle étoit Grecque , j'en connoîtrois
tout au plus les lettres , defquelles
j'ai oublié l'affemblage ; elle eft donc Romaine
, vont s'écrier Meffieurs les Antiquaires
; voyons, eft- ce une Médaille Confulaire
eft- elle des premiers Empereurs
ou du bas Empire ? eft - elle d'or ou d'argent
? eft - elle en grand ou petit bronze ?
a- t'elle un beau vernis ? eft- elle empreinte
de la précieufe rouille ? ou enfin eft- elle
frufte ?
Rien de tout cela , Meffieurs. C'est donc
une Médaille Papale ? point du tout , c'eftune
piéce de monnoye de France , de laquelle
le Blanc , en fon Traité Hiftorique,
n'a pas jugé à propos de parler. Pour finir,
c'eft un Liard & un Liard de France , frappé
en 1656 , marqué à la lettre A , & par
conféquent à Paris.
Or ce Liard extraordinaire , le voilà , je
vous l'envoye,Monfieur , je m'en dépouille
en faveur du Public , vous le ferez graver, fi
vous le jugez à propos.
N'allez pas croire pourtant que je vous
faffe un grand facrifice , car il eft bon de
dire vous que cette Piéce n'eſt auffi rare
que l'eft un Othon , un Pertinax , ou un
Pefcennius Niger . Non, Monfieur, il n'eſt
pas
SEPTEMBRE . 1749. 145
pas abfolument bien difficile d'en trouver
de femblables dans le commerce, & j'aurois
pû , depuis que j'ai celle- là , lui donner
une trentaine de compagnes , mais néanmoins
peu ou point d'auffi lifibles.
Vous voyez , Monfieur , qu'il n'y a rien.
d'extraordinaire dans ce Liard du côté où
l'on lit , Liard de France , & où l'on voit
au-deffous un A entre trois Fleurs de Lys ,
finon qu'il y a un point après le C du mot
Franc , & un O au lieu d'E , qui femble
fuivre ce point. On pourroit dire que ce
que je prends pour un O , eft un petit e ;
cela peut être , mais ce qu'il y a de vrai ,
c'eft que fur les Liards de Louis XIV du
même tems, l'E qui finit le mot France , eft
un grand E , fans qu'il y ait de point entre
le C & l'E ; voila toute la difference des
autres Liards à celui- là de ce côté .
A l'égard du côté de la tête ( voici l'extraordinaire
) & für quoi on demande une
explication , ce n'eft pas Louis XIV , lors
regnant , qui y eft repréfenté ; c'eft Charles
II , Duc de Mantoue , couronné de fa
Couronne Ducale , fermée par le mont
Olimpe , & on lit autour du bufte Charles
II, DD. Mantou , 1656 .
Quel droit avoit donc Charles II , Duc
de Mantoue , de faire frapper des Liards
en France en 1656 , our s'il les faifoit fraps
144 MERCURE DE FRANCE.
per à Mantoue , quel droit avoit-il d'y faire
mettre Liard de France ?
Les faifoit- il fabriquer dans la Princi
pauté d'Arches , dont Charleville eft la
Capitale ; c'eft ce que j'ignore. Cette
Principauté n'appartenoit - elle pas dès-lors
à Anne de Gonzague , Princeffe Palatine ,
fa tante? & n'eft-ce pas par le mariage de fa
fille Madame la Princeffe Anne Palatine
de Baviere avec Henri-Jules de Bourbon ,
Prince de Condé , que cet Etat a paffé dans
la Maifon de Condé ? En un mot quel
droit avoit le Duc de Mantoue de faire
mettre fon effigie fur une monnoye de
France ?
La curiofité fur les petites chofes peut
produire des remarques intéreffantes pour
'Hiftoire ; celle- ci me paroît de ce nom.
bre. Si Meffieurs de la Monnoye ont au
tant d'empreffement pour fatisfaire la curiofité
du Public , que j'en viens de donner
à quelques Lecteurs , j'efpere qu'il
fera bien- tôt fatisfait , & ils en font trèshumblement
priés. Je fuis très- parfaite
ment , & c.
OBSER
SEPTEMBRE. 1749. 145
OBSERVATION
Sur Martial d'Auvergne , ancien Poëte
de Paris.
I
la Croix
L- eft certain , Monfieur ,
du Maine s'eft trompé en parlant de
Martial d'Auvergne , fameux Poëte François
du quinziéme fiécle , lorfqu'il a affûré
que ce Poëte mourut à Paris d'une fièvre
chaude, & qu'il fe précipita dans l'eau, étant
preffé de la fureur de fon mal .
M. l'Abbé Goujet , en fon dixiéme tome
de la Bibliothéque Françoife , a bien fait
pour montrer l'erreur de cet Ecrivain ,
de produire le morceau de la Chronique
de Louis XI , d'où il avoit puifé quelque
choſe de cette Hiftoire. Il y eft marqué en
effet qu'en 1466 un jeune homme , nommé
Martial d'Auvergne , Procureur au
Parlement & Notaire au Châtelet de Paris
, ayant perdu l'efprit vers la Saint Jean,
au tems que les féves fleuriffent , fe jetta
par la fenêtre de fa chambre dans la rue
fe rompit une cuiffe , fe froiffa tout le
corps , & fut en grand danger d'en mourir.
M. Goujet fe contente d'inferer de ces
dernieres paroles de la Chronique , que
d'Auvergne ne mourut pas de fa chûte ; &
G
146 MERCURE DE FRANCE.
fur ce que dans une édition de cette Chronique
, donnée en 1558 , les titres de Procureur&
Notaire ne fe trouvent point fpécifiés
à l'article de ce fait, il en conclut que
ce ne peut être que par conjecture que la
Croix du Maine a penfé que le fait rapporté
en cet endroit concernoit le Poëte
Martial d'Auvergne.
C'eft un malheur à la Croix du Maine
de s'être contredit dans cette occafion ,
puifque malgré ce qu'il a avancé, que d'Auvergne
mourut de la chûte , qui étoit arri
vée en 1466 , il le fait vivre encore en
1483. Mais auffi je ne pense pas qu'il faille
lui donner tout le tort , lorfqu'il affûre en
général que c'étoit à un Poëte de ce nom ,
qu'étoit arrivé le malheur de s'être jetté
par une fenêtre dans la chaleur d'une frenéfie.
D'Auvergne étoit jeune lors de cet
évenement; le Chroniqueur l'affûre en termes
formels. Il est également certain qu'il
fut Notaire au Châtelet. J'ai vû des Actes
d'environ l'an 1455 ou 60 , fignés , d'Auvergne
, & paffés par devant lui ( Martial
d'Auvergne ) & Jean Larchier, Notaires au
Châtelet. De plus , M. Goujet ne pouvoit
il
pas recourir à d'autres éditions qu'à celle
qu'a donnée Denis Godefroy de la Chro
nique de Louis XI , vulgairement ( mais
mal-à- propos ) appellée fcandaleufe ? En re-
S
SEPTEMBRE. 1749. 147
1 montant à celle d'Antoine Verard de l'an
1500 , qui eft la plus ancienne , & qui
fe trouve jointe aux Chroniques Marti-,
niennes en lettres gothiques in folio , il y
auroit trouvé à l'an 1466 , mot pour mot
l'hiftoire de la frénéfie de Martial d'Auvergne
, aufli-bien que la note de fon mariage
tout récent avec une des filles de Jacques
Fournier , Confeiller au Parlement ,
telle que Godefroy & autres l'ont publiée ,
avec la difference cependant que dans cette
édition le récit ne finit point par ces
mots , & fut en grand dangier de mourir ;
mais qu'on y lit deux ou trois lignes de
plus , fçavoir , fut en grand dangier de
mourir , depuis perfevera longuement en
ladite frénéfie , & après ce revint & fut en
fon bon fens.
Rien n'empêche donc de croire que
Martial d'Auvergne de la Chronique , &
le Poëte qui a compofé les Vigiles de Charles
VII , n'eft qu'un feul & même homme
qui a pû continuer & perfectionner fon
ouvrage , lorfqu'il fut revenu en fon bon
fens , tant fous Louis XI , que fous Charles
VIII , avant que de le faire imprimer.
J'abandonne ceci aux réflexions des Lecteurs.
Au reste ceux qui ne peuvent fe
procurer tous les anciens Poëtes François ,
ont obligation à M. Goujet de leur avoir
G ij
148 MERCURE DE FRANCE,
fait connoître les fragmens où, d'Auvergne
décrit les abus & défordres qui regnoient
dans la Littérature de ces tems - là ; par
exemple , que les Bibliothéques des Monaftéres
étoient devenues des Faulconne .
ries; que les jeunes Légiftes , qui revenoient
de l'Univerfité d'Orléans , n'y avoient ap- ар
pris autre chofe , finon à bien jouer des flutes
, &c. De pareilles circonftances n'auront
pas , fans doute , été oubliées par ceux
de nos modernes , qui fe font propofé de
repréfenter l'état des fciences en France
durant le quinziéme fiécle.
Les mots des Logogryphes du Mercure
d'Août , font Carême , obfcurité & Papillon.
On trouve dans le premier arme ,
, ame mer , Cam , mere , Carme & crême.
On trouve dans le fecond écrou , buis , rébus
, fouci, ofier , bruit , cours , eftoc , Curé ,
fort , bois , Cité , Cour , Turc , tour , troc
broc , but , roc , foc , fot , rut , rot , fuc , ris ,
écu , cor & rit. On trouve dans le troifiéme
Pin , Lion , Lyon, Lapin , pion, Lapon, poli,
Nil , Pò , pain , Saint Lô , Saint Lin , lin ,
Lia & ail.
SEPTEMBRE. 1749 149
J
ENIGM E.
E ne tiens point de la baleine ,
Ne reffen ble pas au goujon :
Mais j'ai fept lettres dans mon nom ,
Ainfi que ces habitans de la liquide plaine .
Je fuis être , qui dis & le mal & le bien ;
Affez fouvent , porte fur rien ,
Sur rien ? Non , c'eft trop peu ; mais fur nulle
matiere.
Je fais fur le vafte Océan ,
Ou bien fur la mer du Sultan ,
Tant eft ma nature legere ,
Autant de chemin qu'un vaiffeau ,
Quand il fuivroit le vol du plus fubtil oifeau .
Je fuis en France , en Italie ,
A Vaugirard , en Laponie ,
Er toujours le même en tous lieux.
Rien ne peut éviter mes yeux ;
J'arrête une main parricide ;
Je romps les deffeins d'un perfide ,
Je rends meilleur l'homme de bien ,
Et quelquefois bon fujet , un vaurien .
Je fais encor bien autre chofe ;
Mais j'en dirois trop , bouche cloſe .
G iij
450 MERCURE DE FRANCE.
NUNUAUNUNUDUYDU DU DUNULIANU YAY
LOGOGRYPHE.
S1 te
I jamais tu te vois ſur l'inconftant Neptune ,
Fui-mois par moi l'on perd la vie ou la fortune.
De mes pieds fi tu veux retrancher le dernier ,
Sous un nom feminin , je fuis encor moi- même.
Si le fecond précède le premier ,
Les autres à l'écart , par mon pouvoir fuprême ,
Je tiens lieu de beauté , d'efprit , de vertu même.
Je renferme encor dans mon fein
Une note , un inftrument rauque ,
Une terre jaunâtre : un Saint
Que pour un fléau l'on invoque :
Cette amante , qui d'une tour
Se lança dans la plaine humide ,
Appercevant le corps livide ·
De fon amant privé du jour :
Une Nymphe , dont le coeur tendre
Ne fut payé d'aucun retour ,
Et qui gémit fouvent d'un malheureux amour ,
Comme en la confultant on peut encor l'entendre .
Enfin pour peu , Lecteur , que tu fois attentif ,
Tu peux dans un , deux , trois , voir mon diminutif.
Brunet , de Dijon.
SEPTEMBRE. 1749.
131
AUTRE
M. Affe bruté & fans agrénient ;
J
Au fortir du fein de ma mere ,f
Sous les efforts de l'art j'éprouve d'ordinaire
Le plus fuperbe changement.
Même fans m'exalter plus qu'il n'eft néceffaire ,
Je puis dire , Lecteur , qu'aux yeux de l'Univers
J'offre encor tous les jours cent chefs-d'oeuvre
divers.
La veille de certaine Fête ,
Je péris par le feu , fi tu tranches ma tête .
Prends trois de mes pieds ; fur flots mes
L'on eft en grad danger pendant une tempêtes.
Combinant autrement , tu peux des matelots
Trouver en moi le commun aftencile :
Une fubftance : un inftrument utile
Au fupplice d'un ſcélerat :
I
Ce qu'un guerrier doit porter au combat :
Choſe auffi peu commune aux champs que dans
la Ville :
Un endroit où l'eau ne vaut rien :
Enfin certain fujet d'un Monarque Indien.
Par le même.
G iiij
152 MERCURE DE FRANCE.
J
AUTRE.
E fuis un féjour renommé ;
Dans mon riche fein tout abonde ;
A mon afpect l'oeil cft charmé ;
Je fuis rempli du plus beau monde.
Mes quatre premiers pieds préfentent un talent ,
Qu'on ne peut acquerir , s'il ne vient en naiffant;
Trois autres en ſuivant , une plante très - forte ,
Qui fouvent à pleurer nous porte.
Ceci n'eft-il pas fingulier ?
Je montre encor fur mer un espace de terre ;
Je contiens de l'efprit l'aliment néceſſaire ;
La femelle du fanglier ;
Une femme proftituée ,
Et chez les Turcs enfin un endroit enchanteur ,
Où vous , ainfi que moi , Lecteur ,
Voudricz-bien , je crois , avoir entrée.
J. F. Guichard
.
Fait à Versailles , ce 30 Juillet 1749-
SEPTEMBRE . 1749. 153
NOUVELLES LITTERAIRES
DES BEAUX -ARTS , &c.
A GRANDEUR DE DIEU dans les merveilles
de la Nature. Poëme , par M.
Dulard , de l'Académie des Belles Lettres
de Marfeille . A Paris , chez Deffaint &
Saillant , rue Saint Jean de Beauvais ,
1749. Avec Approbation & Privilége du
Roi.
Chanter la grandeur de l'Etre fuprême
peindre les merveilles que nous offre le
fpectacle de l'Univers , voilà fans doute
les deux objets les plus nobles que la Poëfie
puiffe fe propofer . Non - feulement il
n'eft point de fujet plus propre à fournir
des idées fublimes , mais il n'en eſt point
de plus fécond . Où trouver une fource
plus inépuifable de tableaux frappans &
variés , que dans les ouvrages de l'Auteur
de la Nature ?
M. Dulard ne s'eft point diffimulé que
fi le champ étoit vafte , il étoit rempli de
beaucoup d'épines. Mais la richeffe & la
beauté de la matiere l'ont étourdi fur les
difficultés. Son ouvrage , à ce qu'il nous
annnonce , a été compolé parmi des alter-
Gv
154 MERCURE DE FRANCE.
"
natives de courage & de crainte , de vigueur
& de laffitude. Enfin d'efforts en
efforts , il a été achevé . » Je ne fçais , dit
» l'Auteur , fi le Public défapprouvera l'exécution
, ou s'il daiguera la mettre au
rang de ces fuccès inefperés , qui font ,
»moins dûs à la capacité qu'à une heu
reufe audace. Le promt débit de la premiere
édition de ce Poëne doit avoir tiré
M. Dulard de fon incertitude , & eft une
preuve du jugement favorable qu'on a
porté de fon ouvrage.
LES VIES DES HOMMES ILLUSTRES de la
France , continuées par M. l'Abbé Perau ,
Licentié de la Maifon . & Société dẹ Sorbonne.
Tome XVII . A Amfterdam , &
fe vend à Paris , chez le Gras , Grande
Salle du Palais , à l'L Couronnée
, 1749 ,
in- 12 . pp . 567 , fans y comprendre la
Table des matieres .
Ce volume eft un des plus intéreffans de
tous ceux qui compofent jufqu'à préfent
la fuite des vies de nos Hommes illuftres.
On n'en fera pas furpris , quand on fçaura
qu'il contient la vie du fameux Duc de
Guile le Balafré.
Les grandes qualités & les vices brillans
de cet illuftre audacieux fes attentats & fa
fin tragique , forment un des morceaux
les plus curieux de notre Hiftoire . M.
SEPTEMBRE. 1749. 155
l'Abbé Perau n'a négligé aucune des recherches
, qui pouvoient ajouter quelque
prix à fon ouvrage. Il a raffemblé avec
foin plufieurs anecdotes , éparfes de côté
& d'autre , & dont la lecture ne peut être
qu'agréable.
HISTOIRE DE PIRRHUS , Roi d'Epire.
Par M. Jourdan . A Amfterdam , chez
Pierre Mortier , 1749. Deux volumes
in- 12 . Le premier volume pp . 375 , &
le fecond 486 , en y comprenant les Ta-
.bles.
Il y a quatre ans qu'il parut à Londres
un Livre fous le titre de Voyages & Expéditions
de Pirrhus . Cet ouvrage , qui
n'eft qu'une espéce de Roman politique ,
a fait naître à M. Jourdan l'idée de compofer
l'Hiftoire d'un Prince , à qui les Romains
ont dû les premieres connoiffances
qu'ils ont acquifes dans l'art militaire. M.
Jourdan avoue qu'il y a dans fon premier
.volume bien des chofes qu'il doit à l'Auteur
du Livre imprimé en Angleterre.
Dans le fecond volume , qui renferme particulierement
la vie de Pirrhus , il s'écarte
totalement de la route qu'a fuivie le premier
Ecrivain . Non content de corriger
les fautes , il fupplée aux omiflions , & il
s'étend confidérablement fur plufieurs faits
qui méritoient d'être approfondis. Glau
G vj
156 MERCURE DE FRANCE.
cias , pere de Pirrhus , ayant été détrôné
pour avoir voulu foutenir les intérêts
d'Olimpias après la mort d'Alexandre , &
Pirrhus ayant été mêlé dans les guerres des
fucceffeurs de ce célébre Conquerant ,
M. Jourdan ne pouvoit guéres fe difpenfer
d'entrer dans plufieurs détails qui concernent
Alexandre , & même Philippe.
Il a abregé ces détails autant qu'il a pû ,
& il en a ufé de même pour tout ce qui
n'étoit
pas intimement de fon fujet. Par
une licence qu'on ne fe permet ordinairement
que dans les ouvrages de fiction , il
place une partie de ces recits dans la bouche
d'un des perfonnages qu'il fair paroître
fur la fcéne. Il effaye de juftifier par
plufieurs raifons l'innovation qu'il veut
introduire à cet égard dans le genre hiſtorique.
3
HISTOIRE ARISTOMENE , Général des
Meffeniens. Avec quelques réflexions fur
la Tragédie de ce nom. Par le même Auteur
, 1749.
Tout ce qui regarde ici la vie d'Ariftomene
, eft puifé dans Paufanias , & quel
quefois M. J. emprunte même les expreffions
de la Traduction faite de cet Auteur
par l'Abbé Gedoyn , mais pour l'ordinaire ik
eft plus vif & plus ferré que fon modéle .
La critique qu'il fait de la Tragédie ,
SEPTEMBRE. 1749. 157
dont Ariftomene eft le Héros , paroîtra
bien fevere à la plupart des Lecteurs. Selon
lui , le fujet de cette piéce n'eft pas
fondé , les trois premiers Actes font vuides
d'action , & ne fe foutiennent que par
quelques maximes impofantes ; le quatriéme
eft fort découfu , & le cinquiéme beaut
coup trop chargé de récits .
RECUEIL de plufieurs Piéces d'éloquence
& de Poëfie , préfentées à l'Académie
des Jeux Floraux , l'année, 1749 , avec les
Difcours prononcés dans les affemblées
publiques de l'Académie. A Toulouse , chez
Claude- Gilles Lecamus , feul Imprimeur
du Roi , & de l'Academie des Jeux Floraux.
Avec Privilége du Roi.
L'Ode , qui a remporté le premier Prix
de Poëfie , eft de M. de Marmontel , & elle
a pour fujet la Chaffe . M. Chalamont de la
Vifclede, Secretaire de l'Académie de Marfeille
, eft Auteur du Difcours qui a été
couronné , & dont le fujet étoit , les Richeffes
font- elles un écueil plus dangereux pour
la vertu , que la pauvreté ?
DICTIONNAIRE UNIVERSEL de Mathé
mariques & de Phyfique , contenant l'explication
des termes de ces deux Sciences &
des Arts qui en dépendent , & c. Par M.
Saverion , Ingénieur de la Marine . A Paris,
chez Jacques Rollin & Charles -Antoine
158 MERCURE DE FRANCE.
Jombert, Avec Approbation & Privilége.
On publiera l'année prochaine ce Dic .
tionnaire , & il formera deux volumes
in-4°. Nous avons promis d'inferer dans
le Mercure quelques uns des articles , dont
cet ouvrage eft compofé , & nous allons
fatisfaire à notre engagement.
ATT. Attraction . Terme de Phyfique : l'action
d'attirer. Kepler eft le premier , qui a établi
une loi d'Attraction dans tous les Corps . M Frenicle
l'admettoit auffi ; & M. Roberval la définif
foit : Vim quamdam corporibus infitam , quá partes
illarum in unum coire affectent. Suivant Newton ,
l'Attraction eft une propriété inféparable de la matiere
, par laquelle elle eft unie , & tend à s'unir
(quâ corpora ad fe mutuo tendant ) . Pour concevoir
cette Attraction mutuelle & réciproque dans les
Corps , il faut leur fuppofer une vertu ou faculté
Attractive . Cette vertu eft fans doute une des qualités
occultes. Defcartes ,qui ne les vouloit pas reconnoître
, avoit auffi banni de la Phyfique & l'Attraction
& le Vuide , & on les en croyoit bannis
pour toujours , lorfque le grand Newton les réta
blit d'une façon nouvelle , & armés , comme le dit
agréablement M. de Fontenelle , d'une force dont
on ne les croyoit pas capables ( Suite des Eloges
des Acad. Eloge de Newton ) .
Kepler avoit obfervé , que la Force qui empêche
que les Corps céleftes fuivent dans leurs Mouvemens
la Ligne droite , avoit une action variable
felon les differentes diftances , & cela en raifon
renverfée du Quarré des diftances au Centre de
feur Mouvement . En forte que fi un Corps eft
trois fois plus éloigné , la Force Centrale ou CenSEPTEMBRE.
1749. 159.
tripete , Force qui retire le corps vers fon centre ,
eft neuf fois moins forte.
2. Newton eft parti de là . Abſtraction faite de
cette loi & de ce principe , il a cherché dans les
Phénomenes le principe. Au lieu de fuppofer que
les Planettes pelent ou font attirées par le Soleil ,
en raiſon renversée du Quarré de leurs diſtances ;
pour expliquer le cours des Planettes , le Philofophe
Anglois a au contraire du cours déduit la loi
Ce grand Homme a démontré , que les Planettes
ne peuvent décrie un Elliple , dont le Soleil occupe
l'un des Foyers , que leur Attraction ne varie
dans la raifon inverfe du Quarré des diftances.
Cette foi a lieu dans tous les Corps qui décrivent
par leur mouvement cette Courbe .
Cela une fois démontré , M. New ton en a conelu
, que les Corps pefent les uns fur les autres ,
& qu'ils s'attirent réciproquement en raifon de
leur maffe. Et quand ils varient dans le même
tems ; qu'ils tournent vers un Centre commun ;
qu'ils font attirés & qu'ils s'attirent , leurs Forces
Attractives varient dans la raifon renversée des
Quarrés de leurs diſtances à ce Centre . Tel eft le
fond de fon Syftême , celui de fon grand Ouvrage
des principes ; & , pour tout dire , tel eft le triomphe
de PAttraction.
tion ;
Un fameux difciple de Newton , M. de Maupertuis
, a encore rencheri fur cette Démonftrail
a ofé fonder les vûes du Créateur. De
toutes les loix générales qu'il a dû choifir , dit - il ,
la plus fimple a fans doute été préférée . Or , cette
fimplicité eft renfermée dans la loi de l'Attraction.
Celle -là feule , fuivant le calcul du Président de
l'Académie de Berlin , réunit l'avantage de la diminution
des effets , avec l'éloignement des caufes.
C'eft pouffer loin les recherches , & les pouffer
160 MERCURE DE FRANCE
tout à la fois d'une façon bien hardie & bien inge
nieuſe . Mémoire de l'Acad. 1732.
3. Quelque puiffante que foit la démonftration
de Newton , & quelque victorieux que pu ffe être
le raifonnement de M. de Maupertuis , l'Attrac
tion n'eft point généralement admife. La caufe de
cette Attraction eft bien moins fenfible que l'effet
qu'on lui attribue . Encore cet effet eft- il conteſté.
M. Bernoulli prétend , 1 ° . Que les Corps ne peuvent
s'attirer réciproquement , c'eft à - dire , fe
mettre d'eux- mêmes en mouvement , parce qu'on
ne connoît aucune caufe de ce mouvement , &
qu'un effet fans caufe , & une action fans principe
d'agir , eft une chimere ; 2° . Que fi l'Attraction
avoit lieu dans les corps , elle devroit y avoir lieu ,
non en raison de leur furface , mais en raiſon de
leur maffe . Il s'enfuivtoit de -là une terrible conféquence
. C'est que leur Attraction diminueroit en
raifon triplée , ou comme le Cube de leurs diftan
ces , & nullement comme les Quarrés de ces diftan
ces. Bernoulli Opera. T. III . Nouv . Penf.fur lefyft..
de Descartes.
A ces objections , M. Clairant en ajoint tout
récemment une autre . Il s'agit du mouvement de
l'Apogée de la Lune , non calculé par M. Newton.
Le Géométre François , après avoir trouvé l'Equation
de la courbe que décrit la Lune , a reconnu
, que fi la loi de l'Attraction fuivoit exactement
le Rapport renversé du Quarré des diftances , l'Apogée
ne feroit une révolution qu'en 18 ans.
& elle la fait en 9 ; d'où M. Clairaut conclut que
La Loi de l'Attraction ne fuit pas tout- à -fait le quarre
des distances inverses , mais celle des quarrés , plus
d'une certaine fonction de ces quarrés , ou même d'une
autre puiffance de ces diftances. Mém. pour l'Hift. des:
Scienc. mois de Janv. 1748.
*
SEPTEMBRE. 1749 161
•
>
4. Que doit- on penfer maintenant de l'Attrac
tions Les Corps céleftes font-ils doués d'une vertu
Attractive ? ll y'a dans ce mot un je ne ſçais quel
air de myftére qui fait peine. Si au lieu d'Attrac
tion , nous nous fervions du mot de Pefanteur , ou
de gravitation , peut-être nous entendroit-on
mieux ; car tout le monde fçait que les Corps pefent
; & le terme de Pefanteur eft plus connu
plus familier que l'autre , quoique fon principe foit
auffi caché que celui d'Attraction , & qu'il dé .
pende peut-être de l'Attraction même. Lorfqu'on
dit donc qu'une Planette eft attirée par le Soleil ,
on entend que cette Planette pele ou gravite fur
Je Soleil. Qu'il y a- t'il là d'étonnant ? On demandera
peut-être pourquelle n'y tombe pas . Si les
Planettes n'étoient pas dans un mouvement trèsrapide
, qui l'emporte par fa vitefle fur la Force
de la maffe , il eft certain qu'elles ne tarderoient
pas à reffentir les impreffions ardentes de cet
Aftre. Le mouvement , auquel elles font en
proye , ne leur perimet pas de fuivre la loi de la
Pefanteur. C'eft la force centrifuge qui les en
éloigne. A l'égard de la loi de PAttraction ou gravitation
, elle doit être renfermée dans celle de la
Force Centrifuge , & celle de la Force Centripete,
c'eft à dire , dans la loi de ces deux Forces . felon
Jefquelles les Corps tendent par leur maffe vers
leur Centre de Pefanteur , & s'en éloignent par le
mouvement. Voyez Force centrifuge , & Force cen
tripete.
5. Ceci ne regarde que l'Attraction , quant aux
Corps céleftes , quant au Systême du Monde. Les
Newtoniens ne s'en tiennent pas - là . Ils veulent
que l'Attraction ait lieu dans tous les Corps ; qu'el
le foit la caufe de tous les Phénoménes , comme
de la Cohéfion , de l'afcenfion de l'eau dans les
16 MERCURE DE FRANCE.
tuyaux capillaires , de la chute des Corps , de la
réfraction de la Lumiere . Il est même des Newtoniens
, qui foutiennent que l'Attraction n'eft pas
moins eflentielle aux Corps , que leur étendue.
( V. la Préfacé de l'Edition de M. Cotes , des Princ.
Phil. Natur. ) On tâche de prouyer cela par diffe
rentes Expériences . 1. C'eft une vérité reconnue
de tous les Phyficiens , que les parties d'un liquide,
quel qu'il foit , pourvû qu'il fe divife par goutes ,
s'attirent réciproquement dans le Plein , comme
dans le Vuide . 2°. Que plufieurs Corps folides
ont une vertu Attractive, dont on peut être témoin
lorfqu'on veut, Qu'on mette deux Miroirs l'un fur
l'autre , on ne les féparera qu'avec peine , & cette
peine fera très -fenfible , on les a un peu preflés .
M. Defaguliers a remarque , que deux Sphères de
criftal , qui fe touchent par une furface de la dixié.
me partie d'un pouce , ayant été un peu preffées ,
font Equilibre par leur veitu Attractive avec une
Force de 19 onces . Ce n'eft pas tout. Deux Miroirs
, qui ne fe touchent point , ne laiffent pas
que de s'attirer , s'ils font féparés par une foie.
Un Cône de verre , fuivant les Expériences de
Newton , détourne la Lumiere à une & même
deux lignes de diftance. Eh ! combien d'autres
expériences n'a-t'on pas , qui établiffent une loi
d'Attraction univerfelle ( V. l'Eſſai de Phy . Par
M. Mufchenbroeck. T., I. L'Optique de Newton.
Les El. de Phyf. de s'Gravefande , & la Micrographie
d'Hook.
Il y a des Sçavans qui le difent , comme ils le
penfent. M. Keil , par exemple , veut , que les ef
fets de la fecrétion ayent l'Attraction pour caule.
Et un Aureur , qu'on connoît bien , qu'on a même
nommé, dans cet article , a voulu prouver , que
c'eſt à l'Attraction , que le Foetus doit la formation.
SEPTEMBRE. 1749.163
( V. Animal Secretionis par Keil. Venus Physique.
C. XVII . ) Sans parler du Docteur Mead , qui fait
de l'Attraction la clef de la Médecine.
.
Comme les Auteurs , qui ont écrit fur l'Attrac
tion ne l'ont fait que pour adopter ou réfuter le
fyfteme de Newton , je me réserve de les faire
connoître à cet article. Voyez Système.
BO M. Bombe. Boule de fer creuſe , armée de
deux anfes , plus épaiffe de métal dans fon culot ,
que dans fa partie fupérieure , où elle eft percée
pour être remplie de poudre . On ne fait pas ufage
dans l'Artillerie d'autre compofition. La question
eft feulement de la remplir comme il faut.
M. Wolf , dans le quatrième Tome de fes ele
menta Mathefees univerfa , apporte à cet égard
quelqu'attention qu'on ne doit pas négliger avant
que de la remplir . Il veut qu'on chauffe d'abord
la Bombe , pour s'affurer s'il n'y a point de creval
fes, que la dilatation de l'air rendra plus fenfibles ,
& dont on jugera , fi après y avoir mis de l'eau
froide, on la bouche exactement , & qu'on la faffe
tremper dans de l'eau bouillante . ( On prend de
l'eau de favon , parce qu'elle a plus de chaleur ,
lorfqu'elle eft échauffée , que toute autre. ) Alors
l'air , renfermé dans la Bombe , étant dilaté par la
chaleur de cette eau bouillante , s'échappera de la
Bombe , & formera fur la furface des petites bulles
d'air , fuppofé que la Bombe ait des crevaffes ou des
fentes , qui lui donnent iffue.
Une fois qu'on a reconnu que la Bombe n'a point
de fentes , on la remplit de poudre non pilée , &
on enfonce avec force une fufée par la lumiere ,
pour communiquer le feu à cette . poudre. On
bouche exactement ce trou avec une espéce de
maftic , capable de réfifter aux efforts de la poudre
enflammée , qui réduit dans cet état la Bambe cy
164 MERCURE DE FRANCE.
piéces , On jette la Bombe par le moyen du Mortier.
Voyez Mortier.
Metius , dans fon Traité d'Artillerie , T. II . ch .
4. confeille de fe fervir , pour remplir la Bombe, de
cette compofition. Au lieu de poudre commune ,
il prend 20 livres de falpêtre , 13 livres de foufre
bien broyés pendant 24 heures, & humectés avec de
bon vinaigre , où il a mêlé de l'eſprit de vin camphré
, & dans lequel il a fait infufer de l'ail. Ce
mêlange forme une pâte qu'on réduit en grain
comme la poudre ordinaire.
il
La charge d'une Bombe de 17 pouces de diamétre
, qui eft de la plus grande efpece , eft ordinai
rement de 48 livres de poudre. Elle pefe , étant
chargée , environ 490 livres. Je fuppofe ici qu'il
ne s'agit que de faire crever la Bombe ; car fi l'on
vouloir parfon moyen mettre le feu à une Ville ,
ne faudroit pas épargner la poudre, M. Belidor a
donné des régles pour charger les Bombes qu'on
veut faire crever , déduites de plufieurs expérien
ces. Voyez fon Bombardier François , fans négli
ger les Mémoires de l'Artillerie de S. Remi.
2 . Charger comme il faut une Bombe , n'eſt
difficile ; mais ce n'eft pas là en quoi confifte l'art
pas
du Bombardier. Le grand point eft de la fçavoir
jetter. En effet , à quoi ferviroit une Bombe bien
chargée, fi elle étoit mal dirigée ? Voici quelques
principes qui renferment toutes les régles de l'art
de jetter les Bombes. Ces régles font des corollaires
de la théorie de cet art , dont on trouvera les
fondemens au mot Balliftique.
Il est démontré que la portée de differens coups eft,
a charge égale, comme le double des Sinus des Angles
d'élévation du Mortier. Delà il fuit
que connoiffant
la portée d'un coup à une élévation donnée
on aura celle de tel autre coup , en telle élévation
SEPTEMBRE. 165
1749. 1749 .
*
4.
qu'on voudra , en difant : Le Sinus du double de
l'Angle de l'élévation connue eft au double du Sinus
de l'Angle de l'élévation proposée , .comme la portée
connue eft à la portée qu'on demande.
Pour avoir cette portée , qui doit fervir de fondement
à toutes les autres , il faut faire une Expérience.
Dans les chofes Pyfiques on est toujours
obligé d'en venir là . Galilée & fon fucceffeur Toricelli
n'ont pu faire autrement , eux à qui l'on eft
redevable de l'art qui fait ici l'objet de nos réflexions.
Une Bombe étant donc chaffée fous un angle
d'élévation déterminé , on meſure exactement la
portée de cet angle, ce qui donne le premier Terme
d'une régle de Proportion pour toutes les por
tées quelconques , qu'on formera comme ci-dewant.
Ajoutons que ces deux portées étant don-
´nées , cette Expérience fervira également pour
trouver les Angles d'élévation par cette Analogie :
La portée connue eft à la portée donnée , comme le
double du Sinus de l'Angle, de l'élévation du Mortier,
avec laquelle on a fait l'expérience , eft au double du
Sinus de l'Angle que l'on cherche.
Au refte, je dois dire ici , pour ceux qui ne le fçavent
pas, qu'on fuppofe que la portée donnée n'ex-
' cede pas celle que peut donner 45 ° d'élévation ,
qui eft la plus grande , comme l'a reconnu le premier
Tartaglia. Et à propos de 45 ° , n'oublions
pas , pour le cas précédent que fi l'Angle qu'on
propofe , a plus de 45 ° , il ne faudra pas prendre le
double pour avoir le Sinus que demande la régle ;
mais doubler celui de fon complement.
Il ne reste plus pour achever l'ébauche de l'art
de jetter les Bombe , que de faire mention des
inftrumens néceflaires pour connoître l'Angle d'élévation
du Mortier. On en a inventé de plufieurs
fortes. Le plus fimple eft , fans contredit , l'Equers
166 MERCURE DE FRANCE .
te de Tartaglin , appellé Equerre des Canoniers.
Voyez Equerre,
3. Voilà l'att de jetter les Bombes ' , tel qu'on le
pratique depuis aflez long- tems. De nos jours
des Officiers fupérieurs ont voulu le rendre plus
terrible. Pour le Tir du Canon , M. de Vauban a
inventé le ricochet. ( Voyez Batterie. ) Ce ricochet
, fi utile pour l'attaque des Places , fit penfer
que fi l'on pouvoit tirer les Bombes à ricochet , on
perfectionneroit abfolument certe partie de l'art
de la guerre. En 1723 , des Expériences furent faites
à ce sujet , & de ces expériences il réſulta que
les Obus , forte de Mortier , ( Voyez Mortier ) inclinés
depuis 8° degrés jufqu'à 12 ° toujours entre
ces deux Nombres , chafloient la Bombe de telle
maniere qu'elle ne fe mouvoit que par fauts &
par bonds. L'effet de ces Batteries à ricocher doit
être terrible. Qui en doute ? Il eft bon cependant
de voir là- deflus les refléxions de M. Belidor daus
fon Bombardier François.
4. Cet art doit fa naiffance à un habitant de
Vanlo , dans la Province de Gueldres . Ce fut pour
le divertiffement du Duc de Cleves , qu'il imagina
ce fpectacle. Il en jetta plufieurs en la préfence ,
dont une tombant par malheur fur une maifon
, où elle perça , embrafa la moitié de la Ville.
Quelques Hiftoriens Hollandois veulent que
cet art foit plus ancien. Ils en font honneur à
un Ingénieur qui avoit fait antérieurement des expériences
à Bergo-op-zom , honneur qu'il paya
cher: il lui coûta la vie.
Cafimir Siemianowicz prétend que c'eſt au Siége
de la Rochelle , qu'ont été jettées en France les
premieres Bombes, Si l'on en croit M. Blondel , on
n'a commencé à en faire ufage qu'au fiége de la
Motte en 1634. Selon cet Auteur , le premier qui
SEPTEMBRE. 1749. 167
en a jetté eft un Ingénieur Anglois nommé Malthus
, que Louis XIII avoit fait venir , & dont les
commencemens ne forent pas heureux. Comme il
alloit en râtonnant , & que fuivant que te coup
portoit , il hauffoit ou baiffoit au hazard fon Mor
tier , il tuoit beaucoup de François qui étoient de
Pautre côté de la Ville . Ce n'eft qu'entre les mains
de Galilée & de Toricelli , que l'art de jetter les
Bombes à pris une autre forme , & qu'une fçavante
théorie en a établi les folides fondemens.
Il eft vrai que Tartaglia , ainfi que je l'ai dit
avoit déja reconnu que les coups tirés à 45
étoient ceux qui donnoient une plus grande por
tée. Son Livre , où l'on trouve de très - bonnes cho
fes , a pour titre : De la Science nouvelle . Après lui
le Pere Merfene a publié le fien . Il eſt intitulé : Las
Ballistique. M. Blondel a écrit ex profeffo fur cette
matiere.. Il a établi dans toutes les régles un art de
jetter les Bombes. M. Belidor en a auffi donné quelques
principes dans fon nouveau cours de Mathématiques
& des Tables très utiles pour connoître
l'étendue de toutes les portées dans fon Bombar
dier François. J'ai déja cité les Mémoires d' Artillerie
de S. Remi , T. II . Il me reste à faire mention
d'un ouvrage où il eft traité du Jet des Bombes felon
toutes les inclinaiſons. C'eſt la nouvelle Théorie
fur le Méchaniſme de l'Artillerie , par M. Du-
Larg.
las
CAL. Calcul . Opération par Nombre & par
lettres , par laquelle on divife un tout en fes par
ties,& on réduit les parties en leur tout ; & par
quelle on évalue , on compare plufieurs Quantités
pour en découvrir le rapport. Le Calcul Arithmétique
, qui s'exerce fur les Nombres , femble ne
mettre fous les yeux que l'expreffion de plufieurs
Nombres qu unis ou défunis , & préſentés par ore
168 MERCURE DE FRANCE..
dre & par fuite. Le calcul Algébrique n'eft pas fi
borné. Il va chercher le rapport des Nombres , &
par ceux qu'il connoît , il découvre ceux qu'on
ignoroit abfolument. Voyez , Arithmétique & Al,
gébré.
¿ I
1. Calcul des Infiniment petits. Dans le tems de
Descartes , on ne connoiffoit que ces Calculs qui
ont pour objet des quantités finies. Depuis ce
grand Géométre on a été plus loin . Les Calcula
teurs ont ofé porter leur vue fur les Quantités in,
finies & réduire fous leur main l'infini ; que dis je
Pinfini ! Finfini même de l'infini , & comme le dit
Pilluftre Marquis de l'Hopital , une infinité d'infi
nis. Ceci paroît paffer les bornes de l'efprit humain.
Auffi dès que le Calcul des Infiniment petits
parut , on crut réellement que les Géométres ne
mefuroient plus leur force , & que leurs idées alloient
beaucoup au de- là. Des Mathématiciens
mêmes , ainfi que Niewentit , Relle , Ceva , en fu.
rent férieufement effrayés. En Angleterre , des
Docteurs monterent exprès en chaire pour avertir
le Public de fe méfier d'eux , de les regarder com
me des gens perdus , qui donnoient tête . baiffée
dans des chimeres , & d'éviter leur commerce ,
comme très - dangereux pour l'efprit & pour la Religion
. Par ce trait le Lecteur juge combien c'eſt
une belle & hardie découverte que celle du Calcul
de l'infini. On peut dire fans exagération que c'est
celle d'un nouveau monde Géométrique. Les Mathématiques
y perdroient trop , fi je laiffois échapper
cette occafion d'en donner la carte ; & la plûpart
des Lecteurs n'y gagneroient pas affez , fi je
ne les conduifois par la main dans un pays fi pea
connu encore & fi peu fréquenté.
2. Faiſons abſtraction de l'infini . Que ce mot
ne nous effraye pas. Sans prévention , remontons
à l origine
C
SEPTEMBRE. 1749. 169
-&
Porigine de ce Calcul. Confidérons une Courbe ,
un Cercle , pour fixer notre imagination ,
voyons comment nous pourrions faire pour connoître
le développement de cette Courbe , c'eft à.
dire , fa longueur en ligne droite . Que firent les
premiers Géométres , lorfqu'ils fe propoferent ce
Problême ? Archimede fuppofa fans façon , que le
Cercle eft compofé d'une infinité de petites Lignes
droites , & cela pour faire évanouir la courbure.
Plus ces petites Lignes étoient fuppofées en grand
nombre , plus la fuppofition s'approchoit de la
réalité . En concevant le Cercle divifé en une infinité
de petites parties , il n'y avoit plus de difficulté
à Padmettre . Premiere idée , on peut dire
même premiere époque du Calcul des infinimens
petits.
3. Jufques- là c'étoit concevoir les Courbes d'ane
maniere bien vague . Suivant la nature des
Courbes qu'on vouloit développer , ces petites Lignes
devoient être , & en plus grand nombre , de
quelque façon qu'on pût le repréfenter l'infini des
unes & des autres , & divertement fituées pour
former telle courbe ou telle courbure . Les parties
infiniment petites , ou , pour abreger , les Elémens
d'un Cercle doivent être differens de ceux de la
Parabole , de l'Hyperbole , &c. Archimede , &
après lui Appollonius , Grégoire de S. Vincent , qui
le comprirent chacun en leur maniere , imaginerent
d'infcrire & de circonfcrire des Poligones
d'une infinité de côtés connus , c'eſt- à -dire , dont
le rapport étoit établi avec une connue , par une
fuite infinie , une méthode d'aproximation , à peu
près comme l'on connoît la Racine d'un Nombre.
fourd. C'eft ainfi que les plus grands Géométres
anciens , tels que Cavallerius , Fermat , Wallis ,
Pascal , confidérerent l'infini & en firent l'appli
H
170 MERCURE DE FRANCE.
cation à la Géométrie , en fuivant néanmoins les
chemins qu'ils fe frayoient chacun en particulier.
Telle étoit avant Newton & Leibnitz , & pour
parler avec plus de précifion , avant Barrow , la
fcience de l'infini Car on doit regarder la nouvelle
, fuivant plufieurs Mathématiciens , comme
ayant germé entre les mains de Barrow. Mais ce
n'en étoit que le germe . M M. Leibnitz & Newton
firent vegéter ce germe , aufquels M M. Bernoulli
, freres , & le Marquis de l'Hôpital firent porter
des fleurs.
Puifque nous fommes à l'hiftoire du Calcul de
P'infini , eft dans l'ordre que nous en connoiſſions
l'inventeur , avant que d'entrer dans le Calcul même
C'est une grande queftion parmi les Sçavans,
que celle de décider à qui nous fommes redevables
de ce Calcul. Newton & Leibnitz partagent l'honneur
de cette découverte. Les Anglois en font
honneur abfolument à Newton. Dans les Actes de
Leipfic , M. Leibnitz en a la gloire . Quel parti
prendre ? Il faut remonter à la fource avant que
de fe déterminer.
4. On fait que MM . Newton & Leibnitz le
communiquoient mutuellement leurs découvertes .
Newton fit part à Leibnitz , de celle du nouveau
Calcul & de fa Méthode. Leibnitz répondit qu'il
avoit un Calcul femblable , mais dont la méthode
étoit differente , & publia en 1684 les principes du
Calcul des infiniment petits , fous le titre du Calcul
differentiel. (On verra ci après la raifon de ce titre.)
Lors de cette publication , où Newton étoit oublié
, le Géométre Anglois , qui auroit peut- être
pú le plaindre , ne dit mot. M. Fatio de Duillers
fut le premier qui cria à l'injustice . Il prétendit.
que M. Leibnitz n'avoit imaginé le Calcul differen
tel, queparce que Newton lui avoit fait connoître
SEPTEMBRE . 1749. 171
la méthode des Fluxions , qui n'étoit autre chofe
que ce Calcul . Leibnitz répondit qu'il ne connoiffoit
nullement les découvertes de Ne ton en ce
genre , lorsqu'il inventa le alcul differentiel
Cette réponſe auroit dû fuffire ; mais M. Leib
nitz , l'un des principaux Auteurs des Actes de
Leipfic , ne fe contenta pas de refufer d'imprimer
la réplique que faifoit M. Fatio à ſa réponſe. It
s'oublia encore plus . Dès que le Traité de New.
ton fur les Quadratures parut , il confentit que les
Auteurs de ces Actes rabbaiffaffent l'Ouvrage du
docte Anglois , & qu'ils lui préferaflent Tſchirnhaus
Les Journalistes de Leipfic , en voulant défaverifer
Newton , qui les offufquoit par rapport à
Leibnitz , fufciterent à celui - ci une querelle terrible
de la part des Anglois. Cette comparaifon injufte
les indifpofa , & Keil fe chargea , au nom de
la Nation , plus jaloufe de la gloire de Newton ,
que Newton même , fe chargea , dis- je , de tirer
raifon d'une forte d'infuite qu'ils attribuoient à
M. Leibnitz , & qu'ils prenoient pour eux. Keil
fit done imprimer en 1708 dans les Tranfactions
Philofophiques , que Newton étoit l'inventeur du
Calcul des infiniment petits , & que Leibnitz s'en
étoit emparé , après avoir défiguré la méthode de
Newton , en changeant le titre ou le nom , & le
caractére ou la notation .
•
On devine aisément qu'un pareil plagiat , attritribué
à un homme tel que Leibnitz , dut beaucoup
le piquer. Il en porta plainte à la Société Royale
de Londres ; demanda & une rétractation & une
réparation authentique de la part de Keil , qu'il appella
homo novus & rerum ante actarum parum pe→
ritus. Sur ce que celui - ci répondit , la Société
nomma des Commiffaires de toutes les Nations
•
H
172 MERCURE DE FRANCE,
pour juger le differend ; & le rapport que les Commiffaires
firent , donna , avec art , gain de cauſe à
Keil : je dirois à Newton , puifque ce procès le
regardoit en propre ; mais le filence qu'affectoir
ce grand homme , doit être confervé dans cette
partie de fon Hiftoire , & c'est le conformer à fa
modeftie que de ne laiffer parler ici que le Lecteur
pour lui. 1
De ce petit détail hiftorique , on peut conclure
deux chofes, l'une, qu'il eft certain que M. Newon
a inventé le Calcul des infiniment petits ; l'autre
qu'il y auroit de l'injuftice à vouloir que M. Leibnitz
ne l'ait pas découvert , aidé de ſon ſeul & admirable
génie Dans une difpute où les plus grands
Géométres ont obſervé une exafte neutralité , je
n'ai garde de décider. Les perfonnes , qui voudront
être inftruites du fond de ce procès , doivent avoir
recours aux piéces même du procès , imprimées
conjointement avec le rapport des Commiffaires
nommés par la Société Royale de Londres ,fous
ce titre : Commercium Epiftolicum. On trouvera
plufieurs Ecrits fur cette matiere dans les Journaux
Litteraires des mois de Mai & Juillet 1713 , T. I.
P 208. Novembre & Décembre 1713 , T. II.
2 Part .
P. 445 , & M. de Juillet 1714 , p. 319 ; &
dans un Livre intitulé : Recueil de diverses Piéces
fur la Philofophie , la Religion naturelle & les Ma
thématiques , par MM . Newton , Leibnitz & Clark,
T. II . La belle Préface , dont M. de Buffon a orné
ſa Traduction du Traité des Fluxions de M.
Newton , eft encore bien digne d'être citée. Elle
mérite d'être lue avec la plus grande attention,
Voyez auffi Wallis opera Mathematica. T. III. p.
645 & 648 ; Philoſophia naturalis principia Math.
pag. 253 , de la premiere Edition , & pag. 226
de la feconde; Aa eruditorum 1684 , pag, 467;
SEPTEMBRE. 1749. 173
& Philofoph . Tranfact. 1708 , mois de Mai &
Juin . &c.
ATTAQUES , Plan & environs de la Ville d'Y.
pres , affiégée par le Roi le 6 Juin 1744 , & prife
le 25 fuivant , levés & deffinés fur les lieux , par
M. Pierre de Jeandeau , Ingénieur & Géographe
ordinaire du Roi.
L'Auteur de cette Carte travaille à en faire exécuter
plufieurs autres par lui levées fur les lieux
qui contiendront les Marches , Campemens , Sié
ges & Batailles , depuis environ dix ans , ce qui
formera un Théatre complet des Guerres de Flandre
, d'Italie & d'Allemagne , dont il donnera inceffamment
le Profpectus bien détaillé . Il fe propofe
de donner auffi au Public un très grand ouvrage
concernant le génie .
Cette Carte fe vend à Paris , chez Lantino , rue
du Cherche midi , à l'Hôtel du Roure ; Bernard ,
Quai de l'Horloge ; Gandouin , Libraire , Quai
de Conty ;lesfreres Morel , Grande Salle du Palais ,
Guillyn ; Libraire , Quai des Auguftios , & Julien,
à l'Hôtel de Soubize. Le prix eft de 35 f. tiré fur
papier lavé & battu , pour recevoir les couleurs ,
& 30 f. fur papier ordinaire.
LETTRE
Ecrite à M. Remond de Sainte Albine ,fur
Le Voyage Pictorefque de Paris.
LE
EVoyage Pictorefque de Paris , que vous avez
annoncé , Monfieur ; dans le Mercure de
Juillet , exigeoit , ce me femble , de votre part
Hiij
174 MERCURE DE FRANCE.
quelques lignes un peu avantageufes , fealement
pour établir les differences qui la diftinguent des
defcriptions de cette Ville . L'accueil favorable
que le Public a la bonté d'y faire , eft bien capable
d'encourager un Magiftrat parvenu à peine à fon
cinquiéme luftre. Un des principaux agrémens de
ce Livre eft un Catalogue des Tableaux de M. le
Duc d'Orleans , chambre par chambre , & fuivant
la place qu'ils y occupent. Nous avions déja ,
il eft vrai , une defcription de ces Tableaux , par
du Bois de Saint Gelais , mais le défaut d ordre &
d'arrangement la rend totalement inutile , au lieu
que celle- ci facilite extrêmement le moyen de
connoître la quantité & le nom des Auteurs dont
on voit les productions La Table alphabétique
des Peintres , Sculpteurs & Architectes , qui termine
l'ouvrage , n'eft pas indifferente . Vous
voyez un Tableau , une Sculpture d'un habile
homme ; vous defirez fçavoir le lieu de fa nail
fance ,fon pays en un mot : cette Table vous
l'apprend avec fon furnom & fon nom de baptê
me. La juftice que vous avez accoûtumé de rendre
aux Auteurs , me fait efperer , Monfieur , que
vous voudrez bien inferer ma Lettre dans le Mercure
, pour réparer cette petite omiſſion , qui n'a
pú naître que de l'oubli .
J'ai l'honneur d'être , &c.
A Paris , ce 28 Juillet 1749 .
D***.
FAS
SEPTEMBRE. 1749 175
LETTRE
De M. Trochereau , au même.
ME pardonnerez -vous, Monfieur , d'interrom
pre un moment vos occupations littéraires ,
pourvous faire part du chagrin que j'ai de quelques
fautes groffieres , qui fe font gliffées dans les notes
du petit ouvrage que je viens de donner au Public ,
& au fuccès duquel vous avez bien voulu vous intéreffer.
Lors de l'impreffion de cet ouvrage , je
fus obligé de quitter Paris , & je ne pus pas veiller
moi-même à la correction des épreuves . Indépendaniment
d'un nombre aflez confidérable de fau
tes typographiques qui gâtent le texte , Voici
quelques bévues quej'ai eu le chagrin de trouver
dans les notes.
1º . p . 34. Ingentes dolores flupent , parvi loquuntur
.
Voici le vers de Seneque , tel qu'il faut le réta-
-blir.
Cura leves loquuntur , ingentes ftupent.
Art. 2 Hypp . 3. v . 18 .
1
2°.p. 78. Necfic incipies , ut Poëta Cyclicus olim ,
Il doit y avoir , ut fcriptor Cyclicus . Art . p . v .
136.
3°. p. 100. Si vis me flere dolendum eft ipfi tibi.
Ilfaut lire ainfi :
Si vis me flere , dolendum eft
Frimùm ipfi tibi Art p. v. 103 & 104 .
Difcours préliminaire , p. xxxiv . liv. 10. Ho
race , lifez Virgile , fixiéme Livre de l'Enéïde .
Mes amis qui fçavent que j'ai paffe la meilleure
partie de ma jeuneffe à l'étude des Auteurs an-
Hij
176 MERCURE DE FRANCE.
ciens , ne mettront pas ces fautes groffieres fur
mon compte , mais je penfe que je dois au Public
de le prévenir moi même. Il n'eft pas obligé de
nous traiter mieux que nous ne paroiffons le mériter.
Je me flatte que les preuves d'amitié , dont
vous m'avez honoré jufqu'à préfent , & aufquelles
je fuis extrêmement fenfible , vous détermineront
à vouloir bien vous donner la peine d'en faire une
note dans l'article littéraire du Mercure prochain .
Il m'eft tombé hier entre les mainsun ouvrage
périodique Anglois , qui paroît à Londres tous les
mois , intitulé : The Gentleman's magazine. J'y
ai lû les particularités fuivantes , extraites des
Tranfactions philofophiques ( n° . 484. ) qui viennentd'être
miles au jour .J'ai crú qu'ellespourroient
intéreffer la curiofité des amateurs des Arts & de
l'Antiquité. J'ai l'honneur de vous en envoyer
la Traduction . Vous en ferez l'ufage que vous
jugerez à propos d'en faire : fi vous croyez qu'el
les puiffent être agréables au Public , je vous prie
de leur donner une place dans le Mercure prochain
. Les voici :
"
•
Une Lettre de M Hoare dattée de Rome ,
du mois d'Août 1747 , apprend que le Tableau ,
repréfentant Achilles & Chiron , trouvé à Hercu
lanum , eft de cinq pieds de long fur quatre de
large que les figures en font moitié grandes
comme nature ; qu'elles font très fraîches , artistement
coloriées ; & bien deffinées ; que celle
d'Hercule eft parfaite ; que le Tableau de Thefée
& du Minotaure eft haut de cinq pieds , & quel
que chofe de plus. Theſée eft debout dans une
belle attitude , un pied fur la tête du Minotaure ;
cette tête eft celle d'un taureau jointe à un
corps humain. On y voit quelques Génies ou
Amours , s'empreffant à l'envi de careffer leur
SEPTEMBRE. 1749 . 177
liberateur : l'on lui baiſe la main , l'autre lui em~
braffe la jambe ; plufieurs autres , dans differente
attitudes , lui témoignent les fentimens de leur
reconnoiffance .
Un autre Tableau contient l'Hiftoire de Virginie
; elle eft fondante en larmes , & on s'intéreffe
afes malheurs. Appius eft agité par des tranfports
furieux ; l'expreffion de ce Decemvir eft admirable.
Un autre repréſente Hercule & la Déeffe de la
Nature . Ce Tableau eft orné de plufieurs figures
fymboliques : on y remarque particulierement un
enfant qui tette une daine. Celle-ci léche les genoux
de cet enfant , comme une marque de tendreffe
, & arrange fes jambes , de façon qu'elle ne
puiffe pas le bleffer. La Victoire couronne le Hé
ros , qui s'appuye fur fa maflue , & la Nature eft
affife devant lui ; elle applaudit à ſes travaux ; le
deffein en eft exquis & parfait.
Il y a un autre Tableau extrêmement fingulier
& bizarre ; il a dix-huit pouces fur neuf ; il repré .
fente un perroquet traînant un char , dans lequel
eft une groffe mouche , dont les cornes fervent de
bride pour conduire le perroquet.
Deux Tableaux de quatre pieds & demi de long
repréfentent des Comédiens fur le Théâtre. La
perspective en eft fort bien obfervée .
Un autre est une nôce. Il n'eft compofé que de
trois perfonnes. 11 eft fort dans le goût de la Nôce
Aldobrandine qui eft à Rome.
On trouve . dans ces décombres une multitude
infinie de petirs fujets , qui repréſentent les cérémonies
des anciens facrifices. La plupart font
peintes fur des fonds rouges ou noirs ; on y
auffi quelques grotesques.
voit
Ces Peintures réfolvent une de nos difputes .
HY
178 MERCURE DEFRANCE.
littéraires , & nous convainquent que les anciens "
connoifloient la perfpective.
&
Cette derniere réflexion eft une nouvelle preuve
que les anciens excelloient dans les Arts , & que
nos modernes , dont ' e ton eft de déprimer l'Antiquité
, rougiront de la témérité de leur critique
fouvent indécente , à mesure que d'heureux hazards
nous découvriront de précieux monumens ,
qu'on pourroir appeller les médailles juftificatives
des connoiffances des anciens dans les Arts . Peutêtre
ferions - nous petits devant les Egyptiens , fi
nous étions parfaitement inftruits , jufqu'à quel
dégré de perfection ils ont pouilé la Statique , la
Gnomonique , l'Hydraulique , & c.
Je fuis perfuadé que cette façon de penfer eft
de votre goût . Monfieur , vous qui eftimez l'Antiquité
, parce que vous la connoiffez , & que vous
l'avez étudiée .
Je vous fupplie d'être intimement perfuadé de
la pureté de mes fentimens , & du parfait attache
ment , & de la fincere reconnoiffance avec laquelle
j'ai l'honneur d'être , &c.
Trochereau.
LETTRE
De M. Collin de Blamont , Sur-Intendant de
la Mufique du Roi , au même.
le
JE me fuis apperçu , Monsieur , que dansde Cas
tion dans le Mercure du mois de Juillet , vous
avez obmis de marquer au fujet de la Tragédie de
SEPTEMBRE. 1749. 179
Jupiter , reprefentée devant le Roi au Théatre des
grandes Ecuries , que M. de Bury , mon neveu
Maître de la Mufique de la Chambre , avoit part
à cet ouvrage. Je vous fupplie de vouloir bien
contribuer avec moi à lui rendre aux yeux du
Public la juftice qu'il mérite , en faisant inferer
cette Lettre dans votreprochain Journal.
Je fuis , & c.
Collin de Blament.
A Paris , ce 1 1 Août 1749.
LETTRE écrite par M. Briffeaud , de la
Ville d'Orbe , Canton de Berne de Fri.
bourg, à M. Bourgeois , Docteur en Mé
decine de la Ville d'Yverdun , Canton de
Berne en Suiffe , au fujet de la Méthode de
M. Daran, Chirurgien du Roi, pour traiter
les maladies de l'uréthre.
M
Onfieur , je vous ai promis , en partant pour
Paris , de vous rendre compte du fuccès des
reinédes de M. Daran , entre les mains de qui je
venois me mettre. Je n'ai attendu fi long - tems
à m'acquitter de ma parole , que parce que je vou
lois être aflûré de ma parfaite guérifon , avant de
vous en inftruire .
Quoique des accidens de la nature de ceux qui
m'ont déterminé à faire ce voyage ; faffent des
impreffions qui ne s'effacent pas ailément ; je vais,
Monfieur , vous retraçer en peu de mots la fituation
où je metrouvois , lorfque j'arrivai à Paris ;
j'avois le perinée criblé de trois fiftules , & deux à
H vj
180MERCURE DE FRANCE:
côté près du fondement , par lesquelles l'urine
s'échappoit avec des douleurs inouies . Je ne pouvois
demeurer ni affis , ni couché , ni debout. La
fituation la plus commode que je pouvois trouver
étoit de me mettre fur les genoux , en m'appuyant
fur les mains , & quoique j'euffe toujours eu recours
aux perfonnes les plus célébres de l'art , je
n'en avois retiré aucun foulagement.
Cet affreux état , auquel je ne comptois trouver
de reffources que dans la mort ,
dont les approches
me paroiffoient plus à defirer qu'à crain
dre , étoit la fuite des embarras qui s'étoient formés
dans le canal de l'uréthre. Le fil de mes urines
diminua fenfiblement ; je ne les rendis plus
fans ardeurs , je fis alors beaucoup de remédes qui
furent infructueux. Je ne retirai pas un plus grand
foulagement des bains de Plombieres , dont on me
confeilla Pufage . Ces differens remédes n'arrêterent
point même le progrès du mal. Les embarras
de l'uréthre augmenterent tellement, qu'il fe forma
au perinée , & à côté , des abfcès qui donnerent
paffage à l'urine & au pus . On traita vainement
ces nouveaux accidens par les remèdes , qui furent
jugés les plus convenables Je vous priai dans ces
circonftances , Monfieur , de confulter à Paris les
perfonnes qui ont le plus de réputation pour la
guérifon des maux aufquels j'étois en proye. Un
des plus célébres Médecins de cette Capitale , &
qui eft fort enréputation pour les maladies de la
nature de la mienne , fut confulté. Mais je trouvai
qu'il valoit mieux mourir que de fuivre fon
avis C'étoit , comme vous vous en fouvenez ,
Monfieur , de m'ouvrir toutes les parties affligées ,
jufqu'à la véffie , & d'emporter avec les inftrumens
tranchans toutes les excroiffances qui faifoient
obftacle à la fortie de l'urine.
.
SEPTEMBRE . 1749. 181
Heureufement M. Daran , confulté en même
tems , avoit donné une réponſe plus favorable. fl
marquoit que ma maladie lui étoit bien connue
par le mémoire que je lui en avois envoyé ; qu'el
le étoit de la nature de celles qu'il traite habituel
lement , & qu'il répondoit de ma guériſon , fi je
pouvois faire le voyage de Paris .
Dès ce moment même , je me fis accommoder
une berline garnie de matelats , & foutenue de
plufieurs refforts pour rendre fen mouvement plus
fupportable dans mon état , pendant une route
auf longue que celle que j'allois entreprendre.
J'arrivai heureufentent à Paris le quinzième Oc
tobre 1747 , & je fus defcendre chez M. Daran ,
qui m'avoit fait préparer une chambre chez lui ,
afin d'être à portée de fuivre l'effet de fes remédes
avec la plus fcrupuleufe exactitude.
Comme il eft dans l'ufage de n'entreprendre le
traitement d'aucun malade fans en avoir fait conftater
l'état par des gens de l'Art , on fit une confultation
où le trouverent M. Chomel , Médécim
ordinaire du Roi , & Meffieurs Dumoulin , Doyen
des Chirurgiens de Saint Côme , & Malaval , dont
le nom eft très célébre dans la même Compagnie .
Ces Meffieurs , après un mur examen , furent effrayés
de ma fituation , & convinrent qu'il feroit
très-difficile de me guérir.
Je le fuis cependant , Monfieur , & je jouis d'une
fanté plus parfaite que je n'ai fait depuis plus
de vingt ans. C'est ce que vous pourrez attefter
à ceux qui vous demanderoient des nouvelles de
mon état. Ileft vrai qu'il a fallu un tems confidérable
pour y parvenir , mais j'étois dans un état fi
pitoyable , lorfque M. Daran a commencé à me
traiter , que je regarde ma guériſon prefque com
me une création nouvelle.
182 MERCURE DE FRANCE.
Je compte , Monfieur , que vous ne ferez pas
fâché que je rende cette Lettre publique , & qu'à
votre témoignage pour la vérité des faits qui fe
font paffés fous vos yeux , je joigne auffi celui de
M. le Confeiller Bourgeois , Chirurgien d'Orbe ,
qui fit alors tout fon poffible pour me foulager.
Au refte c'est moins à mareconnoiffance pour le
fervice effentiel que M. Daran m'a rendu , que je
crois devoir la publication de ma Lettre , qu'à
l'humanité entière , qui a intérêt d'être inftruite
que des maux femblables aux miens ſont ſuſceptibles
de guérifon . Si trois ans plutôt quelque malade
, dans l'état où je me trouvois , du grand
nombre que M. Daran traite , m'eût fait connoître
les reffources que l'on peut trouver dans fon expérience
confommée , quelle obligation ne lui aurois-
je pas eue, & combien de fouffrances ne m'au
roit-il pas épargnées !
t.
Nous fouffignés certifions qu'il n'y a rien dans
cette Lettre que de conforme à la vérité ; que
nous avons vu le malade le 18 Octobre 1747 ;
qu'après l'avoir examiné avec attention , nous
avons trouvé plufieurs fiftules , non -feulement au,
perinée , mais encore aux parties latérales >
en
forte que le malade, n'urinant que goute à goute,
par la voie ordinaire , les urines refluoient , &
fortoient par ces differentes fiftules , comme par
un arrofoir ; que lorfque M. Daran voulut introduire
une de fes bougies dans l'aréthre , elle ne
put faire route que de deux travers de doigt ;,
qu'aujourd'hui nous avons vû avec fatisfaction
la bougie pénétrer facilement dans toute l'éten
due du canal jufqu'à la veffie ,fans trouver de réſiſtance
, quoiqu'elle fût des plus groffes ; qu'enfin
nous avons trouvé les fiftules guéries & cicatrifées
, & le malade fort bien guéri ; en foi de quoi
SEPTEMBRE. 1749. 183
nous avons figné le préfent certificat , ce vingthuitiéme
Juillet 1749. Dumoulin , Doyen , Chomel,
Malaval.
Avis aux amateurs de l'Hiftoire naturelle.
L
E Sieur Guyot , Apoticaire- Chymifte de M
Pajot d'Ons- en- Bray , donne avis au Public
qu'il eft le feul Auteur de la compofition d'une
Liqueur préfervative , confervative & univerfelle ,
à laquelle il réuffit depuis douze ans , qui ne reçoit
aucune variation , ni de la gelée , ni des grandes
chaleurs , & qui conferve parfaitement toutes for
tes de plantes en fleurs & en fruits.
En conféquence il a fait à M. d'Ons- en Bray pen
dant le tems fufdit , un Cabinet à Bercy- lez- Paris,
contenant deux mille bouteilles , dont quinze à fèize
cens renferment des plantes graffes , marines &
aquatiques , la plupart étrangeres , & celles qui
font employées avec avantage en Médecine .
De même , cent cinquante elpéces de champi
gnons de differentes formes & de diverfes couleurs
, les uns plus délicats que les autres ; ainfit
que quelques noftocs , agarics , & autres excroif
fances végétales.
Cette liqueur ne borne pas ici fes effets . Ellet
confeive encore au naturel les poiffons de mer ›
& d'eau douce de toutes les espèces , même les
infectes les plus glutineux , tels que la limace , les
vers , & c.
En un mot , tous les animaux , tant volatils que
terreftres ; & ce qui eft plus étonnant , les parties
les plus tendres & les p us délicates , qui dépendent
de ces deux genres , végétaux & animaux , contenus
dans le fufdit Cabinet , & qui font foi de ce
qu'on avance.
184 MERCURE DE FRANČE .
Le Sieur Guyot prend d'autant plus volontiers
la liberté d'en informer le Public , qu'il laffe à
penfer aux Sçavans de quelle utilité peut être une
pareille découverte , pour apporter au naturel , &
mettre fous nos yeux les richeffes de cette nature,
qu'on poffede inutilement pour nous aux extrêmités
du monde , & defquelles nous n'avons qu'une
connoiffance imparfaite , faute d'avoir trouvé
jufqu'ici le fecret de les apporter , & de les conferver
au naturel.
Le Sieur Guyot a déja eu lieu d'être fatisfait
du jugement avantageux qu'en ont porté plufieurs
Membres illuftres de l'Académie des Sciences ,
ainfi qu'un grand nombre de perfonnes de la premiere
diftinction , qui ont vu les effets finguliers
de cette Liqueur.
'Autre avisfur un Anemométre fonnant.
C
" Eft une machine inventée par M. l'Abbẻ
Aubert , de Verdun fur Meufe , perpétuelle ,
fans poids , ni roue , & fans qu'on ait jamais befoin
d'y toucher , laquelle pronoftique par une
mufique divertiffante dans une chambre les differens
tems qu'il doit faire , les differentes forces
du vent , la pluye , le beau tems , le froid , le
chaud , bien plus fârement , & plus promptement
que le Barométre . qui eft fujet à fe déranger par
les perméations réitérées d'un air fubtil , & enfuite
de quelque chofe de l'air plus groffier. Celle-
ci ne peut jamais le déranger , & quand on y
toucheroit pour la faire carillonner à volonté ,
elle fe remet jufte d'elle même . Elle eft auffi avec
fourdine & répetition , & amufe agréablement
SEPTEMBRE. 1749 185
dans une chambre , parce qu'elle forme une muque
continuelle & en accord fuivant les differens
airs qui diftinguent les tems , & on ſe donne
ainfi un concert pendant un repas , ou avant de
s'endormir ou à fon lever , la machine jouant
toujours d'elle - même , à moins qu'on ne fufpende
pour un tems ces petits carillons , qui autrement
iroient feuls perpétuellement.
ESTAMPE NOUVELLE ,
Et Réception de M. Balechou , à l'Académie
Royale de Peinture , Sculpture , &c.
E Samedi 19 Mars 1749 , l'Académie Royale
? ?
Lde Peinture & Sculpture agréa unanimement
M. Balechon Graveur fur le portrait qu'il a
gravé du Roi de Pologne Electeur de Saxe , peint
par feu M. Rigaud . Ce morceau eft d'une grande
beauté , & il fait voir à quel degré de perfection la
gravûre eft parvenue en ce fiécle ; il a deux pieds
& demi de haut fur vingt-un pouces de large. Le
Roi de Pologne y paroît dans un champ borné
par un Laurier & par une espéce de rocher tronqué.
Ce Prince eft debout , tenant un Bâton de
Commandement, qui porte fur le rocher. Sur les
épaules de Sa Majefté Polonoife flotte un Manteau
Royal , doublé d'hermine , qui répand une
Jumiere éclatante du côté droit. A gauche on voit
un Maure qui ſemble marcher , & venir préfenter
un cafque au Roi . L'ombre de la figure de Sa
Majefté tombe fur ce Maure , & occafionne avec
Ja doublure d'herimine , qui répand de l'éclat du
côté droit , un très bel effet de clair obſcur.
186 MERCURE DE FRANCE :
Les Curieux pourront voir cette Eftampe chez
l'Auteur , Graveur du Roi , rue Saint Etienne
des Grecs ,avec trois autres qu'il préfenta en même
tems , deux d'après M. Jeaurat , & la troifiémę
d'après M. Nattier.
LETTRE
De l'Auteur de l'Ombre du grand Colbert,
à M. Remond de Sainte Albine *.
P
Ermettez-moi , Monfieur , de vous marquer
ma reconnoiffance de la façon obligeante dont
vous avez parlé de l'Ombre du grand Colbert dans
le Mercure. Je vous en fais des remercimens
fincéres , & vous prie de croire que j'y fuis très-fenfible.
Je ne l'ai pas moins été à l'accueil que le
Public a eu la bonté de faire à l'ouvrage & à l'Auteur.
Quelle a été ma joye d'avoir trouvé une fou
le auffi grande de Citoyens & de vrais François qui
foupirent après le rétabliſſement de l'honneur &
de la décence du Louvre & la liberté de fa façade ,
qui défirent de tout leur coeur , & contribueroient
de leur propre bien à l'achevement d'un Edifice
qui feroit la gloire de la Nation , le Monument le
plus fuperbe du regne de Louis XV , & dont le feul
afpect du Périftile publieroit , avec autant d'éclat
que toutes les bouches de la Renommée , la fublimité
du goût François !
Mon deffein , dans la feinte réfurrection de ce
* Il y a déja quelque tems que cette Lettre nous a
été envoyée , mais nous n'avons pû la faire paroître
plutôt , par l'abondance des matieres.
SEPTEMBRE . 1749. 187
Miniftre immortel , a été de reffufciter avec lui la
grandeur & l'ancienne vigueur du génie de la Nation
, non - feulement dans les Beaux- Arts , mais
dans tout ce qui peut fervir à la puiffance & à la
fplendeur de ce Royaume , & d'engager ceux à
qui ce génie obéit , à le relever de fa chûte & l'arracher
à l'oppreffion & à la perfécution à laquelle
il eſt abandonné . Si mon defſein n'a malheureuſement
aucun effet , foit par la révolution prodigieufe
qu'un tems fort court a faite fur nos elprits , foit
par la fatalité des circonftances , au moins j'aurai
la gloire d'avoir défendu le bon goût contre les
abus & l'ignorance qui l'attaquent de toutes parts,
& lui portent tous les jours des coups mortels . Je
jouirai chez la postérité du trifte honneur d'avoir
vu mes efforts applaudis par tous les braves Citoyens
& généreux François , mes contemporains,
-feulement par ceux qui font dans les plus hau
tes places , mais encore par les plus illuftres Etrangers
& du plus grand nom.
non-
Je viens au fujet de cette Lettre. Vous avez dit ,
Monfieur , dans l'article du Mercure qui par
le de l'Ombre cu grand Colbert , que l'Auteur de
ce Dialogue étoit déja connu par d'autres ouvra
ges fur les Beaux Arts . Ayant appris de plufieurs
perfonnes , que l'on m'a attribué fur cette matiere
les brochures , où l'on a critiqué très- durement
quelques ouvrages de nos Peintres & de nos Sculpteurs
qui ont le plus de réputation , j'ai l'honneur
de vous écrire pour me plaindre d'une méprite auffi
injufte. Après la Lettre que je donnai à la fuite de
mes Refléxions fur l'état de la Peinture en France,
où j'expolai mes fentimens à ce fujet , fentimens
qui feront toujours en moi fermes & in variables ,
je n'aurois pas dû m'attendre à ce reproche , qui
n'a été très- fenfible . J'y avois dit , qu'attaquer
188 MERCURE DE FRANCE.
fans ménagement les talens d'un Artiſte & la ré
putation qu'ils lui ont acquife , c'étoit lui enlever
non feulement la fatisfaction qui fait le bonheur
de fa vie , je veux dire l'opinion de l'excellence de
fes ouvrages , mais encore lui ravir le fruit de fes
travaux, & tarir la fource de fa fortune en ruinant
fa répuration , fon bien le plus flatteur & le plus
folide. Quelle apparence , qu'après m'être élevé
avec tant de force contre cette injuſtice , & fans aucun
intérêt que celui de l'équité & du bien général
de nos grands Ouvriers , je me fuffe rétracté
auffi lâchentent & prefque au même inftant ! Et
d'ailleurs,quel eft le but de mes Ecrits ? N'eft ce pas
uniquement le progrès des Arts & leur perfection?
Comment donc aurois - je pris une voye auffi oppolée
à mon deffein , que celle de bleffer l'amour
propre de ceux qui y peuvent le plus contribuer ,
avec les armes les plus offenfantes , pleinement
convaincu qu'une critique violente & groffierement
fincére n'a jamais produit que la haine du
eenfeur , & ce qui eft bien plus important , le découragement
de l'offenfé. Je ne parle point des
coups que ce's Critiques ont dû porter aux Ouvrages
expofés , en prévenant contre eux ceux à
qui ils étoient deftinés. Attentat à la fortune de
leurs Auteurs , que j'eftime très grave , & dont je
me croirois irréparablement coupable .
Il eft douloureux pour moi de n'avoir pu perfuader
par le ton de mes Ecrits , que je ne fuis critique
ni par goût , ni par humeur ; je le fuis encore
moins par intérêt , mon état n'ayant nul befoin des
reffources infamantes d'une plume vénale ou chargée
de fiel , que la malignité de l'homme & fes
goûts pervers ne rendent que trop lucratives &
trop faciles. On auroit tort cependant de conclure
de la facilité d'une critique amere , celle d'une cri
SEPTEMBRE . 1749. 189
tique modérée & en même tems utile , ni qu'elle
fût même plus ailée que la louange. Je conviens
qu'une cenfure , armee de traits piquans & empoifonnés
, qui affligent & qui défelperent ; une critique
impétueufe, qui ne connoît de frein que la licence,
& de juftice que fa paffion , coûte peu à l'ef
prit abondamment aidé de la corruption du coeur
mais une cenfure exacte , & en même tems modefte,
qui ne veut point briller par l'étalage de fes connoiffances
, mais feulement faire appercevoir les
fautes néceffairement cachées aux yeux de tout Auteur
qui ne voit que par les fiens ; une cenfure
adroite , détournée ou voilée fous une fiction qui
préfente les défauts obliquement & comme dans
un miroir de refléxion , qui toujours attentive à ne
point bleffer l'amour propre , n'a pour armes
qu'un compas & une balance que ni la prévention
ni les antipathies de caprice & fans fondement,
i aucun intérêt perfonnel , ne fçauroient faire incliner
par de faux poids , & qui cependant ait affez
d'attrait & de force pour plaire & pour corriger
; non , non , cette façon de critiquer , la feule
digne d'un galant homme , n'eft point ailée , & je
la tiens beaucoup plus difficile & plus méritoire
que la louange , cet art fi vanté , & cependant G
funefte à tous les hommes par l'orgueil & par la
faufleté qu'il met dans leurs idées & furtout dans
celles de leurs productions.
Je déclare donc non-feulement que je n'ai aud
cune part à ces brochures qui contiennent des critiques
indécentes & fi peu mefurées pour les expreffions
, mais j'ajoûte encore que je les défa
prouve hautement , en convenant cependant que
la plupart des ouvrages critiqués, je ne dis pas tous,
le font avec juftice, & qu'il n'y manque que la dé-
Kence & la maniere. Je conviens encore que l'on
190 MERCURE DE FRANCE.
y trouve des réflexions fenfées & des projets dont
Péxécution feroit fort avantageufe à l'embelliffement
de Paris & au bon ordre , auffi bien qu'au
progrès des Arts . Vous m'obligerez beaucoup ,
Monfieur , de mettre dans le Mercure cette déclaration
ou plutôt ce renouvellement public de
mes fentimens. J'ai l'honneur d'être , &c.
D. L. F. de Saint Tenne.
VERS
A Mile Labat, Comédienne & premiere
Danfeufe de la Troupe de l'Infant Duc de
Parme , fur ce qu'elle quittoit quelquefois
la danfe noble , pour danfer déguisée en
Matelot.
Mufe de tous nos jeux , objet de nos hommages
,
Stachez que le dépit ſe mêle à nos fuffrages ,
Lorfque vous empruntez des traveftiflemens
Trop peu dignes de vous, malgré leurs agrémens ;
D'un naturel heureux l'afcendant eft extrême ;
Pour nous plaire toujours , foyez toujours vousmême.
Sous des myrthes fleuris , dans des Palais char
mans ,
Dès que vous devenez Dryade ou Nétéïde ,
Ou compagne de Flore, ou Bergere , ou Silphide
THE NEW YORK
PUBLIC LIBRARY .
ASTOR, LENOX AND
TILDEN FOUNDATIONS,
SEPTEMBRE. 1749.
191
Vous caufez dans les coeurs de doux enchantemens.
Ua murmure s'éleve , éclatte , augmente encore ;
Vous entendez par tout mille applaudiffemens ;
Quel triomphe flateur ? c'eft un peuple d'Amans
Qui couronne ce qu'il adore.
Hé bien , croyez - les donc , ces coeurs que vous
troublez
Sous les déguifemens que votre art vous préſente ,
Vous n'êtes jamais plus charmante ,
Que quand vous vous reffemblez.
DUO A BOIRE.
E Ntre l'Amour &le vin
Je ne vois point de difference ;
Tous deux charment notre deftin ;
Nul ne mérite préférence ,
Difoit Lucas quelque matin .
Tu te trompes , répond Grégoire ;
Le vin,mieux que l'Amour,fçut toujours me char
mer ,
Et la raison que je vais t'en donner ,
C'est qu'en aimant j'ai foif & voudrois boire,
Mais quand je bois , je me paffe d'aimer.
192 MERCURE DE FRANCE.
SPECTACLES.
Lies,exécuté le vendredi 15 août , jour de
E Concert Spirituel du Château des Thuillel'Affomption
, a commencé par une fymphonie
gracieule , terminée par un Menuet applaudi . En-
Quite on a chanté Domini eft terra , Motet à grand
choeur de la compofition de M. le Febvre , Organifte
de la Paroifle de S. Louis dans l'Ifle , qui a
obtenu l'approbation d'une très nombreuſe afiemblée.
M. Taillard le cadet , a joué fur la flûte traverfiere
un Concerto de Vivaldi, Benedictus Do
minus , petit Motet tant de fois chanté , du mélodieux
Mouret , a eu un fuccès nouveau & des plus
brillans , étant exécuté par M. Befche le cadet ,
haute- contre célébre de la Mufique de Notre - Da
me. Le Public , par des applaudillemens fans ceffe
redoublés , a fait l'éloge de la beauté extraordinaire
de cette voix , & le plaifir fingulier de l'enten.
dre avoit attiré une foule innombrable d'amateurs.
Cette foule fe trouvoit les Samedis au Motet à
Notre- Dame depuis l'arrivée de M. Beſche à Paris.
Il a couronné le Concert en chantant le Gloria patri
de Cantate Domino , Motet à grand choeur de
M. de la Lande , qui a été précedé par un Concer
to de M. Gavinies .
L'Académie Royale de Mufique a continué avec
un fuccès auffi brillant que mérité , les Repreſentations
des Caractéres de l'Amour.
Le troifiéme Acte de ce Ballet paffera toujours
pour un des plus agréables qui foient au Théatre
Lyrique.Dans les deux autres Actes, ainfi que dans
le Prologue , il y a grand nombre de morceaux de
Mufique
SEPTEMBRE . 1749. 193
Mufique , frappés au meilleur coin , & l'on admire
fur tout la Chacone. L'Air que chante Mlle Chevalier
, eft d'une beauté finguliere , & l'accompagnement
en eft également ingénieux & fçavant.
Mlle Lani , fuivant fa coûtume , a charmé dans ce
Ballet par la fineffe , la préciſion & la légereté de
fa danfe. On y a vû débuter avec plaifir Mlle Victoire
, aimable & jeune Danfeuſe , arrivée de l'Opera
de Bruxelles."
Après les Caractéres de l'Amour , l'Opera donnera
un Ballet nouveau en trois Actes , précedé
d'un Prologue , & intitulé le Carnaval du Parnaſſe,
Les paroles font de M. Fuzelier, un des Auteurs du
Mercure. La Mufique eft de M. Mondonville
Maître de Mufique de la Chapelle de Sa Majesté ,
fi connu par la beauté de fes Motets.
bre par
>
Les Comédiens François repréfentérent le 24
Juillet pour la premiere fois la Tragédie des Ama...
zones. Cette Piéce eft de Mad . du Boccage , céle- .
fon Poëme du Paradis Terreftre , imité de
Milton. On en trouvera l'Extrait dans un article :
féparé. Ils ont donné le Mercredi 13 , la premiere
repréfentation du Faux Sçavdnt , Comédie en trois
Actes , de la compofition de M. du Vaur , Gentilhomme
Languedocien , & Officier dans les Troupes
du Roi. Cet Auteur a déja donné au Théatre
quelques fruits de fes amufemens. Le Faux Sçavant
eft une Piéce très- bien écrite ; le ſtyle en eft
vif, léger , extrêmement gai , & ce ne font p3s de
ces bluettes néologiques , cant frondées par l'Ab-.
bé des Fontaines & par tous les partifans du bon
goût.
Le Lundi 21 Juillet , les Comédiens Italiens ont
remis au Théatre le Prologue qui a pour titre les
Comédiens Efclaves , avec Arcagambis , Tragédie.
burlesque , en un Acte , des Srs Romagneſi & Do-
I
194 MERCURE DE FRANCE.
minique , & avec la Comédie du Silphe. Il eft inú
tile d'ajoûter à cette Piéce le nom de M, de Sain
te Foy ; la fineffe du ſtyle décéle affez l'Auteur.
Le Dimanche 27 , les mêmes Comédiens ont
donné pour la premiere fois un brillant Feu d'artifice
, nommé les Jardins de Flore , Spectacle nouveau,
très-gracieux & très bien imaginé. Les couleurs
variées des fleurs , vues à travers de mille
feux étincelans , produifent un tableau frappant.
Le Mardis Août , la Dile Favar , jeune Actrice ,
qui taffemble tous les talens agréables , préconisés
dans le Prologue du Ballet des Fétes Grecques &
Romaines , a débuté dans les Débuts & dans l'Epreuve.
M. de Heffe , qui ne peut jamais être loué avec
autant de génie & de varieté qu'il en met dans fes
aimables compofitions , a donné un Ballet nouveau
de Savoyards , qui a un fuccès des plus éclattans
, & dont tous les perfonnages font animés &
comiques. L'Actrice nouvelle y brille par fa dante,
& par le débit naïf d'un Vaudeville dans le goût
des Porteufes de Marmote.
EXTRAIT
De la Tragédie intitulée , les Amazones ..
I l'on en croit quelques Hiftoriens , une con-
Strée voifine de la Scythie a été habitée par un
peuple d'Héroïnes , connues fous le nom d'Amazones
, & tout homme , que fon malheur y conduifoit
, fubiffoit la mort ou l'esclavage. Mad. du
Boccage fuppofe que Thefée , en allant à la pour-.
fuite des monftres & des brigands , aurive chez les
SEPTEMBRE .
195 1749 .
Scythes , dans le tems que ces femmes guerrieres
fe difpofent à les attaquer. Avec les Grecs qui
l'accompagnent , il marche au fecours des Scythes.
L'action s'engage , & il eft fait prifonnier , ainfi
qu'Idas fon Confident.
Orithie , Reine des Amazones , ne peut à la vûe
de Théfée, conferver fon infenfibilité . Elle fe propofe
de le dérober au fort qui le menace , & elle
lui donne afite dans fon Palais .
Dans la premiere Scéne de la Tragédie , Menalippe
, une des principales Amazones , demande
en leur nom , que ce Prince foit facrifié au Dieu
Mars. La Reine ne fe laiffe point ébranler par des
difcours qui lui paroiffent bleffer fon autorité , &
elle répond fierement ,
Les mortels , dont le front eft ceint du diadême ,
Ne connoiffent de loi que leur pouvoir fuprême,
Souventjugeant à tort de leurs motifs fecrets ,
De la plus jufte cauſe on blâme les effets.
Nous devons mépriſer la cenfure publique ,
Et dans tous les détours fuivre la politique.
Sa prudence , inconnue aux vulgaires humains ,
Par un crime apparent prévient des maux certains.
Cependant , pour faire ceffer les clameurs du
peuple , elle promet de confulter les Dieux. La
troifiéme Scéne fe paffe entre Orithie & Antiope
jeune Amazone , à qui Thefée a fauvé la vie.
La Reine y fait l'aveu de fes fentimens pour ca
Prince , & elle juſt fie - fa foibleffe , en difant ,
Qui venge l'Univers , peut bien dompter mon
coeur.
I ij
196 MERCURE DE FRANCE
Antiope.
Dans la noble fierté qu'infpire un diadême ,
yous fçaurez en fecret triompher de vous -même.
Orithie.
Je le croyois ainfi , mais hélas ! la grandeur
Ne fert qu'à foutenir les caprices du coeur.
Confiante en la force , ignorant les contraintes ,
Ses défirs véhémens triomphent de fes craintes ,
Et les réflexions d'un grand coeur amoureux
Autorifent fon choix , & nourriffent les feux.
Thefée ouvre le fecond Acte avec Idas . Ils font
interrompus par Orithie , qui fait preffentir au
Prince fes difpofitions ,favorables pour lui . Elle
fort peu contente des réponfes de Thefée , & Antiope
, reftée feule avec ce Prince , lui déclare l'amour
de la Reine . Thefée profite de l'occafion
pour annoncer à la jeune Amazone , qu'elle feule :
a pû toucher fon coeur , & qu'il eft le Guerrier
qui l'a garantie du trépas.
Le troifiéme Acte commence par ce Monologue
d'Orithie.
Devoir , honte , remords , cédez à ma tendreffe.
De l'amour , Mars lui même a reffenti l'yvreffe ;
Seules dans l'Univers aurons- nous en horreur
Ce feu dont la Nature eft l'ouvrage & l'auteur ?
Cette Princeffe apprenant que Thefée n'a pour
elle que du reſpect , menace de s'en venger . Quoi !
s'écrie- t'elle ,
Un mortel, inftruit de mon amour
SEPTEMBRE. 1749. 197
Mépriſant mes tranſports , verroit encor lejour ?
Non. Qui refte infenfible aux foins de ma tendreffe ,
Qui du coeur d'Orithie a caufé la foibleffe ,
S'il n'y répond . . .. . . . eft digne de la mort.
Theſée , aux Dieux vengeurs j'abandonne ton fort.
Un Ambaſſadeur des Scythes vient propofer la
paix, & demande Antiope en mariage pour Gelon ,
leur Souverain . La jeune Amazone , à qui Theſée
a infpiré d'autres fentimens que ceux de la fimple
reconnoiffance , eflaye de détourner la Reine d'accepter
les offres de l'Ambafladeur. Elle en reçoit
cette réponſe.
Pour le bonheur du peuple on établit des loix ,
Mais le befoin préfent change ou reſtraint leurs
droits.
L'oeil du Législateur n'a pû voir la meſure
Des divers intérêts de la race future .
Souvent le mal prévû nous arrive le moins ,
Et d'autres accidens exigent d'autres foins .
Orithie la quitte , en lui ordonnant de fe prépa
rer à donner la main à Gelon . Avant qu'Antiope
fe foit remife de fon premier trouble , Thefée la
joint , & elle ne peut lui taire ce qu'elle fent pour
lui. Cette Scéne , déja touchante par elle-même ,
acquiert un nouveau degré d'intérêt par ces mo
dulations de voix fi tendres , avec lesquelles Mile
Gauffin eft certaine de charmer les oreilles des
plus indifferens . Pendant la converſation d'Antiope
avec Thefée , Idas vient avertir ce Prince ,
que les Grecs de fa fuite fe font avancés dans là
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
forêt de Themifcire , pour tâcher de l'enlever des
mains des Amazones.
Au quatriéme Acte , Orithie , fur la nouvelle
qu'Idas a pris la fuite , recommande d'obſerver
Thefée de plus près . On la preffe de publier la
volonté des Dieux , & elle déclare qu'ils condim
nent à la mort le Héros prifonnier. En même- tems
Antiope , perfiftant à refufer d'époufer Gelon , eft
arrêtée par ordre de la Reine. La cinquième Scéne
entre Orithie & Thefée eft celle qui a eu le
plus d'applaudiffemens , & elle en mérite beaucoup.
Nous en copierons ici les principaux traits.
Orithie.
Autour de ce Palais mon peuple.mutiné ,
Qui même avant les Dieux vous avoit condamné
Armé par la vengeance , attend le facrifice.
Je ne puis plus régler fa haine ou fon caprice.
L'oracle eft divulgué , l'Etat en eft inſtruit.
Il faut que je vous livre , ou mon regne eft détruit.
Thefee.
'Armez mon bras , Madame , & par ma feule audace
J'éloignerai de vous le coup qui vous ménace .
Pour payer vos bienfaits , au péril de mon fang ,
Je ferai refpecter les droits de votre rang.
Orithie.
Si j'avois par mes foins obtenu ta tendreffe ,
SEPTEMBRE. 1749. -199
Sans courir aux combats , pour conferver tes jours ,
Ton coeur dans mon amour chercheroit du fecours.
Cet inftant favorable eft le feul qui te refte .
Parle. Un mot peut changer ton deftin tropfunefte,
Pour attendrir ton ame , en cet inftant peins-toi
Mes exploits , mes bienfaits , ma famme & mon
effroi.
Une Amazone en pleurs, quand la mort te menace,
Mérite bien le coeur d'un Héros de ta race .
Thefee.
Reine , votre beauté , vos vertus , vos exploits.
Orithie.
..Laiffe ma gloire , & conferve ta vie.
Je chériffois nos loix , je te les facrifie :
Fidele à la vertu , fans toi mon trifte coeur
Jamais des feux d'amour n'eût reffenti l'ardeur ;.
Et fur le Thermodon tu portes plus d'allarmes ,
Que les monftres cruels , terraflés par tes armes.
Leurs perfides regards du moins n'ont point
d'appas ,
Qui voilent les dangers qu'on trouve fur leurs pas.
· ·
.... S'il eft des mortels faits pour tout charmer ,
I iiij
200 MERCURE DE FRANCE.
Qué n'ont- ils donc des coeurs que l'on puiffe en
flammer ?
Hélas!
Thefée.
:
Orithie.
De t'attendrir mes pleurs auroient- ils le pouvoir ?
S'il étoit vrai , grands Dieux , j'oublierois mes allarmes
,
Mes foupçons , mes remords , un trône plein de
.charmes.
Par des détours cachés t'arrachant à la mort ;
Avec toi j'oferai fortir de mon Empire.
*
Les Dieux & les humains t'enlevent leur fecours.
Prens l'unique moyen de conferver tes jours.
Viens , je veux avec toi porter partout la guerre.
De monftres , de brigands , allons purger la terre.
Montrons à l'Univers , à quel point de grandeur
L'amour d'une Amazone éleva fa valeur.
" Ce difcours pourroit paroître indécent dans la bou
che d'unefemme ordinaire , mais il ne doit point bleffer
de la part d'une Amazone , qui étant une espece
defemme homme , ne ſe croit point aſſujettie à la resenue
que nous impofons aux perfonnes de ſon ſexe. ·
SEPTEMBRE . 1749. 201
Pour une Amante , née au milieu des allarmes ,
Ne crains ni les dangers , ni la foif , ni les armes.
Quelle félicité de partager la gloire
De l'objet de fes feux , chéri de la victoire !
D'avoir les mêmes foins , les mêmes ennemis ,
Se voir tous deux vainqueurs , & le refte foumis
Tant de paffion ne peut faire oublier à Theſée
la fidélité qu'il a promife à Antiope , & la Reine
le congédie , en lui diſant ,
•
· • C'en eft affez , Thefée
La lumiere renaît dans mon ame abuſée
Epargnez - moi l'horreur de gémir à vos yeux,
Et ne jouiffez plus d'un triomphe odieux . *
Entre le quatriéme & le cinquiéme Acte , Thefée
eft délivré par les Grecs , pendant qu'on le
conduit à l'Autel pour y être immolé . Menalippe,
dans la troifiéme Scéne da dernier Acte , fait la
relation du combat qui s'eft donné à cette occa
fion. Cette Amazone affûre que Theſée y a perdu
la vie , & elle termine fon récit par ces vers .
L'Univers étonné , fur nous fixant la vûe ,
Verra nos traits vainqueurs d'une attaque imprévue
;
Quelque admirable que foit toujours Mlle du
Mefnil , elle s'eft montrée fupérieure à elle-même
dans cette Scéne,
IV.
202 MERCURE DE FRANCE.
Le plus grand des mortels affervi fous nos fers ,
Et rendu par nos coups aux rives des Enfers.
Un grand bruit fe fait entendre , & bien- tôt la
nouvelle apportée par Menalippe , est détruite . On
apprend que Thefée non-feulement eft vivant
mis encore qu'il a renverfé tout ce qui s'eft oppofé
à lon paffage , & qu'il eft rentré triomphant dans
Themifcyre. Ce Héros paroît avec plufieurs Amazones
enchaînées & les Grecs de la fuite . Après
avoir annoncé qu'idas a été pris pour lui , ilinvite
Ja Reine à reprendre fon rang & tous les droits
& il ne demande pour prix de la victoire que la
main d'Antiope.
Orithie.
Thefée ! as tu penfé que la main qui me tue ,
Pût me rendre des biens dont j'aimåffe à jouir ?
...
Y
Le comble des maux, en terminant ma courfe,
Eft d'avoir un moment vû ton fexe orgueilleux
Regner fur un climat fi rebelle à fes voeux.
Puiffes tu quelque jour . •
Languir dans le mépris qu'un feu jaloux infpire ,
Voir tes Etats gémir fous un pouvoir nouveau ,
Et dans son défeſpoir te plonger au tombeau.
En fe perçant , elle ajoûte ,
Menalippe , regnez fur ce trifte rivage.
"
Maturefle de vos fens,vous fcaurez mieux que moi,
Gouverner un Etat dont j'ai trahi lạ loi.
SEPTEMBRE. 1749. 203
En acceptant mon fceptre , époufez mon offenſe ;
Que j'emporte avec moi l'eſpoir de la vengeance.
Je meurs , & le trépas me rend la liberté.
Plufieurs Mufes fe font empreffées de célebrer le
faccès de cette Tragédie : Les vers François qui
fuivent, font tirés d'une Epitre , adreflée à Mad . du
Boccage par M. Tanevot .
Calliope d'abord a filé vos deftins.
La tromperte d'Homere a paflé dans vos mains.
Déja vous avez fçu par d'héroïques veilles
Vous placer auprès de Milton ,
Et Melpomene en pleurs , aux bords du Ther
modon ,
Vous a mife à côté de l'ainé des Corneilles .
Voici un Diftique latin , compofé en l'honneur
de cette moderne Héroïne du Pinde.
Lesbia , Amazonibus vitam vocemque dedifti.
Ut placeant, oculos , Lesbia ,junge tuos.
Nous mêletons nos voix à ce concert de louanges
, pour féliciter Mad. du Boccage d'employer
ainfifon loifir.
3 vj
204 MERCURE DE FRANCE:
FRANCE.
Nouvelles de la Cour , de Paris , &c.
E 18 Juillet , le Marquis de Saint Germain ,
Ambaffadeur Ordinaire du Roi de Sardaigné ,
eut à Compiegne fa premiere audience particuliere
de Sa Majefté , à laquelle il préfenta fes Lettres de
Créance. Il fut conduit à cette audience , ainfi
qu'à celles de la Reine , de Monfeigneur le Dauphin
, de Madame Infante & de Meflames de
France, par le Chevalier de Sainctot , Introducteur
des Ambaffadeurs.
...On a appris par un courier extraordinaire d'EL
pagne, que le 11 du même mois il étoit entré dans
fe Port du Ferol cinq vaiffeaux de guerre , trois
navires Marchands & un Paquebot , qui étoient
arrivés de la Havanne , très -richement chargés ,
& qui faifoient partie de l'Eſcadre commandée par
Don André Reggio , Lieutenant Général des Armées
Navales de Sa Majefté Catholique.
Le 24 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens trente livres ; les Billets de
la premiere Lotterie Royale , à fix cens , & ceux
de la feconde à cinq cens foixante dix - neuf.
Le 27, Monfeigneur le Dauphin partit de Com
piegne , & arriva le même jour à Verfailles.
Madame la Dauphine partit de Forges le 26 ;
elle coucha le même jour à Gizors , & le lende
main elle arriva a Verſailles.
→ M. Hurfon , Confeiller au Parlement , a été
nommé à l'Intendance de la Martinique .
Le 31 , les Actions de la Compagnie des Indes
SEPTEMBRE . 1749. 203
étoient à dix- huit cens quarante- cinq livres ; les
Billets de la premiere Lotterie Royale , à fix cens
cinq , & ceux de la feconde , à cinq cens foixante
dix-neuf.
Le Roi s'étant rendu le 7 Juillet à l'Eglife du
Collége des Jéfuites de Compiegne , qui célébroient
la Fête de S Ignace , Sa Majesté y afſiſta
au Salut , après lequel elle affigna une fomme
d'argent pour diftribuer des Prix aux Ecoliers de
ce Collége .
La Reine partit le même jour au matin , pour
retourner à Versailles.
Le 30 , le Comte d'Albermale , Gentilhomme
de la Chambre , & Ambaffadeur Extraordinaire &
Plénipotentiaire du Roi d'Angleterre , eut fa premiere
audience particuliere du Roi , dans laquelle
il préfenta à Sa Majefté fes Lettres de Créance . Il
fut conduit à cette audience , aipfi qu'à celles de
la Reine , de Madame Infante & de Mefdames de
France , par le Chevalier de Sainctet , Introducteur
des Ambaffadeurs.
Les Août, le Commandeur Don François Pignatelli
, Ambaffadeur ordinaire du Roi d'Espagne , eut
auffi fa premiere audience particuliere du Roi , &
il y fut conduit , ainfi qu'à celles de la Reine , de
Madame Infante & de Mefdames de France , par
le même Introducteur.
L'Univerfité fit le 4 , dans la Salle des Ecoles
extérieures de Sorbonne , la diftribution des Prix,
fondés par le feu Abbé le Gendre , & le Parle
ment y affifta. Cette cérémonie fut précédée d'un
Difcours Latin , prononcé par M. Guérin , Profef
feur de Rhétorique au Collège du Pleffis . Après
ce Difcours , M. de Maupeou , Premier Préfident
du Parlement , donna le premier Prix. Les autres
furent diftribués par M. Hamelin , Recteur.
206 MERCURE DE FRANCE.
*
On apprend de la Haye , que les Etats Géné
raux des Provinces Unies ont nommé M. Leftevenon
de Berkenrode , Echevin de la Ville d'Amfterdam
, pour venir réfider auprès du Roi , eu
qualité de leur Ambaſſadeur.
Le 7 Août , les Actions de la Compagnie des
Indes étoient à dix - huit cens trente - cinq livrest
des Billets de la premiere Lotterie Royale , à fir
cens trois , & ceux de la feconde , à cinq cens
quatre vingt.
Le Roi partit de Compiegne le ro du moisdernier
, & le lendemain Sa Majesté ſe rendit au Château
de la Meute.
Sa Majesté a donné le Gouvernement du Château
Royal de la Baſtille , vacant par la mort de
M Jourdan de Lunay , à M. Bayle , Lieutenant
de Roi du Château de Vincennes.
Le 9 , la Maiſon & Société de Sorbonne tint une
affemblée extraordinaire , compofée du Cardinal
de Soubize, de l'Archevêque d'Einbrun , de l'Evêque
du Puy & d'un grand nombre de Docteurs.
Le Cardinal de Tencin y fut élu unanimement
Proviſeur , à la place du feu Cardinal de Rohan ..
Le 14 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante livres ; les Billets
de la premiere Lotterie Royale , à fix cens dixhuit
, & ceux de la feconde , a cinq cens quatrevingtonże.
Le 14 , veille de la Fête de l'Affomption , la Rei •
ne communia par les mains de l'Archevêque de
Rouen , fon Grand Aumônier.
Le 15 jour de la Fêre , le Roi & la Reine ac
compagnés de Monseigneur le Dauphin , de Ma.
dame a Dauphine , de Malame Infante & de
Meldames de France , entendirent la grande Meffe
célébrée pontificalement par l'Evêque de Bayeux ,
SEPTEMBRE. 1749. 207
& chantée par la Mafique. L'après midi , leurs
Majeftés affifterent aux Vêpres , & enfuite à la
Proceffion.
Le même jour , le Commandeur Don François
Pignatelli , Amballadeur Ordinaire du d'El
pagne , eut fa premiere audience de Mo feigneur
le Dauphin . Tiy fur conduit , ainsi qu'à celle de
Madame la Dauphine , par le Chevalier de, Sainctot
, Introducteur des Ambafladeurs.
Le 16 , pendant la Meffe du Roi , le Cardinal de
Soubize , Evêque de Strasbourg , & Grand-Aumô
nier de France , prêta ferment de fidélité entre les
mains de Sa Majesté.
Le Roi a reglé que la Place deftinée pour la
Statue Equeftre , que Sa Majesté a permis à la Vil
le de Paris de lui ériger , feroit au Carrefour de
Buffy .
Le 1s du mois dernier , Fête de l'Affomption de
la fainte Vierge , la Proceflion folemnelle qui fe
fait tous les ans à pareil jour , en exécution du
Vou de Louis XIII , fe fit avec les cérémonies ordinaires
, & l'Archevêque de Paris y officia ponrificalement.
Le Parlement, la Chambre des Comptes
, la Cour des Aides & le Corps de Ville , y
affifterent. 1
Dans l'Affemblée tenue le 16 par le Corps de
Ville , M. de Bernage a été continué Frévôt des
Marchands , & Mrs Ruelle & Allen ont été élus
Echevins.
Le 21 , les Actions de la Compagnie des Indes
étoient à dix- huit cens quarante- deux livres & demi
; les Billets de la premiere Lotterie Royale , à
fix cens vingt, & ceux de la feconde , à cinq cens
quatre- vingt- dix & demi.
208 MERCURE DE FRANCE.
PLANCHES ANATOMIQUES.
O N avertit les Soufcripteurs des Planches Anatomiques
du Sr Gautier , que l'on fera lapres
miere diftribution de la quatriéme Soufcription
dans le courant de Novembre prochain . Cette Soulcription
a été annoncée dans le Mercure de Juillet
dernier . Elle cantiendra dix - huit Planches qui repréfenteront
les parties de la génération des deux
fexes , le foetus dans la matrice , l'Angeologie
en entier , & la Nevrologie . Douze de ces Planches
formeront quatre figures fur pied , de grandeur
humaine, tant de l'homme que de la femme,
ce qui fera extrêmement utile à l'étude de l'Anato
mie . On recevra les foufcriptions jufqu'à la fin
d'Octobre chez M. Gautier , rue de la Harpe.
L
Morceau fingulier d'Architecture .
E fieur Siluy , ayant fait la découverte des
principes généraux d'Architecture des Aneiens
, vient de compofer fur ces mêmes principes
un Frontifpice de deux ordonnances Doriques ,
l'une fur l'autre , ce que les modernes ont jufqu'à
préfent eftimé impoffible . Les perfonnes curieufes
en cet Art,& qui aiment la pureté des proportions,
la noble fimplicité & beauté des fymmetries Architectoniques
des anciens Grecs , qui en font créa
teurs , peuvent voir cet ouvrage chez l'Auteur ,
rue neuve des petits Champs , près l'Hôtel de S.
Pouange , au magafin de la Poudre Alchimique,
SEPTEMBRE . 1749 . 209
இது
MARIAGE ET MORTS.
A nuit du 8 au 9 du mois de Mai dernier , M.
monie du mariage de Charles - Antoine- François-
Marie , Marquis de Wignacourt , avec Damoiſelle
Conftance- Françoife Duffon de Bonac , fille de feu
Jean- Louis Duffon , Marquis de Bonac , Lieutenant
de Roi au Pays de Foix , Ambaffadeur Extraordinaire
à la Porte Ottomane , Chevalier de l'Ordre
de Saint André de Ruffie , & de Magdeleine- Françoiſe
de Gontaut , fille du Maréchal Duc de Biron .
La Maiſon Duſſon , noble & ancienne , tire fon
nom de la Baronie & Château Duſſon , ſitués dans
le Pays de Donezan , dont les Seigneurs Duffon
ont difputé la poffeffion pendant un fiécle aux
Comtes de Foix.
Le Marquis de Wignacourt eft fils de Roberta
'Antoine , dit Comte de Wignacourt , Seigneur de
Warnaucourt , de Brunohamel , & c. & de Dame
Marie- Louife Goujon de Condé , & petit- fils
d'Antoine , Marquis de Wignacourt , Gouverneur
de la Ville de Doncheri , & de Dame Marie- Helene-
Magdeleine de Villelongue .
La Maifon de Wignacourt , qui a donné dans
le dernier fiécle deux Grands Maîtres à l'Ordre de
Malte , fçavoir Aloff & Adrien de Wignacourt,
le premier mort le 14 Septembre 1622 , & le
dernier le quatre Février 1667 , eft originaire
d'Artois , & tient rang parmi les plus nobles &
anciennes familles de ce pays , dont plufieurs
branches fe font répandues en Picardie & en
Champagne. Le Marquis de Wignacourt , dont
210 MERCURE DE FRANCE.
nous annonçons le mariage , eft de la branche de
Warnaucourt , aînée de celles qui font établies en
Champagne.
Le lo Juillet , Marie Geneviève Lefchaffier des
Champs de Morel , époufe de Jean Baptifte - Pierre
Lambert , Confeiller du Roi , Correcteur ordinaire
en fa Chambre des Comptes ,, mourut à Pa-
-ris , & fut inhumée à Saint Côme .
Le 12 , Marie- Nicole Sevin , époule de N. Nigon
, Receveur Général des Domaines & Bois de
la Généralité de Caën , mourut , & fut inhumée à
Saint Gervais.
Le 13 , Charles , de Beauharnois , Commandeur
de l'Ordre Royal & Militaire de
Saint Louis , Lieutenant Général des armées Navales
de Sa Majefté , ci - devant Gouverneur &
Lieutenant Général pour le Roi de toute la Nouvelle
France , Pays de la Loufiane & Ifles adjacentes
, mourut âgé de foixante dix - neuf ans , &
fut inhumé à Saint Sauveur.
Barthelemi -Joachim de Melun , Seigneur de
Brumets & de Somme py , appellé le Vicomte de
Melun , titre primitif de fa Maiſon , qu'il avoit
repris depuis l'extinction des branches aînées ,
eft décedé dans fon Château de Brumets , le 17
Juillet , âgé de foixante-cinq ans , neuf mois ,
deux jours , étant né le 18 Octobre 1683 , & a
été enterré dans le choeur de l'Eglife Paroiffiale de
Brumets , fous le tombeau de Henri -Joachim -Comte
de Melun , & de Françoife de Lyons d'Expaux ,
fes pere & mere. I defcendoit d Adam III . Vi
cointe de Melun , ué en 1211 , & de la Comtefle
de Sancerre , Maifon de Champagne , par leur
fecond fils Jean de Melun , Auteur des branches de
la Borde-le -Vicomte , frere cadet d'Adam IV.
Chef des Comtes de Tancarville & des Princes
SEPTEMBRE. 1749. 21-7
ท
J'Epinoy , & Paîné de Simon de Melon , Maré
chal de France en 1293 , tué à la bataille de Cour
trai , le 11 Juillet 1302 , & il avoit pour premier
aycul connu , Salon , Vicomte de Melun , un des
Grands du Royaume en 991 , & d'origine Royale ,
fuivant la déclaration du Roi Louis le Grand
dans les Lettres d'Erection du Duché- Pairie de
Joyeuse , données à Louis de Melun , Prince d'Epinoy
, le mois d'Octobre 1714 , & enregistrées
au Parlement le 18 Décembre de la même an❤
née ; origine fi éclatante , que l'Empereur Rodolphe
II . juge les alliances avec la Maifon de Melun ,
un relief, dans le Diplôme de Prince d'Empire en
faveur de Lamoral , Comte de Ligne , de l'année
1601 .
Barthelemi Joachim de Melun avoit épousé le
28 Janvier 1728 Louife- Renée de Belinzani , fa,
mille noble du Mantouan . Illaiffe de fa veuve
Adam-Joachim-Marie , Vicomte de Melun , né le
30 Octobre 1730 , Aloff Claude - Marie , Comte
de Melun , né le 2 Février 1736 , & Adelaïde-
Louiſe de Melun , née le 10 Avril 1733.
Le 19 , mourut Jerome Gabriel Confiret , Con
feiller du Roi , Maître ordinaire en fa Chambre
des Comptes de Paris.
Le 26 , Guillaume Favieres , Seigneur du Pleffis
le- Vicomte & de Charmoi , Confeiller du Roi en
fes Confeils , & Maître ordinaire en fa Chambre
des Comptes mourut & fut inhumé à Saint
Paul.
>
Le 28 , N. Felix , Contrôleur Général de la
Maifon de Sa Majefté , mourut , & fut inhumé à
Saint Germain l'Auxerrois,
Charles-Antoine de Chabannes I , du nom , eft
mort dans les derniers jours du même mois à Saint
Michel en Lorraine , âgé de cinquante- cinq ans.
112 MERCURE DEFRANCE!
Il avoit paffé la plus grande partie de ſa vie au
fervice du Roi , & ne s'étoit point marié. Il étoit
le quatriéme fils de Gilbert de Chabannes , Marquis
de Pionfac , Colonel du Régiment de Navarre
, Gouverneur des Ifles d'Oleron , Maréchal
des Camps & armées du Roi , & d'Anne Françoiſe
de Lutzelbourg , fille d'Antoine de Lutzelbourg ,
Seigneur d'Imling , & de Marie- Magdeleine de
Schellemberg , qui avoient été mariés le 30 Juin
1681. Ses trois aînés font 1 ° . Gafpard - Gilbert ,
qui a époufé en Avril 1708 Philiberte d'Apchon ,
fille du Marquis d'Apchon , de laquelle font nés
Gilbert , Jean & Jofeph. 2 °. François - Antoine ,
mort en 1734 , 3 ° . Thomas mort le 7 Juin
1735. Il avoit eu auffi deux foeurs , 1º . Marguerite
, Religieufe , morte à la Magdeleine de Tref
nel de Paris , 2º. Anne , mariée en 1708 , à Anne
de la Queille , Seigneur de Pramenoux , fils du
Vicomte de Châteaugai.
La Maiſon de Chabannes eft des plus illuftres
parfon ancienneté , fes alliances & fes fervices.
Gilbert , pere de Charles Antoine , qui donne
lieu à cet article , étoit arriere - petit- fils de Gabriel
de Chabannes , dernier fils de Joachim de
Chabannes. Gabriel , qui a fait la branche des
Seigneurs de Pionlac , eut pour femme Gabrielle
d'Apchon. Joachim avoit eu quatre femmes , 1º.
Petronille de Levis , fille de Gilbert de Levis I. du
nom , Comte de Ventadour. 20 Louiſe de Pompadour
, fille d'Antoine , Seigneur de Pompadour.
3 °. Catherine- Claude de la Rochefoucault , fille
de François I. Comte de la Rochefoucault . 4°.
Charlotte de Vienne , veuve de Jacques de Montboiffier
, Marquis de Canillac , fille de Gerard de
Vienne , Seigneur de Pimont & de Ruffey ; de ce
dernier mariage fortit Gabriel.
SEPTEMBRE . 1749. 215
Joachim étoit petit - fils de Gilbert , qui a fait la
branche des Seigneurs de Curton . Ce Gilbert étoit
fils de Jacques , petit-fils de Hugues de Chabannes
, Seigneur de Chatlus- le- Pailloux.
Le 2 Août , Louife-Jofephe de Graves , veuve de
Pierre Armand , Comte de Jaucourt , mourut âgée
de 42 ans , & fut inhumée à S. Sulpice .
Le même jour , Emery- Louis- André Tauxier ,
Seigneur de Valzibert & autres lieux , Confeiller
du Roi , Auditeur en fa Chambre des Comptes
ancien Commiffaire des guerres , mourut , & fut
inhumé à Saint Louis- en - Ï'Ifle. "
Le 6 René Jourdan , Seigneur de Launai , de la
Bretonniere , & autres lieux , Capitaine & Gou
verneur du Château Royal de la Baftille , & Che
valier de l'Ordre Royal & militaire de Saint Louis,
mourut âgé de foixante feize ans , d'une
d'une attaque
d'apoplexie.
Le 7 , Marie- Catherine le Bouts , veuve d'Elie-
Louis de Coutance , Seigneur de la Fredonnerie ,
ancien Capitaine de Cavalerie , mourut , & fut ins
humée à Saint Nicolas - des Champs.
Louis Augufte Thibouft de Berry , Chevalier Seigneur
& Comte de la Chapelle Thibouft de Ber
ry , anciennement la Chapelle- Gautier en Brie
Seigneur du Ru-Guerin , des grand & petit Trefnels
, des Hangets , de Gatins & autres lieux
Confeiller d'honneur au Baillage & Siege Préfidial
de la Ville de Melun , mourut le 13 en fon Château
de la Chapelle , dans la cinquante- neuvième
année de fon âge.
11 laiffe quatre enfans de fon mariage avec Marguerite
Charlotte le Petit de la Grand'cour , fçavoir
, Louis- Charles Nicolas Thibouft de Berry ,
Cointe de la Chapelle , fils majeur ; François Thi
bouft de Berry , depuis peu forti des Pages de ,
214 MERCURE DE FRANCE.
Madame la Dauphine , & à préfent Lieutenant
dans le Régiment Infanterie de Mailly ; Louife-
Marguerite Thibouft de Berry , & Charlotte-
Louife- Agathe Thibouft de Berry, ces trois der
niers enfans mineurs,
Il étoit fils de Louis Thibouft de Berry , Seigneur
& Comte de la Chapelle , & perit fils de
Gabriel Thibouft de Berry , Seigneur & Comte de
la Chapelle , Gouverneur & Capitaine des Chaffes
de Fontainebleau .
Cette Maifon de Thibouſt eſt très-ancienne , &
defcend d'un Thibouft , Prevôr des Marchands de
la Ville de Paris fots Philippe le Bel.
N
Ous ne devons point paffer fous filence la
mort de Martin Paîné , Verniffeur du Roi.
Cet Artifte , imitateur des ouvrages de la Chine &
du Japon , a furpaflé les modéles par un goût des
plus recherchés , qui regnoir dans tous les deffeins,
Ayant appris que le Sieur Julien Martin , ſon frere,
qui a toujours travaillé avec le défunt , s'eft aflocié
avec la veuve , nous annonçons au Public avec
plaifir , qu'il ne fera pas privé des ouvrages du
Japon & de la Chine , ainfi que des beaux vernis
& belles dorures qui fe fabriqueront toujours dans
la même maifon du feu Sieur Martin , fauxbourg
Saint Denis , à gauche,
J
APPROBATION.
'Ai lû par ordre de Monfeigneur le Chancelier
le Mercure de France du mois de Septem
bre 1749. A Paris , le 28 Août 1749.
MAIGNAN DE SAVIGNY,
TABLE.
3
PIECES FUGITIVBs en Vers &en Profe.
Le Prince de Noily , Ballet Héroïque ,
Lettre d'un fçavant Génevois à M. Remond, de
Sainte Albine , fur les Evêques de Genéve ',
Vers à Mile de Cr *****
Penfées traduites de l'Anglois ,
Le Printems à Mlle C ***
Les deux Bouquetieres , Fable ,
32
537
57
60
62
Extrait d'une Lettre fur les Télescopes à refle-
641
xion ,
Poëme
fur le progrès
des Sciences
& des Beaux-
Arts , fous le Regne
de Louis
le Bien aimé
, 70
Lettre
de M. de S. R. à M. Remond
de Sainte
Albine
,
Problême réfolu par l'illuftre Philarete ,
>
78
79
ibid
Vers envoyés à une Dame qui avoit fait préfent
d'un Cabaret de porcelaine à l'Auteur
Autres de M. de Voltaire à Mad de B. R.
Autres du même à Mad la Comteffe de la Neuvil
le , en lui envoyant l'Epitre fur la Calomnie , 83
Madrigal ,
ibid
Vers envoyés de Paris à un ami qui avoit engagé
l'Auteur à revenir en Province ,
Autre à Mad. de F ... , niéce de M. de Voltaire
jouant le rôle de Celiante dans le Philofophe
marié , ibid.
Difcours fait pour être prononcé à l'ouverture d'u
84
ne Ecole Royale de Mathématiques à Nancy , 85.
Quatriéme Lettre de M. Cantwel , Docteur Régent
de la Faculté de Paris , Profeffeur de Chirurgie
aux Ecoles de Médecine , Membre de la Société
Royale de Londres ,
Relation du Service folemnel qui a été fait dans
100
l'Eglife des Peres Barnabites du Collège d
Montargis , pour le repos de l'ame de S. A. Ri
Madame la Ducheffe d'Orleans , 117
Lettre à M. Remond de Sainte Albine fur une
141 Monnoye finguliere ,
Obfervation fur Martial d'Auvergne , ancien Poëte
,
145
149
Mots des Logogryphes du Mercure d'Août , 148
Enigme & Logogryphes ,
Nouvelles Litteraires , des Beaux- Arts , &c. 153
Plans & Cartes , 173
Lettre à M. Remond de Sainte Albine fur le voya
ge Pictorefque de Paris ,
ibid.
175
Lettre de M. Trochereau au même ,
Lettre de M. Collin de Blamont, Sur- Intendant de'
la Mufique du Roi , au même 178
•
183
184
Autre écrite par M. Brifleaud , de la Ville d'Orbe ,
à M. Bourgeois, Docteur en Médecine , au fujet
de la Méthode de M. Daran , Chirurgien du
Roi , pour traiter les maladies de l'uréthre , 179
'Avis aux amateurs de l'Hiftoire Naturelle ,
Autre avis fur un Aneme netre fonnant
Eftampe nouvelle , & Réception de M, Balechou à
l'Acad. Royale de Peinture , Sculpture , & c . 185
Lettre de l'Auteur de l'Ombre du grand Colbert ,
à M. Remond de Sainte Albine ,
Vers à Mile Labat , Comédienne , & premiere Danfeufe
de la Troupe de l'Infant Duc de l'arme
185
fur ce qu'elle quittoit quelquefois la Danfe noble
⚫ pour danfer deguifée en Matelot ,
*
Duo à boire ,
Spectacles ,
190
191
192
Extrait de la Tragédie intitulée'les Amazones , 194
France , Nouvelles de la Cour , de Paris , &c. 204
Planches Anatomiques du Sr Gautier ,
Morceau fingulier d'Architecture ,
Mariage & Morts ,
La Chanfon notée doit regarder lapage
208
ibid.
209
194
Qualité de la reconnaissance optique de caractères