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1678, 05 (contrefaçon)
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Merture
511 (
16751,5
h
<36607778640010
L
<36607778640010
Bayer
. Staatsbibliothek
01E13,7


Ser .
136.
MERCURE
GALANT.
De L'An 1678 .
Jouxte la Copie
à Paris
Au Palais 1678.
"
Baverler he
Staatsbibliothek
München
LE
NOUVEAU
MERCURE .
GALAN T.
Contenant tout ce qui s'eft paffé
de curieux au Mois de May
de l'Année 1678.
Suivant la Copie imprimée
A PARIS
Au Palais , l'An 1678.
Vivah
A
MONSEIGNEUR
L E
DAUPHIN.
MONSEIGNEUR ,
Quand j'eus l'honneur de vous
offrir le Mercure pour la premiere
fois , je croyois trouver
en Vous un Prince auffi accomply
que vous le pouviez jamais
eftre. En effet , MONSEI.
GNEUR, à voir toutes les
belles qualitez qui vous attiroient
l'admiration de tout le
monde ; tant d'adreſſe dans vos
Exercices tant de Lumieres
pour les Lettres & pour les
beaux Arts , tant de grandeur
d'ame, & tant de nobleffe dans
tous vos fentimens , on pouvoit
>
3 ju
EPISTRE.
juger avec quelque apparence
que vous ne les poufferiez pas
plus loin, & que vous les aviez
portées à un point où il falloit
qu elles s' arreftaffent. Cependant,
MONSEIGNEUR,
j'avoue que j'y ay efté trompé ,
& que vous ajoûtez toûjours
quelque chofe à ce qui me fembloit
ne pouvoir plus s'augmenter.
Si tout autre Prince que
vous eftoit ce que vous eftes ,
on feroit certain qu'il s'en tiendroit
las mais avec vous , MONSEIGNEUR
, il n'y a rien
d'affuré , & quoy que nous ne
puiffions nous figurer un caractere
plus parfait du Fils duplus ·
grand Roy de la Terre , je ne
voudrois pourtant pas répondre
que vous ne fçeuffiez encor vous
rendre plus digne d'un Titre fi
gloEPIS
TRE.
glorieux. On ne fçait pas préci-
Jément ce que vous ferez un jour,
mais on fait bien que vous ef
tes dés à-prefent ce que les plus
grands Princes ont eftê . Ainsi ,
MONSEIGNEUR , fi vous
ne voulez qu'égaler les Héros,
vous avez déja cent. Vertus qui
Suffisent pour cela , & il n'eft
pas befoin que vous en acqueriez
davantage; mais fi vous voulez
aller jufqu'à voftre incompara
ble Pere , il eft certain que ce
grand Monarque ne fera jamais
imité, ou qu'il le fera par Vous.
Ce font les fentimens de toute la
France, que vous explique avec
un profond respect ,
MONSEIGNEUR ,
Voftre tres-humble & tresobeiffant
Serviteur.
PREFACE.
Comme il y a des Gens qui envoyent
des Chanfons , ou vieilles ,
ou qui ont déja efté notées par d'autres
Maiftres , on n'en mettra plus
quand elles viendront dans des Lettres.
Il faut qu'elles foient apportées
à l'Autheur du Mercure , ou chez
l'Imprimeur , par ceux qui les auront
faites , afin qu'ils éclairciffent
les chofes dont on doutera, & qu'on
leur en puiffe faire voir des Epreuves
avant qu'elles foient expofées au
public. On ne donnera rien par ce
moyen qui ne foit correct & nouveau
. Ceux qui envoyeront des
Chanfons de la Campagne, doivent
par les mefmes raifons les adreffer à
quelque Amy qui foit capable de
prendre les mefmes foins, & de corriger
les Epreuves que l'Autheur
n'a pas le temps d'envoyer à ceux
dont il a reçeu les Airs .
A l'égard de ceux qui devinent
les
PREFACE.
les Enigmes, & qui prennent d'autres
Noms que le leur , ils doivent
en choifir de fi particuliers qu'ils ne
fe puiffent rencontrer avec d'autres.
Mettre au bas de leurs Lettres , Un
Gentilhomme d'une telle Province , un
Confeiller ou une Demoifelle d'une telle
Ville, c'eft ne rien mander. Il y a
tant de Perſonnes dans chaque Ville
à qui ces fortes de Titres conviennent
, qu'il n'y a pas mefme
moyen de les faire connoiftre euxmefmes
à eux - mefmes , plufieurs
ayant pris quelquefois pour le mefme
Mot la qualité de Gentilhomme
ou d'Inconnu de la mefme Ville.
Ce n'eft pas qu'ils ne fe puiffent
donner le plaifir de fe cacher s'ils y
en trouvent . Le Public fe divertit
des Noms bien choifis, mais il faut
éviter l'inconvenient où tombent
ceux qui donnent trois ou quatre
lignes pour un Nom . Cela cauſe
trop d'embarras , & il faudroit plufieurs
pages ennuyeufes pour défigner
PREFACE.
figner fept ou huit Perfonnes. Ily
en a qui n'envoyant que le feul Mot
des Enigmes fans aucune Explication
, mettent au lieu de leur Nom
deux ou trois Lettres avec des points .
Ils ne fongent pas que ces Lettres
ne peuvent fervirà rien , & qu'on
n'en peut former un Nom pour le
mettre parmy ceux qui ont trouvé
le fens des Enigmes .
Quand on envoye des Ouvrages
un peu longs , on doit les envoyer
de bonne heure , parce qu'on imprime
les premieres feuilles du Mercure
dés le Huitieme de chaque
Mois , & qu'on finit deux ou trois
jours avant la fin du mefme Mois ,
à caufe du temps dont les Relieurs
ont befoin.
Les Lettres feront toûjours adreffées
chez le Sieur Blageart. Celles
qu'on adreffe ailleurs , courent rif
que , ou de n'eftre point reçeuës ,
ou de l'eftre toûjours trop tard.
Ceux de la Campagne qui ont of
fert
PREFACE.
fert d'écrire des Nouvelles à l'Autheur
font priez de prendre cet Article
pour Réponſe , & de croire
qu'ils luy feront un tres-grand plaifir
, & fur tout pour les Nouvelles de
Guerre , dont il ne peut fçavoir trop
de particularitez .
On reçoit tous les jours des Lettres
de Gens qui fe plaignent qu'on
n'a point parlé d'eux. Leurs plaintes
cefferoient s'ils avoient veu l'Extraordinaire.
Ceux qui envoyeront .
des Explications de la Lettre en Chiffres
, de l'Hiftoire Enigmatique, &
leurs Penfées fur la Queſtion qu'on
y propoſe , font priez de les mettre
fur des papiers feparez , & de ne les
confondre point avec des Explications
qui regardent le Mercure . Cela
caufe trop d'embarras à l'Autheur ,
qui ayant un grand nombre de Lettres
, eft obligé de feparer les matieres
qu'elles contiennent, pour ne
point relire la Lettre autant de fois
qu'il a befoin des Articles diferens
qui
PREFACE.
qui y font. La Lettre qu'on a reçeue
touchant le prix de l'Extraordinaire,
& qu'on trouvera fur la fin
de ce Volume , a fait faire reflexion
qu'eftant beaucoup plus gros
que le Mercure , il couftoit encor
davantage à caufe du port . Ainfi
pour obliger les Provinces, on veut
bien le mettre à Trente fols , &
n'en pas dédire le galant Homme
qui l'a demandé pour elles . L'Ex-
, traordinaire ne vaudra donc plus que
Trentefols, quoy qu'il foit marquè à
un Efcu . Ceux qui fe plaignent qu'on
ne leur fait pas connoiftre s'ils ont
perdu touchant les Gageures qui ſe
font fur les Enigmes , ne fongent
pas que c'eſt affez les éclaircir , que
d'en mettre le veritable Mot.
Pag. 1
MERCURE
GALAN T.
N
"
E vous plaigez plus , Madamé,
il y a moyen de vous
fatisfaire. Je recevois les reproches
que vous me faites de ce que depuis
quelque temps je ne vous envoye
rien de Mr de Fontenelle
quand on m'a donné une Lettre de
fa façon. L'Extraordinaire vous a
fait connoiftre que celles d'Apollon
& de l'Amour à Iris eftoient de
luy , & j'avois bien crû que vous
apprendriez avec plaifir que vous ne
vous eftiez point trompée dans le
jugement que vous en aviez fait.
Vous y aviez reconnu ce carecte
galant & naturel qui eft répandu
dans tous fes Ouvrages , & vous l'auriez
encor reconnu dans ce dernier,
quand je vous aurois caché qu'il en
May.
A eft
2
MERCURE
eft l'Autheur. Vous trouverez de la
nouveauté dans le deffein , & je ne
doute point que vous ne foyez contente
de la maniere dont il l'a traité.
Lifez & jugez .
TYRS I S ,
A LA BELLE IRIS.
ILy a aujourd'huy un peu plus d'un
an que je vous ay veuë pour la premiere
fois , & par conféquent que
je vous aime. C'est une journée trop
remarquable , & qui a eu de trop
grandes fuites , pour l'oublier. Le
pourrez-vous vous croire ? Les Amours
l'ont folemnifée ; & comme
cette Fefte vous regarde , vous auriez
fujet de vous plaindre , fi je
vous en laiffois ignorer les particularitez.
Le premier jour de May 1678.
on porta un Billet chez tous les
Amours. Ils y trouverent ces quatre
Vers.
Les
GALAN T.
3
Les Amours font demain priez d'un grand
Difné
Chez l'Amour , Fils d'Iris autrement la★★★
Comme c'est le jour qu'il eft né ,
Il fe met en frais , & les traite.
Il vint donc un tres- grand nombre
d'Amours chez celuy qui les
avoit conviez ; & auffitoft qu'il
les vit :
Chers Amours, leur dit- il avec un doux foûris,
Nous celebrons une grande journée .
C'est aujourd'huy que je fuis né d'Iris ,
Aujourd'huy je compte une année,
Quoy ? vous n'auriez qu'un an , s'écria-ton
? abus !
Vous paroiffez trop grand
voftre âge.
trop fort pour
De bonne-foy, dit- il, je n'ay pas davantage,
Mais auffi je ne croiftray plus.
A peine venois-je de naiftre ,
Que j'estois déja grand Amour.
Iris qui me voyoit croiftre comme le jour,
S'imaginoit que j'allois toujours croiftre ;
Mais quand on croift fi vifte , il est un certain
point
Où l'on s'arrefte de bonne heure ;
Ainfi qu'Iris ne s'en étonne point ,
Me voila tel qu'il faut que je demeure.
A 2 Apres
4
MERCURE
Apres ce peu de paroles qui furent
dites en arrivant , les Amours.
Te mirent à table , & chacun ayant
pris place felon fon rang ,
Le Maitre du Feftin leur en fit l'ouverture
Par deux grands Plats que l'on fervit.
Dans l'un eftoient des viandes en peinture,
Dans l'autre des Billets qu'il difoit pleins
d'efprit.
La plupart des Amours fe mirent en colere.
Quoy, s'écrierent-ils , vous moquez- vous de
nous ?
Viandes creufes, & Billets doux ,
Eft-ce là le repas que vous voulez nous faire?
Hé quoy , reprit leur Hofte , eft-ce que mes
Billets
Ne feront pas pour vous une chere complete !
Iris ne me nourrit que de femblables mets ,
Je vous traité comme on me traite.
Je ne fay pas comment il fait vous recevoir,
Si vous n'eftes contens de ce qu'on vous préfente
,
Car moy fans vanité qui crois bien vous valoir
,
Il faut bien que je m'en contente.
Prefque tous les Amours l'avoient déja quité.
En peftant contre le régale,
Il eftoit feulement refté
Quelques petits Amours de vie aſſez frugale ,
Lors
GALAN T.
5
Lors qu'il dit aux premiers ; revenez fur vos
pas,
Je vousferayfervir des viandes moins legeres.
Pour moy, vous foufrirez queje n'y touche pas,
Il faut que je m'en tienne à mes mets ordinaires.
Il parut auffitoft un Service dont
tous les Amours furent fort fatisfaits.
Comme leur Hofte mangea
fort peu, il s'appliqua à les divertir
par fon entretien. Il leur apprit que
fa naiffance avoit efté précedée de
quelques Prodiges , car ce n'eftoit
pas un Amour du commun . Ces
Prodiges eftoient, que quelque temps
avant qu'il nâquift, le feu avoit pris
à tous les Livres de Morale qu'avoit
fon Pere, nommé Tyrfis, jeune
Homme qui faifoit fort le Philofophe,
& que le Mercure Galant
eftant apparu une nuit en fonge à
fa Mere Iris, luy avoit dit ces mots,
Aime, & je t'immortalife. La Converfation
tourna en fuite fur Tyrfis
& fur Iris mefmes , & on demanda
au Maiftre du Feftin comment ils
A 3
ef6
MERCURE
eftoient enſemble , ou s'il l'aimoit
mieux , comment Tyrfis eftoit dans
l'efprit d'Iris . Voicy fa Réponſe.
Ce Tyrfis qui luy rend mille hommages conftans
,
Aux defpens de fon coeur veut qu'elle les achete.
Iris , qui ne fçauroit defavoier la debto ,
Pour le payer , luy demande du temps .
Cependant s'il reçoit une oeillade flateufe ,
Et quelques mots douteux qu'il entend comme
il veut,
Il croit que fa fortune eft encor trop heureuſe,
Car d'une méchante Payeufe
On tire toûjours ce qu'on peut .
Quand il luy dit qu'il faut qu'elle s'aquite
Qu'elle ne fait que s'endebter ,
Elle dit que la debte eft encor trop petite,
Pour fe preffer de l'acquiter ;
Que quand elle fera plus grande ,
Elle payera les foins qui fe trouveront deus ,
Et que c'est ce qu'elle demande
Que de s'endebter encor plus .
Peut- eftre que depuis le temps qu'elle differe ,
Sa promeffe eft un peu fujette à caution ;
Peut- eftre tout d'un coup fera-t- elle l'affaire.
Qu'en croyez-vous , Amours? voila la queftion.
Là- deffus les Avis furent partagez
.
GALAN T.
7
gez. Il y en eut qui dirent que vous
m'aimiez , & ce fut là le plus petit
nombre. Tout le refte prétendit que
je n'eftois point aimé , & leur opinion
l'emporta par la pluralité des
voix. Cette diverfité d'Avis vint de
deux diférens caracteres d'Amours
qui eftoient la . Les uns eftoient de
ces Amours délicats qui rafinent fur
les moindres chofes, & qui ſe croyent
heureux fur la foy des Intrepretes
muets. Les autres fe moquoient de
cette délicateffe , & ne fe flatoient
de la conquefte des Coeurs qu'à bonnes
enfeignes.
Iris aime déja , difoient les délicats ,
Puis qu'elle fent qu'il faut unjour qu'elle aime.
De fon coeur ébranlé vous voyez l'embarras ,
Cet embarras c'est l'Amour mesme.
Quand d'un coeur par furprife il s'est fait recevoir
,
Il ne veut pas d'abord s'en déclarer le maiſtre;
Fufqu'à ce qu'il ait mieux étably fon pouvoir,
Il fe ménage trop pour ofer y paroistre ,
A la plus foible marque il faut le reconnoiftre,
Et l'on ne fait que l'entrevoir.
Qu'il eft doux à Tyrfis, dont les yeux fans relâche
Cher8
MERCURE
Cherchent du coeur d'Iris tous les replis fecrets ›
D'y démefler enfin un Amour qui fe cache ,
Et fe trahit pourtant par de petits effets !
Peut- eftre quand Iris avoiieroit fa tendreffe ,
En entendre l'aveu , c'est un plaifir moins
grand ,
Que de la decouvrir par cette heureuſe adreſſe
Qui l'épie & qui la furprend.
De ces raffinemens la méthode eft fubtile ,
Repliquoient les Amours de l'avis oppoſe ;
Mais fe fur ces Garands Tyrfis s'eft repofé ,
Tyrfis n'eft pas trop difficile.
Puis qu'il ne faut pour contenter fes voeux
Qu'un peu d'efperance incertaine ,
Sans-doute ce n'est pas la peine
Qu'Iris en faffe un Amant malheureux.
Quelquefois exiger trop de reconnoiffance ,
C'est le moyen de n'eftre pas content.
Il fe peut qu'en ce cas la Belle fe difpenfe
De payer comme on le prétend ,
Et vous voila fans récompenfe .
Mais quand heureufement un Efprits ſe repaiſt
De ces Chimeres delicates
Qui vous font dans un coeur voir tout ce qui
vous plaist ;
On ne sçauroit trouver d'Ingrates .
Pauvres Amours , connoiffez voftre erreur ,
Laiffez-là , laiffez- là vos fines conjectures.
Pour croire qu'on a fait la conquefte d'un coeur,
Il faut des preuves bien plus feûres .
Quand
GALAN T.
9
Quand la Belle a dit à l'Amant ,
Je partage avec vous l'amour que je vous
donne ,
La preuve eft bonne aſſurément ,
Et cependant elle n'eft pas trop bonne.
On pourroit fouhaiter quelque chofe de mieux,
Sans fouhaiter rien de trop tendre ;
Mais enfin un aveu fi doux , fi glorieux ,
Quoy qu'il n'ait point de fuite , eft toûjours
bon à prendre.
Si ce n'eft eftre heureux, c'eft du moins eftre aimé,
C'eft de quoy fatisfaire un Efprit raisonnable.
Quant au bonheur que Tyrfis s'eft formé,.
C'est un bonheur d'Amant tres - miférable.
Cette conteftation aigrit les Ef
prits, & les Amours ne difputerent
pas long-temps fans venir jufqu'aux
reproches. Les délicats difoient aux
autres , qu'ils eftoient trop groffiers
pour goûter ces fins plaifirs de voir
le progrés qu'on fait peu à peu dans
un coeur qui fe défend , & dont la
refiftance eft pouffée à bout . Ceux
qu'ils accufoient de groffiereté , repouffoient
l'injure , en leur reprochant
qu'avec tous leurs raffinemens
de délicateffe , ils avoient tellement
quin-
A
3
A
ΙΟ MERCURE
quinteffencié l'Amour , qu'on ne
fçavoit plus ce que c'eftoit qu'eftre
aimé ;
Et comme les Amours ont le fang unpeuchaud,
Et que la moindre bagatelle,
Un rien mefme, eft tout ce qu'il faut
Pour faire entr'eux une groffe querelle ,
Ils mettoient tous déja la main à leurs Carquois
,
Déja pour le Combat ils preparoient leurs
armes ,
Et rempliffant les airs de leurs confuſes voix,
Ce n'eftoient plus que troubles & qu'alarmes
;
Déja petits Amours contre petits Amours
Commençoient fierement une guerre civile ,
Si l'Hofte n'euft tâché par fes fages difcours
D'apaifer promptement leur bile.
Il leur fit concevoir combien leur question
Eftoit pour eux de legere importance,
Et leur dit que chacun tinft fon opinion ,
En attendant la fin de voftre indiférence
Qui donneroit bientoft une décifion.
Cet avis fit ceffer leur ardeur belliquenfe ,
Et quand la paix fut faite , ils tomberent
d'accord
Que c'eftoit vous qui feule aviez eu tort
De laiffer fi longtemps la Queſtion douteuſe ,
Voila,
GALAN T. II
Voila , belle Iris , ce qui fe paffa
dans ce Feftin. Vous devez penfer
à vous, car j'oubliois à vous dire
que tous les Amours jurerent
qu'ils vous feroient un méchant party,
fi vous ne décidiez pas promptement
cette Queftion qui avoit
caufé un fi grand defordre. Il me
femble , Madame , que vous devez
eftre affez contente de moy , apres
le foin que je prens de vous faire
part d'une fi fpirituelle Galanterie ,
avant qu'elle ait encor efté veuë de
perfonne. Je feray plus , & comme
je fçay l'eftime que vous avez pour
l'Autheur , j'y adjoûteray un Madrigal
qui a efté fait à fon avantage.
Il vous fera voir que vous n'eftes
pas la feule qui vous étonniez
que dans un âge auffi peu avancé
que le fien , il penfe fi jufte, & exprime
fi finement tout ce qu'il penfe.
M' Petit , de Rouen , dont je
vous ay déja parlé plufieurs fois, en
a trouvé une raiſon affez plaufible
dans
A 6
12 MERCURE
dans le Madrigal que je vous envoye.
Voyez fi vous ne ferez pas de fon
fentiment.
Fontenelle, dans ton jeune âge ,
A bien de vieux Rimeurs tu peux faite leçon;
Et quand on lit ton moindre Ouvrage ,
Qui ne t'ajamais veu , te prend pour un
Barbon.
Si ta Mufe naiffante a produit des merveilles
,
Et fi tes Vers chantez dans le facré Vallon ,
Des plus fins Connoiffeurs ont charmé les oreilles
,
Pourquoy s'en étonneroit-on ?
Quand on eft Neveu de Corneilles ,
On eft Petit-Fils d'Apollon.
Le Dieu du Parnaffe eft celuy du
Chant , & il ne fera pas mal queje
vous arreſte icy par un Air nouveau
de la façon de M'Hurel . Son nom
eft affez connu pour ne vous en rien
dire davantage. Les Paroles font de
Mr Devin. Je ne doute point que
vous ne les trouviez fort dignes
d'eftre chantées,
AIR
ru

GALAN T.
13
AIR.
Enfin de nos Bergers les amoureux foûpirs ,
Nos Champs pleins de mille fleuretes ,
Et des Oyfeaux les tendres Chanfonnettes
Annoncent en tous lieux le retour des Zéphirs.
Mais la Nature en vain plus riante & plus
belle ;
Mofre tous fes plaifirs , & veut flater mes
fens.
La feule Iris douce ou cruelle ,
Fait mon Hyver , ou mon Prin-temps.
Je devrois vous avoir parlé dés
l'autre Mois de l'honneur que le Roy
a fait à M' le Comte de la Vaugadre,
en luy donnant le Gouvernement
de l'Ifle & Citadelle d'Oleron . Il eft
d'une des meilleures Maifons d'Italie
& de Piémont ; & la Lieutenance
de Roy de Mets , dont Sa Majefté
P'honora en 1663. fut une récompenfe
des fervices qu'il a rendus pendant
la Régence de la feuë Reyne
Mere , foit dans les emplois de la
Guerre , foit dans les négotiations
fecretes de l'Etat. Un Pofte fi avantageux
ayant fourny à fon zele de
A 7
nou14
MERCURE
nouvelles occafions de fe fignaler , il
l'a fait paroiftre depuis quinze ans
avec tant d'éclat , que le Gouvernement
dont je vous parle eftant demeuré
vacant par la mort de M' le
Chevalier de Clerville , il a efté préferé
pour le remplir , à beaucoup de
Concurrens qui pouvoient efperer
d'y eftre nommez . Ce choix luy eft
d'autant plus glorieux , que s'eftant
fait dans un temps où l'Ile d'Oleron
eft devenue une des plus importantes
Places du Royaume par les bruits
d'une Guerre de mer avec nos Voifins
, il marque plus fortement la
confiance que prend Sa Majefté en
M' le Comte de la Vaugadre.
On vous aura déja appris la mort
de M' de Pauliac Capitaine aux Gardes.
Il eftoit de la Maifon de Cugnac,
c'eft à dire d'une des plus
Illuftres Maifons de Guyenne. Tout
le monde fçait que depuis plus de
cinquante-cinq ans , ila rendu tous
les fervices que l'Etat pouvoit atendre
W
GALAN T. 15
dre d'une Perfonne de fa naiſſance &
de fon merite. Apres avoir paffé
par tous les degrez ordinaires de la
Guerre en qualité de Cadet aux
Gardes , & de Moufquetaire du feu
Roy, il avoit acquis à la tefte de
trois Corps confidérables , l'expérience
confommée d'un Officier achevé.
Les Regimens de Belnave &
de Picardie l'ont eu pour Chef jufques
en 1654 que tant de marques
d'un zele affidu , & d'une fidelité
inébranlable , le rendirent digne de
la Compagnie dont il fut pourveu
dans le Corps Illuftre du Regiment
des Gardes Françoifes. Plufieurs de
fes proches, & M'de Pauliac mefme
fon Frere aifné , qui facrifia fa vie
en fe fignalant au Siege d'Arras ,
avoient eu le mefme honneur avant
luy.L'eftime particuliere qu'il s'eftoit
acquife dans l'efprit du Roy depuis
plufieurs années , l'avoit fait choifir
par Sa Majesté pour luy confier pendant
fes Voyages de guerre , la garde
des
16
MERCURE
des Perfonnes de la Reyne & de Monfeigneur
le Dauphin. Il fut envoyé
dans les derniers troubles de Bretagne
pour commander l'Infanterie
dans cefte Province. M' d'Artagnan
Ayde-Major des Gardes , a eu la
Compagnie qui a vaqué par fa mort;
& l'Ayde- Majorité a efté donnée à
Mr Férand de Périgny. Ces deux
noms font fi connus , qu'il feroit
inutile de rien dire davantage de l'un
& de l'autre . Le Roy ne récompenſe
que le vray mérite ; & ce qu'il luy a
plû faire en leur faveur , eft une
marque inconteftable de leurs fervices
, & qu'ils ont efté agreablement
reçeus.
Mr le Marquis de Lanta de Grammont
, a épousé Mademoiſelle de
Riquet de S. Félix , qu'on nommoit
auparavant Madame la Vallette-
Cornuffon. Monfieur l'Archevefque
de Toulouſe a fait la Benediction
du Mariage , où fe trouva M'
l'Evefque de S. Papoul , Oncle du
Mar
GALAN T. 17
Marquis dont je vons parle. M' de
Riquet donna un magnifique difner
à ces Prélats & à toute l'Affemblée,
à Frépati aux environs de Toulouſe;
& le foir on foupa chez le Marić.
Il s'eft fait un autre Mariage fur
la fin d'Avril , de Mr de Préval de
la Matraffiere , avec Mademoiſelle
de la Selle. Elle eft Fille du feu
Comte de ce nom , qui eftoit Gouverneur
de Montargis . M' de Préval
a traité en mefme temps d'une Charge
de Gardes des Rôles de France.
Il a fa Soeur mariée à Mr Peliffier ,
Homme de mérite , & connu pour
tel dans le monde, & eft Frere de M
l'Abbé de Perceigne , fort confideré
pour fa profonde doctrine.
L'Amour qui a fait faire ces deux
Mariages , a donné lieu aux Vers
qui fuivent. L'Autheur m'en eft inconnu
. Je ne doute point qu'apres
les avoir leûs , vous ne condamniez
la modeftie qui l'a obligé à fe cacher.
SUR
18 MERCURE
SUR LE LANGAGE
DES YEU X.
ELEGI E.
Que me fert-il de voir la charmante Sylvie,
Et de paffer les jours les plus beaux de ma vie
A languir en fecret pour cet Objet vainqueur,
Si je veux luy cacher lepanchant de mon coeur.
Il faut luy découvrir le fecret de mon ame ,
Pour pouvoir efperer du remede à ma flame ;
Quelques maux qu'en aimant je m'expoſe à
foufrir,
Les yeux qui m'ont bleſſe fçauront bien me
guérir.
L'adorable Beauté dont je connois l'empire ,
Soufrira que mon coeur pour ſes charmes foûpire,
Et loin que mon amour ait dequoy l'irriter ,
Elle prendra plaifir à le voir éclater.
Quedis-je ! il ne faut pas que cet amonr éclate,
L'amoureufe langueur doit eftre délicate ,
Un Coeur paffionné , pour devenir heureux ,
Doit toûjours déguifer le fujet de fes feux :
Le langage des yeux eft un langage tendre
Quel'Amante l'Amant fçavent aſſez comprendre
;
C'est celuy dont fe fert l'Amante pour charmer ,
C'est celuy dontfefert l'Amant qui fait aimer,
C'eft celuy qu'on entend chez les Amans fidelles
Qui
GALAN T. 19
Qui veulent fignaler leurs ardeurs mutuelles»
Et c'est par luy qu'il faut qu'on experme d'abord
Tout ce que fait fentir un amoureux tranſport.
Ce langage muet , cet éloquent filence,
Perfuade fouvent beaucoup plus qu'on ne penfe,
Il fe mefle aux langueurs , il fe joint aux
Soupirs ,
Quand il veut d'un Coeur tendre expliquer
les defirs ;
Et fi dans les transports dont ma flame eft
fuivie,
Je me fervois de luy pour les peindre à Sylvie,
Peut- eftre qu'un Agent fi fin , fi délicat ,
Feroit deffusfon coeur quelque heureux attentat.
Agiffez donc , mes yeux, & luy faites connoiſtre
Tout ce que fa beauté dans mon ame a fait
naiftre.
Je veux ? je vous permets tout ce qui vous
plaira ;
Tout ce que vous ferez, mon coeur l'aprouvera,
Mon bonheur dépendra de vostre prompte adreffe
A la convaincre affez de toute ma tendreſſe ;
Vous ferez par vos foins mon bon ou mauvais
fort ,
Et j'attendray de vous ou la vie, ou la mort,
On a de tout temps aimé , & il
n'y a point de traverſes qui en détour20
MERCURE
tournent. Ce que je vous vay conter
en eſt une marque.
Un Cavalier voyoit depuis fort
longtemps une tres aimable Perfonne
avec tout l'attachement que peut
caufer un amour de fympatie. Ils
eftoient tous deux de Province , &
ne
le raport de fentimens qui s'eftoit
trouvé entr'eux fur toutes choſes ,
leur en avoit donné un fi fort dans
l'eftime particuliere qu'ils avoient
l'un pour l'autre , qu'il ne faut pas
s'étonner s'ils s'aimerent prefque
auffitoft qu'ils eurent commencé de
fe voir. Comme leur paffion eftoit
réciproque , il n'auroit pas tenu à
eux qu'elle n'euft éclaté dans lesformes;
mais des raifons de Familles toûjours
fâcheufes pour les Amans , les
obligeoient d'en faire un fecret. Le
Cavalier avoit un de ces Peres impérieux
& infléxibles qui ne veulent
jamais rien moins que ce que leurs
Enfans fouhaitent ; & qui s'eftant
mis en tefte de marier fon Fils à fa
fanGALAN
T. 21
fantaiſie, s'eftoit hautement expliqué
contre la belle Perfonne qu'il aimoit,
avec menaces de le def- hériter , s'il
s'oublioit jamais jufqu'à l'épouſer
malgré luy. Cette menace leur fit
garder des mefures , mais elle ne pût
rien fur leur amour. Ils fe virent
moins , & s'aimerent encor davantage
. Cependant la Belle qui eftoit
maiftreffe de fes volontez & de fon
Bien , fit un voyage à Bologne chez
une Tante qui l'aimoit fort , & dont
elle fuivoit les avis comme des ordres.
Elle n'y fut pas plutoft arrivée , que
fa beauté & l'agrement de fon efprit
luy attirerent les civilitez de tout
ce qu'il y avoit d'honneftes Gens dans
la Ville . On luy conta des douceurs,
on fe déclara , & parmy fes Proteftans
, un jeune Capitaine dont la
Compagnie eftoit là en Garnifon ,
parut des plus empreffez . Son Bien
eftoit connu de la Tante. Elle eftoit
éclairée fur le mérite. Cet Officier
n'en manquoit point , & comme elle
crût
22
MERCURE
crût que ce ne feroit pas un méchant
Party pour fa Niéce , elle favorifa
leurs entreveuës , & combatit infenfiblement
le trop de conftance
dont cette Niéce fe piquoit pour fon
Amant . Elle fçavoit tout le commerce
de cet amour , & les obftacles
qu'elle y voyoit luy en faifant tenir
le fuccés comme impoffible , elle
n'euft pas eftéfâchée que la Belle euft
changé de fentiment . Les raifons
dont elle fe fervoit pour l'y porter,
eftoient qu'elle ne devoit point s'affurer
fur une tendreffe furannée ,
qu'un rien fuffifoit quelquefois pour
la détruire , que la jeuneffe fe paffoit
à attendre , & que les déclarations
d'amour les mieux en forme ,
n'affujetiffant plus quand l'intereft
s'en mefloit , une médiocre fortune
préfente & affurée valoit bien les
efpérances d'une plus grande qui pouvoit
manquer. Cela difoit quelque
chofe , mais beaucoup moins que la
veuë du Capitaine . Il eftoit bien
fait ,
GALAR T. 23
fait , galant , fpirituel , & la Belle
fe défia tellement de fes forces , que
pour fe conferver à celuy à qui elle
s'eftoit promife , elle eut befoin de
luy faire connoiftre ce qui fe paffoit.
Sa Lettre qui le preffoit de la venir
trouver à Bologne , où elle jugeoit
fa préſence d'un tres-utile fecours
pour elle , fit l'effet qu'elle en avoit
attendu . Il eftoit à Dieppe quand il
la reçeut . Quelques affaires l'y avoient
mené. L'embarras n'en eftoit
pas fi grand , qu'il ne trouvaſt le
temps de fe divertir . Ce jour-là mefme
cinq ou fix de fes Amis l'avoient
mis d'une Partie de Chaffe fur l'eau.
La Mer eftoit belle. Il y paffoit
quantité de Gibier , & on voyoit
dans cette Partie toutes les apparences
d'un fort grand plaifir. Le Cavalier
qui eftoit naturellement propre
, parut dans cette petite Fefte
avec un Habit fort galant. On équipa
un petit Bateau. On fit bonne
provifion de Poudre , de Balles , &
de
24
MERCURE
de Bouteilles . On but , on tira , &
tous coups porterent avec fuccés . La
Lertre qui fut renduë à noftre Amant
au moment qu'il entroit dans le Bateau
, luy tenoit fortement au coeur .
Il ne s'agiffoit pas feulement d'y
faire réponſe. On vouloit qu'il vinſt
défendre fes droits contre un Rival;
& comme on s'aviſe de tout , & que
rien ne paroift difficile quand on aime
, il s'apperçeut que le vent ne
pouvoit eftre meilleur pour le mener
où on l'attendoit. Il parla au Pilote,
luy donna dix Louis d'or , & l'obligea
par cette libéralité à mettre le
Cap vers Bologne fans en avertir fes
Amis. Le vent eftoit favorable , &
nos Chaffeurs eftoient déja fort loin
de Dieppe , fans qu'ils fongeaffent à
rien moins qu'à la route qu'ils tenoient.
Ils tuoient toûjours du Gibier.
Ce plaifir les occupoit , & tout
alloit le mieux du monde pour le
Cavalicr à qui le Pilote alloit faire
découvrir le lieu où il vouloit aborder,
GALAN T.
25
der , lors qu'ils aperçeurent un petit
Vaiffeau qui venoit fur eux. C'eftoit
un Capre Hollandois , que les coups
qu'il avoit entendus tirer tout le jour
avoient attiré. Ils s'étonnerent defe
voir fi avant dans la Mer , mais il
n'eftoit pas temps de raifonner fur ce
qui eftoit fans remede. Le péril preffoit.
Il falloit prendre party , & il
n'y en avoit point d'autre que de fe
rendre , ou de refifter. Beaucoup
d'entr'eux qu'un peu de débauche
avoit échaufez , & qui remarquerent
que le Capre eftoit fans Canon ,
prétendirent qu'il y auroit de lalâcheté
à ne fe point batre. Ceux qui
ne fe piquoient point de bravoure ,
n'oferent le faire paroiftre. Ainfi
malgré l'inégalité du nombre , il fut
réfolu qu'on ne confentiroit à fe laiffer
prendre qu'apres que la Poudre
auroit manqué. Les Ennemis firent
d'abord leur décharge à portée fur
les Chaffeurs . Ils en tuerent & blefferent
quelques-uns . Le refte fe dé-
May.
B fen26
MERCURE
fendit , & tira vigoureufement . Mais
le grand defordre fut à l'abordage.
Les Hollandoie vinrent fur eux le
Sabre à la main , & vangerent trois
des leurs qui furent tuez , fur toute
cette petite Troupe à laquelle ils ne
firent aucun quartier. Le Cavalier
reftoit feul avec deux des Matelots.
La propreté de fon Habit leur fit
croire qu'il y avoit une groffe rançon
à en efpérer. Ils le garderent , &
un des Equipes du Capre qui parloit
un peu François , luy ayant demandé
qui il eftoit , & où il alloit
dans une auffi petite Barque que celle
où il s'eftoit défendu , il répondit
qu'une affaire de tres-grande conféquence
pour luy , l'avoit obligé à fe
fervir de l'occafion du vent pour
aller de Dieppe à Bologne , & que
fi on vouloit l'y mettre à terre feulement
pour vingt- quatre heures , il
donneroit une Lettre de change fur
un tel Marchand de Roüen ou de
Paris qu'on voudroit , avec promeffe
de
GALAN T. 27
.
y
de fe rendre le lendemain à bord pour
refter en oftage juſqu'au payement
de la fomme dont on conviendroit
avec luy. Soit que l'air dont l'amour
luy fit demander cette grace euft
touché les Matelots , Nation cruelle ,
& prefque toûjours impitoyable ; foit
qu'ils ne fçeuffent pas affez leur metier
pour connoiſtre que toutes obligations
faites en pareil cas font nulles
, ils fe contenterent de tirer de
luy une Lettre de change de quinze
mille livres , qu'ils firent mettre
fous le nom d'un Marchand Anglois,
payables à huit jours de veuë fur un
autre Marchand de Roüen. Ils le
firent en fuite porter à terre fur fa
parole , proche le Port de Bologne,
dans la peníée que quand il ne reviendroit
point , ils ne toucheroient
pas moins cette fomme. Le Cavalier
chargea celuy qui luy avoit déja
parlé François , de le venir reprendre
le lendemain au point du jour ,
& l'affura qu'il ne manqueroit pas
В 2
de
28 M.ER CURE
de fe rendre au mefme endroit.
C'eftoit un ordre qu'il croyoit affez
inutile à luy donner. Quoy qu'il n'y
euft point d'Homme qui fuft plus
exact à tenir parole , il ne fe perfuadoit
pas qu'il puft y aller de fon
honneur de n'en point manquer en
ce rencontre , & il entra dans la
Ville en fe promettant fort à foymefme
de fe laiffer attendre longtemps
par les Hollandois. Il s'informa
de la Rue où logeoit la Tante de
l'aimable Perfonne qu'il venoit chercher,
& il pria un jeune Officier de
grand air , & fort bien mis , de luy
enfeigner fa Maiſon lors qu'il n'en
eftoit plus qu'à dix pas. Cet Officier
eftoit fon Rival. La Tante qui entroit
affez dans fes interefts , l'avoit
convié à fouper , & il devoit donner
les Violons ce mefmefoirà fa Niéce.
L'accés que cette Tante luy avoit
permis chez elle à toute heure , joint
à la fierté qui eft prefque toûjours
inféparable de ceux de fa Profeffion,
luy
GALANT. 29
luy faifoit croire qu'on ne devoit
entrer dans cette Maiſon que par fon
ordre , ou du moins , qu'on eftoit
obligé de luy rendre compte de ce
qu'on avoit à y faire. Le Cavalier
n'eftoit point Homme à ce détail ,
& la curiofité du Capitaine fut mal
fatisfaite. L'un ny l'autre n'avoit
l'humeur endurante. Quelques paroles
d'aigreur leur échaperent. Ils mirent
l'Epée à la main . L'action fit
bruit . On s'amaffa dans la Ruë. La
Tante & la Niéce parurent à la feneftre
, & firent fortir du monde
qui les fépara. Quelques autres Officiers
de la Garnifon qui eftoient de
la Fefte dufoir , arriverent. Ils parlerent
d'accommodement . Le Capitaine
qui avoit pris de l'eftime pour
le Cavalier fur fa bravoure , y donna
les mains , & ils entrerent tous
chez la Tante. Jamais furpriſe ne
fut pareille à la fienne , lors qu'elle
reconnut le Cavalier. Il ne s'étonna
pas moins de voir fa Maistreffe.
B 3
Cet30
MERCURE
Cette rencontre luy fit auffitoft juger
qu'il avoit tirél'Epée contre fon
Rival . On les obligea de s'embraffer
fans rien éclaircir . Le Cavalier
paffa pour un Parent de la Tante.
On le mit du Régal , & on luy fit
comprendre en peu de mots qu'ily
alloit de l'intereft de fon amour de
ne fe point faire connoiftre pour ce
qu'il eftoit . C'eftoit luy en dire affez
pour obtenir tout de fa complaifance.
Il s'obferva pendant le Soupé , &
fans donner aucune marque de l'intelligence
qu'il avoit avec la Belle ,
il affecta dans fes manieres une liberté
d'agir qui trompa entierement
fon Rival. Ils bûrent à la fanté l'un
de l'autre. Tout le foir fe paffa en
joye , & apres qu'on eut danfé quelque
temps . le Capitaine propofa
une Partie de Mafque pour achever
agréablement ce qui reftoit de
la nuit . On dit qu'il y avoit un fort
grand Soupé chez Mile Lieutenant
de Roy. Chacun fe déguifa comme
il
GALA N T.
3 I
il pût; & le Capitaine qui avoit fort
prié le Cavalier de vouloir eftre de
fes Amis , crût qu'il ne pouvoit
mieux s'empefcher d'eftre reconnu ,
qu'en changeant d'Habit avec luy.
Je vous ay déja dit, Madame, que
le Cavalier qui s'habilloit toujours
de bon air, s'eftoit mis fort proprement
ce jour-là. L'échange fe fit
entre les Rivaux , & ce dernier fe
fervit d'une Robe de chambre pour
cacher entierement l'Habit que le
Capitaine luy donna . La liberté qui
eft attachée au Mafque , luy procura
celle d'entretenir quelque temps
fa belle Maiftreffe. Il luy conta une
partie de fes avantures ; & l'arrivée
du jour ayant fait ceffer la danfe ,
les Hommes remirent les Dames
chez elles , & toute la Compagnie
fe fépara. Le Capitaine qui avoit un
nouvel échange d'Habit à faire avec
fon Rival , le pria de venir déjeuner
chez luy ; & comme il eftoit
tres- matin , il l'engagea à faire au-
B 4 para32
MERCURE
paravant une promenade au bord.de
la Mer , afin d'y gagner de l'appétit
. Ils y allerent avec leurs Habits
de Mafque , & ayant avancé infenfiblement
vers l'embouchure du Port,
le Capitaine y découvrit un petit Bateau
qui luy fit naiftre l'envie de faire
un tour fur la Mer. Il convia le
Cavalier à prendre ce divertiſſement,
& entra dans le Bateau fans attendre
fa réponſe , ne doutant point
qu'il ne le fuivift ; mais la figure
de quelques Matelots Hollandois
qui parurent , l'empeſcha de fe hafter.
Ces Matelots reconnurent l'Habit
du Cavalier que portoit le Capitaine
, & fans examiner aux traits
du vifage s'ils emmenoient celuy
qu'ils venoient chercher , ils déborderent
la Barque malgré ce qu'il leur
difoit , pour leur faire prendre le
Cavalier , & ils le menerent toûjours
à bon compte à bord du Capre
qui les attendoit. Il voulut fe
fervir de fon Epée, mais deux d'entr'eux
GALAN T. 33
tr'eux qui fe jetterent fur luy , l'obligerent
à ceder au nombre , & il
falut qu'il fe laiffaft conduire à Fleffingue,
tandis que le Cavalier vint
mettre ordre à fes affaires aupres de
la Belle, qui n'aprit qu'en tremblant
les périls qu'il avoit courus. Il fit
changer de fentimens à la Tante ,
& comme elle ne s'eftoit déclarée
contre luy que parce qu'elle doutoit
de fa fermeté apres les menaces de
fon Pere , il luy donna de fi fortes
affurances pour fa Niéce ; qu'elle fe
réfolut comme elle à attendre , ou
que ce Pere trop abfolu fe laiffaft
fléchir, ou que fa mort mift fon Fils
en pouvoir de difpofer de luy -mefme.
Quelques-uns prétendent qu'il
y ait un Mariage fecret . C'eft une
circonftance dont je ne fuis
pas affuré.
Je fçay feulement qu'ils s'aiment
toûjours en Amans , & qu'ils
ne continuent àfe voir qu'avec grande
circonfpection .
Comme on ne fçait pas fi facilement
B 5
34
MERCURE
ment les Nouvelles de mer que celles
de terre je ne vous puis rien
dire des Vaiffeaux que commande
Monfieur le Comte d'Eftrées , finon
qu'ils eftoient à la Martinique le 12 .
de Mars. Je croy vous avoir marqué
dans la Relation de Tabago ,
que le jour avant que noftre Flote
arrivaft devant cette Ifle , il s'en eftoit
fauvé une grande Flufte . On a
fçeu qu'elle avoit efté priſe devant
Corafol , & menée dans le Cul de
Sac de S. Domingue . Vous voyez ,
Madame , que rien n'échape aux
François. Il y a quelque temps que
M' de Brévedent Capitaine d'une de
nos Frégates legeres , montant une
Flufte armée en guerre ,
deux Corfaires Hollandois, dont il
y en avoit un de vingt - quatre Pieces
de Canon, & l'autre de dixhuit.
Il fe batit contr'eux pendant onze
heures à deux repriſes, & ils furent
enfin obligez de le quiter , apres
avoir perdu plus de vingt Hommes .
rencontra
Ils
GALAN T.
35
Ils relâcherent à S. Chriftophle pour
fe radouber. M' de Brévedent ne
perdit que cinq ou fix Hommes.
Il faut vous dire encor fur ce Article
de Mer , que M❜le Chevalier de
Maubeuge, qui commande une Efcadre
de cinq de nos Navires dans
la Manche , à pris deux Vaiffeaux
d'Amfterdam chargez de Bled.
Monfieur , avec l'agrément du
Roy , a donné à M'le Chavalier de
Lorraine, l'Abbaye de S. Jean des
Vignes dans la Duché de Valois.
Elle eftoit vacante par la mort d'un
Seigneur Piémontois
qui la poffedoit
depuis plus de foixante années.
Cette Abbaye eft tres- conſidérable
.
Son Alteffe Royale qui ne laiffe aucun
fervice fans récompenfe
, l'a
chargée d'une Penfion pour le Fils.
d'un de fes Valets de Chambre qui
fut bleffé aupres de luy à la Bataille
de Caffel . M'le Chevalier de Lorraine,
apres en avoir obtenu la permiffion
de Monfieur , y a mis d
B 6 luy
36
MERCURE
luy- meime une autre Penfion ; en
faveur du Fils de M' le Marquis de
Pluvaut , Grand - Maiftre de la Garderobe
de Son Alteffe Royale. Cette
action eft digne d'un Prince comme
luy , & d'ailleurs vous connoiffez
le mérite de celuy qu'elle regarde.
La Bataille de Caffel en rend un
témoignage affez glorieux .
Ce qu'on donne, tire quelquefois
moins fon prix de la chofe , que de
la maniere dont on la donne. J'en
trouverois des Témoins dans le Dauphiné
, ou l'on m'affure qu'un préfent
d'Avoine mondée a efté fort
agréablement reçeu , parce qu'il eftoit
affaifonné de la Lettre que vous
allez voir. Apparemment la Belle à
qui on a fait le préfent , avoit témoigné
le fouhaitter.
DAGALAN
T.
37
DA MO N ,
A L'AIMABLE
A MARANT E.
Gardez- vous bien, aimable Amarante
, de recevoir ce queje vous envoye
comme un chétif Préfent de Village. Il
vient de bon lieu . Les Mufes dont je ne
fuis que l'Agenty ont mis la main , &
j'ay efté chargé fort expreßément de vous
le faire tenir de leur part . Vous eftes
connuefur le Parnaffe ; & dans la derniere
occafion qui m'y fit aller (car vous
Sçavez que j'y fais quelquefois de petits
Voyages ) j'appris que vostre Nomfaifoit
bruit parmy les Divinitez qui l'habitent.
Le fouvenir qu'ony a de vous prefentement
, vous eft d'autant plus avantageux
, que tout y paroift extraordinairement
empreffe. J'en appris la caufe ces
derniers jours en allant confulter une de
ces Doctes Filles fur quelque chofe que
vous regardoit. Voicy ce qu'elle me dit
fur l'embarras où je la trouvay.
B 7
Da38
MERCURE
Damon , puis que c'eft ton defir
De fçavoir ce qui met le Parnaffe en
affaire ,
Je veux bien pour te fatisfaire ,
Dans ce grand jour t'en donner le
plaifir.
Sçache qu'Apollon nous ordonne
De cueillir nos plus verds Lauriers ,
Pour en former une Couronne ,
Digne du plus grand des Guerriers .
Le Héros de François, ce Loüis fi
terrible ,
Caufe tous nos empreffemens,
Et c'est ce Monarque invincible ,
A qui nous deftinons d'illuftres Monumens.
Cependant puis que tu veux croire
Que ton Amarante fait gloire
De tout ce qui peut t'obliger ;
Si la reconnoiffance eft ce qui t'embaraffe
,
Je confens , pour te dégager ;
A te fournir pour elle un Préfent du
Parnaffe.
Jugez, belle Amarante , fi cette
avance me plut , apres ce que je
avois témoigné d'abord de la paffion que
j'avois de vous donner d'éclatantes marques
GALAN T.
39
ques de ce queje voudroisfairepour votre
gloire. La joye que j'en fis paroiftre ne
peut s'exprimer. Je m'offris à vous faire
tenir fur l'heure ce qu'on me promettoit
de fi bonne grace , & je m'attendois à
quelque chofe qui fuft digne & de vous
& de la Mufe qui me parloit , lors
qu'elle me mit entre les mains le Pacquet
que vous recevrez. Onne peut eftre
plus furpris que je le fus de la nature de
ce Prefent ; & comme elle s'apperçent
que je le trouvois peu confiderable , elle
me dit en foûriant ;
En vain tu parois étonné.
Nous avons deja tout donné
A la Belle qui te captive ,
Nos foins en fa faveur par d'affidus
efforts ,
Ont épuifé tous les trefors ,
Qui font qu'au plus haut point le vray
merite arrive.
Cet efprit délicat que vous admirez
tous ,
Cet air auffi noble que doux ;
Et ces penétrantes lumieres ,
Dont l'éclat dans le Sexe attire un oeil
jaloux
Lors
40
MERCURE
Lors qu'elle y paroift des premieres ,
Tout cela, Damon , vient de nous.
Comme ces paroles m'inspirerent un air
férieux qui fit connoiftre à la Mufe que
je ne me payois pas de cette raifon , &
que je la prenois pour une marque de
P'indigence où le Parnaße me fembloit
réduit ; elle penetra ma pensée , & yré-
Dondit par ces mots .
On ne donne que ce qu'on peut ,
Et c'eſt la raison qui le veut.
Ainfi , Damon , aprens que noftre
Mont ne porte
Qu'un peu de grain de cette forte.
Encor ne vient- il pas comme tu le reçois
.
Celuy que je te donne a paffé par nos
doigts ,
Et pour luy donner plus de force ,
Nous en avons ofté l'écorce.
Pegaze , ce pauvre Animal
Qui n'a point d'autre mets , pourra
s'en trouver mal ,
Car c'eft autant , je te le jure ,
De rabatu fur fa pafture.
Pour nous, nous n'en ufons jamais;
Et fi nous avons le teint frais ,
Et
GALA N T. 41
Et toûjours plus blanc que la nêge,
C'eft de noftre deftin l'eternel privilege
.
Tu fçais qu'on ne meurt point chez
nous ,
Que fans boire & manger, la brillante
jeuneſſe
Qui nous accompagne fans ceffe
Nous fait vivre au milieu des plaifirs les
plus doux.
Malgré tout ce bonheur , prendre noftre
Montagne
Pour quelque Païs de Cocagne ,
C'eft en juger trop favorablement ,
Car nous n'avons fur le Parnaffe ,
Qu'une Fontaine feulement ,
Un peu d'herbe & du grain pour le
foulagement
Du Cheval emplumé qui parmy nous
a place.
Mais ne laiffe pas d'envoyer
Ce Preſent à ton Amarante ;
Comme a plus d'un ufage on le peut
employer ,
Je fçay qu'elle en fera contente.
Le Grain dont nous luy faifons part,
Monte , eftant preparé , fur les meilleures
Tables ,
Et peut fervir d'innocent fard
Aux Perfonnes les plus aimables.
A ra42
MERCURE
A rafraiſchir le teint il n'a point fon
pareil ,
Il rajeunit , engraiffe , excite le fommeil.
Adieu , depuis longtemps avec toy je
raiſonne.
Pour immortalifer des Exploits inoüis,
Je cours avec mes Soeurs achever la
Couronne
Que deftine Appollon à l'Auguſte
Loüis.
Elle difparut en mefme temps , &
me quita lors que j'avois mille chofes d
luy demander. Fen'ofay prendre la liberté
de la rappeller , & je l'aurois fait fans
doute inutilement , puis que les Mufes
ne viennent que quand il leur plaift.
F'execute l'ordre que j'ay reçeu , & ne
doute point que mon Avoine mondée ne
foit beaucoup meilleure que fi elle venoit
de tout autrelieu. F'oubliois à vous dire
qu'elle infpire des Vers à ceux qui en
ufent , & quefi vous lafaites cuire dans
un peu d'eau d'Hipocrene dont je fçay
que vous estespourveuë, vous encherirez
encor , fi cela fe peut , fur la maniere
admiGALAN
T.
43
admirable dont vous fçavez tourner les
Madrigaux & les Bouts-rimez. Ne
vous fachez pas de ce quej'ay l'honneur
d'eftre vostre Confrere en Apollon. Cela
ne gafte rien. Les Mufes font de voftre
Sexe , & il me femble que j'en fuis encor
avec plus de paffion , vostre
tres, &c.
Je vous envoye quatre Vers qui
ont eſté trouvez admirables . M'des
Halus les a mis en Air ; mais comme
cet Air a commencé deja à courir,
& que vous me pourriez reprocher
qu'il ne feroit pas nouveau , je
me contente de vous en faire voir
les Paroles.
A I R.
Que vostre fort est doux Fleurs qui venez
d'éclore,
Et qu'un coeur amoureux en connoit bien le
prix!
Vous naiffez fur le fein de Flore ,
Vous mourez fur le fein d'Iris.
Pour
44
MERCURE
Pour vous empefcher de vous
plaindre de ce que je ne vous envoye
point ces Vers notez, en voicy
d'autres qui l'ont efté depuis trois
jours par Mile Froid . C'eft un Homme
fort confommé en Mufique, &
qui fait de tres - habiles Ecoliers.
Une belle & jeune Perfonne, encor
plus eftimable par les qualitez de fon
ame , que par les charmes de fon
vifage , a fourny la matiere de ces
Vers. Elle avoit quité Paris pour la
Province , où elle a une fort belle
Terre ; & un Cavalier qui l'aimoit
fans avoir pû trouver l'occafion de
s'en expliquer , s'eftoit confolé de
fon depart qui luy devoit rendre
l'entiere liberte de fon coeur. Les
chofes ont changé. La Dame eft reveuë,
& ne l'ayant pû recevoir fans
reprendre les premiers fentimens qu'il
avoit pour elle , il a commencé à
les luy faire connoiftre par ce Rondeau
mis en Air. Vous trouverez
icy les Notes .
AIR
ous fe croit en feû- re- té ?
chanté.
Pourquoy v
4:
Eloigné.
En-
£
Eloigné .

GALAN T. 45
AIR NOUVEA U.
Pourquoy venir troubler le repos de ma
vie ,
Quand mon coeur contre vous fe croit enfeûreté
?
Eloigné de vostre beauté ,
Je ne gardois aucune envie
De revoir ces beaux yeux dont je fuis enchanté.
Pourquoy venir troubler le repos de ma vie ,
Quand mon coeur contre vous fe croit en ſeiireté
?
Il fe fait tous les jours des Obligations
de toute efpece , mais je croy
qu'il n'en fut jamais une fi particuliere
que celle dont j'ay à vous parler.
Dans une belle Compagnie où
il y avoit force Gens d'efprit de l'un
& de l'autre Sexe , on loüa fort la
genérofité d'un galant Homme, qui
voulant faire du bien à une aimable
Perfonne qu'il ne pouvoit époufer
luy avoit donné un Billet par lequel
il confeffoit luy devoir une fomme
confidérable , quoy qu'il n'en euft
ja46
MERCURE

jamais rien reçeu . Un jeune Amant
qui venoit de recueillir une affez
grande Succeffion , & qu'on croyoit
fort épris d'une Belle qui eftoit préfente,
dit qu'il iroit encor plus loin
pour ce qui luy toucheroit le coeur,
& qu'il fefoûmettroit à payer les intereſts
outre ce qu'il confefferoit avoir
reçeu, quoy qu'on ne luy euft
rien donné. Il s'agiffoit de la preuve.
On la demanda en faveur de la Belle
dont il fembloit eftre le Proteftant. Il
luy prefenta la plume pour écrire ce
qu'elle voudroit. Elle entendit, & raillerie
jugeant comme elle devoit d'une
propofition de cette nature faite
en préſence de tant de Témoins ,
elle luy dit en riant , qu'il valoit
mieux qu'il fift le Billet luy- mefme,
mais qu'il prift garde à ce qu'il écriroit,
parce qu'elle eftoit Fille à s'en
prévaloir. Il écrivit auffi- toft , &
luy mettant le Billet entre les mains
d'une maniere toute férieuſe, il adjoûta
qu'il dépendroit d'elle de ne
luy
GALAN T. 47
luy demander jamais ce qu'il ne fçavoit
que trop qu'elle ne luy avoit
point donné; mais que fi- toft qu'elle
fe trouveroit d'humeur à l'exiger,
il proteftoit que fon foin le plus preffant
feroit celuy de la fatisfaire. Ces
paroles firent juger à tout le monde
qu'il auroit écrit quelque agreable
folie; & comme il ne manquoit pas
d'efprit , on s'empreffa pour voir le
Billet. La Belle qui en avoit ry en
le lifant , ne fit point de façon pour
le donner. On le leût , & voicy ce
qu'il contenoit.

Je fous-figne , confeffe devoir à la
jeune Claris cinquante Baifers que j'ay
reçeus d'elle pour foulager mon amour
dans une trespreffante neceffité ; me foùmettant
de luy en payer deux tous les
jours pour l'intereft jusqu'à l'entier remboursement
que je promets luy en faire
toutefois & quantes. Fait en préfence de
la Fidelité & de la Tendreffe , qui ont
Signé avec moy comme Témoins, LE
PASSIONNE.
Tou48
MERCURE
Toute la Compagnie demeura
d'accord qu'on pouvoit eftre genéreux
de cette forte , fans s'expofer à
fe repentir. La Belle fe tira d'affaires
avec un enjoüement admirable ,
& il n'y eut rien de fi divertiffant
que toute cette converfation .
Avoüez , Madame , qu'il feroit
à fouhaiter qu'on en ufaſt toûjours
de la forte , & qu'on ne fe fiſt jamais
une affaire férieufe des amuſemens
de l'Amour . On s'épargneroit
beaucoup de fujets de plainte. En
voicy une d'un Amant diſgracié, qui
vous fera voir que ce ne font pas
toûjours les Hommes qui font inconftans
.
L'AMANT QUITÉ
Le Printemps vit naiſtre mes feux ;
Les Fleurs dans ces aimables lieux
Commençoient à peine d'éclore ,
Quand mon coeur libre encore ,
A l'aspect de la jeune Iris ,
De fes beautez tout à coup fut épris.
Plein
GALAN T. 49
Plein du trouble inquiet dont fa trop chere idée
Tenoit mon ame poffedée ,
Quelquefois à l'écart dans ce charmant fejour
Foppofois ma raison à ma flame naiſſante ;
Mais ma raifon alors ou morte, ou languiſſante,
A lieu de le détruire, augmentoit mon amour.
Apres avoir fouffert mille peines cruelles ,
Enfin elle approuva mes feux ,
Et nous nous jurames tous deux
De nourir dans nos coeurs des flames éternelles.
Mais, inconftante Iris , qui s'y fuft attendu?
Bien loin que ton amour ait au mien répondu,
Ces Fleurs dont la beauté n'eftoit que passagere,
Ont encor plus duré que ta flame legere.
Voila ce que c'eft que de vouloir
aimer dans les formes. On eft prefque
toûjours fatisfait , quand on n'y
apporte point tant de façon , & les
outrages mefme font incapables de
chagriner. On en vit dernierement
un exemple dans une belle Affemblée.
Plufieurs Perfonnes de qualité
avoient efté priées d'un fort grand
Repas. Une Dame auffi charmante
par fon humeur que par fa beauté ,
mais d'une vertu tres- délicate , fe
May.
C ren50
MERCURE
rendit des dernieres au lieu de la
Fefte. Un Galant de profeffion , à
qui un long ufage du monde faifoit
croire que ce qui eftoit défendu aux
autres , luy devoit eftre permis , la
trouva fort à ſon gré . Quoy qu'il ne
l'euft jamais veuë , il rappella à la
hafte quelques fleuretes qu'il venoit
de répandre indiféremment de tous
côtez , & les offrit à la Belle comme
quelque chofe de nouveau. Elle les
reçeut à fa maniere , c'eft à dire fort
en riant, & fans croire qu'elle duft
prendre fon férieux. L'enjoüement
qu'elle fit paroiftre en luy répondant,
l'enhardit à fon ordinaire. Il luy dit
qu'elle eftoit maiftreffe de fon coeur;
qu'il l'avoit déja plus aimée depuis
un quart d'heure qu'il luy parloit ,
qu'il n'avoit jamais aimé perfonne ;
& ces déclarations furent confirmées
par un baifer qu'il luy vola avant
qu'elle euft pû prévoir qu'il en avoit
le deffein. La Dame qui n'eftoit
point faite à ces fortes de familiaritez
,
GALAN T.
51
tez , en prit une autre où elle n'eftoit
pas plus accoûtumée ; & fi le vol du
baifer fut prompt , l'application d'un
fouflet qui en fut le prix , ne fe fit
pas avec moins de promptitude . Le
Cavalier n'en fut point déconcerté.
Comme il eftoit auffi entreprenant
en Galanterie qu'à la Guerre , il
s'expofoit volontiers aux coups , &
ne s'étonnoit point d'en recevoir.
Ainfi il prit la main qui l'avoit frapé
, la baifa malgré toute la refiftance
de la Belle , & ayant demandé
dequoy écrire , il fit cet Inpromptu
qu'il luy donna .
L'excés de vos bontez m'enfle trop le courage.
A force de bontez vous m'allez rendre vain ?
Je me contentois du visage , (
Et me fuffe paffe de baifer voftre main.
Il continua de plaifanter ; & comme
il fut plus modefte , il trouva
mieux fon compte aupres de la Dame,
qui n'avoit pas moins d'agrément
dans l'efprit , que d'enjoüement dans
l'humeur.
C 2
Le
52
MERCURE
Le Roy un peu avant fon depart,
donna une Penfion à Mr le Comte
de Brionne , Fils de Monfieur le
Comte d'Armagnac. Sa Majefté ne
répandant jamais fes graces que fur
le mérite , il eft beau de s'eftre rendu
digne de fes bienfaits dans un âge
peu avancé. fi
Pendant que Monfieur le Cardinal
d'Eftrées travaille en Allemagne
avec beaucoup de zele & d'attachement
pour fon Prince , Madame la
Ducheffe de Savoye , dont il a l'honneur
d'eftre Parent , a voulu luy
donner des marques de fon eftime
particuliere , en le nommant à l'Abbaye
de la Staffarda en Piémont .
Faire un préfent de cette nature fans
qu'on le demande , c'eft faire un
préfent Royal d'une maniere toute
Royale ; & comme il eft la marque
d'une grande Ame , on peut dire
qu'il rend juſtice au mérite le plus
achevé. Celuy de Monfieur le Cardinal
d'Eſtrées eft fi connu , qu'il
n'y
GALAN T.
53
n'y a perfonne qui n'en foit inftruit.
Les grandes Négotiations où il a efté
employé , rendent par tout de glorieux
témoignages de fa prudence
& de fa conduité ; & les importans
Emplois qui font confiez à tous ceux
de cette illuftre Maiſon , font connoiſtre
combien Sa Majefté eft perfuadée
de leur exactitude à s'en acquiter.
Jamais Sujet n'eut un devoüement
plus refpectueux & plus
entier pour les volontez de fon
Maiftre. Il fe les propoſe tellement
pour l'unique regle de toutes fes
actions , que quoy qu'il foit en état
de fouhaiter des biens de la Fortune
pour foûtenir l'éclat du rang oùfon
mérite l'a élevé , ila fuplié Madame
Royale de trouver bon qu'il n'acceptaft
point l'Abbaye dont je vous
parle , avant qu'on euft fçeufi cette
Nomination plairoit au Roy. C'eſt
ce qui a obligé cette grande Princeffe
d'envoyer un Courrier exprés
à Sa Majesté pour luy demander fon
C 3 agré
54
MERCURE
agrément. Vous jugez bien , Madame
, qu'elle n'a pas eu de peine à
l'obtenir .

Enfin , Madame , la quatriéme
& derniere Partie de l'Héroïne
Moufquetaire que je vous envoye ,
vous apprendra que le defefpoir d'avoir
perdu le Marquis d'Offeyra ,
marié par ſurpriſe avec la Niéce de
la Ducheffe d'Arſchot , luy a fait
chercher la mort au Siege d'Ypres.
Ses intrigues avec la Veuve d'efpagne
qui voulut acheter fon amour
par un préfent d'un Cordon de Diamans
de quinze mille écus , y font
écrites d'une maniere fort agreable,
& vous ririez de la voir traitée.de
Sorciere , fi les Cachots de l'Inquifition
n'eftoient pas de l'Avanture.
Vous trouverez cette conclufion de
fon Hiftoire, accompagnée d'un autre
Livre qui mérite d'eftre leu de
tout le monde . C'est un Instruction
morale d'un Pere à fon Fils. M' du
Four qui en eft l'Autheur , l'a fait
6
imGALAN
T. 55
imprimer à Lyon. On la peut regarder
comme un abregé des Préceptes
de l'Ecriture Sainte , & de ce qu'il
y a de plus excellent dans les Maximes
des Philofophes . On ne peut
trouver une maniere plus aifée pour
former les jeunes Gens à la vertu ,
au milieu des affaires & des embarras
du monde . Le témoignage que
M' Charpentier , de l'Académie
Françoife , rend de ce Livre , en
fait connoiftre l'utilité. Il eft dans
une Lettre qui fuit la Préface , &
en fait beaucoup mieux l'éloge que
tout ce que je vous en pourrois dire
d'avantageux.
La fatisfaction que vous me témoignez
avoir reçeuë de la Princeffe
de Cleves , ne me furprend point.
C'eſt un Ouvrage remply d'une infinité
de fentimens délicats qu'on ne
peut trop admirer. On le lit par
& je croy que vous ne ferez
pas fâchée de fçavoir ce qu'on en
penſe en Guyenne. La Lettre qui
C 4
tout ,
fuir
56 MERCURE
fuit vous l'apprendra. Elle m'a efté
envoyée de cette Province fans
qu'on m'ait expliqué ny par qui
elle a eſté écrite , ny à qui elle eſt
adreffée.
LETTRE
"
SUR LA
PRINCESSE DE CLEVES .
Fe fors prefentement , Monſieur , d'-
une quatrième lecture de la Princeffe de
Cleves, & c'est lefeul Ouvrage de cette
nature que j'aye pulire quatre fois. Vous
m'obligeriez fort , fi vous vouliez bien
que ce que je viens de vous en dire paffat
pour fon Eloge , fans qu'ilfut befoin
de m'engager dans le détail des beautez
que j'y ay trouvées. Il vous feroit aisé
de juger qu'un Geométre comme moy
Pefprit tout remply de mefures & de proportions,
ne quite point fon Euclidepour
lire quatrefois une Nouvelle Galante , à
moins qu'elle n'ait des charmes affez
forts
GALAN T.
57
forts pour fe fairefentir à des Mathéma
ticiens mefmes , qui font peut- eftre les
Gens du monde fur lefquels ces fortes de
beautez tropfines & trop délicates , font
le moins d'effet. Mais vous ne vous contentez
point que j'admire en gros & en
general la Princeße de Cleves , vous
voulez une admiration plus particuliere,
& qui examine l'une apres l'autre les
parties de l'Ouvrage . Fy confens , puis
que vous exigez cela de moy. fi impitoyablement
; mais fouvenez vous toujours
que c'est un Geométre qui parle de
Galanterie.
Scachez d'abord que j'ay attendu la
Princeffe de Cleves dans cette belle neutralité
que je gardepour tous les Ouvrages
dontje n'aypointjugé par moy- mefme.
Elle avoit fait grand bruit par les lectures
, la Renommée publioit fon merite
dans nos Provinces longtemps avant
qu'on y vist paroiftre , & enprévenant
les uns en fa faveur , elle en avoit donné
des impreffions defavantageufes aux autres
, car il y a toujours des Gens qui fe.
C 5
pre58
MERCURE
Préparent avec une maligne joye à critiquer
ces Ouvrages que l'on a tant vantez
par avance , & qui veulent y trouver
des defauts à quelque prix que cefoit,
pour n'eftre pas confondus dans la foule
de ceux qui les admirent. Pour moyj'ay
attendu à juger de la Princeffe de Cleves
que je l'euffe lenë , & fa lecture m'a entierement
déterminé à fuivre le party de
Jes Approbateurs.
que
un
Le deffein m'en a paru tres beau. Une
Femme qui apourfon Mary toute l'eftime
que peut meriter un tres - bonnefte Homme;
mais qui n'a de l'eftime, & qui fe
fent entraifnée d'un autre cofté par
panchant qu'elle s'attache fans ceffe à
combattre & à furmonter en prenant les
plus étranges refolutions que la plus auftere
vertu puiße infpirer , voila aẞurément
un fort beau Plan. Il n'y a rien
qui foit ménagé avec plus d'art que la
naiẞance & les progrés defa paffion pour
le Duc de Nemours. On fe plaift à voir
cet amour croiſtre infenfiblement par degrez,
& à le conduire des yeuxjufqu'au
plus
GALAN T. 59
plus haut point où il puiſſe monter dans
unefi belle Ame. Le Lecteur eftfi interefsé
pour Monfieur de Nemours & pour
Madame de Cleves , qu'il voudroit les
voir toujours l'un & l'autre. Il femble
qu'on luy fait violence pour luy faire
tournerfes regards ailleurs ; & pour moy
la mort de Madame de Tournon m'a
extrémement fâché . Voila le malheur de
ces actions principales qui fontfi belles.
On n'y voudroit point d'Epiſodes. Ie
veux dire là -deffus que j'ay toûjours efté
fort obligé à Virgile des digreffions qu'il
a pratiquées dans fes Georgiques ; mais
que pour celles qu'Ovide a meflées dans
Art d'aimer , je n'ay pû les luy pardonner
.
Les plaintes que fait Monfieur de
Cleves à Mademoiselle de Chartres , lors
qu'il est fur le point de l'époufer , font
fi belles , qu'il me fouvient encor qu'à
ma feconde lecture je brûlois d'impatience
d'en eftre là , & que je ne pouvois
m'empefcher de vouloir un peu de mal à
ce Plan de la Cour de Henry II. & à
C 6
tous
60
MERCURE
tous ces Mariages propofez & rompus,
qui reculoient fi loin ces plaintes qui me
charmoient. Bien des Gens ont efté pris à
ce Plan. Ils croyoient que tous les Perfonnages
dont on y fait le Portrait , &
tous les divers interefts qu'ony explique,
duffent entrer dans le corps de l'Ouvrage,
& fe lier neceffairement avec ce quifuivoit
; mais je m'aperçeus bien d'abord
l'Autheur n'avoit eu deffein que de
que
nous donner une venë ramaffee de l'Hiftoire
de ce temps-là.
L'Avanture du Bal m'a femblé la
plusjolie & la plus galante du monde ,
& Fon prend dans ce moment là pour .
Monfieur de Nemours & pour Madame
de Cleves, l'amour qu'ils prennent l'un
pour Pautre . Ta-t-il rien de plus fin que
la raison qui empefche Madame de Cleves
d'aller au Bal du Marefchal de S.
André , que la maniere dont le Duc de
Nemours s'apperçoit de cette raison , que
ta bonte qu'a Madame de Cleves qu'il
s'en apperçoive , & la crainte qu'elle
avoit qu'il ne s'en apperçeuft pas? L'adrefGALAN
T. 61
dreffe dont Madame de Chartres fe fert
pour tacher à guérir fa Fille de fa paffion
naiffante , eft encor tres- délicate , &
la jaloufie dont Madame de Cleves eft
piquée en ce moment là , fait un effet
admirable. Enfin , Monfieur , fi je
voulois vous faire remarquer tout ce que
j'ay trouvé de délicat dans cet Ouvrage
il faudroit que je copiaffe icy tous les
fentimens de Monfieur de Nemours , &
de Madame de Cleves.
Nous voicy à ce trait fi nouveau & fi
fingulier , qui eft l'aveu que Madame
de Cleves fait à fon Mary de l'amour
qu'elle apour le Duc de Nemours. Qu'on
raiſonne tant qu'on voudra là-deffus , je
trouve le trait admirable & tres- bien
preparé : C'est la plus vertueufe Femme
du monde qui croit avoir fujet defe défier
d'elle-méme , parce qu'elle fent fon
coeur prévenu malgré elle enfaveur d'un
autre que de fon Mary. Elle fe fait un
crime de ce panchant tout involontaire
& tout innocent qu'il eft. Elle cherche
du fecours pour le vaincre. Elle doute
C 7 quel62
MERCURE
qu'elle eut la force d'en venir à bout fi
elle s'en fioit à elle feule ; نم&
pour s'impofer
encor une conduite plus auftere que
celle que fa propre vertu luy impoferoit,
elle fait à fon Mary la confidence de ce
qu'ellefent pour un autre. Je ne voy rien
à cela que de bean & d'heroique. Je fuis
ravy que Monfieur de Nemours fçache
la converfation qu'elle a avec fon Mary,
mais je fuis au defefpoir qu'il l'écoute.
Cela fent un peu les traits de l'Aftrée.
L'Auteur a fait jouer un reffort bien
plus délicat pour faire répandre dans la
Cour une Avanturefi extraordinaire. Il
n'y a rien de plus fpirituellement imaginé,
que le Duc de Nemours qui conte au
Vidame fon Hiftoire particuliere en termesgeneraux-
Tous les embarras que cela
produit font merveilleux.
ble
Adire vray, Monfieur , il mefemque
Monfieur de Nemours a un peu
de tort de faire un voyage à Colommiers
de la nature de celuy qu'ily fit , &
Madame de Cleves a également tort d'en
mourir de chagrin. On admire lafincerité
GALAN T.
63
rité qu'eut Madame de Cleves , d'avouer
à fon Mary fon amour pour Monfieur
de Nemours ; mais quand Monfieur
de Nemours qui doit croire tout au
moins qu'il eft extrémement fufpect à
Monfieur de Cleves , s'informe devant
luy, & affez particulierement , de la
difpofition de Colommiers , j'admire avec
quelle fincerité il luy avoue le deffein
qu'il a d'aller voirfa Femme. D'ailleurs
entrer de nuit chez Madame de Cleves,
en fautant les palifſades , c'eſt faire une
entré un peu triomphante chez une Femme
qui n'en est pas encor à fouffrir de
pareilles entrées. Enfin Monfieur de Cleves
tire des confequences un peu trop fortes
de ce Voyage. Il devoit s'éclaircir de
toutes chofes plus particulierement , &
Je trouve qu'en cette rencontre ny PAmant
ny le Mary n'ont affez bonne opinion
de la vertu de Madame de Cleves,
dont ils avoient pourtant l'un & l'autre
des preuves affez extraordinaires .
Ce qui fuit la mort de Monfieur de
Cleves, la conduite de Madame de Cleves
64.
MERCURE
ves, fa converfation avec Monfieur de
Nemours , fa retraite , tout m'a paru
tres-jufte. Il y a je ne sçay quoy qui
m'empefche de mettre au mefme rang le
Peintre & Papparition de Monfieur de
Nemours dans le Jardin.
Il me reste à vous proposer un petit
fcrupule d'Hiftoire . Tout ce que Madame
de Chartres apprendà få Fille de la
Cour de François I. & tout ce que la
Reyne Dauphine apprendà Madame de
Cleves de celle d'Henry VIII. eftoient
ce des particularitez affez cachées dans
ce temps là ; pour n'eftre pas fçenës de
tout le monde ? car il eft certain que depuis
toutes les Histoires en ont efté pleines
, jufques là que moy-mefme je les
fçavois.
Adieu , Monfieur , tenez moy conte
de l'effort que je viens de me faire pour
vous contenter.
Vous vous fouvenez , je croy ,
Madame , que dans quelqu'une de
mes Lettres je vous ay parlé d'un
Arc
1
GALAN T.
65
par-
Arc de Triomphe qui a efté découvert
à Rheims depuis quelque temps.
Je ne vous en dis rien alors de
ticulier , parce que j'en voulois recouvrer
la Figure , pour l'accompagner
de quelques recherches curieufes
fur ce fujet. Elle m'eft enfin
tombée entre les mains. Je l'ay fait
graver, & vous en pouvez confidérer
les beautez .
Apres vous l'avoir fait voir telle
que Meffieurs de Rheims l'ont trouvée
, il faut vous faire connoiftre ce
qu'ils en penfent par les termes dont
ils fe font fervis pour s'en expliquer.
Voicy ce qu'ils ont fait graverfous
cet Arc.
Ce monument eftoit autrefois la Porte
Septentrionale de la Ville de Rheims ,
& s'appelloit Porte Mars. Cette Porte
fut comblée de terre , & cachée fous le
Rampart en 1544. & l'on en bastit á
cofté un autre du mefme nom. En 1595
PArcade de Romulus & de Remus fut
détre66
MERCURE
déterrée; les deux autres ont efté découvertes
en 1677. par le foin de Monfieur
Dallier, Lieutenant des Habitans
& de Meffieurs les Gens du Confeil &
Efchevins de la Ville .
ont
Ily en a qui pretendent que cet Edifice
eft un Arc de Triomphe, qui a esté
érigé en l'honneur de Jules Cefar , lors
que fous l'Empire d'Augufte on fit les
grands Chemins des Gaules , dont l'un
aboutisoit à cette Porte. L'opinion commune
eft queJules Cefar l'a fait baftir.
D'autres eftimant que cette Architecture
n'eft pas des premiers Siecles ,
attribué cet Edifice à Julien, qui l'auroit
pu faire conftruire paffant par Rheims ,
lors qu'il s'en vint à Paris au retour
de fes Conqueftes d'Allemagne ; mais il
eft difficile d'affarer fous quel Empereur
ce Monument a efté bafty, puis que non
feulement les Teftes qui paroiffent dans ce
Frontispice font caffées, mais que le lien
mefme où l'on mettoit anciennement l'In
fcription eft entierement ruiné, avec tout
ce qui eftoit au deffus de la Corniche.
On
GALAN T. 67
On peut aẞurer cependant que c'est un
Arc de Triomphe qui a efté élevé en
P'honneur de l'Empereur qui regnoit alors,
& à la gloire de la Ville de Rheims,
& que cela s'est fait après quelque Victoire
dont on voit des marqnes au dehors
& au dedans de cet Ouvrage, &
à l'occafion du grand Chemin qui paffoit
par Rheims. La ligne qui traverfe
le tout, fepare ce qui est découvert d'avec
ce qui eft encor enterré.
Meffieurs de Rheims ont adjoûté
à ce Difcours fix Vers Latins de
Mr de Santeüil Chanoine de S. Vi-
&tor. Quoy qu'ils foient tresdignes
de leur Autheur , qui a un talent
admirable pour ce genre de Poëfie ,
je les fuprime en faveur des Dames
de voftre Province , qui ne s'accommodent
point de la Langue des
Sçavans.
On a eu de fortes raifons pour
croire que l'Arc de Triomphe dont
je vous parle avoit efté bafty par
l'or68
MERCURE
l'ordre de Jules-Cefar , ou du moins
en l'honneur de Jules- Céfar. Il eſt
certain que ce grand Homme avoit
une affection particuliere pour les
Rhémois , & que ce fut par fa faveur
qu'ils fuccederent aux Bourguignons
, nommez alors les Séquanois
, dans la Principauté d'une bonne
partie des Gaules. Ainfi il eft affez
vray-femblable qu'ils luy éleverent
cet Arc de Triomphe par reconnoiffance
; mais ce qui détermine
entierement les Efprits à fuivre cette
opinion , ce font les Figures dont
on l'a trouvé embelly. Elles ont
toutes du raport à Jules Céfar. L'arcade
droite reprefente la Louve Romaine
, avec Rémus & Romulus , #
dans le platfonds de la Voûte ; &
les quadrangles qui en occupent les
pendans , font voir Fauftulus & Acca
Laurentia , qui ayant dérobé ces
deux Enfans à la Louve , les nourrirent
jufqu'à l'âge de dixhuit ans .
On voit les douze Mois de l'Année
dans
GALAN T. 69
S
dans la Voûte du milieu , & des
S Cignes dans la derniere. Il n'eft pas
beſoin de vous expliquer les Figures
t de Rémus & de Romulus. Ils defcendoient
des Roys d'Albe qui eftoient
venus de Jules premier Roy
d'Albe , dont la race des Jules pré-
- tendoit eftre fortie . Pour les douze
Mois , on fçait affez que Jules- Céfar
, avec le fecours des plus grands
Matématiciens de fon temps , reforma
l'Année , & la compofa du
e nombre des jours dont elle eft compofée
encor aujourd'huy . Enfin les
Cignes qui ne plongent jamais fous
les eaux, nous font fouvenir de cette
fameufe Avanture de Céfar en Egypte.
Il fut obligé de fe jetter en
mer reveſtu de fa Robe de pourpre ,
& il nagea avec tant de force & tant
d'adreffe vers une Barque qui le rea
geut , que des papiers qu'il tenoit
5 en l'une de fes mains ne furent pas
feulement moüillez . Voyez , Madame,
fi à toutes ces Figures on n'a
се
1
S
pas
70
MERCURE
pas dû reconnoiftre Jules - Céfar.
Peut-eftre voftre curiofité ne fe contentera-
t-elle pas de ce que je viens
de vous apprendre Il faut tâcher de
la fatisfaire entierement , en vous
difant quelque chofe des Arcs de
Triomphe en general.
Ils font faits comme de grandes
Portes de Ville toujours ouvertes ;
de
& fi vous ne vous contentez pas
la Figure que j'ay fait graver pour
vous , vous en pourrez voir icy des
Modeles , en voyant les nouvelles
Portes de S. Denys , de S. Martin ,
de S. Antoine, & de S.Bernard , qui
font de veritables Arcs de Triomphe
. A mefure que les Romains
étendoient auffi l'enceinte de leurs
Murailles, & c'eft ce qui donne lieu
de conjecturer que l'origine des Arcs
de Triomphe vient de ceux d'entre
leurs Roys , qui agrandiffant Rome
apres leurs Victoires, luy donnoient
de nouvelles Portes , qu'on élevoit
à leur honneur, & laiffoient cependant
GALAN T. 71
dant les anciennes , afin qu'en un
befoin elles pûffent fervir de retranchemens.
En fuite on ne s'eft pas
borné à ériger des Arcs de Triomphe
dans les Villes , on en a élevé
jufques dans les Champs ; ce qui fe
connoit par la Voye Triomphale ,
& par la Voye Appienne , qui eftoient
toutes couvertes de ces fuperbes
Edifices. Ils eftoient affez fimples.
d'abord. On les faifoit de Brique ,
ou de Pierre de taille commune ;
car on prétendoit dans ces premiers
temps qu'ils ne ferviffent qu'à récompenfer
la vertu , & non pas à
nourrier l'orgueil des Hommes. Il
y en avoit mefme quelques -uns fans
Infcriptions, & l'on n'y faifoit qu'y
fufpendre les dépouilles des Ennemis
, & les marques de la Victoire
qu'on avoit remportée. Mais quand
Rome perdit cette ancienne fimplicité
, on commença d'employer le
Marbre à baftir les Arcs de Triomphe.
On les chargea d'Infcriptions
pom72
MERCURE
pompeufes . On y éleva des Statuës,
& principalement des Victoires ailées
qui fembloient mettre des Couronnes
fur la tefte des Triomphateurs
qui paffoient par deffous ces
Arcs . On y grava fur la Pierre les
Trophées, & quelque chofe mefme
de l'Hiftoire de ces Combats où l'on
avoit remporté l'avantage . Quelquefois
on ne les élevoit que pour la
cerémonie du Triomphe; & quand
elle eftoit achevée , on les oftoit de
leur place. Alors on n'avoit accoûtumé
de les faire que de bois, mais
le plus fouvent on les élevoit pour
fervir de Monumens perpétuels à la
gloire de ceux qui avoient obtenu
quelque Victoire fignalée . On les a
faits de Figures diférentes. Dans les
commencemens c'eftoient des Portes
voûtées en demy cercle, & c'eft de
là qu'ils ont reçeu le nom d'Arc.
En fuite c'eftoient de grands quarrez
au milieu defquels eftoit une
Porte voûtée , & deux autres plus
petiGALAN
T.
73
petites à fes coftez qui faifoient
fes aîles.
Pendant que nous fommes fur la
matiere des Arcs de Triomphe , je
ne fçay fi vous ne feriez point bien
aife d'apprendre plus particulierement
ce que c'eftoit que les Trophées
dont on parle tant. Un Trophée
n'eftoit rien autre chofe qu'un
Tronc d'Arbre reveftu des dépouilles
qu'on avoit arrachées aux Ennemis.
On le plantoit au lieu mefme
où les Ennemis avoient efté mis en
fuite ; & l'origine des Trophées
vient fans conteftation de ces Troncs
d'Arbre plantez , mais on s'avifa
depuis de les faire porter dans les
Triomphes. Les Romains eftoient
fi perfuadez que ces fortes d'honneurs
animoient les Citoyens à faire
de grandes entrepriſes , qu'ils exilerent
un Cnejus Fulvius , qui rejetta
le Triomphe qu'on luy avoit
décerné , parce qu'ils jugerent qu'il
avoit donné un exemple tres- dange-
May.
D reux
74
MERCURE
reux , en méprifant la plus glorieufe
récompenfe qu'on pût donner à
la Vertu.
Pour revenir à l'Arc de Rheims,
apres vous l'avoir fait voir en face ,
il faut vous montrer le Deffein de
la Voûte d'une des trois Arcades.
Vous aurez les deux autres la premiere
fois. Le peu de temps qui
me refte à faire travailler les Graveurs,
ne me laiffe pas en pouvoir
de vous envoyer le tout enſemble.
J'ay crû devoir commencer par la
Voûte de l'Arcade de Leda , parce
qu'elle reprefente la Ville de Rheims.
Ces paroles qui font au deffous , le
font connoiftre.
La Ville de Rheims eft icy reprefenté
fous la figure d'une Femme , felon
Pancienne couftume. Le Cigne qui accompagne
cette Femme , la fait reconnoiftre
pour Leda; & Pon peut dire que comme
Leda eftoit Mere de Castor & de
Pollux , qui eftoient les Divinitez qui
préPag.
74
a
2
i
、།
14

GALANT .
75
1
par
leur
préfidoient aux Loix & auxJugemens,
ainfi que Cicéron nous l'aprend: de mefme
la Ville de Rheims tenoit à gloire d'eftre
Mere desJuges dont le Confeil eftoit compofé
qui estoient recommandables
mérite & par leur integrité. Le Flambeau
que tient l'Amour, fait connoiftre que
pour bien penétrer l'obfcurité du Droit
il ne faut manquerny de lumiere ny d'affectonpour
l'Equité . C'est ainsi qu'autrefois
les Villes prenoient foin de marquer
par quelque Emblême les avantages dont
elles fe faifoient honneur , comme on le
pourroit justifier par de femblables Monumens,
auffi bien que par les Medailles.
2
J'aurois trop à vous dire , fi je
voulois entrer dans tout ce qui regarde
la Ville de Rheims. Son antiquité
eft connue , & les marques
de confidération que je vous ay dit
qu'elle avoit reçeues de Jules- Céfar,
juftifient l'eftime particuliere qu'on
faifoit autrefois de fes Habitans . Ils
n'en méritent pas moins aujourd'
D 2 huy
76 MERCURE
huy, & on ne sçauroit trop loüer
les foins qu'ils ont pris de déterrer
le celebre Monument dont je vous
parle. Ceux de cette nature qu'on
éleve icy de tous coftez à la gloire
de Loüis LE GRAND , font
voir que Paris peut difputer d'éclat
fous fon Regne avec l'ancienne Rome,
& que les Céfars qu'elle a tant
vantez , s'ils ont fervy d'exemple à
ce Grand Monarque , n'ont rien
fait qui approche de ce que nous luy
voyons faire tous les jours de furprenant.
Vous voulez bien, Madame , que
je paffe du férieux à l'enjoüement.
L'Amour Intereffé vous a paru agreable.
On y a fait une Réponſe , &
apparemment vous ne ferez pas fâchée
de la voir. -
REPONSE D'I RIS ,
A L'AMANT INTERESSE.
Vo
ous fçavez que j'ay dequoy payer les
avances que vous pouvez faire en amour
,
GALAN T.
77
mour , & vous vous laffez déja d'en
faire. Je vous avoue que cela me furprend
, apres les aẞurances que vous
m'avez tant de fois données que vous
ne me demandiez autre chose que lapermiffion
de m'aimer.
Voila comme font les Amans ,
D'abord ils font mille fermens
Qu'ayant pour nous une tendreffe extréme
,
Au feul plaifir d'aimer ils bornent tous
leurs voeux ;
Mais dés qu'ils penfent qu'on les
aime .
On voit bientoft qu'ils n'aiment
qu'eux.
Je ne vous croyois pas de ce nombre.
Le compte que vous voulez que nous
faffions me l'apprend. Voyons donc ce
que vous avez avancé, & ce que vous
avez regen.
Pendant trois mois , plein d'un tendre
foucy ,
Vous avez de mon coeur voulu bannir
la glace
D 3
Par
78
MERCURE
Par cent foûpirs brûlans qui n'ont pas
réüffy ;
Pour cet article je le paffe.
Depuis ce temps , vous avez employé
Mille & mille foins pour me plaire.
Il eft vray que pour vous des foins font
une affaire ;
Mais fi vous m'avez plû
bien payé ,
› vous eftes
Ainfi cet article eft rayé.
Vous fçavez trop bien les plus fines
pratiques de l'amour, pour ne découvrir
pas quand il commence à entrer dans le
coeur des Gens.
Dés qu'un Amant dit, je vous aime,
Et qu'on l'écoute avec plaifir ,
On n'aime pas d'abord , mais on a le
defir
Quefon coeur foit toûjours le meſme ,
Et paffer du defir d'eftre aimée à l'amour
,
Ce n'eft que l'affaire d'un jour.
Peut- eftre en ferois -je à la fin venue
là , & puis que je connoiffois voftre"
amour , comme vous me temoignez en
eftre perfuadé , fans que j'en fuſſe deve-
пиё
GALAN T.
79
nue plus fiere , vous deviez en concevoir
de plus grandes efperances ;
mais vous eftes de ces Gens qu'un merite
extraordinaire difpenfe de fuivre les
regles communes. Vous demandez avec
un empreßement furprenant la récompenfe
d'un amour qui n'eft dgé que d'un
an; & le compte de vos mifes fait ,
vous voulez qu'on vous paye. Les voila
ce me femble toutes. Je croy
n'en avoir
oublié aucune. Il faut venir aux
payemens que j'ay faits. Vous avoüez
que je vous ay laiſſe baifer mon Gand,
& qu'en préfence de vos Rivaux je vous
ay dit une fois trois ou quatre mots à
Poreille. Si vous comptez cela pour rien,
je ne fçay ce qu'il faut appeller faveur
en amour .
D'un Gand baifé l'obligeante faveur,
Fut toûjours faveur fans pareille ,
Et quand on dit quatre mots à l'oreille,
L'on en dit beaucoup plus au coeur.
Apres cela , Tirfis , arreftons noftre
7 comte.
Mettez d'un cofté vos langueurs ,
Je mets de l'autre mes faveurs ,
D 4
Voyons
80 MERCURE
Voyons à quoy cela fe monte.
Je trouve , tout bien compenſé,
Que vous avez plus reçeu qu'avancé .
Je pourois vous demander mon refte.
mais je veux eftre plus genereuse que
vous. Allez , je vous en quite. Je ne
vous demande rien que l'Indiférence que
vous commenciez a bannir de mon coeur.
Laiffez la revenir , & n'ayons plus apres
cela d'affaires enfemble.
Le Roy n'a jamais choify pour
les grands Emplois que des Perfonnes
d'un tres-grand mérite. L'état
floriffant de fes Affaires le fait connoiftre,
& Sa Majefté vient encor
d'en donner de nouvelles marques ,
en jettant les yeux fur Monfieur Potier
Chevalier , Seigneur de Novion,
Préfident à Mortier , pour remplir
la Place de Premier Préfident du
Parlement de Paris , c'eft à dire du
plus augufte Corps du Royaume .
Vous n'ignorez pas fans-doute, Madame
, que ce grand Magiftrat eft
d'uGALAN

2
d'une Famille tres -ancienne, & auffi
illuftre dans l'Eglife que dans la
Robe & dans l'Epée. Elle peut compter
des Evefques , des Ducs , des
Secretaires d'Etat , des Préfidens à
Mortier, & plus que tout cela, des
Hommes d'un mérite extraordinaire;
ce qui ne fe trouve pas toûjours
avec la naiffance. Elle en peut mefme
compter en grand nombre , &
ce que j'ay à vous en dire vous le
fera voir. Nicolas Potier fecond du
nom , ayant efté éleu Prevoft des
Marchands fous Louis XII. eut la
modeſtie de refufer un fi glorieux
Employ ; & comme on ne jugeoit
perfonne plus capable que luy de s'acquiter
dignement des fonctions de
cette Charge , on donna un Arreſt
de Parlement pour le contraindre de
l'accepter. Jacques Potier fon Fils ,
Seigneur de Blancménil , fut un
Homme d'une fi grande doctrine ,
& d'une probité fi genéralement reconnue
, que ne pouvant trop éle-
D 5
ver
82
MERCURE
ver le zele qu'il a toûjours fait paroiftre
pour le bien de l'Etat , le
Chancelier de Lhofpital a écrit qu'il
méritoit des Statues. Ce Jacques
Potier époufa Françoife Cejulette ,
Dame de Gefvres. Il en eut plufieurs
Enfans , & ' entr'autres Nicolas Potier,
Seigneur de Blancménil. C'eft
de luy que font defcendus Monfieur
de Novion aujourd'huy Premier
Préfident , & Loüis Potier qui
a fait la Branche des Marquis de
Gefvres. Cette mefme Famille qui
fait deux fi illuftres Branches , eft
toute remplie de Perfonnages du plus
haut mérite . René Potier , Evef
que & Comte de Beauvais, Pair de
France , eft appellé par M' Loyfel
dans fes Memoires de Beauvais , le
Didime de fon Siecle. Je ne parleray
point des autres Defcendans de cette
premiere Branche . J'aurois trop
d'éloges à faire. Je diray feulement
que Nicolas Potier, Seigneur d'Ocquerre
, Secretaire d'Etat , qui en
forGALANT
. 83
fortoit , fut Pere de Madame la
Préfidente de Lamoignon , Veuve
du feu Premier Préfident de ce
nom, & Oncle de Monfieur de Novion
Premier Préſident d'aujourt
d'huy. Si cette premiere Branche a
paru avec éclat par les grandes Charges
& par fon mérite particulier ,
celle de Gefvres n'a pas moins fait
de bruit dans le monde par les importans
fervices qu'elle a rendus à
l'Etat. Louis Potier, Baron de Gefvres
, Secretaire d'Etat , fecond Fils
de Jacques Potier, Seigneur de Blancménil
, eut pour Fils René Potier,
Duc de Trefmes , Bernard Potier ,
Seigneur de Blerancour, Lieutenang
General de la Cavalierie Legere de
France ; & Antoine Potier , Seigneur
de Sceaux , Secretaire d'Etat,
& Greffier des Ordres de Sa Majefté.
Ce dernier mourut fans laiffer
d'Enfans d'Anne d'Aumont , Soeur
du feu Duc & Marefchal de ce nom .
René Potier Chevalier des Ordes
D 6 du
$4
MERCURE
du Roy, Capitaine d'une Compagnie
des Gardes du Corps de Sa Majeſté,
Duc de Trefmes , & Marquis de
Gefvres , avoit épousé Marguerite
de Luxembourg , Fille de François
Duc de Piney , & de Diane de Lorraine.
De ce Mariage font iffus entr'autres
Enfans , François Potier ,
Marquis de Gefvres, Marefchal des
Camps & Armées du Roy , Bailly
de Valois & de Caen. Il fervoit de
Lieutenant General fous Monfieur
le Prince , lors qu'il fit le Siege de
Thionville, n'eftant encor que Duc
d'Enguyen. Il y fut tué de la ruine
d'une Mine , à l'âge de trente- trois
ans. Il avoit reçeu en diverſes occafions
quarante & une bleffures, qui
luy firent mériter le Brevet de Marefchal
de France. Il eut un autre
Frere auffi Marefchal de Camp, tué
au Siege de Lérida ; & M' le Duc
de Gefvres , Premier Gentil-homme
de la Chambre, qui vit aujourd'buy.
M ' le
GALAN T. 85
Mr le Premier Préfident de Novion
, qui defcend de la premiere
des Branches de cette illuftre & ancienne
Maiſon , a efté pres de 33.
ans Préfident à Mortier. Il eft fort
intelligent dans les Affaires, ardent,
vigilant , & fçavant. Rien n'a jamais
égalé fa fermeté pour le fervice
du Roy & du Public , & il en.
a donné d'éclatantes marques dans
les temps les plus difficiles . Il fut
choify par Sa Majefté en 1665. pour
tenir les Grands Jours à Clermont
en Auvergne.
Mr Colbert Ambaffadeur Extraordinaire
pour le Roy à Nimégue ,
a eu la Charge de Préfident à Mortier
qu'avoit M' de Novion. Les
grands Emplois qu'il a eus , & celuy
où il eft préfentement , font affez
fon éloge, fans qu'il foit neceffaire d'y
rien adjoûter. Ceux qui portent ce
Nom font connus , & l'on fçait de
quelle maniere ils fervent le Roy, &
dans fes Confeils, & dans fes Armées .
Sa
D 7
46
MERCURE
Sa Majefté a donné à M' Pelletier
la Place de Confeiller d'Etat ordinaire
qu'avoit M'Colbert. Il eft Préfident
aux Enqueftes , & a efté longtemps
Prevoft des Marchands . C'eſt
un Homme d'une tres grande probité.
Feu Monfieur le Duc d'Orleans
l'honoroit d'une eftime fi parti-
.culiere , qu'il le fit Executeur de fon
Teftament.
Mr Bignon Confeiller d'Etat , a
efté fait Confeiller d'Etat Semestre à
la place de M Pelletier. Ce grand
Homme s'eft tellement fait admirer
pendant tout le temps qu'il a efté
Avocat General au Parlement , que
je n'en pourois rien dire que ne fut
connu de tout le monde.
M' le Préſident de Mégrigny qui
avoit efté Premier Préfident au Parlement
de Provence , eftant mort, Mr
Colbert du Terron a eu fa place de
Confeiller d'Etat . Vous fçavez qu'il
a efté choify pour plufieurs Intendances
, & fur tout pour celle de
SiciGALAN
T. 87
Sicile , où il a tres -utilement fervy.
Monfieur le Duc de Saint Aignan
dont vous connoiffez le zele pour la
gloire & le fervice du Roy , ayant
mis la Cofte de fon Gouvernement
en état de ne rien craindre , fit ces
derniers jours un Ballet, qu'il appella
Ballet Inpromptu , & qu'il avoue pouvoir
eftre plus juftement nommé le
Ballet fans fuite , puis qu'il n'eſt
qu'un mélange de plufieurs Entrées
confuſes , & fans aucun ordre , la
précipitation avec la quelle ce Ballet
fe fit , n'ayant pas laiffé le tempsde
s'appliquer à les rendre plus régulieres.
On s'attacha à les faire prefque
toutes ridicules , afin d'entretenir la
Joye de quelques Dames , qui dans
le plaifir d'avoir reçeu une nouvelle
agreable , avoient obligé des Cavaliers
à leur donner cette marque de
leur complaifance. Vous avoüerez
que c'eft quelque chofe de bien glorieux
pour la France , que dans le
temps où elle a toute l'Europe à combatre
,
88 MERCURE

batre , on joüiffe d'une affez grande
tranquillité pour eftre en état de fe
divertir fur les Coftes . M' Labbé
de Caën , qui eft une des meilleures
Baffes de Viole qui foit en France ,
& qui joue les quatre Parties de la
maniere la plus délicate , contribua
fort à la beauté des Concerts & des
Airs qui furent chantez dans ce Ballet.
Il paffe la meilleure partie de
l'année au Havre , où il fe trouve un
affez grand nombre de Danfeurs ,
tous Gens d'execution & d'oreille.
Voicy en quels termes le Projet de
ce Divertiffement fut dreffé.
BALLET INPROMTU .
La Toille reprefente une Place où plufienrs Ruës
aboutiffent , & dont une Hoftellerie fait le
coin, ayant pour Enfeigne les trois Pucelles.
Récit des trois Filles du Maiftre de
cette Maiſon .
L'Enfeigne des trois Pucelles
Marque noftre Logement.
Il fuffit pour les plus belles
D'un petit Appartement,
Off
GALAN T.
89
7
Où nos trois Amans fidelles
Nous puiffent voir librement.
L'Enfeigne des trois Pucelles
Marque noftre Logement.
Bien que nous feyons cruelles ,
Nous penfons à tout moment ,
Que fans eftre criminelles ,
On peut aimer tendrement.
L'Enfeigne des trois Pucelles
Marque noftre Logement.
1. ENTRÉ E.
Les trois Soeurs témoignent par
la gayeté de leur danfe , qu'elles font
fatisfaites de l'état préfent de leur
fortune.
2. ENTREE.
Le Maiftre de la Maiſon , fa Femme,
fon Valet , & fa Servante.
3. ENTRÉE .
Barbacole Pédant
de fes Ecoliers.
avec quatre
4. ENTRÉE parlante.
Mr Buiffon Juge de Village ; Mr
Macé & M' Hilaire Avocats , faifant
90 MERCURE
fant devant luy un Plaidoyé tresridicule
en Vers.
5. ENTRÉE
.
Deux Bergers , deux Bergeres
& deux Paſteurs.
CONCERT DE FLUSTES.
RECIT DU DIEU PAN,
Au milieu des Bergers joüans &
danfans.
Coulez , coulez charmans Ruiſſeaux,
Que le bruit de vos claires Eaux ,
Anime les Oifeaux
A chanter mille Chanfonnettes.
Que les Bergers contens dans leurs douces Retraittes,
Ne refpirent qu'amour en ces jours des plus
beaux .
Bondiffez , innocens Troupeaux ,
Aux doux échos de leurs Mufettes.
Coulez , coulez , charmans Ruiffeaux ;
Que le bruit de vos claires Eaux
Anime les Oifeaux
A chanter mille Chanfonnettes.
6. ENTREE.
L'Amour de Village , & l'Hymen
chamGALAN
T.
91
champeftre , accompagnez du Jeu ,
du Ris , & de l'Innocence.
CHANSON DE L'AMOUR.
Je fuis l'Amour de Village ,
Plein des conftance & de foy.
Ceux qui vivent fous ma loy
Ont mille biens en partage ,
Et rien n'eft plus doux que moy,
Loin du bruit & de l'envie,
De la crainte, des foupirs ,
Si j'infpire des defirs ,
Dans unefi douce vie
Il en naift mille plaifirs.
7. ENTRÉE
.
Un Vielleur & deux Aveugles.
8. ENTRÉE.
Six Galants venus pour voir une
Nôce ruftique.
9. ENTRÉE
.
Une Sage-Femme & deux Nourrices.
10. ENTRÉE
.
Combat de fix Efpagnols à l'épée
& au
92
MERCURE
& au poignard , interrompu par
deux Cavaliers Joueurs de Guitarre,
11. ENTRÉE
.
Quatre Garçons Patiffiers préfentent
aux Dames plufieurs chofes de
leur meſtier fort délicates , & danfent
en fuite.
12. ENTRÉE.
Orphée joüant admirablement
bien d'une Baffe de Viole ; & deux
Bacchantes le cherchant pour le tuer.
13. ENTREE.
Bacchus & quatre de ſes Suivans ,
chaffe les Bacchantes , & fe réjouit
apres avec les fiens qu'il enyvre.
CHANSON A BOIRE
de l'un des Yvrognes , à laquelle
tous les autres répondent.
L'Amour eft fouvent fâcheux ,
Nous aimons mieux la Bonteille ,
Sa douce liqueur réveille ,
Elle rend le coeur joyeux.
Quand on boit fous une Treille ,
Chers Amis, qu'on est heureux !
Vive
GALAN T.
93
Vive la liqueur vermeille..
L'Amour est fouvent facheux,
Nous aimons mieux la Bouteille.
Suivons les Ris & les feux ,
Dans le Vin faifons merveille ;
Celuy-cy n'a qu'une oreille ,
Buvans donc un coup ou deux.
Camarade , à la pareille.
Mes avis font genereux ,
Fais ce que je te confeille.
Suivons les Ris les feux,
Dans le Vin faifons merveille.
CONCERT DE VOIX
& d'Inftrumens.
CHANSON
Quand il eft doux de fe rendre .
Peut- on défendre
Sa liberté ?
Eft-il quelque Beauté
Qui veuille prendre
Contre un coeur tendre
De la fierté ?
Lors que la peine a des charmes ,
On rend les armes
Fort aiſement.
Un doux foulagement
Suit
943
MERCURE
Suit les allarmes ,
Etjufqu'auxlarmes
Tout eft charmant.
14. ENTRÉE
.
Deux fameux Capitaines Bohemes .
15. & DER. ENTREE.
Deux autres Bohemiens & quatre
Bohemiennes .
Ce n'eft pas feulement au Havre
que les ordres admirables qui fe donnent
pour la tranquillité du Royaume
, laiffent régner les Divertiffemens
pendant la Guerre ; ils ne font
pas moins en ufage dans les autres
Villes , & on n'avoit point encor
veu tant de galanterie à Montpellier,
qu'il y en a eu cette année à l'occafion
du Jeu de l'Arc . Il faut vous dire
pour la recommandatión de ce Jeu
dont vous n'avez peut- eftre jamais
entendu parler , que l'amour du
plaifir a moins contribué à fon inftitution
que le defir de la gloire.
Les Roys de Majorque qui étoient
auGALAN
T.
95
1
autrefois Seigneurs de Montpellier ,
l'y ont étably , & entretenoient par
là ce Peuple aguerry dans l'exercice
des Armes , avant que la Poudre &
le Moufquet fuffent connus. On en
a fait toujours depuis une efpece de
Fefte galante , & elle eft fi propre à
faire paroiftre l'adreffe de ceux qui
en font , que plufieurs Princes &
Gouverneurs de la Province n'ont
pas dédaigné de fe faire voir dans le
nombre des Archers qui en difputent
le prix. Leur Chef eft toûjours un
tresgrand Seigneur du Païs. Celuy
qu'ils ont à préfent , eft M' de Combas
, digne Succeffeur de feu M ' le
Marquis de Fabrégues , de l'Illuſtre
Famille de Combas , qui eft depuis
longtemps en poffeffion de fournir
des Capitaines à cette belle Compagnie.
Elle a fes Lieutenans , Enfeigne
, Major , Ayde- Major , Confeillers
, & eft compofée de plus de
deux cens Hommes . Leur Fefte ,
qu'on appelle la Fefte du Perroquet ,
eft
96 MERCURE
eſt fixée au commencement de May.
Ainfi le premier jour du mois où
nous fommes , douze Tambours
habillez de verd batirent la Quaiffe
par toute la Ville , & avertirent les
Archers de fe tenir preſts pour le
huitiéme. Ce jour eſtant arrivé, toute
la Compagnie fe rendit aupres de
fon Capitaine , qui la fit marcher
dans l'ordre qui fuit , fous le bon
plaifir du Roy de la Fefte. 1
On voyoit d'abord les douze
Tambours veftus de verd. Ils eftoient
fuivis de fix Hautbois , apres
lefquels marchoit un grand Homme ,
couvert d'une Cafaque verte , chargé
fur le derriere d'un Cupidon en
broderie d'or. Il portoit au bout
d'un Baſton peint en verd , un Perroquet
figuré en bois , & doré aux
extrémitez . A fes coftez eſtoient
quantité de jeunes Garçons , avec
des Habits de toile d'argent, Ils reprefentoient
de petits Amours , &
portoient à leurs coftez des Carquois
garGALAN
T.
97
e
I
garnis. Ils avoient des Arcs dorez à
la main , & tiroient de la Poudre
de Chypre fur les Dames . Elle fortoit
d'une Boëte percée qui tenoit
au bout de leurs Fleches. Tout cela
fe faifoit au fon de huit Violons.
Ils precédoient trois Trompetes qui
fe faifoient entendre à leur tour, &
portoient des Cafaques de la livrée
du Perroquet. En fuite paroiffoit le
Roy, ( c'eft ainfi qu'on appelle celuy
qui a gagné le Prix l'année précedente,
en jettant le Perroquet par
terre . ) Il eftoit au milieu du Capitaine
& du Lieutenant , en Habit
de brocard à fonds d'or, portant une
Toque de velours noir , ornée de
quantité de Plumes blanches , avec
une tres-belle Aigrete au deffus. Le
Capitaine fe faifoit remarquer tant
X par fa bonne mine , que par un Habit
tres -fomptueux ; & fon Lieutenant
approchoit de cette magnificence.
Les Confeillers marchoient apres
deux à deux. Ils n'eftoient diftinguez
t
at
May.
E
Sayerische
Stapti Hlothek
98 MERCURE
guez des autres Archers que par leur
rang, & avoient comme eux l'Epée
au cofté , & une Fleche à la main.
Ceux-cy eftoient fuivis d'un grand
nombre d'Archers mariez , qui n'ayant
rien de l'air férieux du Mariage
, répondoient fort à la gayeté que
faifoit paroiftre dans un équipage
tres-galant l'Enfeigne de cette Compagnie.
Il eftoit à la tefte de la plus
belle Jeuneffe du monde , qui par
des Habits garnis de Ruban gris -delin
marquoient la livrée & Pamour
de cet Officier. Ils tiroient fous le
toit des Belles qu'ils voyoient aux
Feneftres , des Fleches peintes en
verd & en gris-de-lin. Le Major &
Ayde-Major marchoient les derniers,
& ne cedoient en rien au refte des
Officiers de cette Troupe.
Ils allerent en cet ordre vers un
grand & large Foffé fermé de tous
coftez de hautes murailles de pierre
de taille , qui fe trouvent par dehors
à hauteur d'appuy , pour la
com .
GALAN T.
99
commodité des Spéctateurs. Il y a
fur le devant & à l'entrée, une fort
belle Galerie deftinée pour les Dames.
Elle eft bordée d'une Baluftrade
de bois peint , au bout de laquelle
eft un Escalier par où l'on
defcend dans cette agreable Lice.
On l'avoit garnie de Tentes tout
le long de fon cofté gauche. Diverfes
Tables y eftoient dreffées. Vous
pouvez croire que les Liqueurs , la
Limonade , les Oranges de Portugal
, & tout ce qui peut flater le
gouft des Dames , s'y trouvoit en
abondance.
Ce fut au bout d'un Parquet qui
eft dans le fonds de ce Foffé , que
toute cette belle Troupe s'eftant affemblée
au bruit des Tambours &
des Trompetes, & au fon des Hautbois
& des Violons qui fe répondoient
tour à tour , on fit élever le
Perroquet fur une grande Poutre &
fur diverfes Perches attachées les unes
aux autres. Il fut fiché & cloüé
E 2
fu
100 MERCURE
fur la derniere de ces Perches.
&
Comme ces galants Archers fe
rendent tous les jours dans ce Foffé,
où ils tirent chacun felon fon rang,
un certain nombre de Fleches pour
tâcher d'abatre ce Perroquet
qu'ils n'en fortant que fur le foir à
P'heure du Soupé, dans le mefme ordre
qu'ils y font venus , cet agreable
Spéctacle ayant le dixiéme de ce
mois attiré la curiofité du beau Sexe
de Montpellier, il prit envie à plus
de cinquante des plus jolies Filles
de la Ville de fe faire mener par les
Archers qui n'eftoient point mariez,
& de fe fervir de leur Eſcorte pour
aller remettre leurs Officiers dans
leurs Maiſons. Leur parure eftoit
extraordinaire , & répondoit à celle
de leurs Meneurs . Elles tenoient
chacune un Bâton d' ebene garny
d'argent à la main droite , qu'elles
avoient paffée dans un Ruban
ponceau ; & à la gauche , un Even-
tail de peau de fenteur , 2-
vec
GALAN T. ΙΟΥ
-
vec les Bâtons d'écaille tortuë.
Apres que la Cerémonie fut achevée
, & qu'on eut conduit les principaux
Officiers chez eux, toute cette
galante Jeuneffe, tant de l'un que
de l'autre Sexe, fe rendit aux Flambeaux
chez l'Enfeigne. Elle y fut
régalée d'un Repas où la magnificence
, la propreté , & la délicateffe,
remplirent parfaitement tout ce
qu'on pouvoit attendre du plus libéral
des Officiers. Le Bal acheva la
Fefte. On danfa longtemps , & ces
aimables Filles furent en fuite remenées
chez elles par les jeunes Archers
qui pafferent le refte de la nuit
à leur donner des Serenades , & à
danfer des Ballets fous leur Feneftres.
Je n'ay rien fçeu par dela ce que
je vous mande. "Si j'apprens ce qui
fe fera paffé dans la fuite de la Fefte
, jufqu'à ce qu'il y ait un nouveau
Roy , j'auray foin de vous le
faire fçavoir. J'adjoûteray feulement
icy une tres- agreable Galanterie qui
E 3
a eſté
102 MERCURE
a efté envoyée pour Bouquet à M'
le Préfident Charton par une Demoiſelle
toute belle & toute aimable
, & qui eft de fes particulieres
Amies.
BOUQUET
POUR MONSIEUR
LE
PRESIDENT CHARTON.
Préfident, je fais un Bouquet,
Fy mets la Rofe & le Muguet ,
Le Facinte & la Tubéreufe ;
Sans doute il vous divertira.
Cà, voyons quelle Fleur fera la plus heureufe,
Voftre choix en décidera .
On voit déja chacune de ces Fleurs
Prendre fes plus vives couleurs,
Pour vous aller faire la revérence ,
Et vous témoigner fon defir ,
Vous difant ; plairoit-il à voftre Présidence
De me faire l'honneur de me vouloir choisir !
La Rofe s'en va vous parler
De toutes les grandeurs qu'elle peut étaler.
Elle vous vantera fon illuftre naiſſance,
Vous
GALAN T. 103
Vous dira qu'il n'eft point une plus belle Fleur;
Que relevée en éclat , en puiſſance ,
C'est du fang de Vénus qu'elle tient fa couleur,
Et que par fon efprit, fa grace, fa douceur,
Méritant en tous lieux d'avoir la préference ,
Elle a tout cequ'il faut pour conquérir un coeur.
Le Muguet va vous affurer ,
Que qui connoit fon prix , le doit confidérer;
Qu'il a des beautez , du mérite ;
Que bien que fa Fleur foit petite ,
Elle marque à tous fa candeur ;
Qu'elle est en affez bonne odeur
Par tout où le bon gouft à l'eftimer invite ,
Et qu'à certaines Gens elle tient fort au coeur.
La Tubéreufe va vous dire ,
Que de tous les airs qu'on refpire ,
Celuy qu'elle veut parfumer
Fait naiftre le defir d'aimer;
Qu'à la chérir tout le monde s'empreffe ;
Qu'elleinfpire à chacun les plus brulans defirs;
Mais que fi fon odeur fait naiftre la tendreffe ,
Sa Fleur pourroit donner les plus charmans
plaifirs.
Pour le facinte , il faut l'entendre ,
Cette Fleur vous dira d'un air plus fier que
tendre ;
Moy, je ne me vante de rien ,
Je fuis telle que Dieu m'a faite ;
Mais tout le monde fçait fort bien
E 4
Qu'en104
MERCURE
Qu'entre les chofes qu'on fouhaite ,
De tout ce qui s'appelle un bien ,
Il n'en eft point de plus parfaite.
Ma bonne grace & ma beauté
Mettroient en d'autres cours beaucoup de vanité
,
Ma couleur marque ma conftance.
Préfident , fi vouš en avez ,
Je ne veux rien vous dire , vous fçavez
Fufqu'où je fais pour vous aller ma complai-
Sance.
D'autres y fongeroient ; fur cette connoiffance,
Sur l'ardeur de mes foins tant de fois éprouvez,
Soit par juftice , ou par reconnoiſſance ,
Cheiffiffez bien, fi vous pouvez ,
Mais feachez que ce choix fera de confequence,
Quand mon coeur n'eft point fatisfait ,
Fe devins fiere en toute chofe ,
Et dans le choix qui fe propoſe ,
Je vous dis tout franc & tout net ,
Que je croy ſurpaſſer la Roſe ,
La Tubéreufe , & le Muguet.
Préfident, voila mon Bouquet ,
Penfez a l'ordre qu'il impofe.
M' le Préfident Charton choifit
le Jacinte , & apprit en ſuite que
Madame la D. D. B. eftoit la Rofe;
Madame de M. le Muguet ; MademoiGALA
N T.
105
1
demoiſelle C. la Tubéreufe; & Mademoiſelle
B. le Jacinte qu'il avoit
choify. Il donna une magnifique
Collation à ces Dames . Il y eut
cinq Services , entre lefquels des
Hautbois, des Violons, des Théorbes
, des Violes , & des Voix , firent
cinq Choeurs de Mufique. Cette
Fefte fut terminée par le Bal, où
ce Préſident ſe monta auffi galant
parmy les Dames , qu'il eft habile
Homme dans le Palais.
pure
Il eft des Préfens de toute nature.
Tandis qu'on en fait de Bouquets
aux uns, il y en a d'autres qui
en reçoivent d'Abbayes . Le Roy a
donné celle de S. Marcel dans le
Quercy , à M' l'Abbé de Champs.
Elle vaquoit par la démiffion
& fimple qu'en avoit envoyée M²
l'Evefque de S. Pons. L'Abbé dont
je vous parle eft d'un mérite extraordinaire.
Il a toûjours pris de tresgrandes
peines pour fe remplir l'efprit
de toute forte de hautes & de
E 5
rares
106 MERCURE
rares reconnoiffances , & il a eu le
bonheur d'y réüffir avec tant d'avantage
, qu'on le regarde aujourd'huy
comme une Perfonne confommée
dans toutes les belle Sciences ,
mais particulierement dans la Médaille.
L'eftime particuliere qu'en
fait M' l'Archevefque d'Alby, à qui
il a l'honneur d'appartenir , eft un
éloge qui furpaffe de beaucoup ce
que je pourrois vous en dire. Tout
le monde connoit la délicateſſe de
fon difcernement , & de quel poids
a toûjours efté le jugement de cet
Illuftre Prélat , qui eft de la Maifon
des Serroni , une des plus anciennes
& des plus nobles Familles
de Rome. Nous l'avons veu Evefque
de Mande il y a quelques
années .
L'Abbaye de S. Hilaire, aux environs
de Narbonne, a efté donnée
au fecond Fils de M' Lully Surintendant
de la Mufique de la Chambre
du Roy. La mort de M² l'Abbé
de
GALANT.
107
bé de la Barre , Officier de fa Chapelle
, la laiffoit vacante. Si celuy
qui en eft préfentement pourveu ,
devient dans l'Eglife ce que M' Lully
fon Pere eft dans la Mufique , il
fera un des premiers Hommes de fon
Siecle .
M' du Puis , Greffier en chef de
la Cour des Aydes , eft mort dans
le commencement de ce mois . Les
Maladies régnent fort icy. Il y en
a de toute efpece , & comme voicy
la faifon des Eaux, on commence à
en aller prendre de tous coftez par
précaution . Monfieur le Chevalier
de Lorraine , & Monfieur le Marquis
de Segnelay Secretaire d'Etat',
ont choify celles de Vichy en Bourbonnois.
Ils y font depuis quelques
jours. M' de Pont- gibaud Lieutenant
General les a logez . Sa Maifon
eft tres-belle & fort fpatieuſe.
Monfieur le Duc de Bouillon Grand
Chambellan de France, Madame la
Ducheffe fa Femme ,
E 6
Madame la
Con
108 MERCURE
"
Comteffe de S. Aignan , & Madame
la Marquife de Dangeau , Femme
du Gouverneur de la Province
de Touraine , font allez boire de
ces mefmes Eaux , & s'y baigner.
Vichy , fi vous ne le fçavez , eſt
une des plus jolies Villes du Bourbonnois.
Elle eft fituée fur la Riviere
d'Allier qui arroſe ſes Murailles.
Le bon air qu'on y refpire eft
feul capable de redonner la fanté ;
mais ce qu'il y a de fingulier , c'eft
qu'il s'y trouve fept ou huit Fontaines
diférentes , & qui ont toutes
diverfes proprietez, à caufe des Minéraux
par où elles paffent. Il y en a
deux qui font excellentes pour les
vapeurs. Ce mal eft devenu à la mode
, & les Hommes commencent à
n'en eftre pas exempts. Le Couvent
des Capucins qui eſt tres- beau , auffi-
bien que celuy des Celeftins fondez
par les anciens Ducs de Bourbon
, fournit de tres-agreables Promenades.
Tous les Buyeurs d'eau
ont
t les
Lauriers ,
En- tre
le boi- re.
Uniff
T
s
qu'ils
combatent
pour
T
his , Amis , Amis , bu"
GALAN
T. 109
ont la liberté d'y entrer. Vous vous
imaginez bien, Madame , qu'avec
tant de Perfonnes du plus haut rang,
les divertiffemens ne manqueront pas
à Vichy. La joye eft fort neceffaire
pour faire profiter les Remedes .
Celuy qui a fait la Chanfon qui fuit,
en doit eftre perfuadé, puis qu'il ne
parle que de ce qui eft contraire au
chagrin. Voyez - en les Paroles . M'
l'Egu les a mifes en Air.
AIR NOUVEA U.
Pendant que nos braves Guerriers
S'entredisputent les Lauriers ,
Entredifputent nous la gloire
De chanter , de rire , & de boire.
Uniffons nous tous ,
Buvons ; chantous , faifons des voeux ,
Puis qu'ils combatent pour nous ,
Amis, buvons pour eux.
Pour fatisfaire vos Amies qui prétendent
que je vous devois épargner
la peine de leur expliquer la Chanfon
Italienne que vous avez trouvée
dans ma Lettre du Mois de
Mars,
E 7
110
MERCURE
Mars , je vous en envoye la Traduction.
Elle eft tres- fidelle , & il
ne faut pas avoir un médiocre talent
en Poëfie , pour pouvoir donner
un tour agreable à ce qui eft
traduit fidellement.
Traduction de la Chanfon Italienne
du Mois de Mars , qui commence
par , Quefta belle d'amor nemica.
Cette Belle qu' Amour n'a jamais pú toucher,
Dont le coeurfut toujours anffi dur qu'un Rocher,
Eft la jeuns Climene.
Qnoy que je brûle jour & nuit ,
Quand j'ofe luy parler de l'excés de ma peine ,
D'un oeil plein de couroux auffi- toft l'Inhumaine
Me regarde s'enfuit.
Cette Ingrate que j'aime
Ne veut pas feulement écouter mes malheurs,
Ny voir couler mes pleurs .
Bergere, que pour moy ta rigueur eft extréme!
Ton ame eft mille fois
Plus infenfible que nos Bois.
Ah, fi tu ne veux pas , cruelle ,
Entendre foûpirer
Le coeur de ton Amant fi tendre & fi fidelle,
Du moins ouvre les yeux pour le voir expirer.
Ces Vers font du Fils d'un Auditeur
GALAN T. III
diteur de la Chambre des Comptes
de Dijon. C'est tout ce qui m'en eft
connu . Cependant quand vos Amies
devroient encor murmurer
elles n'auront que par vous l'intelligence
du Sonnet Italien que je vous
envoye . A dire vray , je ne croy
pas qu'il foit poffible de le traduire,
& d'en conferver les graces. La Poëfie
Italienne a des élevations dont
noftre Langue ne fçauroit s'accommoder.
Ce Sonnet eft adreffé au Roy.
Le nom de l'Autheur eft au bas .
AL INVITISSIMO

LUIGI X I V.
Inclito Ré, Tu de la Guerra il Nume
De Traci ad onta onnipotente fei :
Del cui cimier nell' ondeggianti piume
Nuotano le vittorie , ed'i trofei.
Sparfi di polue gia' prifco coftume
Gli Eroi deificò ne campi Elei ;
E tra gli aftri brillar gemino lume
Fe' la garrula Grecia i due Amiclei.
Pur del tuo Nome in paragon che furo ?
Nome
112
MERCURE
Nome cui de le Gallie il giro é angusto :
Nome che rende ogn' altro nomo ofcuro.
Deh venga il di' che di trionfi onufto
(Poëfico furor fuela il futuro )
Tadori il Mondo incoronato AUGUSTO .
Del D. A. PAJOLL , Ferrarefe.
Dans le temps du depart du Roy
pour fa feconde Campagne de cette
Année , M' l'Abbé Minot dont le
talent pour la Chaire eft fort connu
, expliqua ainfi les Voeux de la
France.
SONNET.
Que de Louis LE GRAND le Nom
ft venérable,
Si charmant & fi doux, à fes Peuples foumis ,
Soit malgré les efforts de nos fiers Ennemis ,
En tous lieux , en tout temps , augufte &
venérable !
Que le Cielà fes voeux foit toûjours favorable,
Pour punir les excés que l'Empire a commis ;
Qu'à la jaloufe Espagne il ne foit plus permis.
De douter que fon Bras eft unBras indomptable.
Que du Levant au Nort il porte la terreur ,
Que loin de nos Climats il banniffe l'Erreur,
Pour
GALAN T. 113
Pour couronner par là fes Campagnes paſſées,
Que fa Sageffe enfin pour combler nos fouhaits.
A des Lauriers cueillis dans des Saifons glacées,
Foigne deffus fon Front l'Olive de la Paix.
Le Madrigal qui fuit eft d'une
Dame qui a infiniment du mérite .
Je ne vous dis rien de fon Efprit ,
vous en jugerez par fes Vers. Si elle
eftoit infaillible dans ce qu'elle
veut quelquefois deviner , le Tirfis
dont elle parle auroit fujet de fe croire
heureux , car la Bergere eft des
plus aimables , & la gloire d'avoir
quelque place dans fon coeur feroit
une des meilleures fortunes qu'il puft
efperer.
MADRIGAL.
LA Bergere Lifette
Dit qu'elle n'aime rien ,
Pas mefme fa Houlete ,
Son Troupeau , ny fon Chien.
Cependant quand Tyrfis la trouve fur l'herbete,
Ou qu'il va dans fa Maifonnete ,
On connoift bien par fa rongeur,
Et
118 MERCURE
Et par un air tout languiſſant & tendre ,
Que fi cette Bergere eft encor à fe rendre ,
Elle aura bientoft un Vainqueur,
On fe perd quelquefois heureufement.
Un Cavalier auffi galant
que fpirituel , en fit l'épreuve ces
derniers jours. Il eftoit d'une Partie
de Chaffe dont une Perfonne fort
qualifiée donnoit le divertiffement
aux Dames , apres une abfence de
deux ans. On couroit le Chevreüil.
Le Cavalier qui ne connoiffoit pas
trop le Païs, s'enfonça fi avant dans
le Bois en pouffant la Befte , qu'apres
l'avoir perdue , il perdit auffi
le chemin. Il marcha une demy- heure
à l'avanture , & s'eftant trouvé
dans un Taillis où il y avoit de l'eau,
la crainte de s'embaraffer mal- à-propos
l'obligea de s'arrefter. Cette
crainte ne l'inquiéta pas longtemps.
Le bruit d'un Chariot qu'il entendit
d'affez loin , le fit tourner de
ce cofté-là. Il fut agreablement furpris
d'y trouver une fort aimable
PerGALAN
T. 115
Perfonne, âgée tout au plus de dixhuit
ans. Elle eftoit à pied avec une
Canne à la main , & marchoit devant
le Chariot en fe promenant.
Le Cavalier qui defcendit de cheval
fi-toft qu'il la vit , la pria fort
civilement de luy enfeigner fa route.
La Belle s'offrit à l'y remettre ,
s'il vouloit fe laiffer conduire. Le
Party eftoit trop avantageux pour
le refufer. Ils marcherent enſemble
environ une demy- heure , Le Cavalier
avoit toûjours les yeux attachez
fur elle. Elle méritoit bien qu'on la
regardaft . Voicy fon Portrait . La
taille tres- belle ; le vifage ovale; les
yeux noirs , touchans , & pleins de
feu ; le teint vif & fort blanc ; les
cheveux bruns ; la bouche vermeille
; le haut de la gorge tres- beau ,
car le Cavalier ne vit rien de plus ;
les bras ronds , quoy qu'un peu gros;
& enfin toute propre par fon air enjoué
à infpirer de l'amour au plus
infenfible. La délicateffe de fon efprit
116 MERCURE
prit répondoit aux agrémens de fa
perfonne , & vous jugez bien que
jamais rencontre ne fut plus agreable
au Cavalier. Il pouffa la fleurete
, dit cent chofes obligeantes , &
elles furent écoutées d'une maniere
à faire croire que ce qu'il difoit ne
déplaifoit pas. Ils avancerent toûjours
, & fe trouverent infenfiblement
dans une Allée qui conduifoit
à un petit Bois. Ils y furent à peine
entrez , que le Cavalier découvrit
un Chaſteau qui eftoit au bout.
La Belle luy dit qu'il appartenoit à
fa Mere , & qu'elle ne l'y amenoit
que pour luy faire reprendre plus
aifément fon chemin. Elle adjoûta
qu'elle n'avoit plus de Pere, & qu'elle
eftoit en état de fe marier. Le
Cavalier fe trouvoit trop bien de la
converfation de cette aimable Perfonne,
pour ne s'arreſter pas dans le
Chafteau. Il falüa la Mere qui eftoit
affez âgée, s'étendit fort fur ce
qu'il devoit à l'honnefteté de fa Fille
qui
GALAN T. 117
le qui l'avoit empefché de s'égarer ,
& apres un entretien de demy-heure
fur des chofes genérales , il vit
fervir la Collation. Ce n'eftoit pas
ce qu'il demandoit . Au lieu de manger,
fes yeux fe raffafierent de toute
leur force fur la belle Avanturiere
; & la Merè eftant fortie pour
quelques ordres qu'elle eut à donner,
le Cavalier prit ce temps pour
dire de nouvelles douceurs. Elles furent
fi favorablement écoutées, qu'on
auroit efté plus loin fur les déclarations
, fi plufieurs Dames qui arriverent
ne les euffent interrompus .
Le Cavalier voyant qu'elles reftoient
à coucher , & qu'il feroit malaiſé
qu'il puft encor trouver un quartd'heure
de converfation particuliere
avec la Belle , prit congé de la Mere
, avec promeffe de la revoir au
premier jour. Il auroit tenu volontiers
parole , fans un long voyage
qu'un intereft de gloire & de fortune
ne luy permettoit pas de diférer.
118 MERCURE
rer. L'Avanture aura peut-eftre de
la fuite à fon tetour, & je ne manqueray
pas à vous en écrire les nouvelles
particularitez.
Je vous envoyay la derniere fois
une Réponſe à une Belle de ce qui
s'eftoit paffé dans une Affemblée
d'Amours touchant le nom de Mufette
qu'ils avoient arrefté qu'elle accepteroit
. Cette aimable & fpirituelle
Perfonce a crû devoir prendre l'intereſt
de fon Berger , & voicy ce
qu'elle a écrit à cet inconnu Rival
qui a voulu fe mefler de fes affaires.
LA MUSETTE ,
A celuy qui prend le Nom
de fon Chien.
Vous , Amant inconnu , Daphnis
Alcidon , ou Damon (car dans la foule
je ne vous reconnoispoint) pourquoy vous
meflez- vous de répondre pour moy à la
Lettre de mon Berger, & pourquoy me
faiGALAN
T. 119
faites- vous dire des chofes dont vous n'eftes
pas trop bien inftruit? Ilfémble que vous
tachiez à me faire trouver mauvais
qu'il m'ait donné le nom de Mufette.
Mais fçachez que j'ay mes raiſons
Pour en demeurer fatisfaite :
Payant comme je fais mon Berger de
Chanfons ,
Ne fuis-je pas une Mufette ?
Je n'ay pas fait les chofes à la legere
pour m'en repentir fipromptement. Fay
trop bien examiné ce nom avant que de
Paccepter. Les Amours me l'avoient
donné , & cela fuffifoit pour m'obliger
à y regarder de pres. Fe fçay bien que
tout ce qui vient de ces petits Libertins
doit eftrefufpect , & qu'il eft bon de voir
filon ne s'engage point trop en recevant
des Noms , où tout autre qu'eux n'entendroit
point de finesse . Je n'euffe pas
reçeu celuy qu'ils m'avoient choify , fije
n'euffe bien fait reflexion qu'un Berger
peut chanter avec fa Mufette tant de
Chanfons tendres qu'il luy plaira , fans
qu'el120
MERCURE
qu'elle foitpour cela obligée d'en reſſentir
la tendreffe. Elle est naturellement infenfible
, comme vousfçavez , quoy qu'elle
infpire de l'amour à ceux qui l'écoutent.
Par mes fons amoureux on metrouve
charmante ;
Mais me touche-t'on ? nullement.
Pour mon Berger je chante tendre-.
ment ,
Et ne fens rien de tout ce que je chante .
D'autre cofté il a beau chanter des
Chanfons triftes & plaintives , je ne partage
point fa trifteffe . C'est ce mefemble.
eftre affez heureufe, & je ne changerois
pour rien ma condition de Mufette , à
celle de Bergere que vous m'offrez. J'avoue
cependant que vouloir eftre mon
Chien , c'eft marquer affez de foûmif
fion , mais un Chien ne me touche pas ;
& fi vous en voulez fçavoir laraison,
Il eft cent libertez qu'il luy faut accorder
,
Il ne fçauroit exprimer fes tendreffes,
Que par d'importunes careffes ,
Dont je ne puis m'acommoder.
AinGALAN
T. 121
Ainfi en qualité de Chien vous feriez
malheureux avec moy. Je ne remarque ,
qu'une bonne qualité dans ces Animaux
là , c'est la fidelité qu'ils ont pour
leurs
Maiftreffes. Mais mon Berger m'ayant
juré de n'avoir jamais d'autre Mufette
que moy, il faut que je me donne le
loifir d'éprouver s'il ferafidelle , avant
que jepuiffe examiner s'ilmeferoit avantageux
de vous écouter.
Je vous ay déja appris que M
l'Abbé Poncet , Fils de Mr Poncet
Confeiller d'Etat ordinaire , & Neveu
de M'l'Archevefque de Bourges
dernier mort, avoit efté fait Evefque
& Comte d'Ufés. Il fut Sacré ces
jours paffez en l'Eglife de Sorbonne.
Vous fçavez qu'il eft Docteur de
cette Maifon , & quand je vous diray
qu'il s'y eft fait diftinguer fouvent
fur les Bancs par les Actes publics
, ce fera feulement repéter ce
que je croy vous en avoir déja dit
dans quelqu'une de mes Lettres. On
May.
F
con122
MERCURE
connoit le talent qu'il a pour la
Chaire , & toutes les Perfonnes de
bon gouft en rendent un témoignage
fi avantageux , qu'il feroit inutile
d'y rien adjoûter. Sa Maiſon eft tresancienne.
L'Hiftoire en fait mention
fous le Regne de Loüis XI, en
parlant d'un Poncet de la Riviere
qui eftoit alors dans des Emplois
tres-confiderables de l'Armée . Cette
Maiſon eft dans les Alliances des
premieres , tant de la Robe que de
l'Epée , comme font celles des Seguiers,
des Picards , de la Riviere, des
Boëtes , & des Vialars , qui nous ont
donné des Chanceliers , des Ducs, &
des Marefchaux de France. Mr Poncet
de la Riviere, Maiftre des Requeftes
, & Préfident au Grand Confeil,
eft Frere du nouveau Prélat dont je
vous parle . Ila efté Intendant d'Alface
, & en fuite de la Lorraine &
Païs Meffin , Charleville , & c. C'eſt
un des plus importans Emplois du
Royaume , & dont trois Intendans
font
1
GALAN T. 123
font prefentement chargez . Le Roy
qui l'ayoit amené d'Alface avec luy
pour le mettre dans ce Pofte , luy
donna l'Intendance de Berry ( où il
eft encor) en mefme temps qu'il nomma
feu M Poncet fon Oncle à
l'Archevefché de Bourges . Je ne vous
dis rien de Madame Poncet fa Femme.
Vous la connoiffez , & je me
fouviens de vous avoir entendu dire
plus d'une fois qu'avec un brillant
& une vivacité pareille à la fienne ,
il eftoit rare de trouver autant de
conduite qu'elle en a , mais il n'y a
pas lieu de s'en étonner. Elle eft formée
fur de grands exemples , & ils
luy font trop chers pour ne les pas
fuivre.
M'le Tellier Aumofnier de la Reyne
, & Curé de S. Severin , avoit eſté
Sacré Evefque de Digne , ' quelques
jours avant M l'Evefque d'Ufés.
La Reyne luy fit l'honneur de vouloir
eftre préſente à cette Cerémonie.
Elle eftoit accompagnée de Made-
F 2
moi124
MERCURE
moiſelle d'Orleans & de Madame de
Guife.
M' Lizot a fuccedé à ce Prélat
dans la Cure de Saint Sevrin . C'eſt
un Homme qui poffede parfaitement
la Religion , & qui en preſche les
Maximes avec une facilité admirable
. Ce talent foûtenu d'une grande
pieté , d'une libéralité fans referve
envers les Prifonniers & les Pauvres,
& d'un zele infatigable pour les avantages
du prochain , l'avoit fait fouhaiter
pour Paſteur à Mademoiſelle
d'Orleans . Jamais Promotion n'a efté
plus Canonique , ny prife de Poffeffion
accompagnée d'une plus grande
foule de Peuple. Toute l'Eglife eftoit
pleine , & on n'a point à douter
qu'il ne faffe de tres- grands fruits
dans la difpofition où font fes Paroiffiens
de recevoir fes Inftructions
avec lafoûmiffion qu'ils luy doivent .
L'Abbaye du Lys , pres Melun ,
de l'Ordre de Saint Bernard , ayant
efté donnée à Madame Colbert , elle
fut
GALAN T. 125
fut Benite il y a huit ou dix jours ,
en l'Abbaye de Port Royal , du mefme
Ordre , par Monfieur l'Archevefque
de Paris. Elle eft Soeur de Monfieur
Colbert Miniftre & Secretaire
d'Etat. Il fuffit de ce Nom pour
faire juger de fon efprit & de fon
mérite. La Reyne honora cette Cerémonie
de fa préfence. Mademoifelle
d'Orleans , Mademoiſelle de
Blois , & Mademoiſelle de Bouillon ,
l'y accompagnerent. Un grand nombre
de Prélats s'y trouva auffi , avec
plufieurs autres Perfonnes du premier
Rang. Mademoiſelle de Bouleon
qui demeure dans cette Abbaye
de Port Royal fut prefentée à la
Reyne par Madame Colbert. Ce
n'eft encor qu'un Enfant , mais dont
les qualitez font au deffus de fon
âge. Madame la Princeffe d'Harcour
préfenta auffi à Sa Majefté Mademoiſelle
de Fontange. C'eft une Perfonne
tresaimable. Elle a de la beauté
, & Madame la Princeffe Pala-
F 3
tine
126
MERCURE
tine l'honore d'une protection particuliere.
Elle doit entrer Fille d'Honneur
de Madame à la premiere Place
vacante. M' le Comte de Roufelle
eft fon Pere , & fa Maifon , une
des plus Illuftres de Limoufin. Elle
eft allié de Monfieur le Marefchal
de la Ferté , de Monfieur le Marefchal
de la Feüillade , de Meffieurs
de la Chaftre, & de plufieurs autres
Perfonnes de la premiere qualité.
Monfeigneur le Dauphin , dont
les grandes qualitez fe font tous les
jours admirer de plus en plus, continue
fes Exercices avec des progrés incroyables.
Cette matiere, fi digne d'ocuper
les meilleures Plumes, a fourny
de nouvelle idées à M'du Matad'Emery
. Il a déja fait parler fi agreablement
les Chevaux de Manege
dont ce jeune Prince fe fert, que vous
pouvez vous promettre beaucoup de
plaifir de ce qu'il fait dire à la Renommée.
Un peu d'audience. Vous ne
ferez pas fâchée de l'écouter.
LA
GALANT. 127
LA
REN OM ME E
A MONSEIGNEUR
LE DA UP HIN.
Fallois un jour à haute voix
Semer fur la Terre & fur l'Onde
Les incomparables Exploits
Du plus grand Monarque du monde.
Feftois prefte à prendre l'effor ,
Et j'avois étendu mes aiſles ;
Fallois déja donner du Cor,
Pour faire écouter mes nouvelles .
Quand Mars venu fubitement ,
Me fait connoiftre qu'il defire ,
Que pour luy j'arreste un moment ,
Et qu'il a beaucoup à me dire.
C'est le moins qu'on doive à celuy
Dont l'employ m'eft fi neceffaire,
Et qui feul m'empefche aujourd'huy
De m'ennnyer & de me taire.
&
Promptement , luy dis-je , en deux mots ,
A vous oüir je me difpofe ;
Loüis, le plus grand des Héros ,
Ne permet pas que je repofe.
F 4
Alors
128
MERCURE
Alors ce Dieu tout glorieux
De la grandeur de fa matiere ,
La fierté peinte dans les yeux.
Me parla de cette maniere.
Va , dit-il , va , fendant les airs
D'une rapide violence ,
Apprendre dans tout l'Univers
Les Prodiges que fait la France.
Va publier les grands Exploits,
Et les Campagnes renommées
Quefait le plus vaillant des Roys
Ala tefte de fes Armées .
Que mille Peuples inois,
Dont les moeurs font les plus farouches
Apprennent le Nom de Louis ,
Par ce qu'en diront tes cent bouches.
Fay qu'il ne foit Rocher affreux ,
Ny Valon , qui n'en retentiſſe ,
Et que de fes progrés heureux
Tout l'Univers fe réjouiſſe.
En parlant de ce Conquérant
Dans l'un & dans l'autre hémisphere ,
Dy que fon Pils eft le plus grand
Des Miracles qu'il a feu faire.
Qu'il eft aux beaux Arts élevé ;
Que fous les Maiftres qui l'avancent ,
Il paroift un Prince achevé
A l'âGALA
N T .. 129
Al'âge où les autres commencent.
Que fon Efprit a le beau tour ,
Et fait tout avec tant de grace ,
Qu'il femble que le Dieu d'Amour
L'ait fait naiftre fur le Parnaffe.
Qu'eftant le mieux fait des Humains
Il poffede un coeur intrépide ,
Un coeur fait de mes propres mains ,
Que je gouverne que je guide.
Que feûr de porter la terreur ,
S'il fe déclare & s'il menace ,
Il peut aller de coeur à coeur
Avec tous les coeurs de fa Race.
Va donc , vole, mais fouviens - toy
Que pour faire ce qu'on fouhaite.
Et fournir à ce grand employ ,
Il te faut plus d'une Trompete.
Si-toft que Mars eut achevé
De m'entretenir de la forte ,
Je pris un vol plus élevé ,
Et me fis une voix plus forte.
Voy , luy criay-je , avec quel foin ,
Volant plus haut qu'à l'ordinaire ,
Je rens tout l'Univers témoin
Des vertus du Fils & du Pere.
Voy par moy leurs noms glorieux
Portez , fans que ce foin me laffe ,
F 5
Fus130
MERCURE
Fufqu'au fein de ces Demy-Dieux
Aqui les Aftres ont fait place.
Bientoft la Terre en parlera ,
L'Ocean ne pourra s'en taire ,
L'Air par tout en retentira ,
Voila tout ce que je puis faire.
Mars parut fort content de moy ,
Et s'en retournant à l'Armée ,
Nous nous difmes de bonne-foy,
Adieu Mars , adieu Renommée.
Le Tableau qu'on expofe tous les
Ans à Noftre-Dame pendant tout
le Mois de May, a efté trouvé cette
Année un des plus beaux qu'on
y ait veus depuis fort long- temps.
Il reprefente le Paralytique . Les
Connoiffeurs en admirent fur tout.
l'Architecture. Ce Tableau a efté
fait par M Boulogne , & donné
par M" de Villers & Guillard , Marchands
Orfevres & Joüailliers.
Les Vers qui fuivent m'ont paru
fi naturels pour une Amante trahie
, que j'ay crû vous les devoir
envoyer, au hazard que vous les
ayez
& charman
il nous a
67 43
3 t
65
43
a pro

GALAN T.
* 13 1
$
ayez déja veus , car on les chante
icy depuis quelques jours. C'eft
pour cela que je n'y ay point adjoûté
la Note. Ils font de Mr Marcelle.
M ' de la Tour les a mis en Air.
Le
CHANSON.
e Printemps m'ofre en vain fes plaifirs innocens
,
Je ne vous verray plus , Boccages renaiſſans ,
Où l'amour de Tyrfis m'a tant defois charmée.
Sous vos ombrages verds il me donna fa foy ,
L'Infidelle a changé , je n'en fuis plus aimée.
Printemps , Plaiſirs , Amours, tout est passé
pour moy.
Si l'envie de chanter vous prend,
vous pouvez la fatis-faire. Voicy un
Air tout nouveau , & dont j'ay fait
graver les Notes pour vous. Ainfi
vous ferez affurément la premiere
qui l'aurez chanté. Il eft de Mr
Berthet qui l'a fait fur ces Paroles .
AIR NOU VE A U.
Que l'Amour flate doucement !
Qu'il eft agreable& charmant ,
Lors qu'il veut engager un coeurfous fon empire.
F 6 Mais
132
MERCURE
Mais belas , le cruel , quand il nous afoûmis,
Et qu'on ne peut plus s'en dédire !
Qu'il tient mal ce qu'il a promis ,
On eft tous les jours trompé en
amour , & il fe fait fans ceffe de
nouveaux engagemens. La Lettre
que je vous envoye d'un Amant defefperé
, devroit fervir de remede
contre cette paffion , fi on examinoit
à quoy l'on s'expofe avant que
de s'embarquer ; mais les premieres
amorces de l'amour font fi flateuſes,
qu'on s'en laiffe toûjours féduire ,
& on ne fonge à luy refifter , que
quand on n'a plus de forces pour le
combatre. Il n'y a rien à mon fens
de mieux touché que cette Lettre. Je
ne fçay fi elle aura paru touchante
à la Dame , mais je fçay qu'elle eſt
fort digne de voftre admiration.
LETTRE.
Avez- vous oublié , Madame , le de-
Sefpoir où vous me viftes hier, ou avez
vous pû croire que ce feroit l'adoucir, de
me
GALAN T.
133
me faire aller chez vous pour vous voir
jouer à la Baffete ? Quelle confolation
pour moy de vous avoir trouvée dans
une gayeté extraordinaire , & de vous
entendre louer vous - mefme voftre beauté
; Vous m'avez laiffe fortir fans me
dire une feule parole , & vous fçavez
avec qui je vous ay laiffée. La journée
d'un Malheureux pouvoit - elle mieux
finir? Quel trouble ! quelle peines ! Que
n'ay jepoint fouffert? Ilfaut, Madame,
que vous ayez ungrand fonds d'inhumainité,
fi vous n'en eftes bien contente; &
fi ceux qui m'ont veu nefont pas perfuadez
que je vous aime, ils s'y connoißent
peu. Mais, Madame , cela ne vous regarde
pas, ils ne fçauroient me croire amoureux
fans me croire miferable. La
trifteße & le defordre où ils m'ont veu,
ne peut leur avoir permis de feparer ces
deux chofes. Ne vous contraignez point,
Madame. Vous voulez me faire mourir,
& je ne doispas avoir de peine à m'y réfoudre.
Quelle mort peut-il y avoir qui
ne foit preferable à tout ce que vous me
F 7 fai134
MERCURE
faites fouffrir depuis fi longtemps ? Ce t
n'est pas une exagération , vous ne le
Sçavez que trop. Peut - on imaginer quelque
chofe que je n'aye fait pour vous
plaire, ou pour me guérir , & peut-on
l'avoir fait plus inutilement ? Dans cés
états fi oppofez , que n'avez- vous point
veu de moy, & de quel il l'avezvous
ven ? Mais fi la paffion la plus
refpectueufe, la plus vive, & la plus tendre
qui fut jamais , n'a pu toucher voftre
coeur, vous ne pouvez pas trouver
étrange que toutes vos rigueurs , & la
mort mesme que vous m'avez fait voir
fi fouvent & de fi pres n'ayent pû détacher
le mien. Quand on a ofe vous aimer,
Madame , peut-on fe retrouver fenfible
à quelqu'autre chofe ? Vaftre perfonne,
voftre efprit, & voftre coeur, n'effacent¬
ils pas jufqu'aux idées de tout ce qui
peut plaire ou divertir? Cependant il eft
vray, Madame , & je ne puis m'empefcher
de vous le dire encor , mais c'eft
pour la derniere fois, je ne dois pas me
prendre à moy feul de l'accablement où
je
GALAN T.
135
je fuis enfin parvenu. C'est dans lefonds
le pur ouvrage de vos mains , foit que
ma paffion vous ait plus, foit parce qu'on
veut rarement fe défaire d'un Homme
dévoué par amour. Enfin directement ,
ou par vos manieres , aux defpens de
mon repos, & au péril de mapropre vie,
vous vous eftes toujours oppofée aux efforts
que j'ay voulu faire pour vous
quiter. Il est vray qu'ils ont efté inutiles
dans la fuite , mais peut- eftre qu'ils
ne Peuffent pas efté dans les commencemens.
Si vous n'aviez affoibly ma raifon
, j'ofe croire qu'elle enft pû alors fe
rendrelaplusforte. Les pensées que vous
avez eu pour ma fortune, tant de marques
d'eftime & d'amitié que j'ay reçeu
de vous , ont encor achevé de me perdre.
J'avoue , Madame , que toutes
ces chofes auroient efté d'un prix ineftimable
dans un coeur libre ; mais quene
m'ont- elles point coufté ? Vous fçavez
qu'elles ont foûtenu mes foles efperances,
& ranimé mille fois mon attachement .
Faites moy juftice, Madame. Un Homme
136
MERCURE
me éperdu d'amour pouvoit - il avoir la
veuë affezbonne pour penétrer qu'à travers
tant degraces de vostre part, & tant
de conftance de la fienne , il ne feroitjamais
heureux ? Que ne vous dirois je
point là-deßus, Madame, fi je me laiffois
allér à tout ceque me vient dans l'efprit ?
Mais ne fçay-je point affez l'inutilité de
mes difcours & de mes plaintes , & ne
voisje pas depuis quelque temps que vous
eftes occupée à tant d'autres chofes, que
tout ce que je vous dis vous aigrit ? La
Perfonne du monde qui vous plaift le
moins, n'a qu'à m'interrompre pour eftre
bien reçenë, & cette dureté me touche
d'autant plus vivement , qu'elle n'a pas
toûjours efté fi grande . Je vous demande
pardon, Madame . La crainte quej'ay
de vous fâcher , me fait fentir que je
vous parle trop librement . Vous fçavez
que fi j'ay en quelquefois de la force pour
foutenir ma deftinée , je n'en ay jamais
eu pour foûtenir voftre colere. Dans ce
moment mefme où je n'ay plus rien à
ménager, je metrouve également penetré
de
GALAN T. 137
de cette crainte. Adieu , Madame , A
dieu. Jeprens enfin le party dont je vous
ay parlé fi fouvent. Fabandonne ma
fortune. Je quite Paris & la Cour
pour toutema vie. Je ne fçaurois y eftre
fans vous voir, ny vous voir fans me
redonner à vous , & c'est le feul péril
que je puiffe craindre en l'état où jefuis.
-
Monfieur de Valencé , Grand
Prieur de France , eft mort à Malte
depuis fix femaines , dans fa foixante
& quinziéme année , apres avoir
rendu à la Religion & à l'Etat tous
les fervices qu'on pouvoit attendre
d'une Perfonne de fon rang. Sa maladie
commença par une écorchure
qu'il fe fit luy-mefme à un cors qu'il
avoit au petit doigt du pied. Il la
négligea quelque temps , & n'en
avertit fon Chirurgien que quand il
vit le mal augmenter. La gangrene
fe mit à la playe. Le Chirurgien qui
s'en apperçeut , luy coupa auffitoft
les deux doigts les plus voifins du
mal,
138
MERCURE
mal , & cette opération luy caufa
une fievre fi violente , qu'il en mourut
trois jours apres. Il a confervé
jufqu'à fon dernir foûpir un raiſonnement
admirable , & fait paroiftre
dans fon mal une force d'efprit &
une patience furprenante. Il eftoit
de la Famille de Meffieurs d'Etampes
de Valencé , dont le nom eft fi recommandable
dans l'Hiftoire , par
les belles actions de tant de grands
Hommes qui l'ont porté. Il ne l'a
point démenty , & il s'eft toûjours
acquité avec tant de gloire des importans
Emplois qui luy ont efté confiez
, qu'il en a merité l'applaudiffement
de tout le monde. Feu M' de
Valencé fon Pere fut General des
Armées du Roy , apres avoir paſſé
par une infinité de Charges tres-confidérables.
Il fut Gouverneur de
Montpellier , quand cette Ville eut
efté prife fur les Huguenots , & il
eut en fuite le Gouvernement de
Calais. Il eftoit Pere de Mr le Cardinal
GALAN T. 139
dinal de Valencé , de M' l'Archevefque
de Rheims du mefme nom ,
de Madame de Puifieux qui mourut
l'année derniere , & de Madame
la Doüairiere d'Hocquincour.
M' le Grand Prieur de France
dont je vous parle , avoit l'efprit
extrémement vif & penétrant , &
capable de grandes Négotiations. Il
n'avoit que quinze ans quand il alla
faire fes Caravanes à Malte. Il n'y
fut pas longtemps fans trouver les
occafions de fe diftinguer. Celle d'un
Combat que firent cinq Galeres de
cette Illuftre Religion avec fix de
Barbarie , luy fut favorable. Il y
donna des marques de valeur fur-
.prenantes , & elles le furent d'autant
plus , qu'on ne les attendoit pas de
luy dans un âge fi peu avancé. Cependant
ayant efté accablé par le
grand nombre des Ennemis , il fut
fait Efclave , & mené à Alger par
Amurat Commandant des Galeres de
Barbarie , avec deux de celles de
Mal140
MERCURE
9
Malte qui ne pûrent éviter d'eftre
prifes. Ce Commandant qui connoiffoit
la force du Génie de M'de
Valencé , joignit les menaces aux
promeffes pour luy faire renier fa
Foy , mais ce fut inutilement . Il
demeura trois ans dans l'esclavage ,
& ce Baffa le voyant inébranlable
dans fes fentimens , fut enfin obligé
de recevoir trente mille livres qui
luy furent payées pour fa rançon. Il
s'eftoit acquis un fi grand crédit dans
l'efprit de ces Barbares , qu'il racheta
fur fa parole fix Chevaliers François
& Efpagnols qui s'eftoient trouvez
dans la mefme occafion. Eftant de
retour en France il fut Lieutenant
des Gardes de feu Monfieur le Prince
de Condé , & un peu apres on
luy donna le Commandement d'une
Galere de Malte , où il fit des chofes
qui paffent tout ce qu'on en peut
dire, dans la furpriſe de la Ville de
Sainte Maure dans la Morée , & de
la Mahomete dans le Levant. Son
mériGALAN
T.
141
mérite avoit tellement paru , que le
Grand- Maiſtre de Paul luy donna
par grace la Commanderie de Nantes
, & en fuite celle de Mets. Le
Grand- Maistre de Lafcaris qui fucceda
au Grand- Maiftre de Paul , le
fit Ambaffadeur de l'Ordre en Cour
de Rome, & apres , à la Republique
de Venife. Il fut employé dans
les plus importantes Négotiations
qui fe traiterent en ce temps -là. Sa
Majefté le fit Commandant General
de l'Armée Navale fous Monfieur
le Duc de Richelieu pendant les
Guerres Civiles qui troublerent le
repos de la France en 1652. En
fuite il fut nommé à l'Ambaffade
Extraordinaire de Rome , où il demeura
trois ans dans des magnificences
dignes de la grandeur du Maiſtre
qui l'envoyoit . La Cour fut fi contente
de fes Négotiations , qu'elle
luy donna la Survivance des Abbayes
de Bourgüeil & de Champagne
, dont feu M' l'Archevefque de
Rheims
142
MERCURE
Rheims joüiffoit alors . Sa mort luy
en affura bientoft la poffeffion . On
le fit Grand- Croix de grace , & aprés
avoir eu plufieurs Commanderies ,
il fut pourveu du Grand - Prieuré de
Champagne , & en fuite de celuy
de France en l'année 1670. Outre
qu'il s'en eftoit rendu tres-digne , le
Pape qui avoit pour luy une eftime
toute particuliere , fut bien-aife de
reconnoiſtre par là les fervices fignalez
qu'il avoit rendus au Saint Siege,
lors qu'il fut General de l'Artillerie
de l'Eglife fous le Pontificat
d'Urbain VIII . Les Barberins ont
toûjours eu une grande venération
pour fa mémoire, à caufe qu'il appaifa
par fa prudence & par fes foins
les Diférens que cette Maiſon avoit
avec celle des Pamphiles dont le Pape
Innocent X. eftoit forty. Les Papes
fuivans l'ont toûjours honoré de leur
bienveillance , & fur tous , Clement
IX. qui luy écrivoit fouvent. Il
eftoit dans une fi grande confidération
GALAN T.
143
·
-
tion à Malte , que les refpects qu'il
recevoit de tout fon Ordre luy donnoient
lieu de fe regarder comme un
Sujet deſtiné à remplir la place de
Grand Maiftre . C'eſt un honneur où
il feroit fans doute parvenu , fi la
mort n'euft trop toft finy fa vie. Sa
charité n'eftoit pas la moindre de
fes vertus. Les Peuples en reffentoient
des effets tres-avantageux , &
on peut dire qu'en le perdant , ils
ont perdu leur Pere & leur Protecteur.
Je ne vous parle point de
fa Maiſon. Il y en a peu de plus anciennes
dans toute l'Europe, ny qui
ait de plus belles Alliances. Vous
fçavez , Madame, qu'elle en a une
fort étroite avec celle de Montmorency,
Madame de Valencé, Bellefoeur
de feu Monfieur le Grand
Prieur , eftant Soeur de Monfieur
le Duc de Luxembourg , & de Madame
la Princeffe de Meklebourg.
Monfieur le Chevalier de Vendofme
avoit la Survivance du Grand
Prieu144
MERCURE
Prieuré qu'il laiffe vacant . Celuy de
S. Jean de Latran de Paris , qui eſt
un tres beau Benefice , y eft toujours
joint . L'Abbaye de Bougüeil
qu'il poffedoit , a efté donné à M¹
de Courtenvaut , Fils de Monfieur
le Marquis de Louvois. Le Baftiment
en eft admirable. Monfieur le
Marquis de Monchevreuil du Païs
Véxin, Homme qui a beaucoup de
naiffance & de fervices , a obtenu
pour fon Fils l'autre Abbaye de Monfieur
de Valencé.
On fait des Epitaphes d'un cofté,
& des Epitalames de l'autre. En
voicy un qui fut fait inpromtu ces
derniers jours fur le Mariage de M
Richon, Petit-Fils du feu Tréforier
de France de ce nom , & de Mademoifelle
de Bigot , Fille de M' de
Bigot Receveur General pour la
Taxe des Charges Royales du Reffort
du Parlement de Bordeaux . Mr
Barré en eft l'Autheur. Il a beaucoup
de talent pour la Poëfie, quoy
que
GALAN T.
145
Es
que dans un âge tres-peu avancé .
La Demande à Iris eft de luy, auſfi-
bien que les trois Pieces fuivantes
que vous avez veuës dans ma
Lettre du Mois d'Avril .
IN PROMPTU.
Defcendez , charmante Cypris ,
Voyez cet heureux aſſemblage,
Et tâchez d'achever l'ouvrage
De l'Amour voftre Fils.
Vivez contens , vivez heureux Epoux ;
Que chacun de vous s'intereſſe
A faire paroiftre fans ceffe ,
S'il fe peut , un amour plus doux.
Faites que dans votre jeuneffe
Vous ne voyez que de beaux jours z
Faites qu'une belle vieilleffe
Couronne vos tendres amours.
J'adjoûte deux Madrigaux qui
font d'un caractere bien oppofé. L'un
eft d'un Amant content , & l'autre
d'un Amant plaintif. Il y en a toûjours
eu de toutes manieres.
May.
G L'A146
MERCURE
L'AMANT CONTENT.
Ан ,
MADRIGAL.
AH, que je fuis heureux !
Apres avoir fouffert depuis le temps quej'aime
Tout ce que fait foufrir un deftin rigoureux,
Iris ne doute plus de mon amour extréme ,
Et je luy parle quand je veux.
Ah que je fuis heureux!
L'AMANT PLAINTIF
MADRIGAL.
Queue ne m'accablez vous de mortelles rigueurs,
Vous qui me reprochez de frivoles faveurs.
Helas! loin d'écouter tant d'esperances vaines,
Dont ma raifon ne peut interrompre le cours,
Peut- eftre qu'à vos yeux je briferois mes chaines ,
Et je vay les traifner le reste de mes jours.
Il faut vous parler de la furprenante
Action de Leuve. Il y a eu
fi d'intervale entre le moment
peu
de fa Prife & celuy du Siege , que
la nouvelle de l'un & de l'autre vous
a efté donnée tout à la fois . Cependant
་་་
Bofe
Batt
122
Plan
de la ville et
Citadelle de
Lewe
yaho
" B
և
la Citadelle
PortedeMueftrich
Porte deLouvain
Porte de Tdemont
5Porte de Son
Place darmes entre
taville etla Citadelle
8 Palliffadesfur la
Chauffer
Faubourg

GALAN T. 147
dant comme les François font beaucoup
de chofes en peu de temps ,
j'en ay auffi beaucoup à vous dire ,
& j'ay ramaffé avec tant de foin toutes
les particularitez qui regardent
cette importante Conquefte , que
quelques Relations qu'on ait pû vous
en envoyer, il eft impoffible qu'elles
vous en ayent appris toutes enfemble
autant de circonftances effentielles
, que j'en croy avoir à vous
apprendre. La fituation de cette Place
a des avantages qui la rendent
une des plus confidérables de tout
le Brabant . Elle eft fur la Riviere
de Géete , vers les Frontieres du
Païs de Liege. C'eft où fe fait la
meilleure Biere des Païs- Bas . Elle a
un Prieuré de l'Ordre de S. Auguftin
, dont le revenu eft tres-grand.
On en met le Prieur au nombre des
douze Prélats du Brabant. Lagrande
Eglife eft dédiée à S. Lienard ,
& il y a un nombre de Chanoines
tres confidérable. Cette Ville eft à
G 2 huit
148 MERCURE
huit lieues de Maftric , à deux de
Tillemont, & à quatre de Louvain.
Elle fut fortifiée apres que les Hollandois
eurent pris Maftric fur les
Efpagnols, & elle l'a encor efté depuis
que le Roy a conquis cette mefme
Place fur les premiers. Le Comte
de Monterey qui commandoit alors
dans les Païs-Bas, jugeant bien
que ce n'eftoit que par là qu'il pouvoit
empefcher la Garnifon de Maftric
de s'entendre dans le Brabant ,
y fit travailler avec tant d'empreffement
& de foin , qu'on l'a fouvent
veu aller & revenir en un jour de
Leuve à Bruxelles avec des Relais ,
pour faire hafter les Fortifications
par fa préfence. Auffi fa Citadelle
elle- eft tres-bonne & tres-réguliere .
Cette Ville eft dans un endroit fi
marécageux , qu'il eft difficile d'en
approcher. Outre les Eclufes qu'elle
peut couvrir , & les Marais qui
l'environnent de tous coftez , elle
eft défendue par un grand & treslarge
GALAN T.
149
large Foffé , & par un Avant foffé,
pleins d'eau , & l'on n'y peut aborder
que par une Chauffée fort étroite.
Je ne vous dis rien de fes Baftions
, de fes Demy Lunes , ny de
fes autres Fortifications . Vous n'avez
qu'à examiner le Plan que j'ay
eu foin de vous en faire graver. Je
ne vous en ay point encor envoyé
de plus jufte. Il eft fait avec toute
l'exactitude imaginable , & par des
Perfonnes qui ayant veu les lieux ,
ne font encor que d'en revenir .
Tous les environs de la Ville y font
ey
marquez , & vous y pouvez voir les
Marais & les Rivieres avec tous les
retours qu'elles y font. On pouvoit
dire que cette Place eftoit imprenable
, puis qu'il eftoit impoffible de
l'attaquer dans les formes. Il faloit
donc la furprendre. Mais les Places
font bien plus difficiles à gagner de
cette maniere , que par un Siege,
& l'on n'en doutera pas , fi on examine
qu'on en prend beaucoup dans
G 3
les
150
MERCURE
les formes, & que pendant un tresgrand
nombre d'années à peine y
en a-t-il une qu'on puiffe furprendre.
On n'a befoin que de vigueur
pour les Places qu'on attaque ouvertement;
mais outre qu'elle n'eft pas
moins neceffaire pour celles dont on
cherche à fe rendre maiftre par furprife
, il faut joindre l'efprit au fecret,
& beaucoup d'adreffe à la conduite.
Il eft vray que les François
ne manquent aujourd'huy de rien.
Toutes les mefures qu'ils prennent
font juftes ; & comme la prudence
feconde toûjours leur valeur , il ne
faut pas s'étonner s'ils font réüffir
des enterpriſes dont on n'a prefque
point veu jufqu'icy d'exemple. Il eft
furprenant que dans l'état où je viens
de vous reprefenter Leuve , on en
foit venu fi facilement à bout; mais
il l'eft bien plus que des Gens détachez
d'une Garnifon ayent pris une
Place qui auroit pû faire périr de
grandes Armées. Apres cela , Madame
,
GALAN T.
151

S
dame , puis-je trop dire que rien
n'eft impoffible aux François , &
fur tout à la Garnifon de Maftric ?
L'expérience & la valeur naturelle
de ceux qui la compofent , fortifiées
de l'exemple de M' de Calvo ,
leur ont fait faire des chofes fi
peu
croyables depuis plufieurs années
que quoy qu'on fçache qu'elles font
vrayes , on y cherche de la poffibilité.
Tout les craint , tout leur cede,
tout leur paye contribution, &
ils font trembler les Terres de plufieurs
Souverains fi-toft qu'il mettent
le moindre Party en campagne.
Ils ont fait plus d'Expéditions pour
le Roy depuis la priſe de Maftric ,
que toutes les forces d'Allemagne
n'en ont pu faire pour la confervation
de leurs Places. Les Alliez ont
eu beau établir exprés des Corps
d'Armée pour arrefter l'impétuofité
de leurs courſes , ils n'ont pû y
réüffir. Cela fe juftifie par les Contributions
qu'ils ont étenduës fi loin,
G 4
&
152
MERCURE
-
& qu'on ne leur a jamais ofé difputer
qu'à leur gloire. Voila les Soldats
qui ont pris Leuve. Ils eftoient
commandez par M' de la Breteche
fous les ordres de Mr de Calvo . Ce
brave Chef, que tout le monde connoit
pour un Homme tres-expérimenté,
eft Colonel d'un Regiment
de Dragons. Il s'eft fignalé en plufieurs
grandes occafions, & fur tout
au dernier Siege de Maftric , où il
eut la jambe emportée. Il prit toutes
les mefures neceffaires pour cette
grande entrepriſe , & ayant fait
faire des Bateaux legers avec du bois
de fapin , du jonc , des nates, & de
la toile cirée , il en fit éprouver
quelques-uns dans les Foffez de Maftric
longtemps avant qu'il tentaſt
l'execution de fon deffein. 11 les fit
ferrer dans des Magafins, pour éloigner
le foupçon que les clairvoyans
en auroient pu prendre ; & comme
il jugea à propos de ne rien précipiter,
il y fit ferrer en mefme temps
des
GAIAN T.
153
des Machines de bois qu'il avoit
fait faire pour mettre fur les pointes
des Paliffades, afin qu'on pût paffer
par deffus avec plus de facilité, Pendant
tout le temps où il fembloit ne
fonger à rien , il ne laiffa pas d'agir
avec une activité fans pareille. Il
fit fonder plufieurs fois l'inondation
de Leuve, & le premier Foffé,
reconnut la Place pendant des nuits
qui favorifoient fon deffein , & s'en
approcha jufques à la premiere Paliffade
. Mr Barbier Commiffaire de
l'Artillerie , avoit auffi efté reconnoiftre
la Place ; & toutes choſes ayant
efté difpofées par fes foins fous
les ordres de M' de Calvo & de
M' de la Breteche , voicy de quel- .
le maniere cette grande entrepriſe
s'executa.
L'heureux fuccés de cette entreprife
dépendant en quelque façon
du fecret , & l'éclat en devant eſtre
banny , on fit pendant deux jours
des Détachemens de la Garnifon de
Maf
G 5
154
MERCURE
Maftric, qui en forme de petits Partis
d'environ cinquante à foixante
Hommes chacun , fortirent par diverfes
Portes, & prirent diférens chemins
. Ces Partis montoient ênfemble
à trois cens Fantaffins , cent Dragons,
& deux cens cinquante Chcvaux.
M de la Nave Lieutenant
Colonel du Regiment de Bourbonnois
, devoit commander une grande
partie de ces Troupes apres leur
jonction. M' de la Breteche eftoit
auffi à la tefte d'un des Partis , mais
il eftoit plus fort que les autres. II
conduifoit les Charettes dans lefquelles
on avoit mis les Bateries dont je
vous ay déja parlé ; les Machines
qu'on devoit jetter fur les Paliffades,
& des Moulinets pour conftruire un
Pont , avec quelques Echelles affez
larges pour monter trois ou quatre
Perfonnes de front. Tous les Commandans
des Partis avoient ordre de
fe rendre à une Grange à quatre
lieues de Leuve. Ils s'y trouverent .
Leurs
GALAN T. 155
Leurs Troupee y demeurerent toute
la journée pour fe rafraîchir , &
arrefterent tout ce qui paffa fur le
grand chemin , afin qu'on ne les
découvrift pas. Ce fut dans ce lieu
que Mr de la Breteche fit connoiftre
aux Officiers le deffein de l'entreprife,
& regla avec eux l'ordre de l'Attaque.
Apres avoir demeuré un jour
dans ce petit Camp, toutes ces Troupes
marcherent vers Leuve , où elles
arriverent un peu apres minuit.
On déchargea les Bateaux, & le refte
des chofes neceffaires pour l'exe-.
cution de ce grand projet. On ranles
Bateaux les uns apres les au
tres , & l'on mit quatre Dragons à
chacun , avec des Bretelles & des
Crochets , pour les porter. M' de
la Breteche marcha à la tefte des Bateaux,
apres avoir fait les Détachemens
qui devoient paffer l'inondation
pour faire l'Attaque , & avoir
ordonné des Gens pour les foûtenir.
On avança jufques aux Paliffades de
gea
G 6 la
156
MERCURE
la Place , où l'on mit des Echelles
pour fauter par deffus , pendant que
d'autres coupoient les Paliffades en
d'autres endroits. Il y en avoit trois
à paffer avant que d'arriver au Foffé
de la Citadelle. Nos Gens y eftoient
à peine , qu'une Sentinelle qui les
apperçeut , commença à demander,
Qui va là ? On luy répondit , que
c'eftoient des Soldats du Party contraire
qui venoient fe refugier à Leuve
; mais la Sentinelle n'eftant point
contente de cette réponſe , & jugeant
que des François fçavoient
mieux attaquer que deferter , tira fon
coup, & donna l'allarme. Cette allarme
donnée de fi bonne heure , fut
bien glorieufe à nos Gens , puis qu'au
lieu de furprendre la Place , ils eurent
l'avantage de la prendre à force
ouverte. M' de la Breteche voyant
alors qu'il n'y avoit rien à ménager,
fit auffi -toft avancer fon monde au
pied du Foffé. On fit grand feu pendant
que l'on accommodoit les Bateaux.
GALAN T. 157
F
teaux. Le premier Bateau , qui fe
mit en devoir d'aller attacher le Piquet,
fut renversé, & il arriva prefque
la mefme chofe à tous ceux dont
il fut fuivy. C'en eftoit affez pour
faire avorter l'entrepriſe. Et le moyen
de prendre une Place dont la
Garnifon eft fous les armes , lors
qu'on eft au dela d'un Foffé plein
d'eau, qu'on n'a rien ny pour lepaffer
ny pour le combler , qu'on n'a
ny Logemens ny Canons, & qu'on
eft exposé au feu des Baſtions & des
Ramparts ? C'est cependant ce que
firent nos Gens fans perdre courage.
M' de Crémeau Capitaine dans Piémont
, & Neveu de M' de Pradelle,
leur montra ce qu'il faloit faire .
Il fe jetta à l'eau, l'Epée aux dents,
& fut fuivy de vingt Soldats ou Dragons.
Ces Nageurs tirerent avec eux
dans un petit Bateau M' de Manegre
& M' le Chevalier dela Breteche
& l'on paffa auffi dans quelques
autres les vingt Moufquets des
G 7
?
Na158
MERCURE
Nageurs, & quelques Echelles . Pendant
que cette petite ( mais courageufe
Troupe ) paffoit , deux cens
de nos Moufquetaires qui fans craindre
le feu des Ennemis s'eftoient avancez
à découvert , favoriferent le
paffage de nos Nageurs par le feu
qu'ils firent. M' de la Breteche fit
marcher en mefme temps fur la
Chauffée quelques Détachemens qui
mirent fur les Paliffades qu'ils trouverent
, les Machines qui avoient
efté faites pour ce deffein . Ils y monterent
en fuite avec des Echelles.
Cependant les Nageurs foûtenus par
vingt autres Soldats qui pafferent
dans des Bareaux, monterent deffus
l'un des Baſtions de la Citadelle avec
beaucoup de valeur , & n'en pûrent
eftre empefchez ny par les Soldats
qui la gardoient , ny par quatorze
ou quinze volées de Canon qu'on
tira fur eux. Dés que les Ennemis
eurent abandonné ce Pofte , une
partie de nos Gens entra dans la Citadel-
A
GALAN T. 159
tadelle , & l'autre alla à une petite
Dame pour faciliter le paffage aux
Troupes qui eftoient de l'autre cofté,
& nous nous rendîmes maiſtres
d'une Barriere qui faifoit la communication
de la Ville avec la Citadelle.
Dans ce temps le Gouverneur
qui eftoit dans la Ville affembla fes
Troupes pour aller au fecours de la
Citadelle , mais il eftoit
trop tard,
& il fut repouffé par nos Gens jufques
dans une Eglife d'où il ne pût
fortir qu'en fe rendant à difcretion .
C'eft un party qu'il fut obligé de
prendre , quand il apprit que les
Noftres s'eftoient faifis de la Citadelle
, & en avoient pointé le Canon
contre la Ville. Mr de Calvo
qui avoit marché avec huit cens Chevaux,
afin de foulager M' de la Breteche
en cas qu'il en fuft befoin , arriva
juftement dans le temps que les
Ennemis fe retiroient dans l'Eglife.
Le Gouverneur commandoit dans
S. Guilain quand il fut pris , & ce
fut
160 MERCURE
1
fut luy qui rendit cette Place à nos
Troupes l'Hyver dernier . Toute la
Garnifon a efté faite prifonniere de
guerre. Elle eftoit de pres de fept
cens Hommes; mais comme il s'en
fauve beaucoup dans des Villes prifes
de cette maniere , plufieurs fe
font échapez. La Place ne manquoit
de rien, & elle eftoit munie de toutes
fortes de Provifions de
guerre &
de bouche. Vous avez déja appris
dans cette Relation les Noms de ·
quelques-uns de ceux qui fe font fignalez
. Je ne vous les repetray point;
j'adjoûteray feulement que plufieurs
autres ont efté de ce nombre , &
qu'on ne peut trop loüer le courage
de M" de Valeils , Daugis , de
Monbrifon , & de Caffaigne. M
de Longueville eut une contufion
au front , avec fon Chapeau coupé .
M' de Tirbon , M' de Piblar , &
M' de Pinfac , tous Capitaines , fe
font diftinguez. M' d'Augis Capitaine
de Piémont , a efté bleffé à
la
GALAN T. 161
la cuiffe ; & M' Caron Lieutenant
au Regiment de la Marine , à la tefte.
Mr Brunet Capitaine dans Piémont
, eft le feul Officier qui ait
efté tué. On doit croire que toutes
les Troupes ont également bien fait,
puis qu'un fi petit nombre ne peut
prendre une Ville de cette importance,
fans chacun fe fignale en
que
fon particulier. Pour connoiftre les
avantages que la priſe de cette Place
nous donne , il n'y a qu'à confiderer
fa fituation , & à voir que les
Ennemis ne peuvent plus affembler
de Troupes dans le Brabant fans eftre
inquietez. Elle fervira de retraite
à la Garniſon de Maftric ; & fi
cette Garnifon fait des chofes fi furprenantes
, que ne fera-t- elle point
éftant jointe à celle de Leuve , &
ayant moyen de s'étendre bien plus
avant dans le Païs ennemy ?
Il me vient d'arriver de nouvelles
particularitez de ce Siege , dont
je vous feray part le Mois prochain
,
162 MERCURE
chain , & vous y apprendrez les
noms de plufieurs Braves qui fe
font fignalez , dont je ne vous ay
point parlé.
Il eft des Climats où l'on fait la
moiffon deux fois l'année. Le Roy
en fait de mefme pour la moiffon
des Lauriers. Pardonnez- moy ce terme.
Il eft peut-eftre un peu trop
poëtique , mais ne peut- on pas fe
permettre quelque chofe dans l'admiration
où l'on eft de voir partir
ce grand Prince pour fa feconde Campagne
de cette année , apres avoir
pris Gand & Ypres dans la premieres
Vous fçavez combien la refiftance
de cette derniere Place a donné de
gloire à nos Braves , & qu'elle a fait
dire à Sa Majefté , que depuis le commencement
de la Guerre ; Elle n'avoit
point veu de Gouverneur qui fe fuftfi
bien défendu que le Marquis de Conflans.
Le Roy avant fon depart nomma
quatre Marefchaux dé France pour
fervir fous Luy. Voicy leurs noms
fans
GALANT .
163
fans ordre , car je ne prétens point
leur donner de rang .
Monfieur le Marefchal Duc de
Luxembourg.
Monfieur le Marefchal Duc de
la Feüillade.
Monfieur le Marefchal de Lorge.
Et Monfieur le Marefchal Duc de
Vivonne.
"
Sa Majefté donna à ce dernier
d'obligeantes marques de la fatisfa-
&tion qu'Elle avoit euë de fa conduite
& des belles actions qu'il avoit
faites pendant fa Viceroyauté de
Sicile , quand il eut l'honneur de la
faluer au retour d'un fi glorieux
Employ. La maniere dont il fut
traité , & les bontez que le Roy luy
fait paroiftre en toutes les occafions,
confirment bien le Public dans la
jufte opinion qu'il a du mérite extraordinaire
de ce Marefchal. Auffi
l'empreffement de fes fervices pour
un Maiftre fi digne de l'eftre de toute
la Terre , a toûjours fait voir , qu'il
cher164
MERCURE
cherche beaucoup plus l'avantage de
luy plaire, que la gloire mefme qui
eft pourtant la fin ordinaire des actions
de tous les Héros. Il fait plus.
Il donne au Roy un Fils âgé de
quinze ans , qui depuis fa neuviémé
année , n'en a prefque paffé aucune
fans s'eftre trouvé dans des occafions
périlleufes , ou fur les Galeres , ou
dans l'Armée de terre , pendant le
Gouvernement de M' le Marefchal
fon Pere en Sicile , comme il a fait
encor aux Sieges de Gand & d'Ypres.
Ce jeune Seigneur n'a pas moins de
fageffe que de courage . Il eft honnefte
& civil à tout le monde , mais
avec difcernement , & il eft à croire
qu' imitant déja Monfieur le
Duc de Vivonne dans les grandes
qualitez qui nous le font admirer ,
il l'imitera encor dans ce deſ- intéreffement
fi rare , qui ne luy laiffant
chercher pour tout fruit de fes
belles actions que l'avantage de les avoir
faites , le rend preſque infenfible
GALAN T. 165
ble à la gloire de les entendre publier.
Quoy que le Roy foit plus que
jamais en état de vaincre par tout ,
il confent tellement au repos que
toute la Chreftienté fouhaite , qu'il
dit en partant à Monfieur le Premier
Préfident , qu'il préfereroit toûjours la
Paix aux plus importantes Conqueftes.
Il n'en eft pas demeuré à des paroles.
Il a fait voir qu'il fçavoit fe
vaincre Luy-mefme, & triompher de
la gloire qui auroit pû l'empefcher
d'écouter aucunes propofitions. Le
Projet qu'il a fait donner pour la
Paix , a efté veu. Les Peuples de
Hollande l'ont trouvé fi jufte , qu'ils
s'en font hautement déclarez . Leur
Gazette mefme n'a pû s'en taire , &
elle en a parlé plus d'une fois . Le
Prince d'Orange ne s'eft point rendu.
Il eft facile d'en concevoir les raifons
Le Commandement eft doux à tous
les Hommes , & il eft rare qu'on l'abandonne
fans qu'on s'y trouve forcé.
Je ne dis rien davantage là - deffus
,
166 MERCURE
fus , finon que l'ambition des uns
fert fouvent à faire voir la modération
des autres , & que fi le Vainqueur
veut bien imiter la genérofité
d'Aléxandre , les Vaincus fe font une
fi grand'honte de recevoir, qu'il femble
que leur ruine entiere doive eftre
pour eux un moindre malheur. Mais
quoy qu'il arrive de la Paix ou de
la Guerre , le Roy paroiftra toûjours
LOUIS LE GRAND , & le repos
qu'il a bien voulu accorder à ceux
qui le cherchent , ne le fera pas moins
admirer dans les Siecles à venir , que
la rapidité de fes Conqueftes y caufera
de furprife. Ce Grand Prince
eft environné de Conféderez qui ont
peine à foufrir fa gloire , mais il a
des Troupes accoûtumées à vaincre
pour Luy, Ce n'eft pas tout encor.
Il eft à leur tefte , & les Intelligences
qui font tout mouvoir apres |
Luy, le fervent fi bien , que j'efpere
avoir de grandes chofes à vous
dire la premiere fois . Cependant pour
vous
GALAN T.
167
5
vous parler d'unautre torrent deJaloux
déchaînez contre la gloire de
Sa Majefté , je vous diray que les
Conféderez d'Allemagne s'affemblent
, & font des mouvemens depuis
plus d'un mois ; qu'on n'entend
parler, que de leurs Magafins ,
& qu'ils font apporter des Provifions
de mille endroits diférens. Ils font
beaucoup , ils ont befoin de vivres,
& ils fe fouviennent de l'année derniere.
Je ne fçay s'ils feront de
grands progrés , & fi l'on n'en doit
point croire cette Chanfon.
Pourquoy quiter vostre charmante Reyne,
Et vous priver d'un entretienfi doux ?
Où courez -vous , Grand Prince de Lorraine ?
Pourquoy quiter voftre charmante Reyne
Pour le Dieu Mars qui ne fait rienpour vous ?
Ne pleurez pas , adorable Princeffe ;
Si Charles part , l'Empire en a befoin.
Créquy faura fervir veftre tendreffe.
Ne pleurez pas , adorable Princeffe ,
Si Charles part , il n'ira pas fort loin,
D. V.
Voltre
168
MERCURE
Voftre difficulté fur le mot de
Diamant brute que j'ay employé dans
l'Epiſtre aux Dames de ma Lettre
Extraordinaire , me paroift fort jufte.
Ce mot m'avoit fait peine comme
il vous en fait , & il n'y eut que
l'avantage de la Rime qui l'emporta
fur mon fcrupule. J'ay confulté nos
Maistres depuis ce tempslà. Quelques-
uns des plus délicats , & de
ceux- mefme dont on trouve les Livres
écrits avec la plus exacte pureté
, font pour cette maniere de parler.
D'autres foûtiennent qu'il faut
dire Diamant brut , & ceux là font en
plus grand nombre. Ainfi je croy
qu'il faut eftre de leur fentiment ,
parce qu'en matiere de doute , fa
pluralité doit prévaloir. J'attens avec
bien de l'impatience ce que vous
me promettez fur la Queſtion galante
, & fur l'Hiftoire Enigmatique
de cet Extraordinaire. Vous pouvez
ne vous point embaraffer , fi
vous voulez , de la Lettre en Chifres
;
GALAN T. 169
fres ; mais ne dites point que pour
la déchifrer on ne diftingue point aft
fez les Oyfeaux & les Animaux qui
en font les caracteres . On m'en a déja
envoyé le fens , & quoy qu'il n'y
ait que deux feules Perfonnes qui
l'ayent trouvé , la chofe n'eft pas im-
E poffible , puis qu'on a pû en venir à
bout. Pour ce que vous me dites
que cet Extraordinaire ne déplaiſt
point dans votre Province mais que
le prix en dégoûte beaucoup de Gens
qui voudroient l'avoir, j'y ay déja
donné ordre , & confenty volontiers
à ce qui m'a efté demandé par
Lettre que vous allez voir.
la
A L'A U THE UR
DU
MERCURE GALANT.
FE croy estre obligé , Monfieur , de
vous apprendre ce qui m'arriva byer au
foir. Feftois dans une Auberge où j'ay
May.
H accou170
MERCURE
accoustumé de trouver un affez bon nombre
de Provinciaux. Ils me parurent
plusfiers qu'à l'ordinaire. Chacun d'eux
tranchait du bel Efprit , & la caufe ne
m'en fut pas longtemps inconnue. On
parla de l'Extraordinaire de voſtre Mercure
Galant , & je m'aperçues bientoft
que leur fierté venoit du Panégyrique
que vous avezfait d'eux, & deleurs
Lettres qui compofent la plus grande partie
de cet. Ouvrage . Ils eftoient modeftes
, vous les rendez fiers , & on feroit
mal venu à les traiter prefentement
de Provinciaux. Quelqu'un de la Compagnie
(il eftoit Parifien comme moy) ne
put s'empefcher de dire , que quoy que
parmy ces Lettres ily eneuft de tresagreables
, le trop d'Explications des mefmes
Enigmes importunoit , & que vous
en auriez du retrancher du moins la
moitié . Trois ou quatre Provinciaux ,
zelez tout ce qu'on peut l'eftre pour
bien commun , parlerent tout-à -la -fois ,
& dirent avec chaleur que vous auriez,
malfaitfi vous vous fuffiez difpenfé de
le
les
1
GALAN T. 171 1
les mettre toutes , puis que tout le monde
s'eftant empreffé à vous écrire , il
falloit que chaque Province trouvaft dans
voftre Extraordinaire des Explications
de quelques Perfonnes de toutes les Villes
qui les compofent , afin qu'aucune n'euft
Jujet de fe plaindre d'avoir efté oubliée ,
comme quelquesunes ont déja fait par
leurs Lettres que vous nous venez de
donner. Leur raifonnement me perfuada.
Je me joignis à eux pour défendre
voftre Livre , & je ne fçay pourquoyje
vous en fais icy l'Apologie à vous-mesme,
puis que je devrois vous vouloir
un peu de mal d'avoir tellement élevé
les Provinciaux , qu'ils croiront bientoft
ne devoir ceder aux Parifiens ny en galanterie
ny en efprit . Ie confens pourtant
volontiers au bien que vous dites d'eux,
parce qu'ils font François comme moys
& que la gloire en retombe fur toute la
France. Je diray plus. Il n'y a pas une
des Villes de ce floriffant Royaume qui
ne doive garder voftre Extraordinaire
dans fes Archives , ny pas un Provin-
H 2 cial
172
MERCURE
cial qui ne le doive conferver dans fon
Cabinet , comme des Titres de l'Efprit
de fa Famille. Cependant fi les Provinciaux
font fatisfaits de l'encens que vous
leur donnez , j'ay à vous dire que plufleurs
ne le font pas du prix qu'il leur
confte. Un d'entr'eux me le dit en particulier
, & me pria mefme de vous_le
faire fçavoir fans le commettre. A dire
le vray , l'honneur que vous faites à
leurs Ouvrages , en les faifant vendre
plus que les voftres , leur coufte un peu
cher. C'eft un honneur dont ils fe pafferoient
fans beaucoup de peine , & je
vous affure que leur vanité eft tres -médiocre
fur cet article. S'ils font bien- aifes
d'apprendre que vous les avez mis
au nombre des beaux Efprits imprimez,
ils voudroient bien que leurs Ouvrages
leur fuffent donnez à meilleur compte ,
& ils en trouveroient leurs Lettres la
moitié plus belles . Un peu de ménage ne
fied point mal en toutes chofes. S'il y en
à qui ne s'arrestent point au prix quand
quelque chofe leur plaiſt , il en eſt beaucoup
GALAN T.
173
,
coup qui fe privent par là de ce qu'ils.
fouhaitent , & il faut toûjours contenter
le plus grand nombre. Je vous dis
ce qu'ils ne vous diront point eux -mesmes
car les beaux Efprits font fiers ;
& à quoy ferviroit d'avoir de l'efprit ?
fi on ne fçavoit fe déguifer? Quoy qu'il
en foit, Monfieur , puis que vous voulez
bien mettre les Provinciaux au monde,
faites qu'ils achetent moins la fatisfaction
qu'ils en reçoivent . Vous leur avez
fait honneur en jugeant leurs Ouvrages
dignes d'un grand prix , faites
leur plaifir en faisant qu'ils puiffent voir
ceux des autres Provinces & de la leur,
fans qu'il leur en coufte davantage que
pour le Mercure. Plus de Gens les acheteront
; plus ils feront veus , plus
ceux qui les ont faits en auront de gloire.
Ils ne croiront point que cette diminution
de prix les faffe trouver moins
beaux. Ils fçavent qu'on en aufé de
cette forte pour les plus belles Pieces de
Theatre , quand elles n'ont plus efté fi
nouvelles. Ainfi voftre Extraordinaire
H 3 n'en
174
MERCURE
n'en fera pas moins eftimé . Faites-y réflection,
Monfieur. Je fçay que vos Fi
gures de Modes de toutes manieres, vos
autres Planches fur le mefme fujet , fre
toutes celles qui font dans ce Livre, vous
ont obligé à de fort grandes depenfes ;
mais vous devez récompenfer par là les
Provinces de l'estime qu'elles ont pour
voftre Mercure, qu'on y achete fouvent
plus cher qu'à Paris.
Je viens aux Enigmes du dernier
Mois . Vous les aurez fans-doute examinées
avec plus de foin , apres avoir
leu à la tefte de ma Lettre Extraordinaire
, ce qui a efté écrit fur
ce fujet par un bel Efprit d'Aix. Je
ne fuis point furpris que vous traitiez
de Chef d'oeuvre les dix ou douze
Lettres qui en font une efpece
de Differtation. Tout le monde les
a admirées , & on fouhaiteroit fort
que leur Autheur vouluft embellir
fouvent celles que je vous adreffe
de quelque Traité de fa façon . Il
écrit
GALAN T. 175
écrit fi finement, qu'il eft affuré de
réüffir dans tout ce qu'il voudra entreprendre,
& on ne peut avoir autant
d'efprit qu'il en a , fans eftre
comptable au Public de la meilleure
partie de ſes heures . Vous n'avez
pas perdu celles que vous avez données
à chercher le fens des deux dernieres
Enigmes , puis que vous les
avez devinées. Le Fils d'un Auditeur
de la Chambre des Comptes
de Dijon, qui a trouvé comme vous
le vray Mot de la premiere , s'en
explique de cette forte à une aimable
Perfonne que luy en avoit demandé
le fens ..
A IR IS .
Tris, il faut vous fatisfaire ,
Le Mot que vous cherchez avec empreſſement
Eft la Chemife afſurément .
Quand le matin vous vous parez pour plaire
A de certains Blondins qui vous font les yeux
doux:
N'eft ce pas la premiere chofe
Dont vous cachez ce qui pourroit chez vous
H 4 Fai176
MERCURE
Faire honte à l'éclat du Lys & de la Rofe ?
Et fur tout ce qui peut orner un Courtisan
N'a-t-elle pas toûjours le premier rang ?
N'a-t-elle pas auffi la faveur fans égale
D'approcher de fort pres la Perfonne Royale ?
Trop heureux ! fi j'ofois d'auffi pres quelque
jour
Toucher comme elle fait le plus parfait onvrage
De la Nature de l'Amour ;
Ou du moins fi j'avois, Iris , cet avantage
Que le Roy donne au premier de fa Cour,
De vous mettre voſtre Chemiſe.
Lors qu'une fois vous l'avez mife
Vous ne la gardez pas long-temps ,
Vous en changez fouvent comme d'Amans.
Sa beauté n'est que paſſagere ,
Et fa faveur ne dure guére .
Non plus que celle auſſi de tous vos Soupirans,
L'eaubientoft luy redonne une beaute nouvelle;
Et fi l'on dit que rien n'est éclatant fans elle,
Ou qu'avec elle feule on eft fans ornement ,
Pour tout autre on dit vray, mais pour vous,
bagatelle ,
Il en eft autrement ;
Et tel qui par hazard caché dans la Ruelle
Pourroit vous voir ainfi fortant de voftre Lit,
Fureroit que fans contredit
Il ne vous vit jamais plus charmante&plus
belle.
Ceux
GALAN T. 177
ge ,
Ceux qui ont trouvé ce mefme
Mot de la Chemife , font M' de
Bellefontaine , M' l'Abbé du Gafquet
de Diepe , M' Potier de Lan-
Mademoiſelle Raince , La belle
Angelique , M' Matereau Docteur
en Theologie , Mr Thabaud
des Ferrons de Berry , Mr Renard
Avocat en Mont real en Bourgogne,
EM'Quinquet Confeiller au Prefidial
1
X
de Soiffons, La Ville de Ham , Mademoiſelle
de Bonnemarre du Havre
de Grace , en Vers ; M Bouchet
de Grenoble , de Lyon , Madame
de la Lande du Havre , Mademoifelle
du Chaſtel de Sées, Mademoifelle
Taverne de Mondoubleau, M
de Larbruiffeau , M' d'Hermilly de
Paris, Mr Grandin Doyen de Vandofme
, Mademoiſelle le Meufnier
de Roüen , M' Cordets , Madame
Pitard de Bordeaux , M' Comiers
Prevoft du Chapitre de Ternant ,
Mademoiſelle de la Chapelle de l'Ifle
N. Dame , Mr Loncle de Paris,
H 5
Ma178
MERCURE
Mademoiſelle d'Orgeval de Normandie
, Mle Chevalier de Barre & M
de Barré , Mr Baifé le jeune en Vers,
La jeune Mariane , Selifandre , M
Defprez de Caën , Mademoiſelle de
Lougny de Paris , Mademoiſelle "
Marcés l'aifnée d'Auxerre , Mademoifelle
de Launay de Chaſtillon en
Vers. Mefdemoiſelles de Villeneuve
& de Boumoic de Saumur.
D'autres ont expliqué cette Enigme
fur la Perruque , la Cravate , la
Mode , la Jeuneffe , l'Amour , une
Plume blanche de Chapeau, la Nobleffe,
la Fierté ; l'Epée , & la Faveur.
L'Explication qui fuit apprendra
le vray Mot de la feconde à ceux
qui n'ont pas eu les mefmes lumieres
que vous pour
les trouver.
C'est une Canne.
Qui vient d'un Païs étranger ,
Et dont le corps eft droit , fet & leger.
Gens de Cabane
Ne la portent jamais ,
Mais Gens de Guerre de Palais ,
Les
GALAN T. 179
"
Les Femmes mefme avec beaucoup de grace.
Elle eft commode à tous ,
Et lors que l'on s'en fert, fouvent on fe délaffe,
Mais Dieu nous garde de fes coups.
Voicy d'autres Mots qui ont efté
appliquez à cette feconde Enigme ,
La Pique , le Dard , un vieil Bafton
de Marefchal de France , l'Oignon ,
le Papier timbré une Plume de Héron
, une Pertuífane , & le Bois de
Bréfil. Le Mot de la Canne qui eft
fon vray fens, a efté trouvé par M
le Chevalier , de la Rue Chapon ,
Meſdemoiſelles de Pierreval & Raince
, Mr Bazin Chanoine de Troyes ,
Mr Malbet Directeur des Poftes
en Champagne , Mr Fleury de Durcet
de Normandie , Mademoiſelle
Chicot de la Rue Bourtibourg ,
Mr Jordanis , Mademoiſelle de la
Riviere de Troyes , M' le Chevalier
de la Croix la Bigne de Troyes
en Vers , Mr l'Abbé du Détroit de
Rouen , L'Hermite de S. Giraud
en Vers , Mademoiſelle Buiret de
H 6 Soif
180 MERCURE
,
Soiffons , Mademoiſelle de Mainville
en Normandie, M' Bernier de
Blois Medecin de feu S. A. R. Madame
la Doüairiere Mr Rouffel
Aumofnier du Roy à Conche , Le
Berger fans Moutons de Flamenville
, Païs de Caux ; M' Doguet Avocat
de Brie-Comte- Robert , Mr
Gautier du Havre , Mademoiſelle
de la Rofiere de Sées , Mademoiſelle
de la Touche de Mondoubleau ,
Mr Grillot Capitaine des Gabelles
au Département de Troyes , M' de
Gerouville du Païs de Caux , La
jeune Solitaire de la Foreft de Ponthieu
en Picardie, Mademoiſelle de
Belangaut de Normandie , M' Vaglier
de Monfy , M' Perry Direc
teur des Aydes de l'Election de S.
Quentin , Mademoiſelle Ragueneau
pres de Bordeaux .
Quantité de Perfonnes ont trouvé
le vray fens de toutes les deux ,
& ce font M' de S. Laurens Licutenant
de Roy de la Citadelle de Verdun
,
GALAN T. 181
dun , M' Lagrené de Vrilly , M
de Vitry Fils de M ' de Vitry-la- Ville
Receveur des Finances en Champagne
, M' le Chevalier de Heronne
de Rouen , Mademoiſelle Sainte
-Adreffe du petit Boc de Fefcamp,
Mr de Fontenay de la Paroiffe de
Prefle en Brie , Mademoifelle Merlin
de Rouen , Mr Preaux de la
Martiniere de Tours , Les trois aimables
Soeurs de la Rue Pavée, Mr
Maclou Maiftre és Arts dans la Ville
de Chaumont en Véxin, M. l'Abbé
de Montcamp pres de Cormeilles
au Véxin François , M' Hourdaut
de Paris , Mr le Marquis de la
Calade de Villefranche, M'de Chantoiſeau
de Brie-Comte-Robert , Mr
le Chevalier de Marles de Rouen ,
Mr Tobie de Beauvais Fils de Medecin
, M' d'Auburtin de Bionville
de Mets , M' du Tel , M' Cohan
d'Alençon, M' Panthot Docteur en
Medecine & Profeffeur à Lyon ,
M' de Fontenay du Vexin, M'S.D.
H 7
jeu182
MERCURE
jeune Secretaire du Roy à Rheims ,
M' d'Abloville pres d'Argentan, M'
de Vignolet de Nilmes , M le Juge
de Chasteaubas en Agénois , M
le Marquis de Beauplan du Ponteaude-
mer , Mr Nolbel de Paris , La
charmante Bibi , M' de Lécar d'Avignon
, M' de Cormone Avocat
au Parlement de Roüen , Mr Col.
let, Mademoiſelle de la Meroufiere
de Falaife , Mademoiſelle Girardot
de Blois, Un Gentilhomme de Verdun
, Mr de Superville Medecin à
Saumur, L'Amant patient de Dieppe
, M Petit Medecin de Châlons
en Champagne, M Roland Avocat
à Rheims, Mr Briffeau de Tournay,
M' du Vaucel d'Evreux , La plus
aimable de la Rue Sainte Marguerite
, Le Solitaire de Châlons en
Champagne , La Societé fpirituelle
du Marais , Le Sauvage d'Arbouville
du Havre.
· Ceux qui fuivent les ont expliquées
en Vers.
M' des
GALAN T. 183
M' des Fontaines de Paris , Mr
Robbe , M' de la Barre S ' du
Pleffis , Confeiller à Chinon ; Mr
Chartier Ecclefiaftique de Roüen ,
M' le Baron de Hogues , Mademoifelle
Loyfeau de Coulomiers, Mr
l'Abbé de la Croix de Roüen , Mr
Giffon d'Arles , Mr Robert de Châlons
en Champagne , La Societé des
jeunes Belles de Caen , M' Boulanger
de Dinan en Bretagne , Les Dames
de Richelieu . L'Hoftel des Urfins
à Paris , Mr Maze de Roüen ,
Madame Noman - Anori de Poitiers ,
Mr Minot de Paris , M' l'Abbé de
S. Clerc de Tours , M' Hebert de
Rocmont , Mademoiſelle Antoine ,
La Societé Cloiftrée de Paris , M'
Prével , M' le Préſident de la Chambre
, Mr l'Abbé d'Artevat de la
Rochelle.
Je vous envoye deux nouvelles
Enigmes. La premiere eft de M
l'Abbé d'Albert d'Aix.
ENI184
MERCURE
ENIG ME.
JE fuis de divers lieux , je nais dans les Forefts
,
Tantoft pres des Ruiſſeaux, tantoft pres des Marets
;
Fe fuis de toute taille & de feche figure ,
Je n'ayjambes ny bras ; cependant la Nature
Ne m'a pas fait un Monftre , & j'en vaux
beaucoup mieux ,
Reparant ce defaut par un grand nombre
d'yeux.
Qu'ils foient toujours ouverts , il n'eft pas neceffaire-
Qu'ilsfoient fermez ou non , ils fçavent toûjours
plaire.
Comme un Cameleon je me nourris de l'air .
Quoy que je ne puiſſe parler ,
Fay le don de me faire entendre ;
Et par une vertu qui pourra vous furprendre.
Ce qu'en ouvrant la bouche on voit faire en
tous lieux
A mille Gens qui par là fçavent plaire,
Moy de qui la méthode à la leur eft contraire ,
Je le fais en fermant la plupart de mes
yeux.
A UGALAN
T. 185
AUTRE
ENIGME
Comme l'heur de me voir eft un bien important
,
Je mets mon Corps en veuë autant qu'il y
peut eftre.
-Cependant de ce Corps que l'on eftime tant ,
On ne voit prefque rien paroistre .
Quoy que fort ancien je nais à chaque inftant,
Et je fuis avant que de naiftre.
C'eft fort peu de chofe pour moy
Que ce qui m'occupe fans ceffe ,
Et je ne puis, je le confeffe ,
Remplir qu'à demy mon employ
Ma Fille jamais ne me quite,
Si ce n'eft dans les lieux où je fuis trop puiffant.
Plus on me voit , moins on me fent,
Et plus je crois , plus ma force eft petite.
Paffez à me chercher & lesjours & les nuits ,
Ce foin fera tres-inutile.
Où me trouveriez- vous ? plus vous ferez habile,
Et moins vous fçaurez où je fuis.
Quant à l'Enigme en Figures ,
vous allez demeurer d'accord par
les divers fens qu'on luy a donnez ,
qu'el186
MERCURE
qu'elle a fait étudier la Nature à bien
des Gens , & que cette forte de délaffement
d'efprit ne peut eftre fans
utilité , puis qu'il engage à faire des
recherches fort curieufes. M'le Chevalier,
de la Rue Chapon , a crû que
c'eftoit la Ville de Gand, Mr de Lagrené
de Vrilly , le May ; M' des Fontaines,
la Mine, ou le Fourneau; M
de la Barre S' du Pleffis, Confeiller à
Chinon , le Siege de Gand ; M' Jordanis,
un Sep de Vigne; M' Robbe, le
Fard, ou la Médifance; La belle Angelique
, la Comédie liée par l'Opéra;
M' Mathereau Docteur en Theologie
, Hypocrifie; M'des Bois, la tragédie
, ou l'Amour méprifé ; Un Inconnu
de Troyes , Por , ou la Comedie
; Mr Maclou Maiftre és Arts
à Chaumont en Véxin , la France
victorieufe dans les Païs- Bas ; Mademoiſelle
Buiret de Soiffons , un Fournean
; Mr Bernier de Blois , Medecin
de feu Son A. R. Madame la
Doüairiere , l'Etat où font réduits les
PaisGALAN
T. 187
Pais-Bas ; La Ville de Ham , le Trophée
, la Tragedie , ou le Fagot ; M²
Bonnet de Vaux de Loches , la Satire
; M' le Baron de Hoques , le
Miroir , la Hollande punie , la Verité
reconnue; M' le Duc Avocat à Caën,
les Ennemis du Roy , en Vers ; Mademoiſelle
Loyfeau de Coulommiers,
Ma Hollande humiliée & punie ; M' Bouchet
de Grenoble , les Triomphes du
Roy fur les Ennemis ; M'le Chevalier
ide Marles & Mademoiſelle Andryde-
Lifle , de Rouen , le Fard ; M'
Rouffel Aumofnier ordinaire du Roy
à Conches en Normandie , la Vi-
Etoire de la Poëfie , ou le Chaftiment
des Hollandois ; Madame de la Lande,
PEſpagne; M'd'Auburtin de Bionville
de Mets , laVigne ; M'Gautier du
Havre , la Guerre de Flandres ; M'
Seguin Avocat à Sées , la Goute ; Mª
Giffon de l'Academie des Beaux Efprits
d'Arles , la Vigne , en Vers ;
Mr Grillot Capitaine des Gardes des
Gabelles au Département de Troyes
la
188
MERCURE

la Vigne; La Societé des jeunes Filles
de Caën, le Menfonge , en Vers,
& Profe ; M' Cohan d'Alençon , la
Flandre , ou Pais - Bas Espagnol &
Hollandois ; M' de Vitry Fils de M
Vitry - la - Ville , Receveur general
des Finances en Champagne, la Sculpture
, ou l'Anatomie; Trois des Dames
de Richelieu ; la premiere , le
Fard ; la 2 , l'Herefie ; & la 3º ,
PErreur des Ennemis ; M' Panthot
Docteur en Medecine & Profeffeur,
la Fournée de Caffel; M' de Fontenay
du Véxin , la Comté de Flandre,
M'de Roubron de Roüen; laVigne;
Mr S. D. jeune Secretaire du Roy à
Rheims , le Baume , ou les Ennemis
du Roy ; Mr Cordets , la Satire ou
le Poëte Satirique, M' de Vignolet de
Nifmes , les Hollandois , M du Matha-
d'Emery , la Critique ; M' de la
Salle S de Leftang , la Cire d'Efpagne;
M Nicolaïf-Nippuoh de Mariffel,
les Victoires du Roy fur les Ennemis
; Un Chanoine de S. Victor ,
PAlchiGALAN
T.
189
D
Alchimiste ; Madame Noman-Anori
de Potiers , l'Enigme devinée ; M'
de Nolbel de Paris , les Victoires du
Roy fur les Hollandois ; Mr Minot de
Paris , les Hollandois , ou l'Eté &
les grandes Chaleurs ; M du Mont
де de Chaumont, les Hollandois, l'Ignorance
punie, ou la Vigne; M' de Gerouville
du Païs de Caux, l'Autheur
Satirique , ou le Faux Monnoyeur ;
M' Hebert de Rocmont , le Maf
que , ou la Greffe ; M Roland Avocat
à Rheims , le Baume, M' le
Signerre le jeune Ecclefiaftique de
Rouen , Echo ; Mr Loncle de Paris
, la Trompete marine; M'Briffeau
de Tournay , la Hollande, Le Nouvellifte
Galcon, Trahifon, ou la Vangeance
; Le Solitaire de Châlons en
Champagne , la Vigne ; M Prével ,
la Trabifon ; Celifandre , la Satire ,
le Tableau , & l'Enigme ; Le Sauvage
d'Arbouville , le Comté de Flandre
; Mademoifelle de Lougny de
Paris , la Republique de Hollande ;
Mr l'Ab-
10
190
MERCURE
Mr l'Abbé Montel, une Affiche; M'
Perry Directeur des Aydes de l'Election
de Saint Quentin, le Luth; Momus,
l'Hypocrifie ; M'l'Abbé d'Artevat
de la Rochelle , les Conféderez.
Cependant le vray Mot eſt le Vers
Burlefque , & il n'y a eu que le feul
M' Langlois de Paris qui l'ait trouvé.
Marfye eftoit une efpece de Muficien
champestre, habile foüeur de Flûtes .
C'eſt par là qu'il reprefente le Vers.
Il avoit ofé s'égaler à Apollon. C'eſt
ce qu'a fait le Vers Burlefque dont
on s'eft fervy pour traduire en ridicules
les plus Illuftres Poëtes de l'Antiquité,
tels que Virgile & Ovide.
Cet Homme couronné de Laurier ,
qui lie Marfye par les pieds , eft le
Poëte qui fait le Vers par de certaines
mefures qu'on nomme pieds.
Apollon eft le Dieu qui l'inſpire.
Les Génies qui volent en l'air avec
des Mafques , font les Ris qui naiffent
ordinairement des plaifanteries
du Vers Burleſque
.
Ino
INO ENIGME.
er
C
let
TOU
ΤΕ
192
MERCURE
Ino eft la nouvelle Enigme que je
vous propoſe. Examinez - en les Figures.
Vous n'y trouverez rien qui
ne réponde à la Fable. Elle avoit
époufé Athamas Roy de Thébes ,
qui pourfuivant cette malheureuſe
Princeffe , par un effet de la fureur
que Junon luy avoit infpirée , l'obligea
de fe précipiter dans la Mer du
haut d'un Rocher. Elle fut changée
en Déeffe des Eaux par Neptune.
Ses Filles courant apres elle pour
l'arrefter , furent métamorphofées en
Statues , & demeurerent dans la mefme
pofture qu'elles avoient dans l'inftant
de ce changement .
En achevant cet Article , je reçois
une Lettre de Monfieur le Duc de
S. Aignan , qui me fait l'honneur
de m'envoyer des Explications en
Vers fur les deux Enigmes. Je vous
les reſerve pour une autre occafion .
Dire qu'il a fait des Vers , c'eft dire
qu'il en a fait d'agreables . Rien n'eft
ny plus fpirituel , ny plus galant ,
que
GALAN T .. 193
que ce que cet Illuftre Duc adjoûte
en profe aux Explications dont je
vous parle. Il dit, qu'il ne fepeut qu'un
Premier Gentilhomme de la Chambre
du Roy méconnoiffe une Chemiſe qui a
Phonnenr d'approcher de fi pres , comme
dit l'Enigme, de la Perfonne de Sa
Majefté ; ny qu'un Lieutenant General
en fes Armées , fe puiſſe tromper facilement
à la defcription d'une Canne.
Il ne me reste plus rien à vous
dire , finon que Monfieur de Rohan
eft accordé avec Mademoiſelle de
Vardes. Je vous parleray de l'un &
de l'autre quand le Mariage fe fera.
Celuy de M' le Marquis de Poigny,
de la Maifon d'Angenes , a efté fait
depuis quelques jours. Il a épousé
Mademoiſelle de Brienne.
M' Scot de la Mefengere , Con
feiller au Parlement de Normandie,
a épousé Mademoiſelle de la Sabliere,
environ dans le mefme temps.
Il eſt Fils de M'Scot , qui eut l'honneur
de recevoir le Roy d'Angle-
I terre
194 MERCURE
terre chez luy , quand ce Prince paffa
inconnu par Rouën , apres qu'il eut
heureuſement échapé à la fureur de
fes Ennemis . Mademoifelle de la Sabliere
eft une fort aimable Perfonne.
Elle est belle , bien faite , & partage
les avantages de fa Famille , qui eft
tout efprit.
On a achevé d'imprimer deux Livres
nouveaux , dont l'un a pour titre
, Alfrede Reyne d'Angleterre , Nouvelle
Hiftorique ; & l'autre , Meroüée
Fils de France. Je vous les envoyeray
fi - toft qu'ils feront publics. Ils font
d'un Homme dont les Ouvrages ont
déja réüffy , & ainfi il ne fe peut
qu'ils ne foient dignes de voſtre
curiofité .
Vous fçavez le Siege de Puicerda.
Je vous en feray le détail à mon ordinaire.
Cependant je vous en envoye
le Plan , afin que vous en
voyiez la fituation , & que vous admiriez
comment on a pû affieger
une Place au milieu de tant de Montagnes
Plan
de la vill
de
PUY- CER
Capitale
Cerdagn
194

GALAN T. 195
tagnes couvertes de neige , & comment
on a pû y faire paffer du Canon.
Elle est beaucoup plus forte que vous
ne la voyez dans le Plan , parce qu'elle
a efté fortifiée par les Efpagnols
depuis qu'elle eft entre leurs mains.
Quand je vous feray la Deſcription
de ce fiege, je vous donneray un nouveau
Plan , avec toutes les Attaques .
Je vous envoye ma Lettre deux
jours plus tard qu'à l'ordinaire ; mais
fi l'impatience de la recevoir a pû
Vous caufer quelque peine , elle fera
récompenfée par la nouvelle de la
Paix que le Roy vient de conclure
avec les Etats de Hollande . Vous
n'en fçaurez pas aujourd'huy davantage.
Cet Article merite bien que je
vous en entretienne plus au long. Je
remets donc à ma premiere Lettre à
vous en parler , & je ne defefpere
pas de vous entretenir alors de la
Paix generale ; Les bontez du Roy
eftant fi grandes , qu'il aime mieux
remplir les voeux des Peuples qui la
de-
I 2
196
MERCURE
demandent , que pourſuivre le cours
de fes Victoires , què nul autre que
luy ne peut arrefter.
Si les Harangues de Meffieurs du
Parlement , & celle de l'Académie
Françoife , qui eftoient dans ma derniere
Lettre , ont caufé tant d'amiration
, & donné tant de plaiſir aux
beaux Efprits de voftre Province . je
croy que celles que je vous envoyeray
le Mois prochain fur le fujet de la
Paix , ne les charmeront pas moins .
Je vous feray part auffi des Réjoüffances
qui fe feront dans toute l'Europe
fur le mefme fujet ; & fi l'on a
foin de m'en envoyer les Deffeins ,
je les feray graver , afin que l'on
fe fouvienne plus long - temps des
grandes Conqueftes du Roy &
du triomphe qu'il a remporté fur
Luy-mefme , en interrompant le
cours de fes Victoires , pour faire
joüir toute l'Europe d'une heureufe
tranquilité ; ce qui doit faire
dire de ce Grand Monarque, ce que
VirGALAN
T. 197
Virgile a dit autrefois d'Augufte ,
Deus nobis hæc otia fecit .
Les plus belles Langues vous
eftant familieres , il n'eft pas neceffaire
que je vous explique ce que ces
paroles veulent dire. Vos Amis à qui
vous en apprendrez le fens , n'auront
pas de peine à fe perfuader que
toute l'Europe ne devra qu'à un
Dieu le repos dont elle eft fur le point
de jouir. Je fuis , & c.
A Paris ce 31. May 1678.
ON donnera un Volume du Mercure
Galant , le premier jour de chaque
Mois fans aucun retardement.
1
7
TABLE
des matieres contenues en ce
Volume.
Lettre de Tirfis à Iris, en Vers & en Profe, page 2
Madrigal ,
Air nouveau ,
12
13
Le Roy donne à M. le Comte de la Vangadre le
Gouvernement de l'Ile & Citadelle d'Oleron, ibid.
Mort de M. de Pauliac ,
Diverfes Charges données par le Roy ,
14
16 :
Mariage de M. Lanta de Grammont & de Mademoiselle
de Riquet de S. Feilx , ibid.
Mariage de M de Preval de la Matroffiere , avec
Mademoifelle de la Selle ;
Elegie fur le Langage des Teux ,
L'Amante fidelle, l'Hiftoire ,
17
18
20
Combat de M. de Brévedent avec une Frégate contre
deux Corfaires Hollandois , 34
M le Chevalier deMaubenge prend deux Vaiffeaux
d'Amfterdam dans le Manche , 35
Son Alteffe Royale donne à M. le Chevalier de Loribid.
raine , l'Abbaye de S. Jean des Vignes ,
Galanterie envoyée par Damon d Amarante . 37
Air de M. des Halus , 43
Promeffe faite à Cloris par un tres-galant Homme, 47
L'Amant quité , 48
L'Anant hardy , ou le Souflet bien regen , 50
Le Roy donne une Penfion à M. le Comte de Brionne,
52
Madame la Ducheffe de Savoye donne une Abbaye
à M. le Cardinal d'Eftrées , ibid .
56
59
76
Lettre fur la Princeffe de Cleves ,
Arc de Triomphe découvert à Rheims,
Réponse d'Iris à l'Amant intereffé,
Le Roy donne la Charge de Premier Prefident du Parlement
de Paris, à M. le Prefident de Novion, 80
M. Colbert Ambaffadeur Extraordinaire pour le Roy
Ni-

TABLE.
1
d Nimégue , eft fait Prefident à Mortier , 85
Sa Majesté donne à M. Pelletier la place de Confeiller
d'Etat ordinaire qu'avoit M Colbert , 86
M. Bignon eft fait Confeiller d'Etat Semestre , à
la place de M. Pelletier , ibid .
Mort de M le Prefident de Megrigny . Le Roy donne
fa place de Confeiller d'Etat à M. Colbert du
K
ibid .
Terron ,
Ballet Inpromtu, fait par M. le Duc de S. Aignan,
& dancé au Havre ,
87
Defcription de la Fefte du Jeu de l'Arc qui fe fait
tous les ans à Montpellier ,
94.
Galanterie envoyée à M. le Prefident Charton , 102
Le Roy donne l'Abbaye de S. Marcel dans le Quercy,
à M. l'Abbé de Camp ; 105
Sa Majesté donne an Second Fils de M. de Lully ,
Surintendant de la Musique de la Chambre, l'Abaye
de S. Hilaire aux environs de Narbonne, 106
Mort de M. Dupuis , Greffier en Chef de la Cour
des Aydes ,
107
Départ de plufieurs Perfonnes de la plus haute Qualité
; pour les Eaux de Vichy, jugées tres-bonnes
pour guérir des Vapeurs ,
Air nouveau ,
ibid.
109
Traduction de la Chanfon Italienne qu'on a venë
dans le Mercure du mois de Mars ,
Sonnet Italien au Roy ,
Sonnet de M. l'Abbé Minot au Roy :
Madrigal ,
Avanture de Chaffe .
110
III
112
113
114
La Muzette ; Galanterie meflée de Profe & de
Vers ,
Sacre de M. l'Evefque d'Ufés ,
Sacre de M. l'Evefque de Digne
118
121
123
Madame Colbert , Abbeffe du Lys , eft benite. 125
La Renommée à Monfeigneur le Dauphin , 127
M. de Boulogne rifit tres - bien dans le Tablean
du Mayde cette année , 130
Paroles de M. Marcelle mifes en Air par M.
de la Tour ,
Air nouveau ›
131
ibid.
Lettre
TABLE.
Lettre d'un Amant defefperé , 132
Mort de M. de Valencé Grand Prieur de France,
137
Le Roy donne l'Abbaye de Bourgueüil que poffedoit
M. de Valencé, à M. le Marquis de Courtenvant,
Fils de M. de Lonvoys, 144
Sa Majesté donne an Fils de M. le Marquis de
Monchevreuil une autre Abbaye , poffedée par le
mefme M. de Valencé ,
Inpromptu ,
L'Amant Content ,
L'Amant Plaintif,
ibid.
145
146
ibid.
Relation de tout ce qui c'eſt paffé à la prise de Leuve
,
Départ du Roy
Etat des Troupes d'Allemagne ,
147
162
167
Lettre fur l'Extraordinaire du Mercure Galant, 169
Explication de la premiere Enigme en Vers du mois
d'Avril.
Noms de ceux qui l'ont devinée ,
Explication de la feconde Enigme avec les Noms de
ceux qui l'ont devinée ,
Enigme de M. l'Abbé d'Albert ,
Autre Enigme ,-
Enigme en Figures ,
Mariages ,
Fin de la Table.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères
Remarque

Contrefaçon du Mercure de Paris.

Soumis par lechott le